Les guerres sont-elles inévitables?

Restitution du débat du café-philo du 12 novembre 2014 à L’Haÿ-les-Roses
Arnold Böklin. La guerre. 1896. Staatliche Kunstsammlungen Gemäldegalerie. Dresde
Arnold Böklin. La guerre. 1896. Staatliche Kunstsammlungen Gemäldegalerie. Dresde
Introduction : Edith Deléage-Perstunski, philosophe
Quand j’ai proposé cette question à la réflexion et à la discussion, il a deux mois, à l’issue du dernier café-philo, la guerre me paraissait, hélas, linévitable. L’avenir de notre civilisation, avec aussi bien celle de l’Etat israélien contre l’organisation armée du Hamas, que celle de ceux qui se réclament de l’Etat islamique pour massacrer  par centaines de milliers des personnes qui ne font pas allégeance à leur dogme et aussi celle de la Russie à l’encontre de peuples qui revendiquent leur indépendance, tout cela faisait craindre la guerre.
Et puis, il y a eu, en octobre, sur la chaîne de télévision ARTE, un cycle d’émissions sur la civilisation dominée par le système de production capitaliste, en liaison avec des essais de philosophie contemporaine, notamment ceux de Bernard Stiegler sur les origines et l’avenir du capitalisme. Ces émissions ont souligné que les guerres sont des moteurs de notre civilisation, parce qu’elle est régie par la concurrence, pour assumer la compétition, aussi bien entre les Etats, qu’entre les entreprises, qu’entre les individus…
Alors la question est de savoir si la guerre est le propre de la civilisation régie par la compétition ou l’essence de toute civilisation humaine. C’est la question  que  le philosophe Hegel, au 19ème siècle, a théorisée dans « la dialectique du maître et de l’esclave » dans la Phénoménologie de l’Esprit.
Les individus, comme les Etats, sont animés du désir de reconnaissance ; tout être humain, pour exister, désire
que ses valeurs et ses projets soient reconnus. C’est pourquoi, chacun désire être le maître de l’autre, qui doit le servir, qui doit être au service de ses projets ou de ses ambitions et reconnaître ses valeurs comme des valeurs pour tous.
Autrement dit, le conflit est inévitable entre les humains qui sont sans cesse à la recherche d’une reconnaissance de ce qu’ils veulent être. Toutes les relations sociales (de couple, de groupe, de nation, d’Etat) sont marquées par ce désir de reconnaissance de soi et donc par le conflit, et cela  n’aura pas de fin.
Il y a d’autres thèses philosophiques qui soutiennent le même point de vue en se disant tout simplement  réalistes et en confirmant le sens commun : s’il y a des guerres, c’est parce que « [à l’état de nature,] l’homme est un  loup pour l’homme », écrivait [dans le Leviathan] Thomas Hobbes (philosophe moderne du 17ème siècle).
De même, Sigmund Freud, après les horreurs de la Première Guerre mondiale et notamment dans son essai de 1915 Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (intégré dans son recueil Essais de psychanalyse), a fait l’hypothèse que le psychisme humain est animé de deux pulsions, la pulsion de vie – Eros, et la pulsion de mort – Thanatos, donc que tout être humain a, en lui, le désir de meurtre, le désir de faire mourir l’autre.
Je pense cependant que ces thèses et ces prétendues évidences ont une limite : elles confondent « violence » (naturelle à l’homme) et « guerre » (liée à la civilisation). Des recherches récentes d’anthropologues permettent de les distinguer, de distinguer la violence armée de la guerre, qui est la forme institutionnalisée de la violence.
