Faut-il en finir avec l’âge d’or où coexistait le bon sauvage avec une nature généreuse ?

Thème       « Faut-il en finir avec un âge d’or
où coexistait le bon sauvage
 avec une nature généreuse ? »
Essai de  restitution du café philo de Chevilly-Larue
                          du 28 septembre 2005.

Modérateur : Jean Bernard Tandarvarayen
Introduction : Michel Perrin
Animateurs : Michel Perrin. Guy Pannetier.

 Introduction : Quelques définitions s’imposent :
1° « l’Âge d’or » d’Hésiode, « Les travaux et les jours » cité par Cioran dans « Histoire et Utopie » : « Les hommes vivaient alors comme les Dieux, le coeur libre de soucis, loin du travail et de la douleur. La triste vieillesse ne venait point les visiter et, conservant toute vie leur la vigueur de leurs pieds et de leurs mains, ils goûtaient la joie des festins à l’abri de tous les maux. Ils mouraient comme on s’endort, vaincus par le sommeil. Tous les biens étaient à eux. La campagne fertile leur offrait d’elle-même une abondante nourriture dont ils jouissaient à leur gré. »
2°  Le mythe du « bon sauvage » s’est crée dès le 16ème siècle, suite à la découverte de l’Amérique, et des écrits de voyageurs tel Jean de Lery qui un des tous premier utilise cette expression. Déjà Amerigo Vespucchi donne une première image de ce « bon sauvage » dans le livre « Mondes nouveaux » : « Ils n’ont ni vêtements, ni de laine, ni de lin, ni de coton, car ils n’en ont aucun besoin ; et il n’y a chez eux aucun patrimoine, tous les biens sont communs à tous. Ils vivent sans roi ni gouverneur, et chacun est à lui-même son propre maître. Ils ont autant d’épouses qu’il leur plait (….) Ils n’ont ni temple ni religion, et ne sont pas idolâtres. Que puis-je dire de plus ? Ils vivent selon la nature ». Ce mythe sera repris par les philosophes des Lumières, tel Rousseau, Voltaire. Il correspond déjà à un questionnement face à de nouveaux modèles de société que vont engendrer les progrès techniques. Ce mythe nous propose de vivre en d’autres temps en d’autres lieux, où la nature pourvoirait à tous les besoins. Cet homme pour Rousseau est le symbole de l’innocence première de l’individu, de l’homme vertueux et pur, il précise dans « Discours sur l’origine des inégalités » que : « C’est un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais ».
3° La nature généreuse : reste symbolique car elle semble neutre ; les saisons, la pluie, le soleil, le jour la nuit suffisent à compliquer cette réalité dite naturelle, généreuse. La nature peut être extrême dans le bien comme dans le mal.

