Blaise Pascal: savant, apologiste, et philosophe

Restitution du débat du 25 mars 2015 à Chevilly-Larue

Blaise Pascal

 

Animateurs: Edith Deléage-Perstunski, philosophe, Gunter Gorhan,
Guy Pannetier,  Danielle Vautrin.

Modératrice : France Laruelle

Biographie (Danielle Vautrin) : Blaise Pascal est un mathématicien, physicien, philosophe et moraliste français né à Clairmont (aujourd’hui Clermont-Ferrand), en Auvergne, le 19 juin 1623. Blaise Pascal perd sa mère, Antoinette Begon, à l’âge de 3 ans. Son père, Étienne Pascal (15881651), très intéressé par les mathématiques et les sciences, était conseiller du roi pour l’élection de Basse Auvergne, puis second président à la Cour des aides de Montferrand ; il décide d’éduquer seul ses enfants. Blaise Pascal avait deux sœurs, Jacqueline, née en 1625, qui deviendra religieuse à Port-Royal des Champs, haut lieu du Jansénisme, et Gilberte (née en 1620, mariée en 1642 à Florin Périer), qui lui survécut. En 1631, Étienne Pascal se rend avec ses enfants à Paris, alors que Blaise n’a encore que 8 ans. Il décide d’éduquer lui-même son fils qui montrait des dispositions mentales et intellectuelles extraordinaires. En effet, très tôt, Blaise a une capacité immédiate pour les mathématiques et la science, peut-être inspiré par les conversations fréquentes de son père avec les principaux savants de l’époque : Roberval, Mersenne,  Gassendi, et Descartes.
À onze ans, il compose un court  Traité des sons des corps vibrants et aurait démontré la 32ème proposition du Ier livre d’Euclide (concernant la somme des angles d’un triangle). Étienne réagit en interdisant à son fils toute poursuite de ses études en mathématiques Jusqu’à 15 ans, afin qu’il puisse étudier le latin et le grec. Sainte Beuve (dans son Port-Royal) raconte : « Je n’ai rien à dire des éléments de géométrie, si ce n’est que Pascal, qui les avait lus en manuscrit, les jugea si clairs et si bien ordonnés, qu’il jeta au feu, dit-on, un essai d’éléments qu’il avait fait lui-même d’après Euclide, et qu’Arnauld avait jugé confus; c’est même ce qui avait d’abord donné à Arnauld l’idée de composer son essai: en riant, Pascal le défia de faire mieux, et le docteur, à son premier loisir, tint et gagna la gageure. »
En
1638, Étienne Pascal, opposé aux dispositions fiscales du cardinal de Richelieu, quitte Paris avec sa famille pour échapper à la Bastille. Lorsque Jacqueline, sœur de Blaise, dit un compliment particulièrement bien tourné devant Richelieu, Étienne obtient sa grâce. En 1639, la famille s’installe à Rouen où Étienne devient commissaire délégué par le roi pour l’impôt et la levée des tailles. Dans cette ville, il fit la connaissance de deux gentilshommes jansénistes, qui le gagnèrent, lui et sa famille, à leurs doctrines. C’est alors, vers 1648, la première conversion de Pascal, c’est-à-dire sa conversion au jansénisme.
Les premiers travaux de Pascal concernent les sciences naturelles et appliquées. Il contribue de manière importante à l’étude des fluides. Il a clarifié les concepts de pression et de vide, en étendant le travail de Torricelli. Pascal a écrit des textes importants sur la méthode scientifique. Âgé de 16 ans, il écrit un Traité des sections coniques prometteur qui attire l’attention de Descartes.
À 18 ans, en 1641, il invente la première machine à calculer capable d’automatiser les additions et les soustractions, et, après trois ans de développement et cinquante prototypes, il la présente à ses contemporains. Dénommée machine d’arithmétique, puis roue pascaline et enfin pascaline, il en construisit une vingtaine d’exemplaires dans la décennie suivante. Certains sont aujourd’hui exposés au musée de Clermont-Ferrand et au musée des Arts et des Métiers à Paris.
En 1651, son père décède et sa sœur intègre l’abbaye de Port-Royal, ce qui la prive d’une part d’héritage. Ainsi, Pascal est un homme riche et vit dans une demeure en conséquence. Il fréquente les femmes et les cercles mondains.
En 1654, il met au point une résolution du problème des partis (dans les jeux de hasard), une méthode dont vont s’inspirer les sciences économiques et sociales modernes. Les autres inventions de Blaise Pascal incluent la presse hydraulique, la brouette [du moins sa théorisation et son amélioration] et le haquet. Le duc de Roannez fait appel à lui pour participer aux travaux d’assèchement du marais poitevin et à l’installation d’une ligne de transports en commun.
Après une expérience mystique qu’il éprouva à la suite d’un accident de carrosse en octobre 1654, il se consacre à la réflexion philosophique et religieuse. Il écrit pendant cette période Les Provinciales et les Pensées, dont le titre original était Apologie de la religion chrétienne, visant à défendre la foi chrétienne, ces dernières n’étant publiées qu’après sa mort qui survient deux mois après son 39 ème  anniversaire, alors qu’il a été longtemps malade (sujet à des migraines violentes en particulier). Pascal aborde de nombreux paradoxes philosophiques tels que l’infini et le néant, la raison et la foi, la vie et la mort, l’âme et la matière… Cette œuvre n’est publiée qu’au XIXème siècle.
Louis XIV a interdit le mouvement
janséniste de Port-Royal en 1661. En réponse, Pascal a écrit un de ses derniers travaux, Ecrit sur la signature du formulaire, recommandant instamment aux Jansénistes de ne pas le signer. Plus tard au cours de cette année, sa sœur Jacqueline meurt, ce qui convainc Pascal de cesser sa polémique à propos du jansénisme.
En
1662, la maladie de Pascal est devenue plus violente. Conscient du fait qu’il a peu de chances de survivre, il songe à trouver un hôpital pour les maladies incurables, mais ses médecins le déclarent intransportable. Le 17 août 1662, à Paris, Pascal a des convulsions et reçoit l’extrême onction. Il meurt le matin du 19 août, au no 8 de la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont (devenue le no 2 de la rue Rollin), ses derniers mots étant : « Puisse Dieu ne jamais m’abandonner !» Il est enterré dans l’église Saint-Etienne du -Mont. L’autopsie pratiquée après sa mort révélera de graves problèmes stomacaux et abdominaux, accompagnés de lésions cérébrales. Malgré cette autopsie, la raison exacte de sa santé chancelante n’est pas connue.