Le numéro spécial de  la revue Sciences humaines d’octobre 2014 rapporte, dans un dossier consacré aux « origines de la guerre », des conclusions de recherches anthropologiques liées à des fouilles archéologiques, qui portent sur des sépultures, des armes, des uniformes, des ruines, des charniers, de la Gaule à la Seconde Guerre mondiale, et qui ont pour but d’étudier les conditions dans lesquelles ont eu lieu les combats et les massacres. Cette archéologie montre que la violence armée (qui n’est pas la guerre) est aussi ancienne que l’homme. Les plus anciens indices d’agressions ont été relevés sur des ossements de Néanderthaliens et sont, à coup sûr, attestés, dès les phases anciennes du Paléolithique supérieur, environ 25.000 ans avant notre ère.         Mais la violence appliquée en nombre et les conflits institutionnalisés entre groupes humains (c’est-à-dire la guerre), apparaissent avec le style de vie villageois : le Néolithique a inventé le champ de bataille. Des ethnologues, comme Pierre Clastres, qui a étudié, dans les années 1970, des sociétés sans Etat (comme certaines sociétés encore contemporaines de chasseurs cueilleurs en Amazonie, par exemple), ont souligné que certaines étaient pacifiques, que d’autres étaient guerrières, que donc la guerre n’est pas affaire de nature humaine, mais affaire de culture.
Il y a plusieurs  types de guerre. J’ai travaillé avec  l’ethnologue Robert Jaulin, qui, dans les années 1980, a fait valider, par le tribunal Russell le terme d’ « ethnocide » pour caractériser la guerre (qu’il appelait « la paix blanche ») menée, par les Européens aux Indiens d’Amérique latine. La guerre ethnocidaire, qui consiste à annuler, jusqu’à éradiquer les moeurs et coutumes de certaines sociétés, est tout autant un « crime contre l’humanité » que le « génocide » qui consiste à exterminer à la racine un peuple tout entier.
Ainsi, sous ses différentes formes, la guerre est un fait de civilisation : les anthropologues soulignent même que le développement de liens d’échange accentue le risque de guerre. Nous combattons les gens avec lesquels nous échangeons et nous échangeons avec les gens que nous combattons.
L’une des raisons est la proximité : il est plus facile de tuer le voisin que quelqu’un d’éloigné. L’autre raison tient à une constante historique et ethnographique : les disputes commerciales et les querelles résultant de mariages sont des sources très prolifiques de conflits et de vendettas. Plus des groupes interagissent, plus il existe de probabilité qu’ils se déclarent la guerre. Lawrence H. Keeley, anthropologue à l’université d’Illinois et auteur notamment du livre Les guerres préhistoriques [War before civilization, paru en 1996], a cette réflexion étonnante, en liaison avec ses recherches : « Je suis persuadé que la guerre existe non pas parce que nous serions naturellement violents, mais plutôt parce que nous sommes très intelligents, mais malheureusement pas assez intelligents pour ne pas la faire ».
Donc, la guerre est un fait de civilisation et a fortiori lorsque la civilisation est axée sur la compétition pour le profit. Comme on dit maintenant, il y a une culture de la guerre dans notre civilisation et a fortiori dans sa forme capitaliste. Cela nous remémore le jugement de Kafka : « La guerre est un prodigieux manque d’imagination. » Une civilisation où se multiplient les guerres est une civilisation sans imagination, sans inventivité pour elle-même et son futur. Elle n’a d’imagination que pour diversifier les guerres.
Notre civilisation en est arrivée au point où les humains veulent toujours plus de droits et c’est en ce sens qu’ont été mis en place la Société des Nations (SDN), prélude de l’ONU, et ses différentes instances, et aussi que les crimes de guerre ont été distingués des crimes contre l’humanité et que la peine de mort a été abolie dans certains pays. C’est ce qui peut se passer dans l’étape actuelle où dominent les guerres asymétriques, c’est à dire d’Etats armés contre des guérillas de fous de Dieu.
Mais, pour que le droit l’emporte, la condition est que se développe la démocratie. Ce n’est pas une utopie : c’est à notre portée. Cela nous implique chacun personnellement : veiller en permanence à ce qu’il n’y ait pas de manquement à la démocratie, « participer à », voire  proposer des réformes qui vont dans le sens de son approfondissement, modifier nos comportements, aussi dans ce sens (réaliser l’égalité entre tous et toutes, laisser la parole circuler, favoriser les prises de parole, cultiver l’argumentation, refuser les arguments d’autorité, etc.). Ce n’est pas une vue de l’esprit. Cela peut concrètement se faire.  Certes, la violence est en chacun de nous, mais aussi l’aptitude à coopérer et à communiquer pour atteindre des objectifs communs,  être solidaires et partager nos désirs. Sur la chaîne de radio France Inter, tous les jours à midi et demi, l’émission Carnets de campagne fait connaître de tels comportements individuels et collectifs dits alternatifs.
