Dernière restitution :

Qu’est-ce qu’être normal

Bernard Buffet. Clown 1956

Berbard Buffet. Clown. 1958

Restitution du débat du 28 octobre 2023

Animateurs : Edith Deléage Perstunski. Thibaut Simoné. Guy Pannetier.
Introduction : Guy Pannetier.

Introduction : « Il était une fois un village où, depuis toujours les habitants boitaient du pied gauche
Vint à naître un enfant « anormal » lequel allait boiter du pied droit
Le temps passa un plus grand malheur survint ; allait naître un enfant encore plus « anormal ». Plus anormal en ce sens que celui-ci ne boitait, ni du pied gauche, ni du pied droit. Tous les gens du village venaient consoler les parents, les consoler dans leur grand malheur…. »

   Est considéré comme normal nous dit le grand Robert de la langue française, « celui qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel, qui est conforme au type le plus fréquent, ou présumé, tel », (le présumé tel, nous laisse une marge de manœuvre).

Trésor de la langue française : qui ne présente pas d’anomalie physique. Définition qui en soi nous interpelle ;

André Conte-Sponville ; Normal :  » Qui est conforme à la norme, mais à une norme purement factuelle… C’est ériger le fait en valeur, la statistique en jugement, la moyenne en idéal. Ce qui rend la notion désagréable, sans permettre pour autant de s’en passer. »
Comme toujours pour bien saisir un mot, il est utile de voir son contraire, ses contraires ; en    l’occurrence, nous avons : anormal, bizarre, détraqué, excentrique, inattendu, insolite ….
Être normal est, ce qui est jugé conforme à la norme. Alors quel est cette outil de mesure qu’on défini comme la norme, et d’après quels aspects une norme se défini. S’agit-il de :
Normes d’usages,
Normes esthétiques,
Normes sociales,
Normes morales,
Normes de coutume,
Normes de l’apparence,
Normes vestimentaires.
Alors suis-je dans la norme ? Je pose, je me pose la question : suis-je normal ?
Si on me répond oui, c’est presque gênant, car le Grand Robert de la Langue française. Alain Rey, dit : «, qui est dépourvu de tout caractère exceptionnel », cela alors  signifie que je ne diffère en rien de l’individu lambda, c’est presque être un individu un peu fade, à la limite, une simple copie du modèle standard, un anonyme? D’ou, peut-être la peur d’être comme les autres, d’être banal, de ne pas avoir de « personnalité »,  la grande crainte  des ego.
Nous sommes tous plus ou moins tiraillés entre : être dans les normes, et être différent à la fois.
Il n’y a que Charlebois pour dire, clamer, chanté : « je suis un gars ben ordinaire »
Cette histoire de norme est un enferment, et la démarche philosophique s’accorde mal  d’une démarche que veut répertorier, classifier les individus.
Heureusement qu’on a découvert quelques très rares cygnes noirs, et quelque très rares (trois) mammifères pondant des œufs, dont l’ornithorynque.
Sans être l’ornithorynque, je veux être normal et différent à la fois, ce n’est pas normal me direz-vous! Nous sommes nous, « l’homme sans plumes » (de Platon) la conséquence d’une anormalité. La nature se saisi d’une anormalité génétique, principe de l’évolution darwinienne ; les oiseaux sont une anormalité des dinosaures ; nous sommes une anormalité par rapport à nos ancêtres primates…..
Être normal, peut tout aussi bien concerner : une personne, une chose, une situation. Sous ces divers angles je voudrais rappeler  que l’anormalité  dans une époque, va devenir parfois, la normalité, dans une autre époque. La normalité est un concept abstrait, elle sera évoquée en fonction de maintes variables : en un temps, en un lieu, dans une société donnée, elle ne peut être une loi universalisable, elle se réfère à des statistiques à une notion morale  de bien ou de mal.  Je pense à Amandine, (premier bébé éprouvette, en France, 1982). On a entendu à l’époque qu’un enfant ainsi conçu ne serait pas normal, les gens se disaient choqués, on a même entendu l’expression « bébé Frankenstein ».
La « La science » dit- on « prend souvent l’homme de vitesse », c’est un an après la naissance d’Amandine, en 1983 que sera créé le Comité National d’Ethique. Une des premières questions était : l’éthique de notre société devait elle considérer  comme « normale » la procréation in vitro, procréation en dehors de l’ancestrale relation sexuelle entre un homme et une femme ? Amandine a quarante et un ans, et à  ce jour plus de quatre millions d’individus dans le monde ont été conçus ainsi.
D’autres questions viendront, quant à accepter comme rentrant ou pas dans le domaine du normal : le séquençage et la sélection embryonnaire à des fins médicales, le vivant breveté, ou encore utiliser, louer le corps d’une autre femme pour faire son propre enfant (G. P.A ). Autrement dit,  prendre,  utiliser « autrui en tant que moyen, et non en temps que fin » (impératif catégorique). Voilà qui n’était pas du domaine du « normal » pour Kant. De tous temps les générations sont confrontées à cette exigence éthique de ce qui est, de ce qui devient : « normal »

Débat : ⇒ Qu’est-ce qui définit la normalité ? Je pense que la normalité dépend d’un contexte, d’une époque, d’une société dans laquelle on vit. Freud disait : «  Une personne normale, est une personne ayant un comportement sain, qui ne renie pas la réalité, et qui, au contraire sait s’y confronter et la transformer  avec les outils qu’il possède. Ceux qui ne possèdent pas ses stratégies sont des individus présentant des troubles émotionnels, comme c’est le cas des névroses »
Être normal, revient à se conformer aux règles d’une société donnée, ou ce qui est considéré comme normal dans une certaine culture.
Les normes sociales varient d’une société à une autre, ainsi l’excision est considérée comme normale dans certaines régions d’Afrique, et bannie chez nous.
De nos jours des comportements sexuels sont normaux dans certains pays,  et refusés dans d’autres.

⇒ Dans le domaine médical, le mot normal est utilisé pour ce qui n’est pas dangereux, ou ce qui pourrait mettre en danger l’équilibre de l’organisme. Par ailleurs, être normal, c’est, être confronté à des règles implicites.
La normalité se défini à travers l’intersubjectivité et la connaissance sociale qui peut varier selon des coutumes, des époques, une culture…
On cherche à avoir un comportement normal pour rentrer dans le moule de la société, et selon des statistiques la normalité peut se mesure au Q. I.

⇒ Au 19 ème siècle sur une île du pacifique qui s’appelle, Linguelap, il y a eu une tempête affreuse qui a décimé la majeure partie de la population, et les survivants étaient porteurs d’une mutation sur le chromosome 2 ; et cette mutation c’est l’achromatopsie (où, quand les individus ne voient le monde qu’en noir et blanc), et, depuis pour les habitants de l’île, lesquels ne sont que deux ou trois cents, leur vision de toute chose est en noir et blanc, c’est pour eux la vison normale.
Comme il n’y a pas de permanence  dans le vivant, il y a quelques habitants qui eux voient en couleur ; et par rapport à la population mondiale la proportion de cette vision « anormale » est peu  élevée.
Donc, on peut aussi se poser la question, si tous les êtres humains avaient tous, depuis l’origine, cette modification de chromosome 2, Quelle vision aurions-nous du monde ?

⇒ Je crois que les normes font simplement partie de la culture, et, qu’est-ce que la culture? C’est un ensemble de connivences qui réunit les gens entre eux et qui permettent de faire peuple.
Les normes suivent l’évolution de la culture, et il se peut « que les vices d’hier soient les mœurs d’aujourd’hui », (pour paraphrasé Sénèque), voir, pour cela les mœurs et orientations sexuelles.
Revenant à l’excision, même sachant que les mœurs changent d’une culture à une autre, on ne peut pas pour autant dire : chacun vit selon ses propres normes, et de là,  tomber dans le relativisme. Il faut pouvoir continuer à dire qu’il y a des choses qui ne sont pas normales, et qui restent inacceptables

⇒ Quand on est enfant il nous faut être dans la norme du groupe, comme à l’école pour être accepté. Puis vient l’adolescence où pour s’affirmer, se démarquer des autres, on peut aller vers l’excentricité, trouver quelque chose qui fasse sens pour nous, vient alors une envie d’être singulier.
Et s’il n’y avait pas de normes, on n’apprécierait pas autant d’en sortir

⇒ Est-ce qu’il est normal dans certains secteurs  d’activités, de paraître normal, voire, excentrique ? Est-ce que l’artiste est normal, ou anormal ?

⇒ Hier soir il y a eu une émission sur Brassens ; sur son histoire personnelle, son histoire artistique, et le fait que dès son enfance, puis adulte, il a voulu être rebelle, exprimer sa singularité sans remettre en question les normes qui font société, sans étendard ; celui-ci étant à la fois, poète, auteur, et chanteur.
Et en fait on constate que par ses chansons il nous apprenait  à faire société même en ne respectant pas toutes les normes.
Ce mot norme  nous vient de « norma » l’équerre, soit un outil qui sert de règle, qui permet de tracer des angles droits. Un mot qu’on trouve surtout dans le vocabulaire des géomètres, des architectes. Donc le sens originel de ce mot norme, c’est que tout ce qui est autour de nous, et notre espace euclidien, doit être, doit avoir valeur pour nous, c’est la règle !
Le philosophe Marc Aurèle, qui porte en somme cette forme de pensée, donne ce conseil à ses amis : « Il ne faut pas croire a que ce qui arrive, il faut vouloir que ce qui arrive, arrive comme tu veux ». C’est-à-dire, il faut être normal, conforme à ce qui est.
Les philosophes modernes, tel Descartes…, insistent sur le fait  que la norme, c’est ce qui doit être, mais par différence
avec ce qui est. La norme relève de la volonté, de la liberté humaine.
L’être humain est  celui qui peut poser la règle, ce n’est pas celui qui s’adapte à la règle.
Donc, les normes sont variables ; d’où les contemporains, et je m’appuie surtout sur Foucault, Nietzsche.., lesquels insistent sur le problème de savoir qui dit la norme. Puisqu’elle est variable, elle est énoncée par des être humains, mais lesquels. Et bien, certains disent, ce sont les puissants, d’autres disent, ce sont ceux qui ont le pouvoir, d’autres disent, ce sont ceux qui ont de l’argent, bref !
Michel Foucault a écrit « l’Histoire de la folie » pour mettre en évidence le fait que le fou c’est celui qui est énoncé, dénoncé dans la société  dans laquelle il se trouve, dénoncé comme « anormal », pas conforme à la règle : le fou, le rebelle, le déserteur, etc..
Donc, « anormal » disent les philosophes, c’est refuser la rationalité inventée par ceux qui détiennent le pouvoir. Donc c’est valoriser des valeurs, valeurs des utopistes, des idéalistes, des indignés…
Dans son ouvrage, Hans Jonas : « On ne crée pas les valeurs, on est saisi par elles », sa question est comment naissent nos valeurs ? Alors, contre le relativisme dominant, il essaie d’expliquer qu’une valeur, c’est une conviction qui s’impose émotionnellement, à soi, ce n’est pas une conviction que rationnelle ; celles-ci naissent à partir d’expériences vécues ; elles sont attractives. Les valeurs sont attractives, alors que les normes sont restrictives.

⇒ Tout le monde norme les autres en fonction de soi, en fonction de son vécu. Pour avoir connu mai 69 j’ai vu sauter les normes. Les gens s’habillaient souvent très différemment. J’ai vu ; vécu une explosion de liberté. Et je crois que venir ici, pour discuter ce genre de sujet, nous sommes un peu hors normes, tout les gens ne se livrent pas à cela. Les gens normaux regardent la télé !

⇒ Si on va sur les réseaux sociaux, on est vite normé, classé par les algorithmes, lesquels nous renvoient vers ce qui se rapproche de ce que nous avons visité, voire, « liké ». On n’est pas comme ici, dans un débat confronté à des idées qui peuvent être contraires aux nôtres. Sur les réseaux sociaux on pense  « entre-nous »,  avec « ceux qui pensent comme nous », on est rassurés.

⇒ J’ai abordé ce sujet en pensant a : « normal » ou « anormal », ce qui m’a ramené aux années 70 où un médicament la thalidomide, laissait les femmes enceintes dans l’angoisse. Les enfants pouvaient naître «  anormaux», soit sans bras, soit sans jambes…

⇒ Dans les comportements de personnes dites, « normales » on peut rencontrer certains comportements qui s’apparentent alors avec ceux de personnes dites « anormales », voire de la schizophrénie. Ce qui change tout c’est lorsqu’il y un comportement hors norme qui se répète.

⇒ Quant à l’excentricité, que ce soit dans le spectacle ou autre domaine, cela peut être le besoin d’afficher une différence pour se faire remarquer, cela peut être le besoin d’afficher sa différence. Il y a dans ce même type de  personnes excentriques, ceux qui vont créer des choses hors normes, et parfois géniales, qui font sortir des schémas traditionnels ; que ce soit des écrivains, des peintres.., beaucoup sont sortis des normes pour créer, autre chose. La transgression elle-même peut faire évoluer la norme.
Dans un autre domaine, il y avait hier soir sur une chaîne de télé, un reportage sur le « crédit social » en Chine. Le parti communiste impose une norme comportementale dite « crédit social », où suivant vos comportements vous acquerrez ou vous perdez des points. Vous traversez dans les passages piétons, vous gagnez un point, vous prenez les transports publics vous gagnez trois points, vous achetez une bouteille de vin, vous perdez six points. Ce crédit va permettre d’être admis pour voyager, admis ou non dans certains hôtels. C’est punition, récompense.
Une jeune femme chinoise interviewée quant à ce nous voyons comme un dictat, disait j’ai acquis un maximum de points. Alors vous êtes sage ?  lui disait le journaliste,
– non répondait-elle, je suis normale.
Ce qui confirme qu’en respectant une norme dictée autoritairement, on la rend conforme.

⇒ L’ uniformité sociale peut être dangereuse, je pense par exemple, à la race pure, avec des usines à bébés qui devaient naître blonds aux yeux bleus, pour faire la race pure, la race arienne.
Et cette notion dangereuse de l’individu normal, se trouve même chez un auteur français qui fut prix Nobel. Dans les années 1920 Alexis Carrel écrit « l’Homme cet inconnu » où il préconisait  l’eugénisme, il fallait se débarrasser  (je le cite) : «  des faibles, des arriérés, des tarés, des faibles d’esprits, des déficients.. » il fallait améliorer la race humaine, car « … les anormaux empêchent le développement des normaux, il faut regarder le problème en face… » Il préconisait de désengorger les prisons, et pour cela il fallait pour lui : « supprimer les criminels au moyen de gaz appropriés ».
Dans la société de cette époque, ces écrits n’ont pas suscité de réactions particulières dans le public français. Ce qui nous rappelle que : du nazisme, d’Alexis Carrel à la Chine d’aujourd’hui, nous devons toujours être vigilants sur cette notion de « normal ».

⇒ L’excentricité peut créer des oasis, ce que nous voyons sur les réseaux sociaux, avec parfois des excès où, à trop vouloir se singulariser, à vouloir se « dé genrer » on se trouve devant un gloubi boulga, où l’hétérosexualité est devenu presque hors normes, norme même un peu rance. Il nous faut faire avec toutes nos différences, et savoir que le hors norme est possible.

⇒ Être normal, c’est l’anonymat pour certaines personnes. Il y a un rapport direct entre l’aspect, l’image qu’on envoie, qu’on montre de soi, et sa personnalité. Se comporter autrement, s’habiller autrement, se coiffer autrement, alors, ça permet d’exister, d’être conforme à ma nature, de  « devenir qui je suis »
Un peu à l’inverse,  on lit dans l’ouvrage de Rosa Montero « Del peligro de estar cuerda » (Du danger d’être saine d’esprit) «  Personne ne se rend compte que certaines personnes dépensent une énergie formidable pour être normales, pour soutenir la fragile vitrine conventionnelle de l’existence ».  

 

 

Quelle place pour le doute?

L'âne de Buridan. Estampe

                                                                                 L’âne de Buridan . Estampe.

Restitution du café-philo de Chevilly-Larue du 3 juin 2023

Animation: Thibaut Simoné.  Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : « Le premier pas vers la philosophie est l’incrédulité »  (Diderot) Ce mot est tout autant chez lui, le refus de la croyance religieuse, que le refus des choses a priori, ce que l’on nomme aussi le scepticisme (j’y reviendrai).Le mot Doute vient du latin « Dubitare » balancer..
Balancer peut être entre deux possibilités. C’est,  être certain qu’une de ces deux propositions est bonne. Cela ne semble pas correspondre à l’esprit français qu’on dit « cartésien ».
Dans certaines langues, certaines cultures, le doute n’est qu’affaire d’analyse et d’expérience, dans notre approche française, le doute n’est pas toujours dépassable. C’est oui, nous savons, mais !
Mais !  Parce que nous savons que dans bien des domaines, des certitudes inoxydables (expression de Jankélévitch), des vérités scientifiques ont été renversées par des connaissances nouvelles.
Toutefois le doute ne doit pas nous empêcher d’agir, ou alors nous nous retrouvons dans la situation de notre ami l’âne ; l’âne de Buridan qui hésitait entre manger de l’avoine dans le sac devant lui, ou boire dans le seau à côté du sac d’avoine, il a tant hésité, nous dit l’histoire qu’au 107ème jour il est mort.
Donc, le doute parfois ne peut pas empêcher d’agir, on ne pas toujours rester dans la suspension de jugement des sceptiques (l’époché).
Le mot sceptique vient du grec SKEPSIS, soit ; recherche critique, examen, il est refus d’admettre une chose sans un examen critique. Les sceptiques pèsent les  raisons et finalement optent pour ce qui leur paraît le plus sage, ils dépassent le doute, et agissent. D’autres sceptiques que sont les pyrrhoniens, eux, doutent de tout, et suspendent leur jugement, et ne peuvent se prononcer.
Pour certaines personnes le doute les met dans l’embarras, dans l’embarras à ce point que cela empêche toute action, comme pour l’âne, alors ils vont prendre l’option d’agir comme le plus grand nombre, opter pour ces vérités inoxydables; ils ne peuvent pas vivre dans l’incertitude, le doute est tel le sol qui se déroberait sous leurs pieds. Alors ils vont se rabattre sur les jugements a priori, se conformer au « tout le monde pense comme ça,»  « tout le monde fait comme ça ».
Mais, vivre, c’est en raison, dépasser le doute.
Si je doute de moi, du moins si je doute trop de moi, je me ferme l’avenir, je me prive d’entrée, de tous les possibles. Et c’est justement parce, oser vivre, en conscience du doute, c’est se donner des chances, des chances de surprises agréables, de découvertes, de rencontres, que je pourrai me réaliser.

 

: Débat: Il existe plusieurs sortes de doutes. Où situer le doute ? nous voyons :
Le doute en général, le doute comme incertitude sur la réalité d’un fait ; le doute sceptique (déjà cité) ; Le doute cartésien, où comment douter raisonnablement en analysant, le doute qui suscite réflexion ; le doute et la philosophie, celui qui libère des dogmatismes, car : « l’ennui dans ce monde » nous dit Bertrand Russel « c’est que les imbéciles sont sûrs d’eux, et que les gens sensés  plein de doute ». Le doute traverse toute la société, lequel est nécessaire pour l’évolution de cette société. Mais le doute systématique peut engendrer la suspicion, qui va jusqu’au complotisme, aux fake news comme nous l’avons vu lors de la crise de la Covid 19.
Aujourd’hui le doute s’inscrit dans des nouvelles technologies, tel ChatGBT, où le faux se déguise en « vrai », où des avatars se substituent au réel.

⇒ Il existe au moins deux sortes de doute, il est comme le sérum et son poison ; le doute utile et le doute malsain. Le doute utile qui permet l’analyse,  les bons choix, celui qui évite les catastrophes. Puis le poison ; celui  qui est instillé par un tiers. Celui qui vous empoisonne, qui vous met dans l’embarras, qui va à l’encontre de mon raisonnement, qui peut vous culpabiliser…
Sortir du doute, peut être, écouter d’autres avis, pour retrouver la confiance

⇒  Il y a un mot que j’ai entendu, c’est le mot confiance, j’aime bien ce mot ; actuellement nous vivons dans une époque de diverses informations, dans un flux permanent, flux dans lequel on ne peut pas tout vérifier. Par conséquent, quand une information nous intéresse, il nous réfléchir si nous pouvons faire confiance à la personne qui en est la source. Par exemple, si j’entends un cosmologiste qui nous explique que l’univers observable a 10 milliards d’années, bien sûr je lui fais confiance.

⇒  Le doute c’est le contraire de la certitude. Entre les certitudes, la croyance, et la foi, le chemin est très court. Le doute me fait penser que ce que l’on tient pour vérité n’est que vérité visible, et toute vérité doit pouvoir être réfutable ; c’est le  rincipe même de la science. La science n’avance que, parce qu’à un moment donné un collectif se trouve d’accord sur certains points, puis un autre collectif viendra qui va démontrer que ce n’est pas ça, ou que c’est  plus du cela ;
Je suis assez d’accord qu’il faut dépasser le doute pour avancer,  mais ne pas avancer des choses bêtement, car il faut que l’on doute du doute.
Mais le doute du doute a déclenché le complotisme, et il se trouve des gens qui ne vivent que dans le complotisme permanent. Donc il faut douter de ce qui voudrait qu’on soit manipulé, que tout soit complot. Il faut faire confiance à un certain nombre de spécialistes, mais aussi garder notre jugement quant à ces spécialistes, car une information peut  avoir aussi ses charlatans. Donc il faut être confiant et vigilant à la fois, le doute nous y oblige.

⇒  Etienne Klein différencie le doute et le soupçon. Le soupçon est pour lui le négatif ; le doute se posant lui à priori face à une affirmation, là où le soupçon est le refus de ce qui se passe, et le complotisme étant lui un refus sans aucun questionnement de l’intelligence, de la raison.
Donc il y a différence entre doute et soupçon, ce que reprend la philosophe Eléna Pasquinelli, qui elle, travaille sur la conscience, sous les différents positionnements de la conscience en lien avec la société, individuelle ou collective, et l’unicité du doute.
Elle questionne notre rôle, et celui dans la société qui n’a pas confiance dans ses institutions. Donc pour moi, la question est : comment se prémunir du soupçon, et passer à un doute raisonné ; à titre individuel et aussi à titre collectif ? Comment favoriser un doute qui ne crée pas des sociétés complotistes ? Et à l’inverse comment créer une société de la confiance, quand cette confiance est basée sur une  confiance à  diffuser et à partager.
Ce n’est pas le cas dans nos institutions scolaires d’apprentissage de la confiance, et de la compréhension ; ceci dans le sens que ce qui donne la confiance n’a pas lieu et donc la présence du doute est très présente chez les jeunes.

⇒  Quand on parle de doute, on parle parfois de doute métaphysique ; y a t-il quelque chose là-haut de suprême, y a-t-il vraiment quelque chose après la mort ? Ce doute est astucieusement exploité par un dénommé Blaise Pascal, qui propose rien de moins qu’un pari, pari dans lequel il dit : Vous pariez sur l’existence de Dieu ; vous n’avez pas investi grand-chose, et voilà qu’il existe, vous ramassez le pactole, la vie éternelle …,  vous refusez de parier, et voilà qu’il existe, vous perdez non seulement gros mais vous voilà condamné à la damnation éternelle.
Et vivre sans la confiance n’est pas concevable pour certaine personnes, il faut une croyance en quelque chose, quelque chose qu’ils ne remettront jamais en question, ainsi à l’extrême on parle de la foi du charbonnier :

« Le diable un jour demanda à un malheureux charbonnier
-Que crois-tu ?
Le pauvre hère répondit :
– Toujours je crois ce que l’Église croit.
Le diable insista :
– Mais à quoi l’Église croit-elle ?
L’homme répondit :
-Elle croit ce que je crois»Le diable eu beau insister ; il n’en tira guère plus et se retira confus devant l’entêtement du charbonnier. (Fleury de Belligen. Grammairien du XVIIème s)

⇒  Clément Victorovitch a été présenté dans une émission qui avait pour titre «  Eloge du doute » dans laquelle il nous parle de la différence entre les valeurs d’un auteur qui peut nous affirmer  des faits de manière scientifique, ou, affirmer avec des arguments, lesquels sont parfois biaisés. Et l’on parlait alors de doute quant à la chloroquine ; lors de la crise de la Covid 21 avec une personnalité scientifique qui proposait de soigner les effets de cette maladie, laquelle était en opposition totale avec des scientifiques de ceux qui osaient même dire, « – je ne sais pas » ; Donc le doute s’est répandu sur les réseaux sociaux, et les algorithmes  ramenaient toujours sur des publications qui affirmaient l’efficacité de ce traitement, c’était le billet de confirmation.
Ce billet de confirmation en fait était augmenté par toutes les recherches qu’on peut faire sur Internet, et par des articles, lesquels avec le fonctionnement des algorithmes nous ramenait toujours vers des articles allant dans le même sens ; donc, des articles où le doute est effacé, supprimé, puisqu’on va toujours dans le sens de ses certitudes antérieures.
Et je me suis replongée dans un ouvrage de Gerald Bronner «  Apocalypse cognitive » qui nous dit que le déferlement de l’information a entraîné une concurrence généralisée  de toutes les idées. En fait il n’y avait pas de hiérarchie entre les informations provenant de scientifiques aguerris, et d’information provenant de « margoulins », qui énonçaient des informations à l’emporte pièce.
De toutes ces lectures j’en ai tiré un petit texte.
Le doute fait que l’Être humain  ne se contente pas d’être au monde, mais de penser le monde et de l’interroger, et aussi se faire violence en ne s’appuyant pas sur des certitudes, comme de ces fameuses certitudes qu’on nous a assénées lors de la pandémie.
C’est inconfortable, alors maintenant comme dans les siècles passés il est difficile de dire « je ne sais pas » ou, « je ne suis pas sûr ».
Avoir des doutes doit donner le temps de comprendre, de réfléchir. Dans une époque où tout va très vite, où il faut prendre des décisions rapidement, le doute est mal perçu, il n’a pas sa place.

⇒   La peur n’a pas sa place avec le doute, on a besoin de certitudes ; et certains scientifiques parlent avec éloquence, tel un certain professeur lors de la crise de la Covid 21. C’est problématique, car l’éloquence de la parole ne correspond pas à la justesse de la pensée.
On a vu que la recherche et la science ce n’est pas la même chose, que la recherche est chronophage, et que si sur un plateau de télé, si vous dites « je ne sais pas », vous n’êtes plus invité.
Une la société est parcourue par deux courants : conséquence de cela, c’est que cela crée le doute envers la communauté scientifique.
Etienne Klein cite un philosophe anglais, Bernard Williams, lequel dans son ouvrage «  Vérité et véracité » explique que la société est parcourue par deux courants de pensée qui normalement devraient s’annihiler mutuellement, mais au contraire, ils se renforcent. Il dit : la terre est parcourue, et par la recherche de la véracité, et par le refus d’être dupe, donc la tradition du doute, c’est qu’il est complètement légitime en démocratie, mais cette permission de douter va se muer, en hyperthrophilie. Et cette hyperthrophilie va en venir jusqu’à nier le fait qu’il puisse exister des énoncés fiables, et des énoncés dont il est compliqué de mettre en doute ; c’est un vrai danger démocratique. C’est ce que dénonce Pascal Bronner dans « La démocratie des crédules » .

⇒  Il nous faut toujours bien définir ces deux mots, certitude et conviction. La conviction est une « vérité admise » qui ne clôt pas la recherche de vérité, c’est ce qui me paraît en toute honnêteté comme étant vérité, ce qui me paraît plausible, ce à quoi on pourrait s’en tenir. Politiquement et socialement il me faut des convictions, mais je ne les considère pas comme « vérité en soi ». Avec l’âge, les événements, mes convictions ont changé. La conviction n’est pas la sortie du doute, elle ne s’apparente nullement à une certitude, car dans la conviction la part du doute n’est jamais réellement éliminée. Les certitudes sont des prisons.

⇒ Le doute mène à une petite inquiétude, et le professeur qui lors de la Covid 21 aurait dit « je ne sais » pas nous aurait encore plus inquiété. Il y a quelque chose d’intéressant dans ce rapport : autorité, doute. L’autorité qui doute cela crée la crainte, mais aussi à la recherche de discernement.
J’ai bien aimé cette idée que le doute fait naître l’inquiétude.

⇒  Dans nos sociétés occidentales, nous ne sommes plus éduqués à une société de certitudes, en opposé, je pense à une population qui vit dans une incertitude complète (exemple Haïti) liée aux différents événements climatiques, géologiques…, cette société là, a un rapport au doute et à la certitude, de pensée très différente à la nôtre. Là, j’ai entendu dans ce débat quatre expressions importantes : le doute pose problème parce qu’il génère émotions, peur, de la douleur, que ça nécessite d’affronter la complexité. Mais finalement le fait qu’il n’y ait pas de réponse unique, ça régénère des émotions, ce qui n’est pas pour autant « bêbête ». Le doute est une notion qui est fondamentalement du ressenti par l’individu, et si l’on n’a pas ça en soi, je me demande d’où cela peut venir ; de l’éducation ? Mais quel est le véritable fondateur du doute en nous ? Difficile à expliquer, c’est quelque chose qui jaillit, c’est comme une source ?

⇒  Il a la place du doute sur certaines thématiques et pas d’autres. Je pense que, de par notre éducation, nos expériences, notre environnement, on peut avoir des doutes sur certains thèmes, et des certitudes sur d’autres, et ce n’est pas la même chose pour chacun d’entre nous.
Il y a un terme anglais « Working progress » qui nous dit que nous sommes toujours en progression, et le doute lui-même nous permet de progresser, cela sur certains thèmes, et d’autres un peu moins, voire pas du tout.
Pour finir je voudrais cité jacques Audiard  pour qui :  les cons ça ne doute jamais et c’est même à cela qu’on les reconnait.

⇒  Alors pour réponde à une question entendue ; comment le doute s’installe en nous ? et bien, c’est parce que ce monde est plein de pièges, rempli de gens qui peuvent vous mentir. Si l’on vivait dans un monde bisounours, nous ne connaîtrions pas le doute, mais nous ne sommes pas Candide. Le doute s’installe avec le vécu, le doute est un élément de survie.

⇒ Oui on peut penser que dans les temps lointains celui qui na jamais douté, et bien, il est mort. De ce fait il n’a pas laissé de descendance. Le doute a ainsi participé à la sélection naturelle.

⇒  Je reprends la question : qu’est-ce qui permet de douter ? On a dit c’est volontaire, c’est ressenti, on a ajouté, c’est expérientiel, je rajouterai deux éléments : ça nécessite la curiosité, et la curiosité on l’a chez l’enfant avec la confrontation au monde. Après effectivement, vient l’édu cation, le rapport à la volonté d’aller affronter la douleur, c’est cette curiosité qui fait continuer à douter, même si parfois ça peut être douloureux.

⇒ Il y a ressenti, et puis il y a un peu d’insti nct. Vous avez un ami, un conjoint, vous sentez quelque chose qui ne va pas, et vite le doute s’installe.

⇒ Est-ce que le doute ne ferait pas partie de notre part animale

⇒ Quelqu’un dit:
– Tiens ? Un ange passe !
alors que l’ange, il ne l’a pas vu passer !
S’il avait le courage, comme moi, d’observer le silence en face, l’ange il le verrait !
Parce que, mesdames et messieurs, lorsqu’un ange passe, je le vois !
Je suis le seul, mais je le vois !
Evidemment que je ne dis pas que je vois passer un ange,
parce qu’aussitôt, dans la salle, il y a un
doute qui plane !
Je le vois planer, le doute !…
Evidemment que je ne dis pas que je vois planer
un doute parce qu’aussitôt, les questions:
– Comment ça plane un doute ?
– Comme ça ! (geste de la main qui oscille)
– Comment pouvez-vous identifiez un doute avec certitude ?
A son ombre !
L’ombre d’un doute, c’est bien connu… !
Si le doute fait de l’ombre, c’est que le doute existe… !
Il n’y a pas l’ombre d’un doute !
Et l’on sait le nombre de doutes au nombre d’ombres !
S’il y a cent ombres, il y a cent doutes.
Je ne sais pas comment vous convaincre ? !
Je vous donnerais bien ma parole, mais vous allez la mettre en doute !
(Raymond Devos)

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin?

Pablo Picasso. Le coq; 1938

Pablo Picasso; Le coq. 1938

Restitution du café-philo du 25 avril 2023 à Chevilly-Larue

Animation: Thibaut Simoné. Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : A cette question Chat GBT répondrait sûrement « l’envie du café et du pain grillé…. » Au coin Chat GBT avec le bonnet d’âne. On va essayer de penser au-delà, et par nous mêmes
Ce qui m’a donné l’idée de ce débat est une réplique dans un film espagnol, Entrevias, (je cite) : «  …on a besoin d’une chose pour laquelle lutter, une chose qui nous aide à nous lever chaque jour et nous rendre heureux… »
Pour Aristote, le bonheur est dans l’action, il nous dit par là que dans l’action nous nous réaliserons, To be, is to do,     nos amis Anglais, reprenant cette idée, donc se lever pour être vivant.
Un autre conseil  nous est donné par le Sénèque, pour se lever et ne pas oublier de vivre ce jour inscrit dans le compte de nos jours, il nous dit « Il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier »
Cette question sous-entend aussi, qu’est-ce qui nous tient debout dans la vie, qu’est-ce qui nous donne le plus, le goût de la vie ?
Qu’est-ce qui nous donne l’impulsion nécessaire ?
Autrement dit, qu’est-ce qui nous motive ? Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?

 

⇒ Débat : Après des années de travail, je peux ressentir ce que je considère comme un privilège : ne pas avoir de contrainte, et c’est ce bonheur qui participe à l’envie de se lever.
Puis je fais une courte gymnastique matinale, mentale, pour voir comment je vais vivre au mieux cette journée.

⇒:Lorsque je me lève le martin, j’ai déjà ressenti aussi un privilège, celui « d’être vivant » et de pouvoir vivre au mieux cette journée, comme si c’était la dernière (pour le dire comme Sénèque). Aller vers cette journée avec ses possibles aléas, mon esprit est disponible, je suis pour découvrir, dans ce désir « puissance d’exister » de Spinoza.

⇒ Qu’est-ce qui me fait lever le matin ? En fait, qu’est-ce qui me motive ? Alors, comme cela a déjà été dit, c’est le réveil, e café, le pain grillé…., et l’envie d’entreprendre. Donc ce qui me fait lever le matin, c’est le plaisir de vivre, tel que nous l’enseigne Epicure, (les plaisirs simples, boire et langer avec tempérance , et dormir) et réfléchir, parce que le travail pour moi, retraitée mais pas en retrait, a toujours été un travail libre et non contraint. Autre élément nécessaire pour bien me lever le matin, une santé physique permanente, et enfin être dans des projets, des projets sans cesse réactivés, pour exister et non seulement vivre (Sartre)

⇒ Se lever le matin, est d’abord une obligation pour subvenir à des contraintes matérielles.
Se lever est aussi un rituel, une mécanique bien huilée pour affronter le quotidien, à ce moment, le cerveau est encore en pilotage automatique. Le retard de la mise en route nous protège des angoissantes questions existentielles, de les éluder.
Mais plus que tout, se lever le matin c’est se projeter dans l’existence. Ne pas se lever c’est faire corps avec l’insignifiance du monde, c’est faire face au réel dans toute sa pesanteur.
Je me lève, donc j’existe ! Se lever le matin est la condition de la liberté, car être libre, on y accède par une activité utile, signifiante, que nous réalisons par nous-mêmes. Se lever le matin permet de devenir soi. Nous lever, nous aide en quelque sorte, à, devenir.

⇒ Très concrètement, ce qui me fait lever  le matin, c’est le projet d’être utile aux autres. Je suis retraitée depuis peu, et ce qui me motive, c’est d’être un petit grain qui peut apporter aux autres ; et tous les matins, je me dis que tant que j’ai suffisamment d’allant, eh bien, je peux être utile à des personnes diverses, être utile à ma famille.

J’avais préparé ma check-list des diverses réponses possibles à cette question, de ce qui fait  se lever le matin, et certaines ont déjà été évoquées.
Je me lève parce qu’un projet trotte dans ma tête, comme défendre des idées politiques. Je n’irais pas jusqu’à dire, refaire le monde, car là, il faut se lever  tôt, voire encore plus tôt.
Je me lève facilement parce que j’ai la chance de faire une activité qui me plait, et là je pense à ceux pour qui la perspective chaque d’aller vers un travail sans désir, serait plutôt démotivante.
Je ne suis pas victime de la tyrannie du réveil, je me lève spontanément sans réfléchir au pourquoi du comment, ce qui est sûrement le cas la plupart du temps, action où la raison est non profonde, non consciente.  « Il est vrai » nous dit le philosophe Maine de Biran «  qu’il y a en nous une force propre qui se donne  à elle-même sa direction..  »
Je ne vais pas faire un examen de conscience tous les matins au réveil, c’est trop fatiguant, c’est presque à se remettre sous la couette.
Je me lève pour sortir du monde du rêve,  pour aller voir le monde réel. Il y a des jours, des aubes qui sont des promesses.
Enfant je me levais tôt, avide de connaître la vie, pour grandir. J’ai « grandi» et avec beaucoup d’années, ce qui me fait lever tôt c’est pour vivre le plus possible, « « le premier des derniers jours de ma vie ». Le fait de se lever chaque matin,  chose banale, serait-il  un acte de survie ?
Je me lève tôt, parce que l’acte de se lever tôt est rassurant. Rester encore un peu au lit, cela peut amener à se poser des questions quand à la nécessité de se lever, se poser des questions existentielles,  avec le risque, après plein de pendiculations, (étirements matinaux)  de faire de la dysanie,  (Difficulté à sortir du lit), ou pire, de la clinomanie, ou, clinophilie, (soit le refus catégorique de se lever).
Allez ! zou ! on se lève !

⇒ Ce doit être terrible de se lever sans aucun projet. Se lever en se disant que la journée sera en tout point identique à celle de la veille, et qu’il en sera ainsi demain, et tous les jours à venir, cela doit être ce que ressentent ceux qui sont privés de liberté, savoir, avec certitude que ce jour sera pareil aux jours passés et qu’il y a encore des centaines de jours terriblement identiques à venir.

⇒ Je suis aussi à la retraite depuis peu, medecin retraitée, et pour moi me lever avant c’était pour soigner. Puis ce fut se lever le matin pour faire plein de chose pour la maison, puis prendre soin devenir,  de soignante,  aidante d’une mère souffrant d’Alzheimer. Et puis, tout à coup je suis repartie avec des projets. Des projets qui vont dans le sens d’aller vers les autres de nouveau. Je suis bénévole dans une épicerie solidaire, et je vais faire des cours à des personnes hébergées. J’ai retrouvé ce plus d’énergie pour me lever le matin.
Et puis parfois, je me dis, être dans un bon lit, avoir un toit, c’est avoir de la chance….

⇒ Au réveil, je suis simplement content d’être vivant, ce monde m’intéresse. Nous sommes malgré nous celui ou celle qui écrit sa vie, tout n’est pas écrit d’avance. Il y a toujours quelque chose à découvrir, à apprendre, ça ne viendra pas me surprendre dans mon lit, il faut que j’aille au devant
Si au réveil je suis un peu paresseux, alors,  c’est un combat contre moi-même, un combat que par fierté je veux gagner, c’est presque un acte de liberté  (dirait un philosophe un peu éveillé)

⇒Qu’est-ce qui me fait lever le matin, pose aussi la question : qu’est-ce qui fait que je ne peux pas me lever le matin ? Quand je serai malade, quand je vais souffrir, que les douleurs seront fortes, qu’est-ce qui m’aidera à me lever? Est-ce que je pourrai me lever malgré tout ça ? Comment arriver à l’acception de soi au moment présent où je suis vivant malgré mon handicap, où est la résilience ? . La première possibilité est comportementale, agir pour pouvoir se remettre en mouvement…… Et comment on fait, par exemple, pour avoir la motivation  pour se lever le matin quand on a perdu celui qui vous a accompagné toute une vie ? quand on a perdu ce qui donnait sens à votre existence. ?
On ne se lève pas tous les matins pour la même raison, et en fonction des différents moments de sa vie. Et parfois, ca peut être ces petites « madeleines » de Proust dont on a parlé : l’odeur du café, du pain grillé, ou parfois ce peut-être de grandes causes, et là on a la force, l’énergie pour agir, et c’est alors ce qui nous porte.

⇒Je suis enseignant : ce qui me fait lever le matin, c’est parce que je pense que le savoir est un trésor, et que ce grand trésor acquis au cours des siècles, ce trésor doit être partagé, voire, enseigné. Et ça c’est extrêmement puissant pour ma part ; puissant pour partir au travail chaque matin, et transmettre des connaissances. C’est ce qui me met dans l’action, c’est presque un but en soi, ça me porte.

⇒ « Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt », dit l’adage. Sauf que la plupart de ceux qui se lèvent tôt : femmes de ménage dès 5 heures du matin, éboueurs, etc. partent travailler pour gagner quelque argent, alors que ceux qui se lèvent tard, ont parfois leur argent qui travaille pour eux.

