Thème: Le concept de résilience, réalité ou fiction ?

Guernika. Picasso, 1937. Museo Reine Sofia. Madrid

Introduction par Lionel Il y a une ligne directrice à travers tous les champs de signification de ce terme. Au cours de recherches sur ce concept, j’ai pu me rendre compte qu’œuvrer sur ce sujet équivalait à ouvrir une boite de Pandore, car ce terme est utilisé dans des champs tellement divers. Par exemple, on parle de résilience humaine après traumatisme, ce qui est notre sujet aujourd’hui, mais il y a aussi la résilience communautaire, comme après un désastre : tsunami, tremblement de terre, ou encore Hiroshima… Il y a la résilience écologique, comme après un incendie. Il y a aussi la résilience économique : j’ai entendu il y a peu que les Etats-Unis avaient une « économie résiliente ». Nous allons essayer de traiter les deux premiers aspects. Résilience humaine, résilience communautaire
Ce terme de résilience est emprunté à la physique : c’est ce qui définit en mécanique le degré de résistance d’un matériau soumis à un impact et qui retrouve peu ou prou, sa forme initiale. Ce terme a été repris en sciences humaines. La résilience est une découverte anglo-saxonne. Dans les années 1950, la psychologue Emily Werner se penche sur le sort des enfants des rues à Hawaï. Elle en suivra quelques 200 pendant 30 ans pour se demander par quel miracle une soixantaine de ces pauvres gosses a réussi à grandir, se cultiver, fonder un couple puis une famille. Ces capacités, développées dans une totale adversité, constituent ce qu’elle choisit de nommer, en accord avec deux autres psychiatres, la résilience. Sous cette forme, la résilience est en quelque sorte un processus parfois assez long ; nous verrons comment il peut se mettre en place. Le terme a été introduit en France par l’éthologue et neuropsychiatre Boris Cyrulnik. La résilience signifie donc la capacité à se développer même dans des environnements facteurs de délabrement. Il faut souligner que cette capacité n’est jamais acquise ; elle s’inscrit dans une temporalité et elle est soumise à des variations tout à fait conséquentes. On a un exemple, celui de Primo Levi, écrivain italien sorti de l’enfer concentrationnaire. A un moment donné, on n’osait pas parler des camps d’extermination ; la société de l’époque voulait l’occulter. D’autres exemples ont été les goulags staliniens : un journaliste dans les années 1947 a voulu en parler, il s’est fait traité d’anticommuniste. Cyrulnik  nous dit que, dans le regard des autres, on voit parfois si on peut ou si on ne peut pas parler. En 1947, Primo Levi a écrit une histoire terrible : « Si c’est un homme ? ». Il a été un brillant universitaire et un conférencier accédant à une dimension et une reconnaissance internationale, et voilà qu’il se donne la mort, sans motif apparent. Comme quoi la résilience, même si elle peut opérer, et alors que cet homme a eu la force d’écrire sur cet enfer, il en vient tout de même à se supprimer. C’est ce qu’on appelle une rupture de résilience. Lorsque la personne est torturée dans son âme, elle finit par ne plus y résister : c’est une résilience négative. Mais il y a aussi des résiliences positives, avec des exemples célèbres : « María Callas « la divine », la voix du siècle s’il ne devait en rester qu’une, fut une petite fille dépérissant de carences affectives dans un dépôt d’enfants  immigrés de New York ; Georges Brassens, mauvais garçon, dut à son professeur de troisième la découverte de la poésie qui donna une autre issue à sa révolte » (Les vilains petits canards) ; donc, ce sont là des réussites en termes de résilience.

Débat : G Dans l’origine de la question, quelle est la part du physique, du psychique? De même que nous avons des instincts de survie, est-ce qu’on n’a pas un certain pourcentage d’aptitudes qu’on va optimiser. Je vois la résilience positive comme cette capacité d’adaptation  à la vie, et de trouver, à partir de la pire des situations, les moyens de la surpasser, de donner une réponse.

