La culture favorise-t-elle le lien social ?

Restitution du débat du Café-philo du 13 novembre  2013 à L’Haÿ-les-Roses.
La culture favorise-t-elle le lien social ?

A la feria de Seville. Bejarrano. 1855. Musée Carmen Thyssen. Malaga. Espagne

Introduction, Annie : L’homme ne peut vivre seul ; il ne peut être et vivre qu’en agissant avec les autres. Les dangers ont regroupé les chasseurs préhistoriques, créant ce premier lien. Face à la nécessité, peu à peu, les hommes vont s’organiser, édicter leurs règles pour vivre ensemble, premier sens de la culture.  Ils vont marquer les instants forts de la vie, comme faire ensemble des fêtes, avec de la danse et des chants ; les rondes symbolisent le premier lien social et culturel. Puis, viendront les expressions par le dessin, symboles d’un premier langage ; les échanges de l’inconscient se feront ensuite avec les premières sectes et religions qui vont créer et véhiculer des liens communs. Puis, viendront d’autres lien  sociaux qui se feront avec les échanges, avec l’économie.

Débat : G Nous voyons là une culture qui est « sortir de son animalité », mais nous savons que, dans ces périodes préhistoriques, des hommes ont pu se battre à mort pour une poignée de glands ; là, on a bien plus  affaire à des barbares.
Nous passerions des heures et des heures à définir ce que chacun de nous met précisément  dans ce mot culture, même si c’est un bien commun en partage. De Homère à Rabelais à U2 et à Lady Gaga ou encore à Astérix, le champ culturel est immense. En dehors ou dans les définitions des dictionnaires, chacun perçoit la culture suivant ce qu’il entend immédiatement dans ce mot, au sens philosophique, au sens sociologique.
Quant au lien social, les définitions nous disent qu’il est d’abord « l’ensemble des relations des individus au sein d’un même groupe », ce qui nous dit tout de même que cela commence au plus proche pour s’étendre, le groupe étant à dimension variable.
Dans la seconde moitié du 18ème siècle, le mot culture nous vient de l’allemand « kultur », qui comprend l’écrit, la poésie, la langue, la musique, tous les arts propres à un peuple, sa mémoire, depuis ses origines. Elle est en ce sens un lien social et elle est aussi un lien identitaire ; on va rapprocher ce terme « kultur » (avec un « k ») du mot « civilisation ». Les Français lui donneront un sens plus large, qui, sans exclure le patrimoine national, va l’élargir à l’ensemble des richesses culturelles, jusqu’à un patrimoine virtuel sans frontières.
La société actuelle, où la compétition se retrouve dans bien des domaines, comme dans le monde du travail, ne crée pas du lien social (dans le sens où le définissait Emile Durkheim), car, souvent même, il arrive qu’elle désocialise. Quant au lien social que pourrait créer la politique, il semble que cela soit chaque jour un peu plus inatteignable. En ce sens, la culture, en tant que lien social, cette culture qui nous élève par l’esprit, est à préserver plus que jamais. Où trouver, par exemple, plus de ferveur commune et sans esprit de compétition, que lorsqu’une salle est debout pour applaudir des artistes. C’est un partage, hors de toute discipline, hors de toute hiérarchie, hors de tout rapport de force, un partage enfin en toute liberté.
D’une façon générale, on ne peut pas dire que la culture ne favorise pas le lien social ; nos rencontres habituelles, notre débat, en sont une des preuves évidentes.
Cette dimension d’association culturelle, comme celle du café-philo, me semble être, à son niveau, parmi les moyens les plus à même de créer du lien social. Elle s’oppose et est un contrepoids nécessaire à une culture de masse envahissante.