⇒ Qu’est-ce qui me fait lever le matin, et bien, oui c’est mon réveil, mais c’est aussi parce que je n’ai plus sommeil, parce que c’est mon corps qui m’a réveillé. Et jusqu’à présent on a surtout répondu à la question : qu’est-ce qui me fait vivre, rester debout ? Face à ces trois grandes catégories évoquées : Idéal – Travail – à chaque instant de notre vie, on est confronté à cela d’une manière un petit peu différente. Pour le travail on peut se lever un peu contrarié, mais on peut aussi y aller avec joie.
En fait tous les humains ont en eux, ce que j’appellerai, la pulsion de vie, laquelle me fait rester debout alors que je pourrais être accablé par des événements.
Que l’on soit actif ou retraité, c’est un peu la même question, et au final, c’est la vie ; la vie en conformité avec ce que je pense, idéal, travail, projet, tout cela me tient debout et même au point que dans cette idée si je continue à y penser jusqu’au soir, à un moment cela peut m’empêcher de m’endormir. Mais ce qui me rend heureux, me fait lever le matin, cela peut –être aussi d’être bien dans une routine inévitable,  et aussi en conformité avec soi.

⇒  Cela me fait penser à Matthew Crawford qui était directeur d’une think tank, et qui a constaté que son activité ne lui donnait plus le courage de se lever le matin. Il a tout plaqué pour ouvrir un garage de réparation de motos. Il raconte cela dans un livre qu’il a écrit : « Eloge du carburateur » ; il a retrouvé le goût de la vie, le tonus pour se lever le matin.

⇒ Pour avoir une motivation pour se lever le matin, il faut, être en activité ; quelle qu’elle soit, même en retraite ; « Je veux » écrit Montaigne « que la mort me trouve plantant mes choux, nonchalant d’elle, (Sans me soucier d’elle) et de mon jardin inachevé ». Si devenu vieux, je pense à ce que j’ai en route, à tout ce que je ne pourrai peut-être pas  finir, parce que demain je ne serai plus là, alors je me dis : à quoi bon !  Et bien, surtout pas, il faut continuer à aller de l’avant chaque jour,  chaque matin, c’est dire oui à la vie.

⇒ La radio, une aide pour me lever.  La radio me dit le monde, le monde comme il va, bien et pas bien, mais c’est comme un appel à l’extérieur, le monde il n’est pas dans ton lit.
Si les journées précédentes ont apporté quelque chose d’intéressant, si elles ont été animées, bien remplies, cela me donne envie de découvrir la suite. Autrement dit, en remplissant bien mes journées, en les rendant utiles, en vivant le plus possible le présent, je travaille à me donner l’envie de découvrir le futur, et à me donner de ce fait l’impulsion pour me lever chaque matin.
Se lever est un besoin d’existence. Si je reste indéfiniment au lit, je suis coupé du monde, c’est avec les autres que j’existe. Donc : je me lève, donc je suis.

 

 

 

 

La bêtise a t-elle un avenir?

Bécassine

Restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue, le 25 mars 2023

Animateurs : Guy Pannetier. Edith Deléage-Perstunski.
Modérateur ; Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Cette question a surgit suite  à l’écoute de quelques propos entendus récemment sur une chaîne de télévision. Propos évoquant un recul chez les plus jeunes dans la  croyance dans les sciences, et d’un refus de nombre de vérités scientifiques.
Etait évoqué, une possible responsabilité de ce « grand progrès de la communication »  que sont les réseaux sociaux, lesquels amènent un nombre non négligeable de personnes, personnes jeunes surtout, à faire leurs, des propos parfois délirants de croyances de toute sorte, d’a priori, qui deviennent des vecteurs imprégnants de la bêtise.
J ai voulu voir par exemple, les contenus de vues regardées par un jeune public (et parfois moins jeune) sur TikTok.  Le peu que j’ai vu,  était aberrant de bêtise, cela semble vraiment être des programmes à décerveler. qui confirme la plaisanterie qui dit que Tik Tok rendrait toc. Mais c’est chez les adultes que la bêtise est  à redouter. Ces réseaux sont pour des ados, où étions-nous à cet âge ?
Le constat serait que la bêtise progresse, pour le moins elle s’expose plus, donc cela pourrait nous rassurer quant à son avenir
Le philosophe nous a dit que bon sens serait la chose la mieux partagée, mais il ne s’est pas prononcé sur la bêtise, bêtise humaine, trop humaine, car la bête ne peut être bête.
Au-delà de cela, se pose la question comment lutter contre la bêtise, laquelle pourrait engendrer une société régressive, une société s’installant dans une certaine idiocratie, où, dominé par les intelligences artificielles, l’humain ne serait plus qu’un utilisateur de technologies
Alors, qu’est-ce qui serait la cause réelle de cette prétendue progression de la bêtise ?
Etaient également invoquées dans le reportage : l’éducation scolaire, l’éducation parentale, les nouvelles technologies,  l’accélération de notre rythme de vie, voire les perturbateurs endocriniens, comme l’affirment des chercheurs. Etait-ce une inculture qui progresse ? une déficience liée  à l’usage de produits chez les ados ?
Même si nous  sommes assurés qu’elle ait un avenir, elle a aussi un passé comme nous le rappelle si judicieusement Michel Serres dans son  ouvrage « C’était mieux avant ». Il nous rappelle qu’il y  tout juste un siècle (je le cite) : « Avant, »  sans crainte de procès, nous pouvions caricaturer les juifs et les injurier bassement dans les magazines antisémites librement répandus; montrer quasi scientifiquement que les Africains, les Aborigènes australiens, que les noirs en général, incultes et proches des primates,  dataient d’avant le néolithique, […..] que les Allemands n’étaient que des brutes sanguinaires,  comme les communistes et socialistes au couteau entre les dents, sans oublier les francs-maçons, les ouvriers, les banlieusards… »
  Alors,  on déplore dame bêtise, «  on s’en moque, «  on voudrait la combattre, «  on la dénonce comme dangereuse, mais quand on a dit cela,  l’a-t-on fait reculer d’un pouce ?
Il y a de très beaux textes,  textes très intelligents sur la bêtise, je ne vais pas vous les lire maintenant, car je ne veux pas court-circuiter des réflexions qui murissent chez vous.
La littérature, le théâtre, le cinéma,  nous ont fournit de beaux modèles de la bêtise,  des héros de la bêtise,   et une héroïne, car la bêtise alors, n’était pas genrée.
Si je voulais analyser le concept bêtise, pour autant qu’on puisse conceptualiser la bêtise, je le déclinerai en trois approches spécifiques :
Un Etat, tel l’essence de la bêtise, son fondement, une faiblesse,  une défectuosité psychique qui est le terme soft pour une tare (Peut-être trouvera t- on le gène de la bêtise).
Un comportement, des façons  d’agir, de réagir,  dont l’ingénuité, ou une génération du click,  où quand l’instantanéité, où la parole va plus vite que la réflexion ?
Un jugement appréciatif, un jugement  qui peut, être en effet miroir, soit « voir la paille dans l’œil de son voisin », voire utiliser tous les poncifs.
Donc en résumé trois éléments : un état – un comportement –des jugements appréciatifs.
Et enfin j’en termine. Vouloir débattre philosophiquement de la bêtise, comporte un grand paradoxe. Car, comme nous l’explique un philosophe (Robert Musil dans, De la bêtise)  pour tenir des propos sur la bêtise, cela présuppose que je ne suis pas bête,  ce qui signifie,  que je me considère comme intelligent, alors qu’un tel aveu,  (dit-il)  serait signe de bêtise.

 

⇒ Peut-on opposer la bêtise et l’intelligence ? non, car quelques fois sous le couvert d’une culture supposée intelligente, des bêtises peuvent être faites ou dites, par manque de discernement, de compétence, d’objectivité, d’ouverture d’esprit, ou découlant d’une idéologie. Le supposé intelligent à son lot de bêtise, et, si il a du pouvoir ou de la notoriété, cela amener à des catastrophes…. Méfions-nous des certitudes.., des réseaux sociaux, des publications au détriment de la réflexion, et de la raison.
La crédulité est exploitée sur les réseaux sociaux, des slogans racoleurs trouvent des victimes , des personnes faibles ; des gourous vous proposent par exemple des régimes tout légumes pouvant tout guérir, les sectes repèrent les individus qui peuvent être en difficulté dans leur vie, des charlatans de toutes sorte sont sur le Net.
L’éducation doit apprendre à se méfier contre ses tentatives de manipuler, contre la propagation de fausses informations qui peuvent prises comme vérités par de personnes, personnes jeunes souvent. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, je dirai : « on ne nait pas bête, on  le devient ».

⇒ Est-ce que des personnes faibles et fragiles, manipulées peuvent être considérées comme des personnes bêtes ?

⇒ La bêtise peut se propager sans qu’on y prenne garde, elle n’est pas forcément détectable de suite, de ce fait elle est dangereuse.

⇒ Dans l’introduction à ce débat des exemples donnés nous mettent sur un champ : bêtise, intelligence, mauvaise foi. Il faut qu’on fasse un peu le tri. Il y a des gens de mauvaise foi quoi disent des choses idiotes, alors qu’ils savent très bien qu’elles sont idiotes, c’est la mauvaise foi, ceux-là ne sont ni bêtes ni intelligents
On assimile la bêtise à une certaine inintelligence, mais demande de définir l’intelligence ; laquelle serait pour moi savoir s’adapter à des situations nouvelles, ne pas en rester sur des schémas, ne reprendre que les idées toutes faites, etc…
Donc celui qui serait bête serait celui qui est dépourvu de ce « bon sens » qui fait sait toujours s’adapter. Et si on ne sait le faire, alors on s’enferre dans es certitudes, celles qui rassurent.

⇒ La bêtise a deux aspects, une double face, une face « agréable » disons excusable, et une face nuisible. Donc, elle est excusable ou détestable, elle peut être amène, ou perverse et malveillante, et tout ceci n’a aucun lien avec l’intelligence.

⇒ Est-ce qu’il n’y a pas la possibilité de développer, et l’esprit critique et la capacité d’analyse chez des enfants afin d’envisager d’éradiquer la bêtise. ?

⇒ «  La bêtise c’est un type qui vit et qui dit ça me suffit, je vais bien,  ça me suffit. Il se botte pas le cul tous les matins en disant c’est pas assez ! Tu ne vois pas assez de choses, tu ne fais pas assez de choses, c’est de la paresse. La bêtise c’est de la graisse autour du cœur, de la graisse autour du cerveau »      (Jacques Brel)

⇒ Il y des personnages de film de roman, qui sont les modèles mêmes de la bêtise. Il y a deux personnages incontournables d’une nouvelle de Flaubert, qui sont Bouvard et Pécuchet
Bouvard et Pécuchet sont les héros de la bêtise instruite
« Aujourd’hui », dit Pécuchet à Bouvard «  les grandes aventures sont évidemment celles de l’esprit » Bien sûr au départ les deux protagonistes vont échanger des banalités, qui sont semblables à bien des propos qu’on entend tous les jours. Ils sont moqués alors qu’ils sont bien peu différents de ceux qui les raillent.
Peut-être a-t-on faire rire un certain public en lui montrant sa propre bêtise.
Mais les deux personnages s’enrichissent au-delà de leur contact, ils deviennent des curieux naïfs, des utopistes, ayant toutefois le courage de rompre avec leur routine. Et ils vont s’instruire et plus ils apprennent plus ils vont perdre ce goût formidable de la vie lorsqu’ils étaient des « imbéciles heureux »
Ils finissent par décider de relever et copier toutes les bêtises, les stupidités, les jugements péremptoires qu’ils ont pu entendre. Et Ajoute Pécuchet « sans oublier les nôtres ».

⇒ Dans d’autres langues européennes c’est le mot stupide qui est d’usage, estupiditez, etustidity, estubibidita, on parle plus d’imbécilité. Ce mot qui nous en dit plus, si l’on reprend une étymologie donnée d’imbécile, « in bacillus » (en latin, qui n’a pas de bâton) ; soit celui qui n’a pas les codes, qui ne connait pas les règles, pas eu l’éducation  nécessaire. Donc une bêtise qui peut être excusable, car elle peut être combattue. Rien  à voir avec la bêtise qui se complait dans sa bêtise, une bêtise qui s’admire.

⇒ L’enfant qui n’a pas encore appris les codes, qui n’a pas l’âge de raisonner ne peut être dit bête, on ne dira jamais d’un enfant qu’il est bête comme on le dirait d’un adulte.

⇒ Est-ce que la bêtise ce n’est pas, aller toujours à la facilité, une grande paresse intellectuelle ?

⇒  J’ai entendu qu’on peut faire « fondre la graisse autour du cerveau »,  c’est-à-dire que si l’on considère la bêtise comme manque d’intelligence, et bien, on peut et je l’espère, agir par l’éducation, par une pédagogie individuelle ou collective, la démocratie sociale, tout ce qui va pouvoir éliminer cette « graisse autour du cerveau », pour pouvoir éliminer les opinions racistes, antisémites…

⇒ On dit que la bêtise peut être combattue, je n’en suis pas absolument certain. La connaissance, c’est du savoir, et ce savoir ne donne pas forcément l’intelligence, j’en ai eu un exemple. J’ai eu l’occasion et la chance, de rencontrer un grand physicien de renom, mais dès qu’on parlait d’autre chose que de physique, c’était le vide, il n’avait de compétence que dans son domaine, en dehors de cela il tombait très vite dans les lieux communs.

⇒ En dehors de deux personnages, « héros » de  la bêtise, que sont ; Bouvard et Pécuchet, nous en connaissons d’autres : François Pignon, Le bourgeois gentilhomme. Mr Homais (Emma Bovary).  Laurel et Hardy.  Le clown « l’Auguste », etc..
La bêtise n’est pas genrée, la parité n’y est pas  respectée ; nous connaissons, le beurdin, le demeuré, le benêt, le lourdaud, le nigaud, l’idiot du village, etc…
Imaginez aujourd’hui, que si le fameux personnage de François Pignon, (du dîner de cons, entre autres) était joué par une femme, Madame Françoise Pignon, et bien, je ne sais pas si ça passerait ; parce que la bêtise finalement elle est genrée. Nous avons Messieurs ce grand privilège que la bêtise est réservée au genre masculin. (mérité? pas mérité?)

⇒ On peut faire des reproches à l’éducation, scolaire ou parentale. Notons toutefois, qu’on a créé il y a une soixantaine d’année, des Maisons de la culture, pour offrir un accès à la culture à tous. Alors bien sûr la question reste : est-ce que la culture peut à elle seule combattre la bêtise ?
Je pense que la bêtise recule globalement, les gens sont moins bêtes, moins stupides, moins faciles à manipuler, à embrigader qu’ils ne l’étaient il encore un siècle.

⇒  On a beaucoup accusé Internet et les réseaux sociaux  de propager la bêtise, Mais de gens jeunes ou moins jeunes se cultivent sur Internet. On peut accéder à des visites de châteaux, à des expos, visiter des musées, c’est extraordinaire le savoir qu’on peut y trouver.

⇒  Bien sûr qu’Internet est,  ou peut être utile pour lutter contre la bêtise. Mais ce qui importe le plus pour lutter contre la bêtise, ce n’est pas qu’apprendre à consulter, c’est aussi apprendre à raisonner, ne pas se contenter de systèmes qui ont « raisonné » pour moi, qui ne m’obligent pas à « penser par moi-même ».

⇒ « La bêtise a t–elle un avenir ? La bêtise est à l’aise dans ce qui ne change pas ; elle est conservatrice par nature, elle voudrait arrêter la durée et l’existence, aussi déteste t-elle tout ce qui fait échec à la stabilité des choses et des êtres : la contradiction, le hasard, l’aventure, la complexité. Elle agit comme une force d’inertie, et n’offre aucune prise à ses adversaires…..
  Elle est principe de régression : la bêtise est involutive. (Ce que je traduirais par, repliée sur elle-même, auto suffisante). Ses formes d’expression sont stéréotypées (proverbes, lieux communs, clichés, préjugés, rumeurs…. Les étiquettes remplacent les mots, et les opinions toutes faites, la pensée.
La bêtise est doxocentrique. Elle se sent chez soi et elle y reste…
La bêtise a des idées, mais de travers. Comme on avale de travers, elle pense de travers. Elle fait usage des idées générales qui sont au concept, ce que le bruit est à la musique….
La bêtise qui ne se sait pas bête et qui se croit même intelligente rit volontiers de la bêtise imaginée d’Autre stéréotypé en catégorie fatale. Les blagues sur les blondes, les belges
(Par exemple)
La bêtise ne veut rien savoir des autres et du monde, car elle croit tout connaître (proposition du non-dupe). Dans son essai « la bêtise s’améliore » Belinda Cannone montre quelles inflexions la bêtise connaît dans la société présente. On n’est as bête sur un plateau de télévision ou dans un studio de radio comme on était bête à la cour de Versailles, même si le sot d’aujourd’hui est l’héritier parfait du fat de jadis (un mot justement tombé en désuétude.
 L’individualisme est passé par là, avec ses deux pathologies grandissantes : l’égocentrisme et le narcissisme.
Ne plus s’intéresser à autre chose qu’à soi même, ne plus pouvoir avoir d’autre objet d’amour que soi-même : voilà assurément le cadre psychique à l’intérieur duquel la bêtise actuelle peut se déployer à son aise. Ainsi le « Soyez-vous mêle » qui, pendant un temps, fut une injonction libératrice à l’égard des puissances qui entravaient le moi est, sous couvert d’authenticité, devenu un impératif catégorique pour la bêtise…
La bêtise exerce toujours un certain pouvoir, parfois elle l’a, suprême. Précisons que c’est le pouvoir du mal et c’est la raison pour laquelle on ne saurait réduire la bêtise à un problème d’esthète. La plupart des intellectuels qui ont écrit sur la bêtise – Flaubert, Léon Bloy, Robert Musil – ont eu sur elle une position d’esthète. Somme toute, ce qu’ils reprochaient avant tout à la bêtise, c’est son absence de goût et de style.
Ce n’est pas par hasard si Flaubert fut doublement obsédé par la bêtise et le style ; Mais la bêtise fait davantage que des fautes de goût, et si elle nous rend honteux d’être des hommes, c’est parce que les guerres et les génocides en sont le splus abominables expressions.
Dans une société individualiste de masse comme l’est la nôtre, tentée à la fois par l’éparpillement des idées et des esprits et par le consensus, les lieux communs sont un moyen de faire ou de refaire du lien. Avec le lieu commun, je ne suis plus seul. La bêtise tient chaud, et donne du cœur à l’ouvrage. Le nombre n’est pas un critère de certitude ? Le vieil argument du consensus traîne toujours implicitement : ce que je pense est vrai puisque tout le monde le pense !
  (Christian Godin. La bêtise existe-t-elle)

 

 

Kant, un tournant décisif de la philosophie

Emmanuel-Kant.-By-Johann-Gottlieb-Becker.-1768.-Nationamuseum-Marback-am-Nekar.-Allemagne..jpg

Emmanuel-Kant.-By-Johann-Gottlieb-Becker.-1768.-Nationamuseum-Marback-am-Nekar.-Allemagne..jpg

Restitution de la réunion du  25 mars  2023 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage. Danielle Pommier Vautrin. Thibaut Simoné. Guy  Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon

Biographie (Danielle)

Emmanuel Kant naît en 1724 à Königsberg en Prusse-Orientale, dans un milieu modeste : son père, d’origine écossaise, est sellier, et sa mère, qu’il qualifie de très intelligente, est foncièrement piétiste. Il est le quatrième d’une famille de onze enfants.    Emmanuel Kant est l’un des plus grands philosophes allemands, fondateur de la philosophie critique. Grâce à un oncle cordonnier aisé, il peut suivre des études complètes de théologie, de philosophie et de sciences (mathématiques). A la sortie de l’université, il passe quelques années hors de sa ville natale comme précepteur. En 1740, il entre à l’université de Königsberg pour étudier la théologie. Il suit les cours de Martin Knutzen, professeur de mathématiques et de philosophie ; ce professeur, lui aussi piétiste et disciple de Wolff, combat le dualisme et en revient à la pure doctrine de Leibniz, suivant laquelle la force représentative et la force motrice participent l’une de l’autre et se supposent réciproquement. C’est là qu’il découvre Newton et la physique, preuve, selon lui, qu’une science a priori de la nature est possible (c’est-à-dire les mathématiques et la physique). Plus tard, il créditera aussi l’astronomie de nous avoir « appris bien des choses étonnantes », dont la plus importante est qu’elle nous a « découvert l’abîme de l’ignorance, dont la raison humaine, sans [cette connaissance], n’aurait jamais pu se représenter qu’il était aussi profond ; et la réflexion sur cet abîme doit produire un grand changement dans la détermination des fins ultimes à assigner à notre usage de la raison ». En 1746, la mort de son père l’oblige à interrompre ses études pour donner des cours : il est engagé comme précepteur par des familles aisées et il accomplit cette tâche durant neuf ans. C’est également cette année-là qu’il publie sa première dissertation : Pensées sur la véritable évaluation des forces vives. En 1755, il obtient une promotion universitaire et une habilitation grâce à une dissertation sur les principes premiers de la connaissance métaphysique. Il commence à enseigner à l’université de Königsberg avec le titre de Privatdozent (enseignant payé par ses élèves).

       Kant est le premier grand philosophe moderne à donner un enseignement universitaire régulier. Ses cours, tout comme ses publications à cette période, sont très diversifiés : mathématiques et physique apprises chez Newton, morale inspirée de Rousseau, Shaftesbury, Hutcheson et Hume, pyrotechnie, théorie des fortifications. A partir de 1755, Kant enseigne la logique, la métaphysique et les sciences à l’université de Königsberg où il s’installe définitivement. Après 1794, il se consacre entièrement à ses recherches philosophiques. Toute sa vie, empreinte d’austérité et d’une extrême régularité, est tournée vers la méditation, l’étude et l’enseignement. Kant est un admirateur enthousiaste de la Révolution Française et heureux de voir les idées de Rousseau se concrétiser. À partir de 1760, ses cours ont pour nouveaux objets la théologie naturelle, l’anthropologie, et surtout la critique des « preuves de l’existence de Dieu » ainsi que la doctrine du beau et du sublime. En 1766, Kant demande et obtient le poste de sous-bibliothécaire, à la Bibliothèque de la Cour, fonction qu’il occupe jusqu’en avril 1772. C’est la seule démarche qu’il ait jamais faite pour obtenir une faveur. En 1770, il est nommé professeur titulaire, après avoir écrit une dissertation intitulée De la Forme des principes du monde sensible et du monde intelligible. En 1781 paraît la première édition de la Critique de la raison pure. Cet ouvrage, fruit de onze années de travail, ne rencontre pas le succès espéré par son auteur. Une seconde édition voit le jour en 1787. On distingue généralement deux périodes dans la philosophie de Kant. Dans la première, dite pré-critique, il expose une métaphysique proche de celles de Leibnitz et de Wolf pour tenter de répondre à la question de l’origine du monde. Mais à partir de 1770, sa pensée vit un tournant décisif, début de la période dite « critique » (examen des pouvoirs de la raison), où il va construire la philosophie qui lui est propre. Kant y aborde notamment la question de l’origine et des limites de la connaissance (raison théorique) et les possibilités de l’action (raison pratique). Dans son ouvrage le plus célèbre, « Critique de la raison pure » (1781), Kant réalise ce qu’il dénomme « une révolution copernicienne » (la Terre tourne sur elle-même et non le ciel autour de la Terre), considérant dans une vision idéaliste que c’est le sujet qui construit l’objet de sa connaissance et non les objets qui définissent la connaissance. Il définit la « raison pure » comme la faculté de connaître a priori (sans recours à l’expérience) la nature des objets, par la sensibilité et l’entendement.

     Kant démontre en particulier l’impossibilité pour la métaphysique d’être une science en raison de l’absence d’objet réel pouvant lui apporter du contenu. Pour lui, l’homme ne connaît pas les choses « en soi », mais « telles qu’elles lui apparaissent d’après les principes de son organisation comme être sentant et pensant ». Dit autrement, les connaissances de l’homme sont celles des phénomènes et il ne lui est donc pas possible, à partir de la « raison pure » de connaître Dieu, l’immortalité de l’âme, le monde, la liberté, le moi… qui ne sont que des concepts et n’appartiennent pas au domaine sensible. La métaphysique, qui en fait des objets, est donc une illusion. C’est dans la partie « idéal » (traitant de Dieu) de la « Critique de la raison pure » que Kant réfute les trois « preuves » métaphysiciennes de l’existence de Dieu : · la preuve ontologique (à partir de l’idée de Dieu); · la preuve cosmologique (nécessité d’un être suprême pour expliquer toute existence); · la preuve physico-téléologique (sur la finalité du monde). Dieu, aussi indémontrable qu’irréfutable, est considéré par l’auteur comme un idéal exempt de défauts. Quelques années plus tard, Kant publie « Critique de la raison pratique » (1788), où il soutient qu’une action est moralement bonne si elle s’accomplit par pur respect du devoir sans considération pour un intérêt ou une satisfaction espérée. La moralité se mesure donc dans l’intention qui conduit à l’action et non sur son aspect extérieur. La loi morale s’exprime sous forme d’un devoir impératif (« tu dois ») tel qu’il puisse être érigé en règle universelle. Dieu, la liberté de la volonté et l’immortalité de l’âme ne sont pas du domaine de la connaissance, mais des postulats nécessaires à la raison pratique en tant qu’exigence rationnelle de la morale…
En 1786, il devient membre de l’Académie royale des sciences et des lettres de Berlin. En 1788 est publiée la Critique de la raison pratique et, en 1790, la Critique de la faculté de juger. Toutes ses autres œuvres majeures (Fondation de la métaphysique des mœurs et Vers la paix perpétuelle notamment) sont écrites durant cette période. Kant n’a jamais quitté sa région natale mais il fut très attentif aux mouvements du monde, comme en témoignent de nombreuses publications qui traitent de sujets variés et contemporains de son époque. Il recevait également très souvent de nombreux amis à dîner et déjeunait chaque jour avec un inconnu. La tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi du temps immuable et la trajectoire de sa promenade quotidienne que deux fois : la première en 1762 pour se procurer le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, la seconde en 1789 afin d’acheter la gazette après l’annonce de la Révolution française. Cette image apparaît sujette à caution à certains universitaires qui y voient une exagération et un transfert des habitudes de ponctualité de son ami à partir de 1764, Joseph Green, célèbre pour son rigorisme au point d’avoir été en son temps le sujet du livre satirique L’homme d’après l’horloge de Theodor Gottlieb Hippel (un autre ami de Kant). Favorable à la révolution française, il affirme, après Thermidor, que « les méfaits des Jacobins ne sont rien comparés à ceux des tyrans du passé ». D’après le récit biographique de Thomas de Quincey, les capacités mentales du philosophe s’affaiblirent de manière importante vers la fin de sa vie : l’un des signes « du déclin de ses facultés fut que désormais il perdit tout sens précis du temps ». Selon Harald Weinrich, les « symptômes » décrits par le narrateur Wasianski dans l’ouvrage de Quincey, notamment les pertes de mémoire de Kant, pourraient faire penser à la maladie d’Alzheimer. Désormais célèbre, bien qu’incomplètement compris par ses contemporains, Emmanuel Kant meurt en 1804 à Königsberg. Ses derniers mots furent : « Es ist gut » (« c’est bien » ou « c’est suffisant »). Son tombeau est situé à l’extérieur nord-est de la Cathédrale de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad). Son influence sur la philosophie, qu’il exerce tant par son enseignement que par ses écrits, est immense en Europe en particulier sur l’idéalisme allemand (Johann Gottlieb Fichte, Friedrich Schelling, Friedrich Hegel) dont il peut être considéré comme le fondateur.

Kant, et le tribunal de la raison (Guy)

Tous les philosophes post kantiens, font le constat que la philosophie de Kant ouvre un tout nouveau champ  de réflexion philosophique. Il met l’homme face à ses responsabilités, face à ses choix, face à ses actions, évacuant toute providence, toute volonté divine.   « Toute l’œuvre de Kant » écrit le philosophe Fernando Savater  « est centrée autour d’un pressentiment lié à son siècle, celui de l’autonomie rationnelle ».
La loi morale kantienne implique tout d’abord que l’homme est libre, « autonome » mais cette liberté lui rappelle que, s’il est libre, alors il devient ipso facto, responsable de ses choix, de sa vie, de tous ses comportements avec ses semblables.
Avec Kant, l’homme ne peut plus invoquer des règles qui lui seraient données par des textes théologiques, lesquelles  (pour reprendre une des ses expressions) posaient un toit, sans la maison. C’est alors, la rupture de la connaissance des choses en soi, l’homme n’a pas de savoir qui dépasse les limites de l’expérience. Avec Kant disent des philosophes, c’est : « La sortie de l’homme de sa minorité ».  Sa philosophie nous demande de nous fier à nos seuls jugements. Il nous faut nous interroger sur ce « que puis-je savoir ? », questionner sans cesse  ce savoir dont ce contente la raison, ce sera l’ouvrage la « Critique de la raison pure ».  Et de là, seconde question tout aussi fondamentale : « que dois-je faire ?», ce qu’il va développer en deux ouvrages : « Critique de la raison pratique », et « Critique de la façon de juger »
Il est,  dira Deleuze, « l’enquêteur » sur l’entendement humain, celui qui va le convoquer au tribunal de la raison. De l’interroger sur toute connaissance a priori, « des connaissances que l’on possède sans savoir comment »  (dit Kant), de l’interroger sur ce qui lui permet d’affirmer ce qu’elle prétend connaître, et le cas échéant qu’elle est (suivant une expression utilisée par Kant) « la pierre de touche de l’expérience » sur laquelle s’appuie son raisonnement ? La raison ne doit pas se laisser conduire écrit-il par des « jugements arrêtés », à cet effet il cite Galilée, Torricelli, la raison dit-il, « ne doit pas s’en tenir à une raison rigide», elle « doit prendre les devants », laisser sa place à une raison spéculative.
Kant est, avec tous les philosophes des Lumières, une rupture de plus avec les philosophes que Diderot nommait « les méthodistes », ceux qui avant proposaient des concepts de certitude, concepts inattaquables, car la chaîne des causes se tenait toujours par une cause première, Dieu.
Kant, (c’est encore Gilles Deleuze qui  parle), propose: « un système de jugement qui n’a plus besoin de Dieu ».
Il nous montre les bornes de notre domaine de connaissances, mais sans nous enfermer dans ces limites, au contraire, il nous invite par la réflexion approfondie à découvrir que ce que nous connaissons a priori. On parlera de cette méthode, cette enquête sur nos facultés de connaître, comme d’une « révolution copernicienne ». « Toute connaissance » nous dit-il (dans la critique de la raison pure) « commence par les sens » (on retrouve là l’influence de Hume, philosophe anglais qu’il a beaucoup lu) puis  (toute connaissance)  « passe de là, à l’entendement, et s’achève dans la raison ».
Son enquête sur le raisonnement fait appel au jugement dit « disjonctif », soit un jugement qui pose une alternative, telle de deux propositions l’une est vraie l’autre est fausse, il faut donc aller découvrir la fausse pour valider la vraie.
Mais, Kant, ne présente pas la raison comme maîtresse en sa maison, ainsi écrit-il  (Dans la préface à « La critique de la raison pure » 1ère édition 1781) : «  La raison humaine a cette destinée singulière {….] d’être accablée de questions qu’elle ne saurait éviter {….] mais auxquelles elle ne peut répondre, parce qu’elles dépassent totalement le pouvoir de la raison humaine »
    Il nous montre que nous connaissons  nombre de choses, non pas par une expérience une analyse personnelle. Ainsi par exemple, une personne, me nomme,  ou m’explique, me définit telle chose, je lui demande, – qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que telle chose est ainsi ? , – mais c’est parce que tout le monde le dit, et j’ai toujours entendu dire ça » c’est que Kant nomme « le sens commun »; et là, il ajoute dans « la critique de la raison pure » : « ce n’est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Elle part des principes dont l’usage est inévitable ». Bien sûr, nombre de nos jugements sont copie du jugement « en général », nous agissons, nous pensons comme le commun. Et, à cette personne qui pourrait aussi être moi, Kant sûrement, conseillerait, une fois de plus, mais: « Ose penser par toi-même »

Kant et les Lumières (Thibaut)

« Mehr Licht ! » (Plus de lumière !) » furent, d’après la légende, les dernières paroles du grand poète Goethe. Mais que voulait-il dire par ces mots ? Déclaration pragmatique ou dernier baroud d’honneur philosophique ? Souhaitait-il que l’on remédiât par quelques bougies à l’obscurcissement de la pièce où il se trouvait et de ce monde qu’il ne tarderait pas à quitter ou bien ces deux mots, entourés d’un halo symbolique certain, avaient-ils un sens plus profond ? Goethe pensait-il que le feu brillant des Lumières s’était éteint de ne pas avoir été suffisamment alimenté car, nous parlons bien ici des Lumières, courant philosophique, art de vivre et de se conduire et non de la lumière, objet physique en lui-même, dont la propagation ne bénéficie d’aucun support. L’indépendance physique de la lumière ne doit pas occulter la fragilité de la transmission des Lumières car comme le rappelle le philo-physicien Etienne Klein : « sommes-nous encore à l’intérieur des Lumières ou sommes-nous en train de rompre avec elles si tant est que nous ne les ayons jamais épousées ».
Mais qu’est-ce que les Lumières ?
C’est en 1784, à la fin des Lumières allemandes, que Kant accepte, dans la Berlinische Monatsschrift de son ami Biester, de répondre à cette question. Le titre complet est « Réponse à la question : qu’est-ce que l’Aufklärung ? » (Beantwortung der Frage : Was ist Aufklärung?).
Et Kant de répondre au début de ce court opuscule : « Les lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s‘en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »
Les Lumières ainsi promeuvent l’autonomie de l’entendement, la recherche de la vérité et la primauté de l’esprit scientifique. […..]
Malheureusement, un danger sournois prend un malin plaisir à sourdre de nombre de courants de pensée qui viennent fragiliser l’idée même qu’il y aurait des vérités sûres.
La vérité ne doit pas dicter le bien ou l’éthique mais elle ne doit pas, non plus, leur être soumise. Les vérités de science n’ont pas vocation à nous rassurer et plutôt que d’aimer ce qui est vrai, nous avons tendance à tenir pour vrai ce que nous aimons et tout ce qui confirme ce en quoi nous croyons. Kant admet qu’il n’est pas aisé pour un individu de sortir de sa minorité car, dit-il , « la paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. » Mais il est possible d’atteindre sa majorité collectivement par l’usage public du raisonnement. L’éducation, la transmission des connaissances et la liberté d’expression et de publication deviennent alors des conditions fondamentales. Or, les médias d’aujourd’hui fabriquent de l’éphémère et de la fugacité. La vérité du jour s’oppose à la vérité du lendemain.
Soyons alors courageux et sortons de notre zone de confort ! Ne croyons pas tout mais ne doutons pas de tout. Ne nous laissons pas non plus encercler, comme le dit Bourdieu, par « un fétichisme de la raison et un fanatisme de l’Universel » car « la lumière projette toujours quelque part des ombres ». C’est bien difficile que d’être intellectuellement autonome. N’en aurons-nous jamais fini de le devenir ?

Vers la paix perpétuelle (Edith)

Cet ouvrage a été écrit par kant en 1795. Dans le préambule, il dit, que le titre de cet ouvrage lui est venu parce qu’il est passé devant une auberge qui avait pour nom  « A la paix perpétuelle ». C’était une enseigne ironique, satyrique, car la formule « A la paix perpétuelle » était imagée par un cimetière.
Donc, Kant est d’abord l’anti Machiavel. Il explique que, entre les souverains toujours insatiables de guerres, et les philosophes qui se livrent au doux rêve de la paix, il y a des philosophes qui donnent de mauvais conseils aux tyrans, insatiables de guerres de trahisons, de mensonges, de violence.
Ce fut le cas de Machiavel dans « Le Prince », œuvre destinée à chasser les Médicis  dans l’espoir d’un poste, d’une place, d’un privilège d’un titre, et peut-être d’un passeport diplomatique.
Kant lui, explique qu’il encourage les hommes à la paix. Est-ce un rêve ? Mais dit-il, rêver n’est pas sans effet, rêver est utile. Et en effet, Kant a fait avancer la diplomatie en inventant de nouveaux concepts politiques et juridiques : l’idée d’un droit international, l’idée du fédéralisme des nations, Société des nations. L’idée de la nécessité d’une gestion de l’équilibre des puissances, avec l’impératif catégorique appliqué aux Nations, aux Nations à venir, l’idée de l’accueil de l’autre, ou le droit cosmopolitique qui doit se borner aux conditions d’une hospitalité universelle. Ce droit d’hospitalité universelle qui vient d’être inscrit dans notre Constitution en 2018, suite au combat de Cédric Herrou qui a accueilli des migrants dans la vallée du Roya.
Le principe fondamental sur lequel s’appuie Kant pour énoncer « Vers la paix perpétuelle », c’est le principe de reconnaissance de l’Etat comme une personne morale. Or, l’impératif catégorique c’est le fait de considérer tout être humain toute personne à la fois comme un moyen et comme une fin. Ce qui vaut pour les individus, ce qui vaut à la fois pour les Etats, car l’Etat est une personne morale.
Donc, les principes, il en a six :
1° Ne pas confondre traité de paix et armistice, ni si le traité de paix contient partiellement quelque sujet de recommencer la guerre.
2° Aucun Etat indépendant, petit ou grand, ne peut être acquis par un autre : soit par voie d’héritage, soit par voie d’échange, soit par achat, soit par donation. Donc, plus de dynasties, ni de monarchies de droit divin, ni de colonisation, parce qu’un Etat est une personne morale, et donc ne peut être acquis par un autre Etat. Les armées permanentes doivent disparaître avec le temps. Kant va contre le proverbe qui « si tu veux la paix, prépare la guerre », ce n’est pas pour autant : baisse ton arme, et puis on verra ce qui se passe,  il n’est pas naïf à l’égard de la nature des humaine, mais il dit qu’il faut qu’il y ait une armée de défense. Donc, il faut une réforme radicale de toutes les armées du monde à une condition qui est le pacte entre les nations, d’une contrainte internationale.
Et il dit, ce que voulait Jean-Jacques Rousseau, lequel avait élaboré le « contrat social » qui stipule : je renonce à l’exercice de mon pouvoir, ou de ma liberté naturelle sur toi, sur tout être, à la condition expresse, tu en fasses autant. Et bien, il faut un contrat social entre les nations et les Etats. Je renonce à la guerre à condition que tu y renonces au même instant.
3° Reste la critique de la guerre, laquelle repose sur plusieurs constats : une nation armée, dit-il, c’est une nation prête à faire la guerre, une menace permanente qui ne favorise pas l’esprit de paix. Autrement dit, Kant n’aurait pas adhéré à l’argument de l’arme nucléaire, arme dissuasive et préventive. Il remarque aussi qu’il y a toujours une course à l’armement une surenchère sans borne. Il explique que la guerre, ou la course à l’armement coûte très cher, et prend des moyens à la paix.
4° Enfin la guerre consiste à payer des hommes pour tuer, ou se faire tuer, ce qui fortement incompatible avec l’exigence de considérer autrui comme une fin et pas seulement comme un moyen.
5° Donc, dit-il, la paix s’organise : si tu veux la paix, prépare la paix. Reste une question : qu’est-ce qui distingue l’armement de conquête, de l’armement de défense nécessaire en attendant la paix.
6° Autre règle, on ne doit pas contracter de dette nationale en vue d’intérêts extérieurs à l’Etat. Donc on condamne tout système de prêt en vue d’une guerre.
De plus, aucun Etat ne doit s’immiscer de force dans la Constitution et le gouvernement  d’un autre Etat; pas d’occupation militaire d’un pays…
Alors, Kant va à l’encontre de ce que Raymond Aron dans « Paix et guerre entre les nations » appelait, et que l’on appelle encore ; la paix est impossible, la guerre est probable, il nous faut donc un paix armée, ou une guerre indirecte, autrement dit, pour Kant se serait, non ! pas de guerre froide. Il ne peut y avoir de paix sans confiance mutuelle entre les Etats ; parce que toute guerre se poursuit, et se termine en guerre d’extermination, chacun voulant retirer à l’autre, ses moyens d’attaque et de défense. Et ne dîtes pas que la meilleure défense c’est l’attaque.
Donc il faut se poser la question  de savoir comment faire en sorte qu’on mette en place un contrat international de paix.

Débat

Acrostiche- La liberté de penser. (Hervé)

La pensée par soi-même, Kant s’attache à démontrer que la philosophie a pour but la connaissance de l’homme.
Alors il se pose les questions « que puis-je savoir » « que dois-je faire » « ce qui lui est permis d’espérer »

Lesquelles prônant la réflexion de chaque individu, il délimite comment l’objectif de la raison aboutit à un savoir.
Il lui faut donc lier le divers des sensations tel est le rôle de l’esprit, qui constitue la connaissance selon lui.
Brillant professeur de logique, de métaphysique, sa vie est consacrée à l’étude, à l’enseignement et la méditation
Engendrée par ce qu’il ne faut plus faire tourner l’esprit autour des choses, mais les choses autour de l’esprit.
Raisonnement copernicien de Kant constatant que l’esprit étant fixe l’expérience gravite autour
Thème cher à Kant se préoccupant davantage de l’effort de l’homme que de l’aide divine
Éprouvé et analysé par les différentes médiations personnelles par ses écrits et de les appliquer.