G En philosophie, on se trouve encore à l’aise avec les sujets de psychologie ; on est déjà plus en difficulté lorsqu’on arrive sur la psychanalyse, car nous échappons à toute analyse expérimentale reproductible comme en science. La question du débat dans sa forme est manichéenne : réalité ou fiction (mythe) ? Je suis tout à fait conscient que des personnes peuvent avoir de réels problèmes psychologiques, et, penser tout à la fois qu’il y a des personnes qui s’abusent ou qui sont abusées. Difficile de dire que l’on doute un instant de la validité d’un concept,  que l’on met en doute ce que croient d’autres personnes avec qui l’on débat. C’est pourtant le rôle du café-philo que d’accepter, voire même favoriser la contradiction. C’est dépasser ce que la psychologie nomme « la désirabilité sociale », c’est à dire tenter de calquer son propos sur ce que l’on pense être l’opinion des autres. Avant que le terme résilience soit créé, nous savions qu’il fallait aux individus, parfois, dépasser, surpasser des évènements, des accidents de la vie, des traumatismes psychologiques. Pour un décès on parlera de deuil, dans d’autres cas, de reconstruction de soi, de régénération, de réparation. Rares ceux qui n’ont pas vécu un drame, qui ont traversé la vie sans blessure. Tous ne font pas des thérapies réparatrices. Il faut compter avec le temps enfouisseur des peines, avec les activités, les relations compensatrices qui occupent et détournent la pensée le plus possible. Mais si nous avons affaire à une thérapie qui consiste à vouloir consciemment dépasser un traumatisme en le mettant sans cesse en évidence, c’est vouloir faire un régime alimentaire en regardant des nourritures. Il y a le risque de mélanger: vouloir dépasser le traumatisme et à la fois l’entretenir. Et pourtant nier le concept serait,  tomber dans le schéma du bien portant qui se moque du malade. « Le névrosé construit des châteaux en Espagne, le psychotique y habite, et le psychiatre encaisse les loyers ! »

G J’ai trouvé une définition sympathique de la résilience, terme issu du latin  et qui nous vient de la métallurgie : « Ce qui manifeste la capacité à retrouver son état initial  suite à un choc ou à une pression continue ». J’ai trouvé intéressant d’opposer ces deux faits générateurs. On peut effectivement avoir un choc absolu traumatisant qui pourrait peut-être expliquer le comportement de certaines personnes qui à un moment donné vont se révolter  dans une situation exceptionnelle ou digne d’intérêt. Il y a beaucoup de littérature, de films, où l’on montre une personne très célèbre, devenue dans son domaine mondialement connue, laquelle a eu une enfance malheureuse ou un choc physique ou psychologique qui l’a conduite à développer un certain mental. Et puis parallèlement à ça, il y a aussi l’idée de la continuité : être sous pression de manière continue pendant une longue durée. Cela peut, peut-être, produire une réaction de résistance qui va faire en sorte qu’une personne modifie son comportement, s’adapte, et à un moment donné pourra alors sortir d’elle-même. Il y a souvent des exemples de sportifs qui arrivent à dépasser leur condition sociale, du fait, par exemple, qu’ils avaient à parcourir tous les jours 25 km pour aller à l’école, on les retrouve un jour dans un stade participant à un marathon. On a par exemple un  chercheur complètement enfermé dans son corps, Stephen Hawkins, handicapé par une maladie dégénérative, qui arrive à un moment donné à dépasser l’enfermement et à projeter plein de choses au monde, et, quand on voit cette capacité de réflexion et de transmission aux autres, on peut être très surpris d’une ressource tellement incroyable. Est-ce qu’une personne, finalement, si elle n’est pas enfermée en elle-même, aurait la capacité à un moment donné de montrer au monde tant de choses ? Ainsi, je trouve cela intéressant d’opposer le choc et l’habitude. On a en tout cas la mauvaise influence ou la pression permanente sur un individu ; cela peut conduire à un moment donné à une réaction inattendue, produire quelque chose de très intéressant, qui va laisser des traces dans le monde, et parfois pour des siècles. Par exemple, Alexandre le Grand avait été renié par son père et Gengis Khan avait été renié par son clan. Il y a comme ça des retournements de situation qui révèlent, qui amène sur le devant de la scène des grands meneurs d’hommes.

