Qu’appelons-nous courage?

Restitution du débat du 18 janvier 2017 à Chevilly-Larue

Barricade dans la rue Soufflot. 1848. Horace Vernet. Musée militaire allemand. Berlin

Barricade dans la rue Soufflot. 1848. Horace Vernet. Musée militaire allemand. Berli

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin
Modérateur : Marc Ellenberger
Introduction : Annie Dyrek.

Introduction : Il y a plein de formes de courage, dont le courage philosophique qui est personnifié par Jean Jaurès, dont on cite souvent en référence son « discours à la jeunesse » où il fait appel à leur idéal.
Dans un tout autre sens je pense au courage très personnel, comme celui du handicapé qui va surmonter son handicap, par exemple ceux qui réalisent des exploits sportifs ; ils donnent une belle leçon de courage à ceux qui se plaignent sans cesse et à tout propos.
Je pense au courage des résistants de la deuxième guerre mondiale, des hommes qui ont quitté leur travail, de boulanger, facteur, docteur, etc., pour s’engager pour la liberté de leur pays.
Je pense à la force extraordinaire qui peut se créer chez une personne pour en secourir une autre. On pense à celui qui va entrer dans une maison en flammes parce qu’il y a des vies à sauver. Nombreux sont ces actes de courage qui nous dépassent.
Et enfin, on ne peut oublier que le courage, ce fut, comme lors de la guerre 14/18 de désobéir, même si cela a pu mener au peloton d’exécution.
Alors, le courage dépasse t-il toute peur ? Est-ce au-delà de toute réflexion ?

Débat

Débat : ⇒ Pour répondre à la première question : « le courage dépasse t-il toute peur ? » Oui, puisque par définition, il n’y a de courage que si la peur est surmontée.
Ce mot courage venant du latin « corage » « cor ou cœur », plus le suffixe « age » lequel indique l’action du verbe, comme:  exemple dans « pillage ».
Chez les Grecs ce concept, cette vertu cardinale uniquement exercée dans la guerre, est aussi nommée « andreia » soit : audace et virilité, liée à la force physique. On y retrouve la même racine que dans « andros » homme, et ce n’est pas par hasard si longtemps le courage ne sera qu’une vertu masculine ; à tel point que celui qui manque de courage est traité de « femelette ».
Dans bien des langues le courage chez les hommes est aussi lié à ses attributs masculins, avec parfois des variantes ; ainsi au Portugal on dit « avoir des tomates » Mais il y a toujours eu des femmes de courage, et je l’évoquerai plus loin.
Au-delà des différentes définitions, avec leurs racines grecques ou latines, au-delà du seul catalogue des actes de courage, je peux percevoir assez bien ce que c’est que le courage, mais cela, par exemple, ne sera pas suffisant pour que je saute à l’élastique.
Le courage ne se convoque pas, il est disposition à agir et s’éprouve dans certaines circonstances. C’est dans l’action que je sais si j’ai ou non du courage, si je peux dépasser ma peur ; c’est dans l’épreuve que je mesure si je suis capable d’affronter l’adversité, si je me bats ou si je subis. Peut-être serais-je soldat plus courageux que malade courageux, car l’action soutien le courage. Le courage en soi n’est que cette disposition : d’audace, de volonté, de combativité, qu’on va mettre au service d’une cause, d’une finalité jugée comme moralement bonne, vertueuse, car ces mêmes dispositions mises au service d’actions répréhensives scélérates, ne sont plus considérées comme courage ; ce n’est plus du tout une de ces quatre vertus cardinales.
Mais le courage n’est pas que conséquence du goût du risque, le courage n’est pas que l’acte héroïque, celui qui mérite une médaille, (médaille de courage et de dévouement), il peut se manifester sous différentes formes : le courage d’assumer ma façon de voir, le courage de ne pas me laisser asservir, le courage d’affronter l’adversité, le courage de dire la vérité, le courage d’accepter d’être minoritaire, le courage d’assumer une vie et tout ce qui y est attaché. Courage avec conscience du prix qu’il peut, pour cela, y avoir à payer.
Alors, la question se pose, pourquoi avons-nous plus ou moins la propension à être courageux ? Est-ce une prédisposition liée à notre tempérament, le courage est-il transmissible, est-ce question d’éducation, de condition de vie ; me sera t-il plus facile de me montrer courageux si j’habite (au hasard) Le Vesinet, ou si j’habite au bord de la Seine sous le pont Bir Hakeim ?
Au final, en dehors de la polysémie du mot, le courage est ce qui me fait dépasser mon égoïsme, mon indifférence, ma paresse, mes peurs ; le courage s’éprouve. Le courage dans ses actes, héroïques ou pas, me grandit; me grandit souvent dans le regard des autres, me grandit aussi dans le regard que j’ai sur moi.

