Thème: « Quel avenir pour la passé, quel passé pour l’avenir? »

Restitution du débat – Café-philo de Chevilly-Larue
28 avril 2011

Cariole du père Juinet. Rousseau. 1908. Musée de l'orangerie. Paris

Animation et modérateur : Marc Ellenberger

Introduction : Marc souhaite la bienvenue aux membres de l’association des Amis du Vieux Chevilly-Larue présents à cette soirée du café-philo. Il précise que le sujet de cette rencontre est une préoccupation commune aux deux associations Café-philo et Amis du Vieux Chevilly-Larue, car il couvre les notions de mémoire, de patrimoine, de passé et d’avenir. Le sujet a été choisi exprès en vue de cette rencontre des deux associations, qui ont toutes les deux le souci de s’ouvrir vers l’extérieur.
Marc présente Julien Tauber, conteur en résidence à Chevilly-Larue durant tout le premier semestre 2010, et son projet « Vélo-Western », épopée du Far-West en 81 histoires sur 81 lieux en 81 jours. La venue de Julien Tauber ici lui permet de rajouter un lieu de conte sur la carte de Chevilly-Larue et permet d’introduire le débat de ce soir avec un conte inspiré de l’histoire américaine.
Julien Tauber se présente. Il circule dans la ville à vélo, mis à sa disposition par la commune, et raconte des histoires de western, d’où le titre « Vélo-Western » de son projet. Il est en résidence pour 81 jours et s’est lancé dans 81 épisodes de westerns sur 81 lieux. Il s’agit de petites histoires d’un à 5 épisodes et en ce moment d’un grand feuilleton de 40 épisodes.
Ce soir, il a choisi de raconter une partie du feuilleton pouvant illustrer le sujet du débat ; c’est une petite histoire dans la grande histoire !
Aux Etats-Unis, l’histoire du Far-West a été illustrée de plusieurs façons, comme la littérature ou le cinéma sous forme de différents types de westerns (de John Wayne à Little Big Man ou Danse avec les loups).
Le héros du feuilleton Vélo-Western, Sean, jeune Irlandais récemment arrivé en Amérique, est accueilli dans son village par l’Indien  Hibou Blanc, qui lui raconte la guerre entre les Blancs et les Indiens: « Voilà donc notre village, j’espère qu’il te plaît. Toutes les maisons ne sont pas dans les arbres comme celle-ci, mais toutes sont cachées de telle sorte que l’on puisse passer à côté sans voir qu’elles sont là. Nous vivons cachés pour vivre tranquilles. Mais ça n’a pas toujours été le cas.
« Autrefois, nous vivions dans les plaines. Nous étions heureux, nous étions paisibles, nous avions bien quelques accrochages avec d’autres nations, mais nous étions de fiers guerriers et nous n’avions pas peur de l’affrontement. Même les puissants Sioux, qu’aucun autre Indien n’a réussi à battre, nous les avons vaincus. Nous étions heureux.
« Alors est arrivé l’homme blanc. D’abord, ils n’étaient pas nombreux, ils venaient chasser certains animaux pour leurs fourrures, ils venaient faire du commerce, ils vivaient paisiblement et nous vivions paisiblement avec eux. Ils appréciaient notre type d’existence, le leur n’était pas très différent, parfois ils se mariaient avec des femmes de chez nous, parfois ils devenaient membres de nos villages. Mais ça n’a duré qu’un temps.
« L’homme Blanc est arrivé plus nombreux et plus nombreux encore. Leurs maisons poussaient partout, des villages apparaissaient en une nuit et, en quelques mois, devenaient des villes, gigantesques. En quelques années, ils étaient beaucoup plus nombreux que nous. Ils s’installaient partout, avec leurs chevaux et leurs charrettes, ils déchiraient la terre pour y planter des graines qu’ils avaient emmenées avec eux depuis leurs pays, ils perçaient la montagne pour lui arracher les entrailles, ils dévoraient la forêt pour en faire des maisons et ils tuaient le bison juste parce qu’il nous permettait de vivre. Ils ont envoyé leurs soldats pour nous chasser de nos terres, parce qu’ils les voulaient. Mais nous ne nous sommes pas laissés faire, nous nous sommes battus, nous étions de fiers guerriers. Beaucoup de nos braves sont morts, mais nous avons fait trembler l’ennemi. Nous nous battions pour ne pas disparaître, nous n’avions peur de rien, nous attaquions les fermes, les diligences, les troupeaux et quand venaient les soldats, nous les combattions. Mille fois nous avons demandé à discuter et mille fois cela nous a été refusé, alors nous continuions à nous battre.
« Un jour est arrivé un homme différent. Il était là pour parler. Tous les chefs de tous les villages se sont rassemblés pour aller discuter avec lui. L’homme disait qu’il était envoyé par le Grand-Père, celui que vous nommez le président, et il disait que le Grand-Père ne voulait pas la guerre et que nous pouvions trouver un accord. Nous avions du mal à nous comprendre, ils voulaient la terre, ils voulaient fixer des frontières, ils voulaient dire ceci nous appartient, cela vous appartient. Mais chez nous, ça ne veut rien dire, la terre appartient à tout le monde, c’est notre mère à tous, nous la respectons, nous la chérissons. Pourtant, nous nous sommes mis d’accord, nous avons fait comme ils voulaient, nous avons partagé la terre. Nous avons promis de laisser tranquille tous ceux qui seraient sur leur terrain, il a promis qu’ils nous laisseraient tranquilles sur le notre et tout le monde a promis que la paix règnerait. On a ajouté un petit détail. Le fils de l’un des chefs indiens partirait dans l’école des Blancs pour y apprendre la vie des Blancs, pour comprendre comment les choses se passaient chez eux et pour, quand il reviendrait, devenir l’interprète entre les deux cultures, le garant de la paix. On a choisi un enfant de six ans. Et cet enfant, c’était moi.
