Café-littéraire autour du roman de Jean Giono: « Regain »

Restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue
16 février 2011


Champs de blé. Vincent Van Gogh. 1889.

Introduction de Marc: Jean Giono est né à Manosque le 30 mars 1895, où il vivra toute sa vie et où il décèdera le 8 octobre 1970. La Provence, pour lui, c’est toute sa vie. Il a des origines italiennes du côté de son père et ce n’est pas anodin si l’on rencontre dans Regain des Italiens qui sont venus s’installer à Aubignane.
J’avais lu Regain il y a longtemps. Je suis heureux de l’avoir relu, puisqu’entre temps j’ai fait la connaissance d’un ami qui habite dans le coin où se passe le roman, près de Banon. J’ai tracé sur une carte tous les lieux cités dans le livre : Manosque, Vachères, Revest, Simiane Banon. Seul Aubignane est un nom inventé ; tous les autres sont exacts, et même le trajet de la Patache. Aubignane, situé fictivement dans le roman aux sud et aux environs de Banon, est  directement inspiré de Retordiers, au nord de Banon, près du lieu nommé Le Contadour, endroit où l’on comptait les moutons qui redescendaient de la transhumance. Le dernier habitant du village de Retordiers est mort en 1918. Giono, lors de ses tournées dans la région pour la banque qui l’employait à Manosque, avait vu ce village abandonné ; ça l’a beaucoup marqué. Plus tard, de l’été 1936 au printemps 1939, Giono participera avec des amis aux Rencontres littéraires du Contadour dans ce secteur.
Giono a écrit ses deux premiers, Colline et Un de Baumugnes (publiés en 1929) tout en continuant de travailler à la banque de Manosque, mais celle-ci est liquidée en 1929. Il décide alors de vivre entièrement de sa plume. C’est dans ce contexte d’une nouvelle vie qui commence pour lui qu’il écrit Regain, publié en 1930. Ce roman le troisième volet de la trilogie provençale Pan, avec ses deux premiers romans susdits.
Giono rentrera en relation avec Marcel Pagnol, qui adaptera au cinéma plusieurs de ses romans, dont Regain, sorti en 1937.
Débat :G Regain – définition : Herbe qui pousse après la première coupe. Retour de ce qui avait disparu, de ce qui était compromis. Regain de jeunesse, regain de santé.
Comme il vient d’être indiqué, le roman Regain de Jean Giono est, après Colline et « Un de Beaumugnes »,  le troisième d’une trilogie nommée Pan. Cette référence à Pan chez Giono est sa marque d’attachement à la terre, par tout le symbolisme que représente ce dieu de la mythologie, à la fois référence première, dieu des bergers, dieu des chasseurs, dieu agreste et associé à la fécondité. Il y a chez Giono, dans ces romans, ce thème récurrent d’amour de la terre, une forme de panthéisme (attitude qui tend à diviniser la nature).
Ce thème nous rappelle tous ces villages qui meurent, ces villages qui n’ont plus que quelques habitants âgés. C’est toujours une histoire, un patrimoine qui va disparaître. Puis, nous retrouvons tous les symboles essentiels, profonds,  que sont la terre, le blé, le pain, symboles marquants dans une société alors majoritairement rurale. Fort marqué par l’histoire de la Grèce ancienne, Giono reprend le mythe de la terre fécondée. Comme il ne reste plus au village qu’une vieille femme, un vieil homme et ce vieux garçon, Panturle, il faudra l’arrivée d’une femme pour que la terre soit fécondée à nouveau, pour qu’elle renaisse. Nous voyons alors un processus de résurrection qui se met en place.
Giono a écrit des œuvres qui ont été reprises au cinéma, comme Jean le bleu devenu le film La femme du boulanger » ; il a aussi écrit des scénarios. Déjà dans Regain, ces personnages sont des personnalités fortes, des figures de cinéma ; ils auraient même pu être des personnages de tragédie ancienne. L’œuvre de Giono respecte les trois règles de la tragédie : unité de temps, unité de lieu, unité d’action.
Unité de lieu : Tout se passe près ou autour de ce village d’Aubignane, dans ce petit coin de Provence. Si l’on de déplace de plus de 50 kms, le contexte et l’histoire n’est plus la même.
Unité d’action : Comme dans un plan, tout tend et se concentre au final vers le renouveau de la terre, du village. Rien de superflu à cette finalité. Tout élément est nécessaire à l’histoire.
Unité de temps : Le seul temps qui est la référence, c’est le temps du cycle des saisons, celui de la semence, de la récolte, le temps de la terre, qui en ce lieu, cette époque donne toute vie.
Tous ceux qui viennent d’un milieu rural, ceux qui se réclamant de ce « monde de  la terre », peuvent peut-être avoir un ressenti particulier face à cette œuvre. Mais cela n’est pas exclusif.