 

 

Contexte politique, social et culturel (Guy Pannetier):
Alors que cela peut nous paraître anecdotique, les querelles religieuses occupent à l’époque de Pascal une place importante, même dans le domaine politique. Les blessures  des sanglantes guerres de religion du siècle passé se cicatrisent, mais les théories de la Contre-réforme sont encore présentes et les Jansénistes vont rallumer le feu de la discorde dans l’Eglise.
Ainsi, Richelieu, qui passe des accords stratégiques avec les princes protestants de l’Europe, prendra résolument position contre les amis de Pascal, les Jansénistes, qu’il considère comme des absolutistes religieux, et, de plus, proches d’acteurs de la Fronde. Nous sommes encore dans une époque où pouvoir temporel et pouvoir spirituel sont les deux rênes pour mener le peuple, donc ce qui déstabilise l’Eglise déstabilise le pouvoir royal.

L’Eglise cherche à élargir son audience, à être plus accueillante. Les Jésuites, qui depuis quelques décennies font de nouveaux adeptes dans les pays lointains, ont donc un fort appui à Rome, mais leurs écrits sont de plus en plus teintés d’un grand relativisme.
L’ordre social est très important pour l’Eglise. Ainsi Pascal va-t-il, avec la coutume et les apparences, relativiser les rôles sociaux ; ce sera les Discours sur la condition des grands. De même, Pascal a connaissance des écrits de l’anglais Thomas Hobbes qui reprend et adapte la théorie déjà évoquée par les Grecs du contrat social.
Par ailleurs et surtout, il a connaissance des écrits des philosophes dits « les libertins » ou « libertins érudits ». Ce courant philosophique venu d’Italie qui réintroduit les pensées philosophiques des Grecs  et des Latins ; et de plus fait connaître l’œuvre de Montaigne.
L’Eglise sent le danger dans cet éveil de « la libre pensée ». Ces derniers seront les ennemis déclarés de Pascal, qui va fustiger leur curiosité intellectuelle, leur désir effréné de savoir.
La sœur de Pascal va prendre fait et cause pour les Jansénistes, puis Pascal, ayant eu une nuit d’extase, où il s’est trouvé « illuminé », va rejoindre les gens de Port-Royal et se faire l’avocat de leur cause. Cette nuit « d’illumination » n’est pas sans rappeler l’épisode de Descartes et du coup de chaleur qui déclencha chez lui comme une « révélation ».
Depuis la seconde moitié du 16ème siècle déjà, avant Pascal, de très nombreux écrits circulent, écrits qui utilisent déjà l’argument du pari et d’autres thèmes que Pascal va faire passer à la postérité.
La grande querelle tourne déjà autour de ce binôme « foi et raison ». Ceux qui, tel Pascal, se réfèrent à Saint Augustin disent qu’il faut commencer par croire, s’agenouiller, prendre de l’eau bénite. D’autres, plus proches de Saint Thomas, veulent qu’on arrive à la foi par la raison, même si, au final, elle doit inévitablement se plier à la foi.
Bien avant la publication des Pensées, l’apologiste, le père Yves de Paris, écrit * à propos des incroyants, des athées: « Il faut secouer l’incroyant, il faut rabaisser sa superbe, briser son orgueil, le forcer, le contraindre jusque dans ses derniers retranchements. Il faut lui faire prendre de l’eau bénite, l’agenouiller, le faire agir en bête, afin qu’un jour il puisse agir en fils de Dieu. » Propos que nous allons retrouver presque mot pour mot chez Pascal.
*(Pascal et ses précurseurs. Julien-Eymard d’Angers. Page 57)
Lorsqu’on a eu une fois le courage de lire dans leur intégralité ces fastidieux ouvrages de Pascal que sont les Pensées et Les Provinciales, on peut être surpris que cet auteur ait été retenu comme un acteur de l’histoire de la philosophie, et c’est d’ailleurs l’objet de nombreux écrits
C’est qu’au-delà de tout ce propos destiné à une œuvre non réalisée par Pascal, qui eut été « l’apologie de la chrétienté », les constats à partir de notre condition humaine vont servir de modèle pour la réflexion de nombre de philosophes à venir.
Pascal sera tout à la fois : savant (l’histoire des sciences retiendra, entre autres, la première machine à calculer, la « pascaline », puis ses études et son expérience sur la pression atmosphérique, sans oublier tout son apport dans le domaine des mathématiques) ; il sera   apologiste,  polémiste, dans sa lutte épistolaire contre les Jésuites dans Les Provinciales ; il sera aussi, à la fin de sa vie, un mystique, et il est classé parmi les philosophes, même si, paradoxalement, pour lui la philosophie ne méritait même pas qu’on lui consacre une seule heure.

