Quel est le rôle de la fête?

Restitution du débat du Café-philo du 10 décembre 2014 à Chevilly-Larue

En le Feria de Sevilla (A la fête de Seville ) Cabral (Aguado Bejarano Manuel) 1866. Musée Carmen Thyssen à Malaga.

En le Feria de Sevilla (A la fête de Seville ) Cabral (Aguado Bejarano Manuel) 1866. Musée Carmen Thyssen à Malaga.

Animateurs : Edith Deléage-Perstunski, philosophe, Guy Pannetier, Danielle Pommier Vautrin
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Danielle Pommier Vautrin
Introduction: Pour parler du rôle de la fête, je suis partie d’abord d’une liste de fêtes possibles :
– Les fêtes populaires : 14 juillet, 1er mai…
– Les fêtes politiques : soirs d’élections, fête de l’Humanité et des partis, commémorations…
– Les fêtes familiales et amicales : anniversaires, fêtes, baptêmes, mariages, PACS, retraites, banquets, etc.
– Les fêtes religieuses : Noël, Pâques, Assomption, Ascension, Epiphanie, etc. Hannoukka, Yom Kippour, Roshashanah, Pessah, Soukkot, etc. L’Aïd, le Ramadan, la fête du Têt…
– Les fêtes ethnoculturelles : Soirées des cultures du monde ou des provinces de France sur un thème des cultures traditionnelles…
– Les fêtes sociales : Marchés de Noël, marchés campagnards, Journées du Patrimoine, fêtes communales, fêtes foraines, carnaval, réveillons, jeux de cirque et sports, etc.
Ces différentes fêtes ont un certain nombre de choses en commun :
1) Elles rassemblent un groupe de personnes qui ont quelque chose en commun : famille, ethnie, parti politique, communauté religieuse, groupe social ou associatif…
2) Elles sont composées en partie d’un rituel, d’une façon de se réunir et de partager les mêmes choses à chaque
fois : un kérygme (une partie immuable et répétitive à chaque fête).
3) Elles commémorent la mémoire d’un événement fondateur dans l’histoire du groupe. Elles rappellent des souvenirs communs qui fondent l’histoire du groupe et sa mémoire collective.
4) Elles se passent en général dans un rassemblement fraternel, voire dans la joie (ou l’apaisement comme dans
des funérailles).
5) On y partage un repas : du pain de la messe au repas de réveillon au premier de l’an ! Les nourritures peuvent être spéciales pour les fêtes (pain levé après la fête pour les juifs, galette de l’Epiphanie pour les chrétiens, agneau de l’Aïd…) On mange de la barbe à papa, des frites et des pommes d’amour dans les fêtes foraines… On boit et on partage de la charcuterie dans les fêtes politiques…
6) Il y a une notion d’abondance par rapport à d’habitude, de débauche de nourritures, de boissons, de cadeaux,
de manifestations (chants, danses, musiques…), et de conjugaison de tous les talents du groupe concerné.
7) Parmi les rituels, le corps est à l’honneur (repas, chants, costumes, danses, flirts, paroles échangées ou même corps du Christ à la messe)…
8) La fête suppose certains discours, des paroles spécifiques : on parle de naissance à Noël ou de renaissance à Pâques, de morts et de saints à la Toussaint, du passage de la Mer Rouge et de l’histoire du peuple juif à Pessah, de la tradition musulmane et du partage à l’Aïd, des mythes et des signes du zodiaque chinois à la fête du Têt…
Sans oublier les discours aux « grandes messes » politiques !
9) Des accessoires sont associés à la fête : des rubans, des guirlandes, des ballons, des décors, un sapin ou une crèche, des œufs ou des cloches de Pâques, des livres et des récits collectifs… Il existe aussi un art de la table pour les fêtes.
10) Le costume aussi est important, traditionnel ou soigné et spécial pour la fête : costumes régionaux, djellabas brodées, paillettes, sequins et strass, ors et étoffes de qualité, déguisements, costumes des officiants dans certaines communautés religieuses ou secrètes…
11) On est censé être heureux et de bonne humeur un jour de fête, bienveillant et dans le partage mutuel ou recueillis et en paix ; c’est la trêve des conflits.