G La vie paysanne est relatée sans apitoiement, sans misérabilisme : les choses sont ainsi ! On ressent  la dignité de ceux qui n’osent pas demander quand ils n’ont rien à offrir en échange. Les souffrances humaines sont très perceptibles au travers du récit, pourtant l’écriture reste très poétique, fine et aérée. Les descriptions relatives à la nature sont souvent comparées au monde humain et vice-versa. Le rythme est dense, d’un pas de montagnard bien accroché au sol. On ressent à travers ce livre, la difficulté de vivre seul, éloigné de la civilisation et pourtant on ressent aussi de l’espoir dans l’avenir. La violence de certaines situations est toujours atténuée ; par exemple, quand Mamèche s’en prend à la Vierge, elle la traite de « Porca ! » et  lui envoie un bol de lait au visage, mais, plus loin, on lit : « …et la vierge sourit avec de la crème de lait sur les lèvres » (Page 22, dans Le Livre de Poche, édition de 1967) ; le geste de colère est tout de suite atténué. Tout au long de ce récit, j’ai ressenti et l’espoir et le désespoir, l’espérance, la vie, la mort, la renaissance. En fait, c’est un bouquet d’émotions aux racines profondes et dures à la fois. Le village de mon enfance est presque désert aujourd’hui. Cette relecture a fait surgir en moi beaucoup d’émotion !

G Je ne suis pas du monde rural. Ce livre est une découverte et cela m’aurait presque donné envie de tout quitter, de partir, d’y aller ; j’ai d’ailleurs des amis qui l’on fait. C’était dans les années 60 ; des communautés se sont formées, dans les Cévennes, en Provence… L’une d’elle a tenu 15 ans et il reste aujourd’hui deux personnes, un couple. Dans d’autres régions, des communautés ont reconstruit des villages pierre après pierre,  puis d’autres sont venus et ont fait revivre le village. C’est une belle aventure. Je me demande dans quelle mesure Giono n’est pas l’inspirateur de tout cela.

G C’est vrai qu’il a inspiré énormément de gens. Mais sur les 15 autres villages que Giono a connus, aucun n’a survécu ; il le disait dans ses dernières lettres. Par contre, ce qui est extraordinaire, c’est que l’idée a fait des petits dans les années 60 ; ça a sauté presque 40 ans, et ça été les années de « retour à la terre ».

G On pourrait presque considérer que Regain est un roman ethnographique sur un monde rural complètement disparu. Ce doit être très difficile pour des jeunes contemporains de se sentir imprégnés de ce roman, qu’ils peuvent trouver ennuyeux ; il n’y a, en effet, pas beaucoup d’action, peu de rebondissements et c’est très littéraire, avec un vocabulaire dur à assimiler; ça peut désarçonner des jeunes.
On a dans ce roman des coutumes dont certaines datent du moyen-âge, un autre monde, où tout est basé sur la confiance, donc bien différent du monde urbain où beaucoup sont coupés de leurs racines rurales.

G Au départ, je n’ai pas trop aimé, parce que j’ai trouvé l’écriture compliquée, avec une ambiance oppressante. Les thèmes qui sont développés sont parfois un peu incohérents : la nature libre, c’est mauvais, il faut l’apprivoiser. J’adore Pagnol et j’ai retrouvé beaucoup de Pagnol dans ce roman. Pagnol, c’est son continuateur.