 

Le pari de Pascal (Edith Deléage-Perstunski) :
Ce qui m’a intéressée dans le pari, c’est que Pascal cherche à grandir l’Être humain. Selon Pascal l’Être humain n’est que vanité, au sens étymologique de « vanitas », c’est-à-dire, vide. Le vide de notre existence, psychologique et sociale, n’est que le signe de la misère de notre condition. Incapable de maîtriser le temps, voué à une mort inévitable, l’existence humaine est toute entière irrationnelle : « Je ne sais pas qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses ; je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît non plus du reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. Tout ce que je connais c’est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter. » (Fragment 205/68)
Autrement dit, le vide de la condition humaine est profondément absurde et on ne peut le dépasser, selon Pascal, que dans la foi dans la religion chrétienne ; l’homme alors peut espérer atteindre la félicité : «  Misère de l’homme sans Dieu, ou félicité de l’homme avec Dieu », dit-il. (Fragment 60). La foi, c’est une révélation immédiate et intérieure de Dieu obtenue grâce au cœur, c’est-à-dire l’intuition face à la raison. Face à la raison qui argumente et démontre, il y a l’intuition et une saisie immédiate de son objet de recherche.
Alors, bien sûr, on peut dire que Pascal a fait l’apologie de la religion chrétienne et qu’il appartient à la culture janséniste, mais on peut aussi le lire comme simplement celui qui souligne la faiblesse réelle que chacun connaît de l’Être humain. Et, à partir de là, effectivement, c’est le pari pour Dieu.
Il refuse en tout cas les démonstrations rationnelles de l’existence de Dieu, mais il pense pouvoir convertir l’incroyant, c’est-à-dire, celui qui n’a pas la grâce, c’est-à-dire nous tous, et cela en s’appuyant sur sa capacité à argumenter. Et c’est ce qui m’intéresse chez Pascal, parce qu’il valorise ainsi la faculté d’argumenter chez chacun. L’homme pour Pascal a intérêt à parier que Dieu existe. Dieu, c’est-à-dire, l’infinité, la perfection, tous les biens, au-delà des plaisirs terrestres. Donc, l’homme a intérêt à parier, parce que, s’il gagne, il se met en position de recevoir la foi divine, c’est-à-dire, l’infinité, la perfection qui n’existent pas pour lui ; il gagne tout, et s’il perd, il ne perd rien, car tout ici est néant et vide ; c’est un simple calcul de probabilité. L’écart entre la mise et le gain doit être proportionné à la probabilité de celui-ci. Dès lors que le gain est réputé infini pour une mise unique, puisqu’il ne s’agit que de notre vie terrestre, avec un risque lui-même fini ; un hasard de gains contre un nombre fini de hasards de perte, fait qu’il est raisonnable de parier, (je cite) « …partout où est l’infini; et où il n’y pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. » (Fragment 233/418).
Les philosophes contemporains de l’existence, Kierkegaard, au 19ème siècle, et, en France au 20ème siècle, les existentialistes chrétiens, comme Gabriel Marcel, et les existentialistes athées, comme Sartre, reprennent ce pari. Ils disent que l’existence de l’homme est absurde, et je peux en éprouver de « la nausée » (titre du premier roman de Sartre). Pour assumer mon existence absurde, je parie que l’homme existe, c’est-à-dire, je ne peux pas le démontrer, mais je parie, je défie de dire que l’homme est libre et responsable de lui-même et de son histoire. Quand on dit : Dieu, je crois en Vous (le pari pascalien), c’est décider qu’il y a intérêt à croire. Il en va de même quand on a un idéal ; on décide de croire en les valeurs qu’on défend pour convaincre les indifférents. Et je trouve qu’en ce moment, en France, il est bien nécessaire de parier, c’est-à-dire de décider à quoi l’on croit, ce qui fait que, pour moi, Pascal est actuel.
Par ailleurs, les critiques du pari sont nombreuses, mais elles tournent toutes autour d’un même argument qui est bien exposé par Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique : « On remarquera », dit-il, « que ce pari n’est, en aucun cas, une preuve de l’existence de Dieu. Ça, c’est certain et Pascal le dit aussi, c’est seulement de l’intérêt que nous avons à y croire, ou a essayer d’y croire (la vraie foi n’est donnée que par la grâce, le pari ne s’adresse qu’aux incroyants). Reste à savoir si la pensée doit se soumettre à l’intérêt, c’est ce que je ne crois pas. Combien faudrait-il nous payer pour être raciste, pour penser que l’injustice est bonne, que la Terre est immobile et que deux et deux font cinq. Pour un esprit libre, une infinité de gain, même sans aucun risque, n’y suffirait pas. Ainsi l’argument du pari, si fameux, si intelligent, ne vaut que pour ceux qui sont prêts à jouer leur vie, leur esprit ou leur liberté aux dés, que pour ceux, pour mieux le dire, qui soumettent leur pensée à un calcul d’intérêt. »
Et bien moi, je dis que ce n’est pas par un calcul d’intérêt que Pascal et moi, nous décidons de parier. On remarque d’ailleurs le ton amer de Comte-Sponville et les exemples qui sont sans rapport  avec le problème posé : il ne s’agit pas d’être raciste, ou de croire que deux et deux font cinq, il s’agit de parier pour Dieu ou pour des idées. Donc, la critique du pari comme comportement intéressé est une critique de médiocre, voire de jaloux, de quelqu’un qui est incapable de dépasser les limites de sa vie, en idée ou en rêve, incapable à fortiori de proposer aux autres l’histoire d’un autre monde.
Pour moi, parier pour Dieu ou pour une idée, pour un idéal, ce n’est pas un calcul d’intérêt, ni un comportement de bigot. Les décisions de croire à une idée et chercher les moyens de le faire, c’est un pari existentiel ; effectivement, cela montre tout simplement la grandeur de l’Être humain, malgré la conscience de sa finitude et de ses imites.