⇒ On a vu que la racine de courage venait du mot ancien « cœur », ou vaillance, et là on pense à cette phrase : « Rodrigue as-tu du cœur ? » ou, autrement dit « as-tu du courage ? », et avec le courage nous avons des synonymes comme la témérité, laquelle est plus agir de façon hasardeuse sans avoir mesuré tous les risques ; puis nous avons, audacieux. Celui qui ose, ce n’est pas toujours en surmontant sa peur, en fait c’est plus impulsif. Et le courage est aussi chez celui qui ne baisse pas les bras. Et enfin, nous connaissons les expressions autour du courage, comme « allez courage ! », ou plus courant « bon courage ! »

⇒ Le courage c’est bien, mais c’est mieux quand on a des motivations; pour agir, pour intervenir, créer les conditions d’un intérêt.

⇒ L’idée de courage en regard d’une motivation, d’un avantage à agir, d’un intérêt quelconque, d’un gain, ne me semble plus correspondre au courage, car alors, ce n’est plus un acte gratuit.

⇒ Pour qu’il y ait courage, il faut qu’il y ait volonté d’accomplir un fait difficile, voire dangereux ; s’il n’y a pas de danger, il n’y a pas de courage. Cette volonté qui préside au courage dépend éminemment de nous, pas de notre éducation, et quand cette volonté est contrainte, elle n’est qu’obéissance, et de là contraire à l’idée de courage.
Pour André Comte-Sponville le courage se manifeste par la volonté d’agir quel que soit le danger découlant de l’action à mener. Avoir du courage, c’est oser faire des choses qui sont hors du commun, et pouvant être utile aux autres.

⇒ Il faut du courage pour ne pas se laisser gagner par l’opinion générale. Il a fallu du courage à ceux qui se sont opposés à la propagande nazie. Le courage, nous le rappelle Jaurès : « c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques »
Le courage est dans des valeurs en nous, valeurs qui nous transcendent, qui feront comme à Nice qu’un homme stoppe le camion meurtrier au péril de sa vie, « n’écoutant que son courage », lequel homme reste handicapé.
J’ai retenu d’une intervention précédente que le courage était un atout des machos, hein ? Je voudrais dire que le courage, c’est aussi chez les femmes, et je ne le dis pas abstraitement. J’ai pu le voir de près ; ainsi une amie journaliste qui a résisté sous Pinochet, dénonçant sous son régime la corruption. Appuyée par l’opinion publique elle a échappé à la prison, à la torture ; ces formes de courage participent à l’histoire d’un peuple. De même de Gaulle a eu le courage de dire non, et de rallier tous ceux qui disaient non. Combien de fois, dans nos choix de vie, nous n’osons pas dire non, le courage nous manque, nous acceptons.

⇒ Le courage qui est multiforme est souvent présenté, ramené à ces définitions:
1° La capacité à dépasser la peur.
2° La capacité à affronter les plus grands dangers.
3° La capacité à supporter les souffrances.
4° Le courage en tant que contraire de la paresse.
La première définition « dépasser la peur » me paraît la plus significative, ou du moins la plus noble. Elle est la conduite consciente, vertu chez Aristote : « conduite d’une personne réfléchie », une personne qui peut placer un idéal plus haut que sa propre vie. Ce courage est aussi lié à un sentiment d’honneur, et d’estime de soi. C’est le courage où l’on va sacrifier ses intérêts pour une cause, et cela parfois avec le prix à payer, d’un aspect soit, affectif, financier, amical ……
La seconde « affronter des dangers » peut, être imagée par des comportements héroïques, elle peut concerner ceux qui osent ce que d’autres n’osent pas, comme lancer des défis à la vie, ce qui n’est plus la même forme de courage ; c’est aussi témérité, cela peut même être parfois proche de l’inconscience, ou encore seulement un excès de confiance en soi, ou du culot, ou même le fait d’un tempérament impulsif.
La troisième définition, « supporter les souffrances, les endurer » accepter son sort, « le fatum » (le destin) qui reste acte courageux, correspond tout de même plus à ce que nous appelons du stoïcisme.
La quatrième, ce courage qui surmonte la paresse peut être plus ou moins naturel chez nombre d’individus. Si on fait souvent l’éloge du courage, on a aussi fait l’éloge de la paresse
Si, comme cela a déjà été dit, le courage dans la philosophie grecque, fait partie des quatre vertus cardinales, difficile dans ce sens de bien définir le courage quand on voit que le symbole que les hommes ont choisi pour le courage est le lion, déjà courage et vertu sont dissociés. On peut considérer le courage comme une force de caractère chez celui qui assume son engagement, qui affronte avec une certaine sérénité une situation extrême, celui qui fait face à la mort, c’est le courage dans sa première forme édictée; et là, je pense à Manouchian, le résistant connu surtout par « l’affiche rouge » et à ces quelques lignes qu’il écrit à sa femme : « Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée, Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais […….]. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille [….]. Aujourd’hui, il y a du soleil [….] Ton ami, ton camarade, ton mari ».