G Les personnages qui feront revivre le village sont des figures de héros, abimés parfois, physiquement ou psychologiquement. Panturle est décrit ainsi : « Panturle est un homme énorme, on dirait un morceau de bois qui marche…, au gros de l’été quand il se couvre la nuque avec des feuilles de figuier, qu’il a les mains pleines d’herbe, et qu’il se redresse pour regarder la terre, c’est un arbre. Sa chemise pend en lambeaux comme une écorce. Il a une grande lèvre épaisse et difforme comme un poivron rouge ». Et toutes ces comparaisons : les arbres qui ressemblent à des hommes…..et des liens avec les arbres, la nature… : « …Il y a eu d’abord un grand peuplier qui s’est mis à leur parler, puis ça a été le ruisseau qui les a accompagnés très poliment en se frottant contre leur route en sifflotant comme une couleuvre apprivoisée. Puis il y a eu le vent du soir qui les a rejoints et fait un bout de chemin avec eux… ». Il a dans l’œuvre une harmonie, laquelle n’appelle pas au retour à la vie primitive, mais à une vie où l’homme à la fois ensemence la terre et arrive aussi à contenir la cruauté de la terre, comme celle qui est en lui. C’est tout le contraire du retour à un état primitif, car les deux personnages vont se re-civiliser dans cette union et alors Arsule redevient belle ; elle a un rôle, lui  a une ambition ; c’est une harmonie, comme l’harmonie de la nature.

G J’ai ressenti toute cette force de la nature, comme endormie dans Panturle, cette force qui trouve à se matérialiser, à produire, parce qu’enfin il a un but. Il y a plein de sensualité dans ce réveil de la vie, tant pour elle que pour lui ; c’est revivre et faire revivre.
Giono glorifie la terre, « grasse, riche », nature vivante. Cela nous rappelle, hélas, que la terre d’aujourd’hui est dans ce sens « morte »; elle n’a que les propriétés des engrais ; elle a perdu toute cette symbolique.

G Dans Regain, l’homme et la femme se sont forgés l’un l’autre, rehaussés l’un l’autre. Car, semble nous dire Giono, un milieu d’où la femme est absente serait le retour incontournable à l’état sauvage, à l’état primaire ! Le parallèle de la vie, par la  femme ensemencée et de la terre ensemencée est très beau.

G La Mamèche « engueule » la Vierge : « Qu’est-ce qu’elle fait celle-là à rire ? Si t’es comme un gros pou à me sucer le sang, c’est bien la peine ! ». Puis elle reviendra vers elle. Mais la Mamèche adresse aussi des prières aux arbres, à la montagne ; elle leur parle comme à la Vierge. Tous ces éléments sont, comme la Vierge, divinisés dans un mélange de paganisme et de panthéisme.

G Giono a choisi ce nom de Panturle à partir de la montagne toute proche et toujours présente, le Lure, et de la référence symbolique au dieu Pan, d’où Pan et Lure : Panturle.
Quant au portrait des personnages, celui d’Arsule, au début n’est pas très flatteur, même si on la dit belle à la fin : « Sa figure est pointue et pâle comme un gros navet. Presque pas de menton, un long nez lisse, des yeux comme des prunes rondes veloutées, sa lèvre gonflée par ses deux dents quand elle rit » (Page 74), mais Giono écrit plus loin : « C’est la plus belle ».

G Le symbole du pain se retrouve bien présent dans Regain : «  Panturle regarde le bon pain, gros et solide, le pain des champs, le pain de la farine faite au mortier de marbre ; le pain et sa mie qui est rousse… » (Page 94) ; puis, plus loin : « ça passera le jour où l’on posera là-bas, à Aubignane, dans la dernière maison, la miche de pain, chaude et lourde, le pain qu’ils auront fait eux-mêmes, eux trois : lui, Arsule et la terre ». Il y a un lien permanent entre la femme et la terre, toutes deux présentées comme le symbole de la vie qui renaît  sans cesse. L’œuvre reprend souvent ce thème classique de l’éternel retour.