D’où la critique de la raison pure avec l’analyse de la structure interne à l’esprit le criticisme
En limitant les connaissances empiriques et scientifiques au niveau de l’apriori transcendantal cher à Kant et

Propre à ses ouvrages tels que « Les postulats de la raison pratique » « anthropologie du point de vue »
Ensuite « les fondements de la métaphysique des mœurs » « observation sur les sentiments »
Nombreux autres ouvrages tels que « Vers la paix perpétuelle » « La critique de la faculté de juger »
Sur « La religion dans les limites prolégomènes à toute métaphysique » « La réflexion sur l’éducation »
Enfin « la critique de la raison pure » et « qu’est-ce que les lumières »’éloge du courage de se servir de sa pensée,
Réflexion inspirée par la maxime « aie le courage de savoir » du poète Horace invitant à penser par soi-même.

Les impératifs catégoriques (Guy)

La plupart des élèves des pays occidentaux ont tous appris les célèbres et incontournables impératifs catégoriques. Par « catégorique » précise Kant, celà veut dire « universels ». L’impératif moral universalisable, se retrouve dans une expression courante « et si tout le monde faisait comme cela »
Dans Fondation de la métaphysique des mœurs, Kant, évoquant l’impératif catégorique parle d’une morale qui soit, (je le cite) « le principe suprême de la morale »  Le premier impératif catégorique est particulièrement d’ordre moral  « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (Fondation de la métaphysique des mœurs)
Ou
« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature » (Idem).  C’est pourquoi il insistera, (voire même trop) sur le principe de véracité, car le mensonge ne saurait être universalisable. Que serait un monde où tout le monde mentirait ?  Dans ces deux commandements Kant nous parle autant du devoir envers nous-mêmes, qu’envers les autres, tous les autres, au-delà de notre environnement ; au-delà même de l’amour de soi. Il nous fixe une règle incontournable qui est que le singulier ne peut s’affranchir de l’universel. Mais ça, c’était avant la vague d’individualisme.
Ce qui peut imager ce principe moral est : si j’ai besoin d’argent, que je demande à un ami un prêt que je sais ne pouvoir rembourser, je fais une fausse promesse. Et si ma façon d’agir devient un procédé universel, si tout le monde fait de même, alors toute confiance dans les échanges est rompue, l’économie s’écroule.
« Dire que la morale existe c’est penser avec Kant que l’homme est capable de vouloir le bien d’une façon pure : désintéressée et autonome. Agir moralement ne peut être simplement appliqué les préceptes d’une bonne éducation, comme un chien dressé qui appliquerait ce qu’on lui a appris…  La morale ne serait que le déguisement de l’intérêt bien compris, ou le joli nom, hypocrite dont l’homme rebaptise le souci de son image ». (Philosophie magazine. Hors série Juin 2008. Page 70. La morale)
« Car la représentation du devoir et, en général, de la loi morale, si elle est pure et ne se mêle d’aucun ajout étranger…, au lieu de quoi une éthique où tout vient se mêler, et qui se compose à la fois de mobiles empruntés, aux sentiments ou aux inclinations…ne peut que rendre l’esprit hésitant…». (Fondation de la métaphysique des mœurs).
La morale pour certains a une connotation de terrorisme. Lorsque la morale est ressentie comme oppression, alors l’individualisme devient une riposte, un moyen de se soustraire aux règles morales.  « Le dépassement de l’égoïsme est un des fondements de la morale, c’est une rupture avec une éthique trop centrée sur le bonheur, comme seule fin ».

Le second impératif se réfère à la dignité de l’humain :
« Agis de façon telle que tu traites, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen »
Alors ce précepte pourrait être traduit par,  je ne m’occupe pas des affaires des autres, je ne fais rien qui pourrait nuire à autrui, et que le monde aille comme il veut. L’impératif s’adresse à « ta personne », et ta personne peut-elle rester en paix en se désintéressant des autres ?

Le troisième impératif catégorique est également basé sur la dignité.
« Dans le règne des fins, tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. A la place de ce qui a un prix on peut mettre aussi quelque chose d’autre en le considérant comme son équivalent ; ce qui en revanche est au-dessus de tout prix, et par conséquent n’admet un équivalent, c’est ce qui possède une dignité ». (Fondation de la métaphysique des mœurs)

Pour Kant la morale de l’impératif catégorique est, non seulement la dignité de l’individu mise en avant, mais c’est toujours plus qu’un simple calcul, c’est même faire abstraction de ses propres intérêts.
« L’homme est sans doute assez peu saint, mais l’humanité dans sa personne doit être sainte pour lui ». Kant avec cette phrase dénonce d’abord l’ennemi en nous, et puis nous rappelle notre dignité dans notre regard. Cela nous dit : respecter l’humanité, votre humanité vous oblige.
« Il (l’homme) souhaite une loi qui limite la liberté de tous. Son penchant animal à l’égoïsme l’incite toutefois à se réserver dans la mesure du possible, un régime d’exception pour lui-même » (Opuscule sur l’histoire)
Kant est sous divers aspects le philosophes des universaux ; Ainsi de ses impératifs qui partent du singulier le rapportant à l’universel ; on retrouve les préceptes Kantiens dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lesquels établis lors de la Révolution française de 1789, ont été adaptés par un grand nombre de pays démocrates par ce monde ;
Les impératifs catégoriques, qui évacuent toute morale relativiste, sont un legs essentiel à la philosophie. Kant donne une structure qui manquait jusque là à la morale. Le bien et le mal ne sont plus des entités dans un ciel platonicien, mais nous en avons une conscience intime.
Il utilise là une formule poétique : « deux choses remplissent mon esprit d’admiration.., le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi. Ces deux chose ne sont pas situées dans une région transcendantale.., je les vois et je les rattache à la conscience mon existence »
Ses prescriptions, ces impératifs, sont comme des nouveaux commandements. Et ceci dans une formulation accessible à tout un chacun. Un vade me cum qu’il nous faut toujours avoir présent à l’esprit. Pour peser chacune de nos actions qui comporte une dimension morale. Chaque fois la question, mon action est-elle conforme, à ce gabarit de l’acte juste ?

⇒ Je voudrais évoquer le paradoxe chez Kant quant à la notion de dignité. Celui-ci fait une approche fondamentale de la dignité humaine. Etymologiquement le mot vient du latin « dignitas »  soit (ce qui mérite, estime, considération, honorabilité)   et du grec « axios » soit, (ce qui est convenable, ce qui vaut, ce qui mérite), ce à quoi on doit un certain, respect. L’interprétation, d’ailleurs, a entraîné deux visions différentes, c’est-à-dire, la notion de dignité qui serait liée à l’homme, sa qualité d’Être, et donc, rattachée à l’humanité toute entière. Et cela amène à la dignité institutionnalisée, c’est-à-dire, une signification qui serait profondément liée  à l’idée de société, à une hiérarchie de classe, on dit bien, il y a  « des dignités » dans une société donnée, ce qui correspond à une fonction, à une titre, ou encore à une attitude emprunte de noblesse et de gravité, donc incluant une différence entre les hommes.
Donc, il y a, à la fois, unité et différence, il y en  a qui seraient plus dignes que d’autres.
Alors Kant définit la dignité, en s’intéressant à la dignité de l’humanité, il estime que la dignité a plus d’une valeur, elle est, centrique….. La dignité dépend de la loi morale, parce qu’elle est, agent de moralité. Lequel consiste à ne pas à agir selon son penchant naturel, mais à contraindre nos actes, et qu’ils deviennent universalisables. Ce point est « le tribunal de raison » (déjà cité dans ce débat). J’ajouterai que lorsqu’il, parle d’universalisation possible, c’est l’homme entier qui y est soumis, c’est-à-dire, sa vie, vie professionnelle, vie sociale, vie intime

⇒ Je vais revenir sur « Qu’est-ce que les Lumières ? » Il faut rappeler que ce texte est un article qui répond à une question, et c’est un article de journal. Ce n’est pas un véritable ouvrage. C’est important de le dire parce que je le trouve fort incomplet. Je lui trouve des qualités énormes, mais je lui trouve aussi un certain nombre de défauts. Il va paraître en 1784, et en 1784 c’est la mort de Diderot qu’il avait connu. Rousseau est déjà mort, il l’a également connu et on a vu sa référence à Rousseau par rapport au contrat social que lui amène au niveau des nations.
Et Condorcet qui fait partie des Lumières françaises, lui pour l’action plus que la théorie est toujours vivant parce qu’il va mourir en 1794.
Dans ce texte, tout ce qui a été écrit a été cité : penser par soi-même, se libérer des tuteurs, etc. Il présente en quelques lignes son point de vue, puis après il fait un long développement, et parfois il va très loin, il va même à un moment donné dire des choses qu’on pourrait presque, attribuer à Marx. (Je le cite) : «  La plupart des hommes et parmi eux, le sexe faible tout entier finit par considérer comme dangereux, le pas, en soi pénible, qui conduit à la majorité. C’est que, sans quoi une telle conception, leurs bienveillants tuteurs, ceux-là même qui se chargent de les surveiller ; après avoir rendu stupide le bétail domestique, et soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent faire pas, hors du parc où elles sont enfermées ; il leur montre ensuite le danger qu’il aurait à marcher seul ». ça va très loin.
L’inconvénient de vouloir juger de ce texte, c’est qu’il est basé sur la religion, et là-dedans il parle très peu du social, il parle surtout d’exemples religieux, mais peu de ce qui, apparemment lui est cher, c’est-à-dire les Lumières, ce qui amené à la Révolution française.
On a déjà évoqué ses références au contrat social, mais j’ai lu une réponse à une question où on l’interrogeait sur les assassinats de 1793, où il répond clairement que tout cela comparé aux morts qu’on fait les despotes jadis, c’est rien du tout. Mais dans ce texte, et c’est dommage il n’aborde que très peu le contrat social, et c’est dommage ; mais ce n’est qu’un article de journal. Et ce qui est dommage aussi, c’est qu’il ne semble pas trop rentrer dans la critique de ceux qu’il appelle, les despotes éclairés puisqu’il fait une petite allusion à Fréderic II de Prusse pour qui c’est, les Lumières en marche. Mais à un moment donné, il dit carrément : «  de ce point de vue, cette époque, était celle des Lumières  ou le siècle de Fréderic II ». Le despotisme de Fréderic II c’était les Lumières en marche.
Donc, là, je dirais, si je trouve une contradiction dans sa pensée, là j’en trouve une, c’est-à-dire que d’un  côté il semble favorable à la Révolution, et que de l’autre côte, il dit, et bien Fréderic  II, le despote éclairé, c’est : les Lumières en marche
Ce texte, donc, est audacieux  sur certains aspects, et en retrait sur d’autres, pour ne pas, peut-être,  se mettre à dos le pouvoir.

⇒  Malgré la profondeur et la portée de son œuvre, et qui résonne encore, c’est aussi un homme de son époque, c’est-à-dire qu’il ne peut pas complètement s’en émanciper, Autrement dit il parle beaucoup de la religion, mais au XVIIIème siècle la religion est encore très puissante, le texte était alors, théorie ; et quand on parle de s’émanciper par cette automie de l’entendement, cela reste religieux même si avec ce qu’il écrit, avec son quotidien en tant qu’homme, cela se télescope. Il n’y a pas, forcément de contradiction entre sa vie et ce texte qui est paru dans le Berlinische Monatsschrift en 1783

⇒  Il y a un point qui dans l’œuvre de Kant fait polémique, c’est ce qu’on parfois résume par « son » devoir de vérité, lequel  a créé opposition entre lui et Benjamin Constant. Kant évoque dans « Sur un prétendu droit de mentir par humanité » le fait que si ’une personne poursuivie par quelqu’un voulant le tuer, se réfugie chez lui, et que celui qui le poursuit (pour le tuer) lui demande s’il est chez lui, il ne peut mentir. Il se doit de dire la vérité sans avoir à juger de la suite, sinon c’est une vérité conditionnée, …. Benjamin Constant s’opposera vivement à ce devoir de vérité. On a retenu de ce dernier cette phrase  «  La vérité n’est due qu’à celui qui mérite la vérité ».

⇒ Kant a été un des premiers à faire l’hypothèse des univers divers, ce qu’on nomme aujourd’hui les galaxies, ces galaxies qui renferment de milliards d’étoiles.
Ce qui peut-être l’inspirer pour cette épitaphe qu’il a voulu sur sa tombe : « Deux choses remplissent mon âme avec émerveillement et une admiration et une admiration toujours croissante ; surtout à penser à elles : le ciel étoilé au dessus de moi et la loi morale qui est en moi »

⇒ En 1978 Soljenitsyne a prononcé un discours à l’université d’Harvard, discours qu’il avait nommé : « Le déclin du courage » où (en gros) il dit : qu’à partir des Lumières et depuis la pensée de Kant on n’a pas visé assez haut, qu’on n’a pas su imposer le progrès moral.
Et cela peut amener  à se  poser cette question : est-ce que le progrès et la fausse paix mercantile d’un marché mondialisé, est-ce que ce dernier, n’aurait pas été le fossoyeur de la paix ?

Principales Œuvres de Kant

Histoire universelle de la nature et théorie du ciel (1755),
De la forme et des principes du monde sensible et intelligible (1770)
Critique de la raison pure(1781),
Prolégomènes à toute métaphysique future (1783),
Réponse à la question « Qu’est-ce que les Lumières ? » (1784),
Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite (1784),
Fondements de la métaphysique des mœurs (1785),
Critique de la raison pratique (1788),
De l’usage des principes téléologiques en philosophie (1788)
Critique de la faculté de juger (1790),
La Religion dans les limites de la simple raison (1793),
Projet de paix perpétuelle (1795)
Du prétendu droit de mentir par humanité (1797)

 

Peut-on être authentique en société?

 

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Restitution du Café-philo du 26 novembre 2022 à Chevilly-Larue

Animation:  Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Je défendrai d’abord l’idée qu’il faut être authentique en société.
1° Celui qui est naturel, qui ne se fait pas une personnalité autre, donne confiance, et nous savons que la confiance des autres nous donne confiance en nous.  Être authentique en toute circonstance, c’est déjà croire en soi.
2° Celui qui est faux, qui se forge une personnalité qui n’est ni lui, ni elle, s’enferme dans un personnage, qu’il ou elle doit ensuite assumer.
3° Je me dois de pas me déguiser car je souhaite rencontrer des gens qui ne se déguisent pas.
4° Comme je suis pour les autres, ou un autre, à mon tour un élément de « la société », j’ai plaisir à rencontrer des personnes vraies avec leurs différences, leurs particularités, leur approche différente de choses.
5° La société, enfin disons,  les autres, ceux que l’on fréquente, peut-être qu’ils nous donnent en miroir une image de nous : « Quant à ceux (nous dit Aristote dans l’Ethique à Nicomaque) Qui aspirent être honorés par les gens honnêtes, et bien au courant de leur situation, ils visent à confirmer l’opinion intime qu’ils ont d’eux-mêmes »
Et il ajoute  » Ils se réjouissent donc de constater qu’ils sont hommes de bien sur la foi du jugement de ceux qui le déclarent »
Et enfin, et cela viendra dans le débat,  il est des milieux, des univers sociaux, milieu des affaires,  du spectacle, où les gens affichent un personnage de vie publique, je pense par exemple à ce que furent les cours royales, et d’autres milieux dans la société actuelle
C’est ainsi que Rousseau, peut-être en réaction devant les mœurs bourgeoises, de son époque,  écrira ces lignes : « Sans cesse […..], la bienséance ordonne : sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce que l’on est; et dans cette contrainte perpétuelle [….] on ne saura donc jamais bien à qui on a affaire [….]…»  (Discours sur les sciences et les arts)

: Débat, G: Je me demande
1° qu’est-ce qu’être authentique ?
2° et, qu’est-ce qu’une société dans ce cas ?
Être authentique avec soi? oui ! à moins d’être dans un faux self. Mais dans une petite société d’amis, c’est pas la même chose que d’être dans un débat public, par exemple. Dans un débat public, on est amené à jouer un personnage public, on est dans un rôle social, rôle attendu de la part des autres. Être authentique dépend alors de la situation.
On ne peut pas être tout le temps soi, ni vrai, ni naturel.

⇒  Être ou ne pas être authentique ai-je entendu, ça dépend de la société dans laquelle on se trouve, et j’ajouterais ça dépend  de soi et du projet qu’on peut avoir vis-à-vis de la société.
Je suis encline à penser de cette façon, et je me pose la question : comment, moi, je peux être authentique en société ?
Et, seconde question, qui,  peut être authentique en société ? Ce mot « authentique » est « un composé de « auto » et de « heuter » « qui réalise » (terme indo européen » (Dictionnaire  historique de la langue française d’Alain Rey), et j’ai regardé du côté des synonymes, cela va de : vrai, véritable, conforme à la réalité, sincère, naturel, conforme à moi-même… Alors, une personne authentique, c’est une personne conforme à sa nature, à son vrai moi.
Et bien oui : mais le vrai moi, c’est quoi ?
Donc, je me suis rappelé que Sartre dans « L Être et le néant » dit que ce qui caractérise l’Être humain, c’est sa capacité d’exister, c’est-à-dire, de sortir de soi, de se projeter vers quelque chose, vers un horizon idéal.
Donc le vrai moi, le moi naturel, le moi essentiel, le moi authentique, c’est, ce que je veux être. Et, ajoute Sartre, en situation, d’où sa conception de la liberté ; l’homme est libre, mais, en situation.
Donc, pour être authentique, pour avoir un projet, non pas pour être conforme à ce que je suis, mais, pour être conforme à ce que je veux être, et bien : soit on refuse, soit on compose avec la situation.
Alors, Sartre prend exemple sur le garçon de café. Il dit, le garçon de café joue un rôle. Pourquoi ? Parce qu’il veut continuer à être employé, continuer à avoir des pourboires..
Aujourd’hui pour moi, avec la crise sanitaire, la crise politique, la crise sociale, et avec la catastrophe climatique, et bien, il y a beaucoup de difficulté à avoir un projet, pour exister, pour être authentique.

⇒ Dans bien des domaines, dont la politique, on ne laisse que peu de place au parler vrai.  Et je reviens l’exemple de Sartre. Dans ce cas, l’expression, « jouer un rôle » me gêne, ce serait se montrer dans un personnage qu’on n’est pas. Cela me semble être le propos d’un intellectuel bourgeois. Je pense que le garçon de café se réalise dans son travail, qu’il est lui, et pas, inauthentique.
Et toujours de Sartre dans l’ouvrage déjà cité, dit : «  L’apparence ne cache pas l’essence elle la révèle » ; cela me dirait que je suis, que je ne suis, que par mon apparence, par ce que je donne à voir de moi, ou, encore comment les autres me voient. L’être authentique, ou, les Êtres authentiques que je suis me semble plus complexe. Quelle distance parfois entre ce paraît une personne, et ce qu’elle révèle être.

⇒ Pour Sartre, le garçon de café n’est pas inauthentique, il joue son rôle social, un rôle dans lequel il existe, comme peuvent l’être d’autres, dans leurs  professions. Cet exemple chez Sartre est à prendre comme une parabole. Il a fait ce choix du personnage parce que tout le monde connaît le garçon de café.
Il est impossible à un homme, une femme, de faire un travail, sans être soumis (se) aux contraintes de ce qu’il fait.
Dans ce sujet de l’authenticité, il y a plusieurs choses : il y a la pensée, et, il y a le comportement, de là être authentique dans son comportement, dans sa pensée. On peut toujours être authentique dans sa pensée, mais les circonstances nous amènent à avoir un comportement différent malgré nous, comportement qui va à l’encontre de ce que l’on peut penser. C’est vrai pour les homme et femmes politiques, c’est vrai pour le commun des mortels, et  cela, justement, parce qu’il y a la pression de la société.
Prenons un exemple presque binaire : quelqu’un qui est écolo, jusqu’au boutiste, et qui voudrait vivre presque en autarcie, c’est absolument impossible, il va être obligé de faire des concessions. Il ne peut pas mettre sa pensée authentique en phase avec son comportement, c’est impossible.

⇒  Déjà au départ, dès l’enfance, puis l’adolescence, l’environnement familial, contraint notre nature, nous contraint dans des comportements spécifiques, liés à un milieu. Puis peu à peu la pensée se construit dans un enseignement, dans un milieu professionnel, alors, au final, où est notre propre nature, notre authentique moi ?

⇒  Nous sommes revenus à Rousseau, pour qui, l’homme naît, naturellement bon, il est ensuite perverti par la société. Tel son « homme pur » il se montrera souvent naturel, et sera marginalisé.
Justement les premières diatribes contre la fausse apparence, le soi déguisé en société, l’ inauthenticité, se trouve chez Rousseau, il fustige la fausse identité, qui pour lui est non seulement mentir à la société, mais surtout se mentir à soi-même.
Rousseau veut un peu comme l’Alceste de Molière, toujours la franchise, qu’on soit sincère, en concordance avec soi-même, que l’on s’attache, nous dira Nietzsche, à devenir ce que nous sommes, autrement dit : être en phase avec nous.
Être authentique en société cela peut être, affirmer sa différence, par exemple refuser le mode de vie donné comme modèle, et s’en aller vivre ailleurs, autrement, se libérer de certaines règles de cette société, et, vivre pour être soi. Vouloir absolument épouser les règles d’une société qui ne nous va pas, est comme aliénation.
Nous retrouvons dans les mouvements contestataires ces identités différentes ; je refuse ce modèle dans lequel je ne suis pas moi.
L’authenticité des êtres serait-elle, incompatible avec certains de nos rapports sociaux ?         L’instinct grégaire qui nous pousse à se rassembler et s’imiter, serait-il en opposition avec l’affichage de son être authentique ?
Je vois des milieux professionnels où tout le monde s’habille pareil, d’autres milieux où par imprégnation tout le monde pense pareil, aurions-nous affaire à des identités éponges ?

⇒ Un individu peut être authentique, plusieurs fois. Il y a des périodes de la vie, avec leurs changements qui font qu’on peut être authentique et différemment plusieurs fois. Il y a certains engagements où l’on est tellement investi, qu’on fini par être sous emprise, et qu’on peut finir par avoir un discours dogmatique.
Il faut faire attention à ce que le projet ne dépasse pas l’individu ; que le projet ne prenne pas la place du « moi » et que le discours ne se trouve plus réellement personnel, alors qu’on croit être quand même à ce moment authentique.
J’ai eu plusieurs engagements, j’ai été plusieurs fois authentique, ce qui a fait des « moi » successifs. Je ne renie pas ces « moi » antérieurs, je pensais ce que je disais.

⇒ On a le droit de changer une idée dans la pensée tout en restant authentique. C’est-à-dire, qu’à partir du moment où l’on dépendait d’idées que l’on défendait, et qu’on aurait changé dans ce domaine, les gens vont penser parfois qu’on n’est pas authentique. On peut rester authentique, si notre authenticité, c’est justement d’être ouvert à son siècle, ouvert aux autres, ouvert au monde. On a le droit de changer d’idée, on n’est pas pour autant faux, pas un « masqué ».
Et il faut encore définir l’authenticité ; elle est en référence à une morale, et aussi à des droits. Exemple : un garçon de 17 ans est amoureux d’une personne  de 27 ans, les deux personnes sont authentiques dans leurs sentiments. Soit ! Mais la société va leur dire: non ! Au nom de la morale, au nom d’un droit ; d’un droit qui interdit au nom de la protection des autres.
On ne peut pas permettre à tout le monde d’être dans son authenticité, car cela pourrait nuire à la société, à la vie des autres.
D’un autre côté ça nous protège de bien des choses, entre autres, ça nous protège des sectes.

⇒ On nous montre ces derniers temps des personnes jeunes ayant fait des études universitaires, ou, de grandes écoles, et qui tout à coup décident de partir s’installer à la campagne, pour faire :  l’un des produits bio, l’autre pour être boulanger dans un village. Ils ont un projet qui diffère tout à coup des études qu’ils font, ils ont un idéal de vie, un besoin d’authenticité, ils gagnent moins bien leur vie, mais ils disent  qu’ils sont heureux parce que ça correspond à leur « vrai moi ».

⇒ Je pense qu’il faut beaucoup d’énergie pour lutter et garder son authenticité, se « conserver soi » selon les événements, selon la société d’alors. Et là, il faut choisir : être assimilé à cette société ou pas. C’est, soit assimilation, soit, dissimulation.

⇒ Ce qui fait évoluer ce questionnement, c’est la distinction entre pensée et comportement. On peut être en pensée conforme à son projet, et puis en situation, s’adapter. Et puis, il y a ceux qui refusent, ce sont : les marginaux, les contestataires, ceux qui se suicident parce qu’ils ne peuvent pas réaliser leur projet. Et puis il y a ceux qui tombent dans « la servitude volontaire ».
Et je suis d’accord quand on dit, qu’il faut beaucoup d’énergie, mais je fais la différence entre ceux qui sont dans un projet purement individuel, et ceux qui ont un projet universaliste. Et je fais la différence, entre, projet et désir.

⇒ Il faut revenir sur ce « moi » individualiste, ou, plus collectif, vers une authenticité partagée, celle des révolutionnaires de 1793, et ces trois mots : Liberté – Egalité – Fraternité. Liberté ça peut être « individualiste », mais l’authenticité citoyenne se crée, existe, que si la liberté existe dans l’Egalité, et en plus dans la Fraternité, c’est à dire pour tout le monde. Finalement ils avaient tout dit par cette  formule magnifique.

⇒ On est plus soi, on est plus libéré lorsqu’on s’exprime  dans un débat, en fonction de regard des autres. Dans leurs expressions ils nous délivrent un message qui nous encourage, on y va alors franchement, on se libère. Pendant longtemps je n’ai pas osé parler en réunion, je trouvais que ma pensée était trop banale, ou trop audacieuse. Il m’a fallu longtemps pour me dire que ce n’est pas si bête, ni plus bête que d’autres propos. Il y a une barrière à franchir qui est parfois énorme.

⇒ On doit revendiquer sa place. Une femme dans différents domaines, ce n’est pas un problème quand on sait qui on est, quand on sait ce qu’on fait, comme femme on a une place à part entière dans la société.

⇒ Au nom de leur authenticité nous voyons ceux qui refusent le rôle social, qui se veulent toujours dans la franchise, le vrai. Cela est illustré dans le Misanthrope de Molière par le personnage d’Alceste en dialogue avec Philinte, lequel Alceste, pour être authentique, ne veut laisser place à aucune hypocrisie, parler en toute franchise, sans se soucier de ce qui pourrait blesser ou pas.

-Alceste :                «  Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
                                    On lâche aucun mot qui ne vienne du cœur »
 – Philinte :                Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende,
                                    Quelques dehors civils, que l’usage demande »
                                                              …….
– Philinte :              Il est bien des endroits, ou la pleine franchise
                                 Deviendrait ridicule, et serait peu permise
                                 Et, parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
                                Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.
                                Serait-il à propos, et de la bienséance,
                                De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?
                               Et quand on a quelqu’un qu’on hait, ou qui déplait,
                               Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? »
                                                     (Acte 1, scène 1)

⇒  Alceste est un de ces jusqu’au boutistes, un de ces empêcheurs de tourner en rond, un de ces enquiquineurs, qui sont mal vus dans la société

⇒ Quand on étudie l’état psychique des grands paranoïaques, des grands délirants (et là, je pense à Poutine) que penser de l’authenticité de ces grands délirants ? Ils sont persuadés qu’ils sont persécutés, et,  presque du fait, honnêtes avec eux-mêmes. L’authenticité ; jusqu’où elle va ?

⇒  « Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris » (Oscar Wilde)

 

 

 

 

 

 

La vie vaut-elle qu’on meure pour elle?

Arnold Boekling. Auto portrait. 1872. Alte nationalgalerie. Berlin

Adolph Boekling. Self portrait. 1872

Alte nationalgalerie. Berlin.

Restitution du café-philo du 24 novembre 2021 à Chevilly-Larue

Animation: Thibaut Simone. Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.

Modératrice : France Laruelle.

Introductions : Guy Pannetier

Introduction : Voilà bien un sujet qui exclut que je juge quant aux autres. Je ne puis évaluer (puisqu’on parle d’un jugement de valeur) que ma propre vie, même si comme nous le dit Montaigne on ne peut juger de sa vie qu’au terme, ou autrement dit qu’au dernier jour de sa vie. Mais au dernier jour, le jugement m’aura été enlevé, alors je déroule le ruban du passé, je regarde, je juge, j’apprécie. Aurais-je préféré ne pas naître ? Idiotie ! Monsieur Cioran puisque cela ne dépend pas d’un choix mien.

En fait, la seule et vraie question qui vaille est : serais-je prêt, à revivre cette vie ? Ce vécu jusqu’à ce jour ? (Question nietzschéenne) Et là, se trouve, se retrouve la question

Qu’est-ce qui fait que la vie vaut, (je dirais même, vaut la peine)  d’être vécue ?

Les thèmes ont souvent une source d’inspiration

Pour l’expression que la vie vaudrait qu’on meurt pour elle je l’ai trouvée chez Naguib Mahfouz (écrivain égyptien) dans son roman  « Miramar » : « Quelque chose cristallisait au fond de son cœur, un petit grain de vrai courage, un diamant. Il découvrait sans savoir comment le dire autrement que par paradoxe, que la vie méritait qu’on meurt pour elle, car sans elle, nous sommes des morts qui n’ont jamais été que des morts »                                                                         

Et puis je l’ai trouvée aussi dans le beau poème d’Aragon : « La vie en vaut la peine » Jean d’Ormesson s’inspirant justement du poème, donnera pour titre à un de ses derniers livres « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle »

Hélas, ceux qui se sont ôtés la vie, ont déjà, hélas répondu à la question.                                        Alors on peut se poser la question à soi-même ; à savoir si au-delà des bonheurs et parfois d’immenses chagrins, on rejoue la partie, si l’on passe le pacte avec le diable ou le bon Dieu, si l’on refait le chemin.

Je fais partie de ceux pour qui au-delà des difficultés, il me semble qu’une force vitale  tendrait à nous pousser vers l’avant ; nous aider à supporter, à dépasser finalement les grandes souffrances, à nous relever, nous donner la force de ne pas se laisser abattre, de résister ; et se dire oui, le chanteur a raison : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie»,

Et enfin récemment j’entendais une interview d’archive de l’écrivain Jean Giono, dans laquelle il répondait d’une certaine façon  cette question ; je vous lirai le texte plus avant dans le débat,  car maintenant c’est à vous de nous dire si : la vie vaut qu’on meurt pour elle ?

 

: Débat, ⇒: Je me rappelle d’une réplique de l’acteur Philippe Noiret : «  Si un homme est venu au monde que pour observer une pâquerette, alors il n’aura pas perdu son temps » (Film, Uranus, de Claude Berry) Je pense que dans la vie que nous vivons il n’y a que ça. De ce fait on n’échappe pas au tragique, parce, quoi qu’on fasse, on n’a rien à attendre,  et on doit faire avec.

⇒   Ce problème c’est le problème des valeurs de la vie. Alors « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle » amène pour moi deux questions : s’agit-il de la vie biologique, s’agit-il de la vie humaine ?          D’abord je vais traiter de la vie humaine. Il me semble qu’il faut distinguer en ce qui concerne la vie humaine : vivre, et, exister, et cela j’ai appris de Sartre  dans « L’existentialisme est un humanisme » en trois points :

1° l’existence précède l’essence, c’est-à-dire (pour exemple),que le coupe papier a pour essence de couper le papier, il ne peut devenir par lui-même un coupe ongle, un couteau, etc.., à la différence de l’homme qui est sujet , et qui lui, peut  devenir un coupeur, de viande, de papier, d’autrui, etc..      Autrement dit, exister signifie se projeter  hors de soi ; donc l’homme est condamné à être libre, la liberté c’est aussi le pouvoir de néantiser l’autre, mais il y a une limite à cette liberté, c’est ce qui s’appelle la facticité, (le caractère d’un fait contingent) et il y en a six : le fait de naître dans une société donnée, dans une époque donnée ; le fait d’avoir un corps, le fait d’avoir un passé, le fait d’exister dans un monde qui nous préexiste, et le fait d’exister par les autres, et enfin, le fait de mourir.

2° Donc, si l’existence précède l’essence, il faut donc distinguer « vivre et exister » ….. Et donc Sartre développe que la mort c’est, ce qui fait pour l’homme, qu’il doit, pendant sa vie, se projeter, vers une idée, un idéal, une femme, un homme, une manière de vivre, avoir un projet. Donc, la vie ne vaut pas qu’on meurt pour elle,  quand on décide d’être un homme, c’est-à-dire, pas seulement un être vivant, mais, un être existant.

La vie, vaut, qu’on existe pour elle.

Dernière conséquence de cette philosophie de l’existence humaine, et bien, c’est qu’il n’est pas question de mourir pour une cause, il s’agit de la faire exister : djihadistes ou autres qui donnent la mort pour une cause qu’ils ne font pas vivre, ils tuent, ils donnent comme modèle, de tuer ou de se tuer. Ils ne font pas vivre leur cause, ils ne font pas exister la cause pour laquelle ils ont décidé de vivre.

Donc, je pense que ce n’est pas la vie qui vaut qu’on meurt pour elle, mais la vie qui vaut qu’on existe pour elle, et qu’on se donne des projets pour la faire exister.

⇒ J’entends avec l’exemple de Sartre une vision qui est plutôt optimiste, mais où la mort n’est pas vraiment abordée face à la vie plus forte que tout, ceci bien sûr à condition qu’on puisse avoir des buts, qu’on soit en mesure de faire des projets.

Mais de toute façon c’est mieux que ce nous propose Cioran, pour qui le choix de vie, c’est le suicide, la mort.

Cette question de fait, est une question qui se pose à tout le monde : « Est-ce que ça valait la peine ? ». On ne va pas faire de la psychanalyse, mais je pense que chacun à un moment donné, a pu se poser cette question ; devant : un abattement, un grand chagrin qui vous anéanti, – fallait-il que je vienne au monde pour vivre ça ? Pour vivre une vie qui tout à coup a perdu tout son sens… ?  Et puis, une force, que certain nommeront « force vitale » « instinct de vie » fait qu’on guérit,  plus ou moins, qu’on repart.

Et ce devoir poursuivre, c’est notre grande responsabilité, qu’au delà des vicissitudes, il nous faut choisir, choisir la vie, retracer une route, c’est la contrepartie de notre liberté nous dirait Kant.

Et, en rapport précisément avec notre sujet, j’ai relevé un texte d’Adèle van Reith, qui cite Nietzsche : «  La possibilité que le provisoire devienne définitif, n‘est-ce pas ce qui nous glace ? Nietzsche en a fait un fragment devenu célèbre (le Gai savoir) dans laquelle il imagine un démon lui proposer de revivre sa vie à l’infini sans y changer le moindre détail : Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ?», semble nous susurrer ce démon [….] La question est loin d’être une coquetterie. Pour le philosophe, elle est une manière d’interroger le rapport que nous entretenons à notre existence. Comment vivre de manière à être prêt de revivre chaque seconde ? [….] Seriez-vous prêt ? Sinon, que voudriez-vous changer ?  (Adèle van Reeth. Vivre et revivre encore. Editions l’Aube. 2021)

Et enfin, je pensais aux terroristes, pour qui, paradoxalement, à un moment donné, la mort sera une raison de vivre.  On connaît cet « aphorisme » « Donnez-nous une raison de mourir, ce sera notre raison de vivre ».

⇒  On peut mourir pour donner une part de soi, pour une greffe, pour un enfant, un proche. C’est alors pour nous, une vie plus importante que la nôtre. C’est prendre le risque de mourir pour une vie. C’est le plus beau cadeau. La vie est un cadeau.

⇒  Pour moi la vie est une capacité, c’est exister, c’est une capacité émergente du vivant. C’est une capacité de l’humain d’exister, et on ne peut exclure, que des espèces, non humaines, aient quelque chose de proche, je pense à certains cétacés, aux calamars, aux éléphants, aux primates, jusqu’à tous les organismes constitués.

Le fait d’être une propriété émergente, le fait de se projeter dans le monde réel, c’est, exister, et cela ne peut se concevoir que dans le vivant.

Je pense qu’être vivant et exister, ne doivent pas s’opposer, au contraire.

Et c’est là que je pense que Sartre agit seulement en philosophe, c’est-à-dire qu’il va focaliser essentiellement sur l’humain, alors que le monde est plus vaste.

Alors, même si on ne peut connaître « le dernier jour », on peut quand on regarde en arrière, on peut se dire, j’ai vécu, j’ai apporté quelque chose, comme le dit le poète anglais, Walt Whitman dans son poème « Feuilles d’herbe », « J’ai contribué à apporter ma rime, au grand poème de l’univers ».

Et je pense, bien sûr, à la possibilité, à la volonté, de mettre fin à cette vie, ce qui nous fait penser à Camus et la première phrase terrible du « Mythe de Sisyphe » : « La seule vraie question en philosophie, c’est le suicide ». Camus a beaucoup plus existé que Sartre

 ⇒ A cette question : « La vie vaut-elle qu’on meurepour elle ? », la distinction que fait Sartre, entre vivre et exister, me permet, lui a permis de comprendre, qu’effectivement, la vie est un cadeau, c’est-à-dire, qu’à partir du moment où je réfléchis, sur ce que c’est que vivre ; et bien, la vie m’apparaît comme un cadeau, parce qu’elle m’apparaît comme, ce que je peux en faire, comment exister, avoirs des projets, des buts.  M’apparaît aussi, ce dont j’ai la nostalgie, non pas que j’ai peur de mourir, mais parce qu’effectivement, j’ai aimé, j’ai enfanté, j’ai connu, x, y, z, et que j’aimerais bien que ça continue. C’est à dire que j’aimerais bien être celle qui reste en relation avec, x, y, z, pour partager, et ne pas faire mourir la vie….

Et quand je pense à cette question : «  La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » Et bien je considère l’homme, comme l’être qui existe, je dis, je répète, oui, la vie vaut qu’on existe pour elle.

⇒ On a évoqué cette force vitale (ou quelque soit le nom donné) qui nous fait repartir dans les situations de crises extrêmes.  Cette aptitude, cette force semble inégalement répartie, puisqu’il y a ceux qui subissent la vie, ceux qui affrontent la vie, qui contre les mauvais coups de la vie, continuent à orienter leur vie.

Alors, en regard de cette question, au-delà de tant d’événements, oui, je veux rejouer la partie, je voudrais renaître, renaître pour connaître tout ce qui sera demain dans cet univers en pleine mutation technologique, moi, ça me fait envie.

Si j’ai une nostalgie, ce n’est pas la nostalgie du passé, c’est, la nostalgie du futur, tout ce que je ne verrai pas, ça me chagrine terriblement.

⇒  Si on est croyant, qu’on croit dans un au-delà, alors la vie et sa fin, vaut qu’on meurt pour cet au-delà, qui ouvre sur quelque chose de plus beau. A moins que, on ne soit pas totalement persuadé, qu’il reste un sérieux doute. J’ai constaté que les croyants ont comme beaucoup, peur de la mort ; ça me questionne !

⇒ Ce thème de « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle » a inspiré un auteur, Jean d’Ormesson, avec un de ses derniers  romans « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle », titre en écho au poème de Louis Aragon

« Que la vie en vaut la peine »

C’est une chose étrange à la fin que ce monde.

Un jour je m‘en irai sans avoir tout dit ;

Ces moments de bonheur, ce midi d’incendie,

La nuit immense et noire, aux déchirures blondes,

 

Rien n’est plus précieux peut-être qu’on le croît,

D’autres viennent. Ils ont le cœur que j’ai moi-même

Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime

Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix

 

Il y aura toujours un couple frémissant

Pour qui ce matin là sera l’aube première

Il y aura toujours, l’eau, le vent, la lumière,

Rien ne passe après tout, si ce n’est le passant.

 

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont en eux,

Comme si ce n’était pas assez merveilleux

Que le ciel un instant nous ait paru si tendre

 

Mais pourtant, malgré tout, malgré les temps farouches,

Le sac lourd à l’échine et le cœur dévasté

Cet impossible choix d’être et d’avoir été

Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Malgré tout, je vous dis, que cette vie fut belle.

(Aragon. Extrait du poème, La vie en vaut la peine)

         

⇒ Tout finit par tomber dans l’oubli, tout ce que nous faisons, tout ce à quoi nous avons pensé, tout ce que nous avons bâti; tout ça finit par tomber dans le vide, le soleil finira, on dit « tout passe ». Et souvent je me dis, que tout ce qui a pu se passer, tout ce que a eu lieu, est de toute éternité, mais qui s’en rappellera ? Est-ce qu’il y a quelque chose inscrit dans l’univers qui fait que ce sera marqué comme avec un poinçon, je ne sais pas. Tout est destiné à s’achever, peut-être même l’individu lui-même.

Bien sûr, que tout n’est que transformation, mais, est-ce qu’un atome de Jules César, c’est toujours Jules César ? non !

 Et je reviens sur l’existence, où je distingue ; existence individuelle, et, existence collective ; Il est arrivé à maintes reprises dans notre Histoire, que des existences individuelles se sacrifient  au nom du bien commun, de la survie collective, voire les cas de guerre…

L’individu peut donner sa vie au nom de quelque chose de plus grand que lui, pour permettre à l’existence, d’être libre,  de perdurer. En faisant cela, je trouve que c’est échapper au tragique ; et l’existence, d’insignifiante peut-être, là, prend tout son sens.

⇒  Même Sisyphe, au-delà de la peine du rocher, doit être imaginé, comme « Sisyphe heureux ». Lorsqu’il a, enfin, remonté le rocher, que celui est retombé dans la plaine, il va redescendre, et ce parcours c’est la rencontre de zones plus verdoyantes, d’une nature accueillante, de retrouver des villages de retrouver  des habitants,  des contacts, de retrouver la vie ; d’être le Sisyphe heureux, comme cela peut l’être pour ceux qui ont affronté tant de difficultés et qui trouvent un peu de réconfort, de repos de la part dure de la vie. C’est ce qui lui donnera le courage, au delà de l’absurde camusien, et la foi dans la vie, pour lui faire pour une énième fois remonter le rocher.