Foi et raison, Pascal et Descartes (Gunther Gorhan):
Edith a fait un discours pascalien, parce que pour Pascal il ne s’agit pas d’instruire, mais d’échauffer, c’est-à-dire de créer un désir, une foi, plus que de comprendre le monde, le disséquer, l’analyser.
Pascal pose la question de savoir quelle est la fonction de la philosophie, et, pour lui, le monde est figure et mouvement, mais ce n’est pas intéressant, c’est inutile ; là, c’est une allusion à Descartes qui voulait expliquer le monde en le décomposant mathématiquement, géométriquement. Pascal dit à ce sujet sur Descartes : c’est fatiguant.
Donc, quelle est la fonction de la philosophie ? Là, je suis plutôt du coté de Pascal repris par Camus qui, dans un des ses livres, dit (en substance) que la seule question philosophique qui compte, qui importe, c’est : la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? C’est pour ça que Pascal a la foi ou a intérêt à avoir la foi, c’est-à-dire l’intérêt simplement de survivre. Pascal pense que cela ne peut être atteint sans une foi, qui pour lui est Dieu, une foi qui peut être un idéal, un absolu. Donc, Camus définit la question la plus importante, et, pour lui : est-ce que le monde a trois dimensions ? Est-ce qu’il y a huit ou dix catégories ? Ce sont des jeux.
Ce qui m’intéresse beaucoup aujourd’hui, surtout  avec ce qui se passe en ce moment avec la religion, c’est que Pascal, dans plusieurs dictionnaires, ne figure même pas comme philosophe. C’est-à-dire qu’il est exclu par ceux qui sont rationalistes, qui pensent que la philosophie est basée sur la raison. Ce que Pascal nomme raison, Kant l’appellera « entendement ». L’entendement à comprendre le monde, la base de la science, de l’expliquer par les catégories, la causalité…, ça, c’est la raison de Descartes. Puis, la raison de Kant, c’est la réflexion sur la finalité.
Si Pascal, ne figure pas comme philosophe dans certains dictionnaires, c’est parce qu’on pense qu’il est un théologien, un mystique ; actuellement, j’entends que ce qui peut nous sauver par rapport au fondamentalisme, c’est la philosophie. Mais ce n’est certainement pas la philosophie traditionaliste, qui dit : il suffit d’argumenter et d’avoir un discours cohérent. Mais cohérent, pour faire quoi ? Est-ce que ça va aider des personnes à « se sauver » ? Pascal dit qu’on a besoin d’être sauvés. Puisqu’il est « effrayé », il a besoin d’être sauvé, contrairement à Descartes qui a une certitude que j’assimile à la maîtrise.
Donc, ce qui m’intéresse chez Pascal, c’est la suite, c’est à la fois Kant qui soumet la raison pure (la science, l’entendement, la saisie du monde) à la raison pratique, c’est-à-dire une exigence éthique. Ce qui fait que dans toute action, il ne faut pas seulement résoudre un problème, il faut insérer ce problème dans la marche du monde.
C’est Goethe dans son Faust qui se rend compte que la science ne le sauvera pas ; il veut se tuer. « – Je vais me pendre, » dit-il, mais « j’entends les cloches de l’Eglise » ; j’entends bien le message, mais il me manque la foi ; il sent bien qu’il a besoin d’une transcendance, un quelque chose qui remplace le dieu de nos ancêtres, quelque chose d’autre à la place.
Revenant à Descartes, ce dernier pense qu’on peut diviser une totalité sans avoir déjà une vision de la totalité. Une vision de l’ensemble précède le découpage de ses parties. Pour Pascal, dans la foi en Dieu, il assimile la totalité et dit qu’on ne peut pas connaître quelque chose si on n’a pas une vision de la totalité, et qu’on revienne à la singularité. Le progrès du savoir, c’est toujours un va-et-vient dans une totalité sentie, désirée. Pour Pascal,  la foi, ce n’est rien d’autre que le désir de la totalité.

 

Débat : G Je pense que Pascal a bien pensé quand il dit que la philosophie, ça pouvait se résoudre en peu de temps, parce qu’à mon avis, ce qu’on retient de Pascal, ce sont ses découvertes scientifiques : la pression atmosphérique, la pascaline… Parce que même l’évolution de sa pensée est contradictoire et dialectique.
Dans son esprit et à la fin de sa vie (je crois), il devient presque un fanatique religieux; c’est-à-dire qu’il remplace la connaissance rationnelle des lois naturelles, par une croyance qui n’admet aucune contradiction, parce que tout est soumis à Dieu. Et cela se marie bien avec le jansénisme, lequel, à cette époque-là, était en contradiction avec les Jésuites, qui eux, étaient plus ouverts. Par contre, après son accident, il se transforme en théologien, à tel point que j’ai un doute : à savoir, si le pari était une  pensée profonde ou si c’était une sorte de provocation; parce que soumettre l’existence de Dieu à un pari, c’est comme dire : – Toi, par exemple,  qui est incroyant, si tu dis que tu ne crois pas en Dieu, tu paries pour sa non-existence et alors, tu meurs ; et s’il se trouve que Dieu existe, donc tu vas perdre tout, l’éternité, le paradis, etc. Par contre, si tu paries que Dieu existe, tu vas arriver en haut, et tu gagnes l’éternité. Mais, s’il n’existe pas… ? Mais là où est mon doute, c’est que ce pari est d’intérêt, c’est un pari égoïste : je parie pour me sauver, pas pour l’amour d’un dieu ou de mon prochain, pas par charité, mais pour moi seul.
J’ai entendu souvent : l’idéal a pris la place exclusive de Dieu. Je pense que ce n’est pas vrai, parce que les idéaux et l’esprit qui vainc la médiocrité n’ont pas besoin de croire ou de ne pas croire. D’abord, on ne peut pas dire : Dieu existe ! ou : Dieu n’existe pas ! Le problème n’est pas que croire ou ne pas croire.
Il y a des matérialistes qui ont fait un apport extraordinaire aux sciences, à la philosophie, à la culture, autant que ceux qui croient en un dieu.