G On dit souvent que beaucoup d’anciens traumatisés arrivent à dépasser cet événement en essayant de rendre service aux autres. Il y en a parmi eux qui deviennent thérapeutes, il y en a qui écrivent un livre pour dépasser leur problème ou se racontent dans un journal intime, ou qui vont dans des associations, dans l’humanitaire. C’est laisser le problème derrière soi.

G Je ne vois pas la résilience comme une adaptation, mais une réaction à un traumatisme. Je ne crois pas qu’on puisse se retrouver à son état initial après être revenu d’un choc. En général, cela passe par des étapes de connaissance. Nous avons dit que pour être résilient, il fait être altruiste, que c’est un bon moyen de se reconstruire. On est tous un peu résilients finalement. Je ne pense pas que ce soit le fait uniquement de ceux qui font une thérapie. On peut avoir l’expérience de la résilience à tous les niveaux. On a tous l’expérience d’un traumatisme et d’un chemin personnel, d’étapes de sa vie pour se reconstruire.

G La résilience est un processus de survie, qu’il soit physique ou psychique : c’est à dire ne pas perdre sa vie, ou ne pas perdre la tête, ce n’est pas qu’adaptation
On peut se poser quelques questions. Pourquoi, à traumatisme égal, il y en a qui résistent et d’autres qui décompensent, c’est à dire se laissent aller, ne peuvent pas résister ? Pourquoi, à pathologie égale, certains vont-ils vivre et d’autres mourir ? Quels processus du fonctionnement psychique ou en interaction avec l’environnement cela met-il en jeu ? Anna Freud soulignait l’importance de ce qu’on appelait les mécanismes du « moi ». Le premier mouvement est donc est donc de survie ; puis, il y a le recours à l’imaginaire qui va se mobiliser de façon défensive : c’est l’activité des fantasmes dont on a conscience ou pas, pour ne pas se sentir écrasé par une action trop intrusive, trop impérative, de facteurs extérieurs. Cyrulnik parle de rêveries. Ensuite, nous voyons les clivages qui consistent à séparer les images, les représentations entre elles, les dissocier, ne pas associer l’horreur, sectionner ; ou alors, séparer la représentation des affects, de façon à ce qu’un affect ne corresponde pas à une image précise ; c’est là un mécanisme inconscient qui est en nous, qui met à l’écart le plus insupportables des images ; on a dit « laisser derrière soi ». Puis, il y a  le déni, lequel peut porter sur des aspects variés de la réalité, jusqu’à nier cette réalité. Le déni de réalité est un mode de défense adaptatif
Nous devons aussi évoquer l’importance des tuteurs de résilience. Tout seul, on a rarement vu quelqu’un se tirer d’une situation terrible ; il faut parfois se réconcilier avec sa mémoire, et là le tuteur intervient. Finalement, le traumatisme est un non-sens ; regarder des photos, par exemple les photos des parents qui ont été tués, permet alors de donner un sens au traumatisme. Nous avons aussi ce qu’on appelle « l’intellectualisation ». Dans  « Le cœur conscient », l’auteur Bruno Bettelheim cherche à deviner ce qu’il y avait derrière le nazisme, les nazis, c’est à dire le stéréotype que tous les prisonniers avaient devant eux, et à savoir ce qui pouvait se passer dans la tête des gardiens. L’intellectualisation permet de se protéger de l’intensité des affects qui provoquent du déplaisir en l’évacuant pour privilégier le monde des idées et de la rationalisation. Pour atteindre son but, le résilient doit pouvoir traduire en mots. Ceux qui ont écrit, fait des conférences, ont traduit en représentations partageables les images et les émois. On peut se libérer du fardeau en parlant avec un autre, à condition que l’autre puisse comprendre ce que l’on nomme en psychanalyse « la mentalisation » pour désigner le travail de pensée sur elle-même, ce qui implique une opération de symbolisation.