« Il m’en a fallu du courage, à six ans, pour être enlevé à mes parents, à mon village, mais mon père m’avait bien expliqué que c’était une mission de brave que l’on attendait de moi, bien plus périlleuse que de combattre un ours à mains nues, bien plus dangereuse que d’aller dans la tanière du loup, que c’était une grande responsabilité et je l’ai acceptée. J’avais beau avoir six ans, je savais que ma vie serait différente de celle des autres membres du village. Je suis allé dans leur école et j’ai appris. J’ai travaillé dur et ils ne m’ont pas toujours bien traité. J’ai tellement appris que, quand cette école s’est achevée, je suis allé dans leur université. J’ai vu leur grande ville, c’était comme les ruches des abeilles, ils vivaient serrés les uns sur les autres, plus nombreux que les gouttes de la pluie, que les étoiles dans le ciel. Là aussi, ça n’a pas toujours été facile pour moi. Mais je savais pourquoi j’étais là. Je faisais marcher ma curiosité pour tout le village, pour toute la nation, j’essayais d’imaginer toutes les questions qu’ils pourraient me poser et j’essayais d’y trouver une réponse. Je suis resté absent pendant 20 ans. Alors j’en savais assez pour revenir et pour devenir un interprète entre mon village et celui des Blancs, pour être un garant d’une paix qui dure toujours.
« Mais quand je suis rentré, je n’ai pas trouvé mon village, il avait disparu. Les Blancs qui vivaient à cette place-là, ne savaient même pas qu’ils étaient sur un territoire qui nous appartenait. Longtemps j’ai cherché, longtemps j’ai cru être devenu fou, c’était comme si j’avais inventé mon peuple, son existence, le traité de paix et tout ce qui s’était passé. Mais j’ai trouvé les miens, ici, dans la forêt. Ils n’étaient plus très nombreux. En fait, dans ce seul village, il y avait tous les survivants de dix-sept villages et il était plus petit que celui où j’avais passé les six premières années de ma vie. Ils étaient tellement surpris de me revoir, ils pensaient que j’étais mort, ils pensaient que les Blancs m’avaient tué. Ils m’ont raconté ce qui s’était passé.
« La paix n’avait duré que quelques années. Les Blancs continuaient à arriver, toujours plus nombreux, et ils voyaient tous ces espaces occupés seulement par quelques Indiens et ils ne comprenaient pas pourquoi. Ils ont exigé qu’on nous chasse de là. Un matin, à l’aube, l’armée a attaqué, ils se sont mis à tirer, sur tout le monde, vieillards, femmes, enfants, sans distinction. Nos braves sont allés chercher leurs armes, mais mon père, le chef, leur a dit de ne pas se battre que c’était une erreur, il est allé chercher le drapeau américain que l’homme de paix lui avait donné, au nom du Grand-Père, il l’a soulevé bien haut, dans l’autre main, il avait la médaille de paix qu’on lui avait donné. Mais ça n’a servi à rien. Ils l’ont tué. Seuls quelques-uns ont réussi à s’enfuir. Depuis, nous vivons ici, cachés mais tranquilles. Nous avons perdu les terres sur lesquelles nous avions grandi, mais nous avons appris à apprécier la forêt et les fruits qu’elle nous apporte.
Voilà notre histoire, voilà mon histoire, c’est pour ça que nous vivons ici, c’est pour ça que je connais si bien votre langue. »
Sean s’était depuis longtemps arrêté de manger, une bouchée suspendue en l’air, pour écouter le récit de l’Indien. Tout ça, ça n’y était pas dans les lettres de l’oncle Sam, il n’avait pas imaginé que c’était ça aussi le Far-West. Il allait dire quelque chose quand est entré dans la pièce un homme qui ressemblait à une caricature d’Irlandais : grand, roux, les cheveux frisés, mais il était habillé en Indien et c’est en langue indienne qu’il s’est adressé à Hibou Blanc. Ils ont échangé quelques mots et il est reparti.
Sean a regardé le vieux chef pour lui poser une question, mais ça ne sortait pas. Alors c’est le vieil homme qui a dit : « Tu es étonné de voir un Homme Blanc ici, tu ne devrais pas. Il est le fils d’un de ces premiers Blancs qui sont venus ici. Lui aussi aimait cette terre comme elle était avant que l’on nous en chasse, alors lui aussi et plusieurs autres sont venus avec nous dans le village. Ils en font maintenant entièrement partie. Mais revenons à ce pourquoi je t’ai amené là, il est venu me dire que le mort était prêt. »
Sans un mot de plus, ils sont sortis de la cabane perchée pour se diriger vers une autre où ils ont trouvé un homme étendu. C’était un blanc lui aussi. À côté de lui était posé un long fusil dont le métal et le bois étaient ornés de mille dessins. « Voici la mission que je voudrais te confier. Cet homme était membre de notre communauté et il nous a fait promettre, quand il serait mort, de porter ce fusil à sa veuve qui était resté dans une ville où il avait vécu avec elle, Fond Du Lac, mais aucun d’entre nous ne peut aller dans cette ville. Toi, tu peux. Est-ce que tu veux bien t’acquitter de cette mission pour nous ? Nous t’amènerons jusqu’à l’orée de cette ville. » Sean n’avait rien d’autre de prévu, il a accepté. »
Débat : G Marc : Ce texte nous fournit une bonne introduction pour le thème de ce jour « Quel avenir pour le passé et quel passé pour l’avenir? » en nous présentant une partie de l’Histoire des Américains du Nord à travers les relations des Blancs et des Indiens.