⇒  Il y a des personnes qui sont animées, non pas par leur simple vie, mis par la valeur de la vie, de la vie des autres. Ce sont ceux qui vont chercher des personnes en danger, en montagne, en mer. Ils ne pensent pas qu’ils vont mourir, ils ne pensent pas à leur vie qu’ils mettent si souvent en danger ; ils pensent à « la vie », ils pensent aux vies qu’il faut sauver. Ils risquent leurs vies pour des vies de personnes qu’ils ne connaissent pas.

⇒ Je reviens sur cette notion de force vitale évoquée, force qu’on peut avoir parfois, force qui peut nous abandonner parfois.

Ceux qui ont pour projet, le suicide, parce qu’ils ne trouvent pas de sens à leur vie, parce qu’on ne reconnaît ce que je suis, on ne reconnaît pas mon existence. C’est le courage de dire aux autres, vous ne m’avez pas aimé (e), vous ne m’avez pas reconnu (e). Ils ont perdu cette force vitale, parce que cette non reconnaissance, ne me fait plus exister pour les autres.

⇒ J’ai entendu récemment une réplique dans une série « Better than us » : « L’humain a besoin d’humain ». Cela me semble la plus belle définition de l’altruisme. Cette question de « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » est une question qui s’adresse à moi,  qui s’adresse à vous, elle s’adresse à tous, et elle nous dit, que notre vie d’hommes, de femmes, en regard de ce cadeau de la vie, que d’y participer avec altruisme, fera qu’elle vaut la peine,   c’est participer à la rendre meilleure ; et bien plus qu’on meurt pour elle, cela implique qu’on apporte à la vie, qu’on apporte sa pierre,  ou « sa rime », qu’on apporte de l’amour de l’autre, pour que ça les aide à vivre.

Ce n’est pas  faire du grandiose ; un sourire par exemple, c’est gratuit, moi ça  me donne la pêche, c’est ça que doit nous enseigner la philosophie, considérer l’autre « comme un autre soi-même » : « Qui ne vit aucunement à  autruy, ne vit guère à soi ». (Montaigne) Le bonheur des autres,  celui que j’ai pu donner, celui auquel j’ai pu participer, donne du sens à ma vie.

⇒  J’ai souvent pensé à ceux qui étaient dans les tranchées, quel sens aurait eu cette question pour eux ?  Quel était leur état d’esprit ? Presque tous allaient être tués, leurs vies, leurs existences n’avaient plus de valeur, on ne saura jamais à quoi ils pensaient alors.

⇒ Ce thème « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » est bien illustré dans un film de science fiction, « L’homme bicentenaire ». Un robot techniquement très développé, (entre machine et humain), est un robot domestique affecté à une famille. Au cours des années il voit tous les membres de la famille, grandir, vieillir, mourir. Ses mises à jour font que peu à peu il se  rapproche de l’humain, découvre l’empathie, l’affectivité. Et, passent quelques générations où il voit mourir tous ceux à qui il s’était attaché. Il fait une requête auprès d’une instance suprême, pour avoir à son tour le droit de mourir. S’adressant aux jurés du tribunal qui doivent statuer sur son cas, il leur demande ; de faire preuve d’humanité en lui accordant la mort.

⇒  Dans une interview d’archive de Jean Giono (RTF 1946)  celui disait : « Si la mort n’existait pas, la vie n’existerait pas » (on pourrait même ajouter, et inversement)

Il poursuit : «  Imaginez par exemple que ce que nous sommes va durer éternellement, c’est terrifint l’enfer!                                                                                                                                           

Alors, comme nous sommes assurés qu’elle va finir, que le moment dans lequel nous sommes maintenant aura sa fin naturelle.                                                                                                           

Alors ! tout devient intéressant, c’est un apport considérable, nous n’aurions, aucune curiosité, si nous n’avions pas la mort à côté de nous ;                 

D’abord, nous évitons l’ennui, et nous nous approvisionnons d’une curiosité inlassable ».

⇒ Dans une chanson de Michel Sardou : Les chemins de Rome, il dit : «  Nous sommes des passants illusoires / sur des chemins qui vont nulle part / revenus par des lieux des lieux obscurs / à des éternité futures……

Œuvres citées.

Livres

Miramar. Naguib Mahfouz. Folio. 1993

Le mythe de Sisyphe. Albert Camus. Poche 2013

Vivre et revivre. Adèle van Reith. Editions de l’Aube. 2021-12-22

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Jean d’Ormesson. Gallimard. 2016.

Films

Uranus, de Claude Berry. 1990.

La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatillez.  1988.

L’homme bicentenaire, de Chris Colombus. 1999.

 

 

 

 

La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain?

La ronde

Matisse. La ronde. 1909. Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

Restitution du débat du Café-philo (en visioconférence) de Chevilly-Larue, le 2 juin 2021

Animation : Thibaut Simone, Edith Perstunski-Deléage, philosophe, Pascal de Oliveira, Guy Pannetier.

Introduction : Thibaut

Introduction : Ce sujet : « La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? » a été donné cette année au baccalauréat dans la section scientifique.
D’un côté, on a la pluralité des cultures qui renvoie à la diversité humaine, diversité des époques, des mentalités, des coutumes, des lois, des arts, des façons de vivre, et, d’un autre côté, se pose aussi la question de l’unité du genre humain, lequel unissant l’homme comme un tout harmonieux. J’ai choisi ce sujet, bien que je n’aime pas les dichotomies, les oppositions, tel, nature/culture. La pluralité et une unité, je trouve que c’est beaucoup plus compatible ; et c’est peut-être par esprit de contradiction que j’ai choisi ce sujet.

 

 Débat : ⇒   Dans un premier temps je répondrais spontanément à la question, non !  En aucun cas elle ne fait obstacle à l’unité du genre humain, ne le menace, bien au contraire elle le protège.
Je m’explique.  Déjà, en dehors des dictionnaires chacun met dans ce mot culture ce qu’il y entend, au sens social, d’appartenance, d’héritage, au sens philosophique, voire au sens spirituel. C’est socialement l’ensemble  des relations, des valeurs, d’un héritage, d’Histoire, de récits, de patrimoine artistique ; tout ce qui unit, réunit les individus au sein d’un même groupe.
Et je confirme, non ! Elle ne fait ni obstacle, ni ne le menace, mais elle garantit à l’individu sa spécificité, elle garantit son identité constructive.
Autrement dit : Ce sont justement : la diversité, la richesse et la différence de nos propres cultures, qui est garante du genre humain.
Dans la seconde moitié du 18ème siècle, le mot culture nous vient de l’allemand « kultur », qui comprend l’écrit, la poésie, la langue, la musique, tous les arts propres à un peuple, sa mémoire, depuis ses origines. Elle est en ce sens un lien social et elle est aussi un lien identitaire ; on va rapprocher ce terme « kultur » (avec un « k ») du mot « civilisation ».
Les Français lui donneront un sens plus large, qui, sans exclure le patrimoine national, va l’élargir à l’ensemble des richesses culturelles, jusqu’à un patrimoine virtuel sans frontières.
Je ne suis pas universaliste, du moins, pas en ce qui concerne la culture. Chaque jour des langues disparaissent,  avec, hélas, un patrimoine culturel, même s’il n’est que celui d’un petit groupe. La culture n’a de réelle existence que si elle est l’héritage d’un peuple, d’une ethnie.
La fusion, l’amalgame des cultures en une seule culture, culture de masse, culture  entonnoir me paraît plutôt être de nature à déshumaniser ce monde.
Nulle culture ne se crée ex nihilo, sauf à ce que nous voyions émerger une culture Google.
S’opposer à une culture de masse, ce n’est pas pour autant s’enfermer à double tour dans sa propre culture, comme l’exprime si bien Gandhi : « Je ne veux pas que ma maison soit entourée de murs, ni que mes fenêtres soient calfeutrées. Je veux pouvoir sentir le souffle des cultures du monde entier. Mais je ne veux pas être dévoré par une bourrasque culturelle, d’où qu’elle vienne».

 La semaine dernière, dans l’émission «  Les chemins de la philosophie » (sur France culture) le sujet était : « La nature est-elle une illusion ? », et a un moment donné il a été question, de ce qu’il y avait de naturel en l’homme ; et un intervenant a dit : « Les hommes font a peu près tous la même, chose, mais ils le font différemment ». Quand on examine une culture, il y a toujours a peu près les mêmes choses: il y a les cérémonies liées aux naissances, le mariage, le deuil, les cérémonies accompagnant la mort, enterrement, crémations, etc.
Et donc, en fait, c’est ça que je trouve intéressant ; on sait que ce genre de culture existe aussi chez certains singes, mais en fait, c’est très différent et à la fois pareil. C’est ce qui fait qu’on peut aller partout dans le monde ; on va avoir des repères, et si vous êtes là depuis suffisamment longtemps : ah bien ! tu viens, il y a un mariage !  Après, le mariage peut être très différent. Il y a des mariages dans la plupart des cultures du monde.
Donc, je ne crois pas du tout que la pluralité des cultures soit un obstacle à la pluralité du genre humain, puisqu’en fait, cette pluralité, je ne dirais pas qu’elle n’est qu’apparente, parce que malgré tout les différences sont significatives. Ce n’est pas juste un décorum qui est différent, mais en même temps où qu’on aille on est accueilli, et bien, malgré tout, on se sent à sa place.
Donc c’est vrai, qu’après cette question de la culture universelle, je pense aussi que, en fait, ce qui caractérise l’humain, c’est qu’il peut avoir plusieurs cultures. On connaît ça par exemple, quand on a des origines différentes, quand on est transclasse. Depuis sa culture d’origine petit à  petit on acquiert la culture d’une autre classe.
Donc j’aime cette idée d’avoir plusieurs cultures. Je vais prendre un exemple qui me touche. Moi, j’aime le foot, et je peux aller dans n’importe quel café, et discuter de foot avec plein de gens. Par ailleurs, j’aime la philo, ça va me permettre d’établir des relations avec d’autres personnes ; et à chaque fois, il s’agit de cultures différentes. Parce que, quand je parle de foot, je n’utilise pas du tout le même langage. Donc à une autre culture, une autre façon de parler.
Je pense que la pluralité des cultures on l’a déjà en soi, et après, elle s’étend au monde entier.

⇒  Dans l’introduction était posée cette question : qu’est-ce que l’humanité ? Si elle est particulière ? Ou si elle est universelle ? Et il a été répondu, que l’humanité est « plusieurs », et que, en ce sens, il y a effectivement plusieurs cultures en soi, en chacun de nous, et autour de nous.
Donc, la pluralité des cultures n’est pas contradictoire avec l’unité de la nature humaine, de l’espèce humaine.
La première intervention est plutôt un vœu. Le vœu que les cultures soient un patrimoine divers et « sans fenêtre » comme l’a dit Gandhi. Et donc les trois premières interventions font réponse à cette question en disant : que non, la pluralité des cultures ne menace pas le genre humain. Or ce sujet, qui a été donné au bac cette année, me semble d’une actualité brûlante, brûlante au sens où l’on se brûle les ailes, et où, se brûlent les voix, où se brûlent les mots.
Ok pour le genre humain, mais c’est quoi le genre humain ? Le genre, c’est un ensemble de traits communs, des êtres, des objets. Donc, vous êtes tous sur le fait, que tous les hommes ont des traits communs.
Ensuite, qu’est-ce qu’on entend par culture ? Hannah Arendt dans « La crise de la culture », dit : «  Nous entendons par culture, le mode de relation de l’homme avec les choses du monde » le mot culture dérive du latin « colère »  qui signifie, cultiver, prendre soin, entretenir, préserver.
Donc, le mot renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens d’entretien avec la nature, en vue de la rendre propre à l’habitation humaine.
Donc, la culture c’est en vue d’un monde commun, et puis dans « La condition de l’homme moderne », Hannah Arendt ajoute : « Notre siècle a transformé totalement le statut de l’homme, celui-ci est désormais un membre dans un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s’échapper. Il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d’importance, et où, le politique s’impose sans possibilité d’écart, ou de fuite ; la politique de la barbarie, de la sauvagerie »
   Autrement dit : Hannah Arendt nous dit : faites attention!  « Si la culture c’est en vue d’un monde commun, aujourd’hui au 21 ème siècle, dominé par la technique et le politique, qui va vers le totalitarisme, et bien, le problème est posé ». La pluralité des cultures menace-t-elle le genre humain ? Elle pose la question ; comment l’éviter ? Comment éviter cette menace ? Comment éviter les dérapages ? Comment faire pour que la culture soit à la hauteur de ce qu’elle est ? c’est à dire en vue d’un monde commun.
Et je me situe dans cette problématique, en disant que, objectivement aujourd’hui, en 2021, je vis cela. Des cultures menacent de dérapage le genre humain, vers la violence aveugle, vers la barbarie, la sauvagerie. Et je peux faire des références : un article de Simone Schwartz Bart à l’occasion de la journée de la célébration de l’esclavage, (écrivaine de 82 ans, épouse d’André Schwartz Bart) qui écrit : « Epouser quelqu’un hors de sa culture, ça décille votre regard ». Elle écrit dans ce sens avec son mari dans cet élan de : comment mettre en place une culture qui n’esclavage pas, qui ne barbarise pas le genre humain ?
Elle a écrit avec son mari : « La mulâtresse solitude » où elle explique que : « …le flagrant problème de cette deuxième moitié de 20ème siècle, c’est la symbiose des races et des religions. Le problème du métissage se pose avec la résurrection de la négritude, de la résurrection de la judéité, et de l’arabité. Je suis sûre que cette symbiose est nécessaire à la civilisation universelle. Heureusement que ce monde a un but, une fin. Un jour les étoiles refroidiront, l’obscurité même ne sera plus, il n’y aura plus personne pour se souvenir de cette planète, tout sera effacé. Tout sera innocent comme avant la création, tout comme si rien n’avait été ».
   Mais quand nous avons écrit cet ouvrage : « La mulâtresse négritude », les Antillais ont prétendu qu’un homme blanc, mon mari, ne pouvait honnêtement écrire sur les noirs. Des intellectuels, proches des indépendantistes, dénonçaient que le livre de résistance à l’esclavage soit écrit par un juif. ….André en a été meurtri et moi je me suis sentie trahie par les miens. On avait affaire à des rapetisseurs de têtes, des cuiseurs de cervelles ; alors, que mon mari et moi, on visait l’universel » ….
   Donc, la pluralité des cultures ne menace pas le genre humain, à condition, qu’il n’y ait pas cette pluralité des violences identitaires.

⇒  C’est que ça dépend par ce qu’on entend par, menacer le genre humain, et, d’universel. Pour l’exemple, une anecdote : ma fille habite à Aubagne, c’est la ville de Marcel Pagnol, il  y a un musée Marcel Pagnol, et donc, en fait, dans ce musée, il y a forcément un petit documentaire, et à un moment donné, il y a quelqu’un qui dit : « Tous les films de Pagnol  se déroulent dans un périmètre de 10 kms autour d’Aubagne, et c’est, parce que Pagnol a parlé de ce petit coin de Provence, que ses romans, ses films, sont devenus universels ».
En fait, l’universel, c’est peut-être pas ce qui serait partagé par tout le monde,  mais quelque chose de très spécifique dans lequel le monde entier peut se reconnaître. Alors que si on essaie de faire un être humain universel, comme, l’horloge de Verlaine,  son : « gosier de métal parle toutes les langues » et bien, là, on parle de personne en fait, et personne ne se reconnaît dans quelque chose qui serait totalement international.

⇒  Je partage le fait qu’avoir plusieurs cultures est une richesse. Par exemple, lorsque je me retrouve avec des amis espagnols (en Espagne) et que je peux plaisanter avec eux, voire, faire des jeux de mots, prendre des références culturelles qui leur sont propres, il se crée un lien différent, il y a quelque chose qui passe.
Par ailleurs, quant à l’universel, inévitablement dans bien des cultures il y a des évolutions, celles-ci connaissent des migrations, ce qui peut être enrichissement culturel.
Quant à une menace, comme évoqué dans le titre du thème du débat, nous voyons une culture qui se sent menacée par la culture occidentale, par son mode de vie. Et nombreux sont des habitants du Moyen-Orient qui ne veulent pas voir leur culture (dans lequel le religieux occupe une place prédominante), être supplantée ; cela peut parfois prendre la forme d’un choc des cultures.

⇒  Le partage des cultures est une richesse, encore faut-il qu’il y ait volonté politique, et là, nous voyons comme l’Europe s’est montée inopérante quant au partage à l’intérieur de la Communauté européenne. Nous ne connaissons pas le théâtre italien, la littérature espagnole, Etc…  Il n’y a pas cette promotion qui pourrait créer du lien entre les peuples. Et que je défende les cultures, ou la culture de mon pays, c’est la même démarche humaniste.

⇒ J’ai l’impression que la notion de culture nationale ou de culture partagée devient de plus en plus floue dans nos pays occidentaux ; c’est-à-dire que chacun picore dans les cultures, en fait. Si par exemple, on aime le jazz, c’est pas vraiment de la culture française. Ou encore on va aimer la cuisine japonaise, ou on va aimer le cinéma espagnol ; je me demande si il n’y a pas une sorte d’éclatement des cultures ?

⇒  Je me posais la question par ce qu’on entend par, unité du genre humain ? De quel genre parle t-on ?  En biologie c’est un groupe taxonomique, le genre homme, le genre homo, espèce sapiens. Pour les biologistes les espèces n’existent pas en tant que telles dans la nature puisque nous avons un flux généalogique continu. Les espèces ne sont que des régularités transitoires ; et la définition biologique de l’espèce, c’est une fonction, il s’agit d’individus qui sont interféconds entre eux.
Et se pose la question : le genre humain a-t-il toujours existé ? Si nous pouvions nous transporter à, il y a, 50.000 ans, il y avait plusieurs humanités. Le genre humain n’a pas toujours été, « un ». Des espèces humaines, une seule a perduré, homo sapiens, et durant toute cette évolution, la sélection naturelle a inscrit sur nos cordes biologiques, et il y a des choses que certaines populations savent faire, et que ne savent pas faire d’autres populations.
Et toutes ces variations, se retrouvent au niveau biologique, au niveau culturel, au niveau politique, même si il y a des structures qui se répètent, ce qui rend les choses complexes. C’est pour ça que je n’aime pas trop les dichotomies : unité/diversité, nature/culture. Dans la nature il y a beaucoup plus un continuum que des cases artificielles que nous créons parce qu’il faut bien communiquer. Autrement dit, c’est le langage qui vient bloquer le réel, et si nous voulons communiquer entre nous, nous attribuons des catégories aux choses, alors que le monde est beaucoup plus nuancé que cela. Il y a 50.000 ans l’humanité était réellement plurielle, ce qui est un peu moins le cas aujourd’hui, même si la diversité a pris d’autres chemins.

⇒  Je veux revenir sur ce qu’on entend par, universel.  Quand j’entends dire que l’universel ce n’est pas l’homme abstrait, c’est le particulier, où chacun se reconnaît, effectivement. J’ai écouté la même émission sur Pagnol, et j’ai apprécié que cet écrivain ait parlé de sa région, de son village. Il faut peut-être entendre, non pas que de sa région, car cela finit par concerner un homme ou une femme, qui habite à Jérusalem, ou en Tunisie. Et c’est ça l’universel.
Donc en ce sens je ne suis pas d’accord sur le fait que l’universel, sera l’international. Ce n’est pas ce que dit Simone Schwartz Bart. Elle dit, évoquant l’esclavage aux USA qu’il y a de l’universel qui a été déshumanisé. Et donc, les idéologies identitaires, celles de ceux qui affirment leur identité contre d’autres identités, ce ne sont pas des idéologies qui veulent l’universel.
Ensuite, moi aussi j’ai plusieurs cultures, d’autres identités, mais je ne me réfugie pas dans une seule culture que j’affirmerais supérieure à une autre culture.
Puis je ne pense pas qu’on picore dans : la cuisine japonaise, la chanson Klezzmer, les poèmes de Garcia Lorca, ou, les romans de Marcel Pagnol. Là ce n’est pas que picorer dans diverses cultures. La culture c’est (en regard de son étymologie) « prendre soin de ce qui met en relation avec le monde » (Hannah Arendt).
Et je rejoins l’idée, que l’humanité, les cultures, sont plurielles, et que, si l’évolution, elle, va vers une unification culturelle, elle est contradictoire avec la multiplicité des humanités. Je donnerai cet exemple donné par Patrick Chamoiseau dans la préface du livre « Jazz suprême » (de Raphaël Imbert) : « …les cultures se métissent, se créolisent, et ce qui caractérise justement le jazz, la spiritualité jazz, c’est cette volonté, désir chez certains jazzmen de créolisation, de métissage, et non pas d’unification »

⇒  La culture participe fortement à l’individuation et, pour cela, nous devons toujours avoir présent à l’esprit que la culture peut aussi être utilisée comme moyen politique.
Ainsi, en Europe, nous avons accepté, au milieu du siècle précédent, un formatage, une emprise commerciale sur notre culture cinématographique. L’Europe qui s’est ensuite construite n’a rien fait, bien au contraire, pour valoriser ses propres cultures, celles des différentes Nations qui la composent.
Il y a là un déficit de lien culturel et social. Que connaissons-nous réellement du cinéma allemand ou espagnol, des différentes musiques européennes qui ne sont pas tombées dans le bouillon anglo-américain ?
Faire régresser des cultures au profit d’une culture de masse, vouloir effacer la richesse des différences, aller vers une culture entonnoir, une culture de consommation, cela ne crée pas réellement du lien culturel ; nous sommes plus près parfois de l’aliénation.
Nombreux sont ceux qui pensent que la globalisation à laquelle on assiste,  présente le risque majeur de génocide culturel.

⇒  J’ai découvert, même auprès de moi, ce phénomène d’éclatement. Mes enfants commandent des plats différents, ils mangent ensemble, mais pas la même cuisine. Ce phénomène d’éclatement, ce n’est plus une culture propre, comme chez Pagnol où tout le monde mange la même cuisine. Ce n’est ni imiter ou diversifier, c’est l’éclatement. C’est-à-dire qu’il n’y a plus vraiment de culture française. Un jour, un sondage nous apprenait que le plat préféré des français, c’est le couscous. Aujourd’hui cela a peut-être évolué.
Donc il devient difficile de définir une culture au sens traditionnel puisqu’en fait, chacun aime, n’aime pas.
Ce serait universel au cas où les Français et les Japonais auraient les goûts communs, par exemple, la pizza.

⇒  Vouloir une société humaniste, tolérante est un vœu pieux, même si cela a été souligné, chez les plus jeunes, il a cette espèce de picorage, on prend un peu de ceci, un peu de cela, et, est-ce que c’est vraiment de la culture.
Je pense que les êtres humains parce qu’ils sont différents se tiennent aussi à distance, comme les hérissons dans l’exemple donné par Schopenhauer ; texte réaliste, même si on voudrait que les êtres humains s’entendent au-delà  de leurs différences sociales, religieuses.

⇒  Oui, bien sûr, l’individualisme est un frein pour cette unité, puis nos désaccords peuvent provenir de repli sur soi. Repli de plus en plus sur les traditions, les revendications, les ressentiments, avec les mouvements décolonialisés, les indigènes de la République, avec la culture woke, tout cela de façon exacerbée. Nous sommes en train de nous autodétruire, de détruire la culture. Il serait bien plus important de s’engager réellement quand au réchauffement climatique, qui menace toutes les civilisations, là où tout le genre humain est concerné. On a fait quelques progrès au niveau des droits humains, un grand pas pour l’universalité du genre humain, et je ne vois pas comment la menace d’autodestruction totale ne serait pas  le moyen d’unifier davantage.

⇒  De tous les temps il y a eu imprégnations étrangères. Souvent mêmes les occupants ont adopté des éléments culturels du pays occupé. Le plus bel exemple est Rome, Rome qui avait conquis tout le Moyen orient dont la Grèce.  Au final, c’est la culture grecque qui aura colonisé Rome. Et tout le monde occidental conserve en grande partie ce lien d’une culture  originelle. Elle y a cette part unifiante à partir de quoi se sont développées des cultures propres.

⇒  Je reviens sur le sens du mot quand on parle de culture, dont j’ai déjà dit que c’était cultiver sa relation à l’autre, aux autres, au monde. Je crois que dans l’humanité des arts, et là je reviens sur la préface du livre sur les jazz (déjà cité) il est dit que « loin de l’universel, le jazz a un principe diversiel ». C’est-à-dire que le jazz c’est cette expérience musicale d’improvisation sur la base des blessures des esclaves noirs, et d’autres blessures…
Donc, il ne s’agit pas d’universalité abstraite. Il s’agit justement de recueillir ce qui est propre à ceux qui ont été blessés, mais pas pour autant, de valoriser chacun sa blessure, et chacun sa culture.
Le problème reste, quel agir ? Que pouvons-nous faire si l’on admet que la pluralité des cultures identitaires menace l’unité du genre humain ?
Et je reviens sur cette culture, ou plus précisément courant woke importé des États-Unis qui prône l’éveil (les militants éveillés) en faveur de la protection des minorités. Ce mouvement propose de démasquer les coupables, de déconstruire les stéréotypes et les alibis des dominants, de réveiller leurs pulsions au nom des souffrances qui ont été infligées à des individus, et a blessé leur identité.

⇒  Sous couvert de défendre des minorité, le courant woke, c’est en réalité, je pense, une idéologie totalitaire extrêmement dangereuse pour l’unité du genre humain.

⇒  Ce monde risque de devenir un archipel.

⇒  On peut aimer la culture française sans en faire une identité au sens exclusif, au sens de nationalisme. Toute approche identitaire est une instrumentalisation à des fins politiques qui divise au lieu d’unifier.

⇒ Je reviens sur ce mot « éclatement » des cultures. Je me disais à la réflexion qu’il y a peut-être quelque chose qui va nous faire revenir à un concept de plus en plus régional, c’est la lutte contre le réchauffement climatique qui devrait limiter le déplacement des produits.

⇒  Je rejoins ce qui a  été dit, que l’essence même du genre humain c’est la diversité des cultures, celle qui nous met le plus en relation avec les autres, une pluralité enrichissante.
J’ai toutefois noté cette idée d’un éclatement de la  culture française. Nous voyons qu’elle décline, qu’elle n’est plus ce qu’elle était.

De l’inné à l’acquis

Dernière restitution

Brin d'ADN au microscope électronique

Brins d’ADN au microscope électronique

Restitution du débat du 22 janvier 2020

Animatrice/ animateurs: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaut

Introduction : Attention ! sujet hautement inflammable et saturé, je dirais même plus, pollué, de biais tant cognitifs qu’idéologiques. En effet, nous n’avons eu de cesse, depuis l’Antiquité, d’opposé l’inné à l’acquis. Dans cette optique, les dualistes se sont depuis longtemps opposés aux matérialistes. Pour les premiers, il faut considérer le monde des idées d’une part et le monde matériel d’autre part. Ainsi, l’âme, issue du monde idées est insufflée dans le corps à la naissance et en constitue donc une composante innée ayant pour but, une essence. L’innéisme et l’essentialisme se rejoignent alors et nous « devons » nous conformer à l’essence des choses, porte ouverte à tous les conservatismes. Le christianisme reprendra à son compte au cours des siècles, notamment Saint Augustin, l’idée selon laquelle, la finalité de l’âme, est de se conformer à la volonté divine. Mais « L’âme et le corps souvent discors » pour reprendre le proverbe de Charles de Bovelles. Les matérialistes quant à eux, considèrent qu’en dehors de la matière, point de salut, si j’ose dire. L’âme est une émanation du corps, une expérience vécue, acquise. Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette vielle dichotomie ?
Les idées meurent mais le vocabulaire, lui a bien changé. En effet, depuis longtemps maintenant, nous ne cessons de voir, d’entendre, de lire, que ce soit à la télévision, à la radio, dans la presse, ou sur Internet, les expressions « c’est dans les gènes », qui d’ailleurs a largement remplacé, le « je l’ai dans le sang ». Les « gènes » et le « sang » ont pris la place de « l’âme ». Glissement sémantique pour une même idée. Il faut bien « être de son temps ». On eut donc lire ou entendre que tel ou tel individu, ou tel ou tel parti politique adopte telle ou telle ligne idéologique car « c’est dans son ADN ».
Ceux qui sont plus attirés par l’informatique auront tendance à dire, qu’il faut changer de logiciel ». Le débat est ainsi très orienté comme en témoigne le fameux échange entre les deux grands « philosophes » que sont Michel Onfray et Nicolas Sarkozy, lors de la présidentielle de 2007. Le premier, défenseur de l’acquis  et donc d’une certaine forme de liberté avait affirmé qu’ « on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile », et dit, penser que « nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement ». Le second, thuriféraire de l’inné, avait indiqué qu’il inclinait pour sa part à penser qu’ « on naît pédophile » et d’expliquer, que des jeunes qui se suicidaient  non parce leurs parents s’étaient mal occupés d’eux, « mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable ». Chacun prônant en fin de compte une forme de déterminisme. Comme si, l’un et l’autre, n’avait pas pour habitude de gloser sur des sujets qu’ils ne connaissent manifestement pas.  Au-delà de cet échange plutôt anodin, l’opposition entre l’inné et l’acquis, poussée à son paroxysme a eu pour conséquence la genèse des deux utopies totalitaires du XX ème siècle : le nazisme et le communisme, partageant la volonté de se donner un grand dessein en ce qui concerne la prise en main de l’avenir de l’humanité vers son amélioration.
Ainsi à l’ouest, la croyance dans l’inné a fait de la génétique la base de l’eugénisme (1). Combien de personnes en Allemagne ont-elles été stérilisées de force, mais aussi aux USA et dans d’autres nations européennes ? je pense en particulier à l’histoire édifiante de Carrie Buck, (2) stérilisée contre son gré, car jugée imbécile et inapte par conséquent à transmettre ses gènes par la cour de Virginie en 1927. A cela s’ajoute le commentaire inique et cynique du juge Olivier Wendel Holmes qui entérina cette décision :  » trois générations d’imbéciles, cela suffit !  »
(1) Dont le plus célèbre promoteur est François Galton, le cousin de Charles Darwin.
(2) Voir Stephen Jay Gould : Le sourire du flamant rose.

   A l’est maintenant, dans la Russie soviétique, la croyance appliquée à la génétique a été promue et imposée par Lyssenko, théoricien de l’idée de Engels «  qu’il n’y a aucune différence  entre humains à la naissance et que c’est uniquement la société qui les transforme». Il en a résulté l’arrestation, la déportation et la mort de généticiens soviétiques et la ruine de l’agriculture en URSS. Quand la politique trouve une justification dans la science au nom du bien, le pire est souvent à craindre, car c’est toujours au nom du bien  qu’on fait le mal. Hitler souhaitait une société idéale, utopique, c’est-à-dire une société sans juifs. Donc, il a décidé de les éliminer car ils représentaient aux yeux du führer, le mal inné.
Avons nous oublié les leçons d’Einstein qui déclare lors d’une conférence en 1939 : «  Il est indéniable que des convictions peuvent trouver de confirmation plus sûre que l’expérience est une pensée consciente claire. On ne peut sur ce point que donner raison aux rationalistes extrêmes. Mais le point faible de cette conception est que les convictions indispensables pour agir et porter des jugements ,ne peuvent en aucun cas être obtenues par cette seule voie scientifique avérée. La méthode scientifique ne peut, en effet rien nous apprendre d’autre qu’à saisir conceptuellement les faits dans leurs déterminations réciproques. Le désir d’atteindre à une connaissance objective, fait partie des choses les plus sublimes  dont l’homme est capable ; mais il est d’autre part évident qu’il n’existe aucun chemin qui conduise de la connaissance de ce qui est à celle de ce qui doit être ».
    Autrement dit, les connaissances scientifiques, ici génétiques, nous disent que les choses sur le réel, mais elles ne nous donnent aucune prescription sur ce que nous devons en penser.
Mais aujourd’hui, quelles sont les « découvertes philosophiques négatives » en génétique pour citer le philosophe Merleau-Ponty ? C’est-à-dire des découvertes scientifiques qui « peuvent modifier les termes en lesquels certaines questions philosophiques se posent » (3). Que nous disent les sciences du vivant sur nos corps biologiques ?
Ainsi, le mot « inné » désigne un trait qui serait très fortement déterminé par les gènes, entités abstraites, héritées de nos parents, qui pourraient sembler idéal  mais pourtant objet matériel et tout ce qui est matière est soumis à l’altération et au changement fortuit et non dirigé. Faire appel au concept de gène ne suffit pas à dire ce que nous sommes. Les circonstances non plus. La question est bien souvent plus complexe que cela. Ainsi nous l’explique le grand théoricien de l’évolution, Stephen Jay Gould, les objets biologiques que nous sommes, « ne sont pas le produit des effets additifs de gènes individuellement optimisés. Via le développement, l’organisme est le produit d’interactions non linéaires et non additives entre les gènes et leur environnement, et il y a donc des propriétés et des capacités émergentes, c’est-à-dire non prescriptibles par la seule action de chaque gène pris individuellement » (4)

Les gènes sont pourtant une composante inextricable de notre développement. Ils sont transmis de génération en génération à la mutation prés, et sont façonnés depuis des millions d’années par des processus sélectifs. De plus, les travaux des vingt dernières années ont montré que l’expression des gènes est souvent aléatoire, car pour un même gène, elle varie d’une cellule à l’autre dans le temps et l’espace, du fait de la disponibilité  même des facteurs de transcription au niveau cellulaire et de l’organisation de l’ADN. Le hasard a été réhabilité au coeur même de la cellule. De plus, l’expression des gènes est également régulée par des facteurs dits, épigénétiques qui ne modifient pas en eux-mêmes la séquence des gènes mais leur état de lecture par la cellule. Ici, l’environnement (stress, pollution, alimentation…) est à l’origine de ces modifications dont certaines sont transmises à la descendance.
(3) Etienne Klein http://iramis.cea.fr/Phocea/Vie des labos/Ast/ast groupe.php?id groupe-748
(4) Stephen Jay Gould : La structure de la théorie de l’évolution.

    Pourtant les régularités que nous observons dans la  nature sont souvent expliquées par de vieux relents essentialistes et innéistes polluant le vocabulaire de la biologie, comme par exemple, le concept d’espèce, qui, dans la nature, n’existe pas (5) de manière permanente ou bien par l’expression « Le programme génétique »  dont on voit bien actuellement qu’il ne prend pas compte du fonctionnement des organismes. Depuis quelques années, le gène est passé du statut  de notaire tout puissant, régissant ce qui se passe dans le corps et ce qui sera transmis à la descendance, à celui du partenaire.
Mais alors, d’où viennent ces irrégularités ? Le propre du mécanisme est bien connu et documenté de « sélection naturelle » est de produire des régularités qui peuvent apparaître par le hasard et la contingence comme les solutions les mieux adaptées dans un lieu donné et à moment donné. La variation propose, le milieu dispose! Le vivant relève du provisoire car si l’environnement vient à changer, ce qu’il ne manque jamais de faire, alors d’autres régularités pourront être observées.
Dans cette nouvelle « vision de la vie » (6) , l’inné et l’acquis s’entremêlent.
Pour illustrer ceci, le philosophe Patrick Tort (7) en donne une représentation visuelle et métaphorique originale sous la forme d’une bande de Moebius. Cette bande a ceci de particulier qu’elle ne possède qu’un seul côté tout en déployant un « retournement ». Ainsi s’illustre la continuité de la nature et de la culture, entre l’inné et l’acquis comme le matérialise cette figure géométrique.
Walt Whitman qui reviendrait d’entre les morts  ne pourrait pas  en ce sens nous contredire, car en fin de compte, inné ou bien acquis, quelle importance !
« – O moi ! O la vie ! les questions sur ces sujets me hantent (…)
– La question, ö moi ! si triste et qui me hante – qui a t-il de bon dans tout cela (Jay Gould : La structure de la théorie de l’évolution. , ô moi, ô l vie ?
– Réponse,
– Que tu es ici –que la vie existe, et l’identité,
– Que le puissant spectacle se poursuit
– Et que peut-être tu y contribueras un poème »
(5) Pour les besoins évidents de pouvoir communiquer, la langue en vient à bloquer  le réel. Le terme espèce est difficile à définir. Voir les travaux de Guillaume Lecointre.
(6) Termes utilisés par Darwin à la fin de « l’origine des espèces ».
(7)  Patrick Tort. « L’effet Darwin » Point sciences

 

Débat : ⇒ Même en étant philosophiquement plutôt matérialiste, je ne puis défendre l’idée que l’acquis existerait seul, en dehors de l’inné. Et plus j’y pense plus je ne peux les dissocier.
Nous serions porteurs dès la naissance, de marqueurs biologiques, psychologiques disent les tenants de l’inné. En revanche des penseurs comme John Locke, nous disent : « L’esprit humain est une feuille blanche, une « tabula rasa » (table vide) tant que l’expérience n’intervient pas pour y graver ses propres signes ».
Alors entre la tabula rasa, et les marqueurs qui font de « tel père tel fils » ou « bon sang ne saurait mentir », comment définir l’individu, entre sa part innée, et sa part acquise ? Après avoir consulté les définitions de divers dictionnaires, et l’étymologie qui nous dit qu’inné vient du latin « natus » (né, de naissance) je retiens (en résumé) que : l’inné, serait : des marqueurs biologiques, psychologiques que l’être vivant possède à sa naissance. Caractéristiques individuelles, antérieures à toutes expériences Qui, pour certains psychologues,  dépendent du code génétique ; on utilise aussi par analogie, des termes, comme: originel – infus –héréditaire – atavique  – instinctif – dans le sang.
Je retiens pour ce qui est de  l‘acquis, qu’il serait : des caractéristiques postnatals dépendant de l’environnement, de l’éducation
 Rousseau, comme John Locke dit qu’ « Il n’y a point de notions innées, l’homme vient au monde comme une table rase sur laquelle les objets de la nature se gravent avec le temps »
Ils s’opposent en cela à un courant dit innéiste, dont Platon fut longtemps la référence :
L’innéisme est une conception selon laquelle l’homme porte en lui (donc avant toute expérience) certaines idées précises, des principes cognitifs ou des aptitudes comportementales. Pour lui l’âme avait comme une pré connaissance des formes intelligibles. L’âme aurait connaissance de tout ce qui est beau, ce qui est bon, et ne perdrait ce savoir qu’en venant dans une enveloppe charnelle, le « prison corporelle ». Que l’homme rencontrait des connaissances non acquises par réminiscences
Ce qui amenait à des propos qui nous interpellent, qui nous choquent.
« Dès l’heure de leur naissance, certains sont marqués pour être assujettis et d’autres pour gouverner ». (Platon. La République) Nous passons là en plus au déterminisme.
Anti platonicien, Nietzsche n’en vante pas moins l’innéisme lorsqu’il écrit dans « Par delà le bien et le mal » «  On n’est pas impunément l’enfant de son père », «  il est impossible qu’un homme, même en dépit des apparences, n’ait pas  les qualités et les goûts de ses parents, de ses aïeux. C’est le problème de la race ; ce qu’on sait des parents permet de tirer des conclusions au sujet de l’enfant »
C’est un peu « tel père tel fils », et la notion de race qui ne choquait pas au 19ème  siècle
Le philosophe Spencer aura une autre approche en nous disant que « Les caractères qui semblent innés chez les individus  constituent en réalité le fruit évolutif  des expériences de l’espèce ». Ce qui crée un lien a priori entre l’inné et l’acquis, ou inné comme l’héritage d’acquis sur toutes les générations nous précédent, du règne humain, au règne animal, et peut-être au règne végétal.
Ce qui plaide fortement sur tout un héritage génétique, c’est l’instinct animal, de toute la connaissance animale qui n’est pas apprise ni par le groupe ni par les parents.
L’hirondelle n’apprend pas à bâtir, l’araignée n’apprend pas à tisser une toile.

⇒ Je pense  qu’il  faut battre en brèche toutes les théories qui disent que l’inné pourrait exister. Je ne vois pas de différences entre l’inné et l’acquis dans la mesure où quand on voit la vie intra-utérine, je ne vois pas comment on peut quantifier ce qui peut paraître comme une prédisposition alors qu’il est plus facile de mesurer ce qui est acquis. Parce que cela se passe après, c’est visible. Tout ce qui est inné pour moi est instinctif, ce n’est pas visible, ce n’est pas quantifiable.  Nous sommes dans une société dynamique et nous devrions mettre l’accent sur tout ce qui peut être acquis. Car même les préjugés sont dictés par un environnement, pas la famille, la communauté. Un enfant ne nait pas avec des préjugés. On dit que la vie utérine est riche en sensations, par le son de la voix de sa mère, par son environnement, le bruit. Mais tout cela n’est pas valable. Je ne vois pas comment un fœtus peut percevoir tout cela. Je conçois la vie dés que l’on sort de la vie intra-utérine et à partir de ce moment-là tout se construit. Je ne vois pas comme on peut dire que « je suis né chanceux ». Comment la chance aurait pu être « fabriquée » ? Il n’y a pas de gènes de ceci ou cela. On ne peut pas quantifier tout ce qui peut être inné.