 

G Dans le mot lien social, comme dans le mot culture, je vois le sens de rassembler. C’est un sujet d’autant plus à la mode que l’on peut voir, dans toutes les communes de France, que l’on s’inquiète du lien social ; on essaie effectivement de réunir, de trouver un fonds commun. On en revient à quelque chose de partagé par presque tout le monde, c’est Internet, et, là, on peut se poser des questions : est-ce qu’Internet crée du lien social ou pas ? Dans la mesure où cela permet de réunir des gens qui ne se seraient jamais parlé, oui ! Pourquoi pas ! Encore faut-il définir ce que l’on nomme « lien social ». Pour moi, le vrai lien social passe par la solidarité et un certain nombre de valeurs partagées. Avec Internet, on fabrique du lien social « toc ».
Finalement, il m’a paru comme évident que le vrai lien social, l’unique, pour qu’il n’y ait plus de guerre, qu’il n’y ait plus de viol, plus d’intolérance, de guerres de religion, etc., ce serait l’amour de l’autre, l’amour des hommes. C’est utopique, c’est vrai, mais j’aime les gens, et, quand on les aime, on ne peut pas dire qu’une culture serait supérieure ou inférieure à l’autre.

G Si l’on pense que chacun est une singularité et pas le clone de l’autre, chacun avec ses propres pensées, sa manière de vivre, on tend à relier ces différences ; on tend à rassembler toutes les choses positives quand on cherche à faire du lien social.
Aujourd’hui, nous avons beaucoup de relais de la culture ; nous avons plein de gens qui transmettent des cultures qui nous ont précédés et qui ont fait que nous les partageons aujourd’hui. Le lien culturel, c’est une rencontre entre une volonté de chacun et une volonté d’écoute.

G Revenant à la culture de masse, elle aurait tendance à créer de l’individualisme, alors que la découverte de nos différentes cultures, de nos différents pôles d’intérêt, crée de l’altérité, nous amène à découvrir l’autre dans sa différence et donc, au final, favorise, bien sûr, le lien social. La culture participe fortement à l’individuation et, pour cela, nous devons toujours avoir présent à l’esprit que la culture peut aussi être utilisée comme moyen politique.
Ainsi, en Europe, nous avons accepté, au milieu du siècle précédent, un formatage, une emprise commerciale sur notre culture cinématographique ; l’Europe qui s’est ensuite construite n’a rien fait, bien au contraire, pour valoriser ses propres cultures, celles des différentes Nations qui la composent. Il y a là un déficit de lien social. Que connaissons-nous réellement du cinéma allemand ou espagnol, du théâtre anglais ou italien, des différentes musiques européennes qui ne sont pas tombées dans le bouillon anglo-américain ? Nos plus grands vecteurs de culture que sont le cinéma et la télévision ont des objectifs d’abord financiers, leur but n’étant pas de créer du lien social avec la culture, leur but est de faire de l’audience.
Si créer du lien tend à uniformiser, à faire un déni d’altérité, cela ne correspond plus vraiment aux critères et à la définition de la culture. « Je ne veux pas que ma maison soit entourée de murs, ni que mes fenêtres soient calfeutrées. Je veux pouvoir sentir le souffle des cultures du monde entier. Mais je ne veux pas être dévoré par une bourrasque culturelle, d’où qu’elle vienne. » (Gandhi)
Faire régresser des cultures au profit d’une culture de masse, vouloir effacer la richesse des différences, aller vers une culture entonnoir, une culture de consommation, cela ne crée pas réellement du lien social ; nous sommes plus près parfois de l’aliénation.
Nombreux sont ceux qui pensent que la globalisation à laquelle on assiste présente le risque majeur de génocide culturel.

G Le fait d’avoir des activités et des préoccupations d’ordre culturel ouvre beaucoup sur les autres. Je me place déjà du point de vue de l’individu : la culture personnelle passe par l’ouverture à différentes connaissances ; elle est indispensable pour construire son identité ; elle aide à comprendre et soi et les autres.
Mais si des réflexes identitaires trop importants se mettent en place, cela peut conduire à une radicalisation de la pensée et à l’exclusion des différences. En cela, on pourrait dire qu’un excès de culture identitaire peut détruire le lien social. Je redirai, ce qu’on a souvent exprimé dans nos débats, qu’une nation très cultivée a pu devenir au siècle dernier la plus barbare.