⇒ Je crois que le courage est plus présent chez les personnes jeunes, il y a plus de fougue, on a moins d’engagements dans la vie, on est beaucoup plus téméraire.

⇒ Je reviens sur le courage intéressé ou non, et puis sur la signification morale du courage, par exemple, quand il est demandé de tirer sur un, ou des individus.
Bien sûr, que le courage est noble et désintéressé, enfin désintéressé, oui et non, car il ne s’agit pas toujours que de soi, mais cela peut avoir des conséquences pour les autres. Un acte de courage pour le bien des autres est un acte motivé, c’est là une de ses valeurs morales, comme lutter au prix de sa vie contre une dictature.

⇒ En 1942 un jeune homme de notre ville a sauvé une personne de la noyade. Ce jeune homme a aujourd’hui 90 ans, et dit toujours : « Je n’ai pas eu le sentiment de faire un acte de courage, j’étais bon nageur, j’y suis allé… ». Et nous avons aussi dans les archives de la ville des témoignages de courage, lors des deux guerres, voire des témoignages de désobéissance courageuse.
Et puis, même s’il n’est pas courage héroïque, n’oublions pas le courage au quotidien de nombre de profession, pompiers, infirmières, policiers, et bien d’autres…

⇒ Si quelqu’un se noie et appelle « au secours ! », si je commence à réfléchir, je n’y vais pas ! Le courage ne se définit pas par la raison.

⇒ Je reviens sur le courage attribué au genre masculin, lequel bien sûr est aussi féminin. On cite parfois le courage d’Eva Perón, qui parlant du peu de courage de son dictateur de mari disait : « De los dos, yo,  tengo los cojones », (de nous deux, c’est moi qui ait les couilles) ; ce qui ne doit pas nous faire oublier des femmes comme celles au Moyen-Orient, qui osent braver la coutume religieuse, en prenant le volant, en faisant de la bicyclette dans la rue.., ces actes de courages sont propres à faire évoluer la société et les femmes vers plus de liberté. Et puis dans la longue liste, déjà nous trouvons Rosa Parks, Ang san Suu Kyi, etc. Mais le courage peut se manifester dans des actes plus simples, tel le courage des mères qui se sacrifient pour l’avenir de ses enfants ; on pense par exemple au film « Fatima ».

⇒ Une chanson américaine (des Etats-Unis) au titre de:
« Courage is » (le courage c’est)
Dit :
Le courage c’est quand on a peur
Mais qu’on continue à agir
Le courage c’est quand on souffre
Mais qu’on continue malgré tout à vivre
….
L’important n’est pas le nombre de fois où vous êtes tombés
Mais combien de fois vous vous êtes relevés.

⇒ Déjà en fonction de ses diverses formes, le courage ne peut être qu’un simple concept, c’est d’abord une sensation/action, c’est quelque chose qui s’éprouve, et pour cela il faut être en situation d’apprécier si l’on est, ou pas, courageux.
Par ailleurs, j’entends la question « avons-nous du courage ? », comme une question qui m’est aussi posée en tant qu’individu, et également en tant que citoyen appartenant à une génération. Nous sommes pour beaucoup d’entre-nous enfants d’une génération qui n’a pas connu la guerre et qui n’a pas eu à éprouver son courage, ou son manque de courage.
Je me classe ni dans les lâches, ni dans les courageux, mon surmoi a déjà fait son bilan, même si je n’ai pas pu assumer toutes mes indignations. Mais en tant que citoyen, et appartenant à une génération, là je suis beaucoup moins à l’aise. J’ai le sentiment d’appartenir à cette génération de « ventres mous » qui n’a pas su défendre les acquis pour lesquels la génération d’avant nous avait tant lutté ; je pense aux acquis de 1936, je pense aux avancées sociales mises en place grâce au Conseil National de la Résistance. J’ai hélas le sentiment malgré le courageux engagement de quelques uns, que cette génération sera jugée assez lâche, une génération qui aura seulement tenté de sauver « le moi » en sacrifiant « le nous », et qui n’a plus le courage de défendre un principe qui nous honorait, la Solidarité.