⇒  Dans les années 1970-80-90, (après la révolution – de mœurs ? – de 1968) ont été nombreuses les discussions théoriques et politiques sur le pourcentage de l’inné (gênes, origines,  nature) et de l’acquis (milieu, environnement) en l’individu humain.
Les intellectuels – de gauche- analysaient le rôle et l’impact de l’environnement (familial, social, historique) sur le développement personnel de l’enfant, pour insister sur la possibilité de « transformer  le monde » (selon l’expression de Marx dans la 11° thèse sur Feuerbach – Idéologie allemande 1850) c’est-à-dire de prendre des mesures sociales, pédagogiques, médicales pour que l’égalité ne soit pas seulement formelle (un droit) mais réelle (une situation) . Philosophiquement c’était le thème Sartrien «  l’existence précède l’essence » ; je ne peux être définie. (Comme un homme lâche – Garcin, comme une femme ambitieuse – Inès, comme une femme – coquette Estelle) Huis Clos 1943,  qu’une fois mort, par les autres vivants. Tant que j’existe (et c’est ce qui me distingue de tout autre vivant) je peux toujours choisir un autre mode d’existence, faire d’autres choix .La nature humaine (l’inné) ne détermine pas mes choix existentiels, mes comportements individuels et mes engagements collectifs C ’est en ce sens aussi qu’ a été lu Le Deuxième sexe ( 1949) de Simone de Beauvoir qui expose et analyse l’histoire des préjugés sur la relation Homme-Femme et en conclut : «  on ne nait pas femme, on le devient ». Il n’y a pas de nature humaine déterminée. Il y a des situations, des conditions d’existence qui sont des déterminations mais non un destin : elles n’excluent pas la liberté individuelle de choix et donc la responsabilité d’engagement en faveur de telle ou telle orientation d’existence.
Les années 2000 sont marquées par la « révolution numérique ». Et l’étude du cerveau est maintenant l’objet de neurosciences multiples. Je ne suis pas spécialiste experte en la matière mais je viens d’assister à une conférence à l’ENS (département physique) le vendredi 17 janvier de Hervé Schneiweiss, neurobiologiste, directeur de recherches à l’INSERM, Président du comité d’éthique de l’Inserm et auteur d’un ouvrage Notre cerveau, un voyage scientifique et artistique : des cellules aux émotions. Ouvrage sur l’histoire et les inventions des représentations du cerveau humain.  Le fil directeur de cette recherche est que les neurosciences contemporaines (et notamment depuis les mesures cérébrales de Benjamin  Libet (1970)) montrent que l’activité du cerveau est constante (même «  en pause » ou quand on dort) et que le cerveau sait ce que je fais bien avant que je le décide (entre 500 millisecondes et 200 millisecondes avant la prise de décision) Nous avons là une horloge interne qui prépare la prise de décision. Tout le contraire de l’idée de liberté absolue de penser et d’agir. D’autre part notre cerveau est aussi inconscient (désirs refoulés –Freud), a des émotions (Spinoza) et est donc, en permanence en interaction avec l’environnement affectif, social, historique. Il n’y a pas d’opposition entre l’inné et l’acquis. Il y a une évolution permanente du cerveau. (Yuval Noah Harari : nous naissons homo sapiens et nous devenons humain. Henri Atlan parle de l’épigénèse, et Jean Pierre Changeux aussi. Et nous devons reconnaitre le rôle du hasard (Mallarmé : « jamais un coup de dés n’abolira le hasard ». Il faut connaitre le rôle du déterminisme du cerveau sans savoir ni donc prévoir ce qui va arriver. Et reconnaitre aussi notre ignorance en particulier l’incertitude sur le rôle du hasard et nos idées fausses sur les déterminismes subliminaux (Propaganda – Bernays ; publicité clandestine –télé). Et donc les scientifiques doivent intervenir lors des journées sur les lois bioéthiques dans les comités préparatoires au Conseil consultatif national d’éthique. Et aussi sur les techniques d’exploration pour modifier le cerveau , de l’activité cérébrale sur le cerveau et sur les procédés techniques: implants pour soigner Alzheimer (modifier le cerveau non) ; électrodes sur cerveau et exosquelette pour soigner les capacités endommagées (yeux aveugles, paraplégie..) : oui. Tout dépend de l’usage de ces techniques comme l’usage du silex.
Aujourd’hui se développent de nouveaux modes de penser (préjugés) non pas innés mais acquis (en famille, à l’école, liés aux choix politiques) .Ce sont des idéologies dominantes ou en voie de domination : le mouvement dé-colonial, l’obsession de la diversité et de l’appartenance à une minorité opprimée, et à partir de ces idéologies la revendication de la convergence des luttes des opprimés contre la domination colonisatrice de l’homme blanc hétérosexuel .Ce, sous la pression de groupes d’intérêt particulier ( « brigues »  Rousseau) et multiculturalismes ( « contre » l’Idée d’une histoire universelle de l’humanité et le projet de paix perpétuelle » Kant et Bernardin de Saint Pierre).Que faire ?
Conclusion :
1° Olympe de Gouges (1789) revendiquait d’acquérir l’égalité des droits (homme-femme) au nom d’une Idée (un idéal), celle de la communauté humaine, et non au nom des femmes. Rosa Parks (2004) demandait le droit – pour les noirs- de s’asseoir à l’avant des autobus avec les blancs, et non de vivre entre noirs. Revendications d’acquis humanistes au nom de la nature humaine universelle.
2° Les enfants sentent ce qui est le  bien – pour tous- et ce qui est le mal. Mobilisons-nous contre ceux qui leur enseignent la haine (qu’ils soient sous emprise ou qu’ils se vengent des blessures subies) en leur proposant des fictions, des activités artistiques et artisanales, des lectures (philosophiques aussi) en même temps que des lois interdictrices. Toujours pour et jamais seulement anti. (Michel Serres).

⇒ C’est souvent en observant l’évolution des enfants qu’on étudie l’acquis et l’inné. Comment par exemple, modifier des tendances égoïstes, des tendances au mensonge, etc. Et si « bon sang ne saurait mentir », l’enfant d’homme mauvais dans l’approche populaire sera mauvais, « bien le fils de son père ».
Cela nous remet en mémoire le film : « La vie est un long fleuve tranquille » où le petit garçon Momo (à la naissance Duquesnoy   bien qu’enfant de la famille Duquesnoy, celui-ci conserve toutes les caractéristiques Groseille. Ce n’est plus tel père, tel fils. Il est irrémédiablement Groseille. L’acquis semble pouvoir effacer tout ce qui serait  l’inné, mais pas complètement (le haussement d’un épaule, comme le père)   Et autre point curieux. On a vu que des enfants élevés par une nourrice, comme une mère de substitution,  et pendant toute une partie de l’enfance, cette mère  peut  transmettre des marqueurs génétiques ces enfants; ça complique la question!

⇒ Moi, je crois beaucoup à l’inné et dés le départ. Regarder un bébé, sa première heure de vie, il sait marcher. On le tient bien pour ne pas qu’il tombe mais il avance. Il sait nager. Mais il oublie vite. Vous mettez plusieurs femmes dans la pièce, vous mettez le bébé là et il sait reconnaître sa mère par son odeur. C’est sa part animale. On n’a pas perdu tous ces instincts. Je veux ce que tu as. Il y a des guerres car nous sommes toujours des animaux.
Supposez une famille qui fuit depuis des siècles. Elle porte avec elle ses maladies. C’est l’inné médical. Cela s’explique car il s’est passé des choses avant. Notre partie animale est toujours là. Nous sommes de l’inné et de l’acquis. Mais ce dernier n’est pas toujours là.

⇒ Quand on nous parle de ces questions, il est toujours fait mention de gènes et de chromosomes, comme si le côté biologique impliquait souvent de l’inné alors que même là-dedans, il y a de l’acquis. Si on se rappelle de Darwin, même ce qui est génétique, c’est déjà de l’acquis. Cela a évolué très lentement au niveau des masses et quand on regarde l’individu c’est souvent l’acquis culturel qui finit par dominer. Homo sapiens n’est rien d’autre qu’un acquis biologique parce que nous sommes une chimère du fait de la présence de gènes de Neandertal dans notre ADN. Alors, où est l’inné ? Je ne peux pas dire ce que c’est que l’inné. En neurosciences, on peut lire que notre cerveau fabrique notre pensée avant même que nous en ayons conscience. Nous ne serions donc pas même libres de notre pensée ? Mais ce n’est pas ce que je comprends. Or certains l’utilisent comme un argument en faveur de l’inné. Nous n’obéissons pas à un « programme ». Nous ne sommes pas une « machine » biologique où tout serait inné.

⇒ Juste une réflexion. Dans ce que Jean-Marie a dit, il pense, que l’enfant ne peut ressentir ce qui se passe à l’extérieur. Or dans mon expérience de maman, je me suis souvent rendu compte que je recevais des coups de pied quand il se passait des choses à l’extérieur. La musique semble pouvoir aussi influencer le bébé.
J’ai lu un livre qui se nomme « l’enfant frigo », l’histoire d’un enfant qui évolue dans une famille où on ne s’occupe pas de lui. Un jour à l’école, la maîtresse demande aux enfants d’apporter quelque chose à planter et l’enfant apporte un marron. La graine a germé et l’enfant a obtenu un petit marronnier. Dans le fond, l’enfant se dit à lui-même, « quand on me demande de faire quelque chose, je ne suis pas si nul que cela car je suis capable de faire des choses par moi-même et il suffit que je me donne les moyens de le faire. » Donc qui influence l’humain ? Est-ce l’action qui influence l’inné ou l’inné qui influence l’action ?

⇒  Il y a quand même un profil « génétique » car je suis d’une famille où l’on retrouve des maladies dites orphelines chez des cousins notamment depuis plusieurs générations. Mais cela est complexe et c’est un sujet où l’on tourne en rond. On ne peut pas dire que l’inné n’existe pas puisque nous « traînons » des traits « acquis » des générations antérieures.

⇒  Quand mon épouse était enceinte, elle écoutait le « boléro de Ravel ». A la naissance de l’enfant, ce dernier rappliquait dès qu’il entendait ce morceau de musique qui lui paraissait familier. Etait-ce un hasard ? Mais le « hasard » en question s’est reproduit à maintes reprises.  De plus, j’ai toujours écouté Léo Ferré et aujourd’hui mon fils aime beaucoup Léo Ferré. L’acquis est peut-être là aussi.

⇒  Le babille des enfants est également influencé par les accents lors de la vie intra-utérine. Dans les années 70, il était conseillé de faire écouter de la musique au fœtus. En particulier les gynécologues de gauche, favorables à l’avortement. Cette vie intra-utérine n’est pas indépendante de l’environnement.

⇒  Si on revient à la GPA, les éléments nutritionnels que reçoit le fœtus vont lui donner des caractéristiques qu’il va conserver. Dans ce cas, entre la mère porteuse, le don d’ovocyte, les parents, quelle source d’interrogation pour l’enfant qui sera malgré tout façonné par son milieu familial ! Ses vrais parents ne seront-ils pas, comme dans le cas d’une adoption, les parents qui l’auront élevé. En parlant d’éthique, dans quelle mesure l’inné ne peut pas être manipulé en permettant de choisir les caractéristiques de l’enfant ou les paillettes de sperme d’un grand musicien ou d’un grand savant ? Est-ce déjà de l’eugénisme ?

⇒ D’autant plus que dans le cas de l’élevage animal, en particulier le cas des taureaux de combat en Espagne, la sélection se fait par la mère. On voit bien à quel point les choses peuvent se compliquer. Il semble que ce soit l’inverse chez les chevaux.

⇒  Tout à l’heure en citant Einstein, je rappelais que les résultats des sciences nous disent des choses sur le réel mais pas sur ce que l’on doit en penser. En particulier, on a pu entendre dans les médias il y a quelques années des gens nous dire que le racisme ne se justifiait pas au motif qu’il avait été montré que la génétique moderne avait mis en évidence la subtilité et la complexité de la diversité humaine, ne pouvant être ramenée à quelques races bien définies. Soit. Mais si je prends le problème à l’envers. S’il avait été montré la pertinence du concept de race tel qu’il était utilisé en particulier au XIXe siècle, le racisme se justifierait-il pour autant ? Je ne le crois pas. Il me semble dangereux de faire appel à des résultats scientifiques, en tant qu’arguments d’autorité, pour résoudre des questions éthiques qui restent toujours des compromis ou pour mettre de l’eau au moulin d’idéologies parfois douteuses. Sans doute faisons-nous cela le jour où cela arrivera ? Il aura sans doute peur. L’étrange, la différence, le nouveau quand nous n’avons pas de vrais arguments.

⇒ A propos des préjugés chez l’enfant qui seraient innés, je me pose cette question. Un enfant noir ou un enfant blanc qui n’a jamais vu d’autres couleurs de peau que la sienne, quelle sera sa réaction fait peur. Cela dépendra également de l’environnement. Un enfant placé très tôt à la crèche, entouré d’enfants différents, n’aura évidemment pas ce genre de comportement.

⇒ Je voulais justement faire la différence entre la peur et la haine. Un enfant blanc qui n’a jamais vu une personne noire en a peur et c’est normal. Mais le préjugé ce n’est pas la peur, c’est la haine et ça c’est acquis. Maintenant, sur la différence entre la science et la morale, la science c’est la recherche du réel et elle ne se pose pas la question de comment le monde doit être. « La science ne pense pas » comme le disait Heidegger.  Et n’oublions pas que la peur est un trait conservé au cours de l’évolution pour garantir la survie face au « danger ». Tous ceux qui ne fuyaient pas sont morts. La survie a pu être garantie chez ceux qui présentaient ces comportements là, de méfiance et de peur.

Références :

Biologie : Eloge de la différence, la génétique et les hommes. Albert Jacquard. 1978 ; hématologie : De la biologie à la culture  Jacques Ruffié. 1977.
Ethnologie Musée de l’Homme : Tous semblables et tous différents 1980.
Sociologie Les Héritiers- les étudiants et la culture .1964. Pierre Bourdieu.
Psychologie : Clinique de La Borde (Jean Oury psychiatrie , Fernand Deligny éducation des enfants « arriérés », délinquants,  autistes ; Félix Guattari psychanalyste).
Philosophie l’Anti Œdipe 1972 ; Gilles Deleuze.
Philosophie: Homo sapiens. Yuval Noah Harari.
Sémiologie Nous et les autres 1982 Tzvetan Todorov.
Pédagogie : Freinet, Montessori…
Antipsychiatrie David Cooper – Ronald Laing Angleterre, Franco Basaglia Italie.
Cinéma Fous à délier ( Mario Tomasini – Parme, Marco Bellochio)
Cinéma : La vie est un long fleuve tranquille. Etienne Chatiliez. 1988.
Pédiatrie Lorsque l’enfant paraît ( Radio 1975) Françoise Dolto.
Neurologie: Notre cerveau, un voyage scientifique et artistique: des cellules aux émotions. Hervé Schneiveiss.

 

 

Le monde change

 

La fée électricité. Raoul Dufy. 1937. Musée des Arts modernes de Paris

La fée électricité. Raoul Dufy. 1937. Musée des Arts modernes de la ville de Paris

Restitution du débat du café-philo
de Chevilly-Larue,  le 27 novembre 2019

Animatrice/ Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Guy

Introduction : Ce thème du « monde change » fait suite, non pas à la chanson d’Alain Souchon qui nous  dit « le monde change de peau, sera-t-il laid, sera-t-il beau ? », mais  à une phrase que j’ai souvent eu l’occasion de prononcer : à savoir : lors de ces 30 dernières années, les évolutions technologiques ont beaucoup plus changé notre société, que n’ont pu les faire les choix politiques.
Et de nombreux slogans publicitaires reprennent ce thème « le monde change ». Sur une récente  affiche d’Europe 1, au coin de ma rue, je lisais «  Ecoutez le monde changer ».
Alors oui, le monde dans le siècle passé, avec ses guerres, ses idéologies, ses dictatures, a beaucoup changé. Bien sûr c’est une banalité, un poncif, que de dire « le monde change », ce fait est évoqué de tout temps, «  Le monde » écrivait déjà Montaigne « est un branloir prenne. Toute chose y branle sans cesse ».
   Mais pour beaucoup, aujourd’hui, nous faisons le constat que nous sommes entrés dans une  ère nouvelle. Que nous avons initié une révolution. Révolution au sens copernicien, passés dans un basculement anthropologique qui restera sûrement, pour les siècles à venir, comme l’époque post-industrielle, comme l’avènement  de « l’ère numérique ».
«  Nous  allons » écrit Michel Serres «  vers une époque nouvelle, comparable à la Renaissance, nous allons vers une rupture de culture, vers un homme nouveau ».
Je retiendrai pour ce qu’on peut considérer comme, grands changements, trois facteurs essentiels, à considérer chacun, également dans leurs conséquences :
1° L’évolution fulgurante des technologies.
2° La chute d’un mur idéologique,
3°La globalisation,
Edgar Morin s’exprime également dans cette forme en écrivant : « Le vaisseau spatial terre est propulsé par trois moteurs couplés : Science – technique – Économie, mais », ajoute t-il, « dépourvu de pilote ».
Ces trois facteurs me semblent, être à la base de ces changements de paradigme pour aller, vers une nouvelle société.
1° Les nouvelles technologies : Ces dernières ont changé catégoriquement nos façon de faire nombre de choses. Mais surtout, elles ont contribué à modifier nos comportements, nos rapports les uns aux autres. En quelques années, au-delà de frontières, politiques, géographiques, de langue, une majorité des hommes et femmes sont connectés les uns aux autres 24 heures sur 24, et  peuvent communiquer, accéder à une gigantesque bibliothèque (le plus souvent) sans filtre. Cette nouvelle société de la connaissance, c’est un mur qui tombe, un mur qui sera dans l’avenir, sûrement considéré comme plus déterminant,  que celui de Berlin.
Conséquemment, les réseaux sociaux, cette nouvelle Agora, ouvrent un univers social peu contrôlable. La connexion de tous avec tous modifie profondément notre « vivre ensemble ». Le flux de l’information crée une dislocation des rythmes; des rythmes multitâches, une propension au zapping, qui ôte du temps de réflexion.  Tout cela entraîne une mutation profonde de nos façons de penser découlant de nos façons de communiquer. Cela crée parfois des mondes différents. Mondes différents  entre les plus âgés, et les générations « digital natifs » (ceux qui sont nés avec la télécommande à la main) : «  La science » dit Michel Serres:  « c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie c’est que le fils enseigne à son père »
Tout cela me fait dire qu’il y a basculement anthropologique.
2° La chute d’un mur d’idéologie : Une idéologie, ou, une utopie, qui avait pu susciter un formidable enthousiasme, qui se voulait le « nouveau genre humain », celle-ci a implosé à la suite de la chute d’un mur. (9 novembre 1989)   Une autre idéologie semble se nourrir de la dépouille de son adversaire. C’est là un basculement, c’est alors qu’une seule voie politique s’impose  sur la plus grande partie des pays du monde. De là, on est face à de sérieux bouleversements sociaux, avec par exemple le transfert de la richesse publique vers le privé, la montée en puissance des multinationales, et nombreux points de mouvements civils, de révoltes  de par le monde.
  3° La globalisation : « La mondialisation » écrit en 2006 Joseph Stieglitz, dans son livre, Un autre monde,   «  comporte de nombreux aspects : les flux internationaux, d’idées et de connaissance, le partage des cultures, la société civile mondiale, le mouvement écologique planétaire »
La démocratie, conquête dont le monde occidental est fier, celle-ci s’étiole sous la gouvernance. La globalisation nous promettait d’apporter le bonheur pour tous, un bonheur sans précédent, apporter beaucoup de bénéfice (sans préciser pour qui).
A ce jour, pour ce qui est de l’Europe, par exemple, le constat est d’abord les délocalisations, les externalisations, la montée du chômage, la montée des inégalités, et surtout perte de confiance dans la capacité du politique à répondre à ces nouveaux défis. 70% des citoyens de la planète n’auraient plus confiance dans leurs dirigeants, de même pour les médias.
Cette globalisation a également, entraîné la création de nouvelles structures institutionnelles mondiales, réduisant la souveraineté des peuples. Et, de nouveaux maîtres du monde, le plus souvent anonymes,  fixent des règles, des limitations quant aux choix du vivre ensemble.
Alors, ces trois facteurs entraînent,  ce qu’on peut considérer comme une nouvelle société. Cette nouvelle voie politique, a entraîné la chute de nombre de barrières, ce sera la dérégulation, modification de nombre de normes, comme par exemple dans le domaine alimentaire, avec l’arrivée de produits génétiquement modifiés.
Sur le plan sociétal, des bouleversements qui, peut-être étaient inscrits dans un cours de l’Histoire sont survenus, puisque « le présent »  dit le philosophe Cournot: « est gros de l’avenir ».
Je pense, aux bouleversements sociétaux,  à la montée du féminisme, avec ses acquis : la pilule, l’I.V.G., une progression vers plus d’égalité homme/femme.
Et l’on peut également ; penser aux nouvelles applications d’ordre médical qui soulèvent de nombreuses questions éthiques
On peut aussi citer le mariage pour tous. (J’en oublie sûrement)
Il s’agit ici de jugements de faits, pas de jugements de valeur.  Tous ces bouleversements semblent, même peu à peu distordre nos références culturelles.
Dans son ouvrage « L’archipel français » l’auteur, Jérôme Fourquet, écrit qu’ « il y a » dans nos sociétés européennes « une évolution culturelle, politique, anthropologique. Et, paradoxe de la globalisation, des sociétés de plus en plus fragmentées, une montée de l’individualisme.., une structure de pensée en voie de dislocation ». J’ajouterais une rupture avec les Histoires des peuples.  Les historiens qui découpent en tranches notre histoire, vont-ils ajouter aux strates : Galilée, Darwin : une époque Turing ? Ou Bill Gates ?  Bien sûr, je ne veux pas tomber dans le « c’était mieux avant » ni dans un réjouissent béat d’un « vieux monde qui meurt ».
Mais nous sommes bien conscients que nous sommes face à une évolution inégalée, une évolution exponentielle. Par exemple : il a fallu :
1400 générations   pour accéder au langage
200   générations   pour l’écriture
20 générations        pour l’imprimerie
5 générations           pour la photo, le cinéma
3 générations           pour la télé
2 générations           pour l’ordinateur
1 génération              pour Internet
Alors ces tout récents changements, peuvent,  par leur rapidité, nous mettre pour beaucoup en difficulté pour suivre, s’adapter.
S’ajoute : le problème incontournable  des désordres biologiques, écologiques.
S’ajoute la robotisation des emplois, «  Le mode de production de la vie matérielle, (écrivait Karl Marx) conditionne la vie sociale, politique et intellectuelle ».
S’ajoute, entre autres, un phénomène de concentration de la population dans des mégapoles,
S’ajoute le vieillissement des populations.
S’ajoute une perte du temps d’attention, une étude évoque une forte régression de l’attention chez les plus jeunes, une attention qui se rapprocherait des 12 secondes. Soit, le temps d’attention du poisson rouge.
Alors, et pour conclure du point de vue philosophique, en tant que spectateurs et acteurs, n’étant pour la plupart, ni technolâtres, ni technophobes, mais en résonance avec cette époque, se pose  la question : face à ces bouleversements : comment réagissons-nous ?
Et se pose aussi la question, en ce monde nouveau qui advient:
que gagnons-nous ?
Que perdons –nous ?  Et, pour reprendre la chanson de Souchon :
Ce monde qui « change de peau…. sera t-il beau, sera t-il, laid ? »

Débat : Lorsque l’on avance en âge, nous avons tendance à revenir sur les années antérieures que nous avons vécues. Est-ce de la nostalgie ou la réalité constatée ?
Pourtant, il faut se rendre à l’évidence, aujourd’hui par la force des avancées de la technologie, nous sommes obligés de nous y soumettre à savoir :
Une imposition évolutive pour les besoins de la vie courante; exemples : obligation d’utiliser la technologie dite numérique, sans qu’on le veuille, mais par la force des choses, c’est inéluctable, nous sommes obligés de subir.
Prenons un rendez-vous médical, un automate nous répond souvent que les lignes sont occupées et qu’il nous faut rappeler. Nous sommes soumis non à un interlocuteur humain mais à une technologie qui sera de plus en plus sophistiquée. Nous subissons des ordres et les acceptons par obligation : faites ceci, faites cela, etc. Nous faisons nos courses,  nous avons toutes et tous, chacun une carte numérique, nos paiements se font aujourd’hui par code, ou sans contact, demain avec votre i Phone vous passerez en caisse, le paiement sera automatique.
Actuellement, vous pouvez rentrer chez vous et grâce à ce i Phone, vous pouvez allumer l’éclairage ainsi que d’accéder à d’autres fonctions. C’est la domotique.
Pour établir notre déclaration d’impôts, aujourd’hui, sans Internet, vous êtes obligés de vous déplacer car, au téléphone c’est un robot qui vous répond et cela devient de plus en plus inhumain. L’utilisation du formulaire papier va devenir inadéquate.
je monte dans ma voiture, le GPS m’indique ma route, la voiture me parle et m’indique sur écran : porte ouverte, frein à main non débloqué, ceinture de sécurité non mise, pneu dégonflé, etc. etc…
Je veux prendre un billet de train en gare, je suis confronté à un automate qui pose des questions qui ne sont pas toujours très claires pour le client lambda.
Je vais à la billetterie bancaire chercher de l’argent en espèce, nous sommes interrogés  pour pouvoir effectuer certaines opérations.
Les compteurs EDF, GDF et Eau sont installés pour l’interrogation à distance, sans nous avoir au préalable demandé notre avis d’ailleurs.
Les i Phone, les tablettes, les ordinateurs portables sont devenus courants, les appareils photos sont devenus obsolètes (la Société Kodak  a disparu). Pourtant nous avons besoin de les utiliser et évidemment sur le plan financier cela a un coût.
Aujourd’hui la technologie industrielle et médicale est en pleine évolution. L’intelligence artificielle devient de plus en plus sophistiquée et, malgré nous, notre cerveau traite des informations; exemple : nous ne savons si l’environnement est éclairé ou pas, mais une robe sur fond noir rayée bleue devient dorée sur un fond arrière éclairé. C’est une perception subliminale.
La voix est de plus en plus étudiée, par exemple la maladie d’Alzheimer sera détectée 5 ans avant son apparition.
Les cancers seront détectés plus rapidement que le radiologue.
Dans les hôpitaux, les infirmières disposeront de téléphones spécifiques qui leur permettront de dispatcher les patients vers des services concernés.
La robotique sera de plus en plus évoluée, des voitures seront construites sans main-d’œuvre, juste une supervision.
Les navires, les avions, sont construits grâce à la technologie laser et robotique.
Le métro circulera, comme c’est le cas pour 2 lignes actuellement, en conduite automatique.
Toute cette énumération hélas n’est que les prémices de ce que l’on veut changer.
Sur le plan humain, nous subissons toute cette mise en place technologique, nous sommes tributaires de cette nouvelle ère numérique et c’est avec beaucoup d’appréhension que je pense aux générations futures, certes déjà familiarisées à cet avènement mais jusqu’où ira-t-on ?

  Quelles significations des termes changer,  et monde ? Si on se réfère au dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey). Changer: se dit «  changer en »  c’est-à-dire devenir différent, se transformer. Seconde signification : «changer de » c’est-à-dire remplacer une chose par une autre (changer d’avis ….). Le monde n’est pas l’univers comme le rappelle Leibniz pour qui l’univers est une pluralité de mondes. Aujourd’hui,  François Forget astrophysicien nous explique à la lumière des découvertes récentes, que l’univers c’est bien  des dizaines  de milliers de mondes (les exoplanètes…). Parmi les mondes étudiés par les sciences de la vie et de la terre (le monde vivant) et par les sciences de l’Homme (le monde humain), et par les sciences de la société (le monde social), je prends comme objet de réflexion pour la question posée, le monde humain. Et mon problème est : le monde humain dont nous sommes contemporains change-t-il en un monde a-humain ou devient-il inhumain ?
En effet la réalité du monde humain change, se transforme de manière accélérée pour moi en ce qui concerne les catégories, le temps et l’espace comme nous le rappelle Kant. Il n’y a plus de saisons ! Je pense au changement climatique et ses effets en particulier.  L’espace  n’a plus le même sens, nous pouvons voyager et communiquer avec tous les terriens de n’importe où vers n’importe où.  Du point de vue social, les métiers sont remplacés par des emplois. L’organisation de la société, les classes sociales des « temps modernes » (Chaplin) sont remplacées par des inégalités et la hiérarchie de l’argent. Les guerres ne sont plus des guerres d’Etat à Etat ennemi ou de colonisation, mais des « guerres asymétriques ». Mon corps et mon esprit peuvent être augmentés … Alors C’était mieux avant ? (Michel Serres 2018). Ce n’est pas le problème dit la petite Poucette à son grand papa ronchon; le problème est que le monde humain  change radicalement mais vers quoi ? Vers quel à-venir ?
Les recherches technoscientifiques peuvent nous conduire à ce que le monde humain soit remplacé par un autre, a-humain. (Cf. Sciences Magazine de juin 2019 : Les 20 inventions qui ont changé le monde ; Sciences et Univers       de  septembre 2019 : Les 26 défis scientifiques du 21° siècle de novembre 2019. Ce que la science sait de la mort). Et je cite Yuval Noah Harari en 21 leçons pour le 21° siècle « le futur de l’humanité peut se décider sans nous » Après Sapiens, après Homo deus, voulonsnous le transhumanisme ou voulons nous simplement continuer à étudier qui nous sommes vraiment ?  De même, Claudie Haigneré  la première femme française dans l’espace qui, dans une émission télé (C dans l’air) du lundi 25 novembre 2019 défend le point de vue que l’exploration du Ciel va peut-être permettre de connaître les moyens de mieux vivre sur terre contrairement au physicien qui pense que cela va permettre de fuir la terre qui va devenir inhabitable. Encore Michel Serres qui écrit en 1990 Le Contrat Naturel pour souligner la nécessité et « l’urgence » (qu’il ajoute dans sa préface à la réédition de son livre en 2018) de tisser ensemble le Contrat social (1ère loi : « aimez- vous les uns les autres »)  et l alliance avec la nature (la 2° loi : «  aimez le monde »). peut nous conduire à ce que l’humain devienne inhumain. Les idéologies qui conduisent à «  la guerre de chacun contre chacun » comme nous le rappelle Hobbes et l’intérêt général qui est le fondement de toute société est annulé par les intérêts particuliers.
Les communautarismes (chacun dans sa communauté de genre, d’ethnie, de confession religieuse, de terroir, d’origine sociale..) sont contraires à la recherche du bien commun. A fortiori les identitarismes qui valorisent les identités autochtones, essentielles (et non existentielles) et qui, avec le mouvement culturel de « décolonisation »  des arts, des savoirs, de l’écologie…conduisent au refus de « l’appropriation culturelle ». Ces idéologies s’opposent à l’universalité humaine.  Le droit à la différence devient l’éloge des différences et le refus de la recherche d’un universalisme considéré comme formel, abstrait et complice de toutes les colonisations. Ainsi,  « Touche pas à mon pote » (le slogan du concert de SOS Racisme 1985) devient «  touche pas à mon hijab ». Ce qui était « unissons-nous sur ce qui nous rassemble est devenu « unissons-nous sur ce qui me ressemble.  La tolérance,  sous prétexte de respecter la liberté d’expression, des idéologies totalitaires (régime qui « fonctionne à l’idéologie et à la terreur » soit le totalitarisme selon Hannah Arendt) ou  des «fanatiques » (les garants du temple et les clercs intermédiaires entre les hommes et les dieux). Le pardon de ceux qui ont commis des «  crimes contre l’humanité » et qui «  ne demandent pas pardon ». L’individualisme qui s’exprime en termes de droits, par exemple «  mon désir d’enfant, est mon droit à l’enfant »,  d’où PMA pour toutes et GPA pour tous. L’idéologie de la magie du marché  qui conduit à «  mon corps m’appartient » à « je peux le vendre ».
Enfin les mots …
Confondre le Bien et le Mal (universels) avec le Bon et le Mauvais (pour moi). Confondre le juste (pour tous) et l’équitable (selon les circonstances). Confondre la justice et la charité. Confondre discrimination (raciste)  et inégalité (sociale). Confondre élite et caste, comme dans le cas des « gilets jaunes ».  Confondre l’individu et son œuvre (Polanski, Heidegger, Céline). Confondre  « balance ton porc » et «  me two »  ou «  nous toutes » et «  On ne nait pas femme, on le devient ». Confondre culpabilité (vous les vieux c’est de votre faute si la planète va mourir) et responsabilité «  la maison brûle et nous regardons ailleurs ». De plus, les « vegans » ne s’en prennent pas au système productiviste des abattoirs mais aux bouchers et à ceux qui, selon eux, consomment trop de viandes.
Donc,  non pas s’indigner mais s’engager pour changer de logiciel et vouloir un changement humaniste du monde.

Quand on dit que les évolutions technologiques ont changé le monde plus que la politique, le problème est que c’est la faute de la politique. La politique laisse faire. Toutes les évolutions que l’on peut juger néfastes, c’est bien que la politique ne fait rien pour les contrôler. Le monde politique est un monde néolibéral et tout ce qui se passe vient de cela. Le monde a-t-il vraiment changé ? Je n’en suis pas certain. Il s’accélère. Quand on dit par exemple que le numérique est une révolution que l’on peut comparer à une révolution copernicienne, je ne suis pas d’accord avec ça. La révolution copernicienne est une nouvelle idée scientifique qui a mis du temps à s’instaurer et qui a changé notre vision du monde. Le numérique s’est installé comme un outil technique de stockage qui n’a pas changé notre vision du monde au moment où il s’est installé. Il a mis longtemps à le changer, à supposer même qu’il l’ait fait. Ces nouvelles technologies font que nous avons de plus en plus de possibilités qui s’ouvrent ou qui s’ouvriraient à nous. Le contraste de cette société ne change peut-être pas tant que cela,  mais c’est le fait que nous avons de plus en plus de possibilités qui s’offrent à nous mais on a de moins en moins de possibilités de les utiliser, et, je pense en disant cela aux médecins, hôpitaux, urgences. Ainsi, l’accélération de notre technologie nous met sous le nez un certain nombre de choses qui sont prodigieusement intéressantes parfois mais qui deviennent inaccessibles pour certains. Je ne pense pas que l’on ait remplacé quoi que ce soit par autre chose dans ce monde. La technologie a évolué. On s’éclaire différemment mais on continue d’être éclairé. Donc méfions nous quand une technologie évolue, d’y mettre autre chose que ce qu’il y a derrière. Car quand on a une technologie à disposition, on pense que les choses ont changé, non ! Les choses n’ont pas changé, elles ont changé de technologie pas forcément de sens. Nous étions jadis, dans une évolution technologique et industrielle, que l’on a eu l’occasion d’appeler un « darwinisme » industriel, c’est-à-dire que les technologies qui s’imposent sont celles qui arrivent à point et elles s’imposent car nous en avons besoin. Et aujourd’hui, dans cette société où le libéralisme et la concurrence sont poussés à leurs extrêmes, on balance tout sur le marché, et on ne peut plus parler de « darwinisme » car on balance même les choses les plus absurdes qui finissent par nous submerger. Ainsi, quand l’humanité met quelque chose en place, elle se fait elle-même dépasser par sa propre création et cela devient incontrôlable et c’est malheureusement un petit peu ce qui nous arrive. Nous ne sommes plus capables de dominer les évolutions car elles vont trop vite.  Et, cela car nous sommes dans des sociétés qui sont gérées par des gens qui ne veulent pas mettre des garde-fous pour essayer de maîtriser  un peu cette tendance là. Le monde n’a en fin de compte pas tellement changé que ça, il s’est emballé !

⇒ Moi je dirais le monde change et c’est tant mieux. Mais le fait est de savoir si tous les changements sont positifs et apportent une amélioration conséquente à l’être humain. Mais effectivement, je trouve qu’il va un peu vite dans son évolution. Nous n’avons pas le temps de nous adapter à une nouveauté que l’on nous en balance une autre ! Plutôt que d’ingurgiter, il faut déguster !

⇒ J’essaye de penser au garçon de 14 ans que j’étais. Et s’il pouvait voir le monde d’aujourd’hui, il serait totalement déboussolé ! Par contre, cela m’amène à une autre réflexion. C’est que, quand j’avais 14 ans, le monde changeait déjà mais il ne changeait pas pour moi car quand on est jeune le monde change avec nous. Appréhender le fait que le mode change ne se fait pas de la même manière pour tous les âges.

⇒ Un certain nombre d’exemples nous montrent qu’il y a plein de choses qui n’ont pas changé. Ces nouvelles technologies que l’on appelle le numérique nous ont amené une chose, c’est-à-dire des pertes d’emplois du fait de l’automatisation grâce à la numérisation. On parle des réseaux sociaux, c’est un exemple de l’emballement ! On en a eu moult exemples ces derniers temps.  La médisance a toujours existé, La Fontaine a écrit des fables sur le sujet, mais qu’à apporté le numérique, l’emballement de cette médisance.  L’Ubérisation, pour moi aussi c’est un emballement. Tout cela existait quand j’étais enfant, nous n’avons rien inventé mais cela s’est multiplié car il y a plein de gens qui perdent leur emploi.
Mais il  y a aussi des choses très positives, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt des choses néfastes.
Tu as parlé d’Amazon, mais le pouvoir politique ne veut pas l’arrêter, car c’est une telle puissance commerciale et économique que l’on ne veut pas se dresser devant ces puissants-là que sont les « GAFA » et qui font beaucoup de mal à l’humanité. Ils sont les représentants types de l’économie libérale incontrôlable poussée à son maximum. Si on voulait on pourrait faire quelque chose et arriver à les maîtriser.
Ils sont devenus incontrôlables mais on refuse de les contrôler…

⇒ A ce propos, le Président des USA est intervenu violement en faveur des « GAFA » et il a menacé l’Europe de rétorsions si cette dernière en venait fiscaliser ces « GAFA » qui finalement échappent à tous ces impôts en établissant des filiales un peu partout. Les pays où ils produisent ne sont pas les pays où sont envoyés les bénéfices.
De plus, il n’y a qu’à voir le monde de la consommation qui s’individualise. On peut par Internet, par une application, manger tout seul chez soi. Et on peut aussi travailler tout seul chez soi par le télétravail. Et on voit le gouvernement actuel conseiller aux entreprises à favoriser le télétravail à l’occasion des grèves liées aux transports qui sont prévues en décembre. Et quand je vois le monde associatif avec des personnes qui sont vieillissantes et les difficultés de création d’associations par les jeunes. Il n’y a pas de jeunes pour nous remplacer. Parce qu’il n’y  a pas l’esprit, pas l’intérêt commun.      On se plaignait, il y a 30 ans que la télévision était un agent de séparation entre les parents et les enfants mais à l’heure actuelle, peut-on dire que ceux qui lancent la numérisation et l’automatisation dans les entreprises ou ailleurs, peut-on dire que l’Homme a voulu ça ? Lorsqu’un médicament est interdit, lorsque des pesticides sont interdits, dans ce monde néolibéral, le politique s’avise de faire quelque chose quand les dégâts sont déjà très grands.

⇒ Je voulais prendre la parole à propos du côté humain et à propos de l’évolution de la technologie. J’ai commencé à travailler en 1953, j’avais 14 ans, j’étais apprentis et j’étais dans une entreprise de télécom. J’ai connu les standards à fiches, j’ai connu les câbles et puis j’ai évolué dans mon métier et j’ai subi quatre recyclages complets c’est-à-dire que la technologie a changé quatre fois pendant ma carrière. Et puis j’ai terminé avec la fibre optique et personne n’imagine aujourd’hui ce qu’à été cette évolution. Pour les jeunes, se mettre avec un écran, un clavier, c’est bien mais quelle va être leur évolution ? On travaille de chez soi mais il y a de moins en moins d’ouvriers, de nombreuses professions ont disparu. Je prends l’exemple de ma petite fille qui, avec un master de géologie, vient d’aller à Pôle Emploi. On lui répond qu’avec cela elle peut faire le tri dans les poubelles jaunes ou mettre des tracts dans des enveloppes. On ne sait plus où on en est…

⇒ On a parlé d’Amazon, et Amazon a mis en place des algorithmes qui remplacent les DRH. On a parlé aussi du travail à domicile, aux Pays –Bas, une personne sur cinq travaille chez elle sur Internet. L’avantage c’est qu’elle ne pollue pas avec sa voiture pour aller travailler !
Je reviens aussi sur les technologies. Je ne suis pas obligé d’acheté un ordinateur mais à partir du moment où cela se répand, quelque part nous sommes obligés de l’utiliser et on ne peut plus s’en passer ne serait-ce pour avoir une vie sociale. Maintenant une vie sociale sans téléphone c’est compliqué. On est plus ou moins entraîné dans un mouvement. Regardez l’essor du téléphone portable ?  mais les circonstances peuvent les rendre indispensables. Et que dire de la domotique ? Tous les objets deviennent connectés dans les maisons. Le fait de prendre de l’âge, nous faire prendre conscience plus facilement que le monde change et nous changeons avec lui.