 Débat : L’âge d’or pour qui ? Pour ces civilisations prises en référence, était-ce un « âge d’or » ? Sorte de paradis perdu, surtout  fruit de notre imaginaire…
– On nous vante souvent une certaine nature, bonne et généreuse, mais l’homme y rencontre tous les dangers, auxquels s’est ajouter un autre danger, et non le moindre, l’homme lui-même…
– L’homme doit tout à la nature, elle l’a façonné, nourri, il a tout appris d’elle, (de l’hirondelle l’homme a appris à bâtir ; de l’araignée, à tisser…), aujourd’hui moins conscient de sa dépendance de la nature,  il la détruit…
– Comment pouvons-nous nous abuser avec cette image de « l’homme naturellement bon », du « bon sauvage », alors que l’homme est plus porté vers le contraire, « L’homme » n’est-il pas « un loup pour l’homme » ?  Les premiers jeux des petits hommes : c’est la guerre !
– Pour sauvegarder sa race, l’homme s’est civilisé, en allant (quoiqu’ irrégulièrement) vers plus de culture, vers plus de sagesse…
– Le vieux sage est-il de ce monde, là aussi, est-ce un mythe… ? Et la sagesse n’est pas forcement liée à la civilisation.
–  J.J.Rousseau nous dit dans le « Contrat social » que la propriété et la communication ont marqué la fin de cet état de pureté du bon sauvage, en créant et l’envie, le mensonge.
– Ces mythes, répondent peut-être à un souhait d’avoir été originellement purs, d’avoir vécu une vie simple dans un environnement où tout n’était qu’ « ordre et beauté », un idéal pour nous permettre de croire à cette « perfectibilité » de l’homme, pour aller vers plus de sagesse. On peut en douter, mais si nous n’y croyions pas du tout, nous n’aurions pas cet intérêt pour autrui, et pour la philosophie. On peut en douter, mais si nous n’y croyions pas du tout, nous n’aurions pas cet intérêt pour autrui.
– La plupart des gens ont au fond d’eux-mêmes un Eden original, un « âge d’or » du temps de leur enfance, qui les aide à se structurer…
– Sans cette expérience de retrouver quelque chose de cet Eden intériorisé, on ne peut vivre que dans le cynisme, la désespérance, ou le nihilisme ou la déconstruction sans savoir toujours rebâtir.
– Les populations des forêts du Congo avant l’indépendance (1960) ; ces populations vivaient encore « protégées », selon la loi du groupe, de la famille, du village. La nature pourvoyait à leur nourriture. La civilisation européenne a fini par modifier mode vie et  valeurs en introduisant dans l’échange, l’argent ! Pour la dot d’une fille on donnait un objet symbolique. On en venu aujourd’hui à demander pour dot (par exemple) un camion !
–  Tous ces hommes qui vivaient dans un « état naturel » vont maintenant grossir les bidonvilles des mégapoles africaines…
– Au nom du développement économique nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut absolument civiliser le bon sauvage, qui constitue un anachronisme culturel : « Lors du creusement de la route transamazonienne au Brésil, l’État brésilien mis au point la politique du contact forcé pour désamorcer les réactions d’autodéfense des Indiens Parakanas. ..La technique d’approche est simple, mais d’une redoutable efficacité : on édifie des « Tapini », abris rudimentaires en feuillage où sont accrochés des cadeaux. Une fois le contact noué par ce biais, un « camp d’attraction indigène »est établi qui précipite l’Indien dans l’engrenage infernal des échanges marchands. Le processus d’acculturation est brutal, destructeur et extrêmement rapide. Il ne reste plus qu’à les parquer dans des réserves indigènes, où les taux de suicide, individuel où collectif, sont considérables». Guerre de pacification en Amazonie. Film 1973.
– Plus attaché à la coutume qu’à un « âge » quelconque, nous voyons par exemple les Aborigènes d’Australie, qui vivent dans un « temps » que refuse notre progrès technique…
– Vivre plus près de la nature, dans un monde moins sophistiqué est un désir chez nombre d’individus. Nous avons connu les communautés, les mouvements hippys qui souvent sont partis dans des ashrams… A leur tour ils ont fait travailler les Indiens, devenant exploiteurs ; tout cela est parti « en fumée » !
– Soit ! Nous avons rangé les « Robinson Crusoé », « Le dernier des Mohican », « Paul et Virginie » au rayon des nostalgies de nos verts paradis perdus, Face aux inconvénients du progrès technique, nous regrettions l’époque du bon sauvage, de cet homo sapiens qui n’avait d’autre souci que la recherche de sa nourriture, manger, dormir, se reproduire…, avant qu’il n’invente la roue, puis la poudre, la machine à vapeur, puis le CAC 40, la Star académie…
– L’homme est devenu maître de ce monde, comme maître élu tout puissant, supérieur  jusqu’à sa « boursouflure ». Aussi est-il indispensable de dépasser l’individualisme égoïste du Moi, (pouvoir, gloire, fortune) et la rentabilité économique totalitaire : surproduction, surinformation, surdensification, surconsommation, surdimensionnement, surspécialisation… vous avez dit, « âge d’or » ?
– Le présent nous encombre pour appréhender ces mythes et symboles. Nous nous disons cultivés quand de plus en plus de personnes vivent seules. Nous espérons un Socrate et nous ne voyons que des sophistes incapables de nous donner un nouvel horizon, de nous faire espérer  des âges peut-être meilleurs…
– En regard de toute l’évolution de l’humanité que pouvons-nous revendiquer comme âge meilleur ? Qu’ont laissé en chemin toutes ces civilisations éteintes : Chinois, Egyptiens, Grecs, Romains, et nombre de leurs valeurs reléguées au passé…
– Des hommes ont cru à l’avènement d’idéologies chargées d’humanisme, avoir recréer ce fameux âge d’or, (égalité des hommes, pas de différence de classe). Mais la recherche du bonheur collectif peut tuer le bonheur individuel. Un autre modèle nous vante la liberté et les droits naturels issus de l’état de nature, recherche de la satisfaction de ses propres désirs, qui montre un âge de consommation ostentatoire où nombre de personnes sont exclues de ce « paradis ».
– La nostalgie par définition est regret du passé, mais elle peut être nostalgie d’un futur dont on craint qu’il ne puisse advenir, avec, projection des mythes évoqués : un homme meilleur en des jours meilleurs.
– Comme le verre et le tain sont indissociables dans le miroir, l’homme et la nature sont liés pour leur propre finalité.
– Une réflexion: ne vivons pas avec les mythes, regarde ton passé, regarde ton présent, prévois l’avenir de tes enfants, tu n’hérites de rien, tu laisses tout, casse les mythes, sois imaginatif !
– A défaut  «  d’âge d’or », l’homme, être simple, « bon sauvage » saura-t-il sauver la terre, la planète, la nature, l’harmonie, l’équilibre ?

 Conclusion : Jean Jacques Rousseau nous vante « le bon sauvage » avec qui je n’aurais pas forcement aimé vivre, car   sauvage c’est sûr qu’il l’était, mais bon, on peut en douter. Comme il était sauvage, il lui  a fallu pour pouvoir vivre avec ses congénères qu’il accepte les lois, le « contrat social ». Et voilà, qu’une fois humanisé, sociabilisé, quelques siècles plus tard Jean Jacques Rousseau lui recommande de « se rendre maître de la nature », de la domestiquer, ce qu’il va faire en n’écoutant une fois de plus que, son égoïsme forcené, sa soif de profit ; il va  piller la nature à son seul profit, sans se préoccuper des générations futures.
Il serait bien sûr, présomptueux de vouloir faire procès à Jean Jacques Rousseau, mais on aimerait qu’il revienne voir ce que son « bon sauvage » a fait de la nature. Sans aucun pessimisme nous pouvons constater que l’éventuel « âge d’or de coexistence du bon sauvage » et de la nature, est bien dépassé ; « le bon sauvage » vivait dans un monde en devenir, où les possibilités de croissance étaient infinies, mais, prolongeant le propos de Paul Valery « le temps du monde fini » a déjà commencé.

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