G En écoutant Hibou Blanc parler de son peuple, on mesure à quel point les Indiens ignorent la haine et la guerre et comment ils se font gruger par les Blancs.
Julien Tauber précise que le reste du feuilleton sur l’histoire de Sean n’aborde pas les mêmes aspects historiques de la conquête de l’Ouest. Dans ses récits, il présente davantage un feuilleton dans le style de la littérature du XIXe siècle. Il n’écrit pas des histoires sombres ou tragiques. Il nous invite à aller sur son site (www.velowestern.fr) pour retrouver les épisodes de l’histoire de Sean ou à venir l’écouter aux séances d’enregistrement public qui ont lieu chaque vendredi à 19H à la Maison du Conte de Chevilly-Larue jusqu’à fin juin 2010. Les histoires de western de Julien Tauber sont certes tirées de son imagination, mais elles s’appuient sur une solide documentation et peuvent s’inspirer de faits réels, parfois transposés quand ils ne se passaient pas en Amérique. Ainsi, l’une de ses histoires parle d’un magicien blanc envoyé par le Président américain comparer sa magie à celle des Indiens pour en établir la supériorité. C’est inspiré de l’histoire du magicien français Robert-Houdin envoyé en 1856 en Algérie par le gouvernement français pour comparer sa magie à celle des sorciers locaux.
Julien Tauber prend alors congé de l’assistance, qui le félicite et le remercie de sa venue.