12) Les fêtes dans une année liturgique (ou aussi civile) tranchent avec les périodes de grand ordinaire et c’est un événement exceptionnel qui se produit une fois dans l’année pour chaque type de fête…. Leur rôle est alors à mes yeux de raffermir le groupe dans son histoire, dans ses credo, dans sa réalité, et de partager autour de ce que l’on a en commun ; la fête assure la cohésion du groupe et lui permet de sortir de ses préoccupations ordinaires dans lesquelles elle s’enfonce parfois et de sortir des habitudes pour être créatifs pour la vie du groupe, ce qui n’est pas incompatible avec un certain rituel autour duquel on peut broder.
Mais j’arrête là ; pour la suite de la définition de la fête et de son rôle, je vous laisse la parole.
Débat : G La fête est un lien social, une césure, une rupture du quotidien.
Depuis des siècles, les pouvoirs établis ont pensé à offrir, à organiser des fêtes pour le peuple : « Au peuple,donnez-lui du pain et des jeux ! » [(« panem et circences »)] ; cette expression latine est issue [de la Satire X] du poète Juvénal; ceci pour avoir la paix sociale. Les fêtes publiques vont souvent conforter d’idée d’appartenance à une cité, à un pays, à une nation.
Dans son aspect social, la fête est peut-être un exutoire qui va régulièrement désamorcer des idées de rébellion. Parfois même, une certaine licence est autorisée. Pouvoir temporel comme pouvoir intemporel ont longtemps fermé les yeux, avec un peu d’hypocrisie, autorisant que les règles morales des rapports amoureux entre hommes et femmes n’existent plus pendant le temps d’un carnaval ; ce fut parfois un renversement total de la morale, comme dans les Saturnales chez les romains où les rôles maîtres/esclaves sont inversés le temps de la fête. C’était alors le sifflet de la cocotte-minute qui relâche cette surpression pour éviter l’explosion, un moment libérateur. C’est un moment où, disent les sociologues, vont se relâcher tous les processus d’inhibition. Longtemps, passé les fêtes, les individus se remettaient d’eux-mêmes le collier de leur servitude. Le temps de la fête et son rôle, c’est désinhiber, rompre avec la routine, le quotidien, la monotonie, laisser libre cours à la fantaisie. Les fêtes, ce sont parfois des souvenirs qui vont vous accompagner toute une vie, comme des marqueurs du temps. Par exemple, je me souviens encore, lorsque j’étais enfant, des noces à la campagne qui duraient trois jours. Enfin, je dirai, que la fête, c’est quand les hommes, les femmes, sont un instant fatigués d’être des adultes.
G Ma première réaction à cette question a été de me demander, comme le propose Nietzsche, dans  Le gai
savoir
: Qui parle du rôle de la fête ? Qui s’interroge sur son rôle ? Certes pas le fêtard, pas celui qui aime la fête, ni celui qui pratique, régulièrement, les rituels festifs.

Ici, au café-philo, nous sommes invités à festoyer avec des douceurs gourmandes en même temps qu’à réaliser la fête de l’esprit qui vagabonde jusqu’en les idées les plus intempestives et inactuelles. Alors pourquoi s’interroger sur le rôle des fêtes ? Sont-elles en voie de disparition ?
Il y a une multiplicité de fêtes très diverses les unes des autres, mais il y a un élément commun : la fête est une activité sociale. Il n’y a pas de fête solitaire. Faire la fête, aller à une fête relève d’une intention sociale et c’est ce qui lui confère une signification et un rôle. Sauf dans un cas, celui d’une rixe, d’un combat, lorsque quelqu’un vous dit : « Cela va être ta fête ! », mais c’est là, sans doute, une forme détournée de langage. En consultant l’Encyclopédie Universalis j’ai retenu une caractérisation, celle du sociologue Emile Durkheim, dans Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), comme quoi la fête est un rassemblement massif générateur d’exaltation ayant une fonction récréative et libératoire. Si j’ai retenu cette caractérisation, c’est parce qu’elle m’a semblé correspondre aux fêtes auxquelles j’ai participé – comme les chahuts ou le monôme après un examen comme  le baccalauréat, comme les carnavals ou comme les fêtes de fin d’années de travail. Elles  signent la fin d’une longue contrainte et le moment d’une rupture par rapport à cette contrainte, voire le départ d’une libération par rapport à elle.