G Qu’est-ce qui permet la résilience ? Pour moi, c’est l’envie d’exister, c’est l’envie de vivre, c’est croire en soi et aux autres, c’est arriver à se convaincre soi-même qu’on existe, c’est ne pas se laisser enfoncer la tête sous l’eau par les autres. Être, à part entière, capable de penser et d’agir, d’aimer, parce que je pense que l’amour dans la résilience est vraiment le plus important. Pour arriver à mener sa résilience, il faut aimer, se sentir aimé, avec un minimum d’amour pour soi. Dans le  livre « L’enfant Frigo » Patrick Dugois nous dit : « Tous les « vrais » résilients ont eu envie de donner aux autres » et il nous rappelle que la culture est aussi un moyen d’accéder à la résilience.

G Témoignage : Lorsque je suis passée par des périodes difficiles, j’ai beaucoup écrit : mettre des mots avons-nous dit. Puis, il y a le jugement des autres ; le plus dur était de ne plus être crue, de ne plus avoir la confiance des autres, de passer pour une affabulatrice. Le sens de l’humour, entre autres,  permet parfois un léger recul bien utile ; puis le temps œuvre ; puis s’occuper des autres, d’un enfant, et l’on guérit suffisamment pour vivre.

G Dans le film « La Mémoire est-elle soluble dans l’eau », des anciens prisonniers de camps sont invités à une cure d’eau offerte par les Allemands. Le film est terrible, mais, le temps aidant à la distance,  de tragédie en comédie, on peut rire de certaines situations. C’est, on l’a évoqué, la mise en mots ou en images.

G Nous avons évoqué le tempérament consistant à être réactif pour lutter, pour s’adapter. Est-ce que le tempérament « doux rêveur » n’est pas plus apte à surmonter, à surpasser la difficulté, même s’il sait par ailleurs intégrer le monde comme il est.

G Témoignage : On peut réussir une résilience, se passer de thérapeute, si ont est très entouré. Il y a les amis, la famille, les voisins. Dans une époque difficile, je m’en suis sortie parce qu’on ne m’a pas laissée  un  seul instant. Ensuite, ceux qui sont « bons » résilients vont avoir à donner, ceci peut-être parce qu’ils ont beaucoup reçu.

G On parle souvent de résilience suite à un choc dans l’enfance et que ce choc va être de nouveau vécu  au cours de la vie et ressenti comme une humiliation. Nous voyons des résiliences se faire en plusieurs périodes, ceci parfois à l’occasion d’un autre choc, double étape pour renaître à soi.F Les années 1980 ont vu les descendants de ceux qui avaient accepté le nazisme, de ceux qui s’étaient tus, de ceux qui avait mené cette guerre, se questionner sur toutes les mauvaises raisons qui avaient pu emmener leurs parents dans ces errements. C’est ce qu’on pourrait nommer la résilience des enfants du nazisme. Comment assumer ce passé qui n’est pas le leur, comment arriver à réhabiliter une mémoire, mémoire du patrimoine familial. Toutes les actions, débats, écrits, qu’on a vu sur ce sujet découlent d’un repentir par parent interposé, la recherche d’un  pardon, le souhait de se démarquer et ne pas porter le poids de la faute. Aujourd’hui encore, nous voyons cela sous diverses formes ; nous serions résilients d’une façon névrotique. Cette résilience du responsable du traumatisme, résilience historique, s’appuie sur trois concepts : regret / remords / repentir. Le regret, c’est l’acte de déplorer un évènement dans la mesure où il a été la cause d’un certain déplaisir, d’un échec. Le remords, c’est le témoignage de la présence irréparable de la faute ; la conscience ne peut pas se débarrasser du poids de la faute. Et le repentir,  lui, suppose l’acceptation de la faute, la reconnaissance de la culpabilité, l’engagement de ne plus réitérer la faute, et, enfin, la recherche du pardon qui vous en délivre.
Depuis peu, nous n’en finissons pas de faire repentance : résilience historique ou sociétale ? N’est-ce pas le fait d’une société qui fuit ses responsabilités, qui avance en ne regardant que dans le rétroviseur ?  Qui fera repentance demain de nos erreurs d’aujourd’hui ? « Pardonnez à nos parents le mal qu’ils ont fait à la planète », sera peut-être le leitmotiv des résiliences futures.