G Marc : « Quel avenir pour le passé, quel passé pour l’avenir ? », ce thème nous renvoie au début de la lettre à Ménécée, étudiée dans un précédent café-philo sur le Épicuriens. « Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir.» Actuellement, la question du rôle de l’Histoire est reposée à travers les débats en cours sur « l’identité nationale » et sur les réactions au projet de réduction de l’enseignement de l’Histoire au lycée (simple option en terminale S). « L’histoire Une ardente nécessité » titre le dossier d’actualité paru dans Valeurs actuelles du 10 décembre 2009, débattant sur le projet de réduction de l’enseignement de l’histoire. Il y est notamment souligner que : « La compréhension du monde contemporain implique la connaissance de l’histoire et de la géographie ».
Marc fait aussi état de débats sur l’avenir de l’écrit avec l’essor de nouveaux médias et des nouvelles technologies, la conservation des données étant un souci qui ne touche pas que les archivistes. Ainsi, dans Le Monde du 20 mars 2010, l’historien américain Robert Darnton, spécialiste de l’histoire du livre et des Lumières, s’inquiète, au delà de la bataille texte imprimé – livre électronique, de la meilleure manière de préserver le patrimoine écrit : « Nous risquons de perdre la mémoire collective ». De nos jours, beaucoup d’informations, voire des décisions, ne passent que par d’éphémères messages électroniques, dont la conservation est une préoccupation. Les nouvelles technologies posent la question de la pérennité des données.
Marc parle de sa lecture récente d’un roman de Fred Vargas, publié en 1996 aux Éditions Viviane Hamy : « Un peu plus loin sur la droite », où les héros sont des archéologues-historiens et détectives. Fred Vargas écrit page 119 : « L’Histoire n’est pas faite pour rassurer l’Homme, mais pour l’alerter ».Après ces extraits de textes ou d’articles, Marc introduit le débat par diverses réflexions et questions. Dans notre société, contrairement à des conceptions cycliques du temps, celui-ci est perçu comme linéaire et vectoriel : avant, maintenant, après ; passé, présent, futur ; moins, zéro, plus. Le mot « passé » vient du latin « passus », « le pas ». Le passé est ainsi tout ce qui a été parcouru pas à pas sur la route du temps et qui est derrière nous au fur et à mesure que nous progressons en avant. Le présent est ainsi le pas en cours, l’action en cours, la période en cours, instant plus ou moins long qui file entre ce qui va venir, l’avenir, le futur, ce qui sera, et le passé, ce qui a eu lieu, qui s’est passé. Dans cette conception, le présent est le goulot entre deux éternités, à venir ou passée, entre le haut et le bas du sablier du temps. Le présent, c’était le futur du passé et ce sera le passé du futur. Le présent, peut avoir une durée effective plus ou moins longue selon le contexte (matériel, psychologique, …) définissant la période en cours. Il va de la fraction de seconde de maintenant à l’époque actuelle, contemporaine. Du même coup, le passé et l’avenir sont repoussés au delà des limites plus ou moins lointaines de la période présente, par exemple de hier à jadis, de demain à un futur lointain. Le présent, moment de l’action, serait ainsi la période sur lequel chacun a prise, le passé et l’avenir lui échappant. La question est de savoir dans quelle mesure le passé est un héritage conditionnant le présent et l’avenir, et dans quelle mesure le présent prépare et oriente l’avenir. Autrement dit, qu’elle est l’utilité du passé et qu’elle est notre responsabilité sur l’avenir ? Que faisons- nous de l’héritage du passé ? Quel héritage, quel patrimoine laisserons-nous pour le futur ?
Le sujet de ce débat, « Quel passé pour l’avenir ? Quel avenir pour le passé ? », peut nous permettre de réfléchir sur les interactions et les influences entre passé, présent et avenir. Quelle influence joue le passé ? Quelles traces laisse-t-il ? Dans quelle mesure contribue-t-il à construire notre identité individuelle ou collective ? Pouvons-nous en faire table rase ? Que voulons-nous ou devons conserver du passé (patrimoine) ? Permet-il un enseignement et donne-t-il des leçons ? Quel est le rôle de la mémoire, de la transmission, des coutumes, des mythes ? L’expérience passée nous permet-elle d’éviter des erreurs ? La connaissance du passé (l’Histoire) peut-elle nous éclairer ? Quelle utilisation en faisons-nous et quelle en est la fiabilité ? Quelle est notre honnêteté et notre rigueur vis à vis de la connaissance et de l’utilisation des données du passé ? Quelle est notre vigilance face aux erreurs, volontaires ou non, touchant les données du passé ? Pouvons-nous vraiment bien connaître le passé ? N’est-il pas tentant parfois de récrire le passé et notamment de l’enjoliver ou d’en gommer certains aspects ? Sommes-nous prêts à faire preuve d’assez de rigueur, de recul, de respect des témoignages, d’honnêteté intellectuelle, pour ne pas tomber l’anachronisme et pour déjouer les sirènes des tenants du révisionnisme ou les tricheries des manipulateurs qui veulent arranger les faits à leurs convenances ? D’autres questions sont possibles. Le débat est ouvert.