Le poème de Florence (sonnet) :

Regain

Il est solidement enfoncé dans la terre
Comme une colonne, comme un totem dressé
Et les relents sauvages d’un printemps pressé
Exhalent le parfum vaporeux d’un mystère

Où la terre est la mère, où la mère est parterre
La terre apprivoisée comme un poulain dressé
Ondule jusqu’au fond du vallon encaissé
C’est la panique enfin, aux jardins de Cythère

Que sonne le clocher, qu’il sonne au vent léger
Récolte présagée d’un semis arpégé
Les dieux ont agréé l’ultime sacrifice
Prie pour le vent de Pan, manbr el houd oumouk (*)

Le cycle des saisons rompant le maléfice
L’harmonie retrouvée, la chèvre va au bouc
(*) La source de l’amour est la mère

G Témoignage : Quand j’étais petite fille, je guidais le cheval. Le paysan qui tenait la charrue marquait le bout du sillon avec une bouteille de vin, le repère pour que j’aille bien droit avec le cheval ; j’entendais craquer la terre sous le soc, le croc qui rentrait dans la terre. Il en sortait une forte odeur de terre. J’ai retrouvé dans Regain un autre souvenir, celui des draps propres. Je me suis revue dans des draps qui sentent bon. Dans le roman, Panturle dit : « Dépêche-toi de venir ou je vais te prendre toute la lavande » ; c’est très beau !
G L’artisan de tout, c’est quand même la Mamèche, avec son instinct de femme, un instinct presque animal. Elle sait, elle pressent une venue ; elle va forcer le destin. En quelque sorte, pour que renaisse la vie, elle donne sa vie ; elle a épuisé ses dernières forces.

G Il y a un lien permanent dans ce roman avec notre environnement, ce qui est très bien expliqué dans la préface d’Anne-Marie Marina-Mediavilla : « Regain invite à une réflexion écologique sur les rapports des hommes avec leur environnement, une réflexion qui prenne en compte ce qui est, selon lui, la grande leçon que nous laisse la civilisation paysanne : tout est vivant… » (Page 7). Ce roman appelle à une réflexion philosophique d’actualité : « Tout est vivant, tout est lié ». On parle déjà de biodiversité.

G Parmi les belles métaphores, j’ai aimé celle-ci : « Le vent éparpille de la rosée comme un poulain qui se vautre. Il fait jaillir des vols de moineaux qui nagent un moment entre les vagues du ciel, ivres, étourdis de cris, puis s’abattent comme des poignées de pierres » (Page 55). Des critiques ont dit : les paysans ne parlent pas comme cela ! Mais, c’est Giono le narrateur.
Par ailleurs, on a dit que Giono avait été un collaborateur, parce qu’il avait publié des textes pendant la guerre dans des publications aux tendances collaborationnistes, d’où l’accusation de Giono. De même, ce thème du « retour à la terre » sera souvent repris et exploité par le Maréchal Pétain dans ses discours. C’est toujours ces raccourcis idiots, tel que le fait de reprocher à Nietzsche d’avoir été nazi, alors qu’il était mort et qu’Hitler n’était pas né.

G De même que, se retrouvant seul, il avait enterré sa mère, Panturle  récupère le corps de la Mamèche: « Il est allé sur le plateau. Puis il est revenu avec quelque chose de plié dans un drap » (Page 105). Il avait récupéré un beau drap tout propre pour envelopper la Mamèche, car celui qu’elle avait préparé pour elle avait été détruit par la vermine. Puis, il la jette dans le puits du village, là où se trouve déjà le corps de son mari. Le drap est aussi un symbole, symbole nuptial, pour que la Mamèche sache; elle ne pouvait partir sans le savoir, dira-t-il.

