La parole est-elle une arme ?

Thème »
Essai de restitution du café-philo de L’Haÿ-les-Roses
du 8 décembre 2004

Introduction: Guy Pannetier) : Souvent la parole a été comparée » à une arme, une arme pour convaincre, pour manipuler, pour soumettre.  C’est en voyant un  reportage des jeunes des banlieues dites « difficiles », que l’on peut s’interroger quant à la parole ; nous voyons là des enfants qui ne maîtrisent pas la parole, et qui s’en trouvent désarmés. La réaction est souvent dans la parole, et, c’est alors la violence verbale agressive, ou, peut-être défensive. Mais nous devons considérer cette question de la parole dans divers sens :   la parole en tant que moyen, en tant qu’atout essentiel ?

Débat :  –  La foule manipulée était devenue une arme contre Jules César qui avait monopolisé tous les pouvoirs, il tombera sous les coups de Brutus. Antoine alors, s’adresse à la foule. Il sait la flatter, la valoriser, puis insensiblement son discours change, il va faire l’apologie de César, et retourner l’opinion. Et sa parole l’emporte sur celle des conjurés.
« La parole est un acte subjectif, c’est la première des libertés » Simone de Beauvoir
– Le première parole est le cri de l’enfant lorsqu’il vient au mond
– La parole est d’abord un outil, pour le bon et le mauvais, avec. Elle est aussi comme un sabre, elle tranche, ou elle est scalpel, elle sépare, elle dissèque…Nous sommes d’abord parole, par la parole nous mettons des mots sur nos émotions, par la parole nous créons ; user de la Parole est poser un acte…
–  La Parole est le premier lien entre les hommes, le principal lien, d’où le sentiment pour les enfants des banlieues d’êtres désarmés, d’impuissance. La Parole donne le pouvoir, le pouvoir sur soi, comme sur les autres. Maîtriser la parole, tout comme l’entendement, permet de comprendre les subtilités, de ne pas se laisser manipuler et de résoudre les conflits !
– Il y a des paroles qui blessent, qui laissent des traces, par manque de communication. La parole doit servir à communiquer et pas à détruire. Dans  la Poésie, la Parole nous apaise et peut être l’occasion d’une transmission.. 
– A la blessure des paroles répond la thérapie des paroles. Quand la parole vient du cœur, elle peut alors faire beaucoup : Aider, consoler, et même, sauver des vies.. – Il y a danger lorsque la parole est anesthésiante, sédative, d’où l’expression « des paroles pour endormir ».
– Utiliser la ¨Parole, c’est agir sur autrui. La Parole est une arme, ou un outil, pour plaider, faire croire, séduire. Mais elle n’est que par l’écoute qu’elle rencontre. La Parole doit créer de l’échange, mais parfois, elle est manipulée (nous voyons comment les réponses sont implicitement contenues dans les questions).  On met tout ce que nous sommes dans notre parole : nos jeux, nos stratagèmes, nos amitiés, nos vertus…
– La Parole répond chez nous à un besoin, un besoin d’exprimer, mais il nous faut maîtriser notre parole, « Parler sans penser, c’est tirer sans viser » Miguel  de Cervantès. – Par la parole on enseigne, on éduque, par la parole on crée « l’Humain ». – Telle est la Parole, entre pluie et soleil. Le pacte entre la parole violente, excessive, et la Parole conciliante, est cet Arc en ciel, qu’est le dialogue 
– La Parole était symbole, valeur d’honnêteté, on traitait des affaires sur parole, on était alors, homme de parole. Aujourd’hui la parole est souvent dévalorisée, par tant de propos sans valeur
– Quand on manque de langage, on exprime des émotions frustres.  L’acquisition de la parole et les études peuvent contribuer à la disparition de la violence.
– L’apprentissage et l’usage de la parole  passe aussi par l’écrit qui nous donne les clefs du langage. Nous voyons des enfants en sixième qui ne savent pas lire. Comment pourraient-ils s’exprimer ? Lors de l’arrivée au dépôt (de la prison) de jeunes délinquants, certains pénitenciers leur font faire une rédaction. C’est prendre alors la mesure de la pauvreté de leur vocabulaire, du manque de parole, cette parole qui est aussi la mesure de l’individu
– Les discours xénophobes, racistes, se sont avérés des armes destructrices. A la fin du 19ème siècle viennent les premiers discours antisémites, puis ce sera l’Affaire Dreyfus, où Zola va entraîner une partie de la France grâce à sa parole.  Les  politiques antijuives se sont terminées en pogroms, en camps d’extermination, en génocide. En tirer la leçon serait peut-être de ne plus laisser la parole à ceux qui prolongent ces discours haineux.
– L’image tend à supplanter la parole ; nous avons entendu les discours agressifs d’Hitler, de Goebbels, (autre époque). Aujourd’hui  l’image surpasse le propos. Une parole sans image n’a aujourd’hui plus la même écoute. Pour avoir un véritable impact la parole se met en scène, comme dans les grands « Shows » des prédicateurs aux US. La parole seule semble perdre du pouvoir.
– Une intervenante a été chargée dans son travail, des réclamations, où son principal outil était la parole, la voix, le son de la voix est déjà un premier facteur d’apaisement.. Ce même service est fait aujourd’hui avec un répondeur, avec programmation par touches ; plus d’interlocuteur, plus de parole… – G Chaque fois que l’on prend la parole en principe c’est pour démonter et argumenter. Aujourd’hui celui qui écoute doit être convaincu ou persuadé. Ceux qui prennent officiellement la parole aujourd’hui ont choisi entre démonter et argumenter ou convaincre et persuader. On passe de la démonstration à l’affirmation.
– « Tant que la parole ne sera pas éduquée, la parole est  à  la lutte et à la force ». Ernest Renan.
–  De tous temps quand une idéologie a voulu s’imposer elle s’est emparée de la parole, le pouvoir et la parole ont toujours été liés. Pour cela elles ont utilisé toute la palette sémantique, changeant le vocabulaire, le contrôlant, modifiant les concepts, introduisant des néologismes, mettant du flou dans le sens afin de tromper la masse
– Le langage a deux usages : à l’usage de l’autre ou à l’usage de soi. On regrette parfois le mauvais usage de la parole des « Moulins à paroles », où l’on trouve plus de bruit que de sens. Il y a une différence entre émettre des sons et exprimer une idée ou une parole intérieure.
– Un jeune participant nous lit un texte en « Verlan « , langage dit « des jeunes » ou « langage des banlieues ». Il en ressort, dans un langage hors normes, une richesse de langage, une recherche
– La parole est aussi faite de sonorités : un prêtre shin-to utilisait des formules magiques et des sons qui servaient à soigner le corps et rendait la parole au corps.
« Qui n’a réfléchi sur le langage, n’a pas commencer à philosopher » Alain
– Maîtriser ou ne pas maîtriser la parole est déterminant. L’un de nous ne pense pas comme Cicéron et Boileau, que « ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement, et les mots pour le dire, vous viennent aisément ».  Combien d’entre nous avons, souvent ou parfois, clairement présent à l’esprit une idée et c’est alors que la parole nous trahit. C’est un des buts des Cafés Philo, « l’exercice de la parole », « oser la Parole », apprendre à structurer ses propos.