G Dans ce débat sur les relations entre le passé et l’avenir, mais il manque le présent dans le sujet. Nous avons souvent une conception linéaire du temps avec une origine et une fin à l’infini, mais il existe d’autres conceptions, notamment cycliques…

G Il existe des cas de passés individuels et collectifs difficiles et impossibles à transmettre ou des hontes, individuelles et collectives, de certains passés, ce qui peut amener à des « trucages » des histoires personnelles ou sociales.

G Notre présent est le futur de notre passé, donc nous le connaissons. Le sujet me paraît donc ainsi posé d’une façon contestable. Mais on peut se demander plutôt : doit-on se servir du passé pour construire notre avenir ?

G Est-ce qu’il ne faut pas trier, sélectionner et discriminer tout ce qui nous vient du passé ? Tous les évènements du passé doivent-ils être conservés ? Que doit-on garder du passé pour construire l’avenir ?

G Que ce soit à titre individuel et/ou collectif, nous sommes à la fois les héritiers et les futurs dévolutifs des biens qui constituent l’Univers et ce quel qu’en soit le domaine (génétique, culturel et cultuel, de la nature en général). L’ensemble de ces domaines constituent un patrimoine individuel ou national, international ou encore universel.
La vie se divise en trois temps : présent, passé et avenir. Saint Augustin dit (en 400 après Jésus Christ dans Les Confessions) : c’est improprement que l’on dit qu’ il y a trois temps : passé, présent et futur ; il serait préférable de dire qu’ il y a trois temps : Le présent du passé (la mémoire), le présent du présent (la vision de l’instant), et le présent du futur (l’attente du devenir, de ce que ou ce qui sera).
Le temps est alors un anneau, une boucle, cyclique.
Le présent est court, l’avenir incertain, seul le passé est assuré et il n’est au pouvoir de personne d’en disposer de nouveau, sauf de s’en inspirer en positif ou en négatif.
Le patrimoine doit être respecté et entretenu correctement, car il est « la mémoire vive » de ce qui s’est passé au cours des âges, dans tous les genres, dans tous les milieux.
Le passé ne doit pas être laissé à l’abandon, car, autrement, comment faire pour comparer les évolutions des différentes civilisations ?

G Pour Saint Augustin aussi « les trois temps du passé, du présent et de l’avenir sont co-présents dans la conscience ». Dans celle-ci, les frontières du temps seraient abolies et on serait dans une sorte d’éternité, dans la durée.
Le temps pourrait fonctionner en une boucle récurrente qui prendrait à l’instant présent des éléments dans le passé pour les projeter vers l’avenir.
On pourrait aussi l’envisager sous la forme d’une spirale ascensionnelle qui concilie le côté cyclique et le côté linéaire du temps, à la façon de la spirale de Teilhard de Chardin.
G Poème de Florence :

Quel avenir pour le passé
J’ai rêvé d’une pyramide
Translucide en polyamide
Pour dépoussiérer le passé

Quel passé pour l’avenir
Faire table rase du passé
J’en ai rêvé dans le passé
En refoulant mes souvenirs

Dans l’avenir outrepassé
J’ai cultivé la pyramide
Qui a poussé en lieu humide
La cariatide est dépassée

Si le meilleur est à venir
Délivrer un laisser passer
C’est assumer tout son passé
Pour ne jamais y revenir

Passé, avenir, compassé
À poser dans l’éphéméride
J’ai défroissé toutes les rides
Des gisants si peu trépassés

Présent pour enfin advenir
Entre héritier et parricide
Aujourd’hui c’est moi qui décide
De l’avenir qui peut devenir

G Quel avenir pour le passé, quel passé pour l’avenir? ». Le sujet est très clair. Quel avenir pour le passé, quel est l’avenir des choses du passé ?
Quel traitement applique-t-on au passé ? L’Histoire est souvent racontée par les vainqueurs et ce sont « les autres » les méchants ! (voir l’Histoire telle qu’elle est racontée aux enfants dans les manuels scolaires).
Jeanne d’Arc était du côté de la lignée des mâles pour la succession au trône de France et pas d’une reine qui aurait été une descendante plus directe. Le passé conditionne forcément l’avenir.