G J’ai vu un des moments pivot de l’œuvre, dans ce moment fort (Page 98), où Panturle parle au Père Gaubert :
– Il m’a pris envie d’y faire du blé.
– C’est drôle que ça t’ait pris justement maintenant.
– C’est que je suis plus seul : j’ai une femme. Un ménage ça ne peut pas vivre de chasse. Depuis qu’elle est là, j’ai besoin de pain, et elle aussi, alors…
–  C’est naturel et c’est bon signe.
– Ah, mais, qu’est-ce qu’il y a père Gaubert ? Vous pleurez ? On vous a fait quelque chose…..
Et au bout d’un moment …Gaubert a reniflé comme un petit enfant.
Non ! … Ça a été plus fort que moi. C’est parce que je vois que la terre d’Aubignane va repartir. L’envie de pain, la femme… Je connais ça, ça ne trompe pas. Ça va repartir de bel élan et ça redeviendra de la terre des hommes ».
Cette dernière phrase, est résumée dans le titre de l’œuvre : « REGAIN ».

G Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est la pudeur des sentiments. A la fin du roman, lorsqu’Arsule lui fait comprendre, plus qu’elle ne lui dit, qu’elle attend un enfant, il met son bras sur son épaule, son seul mot est « fille » : « C’est tant de choses à dire qu’il y a à dire que mieux vaut dire « fille » puis rester là. Et tout ce qui est à dire, on le laisse dans le chaud du cœur où c’est sa place… » (Page 148). C’est d’une grande pudeur, ce qui devient rare dans notre société où l’on dégouline de sentiments partout. Là, nous voyons que souvent, ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre.

G Aujourd’hui, pour qu’un roman comme celui-là puisse intéresser toutes les générations, il faudrait au moins une scène « hard » !

G C’est un roman d’amour, dans tous les sens du terme. L’amour de Giono pour sa région – amour de la belle écriture – amour des gens de la terre – amour du travail bien fait – puis, amour de l’homme et de la femme, grâce à quoi tout devient possible et c’est le « regain » – puis l’amour de la nature (avec l’aspect panthéiste). Il n’y a pas de symbole chrétien qui apparaisse en tant que tel. La quasi-noyade de Panturle est une sorte de baptême symbolique !

G Cet attachement viscéral à la terre est vraiment le fondement du livre. J’ai eu beaucoup d’émotion à lire ce roman de Giono. Toutes ces valeurs sont quelque chose de très ancrée dans cette génération. Maintenant, c’est presque parler du moyen-âge. Quelque part, on voudrait transmettre ce sentiment ; on n’y pensait pas quand on était plus jeune. Comment passer ces messages, ces valeurs ? Nous sommes attachés à ce monde par notre enfance ; pour les plus jeunes, aujourd’hui, il n’y a aucun lien. Ce sont pourtant nos racines ; ce n’est pas si loin.

G Panturle s’ouvre à l’émotion avec des choses toutes simples, comme avec la pipe que lui offre Arsule. Puis, il y a ce passage de l’émancipation, d’accession à une humanité. Arsule, de « bête de somme » devient « femme ». Le rémouleur la vend en quelque sorte et Panturle lui montre bien à quelle fonction il l’avait réduite, en lui donnant de quoi s’acheter un âne.
Même si on a parlé de panthéisme, de référence païenne,  il y a dans l’œuvre plein de spiritualité.  Dans cette permanente communion avec « la terre mère », il y a quelque chose qui est de l’ordre du cosmique.

Le style : L’écriture, comme il a déjà été indiqué, est  pleine de poésie, fine et aérée ; toute l’œuvre dégage une certaine poésie pastorale, rude il est vrai, mais pure. Nous retrouvons  dans ce roman les métaphores qui font la richesse du style de Giono, références que nous retrouverons dans toute la culture autour de la Provence, de Mistral à Giono, puis ensuite magnifiée par Marcel Pagnol. Son style allie poésie et peinture dans nombre de métaphores, telles : « Le vent de novembre écrase les feuilles de chêne avec des galopades de grand troupeau » (Page 5) ; « …ce vent plonge…, s’élance sur la route en tordant de longues tresses de poussière. » (Page 6) ; «  le vent n’est pas bien mort : il ondule encore un peu ; il bat encore de la queue contre le ciel dur » (Page 15). Puis, parlant du feu, il dit, à la même page, « Il frotte son long poil roux contre le cul du chaudron ».
Toute la poésie contenue dans l’œuvre, qui en regorge, ressort dans les différentes métaphores qui essaiment dans le livre. « Aujourd’hui il y a eu la pluie. Elle est venue comme un oiseau, elle s’est posée, elle est partie ; on a vu l’ombre de ses ailes passer sur les collines. »
Le style, qui peut sembler simple, développe un grand lyrisme de la nature, parfois devant d’infinis paysages. Nombre de scènes sont de véritables tableaux.