Cette caractéristique est confirmée par Freud qui ajoute dans Totem et Tabou (1913) : « Une fête est un excès permis, voire ordonné, une violation solennelle d’une prohibition. »   La fête ressort ainsi au « sacré de transgression ». Elle manifeste la sacralité des normes de la vie sociale courante par leur violation rituelle. Elle serait nécessairement « désordre », renversement des interdits et des barrières sociales, fusion dans une immense fraternité, par opposition à la vie sociale commune qui  régule et qui sépare. Voilà pourquoi elle est jubilatoire. C’est bien là, ce que j’attends d’une fête
Or, aujourd’hui, dans notre société consumériste, les fêtes rituelles sont, pour la plupart, devenues des fêtes commerciales : fête des mères, des pères et des grands parents, fêtes de Noël devenues quasiment marchés de Noël, et fêtes religieuses, qu’elles soient de tradition chrétienne, juive ou musulmane. Et dans notre société individualiste, les fêtes commémoratives d’événements historiques sont de moins en moins honorées et a fortiori les fêtes célébrant des temps nouveaux ou des formes nouvelles de société (fête des Lumières, fête communale…).
Mais, pour garder espoir, soyons attentifs aux fêtes de partage – que j’appelle ainsi en pensant au potlatch si bien étudié par l’anthropologue Marcel Mauss dans l’Essai sur le don (1923). Il montre que ce « fait social total » propre aux sociétés mélanésiennes se retrouve aussi dans les sociétés occidentales modernes ; il s’agit de fêtes et de rites qui concernent toute société qui valorise le « donner, recevoir et rendre » : c’est à dire que les échanges (de cadeaux, de politesse, d’invitation, etc.) sont sous le signe du don et du contre-don, du partage et non pas du calcul et du profit.
Sachons reconnaître ces échanges festifs au sein de notre société et sachons les organiser, c’est ce que la question de ce café-philo me suggère avant Noël.
G Dans toute l’antiquité, il y a eu des fêtes païennes, profanes, fêtes des moissons, des vendanges, etc. La religion chrétienne n’a pas voulu supprimer ces fêtes ; elle les a remplacées par des fêtes religieuses, comme pour le solstice d’hiver qui deviendra Noël.
Ces fêtes sont aussi des marqueurs du temps, basés sur la vie quotidienne. Il existe toujours en province des fêtes des moissons ou des vendanges, avec, à la fin, un grand repas. Le sens de la fête, c’est avant tout : nous sommes ensemble.
G Il y a plein de fêtes collectives qui ont disparu, mais on en invente, on en crée d’autres. On les remplace, on les recycle ; on ne voit presque plus de carnavals, ils ont été remplacés par Halloween.
G Les fêtes se recyclent et parfois le sens perdure. Ainsi, la Saint-Valentin était à l’origine une fête du culte de Mithra en Asie mineure, où l’on fêtait un dieu de la fécondité. Puis, chez les Romains, quelques siècles plus tard, on va fêter ce jour-là, un martyr, Valentin. Aujourd’hui, de nouveau, elle reprend ou prolonge sa symbolique première : c’est maintenant la fête des amoureux, la fête de l’amour. C’est une belle fête (même si on n’échappe pas à la récupération commerciale). Belle fête, dans le sens où tous les ans, on voit des trésors d’imagination, où un homme déclare sa flamme à la femme qu’iL aime : ce sera de grandes affiches sur les murs avec des messages personnels, des banderoles tirées par des avions, des annonces dans les journaux, etc. Chaque année, il y a des trésors d’imagination pour trouver une nouvelle façon de dire : « Je t’aime ! »
G Quand je parle de disparition des fêtes, en fait je parle de disparition du sens de la fête, parce que toutes les fêtes païennes ou profanes étaient des fêtes d’échange, de partage, pas des fêtes commerciales. Ceci pour préciser que l’évolution de notre société consumériste et individualiste  oriente vers le développement de ces fêtes commerciales.
G Voici une citation de Pierre Desproges : « La veille du Mercredi des Cendres, c’est Mardi Gras. Les cons se déguisent en imbéciles pour passer inaperçus ! »
G La fête, c’est aussi pour se défouler. La société d’aujourd’hui nous conduit à transformer le rôle de la fête, la dévoyant en ce sens où ce n’est plus l’homme, les êtres humains qui sont au centre de la fête. L’économie de marché à tout bout de champ trouve un bon motif pour faire du commerce avec quelque chose qui était : se retrouver, échanger, partager, dans ces moments festifs où il n’y pas d’enjeu.