G Alors pourquoi l’avenir ne continue-t-il pas ce qu’a fait le passé ? Pourquoi voit-on disparaître des pans entiers des activités humaines ? Il existe des choses du passé qui sont pourtant bien intégrées dans le patrimoine collectif : notamment ce qui est beau, comme l’Art.

G Il y a deux sortes de passés : le passé culturel et artistique et le passé historique et événementiel. Le 17ème siècle a reproduit en s’en inspirant largement les représentations culturelles de la Grèce antique (passé culturel). Mais il y a des passés (évènementiels) tragiques que l’on passe sous silence : le massacre des Indiens, le génocide des Arméniens, l’élimination des Juifs, des Tziganes, des homosexuels, l’Apartheid et les Anglais qui ont mis les Boers en camps de concentration en Afrique du Sud, les Espagnols qui ont fui l’Espagne sous l’Inquisition ou sous Franco ? Le Biafra, Le Rwanda et tous les conflits de territoires ou ethniques… Que fait-on de ces passés ?

G On n’est jamais tout seul sur Terre. Il faut comprendre que l’on a été précédé dans l’Histoire et qu’il y a d’autres réalités que la nôtre à un moment donné pour éviter les conflits basé sur le fait d’être « étranger » à l’autre.

G Je suis allé à la Journée de la Déportation et j’ai vu le film « La petite prairie aux bouleaux » (signification de Birkenau, camp de femmes déportées près d’Auschwitz).
Dimanche dernier, le 25 avril, des associations de déportés ont célébré la Journée de la Déportation, journée inscrite dans le cours du temps, qui a forgé ses lettres de noblesse dans le passé lointain pour se perpétuer dans le présent et l’avenir proche. Elle vise à rappeler que certains épisodes du passé ne doivent jamais s’effacer des consciences collectives, que « le ventre d’où est sortie la bête immonde est encore fécond », formule empruntée à Berthold Brecht, grand auteur de théâtre.
Un nombre croissant de personnes redoute l’émergence d’une autre époque susceptible de s’appuyer sur les mêmes potentialités qui « gisent activement dans les tréfonds de l’âme humaine ». Il y a des personnes qui acquiescent aux mêmes horreurs, de façon active ou passive, et d’autres qui tentent de s’y opposer avec une audace entremêlée de peur.
En ce sens, le passé a beaucoup d’avenir.
Mais l’avenir ne demande-t-il pas, sinon l’effacement, du moins l’oubli ?
Nietzsche écrivait dans son Zarathoustra « le vouloir ne peut rien sur ce qui est derrière lui ». Les survivants, les déportés et enfants de déportés le savent mieux que d’autres.
Pour accéder à un présent et à un avenir crédibles, ils devaient mettre en actes ces deux idées complémentaires que l’on retrouve dans Nietzsche :
« Tout blesse, le souvenir est une plaie purulente… » (Ecce Homo I6)
« S’il faut effacer (=oublier) le passé, c’est que sans l’oubli l’homme ne peut vouloir agir. » (Généalogie de la morale II, 1)
Pour être dans la possibilité d’agir, de vouloir, de désirer, ces personnes ont dû retrouver la parole et se faire écouter – souvent avec quarante ans de décalage-, lorsque la société a accepté de réintégrer son passé, animer avec courage des discussions dans les écoles et autres lieux de parole.
En ce sens, la figure tragique de ce passé est indispensable à l’avenir ; ces personnes  ont su et pu se libérer des aspects purulents de leur passé, en signifiant comme Nietzsche « un homme qui serait incapable de rien oublier et qui serait condamné à ne voir partout qu’un devenir, ne croirait plus en lui » (Considérations inactuelles II, 1), tout en le revendiquant ouvertement pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli.