G Aujourd’hui, 13 novembre 2013, c’est la journée de la gentillesse, qui participe du lien et de la culture, gentillesse à « cultiver ».
Il existe d’autres formes de débats que les cafés-philo ; ce sont, sur le Net, des wikis, des tchatches, des débats virtuels, et, là, culture et lien social ne se conjuguent pas réellement.
Pour moi, le débat, c’est comme ce soir, avec votre présence physique, avec la convivialité, nous sommes ensemble physiquement. On n’est pas des amis de Facebook, où l’on peut avoir 3000 « amis » et n’en connaître de visu que 23. Ce qui n’empêche pas Internet d’être parfois un apport culturel très intéressant.

G Certains éléments dans la culture favorisent le lien social, d’autres les distendent. Donc, il faut savoir préciser ce que chacun met dans ce mot culture.

G La culture, c’est quelque chose d’acquis, dans le sens où ce n’est pas inné. Cela ressort d’émotions et de sentiments. Il m’est arrivé de me retrouver dans des pays dont je ne connaissais pas la langue ; pourtant, avec des gestes, des mimiques se sont créées et parfois des liens que je n’ai pas retrouvés ailleurs, même avec des gens qui ont la même langue et la même culture que moi.

G Nous avons évoqué la culture de masse qui finalement n’apporte pas de lien social, qui peut créer l’individualisme et, voire, aller jusqu’à une forme d’aliénation. Ceci parce que j’ai l’impression que la culture est devenue marchande, un produit culturel : on vend Venise, les Pyramides, la Joconde, Platon à des consommateurs qui n’ont pas fait l’effort d’acquérir un minimum de culture préalable. Tout le monde a vu ces hordes d’asiatiques  qui ont une heure pour visiter le Louvre ou le château de Versailles et « font » l’Europe en une semaine. C’est catastrophique : ce n’est pas de la culture, cela ! Que leur restera-t-il après ce voyage ?
Ce sont là des consommateurs qui n’ont pas d’intérêt pour la tradition artistique de leur pays ou des pays qu’ils visitent. Ils vont de villes culturelles en villes culturelles, comme s’ils allaient à Disneyland. Là, c’est la culture de masse dans tout ce quelle a de négatif.

G La culture, c’est l’ouverture sur des sujets divers ; cela multiplie les chances de rapprochement des personnes sur des thèmes communs ; en cela, elle favorise la liaison. Pourtant, bien souvent, une différence de culture, de niveau culturel, peut entraîner l’incompréhension et des sentiments de rejet, tant de la personne cultivée que de la part de celle « qui le serait moins ». Il manque alors un lien, une passerelle, un terrain commun pour que les hommes se retrouvent.
Ce qui rapproche par la culture peut être du partage de connaissances communes ou d’une communion qui s’établit avec des êtres, ce que nous découvrons dans le roman de Léonor de Recondo : Pietra viva : Michel-Ange va tour à tour créer des liens d’estime avec les carriers qui lui fournissent le marbre pour le tombeau de Jules II et, dans un autre cadre, se créent des liens d’émotion, d’affection pure avec deux enfants et ce lien semble être le plus fort.
Par ailleurs, j’ai essayé de mettre le nez deux minutes sur Google et l’on s’aperçoit de l’importance du lien social sur le plan philosophique. Tous les philosophes s’en sont occupés  d’une façon très importante et beaucoup cherchent, comme Rousseau, Aristote, à fonder ce rapport dans la société et dans la cité. Aujourd’hui, cette idée du lien social se transforme avec Internet, avec la multiplicité des échanges. Mais la question se pose : s’agit-il toujours de relations valables et quelle est la valeur de ces relations ? Pratiques, commerciales ou spirituelles ?