G On a évoqué, au temps des philosophes modernes, les savoirs cloisonnés ; je pense qu’aujourd’hui, cela n’est plus vrai. Il y a une synthèse et une grande communication entre les scientifiques, et même entre science et philosophie. Aujourd’hui, la conception de la nature humaine est quelque chose qui manquait tragiquement à Pascal, comme quand il dit : «  je ne sais ce que c’est que mon corps. » (Fragment 205/68) Aujourd’hui, il y a plein de choses qu’on connaît, qu’on peut comprendre ; nous avons plein de nouveaux matériaux pour appréhender la vie.

G Poème d’Hervé :

BLAISE PASCAL
En acrostiche : La Condition Humaine

Le chercheur imaginatif est devenu ce roseau pensant.
A voir des idées logiques, philosophiques, scientifiques,

Curieux, inventeur, Blaise Pascal a eu ce penchant,
Osant se poser des questions existentielles et pratiques.
Notées, ses pensées ont traité de la notion d’ordre humain
Destinées à révéler que l’énigme de son origine est cruciale,
Impénétrable secret, cherché entre néant et infini, cet écrivain
Tout en ayant la faculté d’essaimer sans égal est génial.
Inspiré, il vise et décrit la nature de l’homme, c’est certain.
Ouverture d’esprit, théologie argumentée avec force détail,
Noble dessein en se posant les questions sur son prochain.

Haro des autorités, les provinciales sont publiées
Unanimement reconnues comme des écrits inédits.
Méditer sur les paradoxes de ses thèmes, la modernité
Anime encore à sa suite la réflexion qu’on lui doit.
Injustices, l’existence avec la conscience, l’intimité
Naturelle, l’essence de l’être, cette vie il l’a perçoit,
En relatant la condition humaine et sa complexité.

G Suite à la lecture d’une œuvre, Pascal et Port-Royal de Louis Marin (Collège international de philosophie. 1997), je voudrais apporter quelque éclairage. A l’époque de Pascal, science et philosophie ne sont pas si séparées ; mais le travail scientifique de Pascal, commencé à l’âge de 11 ans, a duré beaucoup plus que celui du philosophe, qui lui n’est que de huit ans sur la fin de sa vie, époque où il travaillé presque essentiellement à cette correspondance qui donnera Les provinciales et travaillé sur les Pensées. C’est 20 ans de science contre 8 ans de philosophie. Cela n’empêche pas que, pendant qu’il était scientifique, il ait pu être parfois philosophe. Il avait une conception des mathématiques très importante et son travail scientifique, où il va aborder le problème des partis, va l’amener au « pari ». Il est parti d’une chose très simple ; il a dit : Voilà, il y a trois joueurs qui jouent  un jeu de hasard en trois parties gagnantes ; chacun ayant misé la même somme d’argent. Or, il se trouve que le jeu est interrompu avant que l’un d’eux ait obtenu trois victoires. Et là, comment doit-on distribuer les gains ? Comment aurait-on distribué si la troisième partie avait eu lieu ? Cela l’a amené à l’étude des probabilités.
Pascal a travaillé également sur quelque chose d’important qui s’appelait, « les espèces différentes de démonstration », où il développe une pensée issue des mathématiques et que l’on pourrait appeler actuellement les algorithmes, c’est-à-dire une pensée qui est rigoureuse. Il disait : Par les mathématiques, je peux atteindre un ordre supérieur ; elles sont une chose certaine, mais elles doivent contenir quelque chose qui est la condition même de leur propre dépassement. Ainsi, au-delà de son travail scientifique, Pascal est à la recherche de l’absolu. Et à partir de son accident, il y a une conversion totale (la seconde conversion) ; il mène alors une vie d’ascète. Il pense alors que la maladie est l’état naturel de l’individu (le dolorisme chrétien). C’est dans cette période, dira sa sœur, qu’il écrira un texte : « Une prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies ». Voyez jusqu’où il était parti, dans une sorte de folie jusqu’auboutiste !
En ce qui concerne les Pensées, elles sont éditées après sa mort, d’après les notes (fragments), retrouvées isolées ou rangées dans un ordre qui paraît à peu près correct. Il y aura une première version qui est sortie en 1670 qui a été faite par ses amis de Port-Royal, lesquels ont éliminé de la publication tout ce qui pouvait choquer (les choquer), voire même ont apporté des modifications. Ce n’est qu’au 19ème siècle que Victor Cousin a sorti ce que l’on considère comme étant vraiment les Pensées de Pascal. Mais on peut se poser la question : les documents étaient-ils complets ? Rien n’assure que ses amis jansénistes n’aient pas éliminé quelques feuillets.

G Ce travail de préparation à l’apologie de la chrétienté est chez Pascal d’abord pour dénoncer la prétention du moi comme objet d’amour. A ce sujet, il écrit : « Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non, car il ne pense pas à moi en particulier. Mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non, car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme? Et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées. » (Fragment 323)

G C’est intéressant de consulter sur le site Internet Gallica de la Bibliothèque Nationale de France les éditions successives des Pensées de Pascal et leurs préfaces. La toute première édition date de 1669 et son titre est : Pensées de M. Pascal sur la religion, et sur quelques autres sujets, qui ont été trouvées après sa mort parmi ses papiers. Etienne Périer, dans la préface, indique que Pascal avait une prodigieuse mémoire et que sa santé déclinant, et n’ayant pas le temps de rédiger l’ensemble, il ne voulait pas perdre, oublier ses idées, même si tout était déjà ordonné dans sa tête. Heureusement, au cours d’une réunion avec ses amis, il leur a exposé, en parlant sans notes pendant trois heures, le plan très structuré de l’ouvrage qu’il avait en tête. A défaut d’un ouvrage rédigé complet, il a laissé un ensemble d’écrits plus ou moins longs entrant dans ce plan structuré. Certaines pensées sont des écrits développés, plus construits, d’autres ressemblent plus à des pense-bêtes. Donc, tout cela explique un peu l’aspect hétéroclite de ses Pensées.
Par ailleurs, Pascal partage aussi avec d’autres (notamment Pythagore) la gloire d’avoir un théorème à son nom.

