La confiance dans le hasard est-elle une attitude de vaincu ?

Thème  « La confiance dans le hasard
est-elle une attitude de vaincu ? »

Essai de restitution du café philo de Chevilly-Larue.
28 janvier 2004

Modérateur : Chantal Deluchat
Introduction au débat et Animateur: Guy Pannetier

Introduction : Pour la plupart des étymologistes le mot « hasard » tire son origine de l’Arabe « AZ-ZAHR », le jeu de dés. Pour les Espagnols le mot « AZAR » est lié tant aux dés qu’utilisaient les MAURES qu’à la fleur d’oranger que l’on nomme « AZAHAR ». Sur les dés arabes le un ou l’as est représenté par une fleur d’oranger. Mais « AZ-ZAHR » désigne aussi le résultat du jeté de dés, ce qui rappelle que le hasard est tout autant, la cause et l’effet.
S’en remettre au hasard sera considéré chez l’optimiste comme un comportement de vainqueur de celui qui a confiance dans la providence. Mais se soumettre au hasard peut être un comportement pessimiste de celui qui ne prend jamais le risque de prendre des risques, celui qui ne veut pas lutter, lequel se situe dans le  camp des « Aquabonistes ».
A mi-chemin, nous trouvons les Stoïciens, « si les choses vont au hasard ne te laisse pas aller toi aussi au hasard » nous dit Marc Aurèle. Il s’agit de vouloir ce qui peut dépendre de nous et de ne pas se soucier de ce qui peut arriver fortuitement, des faits sur lesquels nous ne pouvons agir.