G Nous voyons que la réponse à la question dépend essentiellement du sens que nous donnons au mot culture. Parce que ce mot a deux sens différents et, à la limite, opposés. A la base, il y a la culture de l’acquis, ce qui s’apprend. Donc, il y a culture d’une communauté et son lien social. Dans l’autre sens, nous sommes dans la culture générale. D’un côté, elle construit du lien dans une communauté et, de l’autre côté,  elle creuse le fossé avec toutes les autres communautés. La culture générale, on l’a dit, peut exclure, parce qu’il y a une culture de l’élite qui sélectionne.

G On a depuis le terme latin de la culture (« cultura »), les deux sens de la culture, agricole et humain, d’un champ cultivé à un homme cultivé. Dans les deux sens, il y a là l’idée de quelque chose que l’on sème, de quelque chose qu’on va récolter, quelque chose qui va pousser, enrichir, permettre de s’épanouir et de s’ouvrir. C’est le plus souvent un travail collectif (au moins dans l’agriculture traditionnelle). Cela renvoie à Voltaire : « Il faut cultiver son jardin » (Candide). Il y a plein de ces sortes d’images chez les philosophes.
Par ailleurs, il y a ce rapport ambigu entre le collectif et l’individuel. Se cultiver, s’instruire,  est souvent une démarche personnelle. C’est aussi la fameuse citation [attribuée à Edouard Herriot] : « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié ». On a souvent employé  le mot bagage culturel d’un individu et bagage culturel collectif de la société, d’une civilisation, d’une nation, comme un ciment auquel on adhère, une transmission, ce qu’on partage et qui nous appartient à tous. Dans une démarche culturelle, il y a des disciplines et des matériaux très variés. En puisant sur ce fonds commun, on peut choisir une démarche purement individuelle, alors que les pratiques culturelles sont du partage, notamment parmi les plus grands moments de la culture, et c’est dans ce partage que l’on trouve le plus de lien social ; on en revient à l’émotion et à l’enthousiasme évoqué lors d’un beau spectacle.

G Revenant à culture (kultur) et civilisation, on peut être très cultivé et pas très civilisé (autre approche).
Par ailleurs, on a évoqué culture et niveau social. Est-ce qu’il y a une culture élitiste, une culture dorée sur tranche, réservée à des initiés ? Est-ce que le fait d’habiter tel quartier, d’être dans une famille donnée, ne définit pas dès le départ les niveaux culturels ? Là, les liens sociaux vont-ils franchir les barrières ?
Quant à Internet, on le dit parfois aux antipodes d’un lien culturel qu’était, il y a plusieurs siècles, l’oralité. Cela pose la question : nos moyens de communication, depuis les veillées au coin du feu, font-ils régresser le lien social ?