G Voici le texte de ce théorème de Pascal : Etant donné un hexagone inscrit dans un cercle, les intersections des cotés opposés sont alignées.

G J’admire le scientifique et le mathématicien, mais je vois chez lui deux « paris », en fait. Le premier, bien connu, et le second, sur la grâce. Cela m’a révoltée dès mes 14 ans (et je le suis toujours). Avec lui, on naît avec la grâce ou sans la grâce, c’est encore un pari. On parie qu’on a la grâce et on mène une vie exemplaire et on aura tout. Mais on peut mener une vie exemplaire, croire en Dieu, et ne pas avoir cette grâce ; c’est injuste et ridicule à la fois.

Sur la fin de sa vie, il a un accident, et c’est peut-être pour cela qu’il va dire que la souffrance est quelque chose de normal, qu’on doit la supporter, qu’elle est dans la nature de l’homme. Je refuse une chose pareille.

G Je pense que les thèmes dans lesquels s’exprime Pascal sont effectivement du contexte ; il est Janséniste, et donc il s’exprime en termes de Janséniste. Donc, quand il dit qu’il a la grâce, effectivement, cela veut dire qu’il y a des hommes qui l’ont et d’autres pas ; c’est surtout une question de contexte ; on ne peut pas lire aujourd’hui Pascal sans mettre en relief cette lecture janséniste de la vie. Cela n’exclut pas qu’il décrit la misère de la nature humaine.
Donc, lui refuser, par exemple, le pari, le traiter de bigot, c’est oublier qu’en ce temps, on ne pouvait pas ne pas être bigot.
Il a en face de lui les philosophes libertins, des libres penseurs ; il a cherché à les convaincre, cela a été sa grandeur.
Par ailleurs, il met l’accent sur le fait que notre affectivité, notre imagination, aussi bien que notre raison, sont des puissances trompeuses et il le dit magnifiquement à propos de l’imagination, la « folle du logis », qui voit, qui croit des choses qui n’existent pas. Par contre, je pense qu’on peut être déçu par rapport à Pascal, c’est que ce savant génial n’a pas compris la puissance de l’imagination scientifique.
Il faut lire Pascal avec ce qu’il nous apporte et pas en critiquant le fait d’un contexte de l’époque.

G Pour moi, le pari de Pascal, c’est un pari sur la vie, ce n’est pas un pari sur la mort. C’est une façon d’être dans la vie de façon à recevoir le plus de bien possible, et probablement la grâce. Le but n’est pas de recevoir l’éternité quand on sera mort.
D’autre part, le pari s’adresse aux non-croyants et est un argument pour les convaincre ; celui qui a la foi n’a pas besoin du pari et sait où il en est. Il a la grâce.
Je voudrais aussi évoquer les écrits de Pascal sur ce qu’il a nommé « Le divertissement ». Pour lui (je cite) : « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre. » (Fragment 139/136)
Voici un commentaire trouvé sur http://la-philosophie.com/pascal-le-divertissement :
« Selon Blaise Pascal, tout le monde est en proie au divertissement, qui consiste à la recherche désespérée d’une consolation à la difficulté d’être soi. Le divertissement renvoie aux activités humaines futiles (recherche de la gloire ou des biens matériels) pour échapper à notre condition. Le divertissement révèle le fait que l’homme éprouve des difficultés à vivre avec lui-même, à être en paix avec ce qu’il est. Cette condition fuie, c’est précisément la mortalité et la contingence de l’existence. Face à cette crainte (Pascal n’utilise pas encore le concept d’angoisse), l’ego cherche à faire diversion.
Contre ce gesticulement métaphysique, Pascal revalorise le calme, le repos, voire l’apathie, la méditation comme source de stabilité, de clairvoyance et d’acceptation de notre condition. »