La fête peut aider à régler des problèmes qui par ailleurs ne pouvaient se régler. Je pense que la fête reprendra tout son sens si on remet l’humain au centre de la fête. Les fêtes c’est pour se connaître, mieux se comprendre ; je crains qu’aujourd’hui, elles nous amènent à oublier où l’on est, qui on est, où on va.
G Poème d’Hervé (acrostiche) :
LE 1er MAI Fête du travail
Fêter ce jour férié, chômé, payé,
Exceptionnellement, l’Etat admet
Tradition oblige, de le populariser
En permettant la vente licite du muguet.
Défiler est la coutume désormais.
Utilisée, cette fleur fleurit en mai.
Travailleurs souvenez-vous !…
Revendicateurs, les ouvriers sont Américains,
Avant-gardistes de cegrand rendez-vous.
Vêtue de blanc à Fourmies, Marie Blondeau défile portant des fleurs.
Assassinée par la troupe, elle souhaitait faire baisser le temps du labeur.
Idéalisés, un trianglerouge et une fleur d’églantine rappelaient cette date,
Les clochettes odorantes symbolisent aujourd’hui le combat que je relate.
G Si on s’en tient à l’étymologie, la fête c’est une manière de rythmer le temps. Le calendrier romain se divise en jours « festi » et en jours « fasti » (selon l’Encyclopédie Universalis). C’est-à-dire que les jours « festi » étaient consacrés aux cérémonies religieuses, tandis que les jours « fasti » étaient ceux où l’on vaque aux affaires publiques. Le terme « festi » nous a donné : festif, festivité, festoyer, tout ce qui concerne la fête. Le terme « fasti » nous a donné : faste et son contraire néfaste, ainsi que fastueux. Le sens et le rôle, ce rythme avec le temps, avec le calendrier lunaire ou solaire, n’a plus rien à voir avec le rythme d’aujourd’hui.
G Quel est le sens de la fête parfois pour les plus jeunes ? Je me pose la question sur le sens et le rôle des « rave parties ». Cela me semble plus une manifestation de désespérance noyée dans l’alcool, un manque de perspective.
G Depuis toujours fête et musique ont fait bon ménage, et aujourd’hui nous avons une Fête de la musique, même si le commercial s’y mêle. Cela n’empêche pas des manifestations spontanées et gratuites. Par ailleurs, la fête a souvent marqué des ruptures, des rites de passage, par exemple, le passage à l’âge adulte par des fêtes initiatiques dans beaucoup de sociétés. La conscription et la fin du service militaire étaient aussi fêtées.
G Je voudrais revenir sur la notion de plaisir lié à la fête et au sens où la fête est comme une vague qui vient sur la plage et qui repart, sauf si elle rencontre la falaise, la falaise de la société. Les « rave parties » rencontrent la falaise de la société. Il y a des gens qui disent : mais qu’est-ce que c’est que ces fêtes ? Mais en même temps, cette jeunesse réinvente la fête avec ces « rave parties » ; elle la réinvente avec ces moyens de communication sur le Net pour se retrouver. Ils montrent qu’ils veulent que la fête sorte des institutions, qu’elles sortent du rituel, car la fête dès qu’elle se répète devient rituelle.
Quand à la commémoration, déjà évoquée, ce n’est pas une fête. Pour que ce soit une fête, il faut qu’il y ait le plaisir d’être ensemble. Et je trouve qu’il y a de moins en moins de fêtes, de réunions de famille. Cela semble venir de l’éloignement géographique, de l’éclatement des familles… La société évolue, la fête évolue ; il faut sans cesse réinventer la fête.
G Je retiens le lien social. On fait des fêtes où l’on pense que ce sera de la gaîté et on se retient pour ne pas pleurer. J’ai le souvenir de la fête de mon départ en retraite, où gaîté et tristesse peuvent se côtoyer. La fête,
c’est avec ceux qu’on aime, ceux qu’on connaît ; les quitter, ce n’est pas vraiment la fête.
Dans mon village des Cévennes, nous avions la Fête des oignons, tous les gens des environs venaient faire leurs provisions d’oignons.