G C’est peut-être parce qu’elle crée du lien social que la culture, j’entends, la culture en liberté, a souvent été redoutée, voire mise sous boisseau par toutes les dictatures. Le dictateur Franco, dans ses mémoires, écrit : « C’est en effet dans le tissu culturel que l’hydre subversive se recompose le plus rapidement, sous prétexte d’exercer une liberté d’expression et de critique.» Un demi-siècle plus tard, dans le même pays, la culture est encore mise en cause : lorsque la France défend son exception culturelle, le premier ministre espagnol d’alors, José Maria Aznar déclare, en 2004 : « L’idée de créer une exception culturelle française vient des pays dont la culture est en déclin. » (Source : « Exception culturelle ». Wikipédia). C’est peut-être justement parce que la culture crée du lien social, qu’elle est un obstacle au formatage intellectuel, que lien social et solidarité sont très proches, que la culture a si souvent fait l’objet d’attaques.
Dans le même ordre d’idées, concernant notre culture, on voit  dans certains pays d’Afrique francophones les intégristes qui favorisent l’enseignement de l’anglais et pas du français ; ceci parce que la langue anglaise est surtout un moyen, alors que la langue française est surtout une culture, une culture laïque et sans barrière.
Aujourd’hui, la culture continue d’être vue comme un obstacle à une idéologie, particulièrement la culture participant à une identité. Ainsi, pour ceux qui souhaitent une culture globale, un village global, sans nation, sans Etat, ou encore, une Europe fédérale, la  culture identitaire est assimilée au communautarisme, à un repli identitaire. Cela est résumé dans l’article d’Henri-Pierre Jeudy « Oublier son identité culturelle est une ouverture au monde », paru dans Libération du 15 août 2008 : « A force de considérer que chaque communauté a un droit de reconnaissance de sa « propre » culture, l’identité culturelle devient une pancarte qui circonscrit le territoire de l’autre pour empêcher le risque de contamination des cultures. […] Cette référence à l’identité culturelle prend toujours l’allure d’une résistance à l’universalité qui risque de conduire au « communautarisme » […]. Le désir d’oublier sa culture est une ouverture sur le monde […]. »

G Je me pose la question : à quoi sert la culture qu’on garde pour soi ? Je rejoins aussi ce qui a été dit quant au risque d’exclure ; la culture doit avoir pour ligne l’amour de l’autre, le désir de partage, le respect de l’autre pour ne pas (éventuellement) l’humilier. Malheureusement, on peut voir des personnes qui se disent très cultivées et qui ne sont pas pour autant intelligentes, qui étalent leur savoir pour humilier.
A ce propos, j’ai pensé à la fable de « La cigale et la fourmi » en écrivant ce texte :
L’insouciante [la cigale] et la revêche [la fourmi] :
Afin de nourrir son corps, l’insouciante chanta tout l’été, laissant son esprit inassouvi et affamé. Mais son manque de culture la laissa démunie et fort chagrinée. Elle alla crier famine chez Revêche, la voisine expérimentée, la priant de lui prêter quelques grains de connaissance qui lui tiendraient lieu de semences pour qu’à la saison nouvelle, la culture ayant germé, elle soit en confiance pour braver la société. Mais Revêche n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut.
– Que faisiez-vous au temps chaud ?, demanda-t-elle à l’insouciante emprunteuse.
– Je chantais, répondit-elle.
– Ah ! Vous chantiez ! J’en suis fort aise ! Eh bien, dansez maintenant !
Donc, la morale nous dit qu’il y a ceux qui possèdent des connaissances, mais qui ne sont pas prêt à les partager avec n’importe qui.

G A propos de ceux qui étalent leur culture, rappelons la célèbre citation humoristique : « La culture, c’est comme la confiture : moins on en a, plus on l’étale ! »

G Musique et culture sont deux langages très différents. Je pense que nous sommes tous des êtres pluriculturels ; on parle plusieurs langues dans le sens où l’on « parle » plusieurs cultures. Je parle les langues, la philosophie, la religion, les sciences, la politique, les arts, etc. En ce sens mon identité est faite de plusieurs apports culturels.
On a dit qu’il peut y avoir dans le domaine de la culture des formes de mépris envers la classe dite « ouvrière » de la part de gens cultivés, mais cela peut exister dans l’autre sens et je peux témoigner du mépris envers les intellectuels parfois ou la culture bourgeoise. La culture n’est le privilège d’aucune classe sociale et on peut venir d’une classe sociale défavorisée et accéder à la culture, notamment grâce à l’école communale et aux études pour tous… Il existe des « élites populaires », par exemple.
Personne n’est à l’abri de l’exclusion culturelle par une autre culture, ce qui ne favorise pas le lien social. La seule solution, comme on l’a dit, est d’aimer mieux, de partager la culture au-delà des apparences. On ne doit pas faire de complexe de classe, car il y a, là aussi, égalité en dignité et en droits, comme le dit la déclaration universelle des droits de l’homme.  Mieux on se connaît, mieux on connaît sa spécificité culturelle et plus il est facile d’admettre celle des autres et d’échanger avec d’autres personnes qui connaissent bien leur propre culture, à condition d’être dans l’écoute mutuelle, l’échange, le dialogue, et d’éviter le sectarisme… Quand on se connaît, l’autre est ipso facto moins menaçant et on peut aller au devant de lui.