G Concernant « le pari », deux films d’Eric Rohmer reprennent au sens non religieux le thème: ce sont Ma nuit chez Maud et Conte d’hiver. Dans le premier film, Jean-Louis Trintignant discute avec un ami marxiste pour lequel son engagement est, tel un pari, parce que, dit-il, « c’est la seule hypothèse qui me permette de vivre ».  Dans le second film, une jeune femme porte l’espoir fou de revoir un homme qui a disparu de sa vie, et, alors que ses amis lui disent qu’elle poursuit une chimère, elle répond que « vivre avec l’espoir, c’est une vie qui en vaut bien d’autres ». Ce thème du pari a souvent été recyclé hors la croyance pascalienne.
   Revenant sur le fragment contenant le « pari » : alors que tous les fragments sont troués pour être reliés par un ruban, celui-ci n’est pas troué, ce qui laisserait à penser que Pascal n’avait peut-être pas l’intention de le publier dans ce qui sera les Pensées.
Concernant sa maladie, la plupart des ouvrages sur Pascal, parlent de crises de paraplégie  d’origine nerveuse avec de très forts maux de tête et des états léthargiques prolongés.
Puis, je reviens sur le thème de « la grâce ». C’est là l’objet d’une vive polémique épistolaire entre Pascal et les Jésuites dans Les provinciales. Pour faire court, les Jésuites défendent la grâce suffisante, partant du fait que nous sommes tous les enfants de Dieu, que la bonté divine est sur tous, et que nous accéderons à la vie éternelle si notre vie n’est pas une vie de péchés. Pour les Jansénistes, dont Pascal, la grâce ne peut être accordée qu’à ceux qui ont recherché Dieu, qui ont vécu dans la chrétienté et l’amour du Christ, c’est alors la grâce efficace. Dans Ecrits sur la grâce, Pascal explique : « Car si nous ne pouvons nous sauver sans Dieu, Dieu ne peut nous sauver sans nous » (Cit, t.XI p 182/183)
Chez Pascal, on ne voit pas un humaniste, bien au contraire; quand l’amour d’un dieu prime sur l’amour des hommes, on voit aujourd’hui ce que ça peut donner.
Ses propos nous font penser aux prédicateurs fanatiques ; il projette sur l’humanité ses peurs métaphysiques, et ceci avec des démonstrations mortifères. Il utilise souvent les mots : effroi – silence – la misère – l’inquiétude – la solitude – l’homme abandonné – la déchéance – le néant, et cette terrible expression, « le dernier acte sanglant où l’on vous jette enfin de la terre sur la tête ». Ce sont des propos violents pour impressionner les pauvres gens de l’époque ; où est l’amour du prochain ?
Enfin, il critique violemment les philosophes, ce qui ne l’empêche pas de puiser dans Montaigne, voire de plagier celui-ci, qui a eu, pour lui « le sot projet de se peindre ; de pasticher Epictète ». (Fragment 323). Dans  l’ouvrage Entretien avec M. de Sacy, il juge que « la philosophie ne vaut pas une heure de peine ». Son dédain des philosophes se retrouve dans cette pensée: «  Les philosophes, ils étonnent le commun des hommes, les chrétiens, ils étonnent les philosophes ». (Fragment 443-613)

G Par rapport aux mots terribles que Pascal emploie pour convaincre, on a le droit de faire une approche psychanalytique de Pascal et de penser que ces mots terribles ne sont que ce qu’il ressent. Cette idée que l’homme est malade, on la retrouve aussi chez Nietzsche pour qui l’homme est un animal malade. Malade parce qu’il n’a plus d’instinct, « perdu dans une forêt de symboles ».
Revenant à Pascal et Descartes; Pascal a eu raison en ce sens que Descartes voulait déduire l’expérience à partir de théorèmes mathématiques, tandis que Pascal est un expérimentateur. Il savait très bien qu’il fallait induire et non pas déduire. Wittgenstein dit à ce sujet que même si la science répondait à toutes les questions qu’elle se pose, celles du sens de la vie ne seraient même pas abordées. La grande nouveauté chez Pascal c’est qu’il n’a pas la « foi du charbonnier » ; il dit qu’il doit faire le pari, car il sait qu’il est sur un abîme ; il lui faut « quelque chose qui le dépasse ».

G Parmi les idées de force des Pensées, nous avons le chapitre sur « Les miracles ». Il nous dit par exemple : « Il faut juger de la doctrine par les miracles, il faut juger les miracles par la doctrine. » (Fragment 843/903) Ou encore : «  Jamais signe n’est arrivé de la part du diable, sans un signe plus fort de la part de Dieu. » (Fragment 851/903) Nous sommes encore à l’époque où l’on croit encore autant au diable qu’au bon dieu, d’où notre difficulté à concevoir nombre de propos dans l’œuvre de Pascal.
Revenant à sa maladie, sa soeur raconte que dans son jeune âge, lors d’une crise, il tombe en léthargie ; les médecins ne pouvant le soigner, son père fait appel à une sorcière. Celle-ci « diagnostique » un sort, sort qu’il faut rejeter sur quelqu’un autre. Le chat se trouvant là, elle reporte le sort sur le chat et le jette par la fenêtre. Quelques heures plus tard, l’enfant se réveille, va mieux. Pascal ne parle pas de ce « miracle ».
Ce qu’on doit évoquer également chez Pascal, c’est le dialecticien ; il a d’ailleurs écrit un ouvrage là-dessus : L’art de persuader. Lorsqu’il veut à tout prix prouver, il a une construction dialectique particulière : il construit la maison à l’envers, partant de ce qu’il veut prouver et en adaptant les questions adéquates.

G Par rapport à Pascal et son dieu, qui chez lui est l’infini, aujourd’hui Deleuze dit que la fonction de la philosophie, c’est de faire vivre l’infini dans le fini. Dans cette opposition sur la grâce, Badiou dit aujourd’hui que la grâce, c’est être prêt à l’événement; prêt à l’événement amoureux, politique, artistique.

G Pascal est apologiste, parfois presque jusqu’au fanatisme, comme lorsqu’il évoque la venue du Christ. Parlant des Juifs, il écrit : « C’est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoin au messie. » (Fragment 641/495) Puis : « Si cela était clairement prédit aux Juifs, comment ne l’ont-ils pas cru ? Ou comment n’ont-ils point été exterminés, pour avoir résisté à une chose si claire. » (Fragment 749/391)
Par ailleurs, toujours dans son opposition avec les Jésuites, et cela fera l’objet d’échanges épistolaires virulents avec ces derniers, nous avons  la querelle de « l’attrition » et de « la contrition ». Un peu de catéchisme : l’attrition, c’est regretter d’avoir offenser Dieu par crainte du châtiment divin, du jugement dernier ; la contrition est le regret pour le seul amour de Dieu.

G Je pense que dire, tel Pascal, « le moi est haïssable » est une erreur monumentale, parce que si on ne se connaît pas soi-même, si on a la haine de soi, comment aller vers l’autre ? Quand j’aide l’autre, je m’aide moi-même, alors si je me hais !