⇒ Je pense au film de Louis de Funès, « Hibernatus », le jeune homme qui a été congelé et qui passe de 1905 à 1970. Finalement, il s’adapte très bien. Peut-être y a-t-il un différentiel entre les générations quant à l’adaptation au changement. Moi, je ne suis pas d’accord avec cela. Cela veut-il dire que nous sommes trop vieux pour le monde que l’on est en train de nous préparer ? Il n’y a qu’à nous piquer. Et il y a des gens qui le pensent, cela se nomme les « survivalistes ». Ils expliquent que ce monde technologique n’est pas fait pour les vieux et pour ceux qui ne s’adaptent pas. N’est-ce pas une forme de totalitarisme technoscientifique ?
Parier sur l’Homme, cela ne me suffit plus. Je suis d’accord avec Hans Jonas, le premier philosophe de l’écologie qui disait qu’il faut une dictature du « principe de responsabilité » et Miche Serres, qui, dans « le contrat naturel » en 2018 dans sa nouvelle préface où il dit que c’est urgent d’éduquer les enfants, à non seulement « aimez-vous les uns, les autres »  mais aussi « aimez le monde » et soyez responsable de cette Terre habitée par l’humanité. Mais qui va proposer cette éducation ? Les bonnes âmes ? Ou bien que le politique impose que dans les écoles il y ait une éducation aux deux lois.
L’évolution technoscientifique qui fait que le monde humain change de manière accélérée est acceptée et voulu par les politiques. Einstein en 1939, écrit un livre qui se nomme « Comment je vois le monde » et il dit « le mal dans le monde ne vient pas de ceux qui le font mais de ceux qui regardent et laissent faire ». Les politiques doivent donc prendre leurs responsabilités par rapport aux laboratoires, à Amazon, à la Silicon Valley, etc.
L’idéologie du bien commun et de la mobilisation collective est une idéologie en voie de disparition. « Balance ton porc » c’est vraiment la vengeance individuelle, la délation. Le fondement de ces révoltes, légitimes, et de cette libération de la parole féminine et féministe, le fondement est quand même l’individualisme et l’égocentrisme.
Que faut-il donc faire ? Parier sur l’Homme ? Cela ne suffit pas. Il faut changer de logiciel !

⇒ Le grand changement dans le monde que je trouve c’est le laisser aller, c’est l’organisation de sa propre fragilité. On dit que le monde est de plus en plus technologique, c’est vrai. On nous y oblige parfois, par exemple, nous parlions des Smartphone mais bientôt on nous obligera à avoir un Smartphone pour prendre le métro. On veut supprimer les tickets. Et on explique que c’est pour limiter le papier car « c’est bon pour la planète ». Ce sont arguments fallacieux. Imaginez la fragilité vers laquelle on nous amène car tout devient numérisé et que se passe-t-il dans notre monde le jour où il n’y a plus d’électricité ? A l’heure actuelle, on vous supprime le courant électrique et le monde s’arrête.
Avec le chômage, n’allons-nous pas vers une classe « inutile ». C’est une idée que l’on retrouve chez d’anciennes civilisations. Chez les indiens d’Amérique, quand une personne se considérait trop vieille, elle partait dans la montagne et se laissait mourir. Au nom d’une vieille idée, on en fabrique une nouvelle dans un monde qui a changé où ça ne serait plus nécessaire car nous avons des moyens. A ce titre, les retraités sont-ils inutiles ?

⇒ Je ne serais pas du côté des technolâtres, mais Schumpeter disait qu’à chaque fois que l’on a détruit des emplois, il s’en ait forgé d’autres qui les ont remplacé. Mais je ne suis pas certain que cela soit encore valable aujourd’hui. Le politique dans tout ça est complice, coupable et otage car en fait il y a un couplage entre l’économie et les nouvelles technologies. Cette économie c’est « une nouvelle loi de la gravité ». Dans des pays comme ceux du sud-est asiatique, ce sont développées des intelligences en informatique et qui font que ces pays sont très performants en ayant pris une avance sur d’autres. Si on ne fait pas la même chose, on risque de se faire dépasser par les autres. Mais cette imprégnation de cette nouvelle technologie, c’est l’individualisme, chacun est un consommateur et on laisse faire. Faire des associations, ce n’est plus trop dans les esprits d’aujourd’hui je pense.
Et la transmission, il faut du temps entre deux jeux électroniques et puis, on peut aller sur Wikipedia…

J’ai lu récemment que l’anesthésique du couloir de la mort des prisons américaines, on peut se le procurer sur Internet, dans le « darknet » ou autre chose et les gendarmes ont frappé à plusieurs portes au cas où certains voudraient se donner la mort. Il y a l’euthanasie, que l’on peut comprendre et le « droit » de se commander une dose pour mourir seul. Il y a cette obligation à mourir si il on devient « vieux », si on devient « nuisible ». Dans un de ses livres, Harari, il parle du Bangladesh et de ces milliers de « nuisibles » qui mangeront et ils entreront en compétition du fait des problèmes environnementaux lié au changement climatique. Sans doute cela sera une lutte à mort et ces milliers « d’invisibles » devront disparaître. Plutôt que de les faire mourir, on peut aussi les culpabiliser. On culpabilise beaucoup les vieillards, les pauvres, car cela « coûte cher », sécurité sociale, urgences, etc. Cette culpabilité, on la retrouve dans ce merveilleux film de 1983 « La balade de Nayarama », où on a cette grand-mère dans le Japon du XVIIIe-XIXe siècle, les ressources sont très rares, et dans les villages, les anciens doivent aller mourir discrètement. Et cette grand-mère, elle a des dents superbes, elle a envie de vivre, elle a une facilité de communication, mot aujourd’hui galvaudé, mais elle voit dans le regard des autres sa mort car ils réprouvent en quelque sorte cette vitalité. Elle finit par se casser les dents, signe de sa vitalité, et par se laisser mourir de froid dans la neige.
En 1938, il y avait une fascination pour Hitler, celui qui a redressé l’Allemagne et certains avaient proposé de déplacer les juifs à Madagascar. Alors, peut-on faire confiance aux hommes ?

Je reprends avec le numérique, si on fait référence aux années 30 en Allemagne, cette révolution numérique, si tant est que l’on puisse parler de révolution, ne serait-ce pas un nouveau totalitarisme auquel on se soumet. Cela peut-être inquiétant et compte tenu de l’allongement de la vie, compte tenu des changements climatiques et autres problèmes environnementaux, compte tenu d’un manque de nourriture à terme pour la population, les chinois qui achètent des terres un peu partout, tout cela peut finir dans la barbarie.
Pourtant, on voit bien que l’Europe, a, pour la première fois de son histoire, passé 75 années sans conflits, ou pratiquement pas. Il y a l’émerveillement mais aussi l’inquiétude. Le monde sera-t-il beau, le monde sera-t-il lait. Là est la grande question !

⇒ Moi je me pose juste une question, que vont faire nos jeunes ? Ils passent le Bac et après ? Je dois dire que je m’inquiète.

⇒ Tu posais la question si le numérique n’allait pas devenir un nouveau totalitarisme ? Il y a un gars qui se nomme Wilhelm Reich,  élève de Freud, qui a écrit un livre, «  La psychologie de masse du fascisme ». Dans cet ouvrage, il montre comment on se sert des masses pour instaurer un certain fascisme, et comment les masses deviennent manipulées et par là responsables et manipulatrices en même temps. Tous ces mécanismes là avec le numérique sont accélérés. Les masses deviennent à la fois victimes mais aussi acteurs d’un certain fascisme par la manipulation psychologique et c’est ça qui est grave. Et pour revenir à une époque où les classes « inutiles » face aux ressources qui s’épuisent, on peut imaginer une guerre de  l’eau, etc. Tout cela n’est pas impossible.

⇒ Pour moi, suite aux questionnements écologiques, ma réflexion va au-delà, car, avant que d’être des humains, nous sommes des êtres biologiques qui dépendent d’un ensemble de lois qui sont apparues avec l’Univers. Ce que je veux montrer, c’est d’avoir une autre façon de penser afin de faire avancer les choses. Le savoir est important, un savoir qui part du Big Bang, jusqu’à aujourd’hui.
L’anthropocentrisme est récent. L’univers à passé le plus clair de son temps sans nous…

 

 

Est-il plus heureux l’homme qui pas dépassé la haie de son jardin?

 

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

       Restitution de la réunion du 30 10 2019 à Chevilly-Larue

Animatrice/ animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaut

En ouverture du débat, Thibaut nous fait écouter la chanson de Michel Sardou : « S’enfuir et après » 1997, extrait de l’album « Salut »: S’enfuir et après / Revivre à peu près /Les mêmes choses qu’on fui / S’en aller ailleurs / Passer l’équateur / et se croire à l’abri. Le monde est sans but / Le centre est partout/  Notre ombre nous suit / S’enfuir et toujours, les chagrins d’amour / durent toute une vie /Partir en courant : Echapper au temps / Découvrir un ciel / Aller sans valise / sans idée précise / seul’ment se faire la belle / s’enfuir et alors / c’est l’aéroport / l’achat d’un billet / Aussi loin que l’in va  / on part avec soi / on ne s’oublie jamais / se mettre à l’écart / Ne plus rien savoir / du monde où l’on est / laisser en arrière : Les idées amères, / les projets… »

 Introduction : (Thibaut); Dans son célèbre essai « Tristes tropiques », le grand ethnologue Claude Lévi-Strauss commence par ces mots, plus que paradoxaux pour le fin connaisseur des civilisations mondiales qu’il était : « Je hais les voyages et les explorateurs. » Il précise d’ailleurs que « ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. »
Ainsi, le voyage existe-t-il encore ?
On peut en douter, comme aime à nous le rappeler Stephan Zweig dans la préface de sa biographie de Magellan. Le grand écrivain se croit obligé de nous livrer une justification à la naissance de son livre :« En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrit : il est né d’un sentiment peu courant, mais très énergique : la honte. »
Et Zweig de nous expliquer la genèse de son émotion alors qu’il effectuait la traversée de l’océan Atlantique à bord d’un grand navire moderne :
« J’étais fatigué de voir les mêmes visages et la monotonie du service de bord, avec sa calme précision, me devint intolérable. Avance ! Avance ! Plus vite ! Plus vite ! Vraiment ce beau et confortable navire fendant les flots avec rapidité me paraissait aller trop doucement ! »
L’obsession de la vitesse et de la rentabilité est devenue un sentiment caractéristique de nos sociétés modernes tant le monde s’est vu diminué au fil des décennies, du fait de cette mondialisation commencée au XVIe siècle et de l’avancée technique des moyens de transport. Il est vrai qu’à peine sommes-nous partis que nous souhaiterions être déjà arrivé. Pourtant, nous pouvons rallier n’importe quel point du globe en quelques jours tout au plus, et dans des conditions la plupart du temps agréables et sécurisantes. Voilà ce qui provoque ce sentiment de honte dont nous fait part Zweig. La honte de se plaindre de tant de confort, tel un enfant capricieux, et d’avoir ainsi oublié comment les hommes du XVIème siècle se déplaçaient autrefois sur les mers, bravant l’inconnu, la peur au ventre face à ce désert d’eau salée, la faim tiraillant les entrailles, le froid transperçant la peau comme autant de petits poignards sans compter cette profonde déréliction, seule compagne pendant des mois, faisant oublier parfois jusqu’à la conscience de soi-même. Le confort moderne nous rend souvent amnésique…
Pourtant, nous n’avons jamais autant « voyagé ». Des milliers d’appareils sont en vol à chaque instant, transportant vers toutes les destinations des millions d’individus. Mais est-ce humainement, économiquement, écologiquement universalisable ? Le voyage n’est-il pas l’apanage que de quelques-uns malgré une démocratisation certaine ? Dans ses fameux essais, Montaigne répond « ordinairement à ceux qui […] demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche. » Voyager est-il alors une fuite ? Un renoncement à trouver le bonheur là où nous vivons ? Un besoin de ne reconnaître le bonheur qu’à la condition de s’en éloigner. Dans ses propos sur le bonheur, le philosophe Alain nous renseigne à ce sujet : « si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n’aura l’aspect du bonheur. » S’enfuir n’est-il pas revivre tout ce que l’on fuit ? Ne passons-nous pas une partie de notre existence à nous chercher nous-mêmes et ainsi à nous fuir, pour finalement revenir au point de départ ? Mais le bonheur est-il aussi une obligation ? Nous sommes entourés d’injonctions de toutes sortes : « Soyez heureux ! », « carpe diem ! ». D’ailleurs, il est piquant de constater que l’anagramme de « carpe diem » est « ça déprime »[1].     En effet, le bonheur n’est-il pas toujours gâché par la peur de le perdre ? Le bonheur pour être durable se doit, peut-être, d’être modeste. Ne pas changer ses habitudes, « cultiver son jardin » c’est peut-être avoir trouvé quelque chose d’essentiel, mener une vie paisible et méditer sans s’inquiéter des autres et de ce que pensent les autres. Ne pas s’inquiéter des problèmes insolubles et ne s’occuper que de ceux que l’on est en mesure de résoudre.
Mais « cultiver son jardin » n’est-ce pas aussi le prototype de l’égocentrisme, de l’individualiste peut enclin à s’intéresser à autrui et à considérer son mode de vie comme le parangon de l’humanité ?
N’est-ce pas aussi une lâcheté, ne pas lutter contre le sentiment de végéter. Mais alors, à quoi bon fuir ? Pourquoi ne pas se battre ?
Le bonheur est-il donc dans la sédentarité ou l’éloignement, le mouvement ? On peut être libre de fuir, ce qui n’est pas toujours à connotation négative, ou bien de rester et que le bien commun puisse alors récolter les fruits de notre labeur. C’est tout le paradoxe, la complexité et pourquoi pas, l’essence même de la nature des hommes. En fin de compte, la philosophie n’est-elle pas en elle-même un voyage immobile ?

 

Débat : Ma première réflexion, fut : c’est quoi cette haie ? Elle est physique : des troènes, des thuyas.., elle est géographique ou elle est une barrière psychologique ? Ou idéologique ? Un retranchement ? Une peur ? Ou, le clos de ses certitudes ? Ne pas oser ? Craindre ce que l’on ne connaît pas ?
Et, m’est venu de suite à l’esprit les vers de Joaquim du Bellay : «  heureux qui comme Ulysse, a fait un long voyage / ou comme cestuy-là qui conquit la toison. Et puis est retourné, plein d’usage et de raison. Vivre entre ses parents le reste de son âge… »
Et également me revient une conversation récente avec un voisin, lequel a visité le monde entier, a séjourné dans les grandes capitales : Melbourne, Moscou, New-York, etc. Et ma question, fut : maintenant que tu vis ici, où te sens tu le mieux ? Spontanément sa réponse fut : ici bien sûr, chez moi, en Andalousie, c’est : ma lange, mes racines, ma culture…
C’est là un thème qu’on retrouve en littérature, comme dans le roman de Paolo Coelho, comme une allégorie. « L’Alchimiste » où le personnage, couché sous un arbre, fait le rêve d’un trésor caché qu’il faut qu’il découvre. Il fera un large périple de par le monde, et finalement il trouvera le trésor, qui était enfoui au pied de l’arbre, où il avait fait le rêve.
Cette histoire,  image le fait que souvent nous allons chercher très loin, ce que nous avons sous auprès de mon arbrela main, et que notre aveuglement nous empêche de voir. « Après de mon arbre, je vivais heureux, j’aurais jamais dû le quitter, mon arbre » (Brassens)

⇒ Quand j’ai épluché cette phrase du thème, il y a trois mots qui m’ont interpellé ; Les mots : jamais  – franchir – heureux. C’est quand même bizarre, parce que quelqu’un qui s’enferme, peut-il être heureux ?
J’ai cherché sur Internet, si un tel sujet avait déjà été proposé en café philo. Et bingo ! J’ai trouvé « Que faire si un voisin ne taille pas sa haie » autrement dit s’il ne souhaite pas converser avec vous.
Et cela m’a rendu un peu triste car cette haie peut-elle nous empêcher d’aller vers les autres ? Cela peut être fait volontairement ou involontairement. Dans ce dernier cas (maladie, solitude, handicap), là nous sommes collectivement responsable, nous qui sommes à côté.        Mais si la personne le fait volontairement en raison de peu d’appétence pour la société  alors je suis triste. Cette phrase, je dois le dire, me met mal à l’aise.

 La phrase traite apparemment des conditions du bonheur et comment être heureux ou plus heureux. Mais pour moi, cette phrase est « que signifie franchir la haie de son jardin ? »
C’est par les questions de l’existence et du développement des communautarismes dans notre société et aussi d’un totalitarisme islamique qui m’inquiète  que je vais traiter cette question pour dire que je suis heureuse de pouvoir, et jusqu’à la mort, franchir les haies de mon jardin.
Certains pensent qu’ils seront heureux ceux qui retrouverons le jardin et les haies  d’où ils ont été éjectés. C’est la définition du communautarisme, idéologie selon laquelle, hors de ma communauté d’origine, de race, d’ethnie, de religion, de genre, de terroir, de culture, je perds mon identité, par soumission à la communauté dominante.
Et donc les victimes de cette «oppression » aujourd’hui, affirment leur identité qui a été annulée en exigeant de leurs oppresseurs qu’ils décolonisent leurs propos et leurs actes.
Ainsi, ils s’affirment victimes de l’universalisme occidental qui prétend pour maintenir  sa domination que, au-delà des jardins secrets de chacun peut exister une communauté diverse mais unie, qui a le projet de réaliser le bien commun, la « res publiqua » et non pas de répondre aux désirs individuels de chacun. Ainsi, il y a un mouvement culturel qui aujourd’hui se développe, le mouvement décolonial et qui veut s’imposer en accompagnant toutes les victimes. De nombreux ouvrages ont été consacrés à la question : décolonisons les arts, le féminisme décolonial…
Ce mouvement s’impose avec force et violence par rapport à ceux qui sont considérés comme des oppresseurs, en particulier les colonisateurs occidentaux blancs.
Dans les arts par exemple, il y a eu deux événements auxquels j’ai assisté, en particulier à la Cartoucherie, au Théâtre du Soleil, Ariane Mouchkine a repris un spectacle « Kanata » qui signifie le « village » en Iroquois, spectacle canadien sur l’histoire des colonisations au Canada. Ce spectacle a été joué par de nombreux acteurs français, anglais, japonais, etc. En mai 2019, ce spectacle a été interdis au Canada du fait que certains que cette œuvre ne devait être jouée que par des iroquois. En soutient au Canadiens, Ariane Mouchkine a donc repris ce spectacle en France en septembre dernier et qui a été empêché avec force par la présidente de « décolonisons les arts », Françoise Vergés, et d’autres, mais le spectacle a quand même eu lieu sous le nom « Kanata la controverse ». L’actrice principale du spectacle pose d’ailleurs le problème en posant la question : « faut-il être juif pour jouer un juif, faut-il être noir pour jouer un noir ? »
Par ailleurs, à la Sorbonne, le spectacle les « suppliantes » d’Eurydice, fait montre d’acteurs qui ont joué avec des masques noirs. De nombreuses associations se sont mobilisées (les « indigènes de la République »…) et ont fait interdire le spectacle. Dans certaines universités (Lyon 2), des étudiants français se voient refuser leur master au motif qu’ils traitent de ces questions des peuples opprimés.
Voilà pour les arts. A la F C P E, la fédération des parents d’élèves, suite à l’histoire de la maman voilée, est affichée maintenant « je peux accompagner mes enfants avec l’habit que je veux ». Des personnes ont réagi et ont été violentées physiquement.
Cette idéologie décoloniale, le décolonialisme, considère que la colonisation a toujours imposé avec force, violence, viols que des individus ne cultivent plus leur jardin et que donc, ils ont été spoliés, et que donc, ils ont raison de réclamer ce dont ils ont été spoliés c’est à dire leur jardin et leur haie. J’aimerai également évoquer le livre «  Rencontres radicales pour des dialogues féministes et décoloniaux » ; Les auteures expliquent que le capitalisme est un capitalisme racial et dont les victimes ont le droit et le devoir de condamner et d’attaquer tous ceux, qui, sans le vouloir sont complices de cette spoliation du jardin intérieur. Et donc, certains considères que le jardin intérieur doit être réapproprié avec sa haie tout autour. Un second courant qui considère que le bonheur passe par le maintient de son jardin privé avec les haies qui l’entourent, ce sont ceux qui se mobilisent pour une laïcité ouverte contre une laïcité radicale. La laïcité c’est simplement le fait de tolérer l’autre afin de vivre ensemble ; Rappelons que la tolérance ce n’est pas le respect. Il y a ceux qui pensent que seront heureux au ciel, au paradis, ceux qui auront éliminé les mécréants blasphémateurs, ceux dont le jardin intérieur n’est pas le jardin voulu par eux. Ensuite seront plus heureux, vivrons mieux, ceux et celles victimes d’une laïcité fermée, intolérante, radicale qui demande à tous les citoyens et citoyennes de France de ne pas distinguer espace public et service public.
Ainsi la maman voilée, lors d’une sortie scolaire qui pleure sur la vie brisée de son enfant car elle a vécu une humiliation violente, elle sera moins malheureuse quand enfin la société française reconnaîtra enfin aux musulmans de porter le voile islamiste car comme chacun le sait, et comme l’expliquent de nombreux imams modérés, le voile n’est pas une obligation religieuse mais qu’il est simplement un drapeau. Que la société française permette aux musulmans de vivre leur jardin intérieur privé et  religieux mais à l’extérieur.
Il y a des raisons à cela. De nombreux philosophes expliquent que ce mouvement décolonial et ce mouvement anti-laïcité entrent dans une idéologie libérale qui consiste en la liberté de choix individuelle et qui va, de fait, à l’encontre d’un état républicain et de la mise en place d’un contrat social juste et bon pour tous. Cette conception de la liberté renvoie à une idéologie libérale qui promet le bonheur individuel et qui considère que chacun a le droit de mettre les haies autour de son jardin privé et de la cultiver en refusant l’ouverture vers l’autre et à ce qu’il y ait des actes et des idées qui permettent que l’on vivent ensemble. Pour ma part, je ne suis pas heureuse comme ces gens qui veulent le communautarisme décolonial ou la laïcité ouverte, bien  au contraire.  Je suis heureuse car je franchis sans arrêt, et jusqu’à la mort, la haie de mon jardin. Je m’y oblige et m’associer en pensée et en acte avec ceux qui ont un autre jardin privé. Et je suis heureuse quand je peux continuer à m’interroger avec impertinence sur le monde et je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de Michel Serres « De l’impertinence aujourd’hui».

 Je vais faire une remarque sur ce qui vient d’être dit et en particulier sur le décolonialisme qui, il me semble, se contredit lui-même quand il affirme aux autres cultures « vous devez reprendre votre culture » car ils font alors du colonialisme à l’envers en pensant à la place de ceux qu’ils ont l’ambition de « défendre ».
Quant à la phrase du sujet qui nous occupe, c’est une phrase qui me plait beaucoup car elle est poétique et dans son rythme (c’est un alexandrin) et dans son sens rhétorique, car « est-il plus heureux l’homme qui n’a pas dépassé la haie de son jardin ? » amène à penser qu’il est malheureux celui qui ne le fait pas. Il y a en quelque sorte une réponse dans la question. On peut très bien franchir la haie physique et c’est une invitation au voyage mais on peut aussi franchir sa haie mentale et culturelle tout en restant chez soi et en lisant un bon bouquin. Ne pas franchir sa haie peut entraîner le repli sur soi et le communautarisme qui peut même aller vers une scission plus grave encore que le communautarisme, celui d’un égoïsme absolu. Il faut donc repousser tout au long de sa vie les limites de notre haie afin que notre jardin soit de plus en plus grand.

 J e vais rebondir sur ce qui vient d’être dit à propos du mouvement décolonial. J’irai même plus loin car je pense que c’est un authentique intégrisme par la violence verbale et/ou physique dont il fait preuve. Il prône en réalité la dictature des identités donc quid de la liberté d’expression, et il  prône des revendications à la fois sectorielles et communautaires. Cela entraîne la pulvérisation même de la notion d’égalité et donc de la République.
Franchir la haie de son jardin c’est aussi faire preuve d’esprit critique car c’est franchir sa haie intellectuelle. Comme le disait Bachelard, « penser contre son cerveau. »
De plus, par rapport à ce qui a été dit au début, j’ai repensé au film « Les évadés » avec Morgan Freeman. Cela se passe dans une prison et un des personnages est libéré au bout de 50 années de détention et plutôt que de profiter de la liberté qui a permis à la haie de son jardin de « s’envoler », il décide de se suicider car il ne reconnaît pas ce monde dans lequel il n’est rien alors qu’il était un monsieur  connu et respecté au sein du pénitencier où il a purger sa longue peine.

⇒ Après ce qui a été dit, il faut tenir compte aussi des gens qui n’osent pas franchir la haie de leur jardin, par timidité, par peur ou par le souvenir de mauvaises expériences, cela n’est pas donné à tout le monde. Cela m’a rappelé la Bible où sortir de son jardin est une damnation.  Abel qui cultivait sa terre, c’était le sédentaire et Caïn, c’était le berger, le voyageur,  le nomade et dans l’inconscient populaire, le voyageur est toujours plus heureux que le nomade.
Le voyageur est toujours plus heureux que le sédentaire car ce dernier rêve de voyages. Etre dans son jardin c’est donc être attaché à quelque chose que l’on ne peut quitter du jour au lendemain. Et puis, je me suis fais une autre réflexion, est-il plus heureux le mari qui n’est jamais allé voir si l’herbe était plus tendre ailleurs ?

 En parlant de décolonisation, je me suis rappelé d’un livre dont le titre est « décoloniser l’enfant ». On sait bien que l’enfant ne peut s’affranchir de l’adulte, du moins pour ce qui est du cadre, des valeurs, etc. Mais l’enfant a aussi sa propre dynamique.
J’ai eu des élèves et ils étaient noirs, c’était la seule couleur. Ils voyaient des différences que je ne voyais pas et parfois ils se heurtaient violemment. Il y a beaucoup de différences dans les pays, les familles, les relations humaines ne sont pas les mêmes.
Un autre livre « l’enfant noir », merveilleux ouvrage qui donne une idée de ce monde très complexe où le serpent et autres peuvent avoir une dimension symbolique ou être vécus tels que. Mais d’abords, qu’est-ce que c’est qu’une identité noire ? Parlons-nous de celle du 15e, du 16e du 17e   siècle ? Cela reflète une grande complexité au même titre que la peau blanche.

 Je vais envisager l’évasion par l’esprit. Deux textes par Hervé pour élargir son jardin par la poésie :

L’ÉVASION DU POÈTE
(En acrostiche : Les mots proposés)

Livrer un message et souhaiter son avènement,
E ncore immaculée, la page doit faire rêver,
S éduire, pour enfin révéler tout le talent.
M arier des mots, espérer publier, imaginer,
O euvrer, pouvoir proposer aisément
T out son savoir, le  poète sans douter,
S oigne le texte pour l’aimer tout simplement.
P ourquoi cette pensée poétique est à dévoiler ?
R elater, croire sans ignorer, ce questionnement
O blige à devoir l’éditer puis enfin l’aider à s’évader
P urement du livre pour se souvenir absolument.
O uverture d’esprit, nuances verbales, enfin méditer
S ur toutes les idées bienvenues, précisément
É crites, élaborées, contées, aimées, détester errer
S ans but, l’auteur est messager de ses sentiments.

L’ŒUVRE IMMORTALISÉE
ou l’évasion du peintre
(avec les mots proposés)

Souhaiter laisser un message pertinent,
cette toile immaculée va faire rêver.
De ses pinceaux, espérer avec talent
refléter toute l’harmonie, imaginer
comme le poète pouvoir, avec enchantement
proposer tout son savoir, sans douter
quelle symphonie sera dévoilée précisément.
Aimer, se souvenir, immortaliser
ce tableau, ne pas ignorer ses pigments,
tout cet art oblige de devoir étudier
ce que l’artiste a voulu absolument.
Détaillée, tout en nuance, pourquoi détester,
comme certains, cette œuvre non contents
de croire qu’elle n’est pas à louanger,
ignorants que vous êtes manifestement.

⇒ Le jardin est quelque chose de spécifique à l’espèce humaine or sachant que l’Homme est un animal et si on se penche sur les autres espèces, les animaux n’ont pas de jardins, ils ont un environnement, un territoire. Aujourd’hui, avec tous les mouvements de pensé, ne pourrions-nous pas rassembler les jardins  pour en faire un jardin partagé mais comment ? Elle est là la question, que l’histoire nous ramène un peu à l’écologie des choses. Ne pourrions-nous pas y inclure les problématiques écologiques, politiques et sociales et montrer qu’il y a un intérêt car le monde scientifique nous montre que nos jardins risquent fort de se détériorer avec la pollution et les bouleversements climatiques.
Je n’ai pas trop aimé le titre car cela nous enferme dans une individualité, une forme de communautarisme et je préfère que l’on parle de jardin partagé.

 Plusieurs remarques. La première, j’ai eu l’occasion de fréquenter pendant plusieurs années des voyageurs, des gitans et il y avait une famille qui avait sa caravane. Cette famille était souvent en voyage dans toute l’Europe mais ils avaient quand même une maison. Et dans la cours de cette maison, il y a ait un camping et les parents y vivaient car ils n’ont jamais voulu rentrer dans la maison. Un gitan disait : «  Je suis né dans une caravane en 1950 et j’ai passé ma vie à voyager pour échapper à ces horizons bouchés pour ouvrir ma porte sur la liberté. Le nomadisme n’est pas une vie facile mais c’est peut-être la seule qui vaille la peine d’être vécue. »
C’est une façon de voir, ce sont des gens qui n’ont pas de jardin car leur jardin est partout.
Deuxièmement, les barrières idéologiques totales comme en URSS ou dans les pays de l’est et certains d’entre vous ont peut-être vu le film « Good Bye Lénine » Il raconte son histoire de cette femme qui tombe dans le coma pendant la dictature et se réveille après la chute du mur et l’avènement du libéralisme économique. Comme elle était une militante ardente du communisme, elle ne doit pas voir cela, sa famille met donc des haies tout autour d’elle alors que finalement, c’était son rêve que cela tombe enfin.
Troisièmement, on a évoqué Voltaire et inévitablement, on pense à Candide et dans ses pérégrinations, il a été malheureux, il a rencontré moult problèmes. Finalement, le bonheur il le retrouve avec son jardin, il faut savoir « cultiver son jardin ».

 Je vais revenir sur l’imagination créatrice qui « fait voir l’invisible » comme disait Klee mais cela l’est aussi de l’imagination scientifique qui révèle un monde nouveau comme le fait de savoir que la Terre n’est pas plate et que les espèces évoluent.
De plus, la catastrophe écologique qui semble advenir nous incite à faire que la Terre soit un jardin partagé et c’est une belle expression je trouve. La catastrophe écologique a détérioré le jardin et l’agriculture industrielle a éliminé les bocages.

 C’est vrai qu’avec la crise écologique majeure et les inquiétudes légitimes qui en découlent, certains proposent, plutôt que d’arranger le jardin, de le quitter et de s’en affranchir totalement. Mais pour aller où et y faire quoi ? Cette idée me parait totalement irréaliste. Cela me fait penser au philosophe E. Husserl qui écrit dans les années 30 un petit texte qui s’appelle « La Terre ne se meut pas ». Ce que l’on peut en retenir me semble-t-il est qu’avant d’être des humains, nous sommes des terriens et nous sommes profondément ancrés dans ce qui est notre berceau, notre jardin. Et ne peut-on pas étendre cela à l’endroit où nous vivons, la terre, nos racines, la famille. Nous pouvons franchir la haie de notre jardin de multiples façons, mais, en fin de compte, ne finissons pas par y retourner ?  Et ce retour aux origines n’empêche pas de franchir quand bon nous semble notre haie et de s’entendre les uns les autres pour soigner ce jardin qui est le nôtre et qui quand même agréable !

 Je disais, que j’étais triste de penser que la personne qui reste enfermée, même si elle satisfait son besoin et son savoir en restant chez elle, si ce n’est pas pour les partager avec quelqu’un ça sert à quoi ? Tandis que sortir, participer à des associations comme par exemple ce café-philo où j’ai vraiment appris à mieux écouter et je me rends compte que certaines personnes s’écoutent quand elles parlent, n’écoutent pas ce que les autres disent et quand elles ont besoin de dire quelque chose, elles ne voient pas si les autres ont besoin de parler. Ce besoin de partage est pour moi très important et on apprend toujours des idées des uns et des autres, on s’enrichit. Alors que rester chez soi et s’instruire tout seul, pour moi, c’est égoïste.

On pourrait se poser la question de la manière suivante : « Est-elle heureuse la société qui n’a jamais franchi sa haie ? »
Parce que, qu’on le veuille ou non, l’humanité serait absolument restée à l’âge de pierre si jamais personne n’était allé voir ailleurs comme dans le roman « La guerre du feu ». De tous temps, les sociétés ont évolué car des individus sont allés au-delà de leur propre jardin sociétal ou même scientifique. Il est aujourd’hui impossible de faire de la recherche de haut niveau sans une collaboration internationale. Pour la découverte du boson de Higgs, le Prix Nobel de physique n’a pas été attribué uniquement à Monsieur Higgs. La découverte eu lieu au LHC à Genève où des centaines de physiciens travaillent en étroite collaboration. Cela fait partie d’un partage qui nous permet d’être quelqu’un d’autre mais sans se perdre. On peut être quelqu’un d’autre sans cesser d’être soi. C’est s’être simplement enrichi.

 Je suis originaire du centre de la France et j’ai rencontré des personnes qui n’avaient jamais dépassé leur canton ou leur département. Ils n’étaient pas malheureux pour autant.
Mais qu’est-ce qu’être heureux ? Est-ce faire la queue pendant deux heures pour visiter Dubrovnik ? Est-ce aller se mettre dans cette foule à Barcelone ? Est-ce aller sur ces grands bateaux où l’on est 5 000 personnes ? Est-ce aller dépenser des tonnes et des tonnes de gasoil pour aller voir trois baleines sauter dans le golf de l’Hudson où aller voir les glaciers fondre au Pôle Nord ? Je trouve cela un peu idiot mais c’est un jugement personnel.
Je pense aux gens qui ont fait le choix de vivre dans un monastère. Ils sont dans un jardin clos, c’est leur choix et j’espère pour eux qu’ils sont heureux. On peut fermer son jardin mais cela ferme-t-il l’accès au bonheur ?

 En effet, les sociétés évoluent car elles vont voir ailleurs, les scientifiques assurent un progrès de la connaissance et en ce sens, il n’y a pas de progrès sans partage. Sauf, pour les scientifiques qui sont assujettis au lobbys et qui sont asservis à la rentabilité sur un objet de recherche qui n’est pas forcément bon pour tous. Donc, là il y a une limite et peut-être qu’aujourd’hui cette question est plus vive qu’au XXe siècle et peut-être avec la révolution numérique.
Et, par rapport à ce qui a été dit, que signifie être heureux finalement ? Le bonheur, serait, « un idéal de l’imagination ». Cela dépend de l’imagination que l’on a pour franchir notre jardin.
En outre, sur ce qui a été dit précédemment, sur le fait que les intellectuels doivent participer à la résistance face à la barbarie capitaliste du profit. Oui, mais pour cela, il leur faut un logiciel de compréhension mais lequel ? Peut-être qu’il faut changer de logiciel, de mode de pensée,  en fonction des résistances à mener.

⇒  Tu parlais sur ce qu’est le bonheur pour les uns ou les autres, puis tu as cité les moines. Je pense qu’il n’y a pas de contradiction. Chacun cultive son jardin avec la manière dont il entend pouvoir le faire. Et, il peut très bien y avoir une démarche monastique qui consiste à dire, moi, pour avancer, pour aller plus loin que moi-même, d’être seul, de réfléchir, de me confronter à des livres et je ne veux pas être perturbé par le bruit de la société. Après, on peut parler de l’utilité collective de cela mais du point de vue de la démarche personnelle, il n’y a pas forcément de contradiction entre l’isolement et franchir son propre jardin.

 Pour revenir à l’aspect créatif de la pensée scientifique qui a été évoqué, je ne suis pas certain qu’ aujourd’hui, une personne comme Einstein, aurait pu devenir Einstein. En effet, en 1915, il sort un article dans lequel il propose une nouvelle théorie de la gravitation, on ne sait rien sur l’Univers. On ne connaît pas le fonctionnement des étoiles, on ne connaît pas le statu des galaxies, on ne connaît pas les trous noirs, etc…Or, lui va proposer une nouvelle façon de penser le monde sans n’avoir à sa disposition aucune données. Il a posé les bonnes questions puis il a répondu de la plus belle manière qui soit.  Mais l’inverse est-il vrai ? Aujourd’hui, nous avons en cosmologie une moisson de données « astronomiques » mais ce n’est pas pour cela que nous sommes capables d’avoir de nouvelles pensées. Et cet impératif de publier, cela empêche sans doute la liberté créatrice de beaucoup de chercheurs de s’exprimer.
Et puisque l’on parle de jardin, dans un jardin physique où l’on cultive diverses plantes, c’est un espace ouvert sur le monde car les tomates viennent d’Amérique du Sud, les pommes, du Caucase, les poires de Chine, etc…Puisse l’esprit en être de même. 

⇒ D’après ce qui a été dit, je ne comprends pas pourquoi il faudrait changer de logiciel. Pour quelle raison, avec quel but ? La seule manière de résister c’est la fraternité. C’est appliquer l’amour à l’humanité. Et Marx, quand on lui demande quelle est ton idée du bonheur, il répond « la lutte » et quelle est ton idée du malheur, « la résignation ».

 Quand on vient au monde, on fait partie d’un jardin et on y prend racine, avec une culture et tout un ensemble de choses. Cela nous permet de devenir autonome et de penser autrement. Un jardin est fait d’un ensemble de végétaux qui se côtoient sans être de la même espèce et qui nourrissent un sol d’une manière homogène. Ce jardin là c’est aussi l’individu, ce n’est pas quelque chose qui est clôturé dans une haie sauf si on nous y enferme dedans. C’est la diversité de ce jardin là qui permet d’en sortir des intérêts communs. On forme tous en tant que « plantes » un jardin comme notre planète est un jardin. Quand on s’enferme dans un certain nombre d’idéologie c’est parce que nous avons été conditionnés par les systèmes qui font qu’aujourd’hui les gens veulent en sortir et en disant cela je pense aux gilets jaunes. Ils ne veulent plus appartenir à un jardin mais à un territoire le plus large possible avec le moins de haies possibles.

 Je vais parler d’un voyage,  d’Odysée homérique : « la balade de l’esprit […] dévoilée par le récit et les mots de la pensée, alors agit la magie, le talent est déployé, les exploits sont narrés en faveur de la poésie. Poème légendaire, féerie universelle, voyage extraordinaire où le héros conseille, sa ruse fit merveille, sur la ville endormie, elle est devenue éternelle, […] aventure romanesque, expédition, épreuve épiques et pittoresques, l’histoire en est la preuve. Voyageur de l’Odysée, ces chants ont démontré la preuve en faveur de la poésie. »

 Il serait dommage de finir ce café-philo sans parler des gens qui ont été chassés de leur jardin. Je pense aux exilés des guerres actuelles.
Deuxième point, j’ai deux jardins, dans deux pays différents, dans deux cultures différentes, avec des modes de vie différents. Lorsque je vais de l’un à l’autre, lorsque je reviens sur un de ces deux points, c’est le bonheur d’aller vers un de ces jardins. Et en espagnol, il y a un terme qui se nomme la « querencia », le nid, c’est quelque chose que l’on a acquis, un chez soi. Ce mot est aussi l’abri du taureau dans l’arène dans le glossaire de la tauromachie, le lieu où il se sent bien et où on ne peut l’attaquer.

 Cela est vrai aussi dans un même pays, où notre jardin peut-être dans différentes régions.

 Des médias, on n’arrête pas d’entendre que pour être heureux, il faut manger mieux, bio, local, fait à la maison, cuisine de ma grand-mère… Cela n’est-il pas cette idéologie identitariste ? Et on ajoute que de cette façon, non seulement on va être heureux mais on va en plus sauver la planète. Ce sont des injonctions pour cultiver son moi, moi je…et ainsi barricader sa haie.