Le poème de Florence :   La parole est-elle une arme ?

Les blessures des mots sont des maux animés
Si l’animosité traverse la nature
Il laissera les traces d’une double fracture
Les bras en croix cloués du calvaire mimé

Et le verbe déchu de l’ange triomphant
A cloué au poteau tous les mots qui sont tus
Au fond d’une gorge desséchée par la soif
De crier, sangloter, plus fort qu’un oliphant

Sa flèche pointue a déchiré ton âme
Beaucoup plus sûrement qu’un torrent impétueux
La grimace du clown fait face aux gens sérieux
Et pour un mot gentil le fort tombe les armes

Et dira-t-on assez, cette force du non
Prononcé fermement, adossé à son droit
J’ai fait un paradis pour les mots à l’étroit
Ecris en épitaphe en réponse au canon.

(Rappel historique) : Le langage est le premier niveau médiatique dans une époque orale et empirique ; puis vient l’écrit et la diffusion par les livres. Aujourd’hui l’image est le support de la parole; elle peut mentir autant que la parole ou l’écrit. Le but est de permettre de s’exprimer le plus authentiquement possible. L’évolution des techniques va modifier l’usage comme la réception de la parole. Dans l’Antiquité le théâtre est le lieu de la parole. Dans les années 1930,  Hitler, Goebbels, maîtrisent le discours à la radio. Après la guerre apparaît la télévision et le règne de l’image et aujourd’hui on assiste à une explosion de la communication par Internet. Les communications évoluent, et tous n’ont pas les mêmes moyens de parole : par exemple et nous voyons des campagnes électorales où les budgets affichent des écarts de 1 à 400. Où est la place réelle de la parole dans les choix électoraux ?
– Nous verrons des hommes célèbres changer le cours de l’histoire par leur don d’orateur ; ce sera entre autres, Démosthène avec Philippe de Macédoine, Robespierre qui parlait pendant des heures, Saint Just, puis au siècle passé, Jean Jaurès, dont la voix résonnait « comme une cloche de bronze ». Puis l’appel du 18 Juin du Général de Gaulle qui va créer la Résistance
– Mirabeau a dominé l’Assemblée constituante. Dans un procès il ridiculise Portalis ( le père du Code Napoléon). Il est la « force du Verbe ». Le Verbe est pour les croyants Dieu lui-même. On parle aussi de «parole d’évangile ». – Toute parole n’est pas « parole d’évangile », il appartient à celui qui l’écoute de définir la portée de cette parole que se veut parfois la vérité, politique ou religieuse, comme si la vérité n’était pas plurielle. Face à la Vérité unique, s’élève une voix et plusieurs qui font de la parole une autre arme ; non pour la guerre mais pour la Paix.
– La parole fut sacrée, elle conserve son sens premier dans la décision de Justice, comme dans l’exercice de la justice où l’on s’attache à donner la parole tant à l’accusateur, qu’à l’accusé. La Justice est un héritage de nos civilisations antérieures telles que les républiques romaines ou la Bible…
– Les avocats sont aussi la parole de ceux qui n’ont pas de parole. – Une parole n’est pas faite pour se faire plaisir. Elle pose question pour celui qui parle et pour celui qui écoute. Parler en philosophie c’est chercher des mots pour aller au plus près de la recherche de la vérité.  – La parole d’un individu évolue  au cours du temps : voir « les mots » de Sartre. Les mots prennent de la structure, de l’épaisseur, et de la personnalité. Cette évolution décrite par Sartre doit s’intégrer dans toutes les personnalités.
– Pour exister il faut souvent oser sa parole, même parfois oser dire non, c’est parce que nous osons dire non que nous pouvons exister au regard des autres. (Poème de Sarah Charlier)
– Pour les professionnels de la parole qui s’adressent à des gens qu’ils ne connaissent pas il faudrait dire : « il faut ne pas avoir honte de dire ce que l’on n’a pas honte de penser ».

Conclusion : Il y a des paroles, des non-dits qui blessent, il y a des silences qui tuent. Ce qui est aussi résumé ainsi par Martin Luther King : « Les paroles des méchants font du mal, le silence des bons tue ».

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