G Sur ce thème du « moi haïssable », on peut retenir quelques pensées : « La vraie et unique vertu est de se haïr. » (Fragment 485/564) Ou : « Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi. » (Fragment 373) Pour Pascal, le moi est haïssable, car il se fait le centre de tout, il veut asservir les autres, il n’a que des qualités usurpées… Et enfin, cette autre pensée : « Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu, il est nécessaire que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste. » (Fragment 429/205) De là, la nécessité du péché.
Et puis,  nombre d’auteurs ayant écrit sur Pascal disent qu’il a été  philosophe un peu malgré lui (à l’insu de son plein gré). Il a tellement étudié l’homme pour trouver tous les ressorts pour convaincre, qu’il a laissé un modèle dans ce domaine. En outre, ce qui est aussi souvent souligné, c’est que, pour son époque, il a marqué par la grande qualité de son style littéraire.
Des auteurs, dont les Encyclopédistes, diront qu’il est dommage que la religion ait enlevé ce grand homme à la philosophie.

G Dans une de ses Pensées, Pascal pose la question du rôle de l’homme dans la nature : « Car enfin, qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un homme à l’égard du néant, au milieu de rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses, leurs principes sont pour lui un fil invinciblement caché dans un secret impénétrable. Egalement incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini où il est englouti. » (Fragment 72) Dans ce passage sur les deux infinis, il pose la question de notre origine et où nous allons de la naissance à la mort.

G Chez Pascal, je me sens gênée, car je vois chez lui deux facettes : une partie de sa vie, il va démontrer avec des preuves mathématiques, puis, vers la fin de sa vie, il devient mystique, il cherche à démontrer, à persuader par la seule parole.
Alors, on sait qu’il était malade, qu’il avait entre autres un ulcère, mais se soignait-il ? Avec quel traitement ? Prenait-il des produits proches de l’opium (lequel existait déjà) ? Lorsqu’il écrit certains textes, état-il sous psychotropes ? Avait-il encore toutes ses facultés? Ou vivait-il dans l’illumination totale ?
En ce qui concerne les fragments, pourquoi écrivait-il sur des feuilles volantes ? Est-ce qu’il craignait pour sa mémoire ? Quand on lit les Pensées, est-ce que nous lisons une restitution de ses écrits ou une reconstitution ?

G Ce qui est important, c’est le nombre de personnes qui ont réfléchi, pensé à la suite de cet écrit des Pensées. Cela  veut dire que cela va au-delà de savoir si tout est écrit dans l’ordre ; c’est l’écho chez les philosophes qui suivront qui importe. Ce qui est important, ce n’est pas la personne qui écrit et quoi exactement (cela, c’est pour les spécialistes et les exégètes), mais ce qui va permettre le retentissement de sa pensée dans les générations suivantes.

G Remarque au moment de clore le débat : Le temps manque pour développer plus avant certains thèmes ou chapitres qui sont traités dans les Pensées. Il restait : La coutume – Le roseau pensant – Les discours sur la condition des grands – Le cœur a ses raisons – Les deux infinis – L’imagination – Les preuves de Jésus Christ – Les prophéties – Les figuratifs – La perpétuité – Les fondements de la religion chrétienne…

Nota bene : La référence pour la numérotation des fragments est celle de l’édition Brunschvicg (1897)

 

Œuvres de Pascal :
Essai pour les coniques (1640)
Expériences nouvelles touchant le vide (1647)
Sur le traité du vide (1651)
Traité du triangle arithmétique (1654)
L’entretien de Monsieur de Sacy sur Épictète et Montaigne (1655)
Les Provinciales (1656 – 1657)
Eléments de géométrie (1657)
Histoire de la roulette (1658)
Discours sur la condition des grands (1660)
L’art de persuader (1660)
Pensées (1669)
Abrégé de la vie de Jésus (Texte retrouvé et publié en 1840)
Ecrits sur la grâce (1779)

 

Œuvres citées :

 

Livres :
Pensées. Pascal. Livre de poche/Classiques Garnier. (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Pascal ou l’art de la digression. Pierre Magnard. Ellipses.1997 (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Premières leçons sur les pensées de Pascal. PUF. 1996 (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
La philosophie de Pascal. Jean Brun. PUF.1992. (disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Le vocabulaire de Pascal. Pierre Magnard. Ellipses. 2001. (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Pascal et ses précurseurs. Julien-Eymard d’Angers. Nouvelles éditions latines. 1954.
Pascal. Léon Brunschvicg. Editions Rieder. 1932.
Pascal et la philosophie. Vincent Carraud. PUF. 1992.
Blaise Pascal, commentaires. Henri Gouhier. Vrin. 1971
Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale. Tome II, article Pascal. PUF. 1996.
Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville. PUF. 2001.
Pascal et Port royal. Louis Marin. Collège international de la philosophie. 1997.

Films

Ma nuit chez Maud. Eric Rohmer. 1969.
Conte d’hiver. Eric Rohmer. 1992.

Magazine

Philosophie magazine. N° 37. Mars 2010. Blaise Pascal, le savant converti.
Article de Mathilde Lequin.

Textes en ligne

Grands névropathes. Pascal. Docteur CabanèsTome1
http://fr.wikisource.org/wiki/Blaise_Pascal_(Caban%C3%A8s)#cite_note-4
La-Philosophie.com : Pascal et le divertissement.
http://la-philosophie.com/pascal-le-divertissement

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Une réponse à Blaise Pascal: savant, apologiste, et philosophe

  1. Shirl dit :

    Eu vreau sa citesc neaparat Puterea celor sase de Pittacus Lore! Desi sta in biblioteca demult , timpul nu m-a prea lasat sa ii acord atentie, asa ca in ultimele doua saptamani nu am prea mai citit. Ceea ce a fost pentru mine ca o inchisoare a suuletflui! :(( Mai ales ca vreau sa stiu ce se intampla in continuare! 🙁

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