G Le passé, quel passé ? L’histoire des événements, des lieux et des sites, de l’art (architecture –immobilier- et des objets – mobilier-)…
Il faut se souvenir de tout cela et des modes, des savoir-faire, des styles des différentes époques…, que l’on retrouve parfois dans les musées, lieux de mémoire s’il en est.
Il faut se souvenir des évènements heureux ou traumatisants à l’échelle d’une vie (mais les cicatrices doivent nous dire d’où nous venons, mais pas où nous allons), à l’échelle d’une commune, d’une région ou d’un pays, d’un continent, de la planète et de l’Univers, de l’infiniment petit et ordinaire à l’infiniment grand et cosmique, pour tirer des événements les leçons de l’expérience ; il faut savoir lire le présent à la lumière du passé tout en se projetant vers l’avenir. Le présent s’élabore à partir du passé pour bâtir l’avenir…Le passé ? Quel est le rôle des traditions, de la conservation des objets ou de sites, des archives ?
Chaque génération a besoin de refaire le monde et de contester au besoin l’Histoire pour sortir des présupposés de la génération de ses parents.
L’attachement au passé, aux souvenirs qui rappellent, les personnes aimées ou les situations heureuses, sont nécessaires aussi… Et le rôle de collections personnelles peut renvoyer aussi à un aspect de l’histoire de la personne.
Les premiers hommes se reconnaissaient à leurs grigris, nous disait Vercors dans « Les animaux dénaturés » : un besoin de conserver un objet investi d’un pouvoir pour fixer la mémoire ou un rituel du souvenir.
De tout temps l’homme a éprouvé le besoin de laisser la trace de son passage ou de celui de ses proches dans l’Histoire et de fixer ce besoin d’être un acteur de son temps et cela dès les premières peintures rupestres sur les grottes préhistoriques…
D’où l’importance du passé, de l’Histoire, de l’enseignement, du vécu et de l’expérience, pour appréhender le monde.
Le futur ? Quel futur ?
Un projet s’ancre sur l’expérience et on fonctionne souvent avec une façon récurrente de reproduire les événements agréables et d’éviter les expériences désagréables ; Freud dirait « par économie de souffrance » !
Intégrer le passé et en tirer les leçons est indispensable à la croissance et au progrès personnel et collectif.
Un élu me disait récemment : « Une ville sans passé et une ville sans avenir ». La richesse d’une communauté consiste en son histoire commune partagée.

G Nous devons vivre en collectivité, en communauté, dans une certaine identité commune avec des rituels, à un moment donné. Se pose alors le cas de l’Islam dur qui vit une réalité identitaire différente, ce qui peut poser problème dans les sociétés occidentales.

G Il y a des traditions qui existent mais qui ont perdu leur esprit et leur sens, alors qu’il y a des traditions qui se renouvellent dans l’esprit. Il n’y avait pas de jeunes à la cérémonie de la mémoire des camps à L’Haÿ-les-Roses. Pourtant c’était une cérémonie de cohésion entre les communautés.

G La transmission est une nécessité, car il y a de moins en moins de témoins directs de certains évènements. Ainsi, à l’angle de la rue du lieutenant Petit le Roy et de la rue de l’adjudant-chef Dericbourg à Chevilly-Larue, une nouvelle plaque a été posée en présence du fils et des deux petits-fils de Dericbourg. Ces derniers, lors de la cérémonie, ont dit qu’ils veilleraient à transmettre l’Histoire à travers celle de leur famille.

G Les Musulmans ne sont pas tous islamiques et identitaires et les intégristes font du mal à l’intérieur même de l’Islam.
La jeune génération n’a pas toujours eu les récits du passé dans les familles. Souvent, elle l’ignore, mais pourtant la transmission des anciennes générations aux suivantes est importante.
On n’élève plus ses enfants dans le respect du passé ou de leurs ancêtres, d’où des difficultés dans ce cas d’assumer le passé et de prévoir l’avenir.

G Ce sont souvent les grands-parents qui transmettent l’histoire familiale, mais, avec les mouvements de population, il arrive que les grands- parents ne soient pas là ou que leur passé soit trop différent de ce que leurs petits-enfants vivent dans la nouvelle situation.
On connait aussi le cas de certaines traditions qui oppressent différentes catégories d’individus : comme les femmes par exemple.

G Tout dépend de ce que l’on cherche dans le passé. On peut faire une recherche culturelle. L’avenir du passé, me fait penser à un réservoir dans lequel des récoltes ont été engrangées pour être utilisées en fonction des besoins. Ce réservoir est une richesse en même temps qu’une ressource nécessaire et intelligente mise à la disposition des générations successives. Le passé est pour l’avenir une base de références utile pour aider à la construction d’un nouveau réservoir, tout en y apportant les améliorations ou les aménagements nécessaires. Ce nouveau réservoir aura pour but de stocker de nouvelles récoltes qui pourront alimenter le présent. Ce dernier deviendra rapidement « futur », lequel évoluera très vite vers le « passé ».
Ce cycle « passé, présent, futur » est sans fin. Il forme un anneau semblable à une alliance dont le début et la fin sont intimement liés. Cette boucle infinie du présent s’appuyant sur le passé pour devenir très vite le futur est incontestable comme le sont les cycles des saisons.