G Poème de Florence (sur le thème de l’écoute intérieure) :

Prière Impromptue Pour Epicurien.

Si les cris intérieurs recouvrent le possible
Si les larmes ont noyé la moindre réflexion
Dans le flux et reflux d’un émoi improbable
Je suivrai le  fil de ma génuflexion

Prière dionysiaque au dieu impitoyable
Qui donne et qui reprend, caprice à sensation
Fermer les yeux, goûter, l’existant impalpable
Maîtriser jusqu’au bout la moindre réaction

Comme on retient du sable entre ses bras croisés
Je suis le sablier, le creuset immobile
Carrefour de destins pour toujours imbriqués
Dans le réseau fuyant et tout juste nubile

Des désirs avalés et des envies d’ailleurs
J’ai retenu l’instant des explosions finales
Les mains sur le fleuve où rêvent les orpailleurs
Concentré de paillettes aux teintes virginales

G On a évoqué le fait d’une enfance difficile ou facile comme déterminant de la faculté de résilience. Des personnes qui ont eu une jeunesse difficile, puis de gros chocs émotionnels, arrivent parfois à surmonter seules ces épreuves, à garder tant bien que mal le sourire aux lèvres. Le tempérament reste déterminant, il y a comme un profil qui nous dit s’il faudra beaucoup d’aide. On ne peut nier qu’il y ait des individus psychologiquement plus forts et inversement. Ce qui ne fait pas pour autant de la résilience une fiction, un mythe.

G On a peut-être construit des légendes sur des situations de base de grands hommes, situations qui n’ont jamais existé. Quelque part, l’idée de résilience les a rendu exceptionnels, parce que sortis du commun, sortis de nulle part. On ne les attendait pas et, avec toutes les malchances du monde, ils sont arrivés à briller. Alors, finalement, dans quelle mesure, pour en revenir à l’opposition « mythe ou réalité » et à partir de l’expression entendue « on est tous des résilients », il faudrait savoir  ce que chacun met dans ce terme pour ce partage.
Autour de la table, il y a beaucoup de monde pour ce débat : c’est la preuve que ça intéresse pas mal de monde. Il existe  beaucoup d’écrits et ça interpelle, ça nous interroge.

G Cette capacité à surmonter les choses, même si en apparence on est resté le même, même si à l’intérieur il y a des rustines, de vieilles fractures avec leurs callosités, c’est la résilience, grâce à cette capacité à devenir autre chose en restant le même. Une personne qui fait beaucoup de bien autour d’elle, soit a subi beaucoup de mal, soit a fait beaucoup de mal avant. Ce n’est pas forcement la victime qui va être en position de résilience, mais peut-être le bourreau qui à un moment donné comprend et passe de l’autre côté. Il y a des gens, des « bourreaux » parfois,  qui changent, qui donnent parce qu’ils ont fait souffrir et ils deviennent l’antithèse de ce qu’ils ont été, on a du mal à les reconnaître.