[1]             Merci à Etienne Klein

Choisir sa vie

 

Jeune homme tenant un crâne; Vanité. Hall Franz. 1626. National Galery Londre

Jeune homme tenant un crâne. Vanité. hall Franz. 1826. National Galery. Londre

Restitution du débat du 25 09  2019 à Chevilly-Larue

Animateurs: Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Cette question qui semble si banale est pourtant essentielle en philosophie, elle nous concerne tous. Elle n’est pas qu’un regard dans le rétroviseur, elle concerne demain. Nous retrouvons ce thème dans le roman, le théâtre, la poésie et aussi dans la chanson. Sans tomber dans les angoisses existentielles, nous pouvons parfois nous poser ces questions : Qu’est-ce qui m’a réellement construit ?  Quels furent mes choix personnels, choix qui ont fait à ce jour mon parcours de vie ? Quelle est la part des contingences ?
Autrement dit, quand ai-je pu exercer ma volonté, mon « vouloir être moi », quand faisons-nous seuls notre « chemin de vie » ? A quel moment se font les choix cruciaux ? Et jusqu’à quel âge pouvons-nous infléchir le cours de notre vie ? Entre ce que je voulais être et ce que je suis, avais-je les atouts,  ne suis-je pas qu’un compromis ? Nous allons rencontrer dans ce débat l’existentialisme : « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait…Chaque personne est un choix absolu de soi » (Jean-Paul Sartre), ou, rencontre entre fatalisme et contingence, ou, non choix comme nous le dit la chanson : « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger, pour apprendre à marcher ». (Maxime le Forestier : Être né quelque part).
Par ailleurs, doit-on penser que ceux qui n’assument pas leurs choix de vie sont ceux qui ont échoué?  Doit-on penser que ceux qui assument, voire même qui revendiquent leurs choix, seraient, ceux qui ont réussi ? Quelle est la part de notre force ou de notre faiblesse ?
Doit-on penser que nous n’agissons qu’à la marge sur le cours de notre vie, comme l’exprime une autre  chanson : « C’est ma vie, c’est ma vie, je n’y peux rien, c’est elle qui m’a choisi » (Adamo : C’est ma vie). Alors ne serions-nous que des nomades de la vie ?
Et également, quel argumentation rationnelle opposer, par exemple à cette formule de José Luis Borgès, (l’écrivain argentin)  lorsque, concernant les choix de le vie, il écrit : « c’est la porte qui choisi »
Autrement dit, quand est-ce que le choix c’est fait sans moi.
Est-ce que les circonstances dictent les choix, ou, est-ce que le choix qui dictent les circonstances ?
«  Quand le bus du destin passe, la direction n’est pas indiquée. Il y a ceux qui n’ont pas fait signe au bus de s’arrêter ; ceux qui ont regardé le bus passer »  (Peter May. L’île aux chasseurs d’oiseaux)
Mais, toujours la question insidieuse reste : derrière ces portes que je ne n’ai ouvertes et franchies, il y avait ces vies que je ne vivrai pas, ces voyages que je n’ai pas fait, ces visages que je n’ai pas croisé. « Ai-je choisis le bon sentier ? / J’en suis encore à me le demander », chantait Michel Polnareff (dans sa chanson  Sous quelle étoile suis-je né ?)
Et enfin, ce qui détermine nos choix de vie, est-ce : La raison ? L’intérêt ? L’affection? L’amour ? Ou est-ce le hasard seul qui seul agit ? Est-on plus libre de choisir quand on est seul, ou, fait-on des meilleurs choix à deux, à plusieurs ? Et si nous avions toutes les  possibilités de choix, seriez-vous là, serions-nous là ce soir, au café-philo de Chevilly-Larue ? La multiplicité infinie des choix ne pose-t-elle pas d’autres problèmes ?
C’est à vous d’y répondre ! C’est à vous de choisir !

Débat : ⇒ Y a t-il quelqu’un parmi nous qui peut nous dire qu’il a choisi sa vie?

⇒ Je me demande si réellement il y a des gens qui ont choisi leur vie ? Je n’ai pas choisi de naître, pas choisi mes parents, ni le lieu de ma naissance. Je suis née, c’est un hasard. Et même la rencontre de mes parents est un hasard. Tout n’est que hasard. Est-ce que j’ai choisi mon mari ? oui ! ça je le crois ; mais globalement choisir sa vie ça me semble carrément impossible.

⇒ Se marier, faire sa vie avec quelqu’un dépasse le choix, le plus souvent la part d’irrationnel l’emporte, et l’on est embarqués.

⇒ Dans la tête de chaque vieillard il y a un jeune homme qui dit : – qu’est-ce que je fait là ? Ce jeune homme avait, toutes les possibilités devant lui, plein de projets. Et, là, il constate tout ce que le vieil homme n’a pas réalisé.

⇒ Je voudrais faire une réponse au jeune homme. –Tiens ! on repart à zéro, c’est toi qui prends les rênes, et on verra si tu fais mieux ou plus mal. Si on redistribue les cartes, qu’est-ce qu’on fait, (sujet de philo par excellence)

⇒  On se marie, on a des enfants, un boulot avec des responsabilités, alors on n’est plus aussi libre, des choix s’imposent, on prend moins de risques, on n’a plus le culot.

⇒ Je trouve ces premières interventions un peu fatalistes. Je veux bien qu’on « jetés » dans la vie, mais après qu’est-ce qu’on en fait ? Il y a toujours dans ces croisements du chemin, et là il faut choisir, et ce choix détermine votre vie.
Par exemple, on accepte d’avoir des enfants ou non, on accepte tel ou tel boulot, ou, on le plaque pour choisir ce qu’on a vraiment envie de faire ; Je crois qu’en grande parie on peut choisir sa vie ;

⇒ On pense inévitablement au film « Sur la route de Madison » et à cette réplique de l’actrice Meryl Streep : « Nous sommes les choix que nous avons fait», tout à fait dans le droit fil de la philosophie sartrienne.

⇒ A quel moment ai-je été en capacité de choisir ma vie ? Suis-je capable de faire et d’assumer des choix ?il faut qu’on ait la force de caractère, voire, la maturité pour faire certains choix. Beaucoup de choix décisifs qui orienteront notre vie, sont fait trop tôt, faits avant qu’on ait un minimum d’expérience. Alors, la première réaction va vers des choix prédéfinis, c’est dire s’intégrer à la société.
Et puis il y a le manque de confiance en soi, ou timidité, on n’ose pas.

⇒ Adolescente j’avais du mal à faire des choix, je voulais faire totalement comme les autres. C’est plus tard que j’ai été en capacité de faire mes propres choix, me prendre en mains. Mais maintenant, adulte je me pose encore la question, c’est quoi choisir, comment juger en toute raison, et choisir ?

⇒ Du fait que nous ne sommes pas tous égaux, nous ne sommes pas tous à égalité dans notre capacité à choisir. Choisir en fonction d’un environnement, d’une éducation reçue, d’une culture acquise.
Et, on ne peut écarter que : quelque soit nos choix, à chaque fois qu’on s’engage on engage d’autre s personnes, on ne choisi que pour soi. Dans le mariage, on s’engage avec un, ou, une partenaire, avec la responsabilité de parent ; Même en dehors de cette situation, on ne vit pas seul, on ne s’engage jamais tout seul.
Il y a des gens qui disent : -moi je contrôle. Mais on ne contrôle pas la maladie, le comportement des autres, les évènements. On contrôle pas plus le passé que l’avenir, et bien peu le présent.
Actuellement, on parle beaucoup du changement climatique. Et là nous sommes face à des choix ; Nous pouvons nous exprimer par le vote, et au-delà.
A terme ,et aujourd’hui déjà, nous savons, nous voyons que nombre de nos décisions, avec l’intelligence artificielle, nous échappent. Nos choix parfois nous sont dictés, on peut se laisser guider pour le choix, d’un, ou, d’une partenaire, c’est mieux ciblé, c’est plus facile.
On voit aujourd’hui des jeunes qui sont en quête de sens. Ils font des études, des études supérieures, intègrent une entreprise, et, au bout de quelques années, ils se disent : – qu’est-ce que je fais devant tous ces tableaux Excel, avec toutes ces contraintes d’objectifs. Alors, certains font faire un choix, celui de prendre une autre activité, quitte à gagner moins.

⇒ Qu’est-ce qui nous motive : le confort, le bien-être ?

⇒ Je ne pense pas qu’on puisse définir une fois pour toutes, ce qui définis nos choix, il y a tellement de variables. Il y a les pulsions, les obligations de choisir, les choix où on n’avait pas le choix, etc… Peut-être que sur une situation précise je pourrais dire que j’ai fait un choix libre, car faire le choix, c’est faire un choix libre de toute contrainte extérieure, ce qui est rare.
Et après ce que je viens d’entendre, je me pose la question de savoir si l’éventail de choix ne se rétréci pas arrivé à l’âge adulte, pour s’élargir à nouveau vers l’âge de la retraite.
Beaucoup de nous on fait l’expérience que certains choix, « notre choix » et pas ce qu’on plus ou moins choisi pour vous, ça coûte cher, il faut « renverser la table ».
Et puis, je me demande si pouvoir choisir sa vie, ce n’est pas une chance, un luxe, ou question d’audace,
Et enfin, philosophie oblige, nous pouvons toujours nous référer aux stoïciens quand il faut faire des choix. Ils nous disent, nous rappellent ; que nous ne devons pas nous user quant aux problèmes qui ne dépendent pas de nous, et donc, conserver toute notre énergie pour intervenir, agir  quant aux problèmes qui , eux, dépendent de nous.

⇒ Est-ce que choisir sa vie n’est pas une finalement assez récente. Je veux dire par là, qu’il y a un siècle je ne suis pas certain qu’on pouvait se posait la même question. Est-ce que ce n’est pas venu avec l’amélioration du niveau de vie.
Et quand on dit « je choisi » sommes-nous toujours en mesure de savoir si c’est réellement un choix. Par exemple, on sait qu’au niveau du cerveau il y a des phénomènes aléatoires. Des études depuis quelques années remettent en cause des thèses philosophiques et Merleau Ponti disait que la science n’a pas à répondre à des questions philosophiques.
Par ailleurs,  à la question initial : choisir sa vie, est-ce une chance, est-ce que ce ne serait pas que du hasard ?
Et dans notre société actuelle, il y a beaucoup d’injonctions, « faites ceci », « soyez heureux », voire le rayon du développement personnel, avec l’injonction au carpe diem (dont l’anagramme est : ça déprime).
Finalement, j’aurais tendance à penser que, face à la complexité du monde, de la vie : pouvoir choisir sa vie ? ça dépend !

⇒ Il y a des moments où l’on croit faire des choix, parce qu’entre choisir et liberté il y a une dialectique entre les  deux, et que l’homme a envie d’être libre, et s’il ne fait pas ses propres choix, il n’est pas libre. On préfère dire qu’on a choisi plutôt que d’admettre que c’est un choix conditionné, presque un non choix.

⇒ On ne peut exclure cette part du hasard, bien sûr ! le milieu, l’école, et arrivés à l’adolescence il faut se définir, on choisi tant bien que mal, on va vers son avenir, son destin.

⇒ Je pense à tous ceux qui ne peuvent pas choisir. Je pense à ceux qui naissent handicapés. Je pense aux femmes qui naissent dans des pays où elles doivent porter un « linceul », des pays où les maris ont tous les droits sur les femmes, même le droit de la battre. Quel est le choix de ces femmes ?
Je pense aux émigrés, émigrés alimentaires, aux exilés. Il y a plein de cas comme cela….

⇒  Pour moi, choisir sa vie, c’est d’abord de l’audace, parce qu’en faisant certains choix on fait des sacrifices, et il faut assumer. D’autre part, je reviens sur l’idée que dans le passé nous n’avions pas tant le choix. Mais, nous avons évolué, nous avons progressé. Il n’y a plus d’esclaves, nous avons accédé à la démocratie, à  la liberté pour les femmes, d’avoir « un enfant si je veux ».
Simone de Beauvoir nous aurait dit, oui, nous pouvons choisir notre vie, et pour cela il faut sortir du conformisme. Même si vous avez eu une éducation très libre, il y a des imprégnations, mais  des imprégnations desquelles vous pouvez vous libérer.
Pour moi, choisir sa vie, c’est pas « ça dépend », j’ai lutté pour pouvoir faire mes choix, et je n’ai jamais regretté mes choix. Je sais que mon propos est audacieux. Et je reviens sur les injonctions de la société, là, nous pouvons développer notre esprit critique (c’est ce qu’on fait au café-philo). On a la possibilité d’examiner, et de dire parfois, je ne veux pas de ça pour moi. On peut sortir de ce Noam Chomsky appelle, « La fabrique du consentement ».
Ce qui compte, c’est d’être en harmonie avec nos aspirations les plus profondes, et ne pas vivre en soumission.

⇒ Les exilés n’ont fait que des choix forcés, obligés de fuir leur terre, leurs maisons, c’était,  l’exil ou la mort.

⇒ Cette question bateau de la philosophie, « Choisir sa vie » est devenue sur Google le terrain de chasse des marchands de psychologie positive, des coachs de développement personnel. Les Premières pages sont saturées de sites qui proposent : «  101 expériences pour saisir sa chance », « Trois kifs par jour », « apprendre à être heureux », « Il est temps d choisir sa vie » « deviens qui tu veux être ».
Mais s’ils sont si présent sur ce moteur de recherche, c’est aussi et d’abord parce qu’ils sont beaucoup consultés. Alors cela nous dit que cette question reste, restera toujours une question primordiale.
En vérité, si nous prenons cette question au premier degré, elle a quelque chose d’incongrue, car déjà, nous n’avons pas choisi de venir au monde: première occurrence, première contingence.
Autrement dit, quand est-ce que le choix c’est fait sans moi.
Nous avons diverses approches sur ce sujet du choix de notre vie : celle qui nous affirme qu’elle résulte de nos choix (Sartre), celle qui dit que nous n’accomplissons rien d’autre qu’un destin de vie, ce qui était écrit de tout temps, le « mektoub » , ou le « fatum » des philosophes stoïciens.
Puis il a ceux qui seraient les « déçus de la vie », ceux qui nous disent que nous n’avions pas de réels choix,  comme on le retrouve dans cette phrase issue du roman policier « Vendetta » de Roger Jon Ellory : « J’ai vécu une vie que je n’ai pas choisie, les événements ont conspué contre moi », et il poursuit, « Il semblerait donc que nous vivons nous pour l’instant, et que nous basons nos décisions sur les informations dont nous disposons. Mais la moitié des ces informations sont incorrectes, voire, fausses, ou, fondées sur l’opinion de quelqu’un d’autre. La vie ne nous fourni pas de manuel nous expliquant comment la vivre »
Puis, il y a l’incontournable enveloppe intellectuelle de l’influence parentale : «  Pour des parents croyants, qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes ou autres » écrit l’écrivain Abdenour  Bidar *« la réponse est parfois automatique : « Ma fille sera chrétienne comme moi. Mon fils sera musulman comme on l’a toujours été….Mais de nombreux parents comprennent que l’autonomie de leur enfant est en jeu. Ils cherchent alors à leur transmettre un héritage sans pour autant les formater ni les prédéterminer. Comment faire ? Où est à  la limite entre transmettre et conditionner ». ( * Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui. 2016)

⇒ Faire ses choix en refusant l’influence de la société, c’est une forme d’anticonformisme. Ce conformisme est plus inscrit dans évolution ; Mais ceux qui ont fait des choix différents, qui ont transgressé, sont ceux qui parfois ont fait évoluer la société.

⇒  Il y a des gens qui semblent ne pas vouloir faire des choix. Ils sont résignés, découragés. Ils ont fait des choix qui les ont déçus, pénalisés, alors, ils démissionnent.

⇒ Nous avons évoqué le hasard. Oui il a le hasard, les contingences de la vie, mais face à celles-ci il reste toujours à faire des choix.

⇒ « Le hasard ne favorise que les esprit préparés». (Pasteur). Et un américain a écrit : « Éloge du carburateur ». Il bossait dans une entreprise, et un jour il en a eu raz le bol. Et maintenant, il répare des motos, il est très heureux.
Et par ailleurs, est-ce que la croyance dans le bonheur, ça ne limite pas les choix. Tiens ! on est heureux ! on reste là où l’on est. En fait on n’est peut-être pas si heureux que ça, mais c’est plus facile comme ça.

⇒ Je ne suis pas d’accord avec le fait qu’on peut faire des choix sans émotions, et pas qu’avec la tête, mais aussi avec le cœur, ou alors, autant s’en remettre à un algorithme. La part émotionnelle nous dit : – il faut y aller ! même si il y a des sacrifices à faire.

⇒ Je retiens : choix par raison, lié aux émotions, choix du cœur. De fait, beaucoup de nos choix découlent de nos émotions. Kant et le neurologue António Damàsio nous rappellent, que : « nos émotions précèdent nos sentiments », ce qui n’empêche pas parfois, la part rationnelle.
Cette rationalité je l’ai vue chez un proche. Ce jeune homme avait décidé  qu’il serait ingénieur information à 24 ans, (réalisé), qu’il achèterait son appartement à 28 ans (réalisé), qu’il se marierait à 32 ans (réalisé). Il en est à sa troisième femme… Moralité : on n’est pas des algorithmes.

⇒ Je me suis marié il y a bientôt cinquante ans, choix on ne peut plus irrationnel, et ça dure !  alors, la raison dans certains domaines n’est forcément, bonne conseillère.
Et par ailleurs, je pense aux gens pour qui faire un choix qui engage est un situation dramatique. Ceux là se retrouvent souvent dans des structures où l’on suit une règle établie.. Ce serait rejoindre l’armée, un couvent, une secte, etc. Ouf ! il n’y a plus le dilemme du choix, car suivant l’expression connue : « choisir c’est quitter ». Et là, il n’y a plus qu’à « mettre un pied devant l’autre ». .

⇒  Je ne résiste pas à reprendre en guise de conclusion (pour moi) , la réponse à cette question, réponse très philosophique  de Zezette (dans le père Noël est une ordure) « ça dépend ! »

 

Ciné-philo: Dépasser nos différences? d’après le film: Green book

 

Green book Image promotionnelle

Green book Image promotionnelle

En partenariat avec le cinéma
du théâtre André Malraux
 Restitution du débat du 7 juin 2019

 Thème du débat :   « Dépasser nos différences ? »

 Ce film « Green book »  de Peter Farrelli, est sorti en 2018.
Il a obtenu des oscars en 2019 : oscar du meilleur film, et oscars pour les deux acteurs.

Les deux rôles principaux sont tenus par :
Pour Toni Vallelonga : Viggo Mortensen
Pour Doc. Don Shirley : Mahershala Ali

Débat : ⇒ Alors, c’est pas un petit chef d’œuvre, ça ?

⇒  Oui, un chef d’œuvre, et quelque chose qui nous bouleverse.

⇒  Lorsqu’on a choisi des films pour le café-philo, ce sont souvent des films de rapports entre deux personnes, de la complexité souvent de ces rapports humains, voire d’affrontements. Et c’est ce que nous retrouvons dans ce thème, où se rencontrent  deux personnage a priori si différents, si opposés, qui malgré tout finiront par s’accorder et même jusqu’à sympathiser au-delà de leurs différences.
Et après un très bon film, comme après tout bon spectacle, il y a l’envie d’en parler, de partager. De partager ce que nous avons le plus fortement ressenti.
Et avant de rendre la parole, il y a une question que j’aime poser toujours poser, à  ceux qui, comme moi, viennent de voir ce beau film : quelles sont les scènes, les répliques,  que là,  tout de suite, vous retenez ?  Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué ?

⇒  Il me revient tout de suite, une scène, celle où Toni jette à la poubelle les verres où ont bu deux ouvriers noirs qui sont venu faire une réparation chez lui. Cela nous montre bien avant sa rencontre avec Doc ses réactions racistes basiques ; de fait, il n’aime pas les noirs.

⇒  Oui, et parmi les personnages de cette scène, dans ce groupe d’Italiens,  il y a quelqu’un qui prononce le mot de « macaques », alors qu’on verra par la suite que ce groupe est très ouvert, mais c’est là, ce que nous nommons du « racisme ordinaire »

⇒  Je retiens les scènes liées à cette pierre verte que Toni ramasse. Et si l’on observe bien, lorsque Doc et Toni se trouvent dans une même chambre d’hôtel, la pierre est sur la porte- feuille de Toni, à la vue de Doc. Et l’on retrouve à la fin, la pierre, devenue porte-bonheur. Le film est plein de ces petits détails qui sont aussi le fond de l’histoire.

⇒  Il y a un moment, une scène que j’ai trouvée remarquable et je suis sûr que vous avez réagi de même : c’est lorsque la voiture tombe en panne en pleine campagne. Des ouvriers agricoles, tous noirs, qui ont cessé de travailler, regardent avec curiosité, ce noir qui a un chauffeur blanc. Et Doc à son tour regarde ces ouvriers qui donnent l’image des esclaves dans les champs de coton des Etats du sud des USA; le contenu de ces images est fort. Et cette scène se répète, même différemment : la voiture est arrêtée à un feu rouge, et dans une voiture à côté, une femme donne un coup de coude au chauffeur, et lui montre, ce blanc qui conduit un noir. Et, ce qui est paradoxal à cette époque : cette situation du blanc qui est le chauffeur d’un noir,  est dans la structure même de ce film.

⇒  Cette époque était quand même terrible, et en fait, cela était il n’y a un demi-siècle.

⇒ J’ai senti dans le regard des ouvriers (lors de la scène de la panne) de l’hostilité. Il rompt quelque chose, il est comme eux, et en même temps, il est différent ; eux, sont pratiquement restés esclaves, alors que lui il « s’en est sorti ». Cette scène est très forte.

⇒  Ces deux personnages sont beaux, ce sont de belles âmes, (si je peux employer ce terme devenu un peu grandiloquent). De fait, il est pur Toni : il refuse d’être augmenté, il est tellement franc, que lorsque dans l’entrevue d’embauche, Doc lui demande s’il a déjà conduit, il répond –  » oui ! J’ai conduit les camions poubelles. »  Ça devrait le desservir, mais c’est le contraire, ça montre sa franchise.

⇒  J’ai trouvé nombre de scènes émouvantes, où l’on voit le lien d’amitié se développer, comme dans la boîte de nuit, où Doc dit : « – Je vais jouer si tu me le demandes. » L’opposition du noir et du blanc est dépassée, il a là une forte expression d’humanité !
Et après la scène de la boîte de jazz: Doc se lâche « Je devrais faire ça plus souvent «  »
C’est Toni qui le révèle à lui-même.

⇒  La scène qui m’a le plus émue, c’est lorsque Doc dit, qu’il est à la fois rejeté par les blancs, et également rejeté par les noirs, il dit : « – je ne suis pas assez blanc, je ne suis pas assez noir ». Et cela me parle énormément en tant que métisse ! Ce sont des questions que l’on se pose souvent, et j’ai trouvé cela vu très justement, comme par exemple lorsq’ il va jouer dans la boîte de jazz, où il se trouve confronté à deux mondes. C’est un beau moment.

⇒  Lorsque Toni le récupère après une aventure, aventure homosexuelle, Toni ne porte pas de jugement, et a Doc qui veut le questionner sur ce qu’il pense alors, il répond, – j’ai travaillé dans les boîtes de nuit, je sais que la vie est difficile ! Et il n’ajoute rien. C’est le respect de l’autre dans ses différences.

⇒  Le moment que j’adore, c’est la scène du « fried chicken ». la pub du resto de route annonce : « c’est  meilleur avec les doigts » ce que fait Toni, mais lorsqu’il veut forcer Doc  à y goûter, celui dit mais, – je n’ai pas de couverts. Toni arrive à lui en faire manger, et avec les doigts, le personnage guindé se lâche, et il jettera même les os par la fenêtre imitant Toni.
En fait Doc fait évoluer Toni pour faire de cet homme un peu rustre, un être plus évolué. Et à son tour, Toni, va faire sortir Doc de sa tour d’ivoire, lui disant, – le monde c’est comme ça.
Il lui dit même ; qu’il y a un monde qu’il ne connaît pas, qu’il vit hors de ce monde,
 » – moi, je vis avec les gens, moi, je suis plus noir que vous ».

⇒ Chacun dit à l’autre, – vous avez des a priori, et tour à tour, ils vont faire tomber ces a priori, et peu à peu se crée ce lien d’amitié, qui se voit surtout dans une fin émouvante. La dernière scène est magnifique, ce fut pour moi, le plus grand moment d’émotion.

⇒ Le moment de leur rencontre est aussi une scène forte ; la surprise de découvrir des personnages si différents d’eux-mêmes. Il y a une justesse dans les propos, c’est le début de ce couple anachronique.

⇒ Tony a des finesses dans sa grossièreté.

⇒ Je ne connaissais pas l’existence du guide « green book », et je ne savais pas que c’était une histoire vraie.

⇒ Moi aussi, j’ai découvert cette horreur du guide pour les personnes de couleur.

⇒ Ce guide était un peu comme un « guide Michelin » bien particulier. Son nom complet était : «  The Negro Motorist Green Book » ; Mais aujourd’hui avec ce genre de film on découvre ce qu’était le ségrégationnisme aux USA il y a peu, et aussi,  on constate le silence de nos médias, alors, sur ce sujet. Toujours le modèle « American dream », mais on ne peut, on ne doit pas juger les Américains  des Etats-Unis, qu’à partir de cela.

⇒  Ce n’est que le 2 juillet 1964 qu’a été abolie la ségrégation raciale. Un peu plus d’un demi-siècle, c’était hier si on y pense ! Les lois ségrégationnistes étaient encore en vigueur dans certains Etats du sud, en 1964.

⇒ Si on regarde bien dans un contexte plus actuel on voit que lors de l’élection de Barack Obama, ce sont les Etats du sud, Alabama et autres Etats, qui n’ont pas voté pour Barack Obama. Ce sont surtout les grandes villes qui sont plus ouvertes au monde.

⇒  J’ai aimé le coup du verre sur le piano. Doc dit parlant des différents pianistes :  » – on n’imagine pas Arthur Rubinstein, jouant avec un verre sur le piano, »  et lorsqu’il se décide à aller au piano dans la boîte de jazz, la première chose qu’il fait, est de prendre le verre qui était sur le piano, et de le poser à terre. Il y a plein de scènes comme cela en clin d’œil.

⇒  On voit lorsqu’ils reviennent dans le nord le comportement très différent de la police, on a changé de mentalité.  La ségrégation c’était le sud, pas le nord, ce qui est à considérer dans notre jugement.

⇒ Le passage des lettres est succulent. Tony ne sait pas parler d’autre chose que de ses hamburgers, ou des pâtes qu’il mange. Et ses premières lettres sont pleines de ratures, pleines de fautes, l’horreur. Peu à peu sa femme voit arriver des lettres qui sont beaucoup plus romantiques, et Toni a compris la tournure des phrases pour ces lettres à sa femme. Dans la dernière scène lorsque Doc est accueilli chez Toni pour le réveillon, la femme de Toni lui glisse à l’oreille : –  » merci pour les lettres »

⇒ C’est un beau conte de Noël, finalement.

⇒  Oui, ce road moovie est un conte de Noël, et une leçon de morale, d’humanité. C’est en même temps, un voyage initiatique, pour, au-delà de leur différences,  connaître l’autre, pour se connaître, ils en reviennent eux-mêmes autres, différents  d’avant cette expérience.

The negro travelers Gren book

The negro travelers Gren book

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sommes-nous fâchés avec le progrès?

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

        Restitution du  22 mai 2019 à Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage. Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaud Simoné.

Introduction : Lors d’une de ses nombreuses interventions, le philosophe des sciences, Etienne Klein, a souligné la disparition du mot « progrès » dans les discours publics des hommes et femmes politiques. Cette « extinction » sémantique semble avoir eu lieu entre 2007 et 2012. En effet, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, tous les candidats font référence, dans des contextes ou situations souvent différents, au mot « progrès ». En 2012, plus personne. Et Etienne Klein de préciser que le terme « progrès » en tant que : «  déplacement au cours du temps vers un meilleur » a été remplacé par le mot « innovation ». Mais qu’est-ce à dire ? Ces deux termes ne sont-ils pas synonymes ? N’arrêtons-nous pas le progrès parce que, précisément, nous innovons ? Pourtant, progrès et innovation, plutôt que de marcher la main dans la main, s’opposent.
Tout d’abord, l’idée même de progrès nécessite la possession d’une philosophie de l’Histoire impliquant un projet collectif, ce que refusent l’individualisme de notre société, le culte du « moi d’abord », la sectorisation des revendications de tous ordres.
Pour faire sens, le progrès doit également s’accompagner de la configuration du futur qui se doit d’être, désirable et porté par un « temps bâtisseur ». Au lieu de cela, une logorrhée catastrophiste a remplacé l’espérance d’un avenir plein de promesses. Le futur se laisse coloniser par nos peurs, car on nous promet : « une collision sans précédent entre, d’une part, une maîtrise technologique et scientifique inégalée, la raréfaction des ressources, des menaces inédites concernant l’avenir de la planète, et la capacité des êtes humains à y assurer, sur le long terme, leur survie ».
Le temps n’est plus « bâtisseur », il devient « corrupteur » et nous entraîne dans l’agitation brownienne permanente de l’innovation qui rend l’idée de progrès impensable. L’innovation a trahi l’espoir en l’idée de progrès. On n’innove pas pour que le cours des choses s’améliore, on innove pour ne pas sombrer. On innove et nous avons cessé de prendre des risques, à une époque où vivre est beaucoup moins risqué que jadis.
Mais tout va-t-il si mal que ça ? Devons-nous céder aux sirènes envoûtantes des déclinistes ? Faut-il réhabiliter l’idée de progrès ?
L’idée même du progrès est fille des lumières et tel Prométhée, elle a de multiples avatars : progrès scientifique, social humain. Dans son livre : « Le triomphe des Lumières », Steven Pinker montre que l’humanité n’a jamais été collectivement aussi paisible et heureuse. Pour en arriver là, l’histoire des siècles passés fut animée par des moteurs extrêmement puissants, tels le rationalisme, les sciences et l’humanisme. La démarche scientifique nous a permis d’établir des connaissances qui ne peuvent être accessibles par une autre voie.
La science nous oblige « à penser contre notre cerveau » pour citer Bachelard et à nous débarrasser des préjugés et des croyances. Les grandes guerres, les épidémies de masse, et les terribles famines ne sont que des lointains souvenirs. L’humanité (et pas tout le monde, et pas partout) en a profité et on observe un recul à l’échelle mondiale de la grande misère. On constate que l’espérance de vie augmente, tandis que l’alphabétisme régresse partout sur la planète. Mais ces éclatantes victoires cachent sans doute un aspect paradoxal plus sombre. La diffusion du progrès demeure extrêmement inégale nonobstant l’idéal des lumières pour qui le progrès se doit de profiter au genre humain tout entier. L’accès à l’énergie nécessaire pour se nourrir, se soigner, s’éduquer demeure très disparate selon les populations.
Quand Descartes déclare en son temps que l’homme doit : «  être comme maître et possesseur de la nature », il ne se rendait pas compte que le progrès malgré ses multiples succès, pouvait être également son propre fossoyeur.
Les progrès techniques et l’avènement des démocraties libérales ont certes été, à ce titre émancipateur pour Homo sapiens, mais ils s’accompagnent de leur lot de pollutions, de marchandisation, d’individualismes, et de frustration, alors même qu’ils ne sont pas universalisables car la nature ne nous a pas donné son autorisation,  et que notre planète ne le supporterait pas.
Pour Etienne Klein : « L’idée de progrès est à la fois consolante et sacrificielle. Elle nous permet de rendre l’Histoire «  humainement supportable ». Mais pour voir un advenir un futur désirable, il faut travailler et par conséquent, il nous faut être courageux ». Cela implique quelques sacrifices. La société actuelle en est-elle capable ? Peut-elle réactiver l’idée de progrès?
Dans son ouvrage : « De la démocratie en Amérique » Tocqueville déclare que : « l’individualisme  est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables, et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis, de telle sorte que, après s’être créé une petite société à son image, il abandonne volontiers la grande société à elle-même […] il est comme étranger à la destinée de tous les autres ». Narcisse a envahi la société comme écho à la précédente séance. Tout cela est-il compatible avec l’idée de progrès ? Le progrès n’a-t-il pas été cloué au pilori de l’individualisme ?
Méditons, pour terminer, cette phrase du philosophe Luc Ferry : « mettre en oeuvre l’idée de progrès, c’est accepter de sacrifier du présent  personnel au nom d’un futur collectif ». Nous ne devons plus jouir, ici et maintenant,  et ainsi, refuser « la vie de bohême ».
Nous nous sommes rendus amnésiques aux devoirs qui sont les nôtres et nous avons, au contraire, plébiscité le « j’ai le droit de ». Il est maintenant urgent de réhabiliter  les premiers, d’avoir confiance en nous et en les autres, afin de rétablir une véritable philosophie collective de l’Histoire.

 

 Débat   Débat : ⇒ On peut dire aujourd’hui que nous ne sommes pas vraiment fâchés avec le progrès, mais, pour certaines personnes, dont les personnes les plus âgées, ce progrès, j’entends progrès technologique va un peu vite. Si au bout de cinq ans je change mon téléphone qui est devenu un smartphone, il va me falloir galérer quelques semaines avant de tout remettre en place ; télécharger des programmes, en me méfiant des pièges qui veulent me faire passer par divers abonnements, et là parfois je ne suis pas loin de me fâcher.
On n’est pas fâché avec le progrès, on serait même très adaptable si l’on se réfère aux violentes réactions de rejet qu’on pu susciter des inventions de nouveautés dans les siècles passés.
Quelqu’un citait un exemple qui m’est resté : dans les années 1900 il y avait de plus en plus de voitures à cheval dans Paris, de plus en plus d’omnibus tirés par des chevaux, les gens s’inquiétaient vivement, Paris n’allait-il pas  disparaître sous tout ce crottin de cheval ? Aujourd’hui c’est haro sur la voiture, le diesel, un problème chasse l’autre
Le dictionnaire du Grand Robert de la langue française donne pour définition du progrès : « L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal) », et là, c’est une autre histoire. Nous allons de progressions en régressions, comme si on ne pouvait n’acquérir, accéder à des choses plus agréables, plus pratiques, plus efficaces, qu’en perdant certains aspects qui étaient pour certains, qualité de vie.
Le progrès technologique ne s’établit pas sur des considérations morales, il est du domaine de l’offre, bien en phase avec nos modèles politiques actuels. Dans son dernier ouvrage, «  21 leçons pour le 21ème siècle » Yuri Noah Hariri, écrit « Les philosophes ont des trésors de patience, les ingénieurs beaucoup moins, et les investisseurs sont les moins patients de tous »

⇒ Sans m’interroger sur les sens et les usages variés du mot « progrès » je peux tout de suite dire que je suis hostile (plus que réfractaire- qui signifie communément selon le petit Larousse, « qui résiste » qui refuse de se soumettre), à des innovations et des inventions techniques actuelles qui sont présentées (et sans doute voulues par leurs promoteurs) comme faisant progresser l’être humain vers l’autonomie, ou, une plus grande liberté d’action ou réduisant la dépendance.
En vrac: l’installation (innovante) de magasins entièrement automatisés, ouverts jour et nuit , présentée comme, permettant à chacun d’acheter quand il veut, sans contraintes d’horaires, et qui prétend donc, à égaliser (progrès sociétal de mode de vie) les situations des consommateurs.
Aujourd’hui 23 mai j’apprends que deux employés de la grande surface CORA sont licenciés, parce qu’ils refusent de travailler le dimanche: progrès sociétal, en conflit avec progrès social des conditions de travail.
Dans le même registre le développement des restaurants avec robots serveurs, et robots cuisiniers: ils n’augmentent pas mon plaisir de manger en étant servie par des machines, même si elles sont parlantes et souriantes.
Puis, l’invention de la GPA (gestation pour autrui) qui va être généralisée (progrès sociétal) pour tous (femmes célibataires, couples homosexuels genrés, et de tous les âges, après avoir été réservée aux couples stériles)
Puis l’invention à venir de l’utérus artificiel, qui fait progresser encore la possibilité d’enfanter, en la donnant et aux hommes et aux femmes m’apparaît, comme une déshumanisation de la relation d’enfantement.  Mais cette impression est peut-être liée à un manque d’habitude.
Puis l’utilisation innovante de robots pour permettre à des personnes âgées et solitaires, à parler à un « visage » de leur angoisse existentielle, et de leur peur de mourir, ne m’attire pas non plus mais peut-être est-ce par suffisance : croire qu’on ne sera jamais vraiment seul ?
Puis, dans le même registre et pour les mêmes raisons, l’existence des robots sexuels.
Et aussi l’enregistrement systématiquement numérisé de mes rencontres, de mes échanges, de mes déplacements,  fait pour augmenter la mémoire de ma vie privée…c’est aussi pourquoi je suis, dans un premier temps, réfractaire à toutes les nouvelles applications proposées chaque jour sur mon téléphone portable. Lequel contrôle à qui j’écris, ce que je fais,  et où je vais.
Je suis réfractaire par peur du Big Brother numérique. Aujourd’hui même j’apprends que les applications « qui n’ont pas été utilisées » vont m’être retirées !
Alors hostilité, résistance et peur aujourd’hui, face au progrès ? Malgré la reconnaissance de certains avantages dans la vie quotidienne – rapidité des messages à autrui, accroissement des savoirs et des savoir-faire, sensation du dépassement possible de la solitude ?
– Oui ! Parce que le mot « progrès » a deux significations.
1) Le mot « progrès « qui vient du latin progressus désigne tout simplement,  l’action d’avancer (le progrès d’une armée sur le champ de bataille, les progrès de la maladie dans le corps du malade = la progression).
2) Ce n’est qu’au 18ème siècle, avec la philosophie des Lumières, que le terme va acquérir la signification philosophique, d’évolution vers un état supérieur…..
Un des textes les plus représentatifs de la notion moderne du progrès est,  « l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1795) de Condorcet, encyclopédiste. Il passe en revue l’évolution de l’espèce humaine depuis les peuples pasteurs jusqu’à la République française, et arrive à la conclusion que la perfectibilité de l’être humain est infinie : « Le progrès des sciences et des techniques et le perfectionnement des lois et des institutions publiques sont inévitables, et l’avenir appartient à une espèce humaine affranchie de toutes les chaînes, marchant d’un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur »
Le mythe du progrès est-il dépassé aujourd’hui ?
Le contraire du progrès est le régrès (régression est contraire de progression). En langage politique depuis la Révolution française, avec le pamphlet contre-révolutionnaire du philosophe Burke « Considérations sur la Révolution française », s’opposent les « progressistes » et les « réactionnaires » (la réaction étant l’action en retour d’une force sur une autre force agissante). C’est le débat violent entre Voltaire et les Encyclopédistes majoritairement progressistes, et Rousseau, interrogatif sur les bienfaits des progrès techniques.
Aujourd’hui encore et au-delà de l’opposition gauche – droite (héritée encore de la Révolution française), s’opposent les progressistes et les réactionnaires ou conservateurs ou techno-sceptiques et il y a aussi les interrogatifs ou techno agnostiques …
Les progressistes soutiennent l’idéologie du progrès social lié au progrès des sciences et des techniques. C’est l’idéologie du « nouveau monde », libérale des Saint Simoniens : le progrès social grâce à l’administration rationnelle de l’organisation du travail reposant sur les techniques, ou, sur la richesse créée par la productivité des machines.
Ainsi la question posée « sommes- nous réfractaires au progrès ? » devient pour moi, la question de savoir quels progrès technoscientifiques et quels progrès quant à l’administration de la société, sont effectivement pour les individus, pour moi, des moyens d’agir sur notre propre devenir ?
On peut en discuter ensemble : experts, chercheurs, techniciens et usagers ou consommateurs et candidats aux élections … Hier, en France, c’était un philosophe des techniques Gilbert Simondon, qui soulignait, que l’action pour être progressiste dans tous les domaines et donc y compris dans celui des techniques, doit se soucier des critères de sa propre évaluation.    Aujourd’hui Cynthia Fleury, une philosophe, exerce aussi à l’Hôpital Sainte-Anne dans une chaire de philosophie pour chercher avec eux comment appliquer aux patients les plus vulnérables (les patients âgés, patients avec un handicap) les innovations techniques et technoscientifiques. Elle appelle cela «l’ingénierie du malheur ».
Et bien sûr il y a,  et il y a eu, les lanceurs d’alerte parmi les scientifiques chercheurs, et techniciens inventeurs, innovateurs… Et des comités de « sciences citoyen » »

⇒  Dans une définition d’un dictionnaire philosophique, je vois que « progrès » évoque une façon d’avancer, une marche en avant, une progression. Mais la progression peut ne pas aller que vers le bien, il peut y avoir progression vers le moins bien, vers le mal, comme une maladie qui s’aggrave, alors, c‘est une régression.
En revanche la définition du Petit Littré, parle de : développement des connaissances, des capacités, d’une ou plusieurs personnes dans des domaines divers. Et c’est là, où je rejoins l’idée émise dans l’introduction, que le mot progrès n’est pas toujours le bon mot, et que le mot innovation souvent conviendrait mieux.
Originaire d’un milieu rural, j’ai partagé les conditions de vie de mes parents, pas d’électricité, pas d’eau courante, etc. Ce qui permet de mesurer tout le progrès de ces cinquante dernières années.
Ce mot progrès, je le vois, comme le verre à demi plein, comme le verre à demi vide.
Dans cette troisième partie de ma vie, je constate que j’ai profité d’énormes progrès. Je pense à tous les mieux être, de la vie courante aux soins médicaux.

⇒  L’erreur que nous devons éviter, c’est la discussion du concept de progrès qui serait séparé de la réalité sociale et politique ; parce que le progrès serait comme une sorte de dieu laïc. Parce que le monde est progressiste.  Le progrès est lié à notre humanité, depuis nos origines animales, et par étapes successives nous en sommes arrivés là. Aujourd’hui cette progression se fait aussi dans la séparation conceptuelle, parce que de la science et de la technique, on peut dire, qu’elles montent par l’ascenseur, et la sagesse humaine, à peine par l’escalier.
Donc, il y a rupture de rythme dans notre société. Je suis plutôt en gratitude avec le progrès, pour des raisons déjà évoquées, (commodités, progrès médicaux, etc). Mais si l’on prend l’exemple de l’énergie atomique, elle est la cause du crime le plus atroce, Hiroshima. Le progrès va avec son contraire.
Alors dans quelle direction va t-on avec le progrès actuel ? La Chine qui se dit communiste, exerce un contrôle, personne par personne, et là c’est un attentat à la liberté individuelle, pas un progrès. Et tous ces progrès techniques posent la question : demain qui va dominer, commander le monde ? La Chine ? Les USA ? Quels moyens vont-ils utiliser à cette fin ?
Donc, le progrès des sociétés doit toujours être examiné dans toute son amplitude.