Donc, certes la guerre est une institution aussi ancienne que la civilisation humaine, mais aucune institution
n’est éternelle. L’esclavage est une institution fort ancienne également et nul ne prétend qu’il sera avec nous jusqu’à la fin des temps.
Enfin, l’Europe unie n’est pas la cause de la paix, mais sa conséquence : les démocraties ne se font pas la guerre.
Je terminerai par notre responsabilité. Jusqu’à présent on considérait quelqu’un comme responsable seulement d’actes passés dont il était reconnu être l’auteur et qu’on pouvait dès lors lui imputer. Hans Jonas, dans Le Principe Responsabilité (publié en 1979), conçoit au contraire une responsabilité tournée vers le futur lointain. Quelque chose nous est confiée qui est essentiellement fragile. L’objet de la responsabilité, affirme Jonas, c’est le périssable en tant que tel. Il peut alors s’agir de la vie ou de l’équilibre de la planète. Mais il s’agit aussi de la démocratie. La démocratie est fondamentalement périssable. Sa survie dépend de chacun de nous.
Je terminerai par une sorte de syllogisme :
Quand il y a démocratie, la guerre est évitable.
Quand il n’y a pas de démocratie, la guerre n’est pas évitable.
Quand  et là où il y a des guerres, il n’y a pas de démocratie.
Débat : G On peut tenter de définir brièvement les moteurs de la guerre ainsi : Primitivement, pour la nourriture : les hommes préhistoriques se sont battus à mort pour une poignée de glands. Puis, lutte pour les abris, un territoire, les compagnes (puisque, la plupart du temps, ce sont les hommes qui ont fait la guerre). Puis, je listerais globalement en quatre grands points :
1°) L’ambition d’un homme, d’un groupe d’hommes, d’un peuple, d’une nation, parmi lesquels se détachent
dans l’Histoire : Alexandre le Grand, César, Napoléon, Hitler…, les grandes guerres de conquête.
2°) L’égoïsme et l’envie concupiscente chez un homme, un groupe qui veut s’accaparer le territoire et les richesses d’autrui. Cela donne également les guerres de conquête, l’or de nouveau monde ou, plus près de nous, les guerres pour les ressources énergétiques.
On peut développer cette voie par la guerre économique qui se livre aujourd’hui, non pour le bien-être des peuples, ainsi qu’on cherche à nous le faire accroire, mais pour la recherche maximale du profit, une guerre qui fait aussi nombre de victimes.
3°) La haine envers une catégorie d’individus, qui entraîne des guerres ethniques, des génocides, la dernière étant le Rwanda.
4°) Les croyances. Des guerres pour imposer un modèle politique, pour imposer une croyance religieuse.
L’Histoire est remplie de guerre de religion, de croisades meurtrières. Aujourd’hui encore, la  grande menace d’une terrible guerre a encore ses fondements dans la religion.
Penser qu’on puisse éradiquer, éviter, les guerres tient à mon sentiment, hélas, d’une dangereuse naïveté, d’une utopie totale. Des penseurs, des philosophes ont pu imaginer, espérer que les hommes finiraient par ne plus se faire la guerre. Ce fut la belle utopie de Kant et des philosophes des Lumières, qui pensaient qu’une fois les hommes tous éduqués, libérés des croyances religieuses mortifères, une fois les principes de Liberté, d’Egalité et de Fraternité établis, les hommes ne se feraient plus jamais la guerre. Les Lumières ne savaient pas combien l’avenir était sombre. Sombre et meurtrier.
G Nous avons évoqué les guerres pour les matières premières, les guerres de territoire, de colonisation, de populations qui veulent s’étendre. La politique est aussi un univers, un facteur de guerre. Il y a aussi des guerres sociales, celle de pays nantis contre des pays en voie de développement. A chaque fois, dans une guerre, il y a quelque chose qui revient, c’est le besoin de s’approprier des biens de l’autre.