Le rythme : Il est dense et comme un pas de montagnard, avons-nous entendu. Nous sommes d’entrée dans une autre dimension du temps, avec des rythmes et des séquences hors de notre conception courante. Cela se voit dès la première phrase : « Quand le courrier de Banon passe à Vachères, c’est toujours vers midi ».
Dans les trois romans de la trilogie Pan, Giono nous dit en quelque sorte que le temps de la campagne, de la terre, n’est pas celui des villes. En ville, l’horaire est fixé par l’heure du train, du bus, de la pointeuse ; à la campagne, c’est le lever du soleil qui fixe le rythme de la journée, c’est le cycle des saisons.

La syntaxe : Une des premières constructions de langage se trouve dans le nom du principal personnage, Panturle, qui réunit la montagne du lieu, « Lure » et le dieu « Pan ». Giono utilise souvent des expressions propres au langage régional (page 89): « Il fait bon chaud » ou « ça c’est des choses », puis, « ça passera » (page 94), pour dire « il arrivera que », et plein d’autres expressions; c’est un français écorché, un parler rural qui donne corps à ces personnages. Peut-être que cela donne une forme d’équilibre avec le côté lyrique de l’œuvre.

G Ce roman est plus que jamais d’actualité dans ce monde moderne du chacun pour soi dans lequel nous vivons. Il nous fait prendre conscience de la solidarité, du respect de l’autre. Il y a beaucoup de respect entre les personnages, beaucoup d’amour, beaucoup de volonté, et comme il a été dit, beaucoup de pudeur.

G On peut faire aimer ce genre d’œuvre à des plus jeunes, en faisant voir les films de Pagnol pour commencer, puis en expliquant les textes de Giono et en montrant la beauté des images contenues. On peut toujours être des « passeurs ». Il n’est pas exclu qu’on puisse transmettre l’amour de la belle écriture.

G Le style peut effectivement désarmer certains lecteurs, car il y a tellement de métaphores, d’images. Il faut être un peu habitué. Le plus provençal des auteurs reste quand même Mistral. Giono n’utilise pas la langue provençale ; ce n’est pas sa culture d’origine.

G Nous voyons dans cette œuvre comment l’amour permet le progrès de la civilisation. On passe d’un être frustre à un être qui va  développer  toute une sensibilité ; il survient alors un désir de reconstruction, avec celui d’accéder à la civilisation, grâce à un amour qui va le faire vivre, humainement !

G Si l’on écoute chacun des intervenants, on va découvrir parfois des choses qu’on n’avait pas vues ou comprises lors de sa lecture, quelque chose qui nous avait échappée. C’est tout l’avantage du débat littéraire ; on a lu le même livre et on le redécouvre ensemble : c’est comme le lire une deuxième fois.

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6 réponses à Café-littéraire autour du roman de Jean Giono: « Regain »

  1. Pannetier Guy Louis dit :

    Manque le son, manque le chant des cigales

  2. bonjour
    je vous ai mis le lien vers mon blog parce que je pense qu’il peut vous intéresser
    il s’agit d’un roman sous forme de remake de Regain
    je l’ai écrit en 5 mois en publiant toutes les semaines un nouvel épisode sur le blog… donc il se lit à l’envers.
    n’hésitez pas à me faire part de vos remarques
    j’avais lu votre article ici avant la rédaction, cvoilà pourquoi je vous en envoie le produit fini

  3. Caren dit :

    Les informations ici présentes sont relativement intéressantes. J’ai beaucoup aimé, cet article est vraiment bien ficelé et agréable à lire. Pas mal du tout.
    Elsa Bastien / streetpress.com

  4. Ping : Annie Ernaux se délivre et Franck Ribault lit secrètement #20 – Des mots de minuit

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