G Le poème de Florence :

Dictature

Je suis à l’abri dans ma culture
Fluctuat nec mergitur
Et dans mes rêves d’apparatchik
Je suis roi de la nomenclature
Je donne l’imprimatur
Je suis le grand flic de l’art public
Rien ne m’échappe, j’ai mes indics
J’ai le « la » de la critique
Eclectique de la monoculture
Pensée unique de la fracture
J’y pige que pouic, mais j’ai mon trafic
C’est moi qui dicte la juste éthique
Et je n’ai rien d’une dictature !

G Dans certains cas la culture peut renouer le lien social. On voudrait que l’accès à la culture soit la même pour tous les enfants. Hélas, ce n’est pas toujours vrai, car l’accès à la culture est bien souvent déterminé par le milieu social, familial, géographique. L’enfant dont les parents voyagent beaucoup, vont au théâtre, au musée, va partir dans la vie avec un meilleur bagage culturel. Cette inégalité là, on a du mal à la supprimer, et c’est pour cela que Malraux a voulu créer des maisons de la culture, pour effacer le plus possible les différences à ce niveau.

 

La ronde. Matisse. 1909. Musée de l'Ermitage. Saint Petersbourg

G Le milieu familial ne garantit pas une égale culture. Je suis d’une famille de huit enfants, nous avons fréquenté les mêmes écoles, fait pratiquement les mêmes études, mais nous n’avons pas le même niveau culturel. Je pense qu’en plus du milieu, il y a peut-être les gènes et surtout la curiosité de l’individu.

G De Schopenhauer à Durkheim, le monde est, existe dans les représentations que nous en avons. La culture crée depuis toujours ces représentations ; elles sont héritées, ou acquises, en création permanente, et partagées comme la littérature, la musique, la poésie, le cinéma, etc. Elles sont cet héritage commun qui crée un lien entre nous, lien qui se renforce dans tous les moments de partage. Durkheim, qui a surtout étudié le lien social dans le cadre du travail, nous dit néanmoins que : « Les représentations collectives sont le corps des représentations qui expriment la façon dont le groupe se pense […]. Elles sont les dépôts et transmetteurs de l’expérience collective, et donnent une densité morale au groupe.»
Je ne vois pas la culture comme élitiste ou comme un produit de consommation ; je la vois, je la souhaite plutôt comme un lien entre les personnes. Je suis un fervent militant du partage culturel.  On rencontre toujours quelqu’un qui en sait beaucoup plus que vous. Quel plaisir et quelle stimulation cela peut activer ! Cela peut réactiver le besoin de savoir et d’apprendre.
Partager ce bien commun qu’est la culture, c’est la rencontre de cet autre « je », cette complétude sans qui je ne pourrais goûter pleinement les plaisirs de ma culture. Dans ce monde où l’individu se sent parfois en déshérence, le fait de partager une histoire commune le rassure, le conforte, lui confirme son appartenance à un groupe. Ce qui nous est commun établit notre sociabilité et tous ces partages créent le « nous » social.
Plus on sait, plus on comprend ce monde, plus celui-ci prend de l’attrait. La culture, avons-nous dit, est cette richesse en partage ; en cela, elle appartient et se trouve en chacun. « La culture », nous dit le philosophe Michel Onfray [France Info, 21 octobre 2013], « n’est pas un marqueur, elle réunit » ; elle crée de l’altérité, créant et favorisant le passage du « je » au « nous ».

 

 

 

 

 

 

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