G Revenant sur la question initiale, celle du rôle, plus que vers les énumérations des diverses fêtes, je voudrais évoquer la fête qui arrive bientôt : Noël, son sens et son rôle aujourd’hui. J’aime particulièrement les fêtes qui réunissent les gens le plus possible. Le plus possible, dans le sens où vont se réunir des gens qui n’ont pas l’habitude de se réunir. C’est pour cela que je n’aime pas plus que cela les fêtes qu’on pourrait qualifier de  « fêtes de clan », car elles confortent l’idée de clan. On est entre soi, dans sa communauté, ethnique ou religieuse. En ce sens, la fête de Noël, tend de plus en plus à remplir, pour le plus grand nombre, cette fonction de fête pour tous. De fête païenne à l’origine, elle a été longtemps récupérée par la chrétienté.
Si l’on revient trois siècles avant notre ère, en Asie mineure, on célébrait dans le culte de Mithra le solstice d’hiver. C’était la nuit la plus longue et les gens alors avaient peur que le soleil ne revienne pas. Et comme, bien sûr, il revenait chaque année, on organisait une fête du retour du soleil, fête qui se terminait par un grand festin. Cette fête du retour cyclique du soleil va passer chez les Romains, puis deviendra fête de Saturne (dieu du temps) et donnera des fêtes nommées les Saturnales. Puis, elle devient à Rome en 330 la fête de la Nativité, fête carillonnée. Le Père Noël, lui, devra attendre, pour naître, le 19ème siècle. A partir de la seconde moitié du siècle passé, peu à peu, le côté religieux commence à s’estomper. Pour le plus grand nombre, elle devient: à la fois fête religieuse et fête laïque, fête profane et, je ne l’oublie pas, fête de la consommation. Elle devient avant tout une fête où les villes s’ornent de décorations, de sapins illuminés, un jour où l’on réunit la famille, les amis
proches, où l’on fait des cadeaux, des cadeaux surtout aux enfants. C’est la fête où les yeux des enfants s’allument de mille feux.
C’est parce qu’elle est, avant tout, fête pour les enfants qu’elle devient fête laïque. En effet, comment dire à un enfant pour qui, dans la tradition familiale, Noël n’était pas une fête, que ce n’est pas pour lui, alors qu’il voit les autres enfants se préparer àcette fête. Nous voyons aujourd’hui en France des personnes d’origines diverses, de confessions diverses qui participent à Noël. Noël qui alors, aide à estomper des différences, Noël qui rapproche, qui devient une fête pour tous, une fête propre à créer du lien social.
G La fête peut avoir un rôle de réconciliation. Dans la fête, on veut que tout le monde communique, on rit, on plaisante… C’est un moment où on est bien ensemble. Mais elle peut aussi cacher les conflits.
Dans une pièce de théâtre, L’inscription, une jeune femme réunit ses voisins pour faire la fête du pain. La fête va créer des liens amicaux, mais ne va résoudre tous les conflits. Le lendemain, on découvrira dans l’ascenseur
une inscription antisémite hostile au mari de l’hôtesse de la fête.
G Le poème de Florence (Acrostiche) :
Quel est le rôle de la fête ?

Quand vient le moment de compter le temps
Un joyeux chaos s’invite à la table
En l’honneur de l’arrivée du printemps
Le roi et le mendiant sont permutables

Eméché tu te hisses au firmament
Sans visage, sans honte et sans vergogne
Toc, toc, la sève bat et le sang cogne
La fête est l’alibi de ton tourment
Et tu te sens vivant, irremplaçable
Rassemblés autour de ce sacrement
Osons le mystère indéfinissable
Lorsque les âmes vibrent à l’unisson
Elles sentent bien qu’il leur pousse des ailes
Dans cette ribambelle universelle
Eternelle émotion de la chanson
L’instant est suspendu entre deux rives
Au jour où le petit miracle arrive
Fabriquée, improvisée, c’est fatal
Elle relie au présent ton ordinaire
Tambour, trompette et ses flûtes de cristal
Elle te fait un bonheur embryonnaire
G Dans une société où c’est parfois difficile de maintenir des réunions, des fêtes, avec les changements dans la société, il peut y avoir du désir malgré tout de créer du lien. Par exemple, depuis quelques années, il y a la Fête des voisins pour romprel’anonymat.