Débat :    –  Une partie de notre vécu nous appartient. Mais des situations nous échappent. Il y a  « un lâcher prise ». Puis il évoque l’histoire d’une bataille de samouraïs : l’issue est incertaine, un pile ou face avec une pièce, résultat favorable, les hommes reprennent confiance, remportent la victoire. Grâce au jeu de hasard ? Sauf que la pièce avait deux faces identiques !
– On ne peut pas tout attendre de la providence, du hasard. Il nous appartient de saisir les opportunités, le hasard met à notre portée des éléments, des moyens, à nous d’en tirer profit. Ce que nous rappelle le proverbe : «  aide-toi, le ciel t’aidera ! ».
C’est être au bon endroit et au bon moment !
– Le hasard est une somme d’opportunités ou parfois d’une seule … Lorsque nous étions au Congo, à faire face aux incursions de l’armée rwandaise, la guerre entre Hutus et Tutsis a fait repartir les soldats rwandais chez eux. Et ceux qui risquaient de perdre furent vainqueurs.
– Trop de confiance dans le hasard : danger ! Mais la vie n’est pas un jeu de dés…
– Labiche nous dit « les chanceux sont ceux qui arrivent à tout, les malchanceux sont ceux à qui tout arrive ». Citation de Paul Valéry : « un homme tirait au sort toutes ses décisions, il ne lui arriva pas plus de mal qu’aux autres qui réfléchissent ».
Le hasard fait surtout penser au jeu. Le joueur à l’instant où il mise se voit déjà gagnant, vainqueur. C’est le motif qui l’anime.  Mais le joueur est peut-être un vaincu de notre société qui a perdu l’espoir d’être un gagnant, de s’enrichir normalement par son seul travail.
– Il faut croire en son étoile, il faut croire qu’on va gagner, ce qui peut engendrer de nouvelles énergies, « la pensée positive ».
Le hasard sert l’optimiste, c’est ce qui en musique, à partir de bases nécessaires, va servir d’improvisation…laquelle viendra presque comme par hasard.
– Mais quelle est la part de la vraie liberté de choix et la prédétermination ? On choisit en fonction de sa personnalité qui est constituée à partir de son vécu, éducation, facteurs extérieurs, qu’on ne choisit pas. Mais l’âme ou l’esprit seraient-ils porteurs d’une part de personnalité ? Ainsi nous sommes constitués de matière qui obéit aux lois de la physique : y a t il une place pour la liberté, comment l’interpréter ?  Est-ce un jeu de dés ? Einstein disait : « Dieu ne joue pas aux dés avec le monde ». Le choix nous échappe, nous voulons croire que nous avons le choix ou alors éthique et morale s’écroulent. On est donc amené à faire une sorte de pari pascalien de la liberté de choix.
« Le hasard peut servir par chance les incapables, des ânes, des ignorants » dit l’animateur et il illustre son propos par une fable de Tomas Iriarte : « un âne trouve une flûte et par hasard souffle dans son bec et elle émet un son mélodieux. » L’âne, par hasard, vient de trouver l’art d’utiliser la flûte.
– Ne pas s’en remettre au hasard, exercer son libre arbitre demande aussi de l’éducation. Quel libre arbitre peut-on imaginer pour les victimes d’attentats ? Quel est leur choix ? Le hasard n’est pas  forcément une providence !
– Nous débattons ici au café philo entre gens privilégiés, de bonne volonté, dans un monde occidental développé. Imaginons un instant, ce café philo dans un bidonville du Caire, de Brazzaville, dans une favela à Salvador de Bahia. Comment appréhender le même sujet ? C’est une chance de pouvoir nous réclamer de notre libre arbitre, de ne pas nous en remettre au hasard. Pour tant de gens, le hasard c’est surtout fatalité et jamais providence. Pour ces vaincus de la société de consommation, tous ces « no futur », le hasard c’est « inch Allah » ou « si Dios quiere », si « Dieu le veut ». L’écrivain Romain Rolland a écrit « la fatalité c’est l’excuse des âmes sans volonté » ce qui ne saurait s’appliquer à ces pays de misère.
– Un intervenant revient sur l’incertitude et la recherche que les hommes ont réalisé pour la limiter au maximum : la stratégie pour la guerre, la médecine pour la santé, l’économie pour ne pas subir les aléas de la vie.  A un niveau général cela demande de prendre du temps pour faire ses choix, de poser le sac un instant…
– Cela me faisait mal de voir des milliers de gens jouer et perdre tant d’argent dans ce casino de Las Végas. Mais eux paraissaient heureux de pouvoir provoquer, défier le hasard ».
– Quant au déterminisme souvent cité un intervenant nous rappelle : « nous sommes à la naissance, une ardoise en blanc ». (dixit café philo)
– Nous parlons de vaincu, un terme militaire, vaincu par quoi, par qui ? Sommes-nous des vaincus qui devront payer l’ardoise de nos ancêtres ? Je préfère le mot confiance qui fait penser à l’enfant, qui ne redoute pas le hasard, à nous d’en faire un vainqueur.
– Il nous faut sortir du quotidien de l’usage, oser parfois franchir la ligne, quitte à affronter le hasard et ses aléas .  Ainsi des chercheurs, des scientifiques procèdent par expériences « essais erreurs », au risque de prendre des risques, tel le professeur Barnard qui osa le premier une greffe du cœur.
– J’ai imaginé le hasard, la providence, comme un gâteau où notre volonté serait le levain. Recette : une dose de confiance, une dose de ténacité, une dose de vigilance. Voilà ! …A moins que le hasard fasse tout rater ! 
– Face aux énormes risques pour la nature, nous laissons faire le hasard, peut-être que notre disparition de la surface de la terre constitue la sagesse suprême ? Après tout ce refus du combat pour la vie c’est « la sagesse de la folie » chère à Diogène.

Conclusion : La rivière peut imager en grande partie le cours notre vie avec ses aléas. Ecoulement du temps, accident du terrain, hasards géologiques, existent indépendamment de la rivière. Le  flux irrépressible de la rivière, c’est notre flux de vie, la vitalité de l’homme. Elle coule inexorable, creuse son lit, comme nous forgeons notre avenir. Elle avance avec des méandres, des rapides, des cataractes et, comme nous, jamais vaincue, jamais vainqueur, la rivière va, elle aussi,  vers sa destinée d’infini, c’est-à-dire « à l’océan où tout finit ».

 

 

 

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