Je pense que ces attitudes-là sont basées sur l’envie, mais aussi sur la jalousie. Quand les gens sont jaloux, ils sont tout à fait prêts à haïr et à nuire. Le conflit est au niveau individuel, comme au niveau collectif. Au niveau individuel, ce serait plus un problème de violence et, au niveau collectif, plus un problème de civilisation.
Il n’empêche que quand on est soi-même en proie à des pulsions violentes, on sera beaucoup plus vulnérable ; quand on nous demandera de partir à la guerre, on sera plus près d’accepter que les dirigeants nous disent : « Il faut se battre ! », « Il faut y aller ! »
Il y a des gens qui sont résolument non-violents, ils ne se battent jamais. Si on les envoie de force à la guerre, ils ne tireront pas. D’autres ne demandent qu’à aller au conflit.
G Dans les solutions possibles, il y a les organisations institutionnelles qui peuvent progresser. Après les crimes de guerre, crimes contre l’humanité de la Seconde Guerre mondiale, des tribunaux internationaux se sont mis en place. Ces institutionnalisations de la paix n’en sont qu’à leur commencement.
Le sujet m’a fait penser à « La guerre de Troie », où les peuples, à partir de l’enlèvement d’Hélène, se sont coalisés pour faire la guerre, des nations se sont alliées par un pacte. Agamemnon et les rois grecs illustrent la première institutionnalisation de la guerre (même si nous sommes dans la mythologie).
On commémore la guerre de 1914-1918, une guerre qui commence par un assassinat, puis un jeu d’alliance, qui mène à une catastrophe mondiale : « la grande boucherie ». Maintenant, on a réfléchi à la coopération des nations et, en dehors de toute mécanique guerrière, on a contré des guerres.
G Lorsqu’une guerre se termine, les hommes se promettent qu’ils ne se feront plus la guerre.
Après le « grande boucherie » de 1914 – 1918, on entendait : « C’est la der’ des der’ ! » Puis, moins de trente plus tard, après un autre carnage, on entendra : « Plus jamais ça ! »
On croit avoir coupé tous les bras de l’hydre et chaque fois il en repousse un. L’état de guerre est en l’homme.
G La guerre est le propre des civilisations guidées par la compétition, j’en suis d’accord. Je reviendrai sur la préhistoire. Au Paléolithique, on n’était que dans la cueillette, mais au Néolithique, c’est l’avènement de l’agriculture, il faut garder les provisions. C’est quand les hommes ont de « l’avoir » que naissent les conflits ; il faut défendre ce que l’on a ou aller prendre chez l’autre ce que l’on n’a pas. Cela amène de nos jours a des sociétés de compétions, compétitions entre les entreprises et mise en compétition de tous les salariés du monde entre eux, une autre forme de guerre, qui fait des victimes.
Aujourd’hui donc, les guerres, ce n’est plus avec des armes, c’est la guerre économique, avec des règles que se
sont données ceux qui ont le pouvoir économique, pour se mettre, au-dessus des gouvernements, avec des règles pour le profit maximum, rapide, sans s’occuper des dégâts.
Nous déplorons souvent les guerres dont avons semé les germes et où nous avons une large part de responsabilité ; c’est le Liban, L’Afghanistan, la Libye et, aujourd’hui, l’Ukraine.
Alors, face à cette guerre économique, qu’est-ce qu’on peut faire pour que la guerre change de camp ? Pouvoir parler ouvertement des toutes les responsabilités dans les guerres peut faire reculer la guerre.
G Le problème des guerres est très complexe. Si nous essayons de résumer un peu tous les points de vue qui ont été exprimés jusqu’à maintenant, on peut en déduire qu’on a trouvé deux partis : celui qui donne la guerre comme le propre de l’être humain et celui des solutions idéalistes.
Il y a une autre position qu’on peut nommer matérialiste. C’est-à-dire de trouver les raisons des guerres dans
la réalité économique, sociale et politique. Les historiens considèrent qu’il est impossible de séparer les guerres de la politique, de l’économie et de la culture.