G Dans la résilience, le rêve fonctionne aussi. Il y a des éléments du rêve qui font revivre de façon symbolique toutes les choses ; on les revit sans les maîtriser consciemment et on peut résoudre avec les rêves récurrents des traumatismes anciens.

G Témoignage : J’ai beaucoup découvert, rencontré ce phénomène de résilience en écoutant les prisonniers politiques sur leur vie en prison, sur la torture. C’est là qu’il faut trouver la parole  pour s’en sortir, qu’il faut des tuteurs de résilience. Cela pourra être une association humanitaire, des individus, un ami, et comme on l’a dit « l’amour » !

G La différence entre rêverie et rêve, c’est que la rêverie est dirigée consciemment, alors que le rêve, on ne peut que rarement le diriger. Quand on est dans une situation difficile, on peut se raconter des histoires, s’imaginer dans une autre situation, on vit une vie parallèle pour échapper à la réalité. Est-ce qu’on n’aurait pas plus de facilité à réussir une résilience quand on aide les autres à porter leur fardeau, qu’on pose le sien à terre un instant, et que finalement on l’oublie ?

G Poème de Florence :

Aujourd’hui je suis un arbre

Aujourd’hui je suis un arbre
Un arbre qui court en traînant ses racines
Et le bruit assourdi du boulet qui sautille
Distille le chapelet des échecs oubliés
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre tout creux qui abrite en son sein
Une famille d’écureuils, un hibou pensif
Poussif, peut-être mais il avance, cahin-caha
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre rêveur qui revient de l’école
Où l’on y apprend les seules matières qui comptent
Compter sur ses doigts et parler la langue de bois
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre qui s’entête à rester printemps
J’invite sur mes branches des oiseaux qui picorent
Picorent le cafard, il reste la gueule de bois
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre qui tente en vain d’être de bois
C’est si facile de prôner l’indifférence
Une différence qui vibre de sentiments
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre qui saigne par quelques blessures
Des jolis pansements posés un peu partout
Partout ? Pour quoi faire, je n’ai que jambe de bois
Aujourd’hui je suis un arbre

Un arbre caché au cœur de la forêt
J’ai beau me cacher, c’est la forêt qui recule
Bascule et reste l’arbre qui cache la forêt.

G Les enfants qui ont eu des parents qui se sont occupés d’eux dans les premiers mois, les premières années, sont des enfants sécurisés, plus aptes à mener une résilience ; il y a donc deux facteurs importants : prime enfance et tuteur de résilience. « De l’amour sécurisant avant le traumatisme, des tuteurs de développement après et du récit toujours », écrit Boris Cyrulnik; c’est « mettre des mots sur les maux ».  Il n’y pas de résilience si les défenses du « moi » sont trop rigides et inadaptées ou débordées : c’est alors que le sujet peut connaître la pathologie. C’est l’histoire de ce  fait divers du faux médecin, le mythomane qui a fini par supprimer sa famille.

G Il y a aussi des ruptures de résilience : c’est le passage à l’acte, c’est le cas de Primo Levi. Cela peut aussi mener à la recherche du bouc émissaire. Caroline Eliacheff nous dit : « Présenter la résilience comme un fait acquis ou à acquérir, est un leurre. La résilience ne distingue pas ceux qui rebondissent positivement pour eux et leur entourage, et ceux qui le font aux dépens des autres. Et cette confusion ne relève pas du hasard. La résilience évoque davantage la lutte pour la vie que la distinction morale. La psychanalyse a montré comment les chefs nazis ont surmonté les traumatismes de leur éducation en déplaçant la haine à l’égard des parents et de leurs éducateurs sur un ennemi extérieur, les juifs. »

G Dès que nous avons une manifestation de violence, un train qui déraille, un attentat, on crée une cellule de crise. C’est bien, mais j’ai le sentiment que ça nous prive complètement  de nos propres ressources personnelles : « Aide toi, le ciel t’aidera ! ». Mon arrière grand-mère avait eu une vie « de merde », elle a perdu plein d’enfants, elle a travaillé très dur, et pourtant cette petite femme sèche et maigre avec son humour avait su mettre une distance. Cela l’avait aidé à tout supporter. « L’humour, c’est la politesse du désespoir ! » (Boris Vian).