G Dans le passé, à l’exposition universelle à Paris, certains sauvages mis dans des cages sont morts de froid ; des acteurs ont alors été embauchés comme « faux sauvages » et il a existé des « grèves de sauvages » ! On avait instrumentalisé le racisme au XIXème siècle. Pour le cas du voile, il faut faire attention à ne pas se laisser instrumentaliser ou manipuler pour exclure une certaine catégorie de personnes.
On a parlé des camps de concentration, mais aujourd’hui il y a aussi des camps de rétention. Et on prend des exemples de cas particuliers pour attiser la haine contre des caractéristiques de l’Islam.

G Ce qui permet que la mémoire passe, c’est surtout le témoignage de survivants auprès des jeunes générations, pas seulement les monuments. L’histoire de la guerre n’intéresse plus la génération d’aujourd’hui, car les souvenirs s’éloignent.

G Tout est une question du travail du passeur de mémoire qui transmet l’Histoire.

G Dans « Le premier homme », Camus dit : « Pour mieux supporter la vie, il est nécessaire de ne pas trop se souvenir ».

G Dans nos villes qui ont beaucoup changé ces 100 dernières années le passé est important. Il faut être vigilant pour transmettre l’héritage du passé et actualiser aussi l’Histoire avec des sujets plus récents qui deviennent à leur tour du passé (par exemple, à Chevilly-Larue, la Cité des Sorbiers a maintenant une histoire de plus de 50 ans). Les deux prochains articles Mémoire dans le Journal municipal de Chevilly-Larue porteront sur l’année 1940, de la « drôle de guerre » au début de l’Occupation, il y a 70 ans. L’histoire locale s’insère dans l’Histoire et l’illustre par le vécu des habitants.

G « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre », a dit Winston Churchill.

G Il y a des constantes dans l’histoire. On a l’impression que parfois l’histoire est cyclique et que l’on passe par des phases que l’on retrouvera dans différentes civilisations. Ainsi, l’Islam commence en 600. En 2010, il a 1 400 ans environ et il connait des excès. Mais, en 1500, l’histoire de l’Église a connu l’Inquisition et ses excès aussi après sensiblement la même durée d’existence… On retrouve des invariants possibles d’une culture à l’autre avec des apogées, des déclins, des ouvertures et des intégrismes despotiques…

G En notre qualité d’héritiers d’un patrimoine, nous avons des droits, mais aussi des devoirs non négligeables. Chacun de nous se doit non seulement de conserver la mémoire du passé, mais aussi de favoriser l’éclosion du futur. Une deuxième comparaison sur le présent me fait penser à un nourrisson, entièrement lié aux bons soins de ses parents (donc du passé), lesquels doivent le nourrir et le soigner pour qu’il se développe correctement. Les parents doivent également l’aider à grandir, à se construire, à s’instruire pour qu’il devienne un adulte. La nourriture n’est pas la seule condition nécessaire au bon développement de l’enfant, encore faut-il qu’elle soit bien adaptée aux besoins et aux goûts pour faciliter le meilleur épanouissement possible.
Chacun apprécie plus particulièrement un goût, soit sucré, soit salé, épicé ou autre. Le goût s’imprègne sans changer véritablement la base des ingrédients et c’est cette base qui est notre référence.Le passé a un bel avenir, car il peut avoir le statut d’« immortel » à condition de le respecter, de le réparer, voire de le restaurer. Le passé peut se transformer en temps présent. Quant à l’avenir, il est au sein de l’alliance, de l’anneau qui ferme ou qui ouvre la « ronde des temps ». Il est issu de la mémoire, du souvenir, de la réflexion, de la culture…

G Quelle est notre responsabilité par rapport aux générations suivantes ? Que transmettre pour nos descendants ? Quelle discrimination des évènements est possible pour savoir ce qui doit passer à la postérité ?

G Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, elle nous rappelle que cette saison existe et qu’elle fait partie d’un cycle immuable, indispensable pour assurer la transition entre le froid de l’hiver et la chaleur de l’été et que rien ne peut la remplacer.Respectons et inspirons-nous du passé pour construire le présent et préparer l’avenir.
Le temps du débat étant passé, la phrase précédente peut servir de conclusion.

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