Par exemple, prenons « La Grande Guerre », dont on a dit que la cause essentielle était dans l’Europe ; les monopoles, le capitalisme allemand s’était développé beaucoup plus rapidement que les monopoles anglais qui auparavant commandaient sur le monde. Mais l’évolution de l’Allemagne inquiétait beaucoup. L’Allemagne avait des grands besoins de matières premières, besoin de marchés pour continuer son évolution.
Mais il se trouve que le monde s’était réparti les colonies. En cherchant de l’espace vital, ils ont déclenché la guerre la plus sanguinaire.
Par ailleurs, nous voyons aujourd’hui même que les médias cherchent à mettre dans nos têtes que notre civilisation est en danger et qu’il n’y a que deux solutions : ou bombarder avec les Etats-Unis ou laisser faire, laisser s’installer l’état islamique, Daesh. C’est un dilemme, c’est blanc ou noir. Est-ce que l’esprit philosophique peut accepter cela ? La pression économique, la politique, l’intelligence doivent éviter la destruction totale.
G La Guerre de 1914-1918 était-elle inévitable ? Cette question est posée actuellement avec la commémoration de cette guerre. C’est le 4 août 1914 où tout a basculé. Si on reprend les dix jours précédents, dans la situation politique d’alors, la section internationale ouvrière avait une grande place dans la vie politique, avec Jaurès, avec une centaine de députés au Parlement, tout comme en Allemagne. La section allemande de la deuxième internationale, c’est un grand parti.
Que s’est-il passé ? La section allemande s’est formée dans les années 1895 et la section française vers 1905. Des années 1905 à 1914, ces deux partis se réunissaient en congrès et votaient ensemble, c’était alors : « Jamais la guerre ! » ou « Jamais on ne votera les crédits d’une guerre ! » ; on combat la bourgeoisie, le capitalisme, les maîtres de forge, etc. Et c’est bien ces mêmes parlementaires qui, le 4 août 1914, vont voter en Allemagne comme en France les crédits pour la guerre. Il y a eu basculement. Pourquoi ?
Il y a une analyse qui dit que ces sections ont vécu dans un système capitaliste qui avait prodigieusement développé les forces productives, avec bien entendu le confort individuel. Peu à peu, le phénomène dit de « parlementarisme » a fait que ces gens-là se sont élevés dans la classe sociale ; c’était « l’aristocratie ouvrière » ; ils ne voulaient pas remettre en cause le système, le pouvoir. (Lire sur ce sujet le livre de Jean-Claude Lamoureux : Les dix derniers jours. 26 juillet – 4 août 1914.)
Le 27 juillet, il faisait très chaud à Paris ; il y a eu une manifestation ouvrière contre la guerre à l’appel de la CGT de la Seine ; 70 000 ouvriers manifestent, mais les représentants de la SFIO ne sont pas là. Le 31 juillet, Jaurès exulte encore contre la guerre, mais son propre journal n’a pas appelé à manifester.
Jaurès sera assassiné, car il aurait pu cristalliser l’opposition à la guerre. Là où il y a la guerre, il n’y a pas de démocratie. Il peut y avoir d’autres 4 août, parce qu’aujourd’hui nos députés votent des crédits de guerre. On doit l’avoir présent à l’esprit.
G Parmi les guerres, en-dehors de celles déjà citées, j’ajouterai la guerre psychologique, celle pratiquée sur des individus désarmés. C’est le harcèlement moral ou sexuel, avec des violences verbales, des humiliations.
C’est la guerre pour soumettre. Il y a des guerres qui me paraissent évitables et d’autres inévitables. Il y a des guerres légitimes et des guerres illégitimes. Dans les guerres légitimes, c’est souvent quand les hommes prennent les armes comme seul et dernier moyen contre des pouvoirs tyranniques. Face à la dictature, les hommes sont obligés, un jour ou l’autre, de prendre les armes.
Les guerres économiques, celles-là pourraient être évitées ; on ne peut pas les classer dans les guerres légitimes.