G Est-ce que tous ceux qui se résignent ont leur place dans la résilience? Est-ce qu’ils sont les mieux présents dans leur être pour trouver un tuteur? Pour trouver ce qu’il faut, est-ce que ce n’est pas mieux quand les choses sont difficiles à supporter seul, d’avoir été résistant? Cela peut aider, quand on s’est habitué à trouver devant soi des positions adverses, avec des gens qu’on affronte, quand il y a un élément préalable dans celui qui va devenir résilient. Quand le degré de résiliation est très fort, je doute que ceux qui n’ont jamais lutté puisse y arriver. Tous les messages sont : il faut accepter, il faut s’adapter au monde. Mais pour des gens qui sont socialement en souffrance, les  messages qui leur sont adressés sont dans l’insignifiant ; ceux qui reçoivent ces messages ne sont pas en mesure de faire une résilience sociale.

G On a surtout parlé de la résilience individuelle et de ses résidus de résilience. La résilience existe depuis plus longtemps que le mot, bien avant qu’on l’ait nommée. Par ailleurs, la résilience n’est pas que consciente ; elle concerne tout le processus évolutif de la vie, c’est à dire que plus on remonte dans le temps, plus les organes sont petits. Dans des milieux extrêmement hostiles, on observe des forces, instinct de vie, de survie, détermination ou prédétermination. Dans tout processus, dans toute forme de vie, le constat de résilience existe, tout comme dans notre société qui a aussi ses aspects hostiles.

G Dans le téléfilm « Fais danser la poussière », la mère qui a subi elle aussi un traumatisme dit à sa fille : « On ne guérit jamais, on se soigne ! », ce que nous dit également le philosophe Alexandre Jollien : « La résilience envisagée comme un déclic, n’existe pas. C’est un travail quotidien. Finalement, le plus beau et le plus dur est de réaliser qu’il y a des blessures qui ne guériront jamais ». Le professeur de danse du téléfilm ayant aussi à dépasser le jugement des autres, comme la jeune femme (lui parce qu’il est homosexuel, elle parce qu’elle est noire), lui dit : « La différence, c’est souffrir, mais elle peut nous rendre plus fort si on l’accepte. »

GGGGG…. Brève conclusion à ces échanges, dont  nous pouvons retenir deux phrases : « Autour de la table, il y a beaucoup de monde pour ce débat : c’est la preuve que ça intéresse pas mal de monde ; il y a  beaucoup d’écrits, et ça interpelle, ça nous interroge. » Et aussi : « Je pense que le mot amour dans la résilience est vraiment le plus important. Pour arriver à mener sa résilience, il faut aimer, se sentir aimé. »

Bibliographie et  filmographie des œuvres citées :

Livres:
« L’enfant Frigo » de Patrick Dugois. (J’ai lu)
« Le cœur conscient » de Bruno Bettelheim. (Hachette littérature)
« Si c’est un homme » de Primo Levi. (Pocket. Robert Laffont)
« Les vilains petits canards » de Boris Cyrulnik (Odile Jacob. Poche)
« Le murmure des fantômes » de Boris Cyrulnik (Odile Jacob. Poche)

Films
« Fais danser la poussière ». Diffusé par FR 2 le 11 février 2009. Téléfilm adapté du roman éponyme de Marie Dô
 » La Mémoire est-elle soluble dans l’eau « . Long métrage de Charles Najman. 1996

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Une réponse à Thème: Le concept de résilience, réalité ou fiction ?

  1. Guy louis dit :

    ce choix de Guernika ouvre bien sûr, sur la résilience des enfants du nazisme

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