⇒ Le courage est nécessaire pour vivre, pour vivre une vie qui ne soit pas que passivité.
Il faut du courage pour faire ses propres choix de vie, avec tous les risques que cela comprend.
Il faut du courage pour s’engager au service d’une cause dont on n’est absolument pas sûr qu’elle fera bouger les choses avant bien longtemps.
Il faut du courage pour exprimer et assumer ses idées politiques mêmes si elles semblent à contre courant.
Il faut du courage en période de conflit armé, ou de guerre civile, pour prendre parti.
Il faut du courage simplement parfois pour faire face au quotidien
Il faut du courage pour vaincre un sentiment d’impuissance, ou face à la perte d’un proche
Il faut du courage pour s’occuper d’un parent malade.
Il faut du courage pour faire certains renoncements.
Il faut du courage pour imposer une, ou, un fiancé à une famille qui le rejette.
Il faut du courage pour reconnaître ses erreurs
Et je suis toujours resté avec cette question quant au suicide : courage ou lâcheté ?

⇒ Le courage (par Paul Eluard)
« Frères ayons du courage,
Nous qui ne sommes pas casqués
Ni bottés, ni gantés, ni bien élevés

Les meilleurs d’entre-nous sont morts
Et voici que leur sang retrouve notre cœur.
Et c’est de nouveau le matin, un matin de Paris »

⇒  Ma première leçon de courage fut face à des oies.
J’étais un de ces petits garçon qu’on habillait été comme hiver en culotte courte, et dans la cour de la ferme, les oies me poursuivaient pour me pincer les mollets, alors je courais pour leur échapper ; jusqu’au jour où je me suis retourné, et où je les ai coursées à mon tour. Elles ont fui et n’ont plus jamais attaqué.

⇒ Il peut y avoir ambiguïté entre acte héroïque et acte de courage. La prise de risque de l’individu peut mettre la société en danger, situation où il est difficile de définir le courage.
Nous abordons là, le « courage » du kamikaze, du terroriste, qui va changer de sens si l’on parle alors de résistant.
Dans son « Traité théologico-politique » Spinoza nous montre dans le contexte de son époque le courage d’opinions politiques osées, non conformistes …

⇒ Il y a des images, des scènes, qui illustrent cette idée de courage, comme, ce jeune homme seul face aux chars sur la place de Tien’anmen

⇒ L’image de Tian’anmen nous pose la question : courage, acte de bravade devant l’objectif, ou acte pour une cause ? Mais cette image restera longtemps un symbole très fort du courage.

⇒ « Le courage nourrit les guerres, c’est la peur qui les fait naître » (Alain)

⇒ Le courage dans certains domaines comme la politique, sujet qu’aborde Cynthia Fleury dans son livre « La fin du courage » est un mouvement collectif, un mouvement d’hommes de courage. C’est le courage de s’opposer à la doxa, le courage de s’opposer au groupe dominant, ceci avec le risque d’être marginalisé.

⇒ Le courage n’est pas que sur les champs de bataille, il n’est pas que bravoure. Le courage c’est: « surmonter sa peur », soit ! Mais le courage ce peut être parfois aussi, surmonter sa honte, surmonter sa honte pour avouer une faute, surmonter sa honte pour demander une aide sociale. Le courage, ça peut être aussi, surmonter sa timidité pour oser la parole dans une réunion.

⇒ Là où la notion de courage est très controversée, c’est dans le cas du suicide : est-ce courage ou lâcheté, vaste débat. Montaigne à l’instar des Stoïciens dont il s’inspire souvent, dit que le vieillard qui souffre, qui se sait condamné à court terme, ne fait pas un acte contre nature en se supprimant, Pascal y voit lui, un acte de lâcheté.

Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement

Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement

 

 

 

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Une réponse à Qu’appelons-nous courage?

  1. beurne dit :

    Ce développement est riche de réflexions mais il aurait pu être davantge structuré.
    Merci pour votre attention

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