G La démocratie dans la guerre, cela ne tient pas. Quand, dans un démocratie, un soldat refuse la guerre, il est puni. Un militaire (en retraite après quinze ans d’armée) disait : « Tant qu’il aura des fabricants d’armes, il faudra bien écouler ces armes. » Si vous voulez vous enrichir,  prenez des actions dans une entreprise qui fabrique des armes, ce sont des stocks qui tournent vite.
Dans tous les derniers conflits, les armes, les munitions, proviennent des mêmes fournisseurs. En conclusion, tant qu’il y aura des usines d’armement, il y aura des guerres.
G Je pense aux guerres d’honneurs, les vendettas d’un pays contre un pays, d’une famille contre une autre famille. Quand les Corses vont-ils se débarrasser de cela ? C’est la vengeance qui se perpétue.
G J’ai bien entendu qu’il fallait faire un distinguo entre violence et guerre, en partant du principe que la guerre était une institutionnalisation de la violence sociale. Parce que pour institutionnaliser quelque chose, il faut l’institutionnaliser dans les esprits et, pour cela, il faut  manipuler les esprits.
Avec la question « Comment éviter les guerres ? », on peut ajouter : « Comment éviter qu’on puisse nous faire croire que les guerres sont inévitables ? » Parce qu’on subit continuellement un lavage de cerveau. On a institutionnalisé une propagande. Edward Bernays a écrit un ouvrage sur ce sujet en 1928 : Propaganda ; il a combiné les travaux sur la psychologie des foules et la psychanalyse de Freud (dont il est le neveu, par ailleurs). Il va travailler sur : comment manipuler les esprits. Ses écrits seront utilisés par des firmes pour augmenter leurs ventes.
On ne cesse de nous manipuler, on nous ment. Ce fut le mensonge des armes chimiques de Saddam Hussein. On arrive souvent à nous faire croire, à cause de la haine de l’autre, à cause des débordements de la religion, que les conflits sont inévitables.
Or, il est dit dans l’acte constitutif de l’UNESCO que « les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. » C’est une question d’éducation.
Alors, comment lutter contre cette propagande de l’inévitable, comme le chômage, le trou de la Sécu, etc. ? On finit par la croire. C’est le subterfuge de la permanence des idées.
G On passe beaucoup de temps en ce moment à analyser les causes de la Guerre de 1914-1918, avec tous ses enchaînements, et comment les volontés de paix n’ont rien pu faire.
Alors, est-ce qu’on peut vraiment éviter les guerres par la volonté de paix ? La plupart du temps, les manifestations n’ont rien fait en ce sens (sauf peut-être pour le Vietnam). Les guerres modernes ont impliqué
des civils alors que les guerres anciennes étaient faites par des soldats de métier.
Voici un texte de Nicolas Machiavel tiré de L’art de la guerre : « Les rois jaloux de leur sécurité doivent donc composer leur infanterie d’hommes qui, au moment de la guerre, se consacrent volontiers, par amour pour
eux, au service des armées. Mais qui, à la paix, s’en retournent plus volontiers encore dans leurs foyers. Il faut, pour cet effet, qu’ils emploient des hommes qui puissent vivre d’un autre métier que celui des armes. Un roi doit vouloir qu’à la fin de la guerre ses grands vassaux s’en retournent gouverner leurs sujets, ses gentilshommes cultiver leurs terres, son infanterie exercer ses diverses professions, et que chacun d’eux enfin fasse volontiers la guerre pour avoir la paix et ne cherchât pas à troubler la paix, pour avoir la guerre. »
G Ce qui reste très difficile, c’est comment créer une volonté de paix, face à une volonté de guerre.
G Ne soyons pas fatalistes, pessimistes : nous avons vu un Président français et un Chancelier allemand se tenir la main pour commémorer la guerre franco-allemande. Nous avons créé « l’entente cordiale »  avec ceux qui étaient nos ennemis héréditaires, les Anglais…
On parle des guerres qui ont éclaté, mais pas de celles qui ont pu être évitées. C’est comme la chute de la tartine de confiture : on en parle seulement quand elle tombe du mauvais côté !
Rappelons que la SDN d’abord, puis l’ONU, ont évité et désamorcé bien des conflits.
G « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ! », a dit Anatole France.