Par ailleurs, la fête, c’est participer, comme pour le 14 juillet où l’on incite les gens à pavoiser, à  défiler, à aller au bal.
Revenant sur le rôle réconciliateur des fêtes, elles ne mènent pas toutes à la réconciliation. Des livres, des films, comme par exemple Festen, nous parlent de fêtes qui tournent mal, voire même, qui finissent en règlements de
compte.
G Il y a encore fort heureusement des fêtes avec de grands repas de famille ; on arrive à réunir autour d’une même table tous les membres d’une même famille et toutes les générations. Là aussi, c’est des marqueurs, des souvenirs et de la convivialité.
G « Pour moi, la fête est avant tout une ardente apothéose du présent, en face de l’inquiétude de l’avenir », a écrit Simone de Beauvoir dans La force de l’âge. On se rappelle qu’à l’approche de l’an 1000, les hommes pensaient que ce serait la fin du monde. Des gens se sont alors pour beaucoup adonnés à la fête. Des fêtes allant parfois jusqu’à l’orgie.
Et la  phrase de Simone de Beauvoir nous rappelle que face à un avenir dont on n’est pas sûr qu’il soit porteur de jours heureux, on peut évacuer un temps son inquiétude, ne vivant, comme le dit Simone de Beauvoir, que l’instant présent. La fête est alors le véritable vivre pour vivre, le « carpe diem », l’instant qu’on cueille.
C’est peut-être aussi, une fonction de la « rave party », face au « no future » : se déchirer, oublier. On retrouve ça, sous une forme un peu différente, dans les grandes villes d’Espagne, avec les « botellon », soirées hebdomadaires où une jeunesse (à 25%) au chômage) se réunit pour boire, faire la fête. Ils apportent leur musique, leurs boissons, boycottant le système commercial. Au petit matin, le sol est jonché des bouteilles vides. Comment interpréter ?
La fête peut aussi avoir des aspects économiques. Ainsi, toujours en Espagne, la tradition et l’économie œuvrent
à la sauvegarde des fêtes religieuses, lesquelles sont l’occasion d’attirer des touristes de toute l’Europe. Ce sera,
par exemple, la « Semana Santa » à Séville ou d’autres célébrations à l’origine essentiellement religieuses. L’économie y trouve son compte, l’Eglise y trouve son compte, mais la participation spontanée des autochtones a bien diminué. Nous avons pu le constater sur ces trente dernières années : les appareils photos ont remplacé les chapelets. Peu de spiritualité, beaucoup de pixels ! Avant, c’était comme dans toute fête populaire : un moment où chacun se sentait vraiment acteur.
G Est-ce que les fêtes comme la Féria de Nîmes ou celle de Pampelune, où les gens risquent d’être blessés, sont encore des fêtes ?
G Je ne confonds pas fête et rituel. Ceux qui fêtent Noël, ne fêtent pas tous la Nativité.
Quant aux férias qu’on a évoquées, c’est devenu un truc commercial ; cela n’a plus rien à voir avec la fête
Par contre, ces mêmes jours, il y a des gens qui organisent des fêtes entre eux, en dehors du circuit commercial.
G Une note un peu moins optimiste : il arrive que, lorsque viennent les fêtes, on ait un petit coup de blues, parce qu’on pense encore plus à tous ceux qui ne sont plus là, ceux qu’on a perdus, et, là, on a hâte que les fêtes soient passées. Heureusement, il y a les enfants, ils nous font oublier et reprendre courage…
G Dans les grandes fêtes qui deviennent orgiaques, il y a le Carnaval de Rio, où il y a des morts, des assassinats chaque nuit…
Œuvres citées :
Livres :
Le gai savoir. Friedrich Nietzsche.
Les formes élémentaires de la vie religieuse. Emile Durkheim.
Totem et tabou. Sigmund Freud.
Essai sur le don. Marcel Mauss.
La force de l’âge. Simone de Beauvoir.
Théâtre :
L’inscription. Pièce de Gérald Sibleyras créée le 11 janvier 2004 au Théâtre du Petit Montparnasse dans une mise en scène de Jacques Echantillon.
Film :
Festen. Film danois sorti en 1998 réalisé par Thomas Vinterberg.
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