G Il y a dissymétrie dans l’idée de guerre. Tel village au Néolithique qui voulait vivre en paix a du se défendre d’attaques. L’agriculture commence alors et il faut défendre son bien, les nourritures ou attaquer les autres si on en manque.
G Je suis toujours surpris que, dans nos démocraties, un seul homme puisse décider d’engager la guerre.
Par ailleurs, on se rappelle ce que nous dit Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. La source des conflits, de la guerre est dans la propriété : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : ceci est à moi, et  trouva assez de gens simples pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misère et d’horreurs n’eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux et comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à vous, que la terre n’est à personne. »
Je voudrais aussi parler des apprentis sorciers que sont certains de nos dirigeants politiques, et non des moindres, dans nos sociétés occidentales. Je pense à l’Afghanistan, je pense à la Libye, à la Syrie, à l’Ukraine, aujourd’hui, où sommes allés rallumer des querelles. Ces dirigeants ont souvent emmêlé les fils de l’Histoire, puis, ne sachant plus que faire, ils ont semé la guerre.
G Je voudrais illustrer la bêtise de la guerre avec le texte La paix d’Aristophane (en substance et de mémoire). Les hommes ont décidé de sortir, de libérer la paix de la caverne où elle était enfermée. La paix est revenue, et arrivent ceux qui se plaignent, comme le forgeron qui ne vend plus son acier pour faire des épées, le marchand
d’armures qui ne vend plus ses casques, puis viennent d’autres marchands qui eux se louent de la paix, comme celui qui déclare : « Depuis des années, je ne vendais plus de charrues ; ce matin j’en ai vendu cinq », et ainsi de suite. Plus loin dans la pièce, le marchand de casquesse plaint qu’il ne sait que faire de son stock ; il demande à l’assemblée qu’on le soulage. On lui répond qu’il n’a qu’à se débrouiller pour leur adapter deux anses ; comme ceci, il les vendra beaucoup plus cher !
G Il y a des invariants dans les guerres. On a dit des deux guerres mondiales qu’elles furent des guerres du capitalisme. On est en pleine crise du capitalisme ; tous les voyants sont au rouge. Il est des symptômes qui
précèdent les guerres ; alors, maintenant, comment éviter le conflit ?
G « En amour comme à la guerre, pour en finir, il faut se voir de près ! », a dit Napoléon.
G Le poème de Florence :
Quel fatras.
Nous partîmes cinq cents
Comme des matadors
Un p’tit peu agaçants
Joyeux et menaçants
Suivant comme un seulcorps
Un quelconque mentor
Qui clame en grimaçant
Des slogans bien retors
Nous versâmes trop de sang
Mais par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille
Plus un alligator
Cela peut-être utile
Surtout s’il est habile
La cause du désaccord
Etait dans le décor
Une question subtile
Qu’on comprend pas encor
On était tous fébriles
En arrivant au port
Tant, à nous voir marcher
Aller à l’abattage
Aussi bien harnachés
Se sont effarouchés
Ces sales nécrophages
On va faire un carnage
Vive le grand Duché !
Car c’est notre apanage
C’est l’ennemi tout craché
Avec un tel visage
Les plus épouvantés
Voyant notre esclavage
L’âme enrégimentée
Les mains ensanglantées
Fuyaient comme des nuages
En brûlant au passage
Tous les vergers plantés
Et tous les frais bocages
Et les châteaux hantés
Reprenaient de courage.
Livres et revue cités :
Phénoménologie de l’Esprit. Hegel. N.R.F.
Essais de psychanalyse, dont Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort. Freud.
Les guerres préhistoriques. Lawrence H. Keeley.
Le Principe Responsabilité. Hans Jonas
Les dix derniers jours. 26 juillet – 4 août 1914.  Du refus de la guerre à l’Union sacrée. Jean-Claude Lamoureux. Editions Les Nuits rouges. 2013.
Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie. Edward Bernays. Publié en France en 2007 par les Editions Zones.
L’art de la guerre. Machiavel. Editions Poche/ Essai.
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Rousseau.
La paix. Aristophane. GF/Flammarion.
Magazine : Sciences humaines n° spécial d’octobre 2014.
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