⇒   Qu’on le veuille ou non, on est tous plus ou moins pris dans ce système d’évolution, sinon on vit en total décalage, et souvent on n’a même plus le choix. On est bien obligé aujourd’hui d’avoir un téléphone portable, d’utiliser Internet, etc. on ne reviendra pas en arrière.
Comme beaucoup, le progrès et ses nouveaux outils me compliquent un peu la vie, et, en même temps, je dois prendre en compte qu’il y a, disons, une vingtaine d’années j’avais déjà un téléphone portable, petite chose de forme arrondie qui s’est transformée en smartphone, ultra plat. J’avais aussi, alors, un lecteur MP3 (un baladeur), j’avais un appareil photo numérique, j’avais un enregistreur vocal, un lecteur de CD, des cartes routières dans la voiture, puis un Tom Tom, un agenda pour mes rendez-vous, pour noter les anniversaires, une calculatrice, j’avais une radio-cassette avec plein de cassettes, j’avais un enregistreur/lecteur vidéo, et des piles de vidéo cassettes, et j’en oublie peut-être.
Et là, j’ai tout ça dans deux appareils, un smartphone et une tablette. Donc force est de constater d’admettre, que ça ne peut que me réconcilier avec le progrès. Tout en un,  moins d’appareil à gérer, à acheter, à remplacer, et de la place gagnée… Et peu à peu je vide des tiroirs où dorment ces appareils devenus inutiles et encombrants.
Tiens ! Je vous prends votre smartphone, et vous devez vous doter de nouveau, de tous ces appareils.
Je serais plutôt, technophile, je regarde avec intérêt, les infos « Geek » même si je ne suis pas « geek » (en l’occurrence : accroc à toutes les nouveautés technologiques), et là je vois parfois des découvertes géniales mais totalement inutiles, sauf, que cela peut déboucher sur d’autres applications, comme dans le domaine médical ; cela s’est déjà vu. Ces recherches en tous sens s’apparentent d’une certaine façon à la recherche fondamentale.
Si je devais revenir totalement au mode de vie des années 90 j’aurais le sentiment de vivre dans un pays attardé, et je ne m’y sentirais pas bien. Nous progressons en tant qu’individus en s’adaptant sans cesse aux progrès, ou, alors on peut perdre une certaine indépendance, et on finira par vivre à côté de ce monde.

⇒ J e pense que Condorcet qui vient d’être cité quant à cette notion de progrès, en avait une conception un peu naïve. C’est à dire, qu’il pensait qu’il y avait un entraînement presque automatique entre le progrès scientifique, technique, et le progrès social. On se rend compte que ce n’est pas vrai du tout.
Et bien sûr, je suis d’accord sur le fait qu’il y a un demi siècle, la vie était beaucoup plus précaire ; on mourait à tous les âges, aujourd’hui, globalement, on meurt âgé, on a tendance à l’oublier. La société comporte de moins en moins de risques. Par exemple, je n’aurais pas aimé avoir vingt en 1914.
Et concernant les risques inhérents au progrès, dans le livre d’Etienne Klein (déjà cité) il évoque  une anecdote qui m’a un peu éclairé. Il raconte qu’en 1842, quand le chemin de fer en est à ses débuts, a eu lieu, sur la ligne Paris/Meudon, la première grande catastrophe ferroviaire : 55 personnes ont péri, carbonisées. Les anti-chemin de fer, sont de suite, montés au créneau, et le député Lamartine (le poète) est monté à la tribune, et dans son discours, il a déclaré : «  Plaignons-les, plaignons-nous, parce que nous sommes en deuil, mais marchons ! ».
  On ne pourra jamais éliminer les risques, ou alors, on arrête la vie. La vie, c’est aussi prendre des risques.  Et n’est-ce pas ce qui donne un peu de sel à la vie, d’aller vers l’inconnu ?

⇒ Je pense qu’on peut, qu’on doit envisager les risques possibles faces à de nouvelles technologies. Par exemple, à cet effet, dans le domaine environnemental, a déjà été établi en 1992 à Rio, le « Principe de précaution » qui dit : «  En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue, ne doit servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Bien sûr, ce principe de précaution n’est pas toujours respecté, car comme nous l’a dit Youri Noah Hariri : « Les investisseurs sont plus pressés que les philosophes », lesquels investisseurs, préfèrent sans nul doute le principe de Gabor (dit aussi, Loi de Gabor), lequel dit : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable ».

⇒ Je reviens sur un propos précédent : – le progrès on ne le choisit pas, on le subit. Non ! (je dis non !) je ne suis pas d’accord. Si on a un smartphone qui remplace divers appareils, c’est un choix. Certains s’adaptent, d’autres pas. Nul n’est contraint, c’est aussi un choix de vie.
Je ne suis pas fâchée par rapport au progrès, je suis, comme je l’ai déjà dit, hostile, et pas seulement réfractaire, c’est parce que je dis que je peux poser des questions à ceux qui orientent la progression des recherches, des techniques et des applications.
Exemple. Jacques Testard, qui a participé via la fécondation in vitro, à la naissance du premier bébé éprouvette (Amandine), s’est rendu compte que cette technique entraînait la possibilité de créer ce qu’il appelle : « le magasin des enfants », (titre d’un ouvrage sous sa direction) et des couples, hétérosexuels ou pas, pourront acheter des enfants, « aux yeux bleus », « aux cheveux crépus »  « avec un potentiel de QI élevé » etc. Du coup, il s’est retiré de ce domaine de recherche.
Alors, oui, toute invention comporte des risques, on n’y est pas opposé, mais on est capable, comme les inventeurs eux-mêmes, d’alerter sur les risques et proposer aux citoyens : vous le voulez, ou, vous ne le voulez pas ?
Ou alors on laisse les lobbies, les groupes industriels, des gouvernements non démocratiques décider pour nous ! Et, enfin, je précise, qu’il ne s’agit pas pour autant de dire : – c’était mieux avant.

⇒ «  L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il sait » dit Paul Valéry ? C’est-à-dire quand se fait quelque chose sait-on toujours pourquoi on l’a fait. Exemple : à la fin des années 80 les chercheurs, des physiciens,  travaillant au CERN à Genève, ont bricolé un système pour s’envoyer, partager plus facilement des données scientifiques. Eux savaient dans quel but ils avaient fait cela, mais ils ne pouvaient imaginer ce que cela allait engendrer. Ils ont été dépassés.
Alors, on se plaint de nombre de progrès, mais qui, par exemple est à l’origine de la demande de « fermes de 1000 vaches » ? C’est le consommateur qui exige des produits de moins en moins chers. Il en va de même pour l’énergie, nous en consommons de plus en plus, on est entrés dans un système, alors qu’on ne sait pas où l’on va.
Et maintenant, si je dois donner mon avis sur telle nouvelle technologie, je ne suis pas expert. Qu’est-ce que je vais pouvoir dire là-dessus ?
Quand on discute de tout ça, il y a beaucoup d’idéologie, et peu de rationalisme. Le progrès, avec les valeurs qu’on y met, on y est entraînés, on ne peut pas s’en émanciper totalement. Même celui qui part élever des chèvres dans le Larzac, il a un téléphone portable, ne serait-ce que pour appeler si ses enfants sont malades…

⇒  Je reviens sur le propos qui nous dit que ce sont les consommateurs qui sont demandeurs de « progrès » comme les « fermes de 1000 vaches », pour, dans ce cas, avoir du lait de moins en moins cher. Je n’ai pas vu, et je ne pense pas voir baisser le prix du lait pour autant. Nous sommes là devant une démarche commerciale, une démarche de l’agro-alimentaire, des grandes surfaces, pour augmenter les marges, les résultats, pour grandir, acheter des entreprises, pour aller vers des quasi-monopoles, elles , oui, elles progressent…
Alors, on a posé la question : quelles sont les valeurs qui orientent les recherches ? Souvent ces valeurs, ne sont que financières, que boursières, parce que toutes ces nouvelles technologies c’est un énorme pactole, un pactole extraordinaire ! Voyez les GAFAM (Google – Apple – Facebook -Amazon – Microsoft).
Distorsion terrible, quand par exemple une start up de la Silicon Valley  avec 50 employés fait un chiffre d’affaire égal à celui de Peugeot qui emploie des dizaines de milliers de personnes
Que cela nous fâche ou pas, force est de constater, qu’il y a une distorsion terrible dans cette course des technologies, c’est de plus (cela a déjà été évoqué) un enjeu stratégique, non seulement de groupes, mais des Etats. Demain qui possédera : le plus de capital « matière grise », le plus de « DATA », le plus de technologies, sera économiquement, le maître du monde. Alors nos discussions à cette échelle ne  semblent-elles pas  « peanuts » ?

⇒ On doit, on peut toujours en débattre. La philosophie, ce n’est pas la passivité !

Œuvres citées.

Sauvons le progrès. Etienne Klein. Champs sciences. Poche 2019.
Le triomphe des Lumières. Steven Pinker. Les Arènes. 2018.
De la démocratie en Amérique. Tocqueville. 1830.
21 leçons pour le 21ème siècle. Yuri Noah Hariri. Albin Michel. 2018.
Le magasin des enfants. Sous la direction de Jacques Testard. Folio.Actuel. 1994.

Le moi est-il haïssable?

Alenzo y Nieto. Suicide. 1839. Museo romantico. Madrid

Alenzo y Nieto. Suicide. 1839. Museo romantico. Madrid

Restitution de la réunion du 24 avril  2019 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Thibaud Simoné.

Introduction : Cette question, très pascalienne, a été tournée et retournée dans tous les sens depuis plusieurs siècles et ce, par les plus grands penseurs. Alors, le Moi est-il vraiment haïssable ? Cette question traduit-elle une obligation ou une possibilité ? Le Moi peut-il ou doit-il se haïr en lui-même ou dans son rapport à l’autre ?
Ainsi, comme nous le rappelle Paul Valery avec sa pertinence coutumière, « Le moi est haïssable mais il s’agit de celui des autres » Mais le Moi, qu’est-ce à dire ? Un cogito ? Autrement dit une conscience unique, multiple et pensante sur fond de subjectivité. Nonobstant, le Moi peut tout à la fois être individuel ou collectif sans pour autant concerner le « tout ». La singularité du Moi constitue ainsi une « denrée pléthorique » pour reprendre la belle expression de l’écrivain Matt Ridley. En outre, le Moi ne peut-être séparé de l’Autre, son alter ego, lui-même se définissant comme Moi à part entière. Et Pascal de nous rappeler que le Moi « est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il veut asservir ; car chaque Moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres » et la rencontre avec l’Autre est toujours inévitable, parfois violente et riche en préjugés, comme nous le rappelle l’essayiste Tzvetan Todorov : « La première réaction, spontanée, à l’égard [de l’Autre] est de l’imaginer inférieur, puisque différent de nous : ce n’est même pas un homme, ou s’il l’est, c’est un barbare inférieur […] » Il ajoute : « Peut-on vraiment aimer quelqu’un si on ignore son identité, si on voit, à la place de cette identité, une projection de soi [ou du Moi] ou de son idéal ? »
Notre thèse principale étant de considérer le Moi et son Autre pour eux-mêmes et non en vertu de propriétés qui, à la manière d’un chausse-pied, les font entrer de force dans des catégories préétablies et dont les valeurs sont jaugées à l’aune de nos propres références mentales ou autres biais cognitifs rassurants.
En outre, ne devons-nous pas définir le Moi par ce qu’il fait et non par ce qu’il est ? Ne dit-on pas, à l’instar de Sartre que « l’existence précède l’essence ? » Nous ne pouvons que faire la triste constatation que l’idée même d’essentialisme implique de verrouiller définitivement la porte à toute idée de variation, donnée pourtant fondamentale à qui veut comprendre la réalité du monde tel qu’il se présente à nous. Si essence il y a, le désordre en constitue la véritable incarnation et il préexiste à l’ « arrangement » socratique et au cosmos harmonieux et clos sur lui-même des penseurs grecs de l’antiquité. « Le monde est sans bout, le centre est partout », ce n’est qu’un gigantesque mouvement brownien sans dessein et l’évolution en constitue la substantifique moelle. Les régularités ne peuvent s’expliquer par des considérations transcendantes issues du monde platonicien des Idées. Nous souhaitons à n’importe quel prix projeter sur l’écran de nos inconscients (dont le mur de la caverne constitue à mon sens une analogie) des images parfaites, inaltérables et rassurantes, en lieu et place de ces flammèches qui naissent, se tortillent, et finissent par mourir comme pour nous rappeler toute la précarité de nos existences. Les publicitaires et les annonceurs l’ont bien compris en mettant en scène dans des spots pour gogos et avec pour espoir de vendre des crèmes de « beautés » qui ne servent à rien, des êtres déifiés et éternellement jeunes. Que penser également de ces gens, qui font appellent aux tous derniers résultats des neurosciences afin de s’introduire par effraction dans le cerveau du consommateur pour lui promettre monts et merveilles ? Consommez et vous serez heureux ! En réalité, ce sont les gens heureux qui ne consomment pas.
Que penser également de ces mises en scène pathétiques où l’on assène avec brutalité aux jeunes adolescent(e)s de ressembler à telle ou telle « star » décérébrée de la téléréalité qui devient, ipso facto, le modèle, l’icône, le moule ? Le Moi individuel à son acmé ! Peut-on vraiment se réaliser en tant qu’individu face à ce matraquage permanent ? Que devient alors notre unicité ? Le Moi n’est-il pas phagocyté par lui-même ? Le Moi devenant Narcisse n’est-il pas comme ce batracien se prenant pour un bœuf qui ne cesse d’enfler comme pour masquer sa petitesse, son imposture. Le Moi devient de fait sa propre idole, il se déguise derrière un pseudo et contamine les réseaux sociaux déclarant vrai ce qu’il aime plutôt que d’aimer ce qui est vrai.
Le Moi n’est-il alors pas haïssable du simple fait de se refuser à lui-même ? N’est-il pas plus commode de paraître que d’être ? N’est-il pas plus aisé et moins dispendieux d’être aveuglé que lucide ? Le Moi ne doit-il pas penser à rebours de lui-même, là où se cache la pensée critique ? Finalement, ne pêchons-nous pas par paresse ? Paresse psychologique et intellectuelle encouragée par la publicité et les médias et faisant de nous des êtres ne pouvant se réaliser qu’à travers la possession. Claude Lévi-Strauss, un de nos grands penseurs du XXème siècle, avait vu juste dans « La pensée sauvage » quand il affirme que « chaque civilisation [chaque individu] a tendance à surestimer l’orientation objective de sa pensée ».
En outre, comme il nous l’explique, l’humanisme le plus pertinent consiste à voir et à appréhender le monde dans son ensemble pour finir par se considérer soi-même et non l’inverse, travers que nous empruntons bien trop souvent.
Pourtant, nous devons tous être conscients que « l’observation des autres implique le décentrement de soi », comme Claude Lévi-Strauss, nous le rappelle encore, notamment dans son ouvrage essentiel « Race et histoire » que je me permets de citer : « Une première constatation s’impose : la diversité des cultures humaines est, en fait dans le présent, en fait et aussi en droit dans le passé, beaucoup plus grande et plus riche que tout ce que nous sommes destinés à en connaître jamais […] La notion de la diversité des cultures humaines ne doit pas être conçue d’une manière statique. […] » Ainsi, toute culture est le résultat de nombreuses hybridations faites d’emprunts, d’ajouts, de mélanges. Pourtant, bien que ces échanges, qu’ils soient culturels ou biologiques, soient constatés et avérés, nous tendons naturellement vers l’ethnocentrisme, piège gravitationnel déformant notre « espace-temps humain » qui nous pousse à déclarer presque d’une seule voix « le barbare c’est l’autre ! »
Ainsi certains peuples ont voulu imposer les lumières de leur civilisation aux autres peuples, ont voulu combattre « pour la perfection d’autrui, plutôt que de soi ». Comme le précisait Gaston Bachelard, « la lumière projette toujours des ombres » et c’est toujours au nom du bien que l’on fait le mal. Quand le « Moi collectif » et politique impose la liberté, n’y a-t-il pas contradiction dans les termes ?
Pour autant, malgré des heures sombres qui ponctuent notre histoire, il est utile voire indispensable de ne pas tomber dans une sorte « d’identité malheureuse ». Le devoir de mémoire, si tant est que la mémoire est un devoir, ne doit pas nous conduire à une auto flagellation permanente. Mais enfin, le Moi n’est-il pas un roi nu, invisible à lui-même, acteur principal d’une farce ubuesque et réclamant force bienveillance pour lui-même et envers lui-même ? Rappelez-vous la métaphore de la poutre et de la paille de l’évangile selon Matthieu. Pourtant « dans les rapports humains, la bienveillance a, bien évidemment sa place. Mais la bienveillance, érigée comme principe peut s’avérer extrêmement nuisible. Elle peut ainsi conduire à prendre en compte toutes les différences individuelles, les singularités de chacun et ainsi, par ce truchement, pulvériser les notions de communauté et d’égalité. A chacun alors, selon ses plaintes, ses besoins, ses victimisations. » , ainsi que le souligne le philosophe Yves Michaud. Elle est ainsi une manière de nous aveugler à la réalité du monde et d’acheter à un prix exorbitant la paix sociale en éloignant l’individu de ses responsabilités et en poussant la communauté à, systématiquement, réparer et assumer ses erreurs. Elle engendre des individus mués par un narcissisme exacerbé et ne supportant plus la frustration. Cette bienveillance totalitaire s’est muée en complaisance qui garantit la susceptibilité du Moi, devenu extrêmement chatouilleux à la moindre critique, et ne supportant plus le débat d’idées.
Enfin, si l’on en croit le physicien Albert Einstein « l’authentique valeur d’un homme [se mesure] d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son Moi ? »
Dans ces conditions, peut-être viendra le temps de la grande réconciliation… Celle des autres et du Moi et du Moi envers lui-même. Mais le penser n’est-ce pas là plutôt la grande utopie ?

Débat

 

 Débat : ⇒ Qui s’examine, qui consulte son moi profond, et y trouve une blanche colombe, à celui-là, à celle- là, je lui tends son auréole. Je connais la part noire qui est en moi, j’en connais la part de bonté, et d’amour des autres : « Être humain, c’est savoir pardonner aux hommes de n’être que ce qu’ils sont »  (Essais § 13). Depuis longtemps je fais mienne cette généreuse maxime. J’ai, avec les années appris à mieux me connaître, comme à connaître les autres, et cela m’amène tant à leur pardonner de ne pas être parfaits, que me pardonner d’être loin d’être parfait.
Vouloir l’homme, la femme, parfaits, est une démarche sans issue. C’est celle d’Alceste, le misanthrope, qui par trop d’exigence, par l’amour de l’être qu’il voudrait parfait, entité inaccessible, le punit,  en le montrant haïssable. Mais Alceste se déteste lui-même, ce qui nous rappelle que la haine des autres, entraîne, aussi, la haine de soi.
J’ai du mal à ressentir de la haine pour mon prochain, et charité bien ordonnée j’ai encore plus de mal à ressentir de la haine de moi-même. Il faut être un illuminé comme Pascal pour émettre cette idée.
Comment Pascal, croyant comme il l’était, pouvait-il à ce point haïr  la créature qui suivant sa religion est crée par son Dieu ?  Dans le propos du moi haïssable (cité dans l’introduction)  lequel est un dialogue,  Pascal parle du Moi qui n’est nécessairement lui (son Moi, en quelque sorte) et il parle du Moi de chacun, et ceci avant Freud et les trois instances du « Moi ».
Bien sûr qu’il se veut parfois être dominateur, ce « moi », et alors vouloir asservir les autres, en être le tyran,  alors oui, celui-là est haïssable.  Mais c’est bien là dans l’esprit de Pascal qui ne voit que l’homme mauvais. Pour un religieux illuminé, un croyant d’une religion qui prône l’amour de l’autre, Pascal est une sorte de terroriste de sa religion.
Et sur ce thème du « moi haïssable », on peut retenir (du même Pascal) quelques pensées toujours dans ce sens (pensées pour le moins haïssables) : « La vraie et unique vertu est de se haïr. » (Fragment 485/564) Ou : « Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi. » (Fragment 373) … Et enfin, cette autre pensée : « Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu, il est nécessaire que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste. » (Fragment 429/205).
Tous ces prêcheurs de vertu ont fait le malheur du monde.
La haine de soi pour être aimé d’un dieu, me semble être une grosse névrose. Cela nous a donné le port du cilice, ceinture autour des reins en poils de chèvre, ainsi que les flagellations, des actes d’auto-mutilation, les mortifications, mot qui vient du latin « mortificare » (faire mourir). « Si vous vivez suivant la chair, vous mourrez » dit saint Paul,  c’est pour lui, faites mourir les besoins, les désirs du corps et vous vivrez.
Je conclus cette première intervention avec cette formule : « Il n’est de pire haine que la haine de soi, car elle vous interdit d’aimer les autres » (Jean-Michel Goldberg)

⇒ La personne que je connais le mieux, c’est moi, et ce moi n’est que la somme de mes expériences, de mes lectures, des autres, etc… Il ne peut être haïssable, ceci dans le sens où je sais me mettre à la place des autres, par exemple quand ils ont fait une grosse bêtise. Ce sont les philosophes, comme Montaigne, Spinoza et Diderot, qui m’ont aidée à me forger ce « moi » tolérant et libre à la fois.

⇒ Freud nous dit qu’il y a trois instances de notre personnalité. Le « ça » qui manifeste ses pulsions, ses désirs directs dès l’enfance. Et c’est à l’éducation des parents qu’il revient de contenir, de contrôler ses pulsions, apprendre à l’enfant qu’il n’existe pas seul, c’est là que commence à se construire le « surmoi ». Et il se crée le « moi » médiateur entre ces deux instances, celui qui aussi définit les interdits.

⇒ Est-ce que ce serait ce « surmoi » ce « petit juge » qui peut amener la détestation de soi jusqu’à la haine de soi ? Et de là peut être amener jusqu’au suicide.
La question primordiale reste : comment quelqu’un peut-il en arriver à se haïr ? Se « désaimer « jusqu’à ce point ?

⇒ On est dans l’approche psychanalytique, on ramène tous ces concepts comme si c’était des outils. Le « surmoi » c’est le régulateur, le « moi » le médiateur, face au « ça » qui est enfoncé dans ses pulsions animales. Mais avec ces outils, on oublie l’identité. Les gens qui sont éducateurs dans des quartiers « difficiles » ne parlent jamais du « moi ». Au-delà des outils de psychanalyse, les gens qui s’aiment ou qui ne s’aiment pas, ça passe par : est-ce que je me reconnais une identité ?
Et le travail des ces éducateurs, ça consiste à essayer de faire comprendre à ceux qui ne s’aiment pas qu’ils ont une identité. Identité sur laquelle ils peuvent jouer bien sûr, pour, premièrement : la mieux voir ou la modifier, ce qui modifie le regard des autres, et là on rejoint l’aspect collectif. C’est que l’identité individuelle ne se forge pas que par rapport à soi-même, avec les outils de psychanalyse cités, mais elle se forme aussi par rapport au regard des autres.
Et quand on pose la question de, pourquoi y en a-t-il qui se haïssent, d’autres qui s’aiment, Je pense qu’il ne faut pas oublier la notion de : est-ce que je me reconnais une identité ? Est-ce que les autres me reconnaissent une identité ?
Freud a fait une analyse qui est de la mécanique du fonctionnement de l’Être, psychanalyse qui marche ou pas. La première analyse que Freud a faite, la « nana » s’est suicidée, s’était-elle haïe encore plus ?

⇒ Je me demande comment l’enfant qui a vécu dans un milieu protégé, lorsqu’il rencontre le monde avec ses prédateurs, va construire ce « moi », et comment vont s’arranger ces trois instances. Comme se construire, être réel ? Comment ne pas montrer un « faux-moi », et de là ne plus être très crédible à soi-même.

⇒ D’une certaine façon on est tous en représentation à des degrés différents. Mais qui peut se targuer de connaître vraiment le « moi » de l’autre ? Personne ! Même je pense qu’après des décennies de vie commune, il y a toujours des zones d’ombre. Zones qui ne sont pas forcément dissimulées à dessein. Et je pense que c’est tant mieux, parce que c’est un mécanisme de protection, je pense même que c’est un gage de survie de ce « vrai nous ».
Et je me demande si les gens qui traînent les coups reçus par les « prédateurs » ne sont pas aussi ceux qui n’ont pu se débarrasser du « moi » de l’enfance. On en revient à cette phrase (déjà citée) d’Einstein qui nous dit : « L’authentique valeur d’un homme se mesure d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son moi ? »

⇒ J’ai retenu cette notion du « faux-moi ». Je pense que tricher avec soi-même, à moins d’avoir un énorme ego, ça peut générer à terme, la mésestime de soi. Mais ne pas tricher, obéir au « surmoi », cela a un prix, cela peut coûter cher, cela peut faire obstacle à ce qui aurait été une réussite financière. Mais « le petit juge » est là, il veille à ton intégrité, sinon, plus tard quand tu vas te rencontrer, tu vas changer de trottoir.
Et je reviens sur Pascal, lequel aurait pu être aujourd’hui un bon dialecticien de l’embrigadement terroriste.
Les recruteurs avec leur manipulation du langage, expliquent à des esprits simples comment en trahissant leur religion, ils doivent devenir purs, se racheter : « Ne vous étonnez pas » écrit Pascal dans les Pensées  « de voir des personnes simples croire sans raisonner. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes ». Trahissant leur religion, ils se trahissent eux-mêmes, ils trahissent leur famille (tous les musulmans), ceci en buvant de l’alcool, en fréquentant ; des filles « mécréantes », en se laissant européaniser. Il s’ensuit culpabilité, jusqu’à la haine de soi, qui appelle un rachat, (comme chez Pascal) jusqu’au rachat par le sacrifice. Vous trouverez toute cette sémantique dans des vidéos racoleuses sur YouTube.
La haine, haine de soi, passion triste est un bon filon à exploiter, pour amener des gens à des actions punitives pour satisfaire sa propre haine, car ses prédicateurs de malheur eux ne se font pas martyrs.

⇒ Dans le livre d’Einstein « Comment je vois le monde » celui-ci explique qu’il n’existe pas seulement en tant que créature individuelle, mais « je » se découvre membre d’une grande communauté humaine. Cela rejoint cette idée de la valeur du « moi » : «…à quel degré et dans quel but l’homme se libère de son moi ».Et c’est intéressant si nous regardons plus que le « moi » personnel, mais le « moi » social.

⇒ On parle d’un « surmoi » mais l’animal social vit dans un « surnous » que nous impose la société, avec ses interdits, avec ses tabous. C’est : je ne peux pas faire ceci, je ne peux faire cela, ce n’est plus que le « surmoi » qui nous interdit, c’est le « surnous ». C’est tellement ancré en nous qu’on ne se pose plus la question du pourquoi de l’interdit. On se construit d’une façon qui ne nous va pas toujours. Ainsi j’ai un ami homosexuel à qui on ne cesse de casser les pieds avec une notion de famille, cela finit par le traumatiser. L’interdit collectif peut entraîner une certaine mésestime de soi. On en revient à une identité reconnue et acceptée ; acceptée par soi et par la collectivité. Si on ne trouve pas comme se positionner, on peut en venir à haïr les autres, et à se haïr soi-même.

⇒ Dans le prolongement de ce propos, je pense aux adolescents, adolescentes, qui se découvrent homosexuels (les) et qui se suicident parce que la société impose ses normes, et ils se disent, je ne vais pas être accepté(e) par la société, dans ma famille, cette identité va m’être refusée. Cette haine du différent qui peut entraîner haine de soi, est parfois un drame.

⇒ Je me demande si chez le criminel qui trouve plaisir à tuer, ou comme chez certains  pédophiles qui jouissent de la souffrance de leurs victimes, il n’y a pas là dans  cette pulsion du mal, le vrai « moi haïssable » ?

⇒ Les personnes qui ne peuvent surmonter un viol, peuvent avoir ce sentiment de haine de soi. Sentiment d’avoir été salis (es), et de là ne plus pouvoir s’accepter.

⇒ La haine de soi peut découler d’un sentiment de ne pas être aimé. Si l’on ne m’aime pas, c’est parce que je ne mérite pas d’être aimé.
Et le chantre de la haine de soi s’appelle Cioran, philosophe d’origine roumaine mort à Paris en 1995.  La listes des ses principaux livres est révélatrice :
« De l’inconvénient d’être né »  – « La tentation d’exister »  –  « Sur les cimes du désespoir »
Si vous lisez les œuvres de Cioran, vous n’en sortirez pas forcément indemnes, les œuvres de Cioran devraient être vendues avec un tube de barbituriques. Quelques extraits pour illustrer :
« Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance… »
« … se suicider c’est le geste d’un optimiste »
« Déçus par tous, il est inévitable qu’on arrive à l’être par soi-même, à moins qu’on ait commencé par là ».  (Aveux et anathèmes. 1987)
« Plus nous avons le sentiment de notre insignifiance, plus nous méprisons les autres, et ils cessent même d’exister pour nous quand nous illumine l’évidence de notre rien. Nous n’attribuons quelque réalité à autrui que dans la mesure où nous n’en découvrons pas en nous-mêmes »  (La chute du temps. 1964)
Et je ne résiste pas à citer cette dernière : « Ma mission est de tuer le temps, et la sienne de me tuer à son tour. On est tout à fait à l’aise entre assassins » (Ecartèlement. 1979)

Diderot, l’esprit des Lumières

Denis Diderot, par L.M. Van Loo. 1767. Musée du Louvre.

Denis Diderot, par L.M. Van Loo. 1767. Musée du Louvre.

       Restitution de la réunion du  27 mars 2019 à Chevilly-Larue

Animateurs, animatrices : Edith Perstunski-Deléage, philosophe – Danielle Pommier Vautrin  – Serge Carbonnel – Thibaut Simoné – Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon

Biographie de Diderot (Danielle)
Premières années de bohême.
Denis Diderot naît le 5 octobre 1713 à Langres, au sein d’une famille de la bourgeoisie aisée. Son père coutelier le pousse à suivre des études auprès des Jésuites, convaincu qu’une carrière ecclésiastique conviendrait à son fils. Diderot, lui, n’y voit pas d’objection et pense lui-même être sur la bonne voie. Aussi, il se rend à Paris pour approfondir ses enseignements. Entre philosophie, théologie et droit, tout l’intéresse. Il obtient le titre de maître es art en 1732.
Au sortir des études, Diderot réalise finalement que la prêtrise ne lui convient pas. Il tente alors de gagner sa vie selon les opportunités, tantôt précepteur, tantôt employé d’un procureur. Avide de savoir, il apprend l’anglais, les mathématiques, les langues anciennes. C’est ainsi qu’au rythme d’une existence bohême, il croise la route de Rousseau, avec qui il se lie aussitôt d’amitié. Durant cette même période, il tombe sous le charme d’une jeune lingère, Antoinette Champion, qu’il épouse sans le consentement paternel et dont seule une fille survivra Marie-Angélique.

Premiers écrits : matérialisme et athéisme
Suite à sa rencontre avec Rousseau Diderot est bien décidé à prendre la plume. D’abord traducteur, il est aussi amené à rencontrer Condillac. Au fur et à mesure qu’il nourrit son esprit, ses pensées évoluent vers l’athéisme.. Déjà avec Pensées philosophiques, en 1746, il tend vers la notion de déisme et de religion naturelle. Ce premier ouvrage est aussitôt condamné. Lorsqu’il écrit Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, la dernière étape vers l’athéisme est franchie.
   Ainsi, Diderot y avoue sans réserve un matérialisme athée qui le conduit directement à la prison de Vincennes en 1749. Les quelques mois qu’il y passe s’avèrent une expérience douloureuse et dès sa sortie, il abandonne l’idée de publier la totalité des ouvrages qu’il écrira. Toutefois, il ne démord pas de ses positions philosophiques. Selon lui, le monde, la vie, la pensée appartiennent à la matière et évoluent seuls, par une sensibilité universelle et sans aucune intervention divine. Il se distingue alors du matérialisme mécaniste de La Mettrie, d’Holbach ou d’Helvétius.

Du drame au critique d’art
Denis Diderot ne peut concevoir l’existence sans écrire. Aussi s’adonne-t-il au théâtre avec le Fils naturel
, rédigé en 1757, mais joué seulement des années plus tard. S’ensuit dès 1758 le Père de famille. Dans ces nouvelles œuvres dramatiques, Diderot entend bien s’éloigner de la tragédie classique pour laisser place au drame domestique bourgeois. Pour lui, la prose naturelle doit supplanter le vers. Mais ses réalisations ne remportent pas un franc succès. Au cours de cette période, Diderot et Rousseau se fâchent définitivement.
    Tout en assumant la lourde tâche de l’Encyclopédie (qu’on lui a confiée en 1747), Diderot fréquente les milieux savants et artistiques. Il ne peut alors s’empêcher de mettre sur papier ses ressentis et analyses face aux œuvres et ouvrages qu’il découvre sur son chemin. Ainsi, dès 1759, il publie dans la Correspondance littéraire de Grimm son premier Salon, ce qui fait de lui l’un des fondateurs de la critique d’art. De plus, en parfait esthète, Diderot accorde une grande importance à l’art dans son Encyclopédie.

L’Encyclopédie
L’Encyclopédie, justement, vient d’être interdite suite à la publication de l’Esprit, essai philosophique d’Helvétius qui heurte considérablement l’Église. Diderot, travaillant à ses critiques d’art, n’entend pas abandonner un projet qu’il affectionne et pour lequel il se démène depuis 1747. D’Alembert ayant renoncé, il poursuit seul sa tâche. Selon lui, il est indispensable de diffuser le savoir à tous. C’est là le seul moyen de contrer l’intolérance et de promouvoir la raison, d’autant plus qu’il ne s’agit pas seulement de rassembler les connaissances mais aussi de leur apporter le souffle philosophique de l’époque. Ainsi, Diderot s’attelle à la rédaction des dix derniers tomes de l’ouvrage monumental. Publiés en 1766, ils laisseront un goût d’amertume à son principal auteur, trahi par son éditeur qui le censure à plusieurs reprises. Toutefois, l’ouvrage n’est pas tout à fait terminé. Diderot publiera encore un volume de planches en 1772 ainsi qu’un supplément à la fin des années 1770.

Œuvres narratives et dialogues philosophiques
   Le projet encyclopédique touchant à sa fin, Diderot peut se consacrer à d’autres formes d’écriture. Au cours des années précédentes, il avait déjà commencé la rédaction de quelques œuvres narratives importantes, sans pouvoir les achever. C’est le cas par exemple de la Religieuse, du Neveu de Rameau, ou de Jacques le Fataliste. Enfin, il a le temps de les remanier et de les terminer.
   Finalement, que ses œuvres soient publiées ou non, peu lui importe. Diderot est un philosophe pour qui l’écriture est un dialogue interne qui permet de façonner ses pensées. Ainsi, il retrouve ses préoccupations sur l’origine de la vie dans le Rêve de d’Alembert (1769) et sur la morale dans Supplément au voyage de Bougainville (1772, publié en 1796).

Voyages et vieillesse
   À partir de l’été 1773, Diderot se rend à La Haye avant de rejoindre l’impératrice russe Catherine II à Saint-Pétersbourg. Des années plus tôt, celle-ci lui avait acheté sa bibliothèque et lui en avait laissé le bénéfice. Il l’en remercie en apportant ses lumières sur l’éducation en Russie. Ses voyages finissent toutefois par le fragiliser et, de retour à Paris, il écrit de moins en moins.
   Parmi ses dernières œuvres figurent Paradoxe sur le comédien (1773-1778, publié en 1830), Entretien avec la maréchale (1776) et Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778). En 1781, il écrit sa dernière œuvre dramatique : Est-il bon ? Est-il méchant ? Vieux et malade, il abandonne l’idée de publier la totalité de ses ouvrages inconnus. Sophie Volland, sa maîtresse bien-aimée qu’il fréquente depuis 1756 et avec laquelle il a échangé une correspondance remarquable, meurt en février 1784. Diderot s’éteint le 31 juillet suivant, à l’âge de 70 ans.
   Mal connu de ses contemporains, tenu éloigné des polémiques de son temps, peu enclin à la vie des salons et mal reçu par la Révolution, Diderot devra attendre la fin du XIXe siècle pour recevoir enfin tout l’intérêt et la reconnaissance de la postérité dans laquelle il avait placé une partie de ses espoirs.
   Ainsi, cet homme destiné à la prêtrise a emprunté une toute autre voie, guidé par sa soif de savoir et ses convictions philosophiques. Cette voie a fait de lui l’un des plus grands représentants des Lumières et son œuvre, dans laquelle l’Encyclopédie ne peut se dissocier de ses autres productions, reste l’une des plus importantes de la littérature française.

Denis Diderot : quelques dates-clés

5 octobre 1713 : Naissance de Denis Diderot
1 septembre 1732 : Diderot est maître es art
1 janvier 1742 : Diderot rencontre Rousseau
6 novembre 1743 : Mariage avec Antoinette Champion
1 janvier 1746 : Les « Pensées philosophiques » sont brûlées
Le Parlement de Paris condamne l’œuvre de Diderot, intitulée « Pensées philosophiques », à être brûlée en public.
1 octobre 1747 : Le projet de « l’Encyclopédie » est lancé
24 juillet 1749 : Diderot est emprisonné à Vincennes
7 février 1752 : L’Encyclopédie est censurée
1 janvier 1756 : Rencontre avec Sophie Volland
1 janvier 1757 : Composition de la pièce « le Fils naturel »
1 janvier 1759 : Diderot participe à « la Correspondance » de Grimm
3 septembre 1759 : Le pape Clément XIII condamne l’Encyclopédie de Diderot
1 janvier 1760 : Diderot commence la Religieuse
1 janvier 1762 : Première ébauche du « Neveu de Rameau »
 janvier 1765 : Les premiers traits de « Jacques le Fataliste »
1 août 1769 : Diderot écrit « le Rêve de d’Alembert »
1 janvier 1772 : Parution du « Supplément au voyage de Bougainville »
11 juin 1773 : Diderot part pour la Russie
31 juillet 1784 : Mort de Diderot

        Contexte politique et social, et, Diderot le génie mal aimé (Guy)
 Diderot, agitateur d’idées de ce 18ème siècle, philosophe, romancier, dramaturge, conteur, critique d’art, maître d’œuvre de l’Encyclopédie, cette plume incomparable, parfois même au service de ses amis, est (dira Michelet) : « le Prométhée du siècle des lumières ».
Il est celui qui va apprendre inlassablement pour faire savoir, pour éclairer (sans jeu de mots particulier) les esprits de ses contemporains.
   Et ce n’est pas une mince affaire, ce n’est pas sans risque que de dire, d’oser dire, car la monarchie et tous ceux qui y sont attachés sentent que ce modèle vacille. Alors le pouvoir se fait plus dur, celui-ci tente de mettre le Parlement « au pas », et contrôle sévèrement tous les écrits.
   La censure est plus active que jamais, des mouchards sont infiltrés partout, on s’en méfie dans les lieux d’expression ; dans les salons, ou, comme au Procope où des hommes de lettres se réunissent souvent après les spectacles, des mouchards y ont leur table. C’est la chasse aux écrits, aux publications qui remettraient en cause les deux pouvoirs : du temporel à l’intemporel ; et qui attaque l’Eglise, alors, attaque le roi.
   A la Chancellerie, administration chargée de la censure, et donnant autorisation ou non de publier, une soixantaine de personnes contrôlent en permanence les écrits. Et il existe parallèlement un  cabinet du secret des postes, dit aussi « cabinet noir », lequel surveille tous les courriers ; ce qui fera dire à Voltaire,  toujours prêt à une flèche d’humour : «  Jamais le ministère qui a le département des postes n’a ouvert de lettres de particulier, excepté quand il a eu besoin de savoir ce qu’elles contenaient »
   Diderot comme le fait Voltaire, va parfois utiliser le récit, le conte philosophique pour contourner la censure. Il dit alors qu’il use d’ « une philosophie en habit d’Arlequin ».
Des individus pris en possession de livres interdits sont arrêtés, torturés, exilés, ou envoyés aux galères.
   Le régime est d’autant plus fragilisé qu’il s’est endetté pour faire la guerre ; les caisses sont vides, le royaume est en situation de faillite, un nouvel impôt est créé, impôt qui touche cette fois les nobles et le clergé.
   Les nombreux troubles, les émeutes qui éclatent dans le royaume sont dus à la subsistance ; nombreux sont les pauvres qui doivent dépenser 50% de leur revenu d’un travail pour acheter le pain. Turgot va autoriser la libre circulation du commerce des grains, ou, la concurrence déjà « libre et non faussée », laquelle va aboutir à la spéculation, rendant le prix du pain inaccessible pour beaucoup ; on parle alors des troubles « frumentaires » on parle de « la guerre des farines », les boulangeries sont gardées par des soldats. Quinze ans plus tard les femmes de Paris forceront les grilles de Versailles pour demander du pain.
   Diderot avec certains écrits, sème des idées révolutionnaires, par exemple: « La nature n’a fait ni maître ni serviteur », « Aucun homme n’a reçu de la nature, le droit de commander aux autres
   Diderot qui participe à cet éveil de son siècle, annonce la rupture avec les philosophes des siècles précédents, de Pascal à Descartes, et tout ceux qu’il nomme, les « méthodistes », il dénonce chez ces philosophes un « galimatias métaphysico-théologique »
  Diderot en son siècle est particulièrement connu par son engagement dans l’Encyclopédie, la plupart de ses œuvres seront posthumes; il n’ose publier, il craint la censure, il craint la prison, il craint d’être coupé d’un monde d’intellectuels, en fait il supporte mal la prison, souvenir peut-être de son enfermement au couvent. Il sera incarcéré à Vincennes pour ses écrits entre autres pour la « Lettre sur les aveugles pour ceux qui voient » ; tout d’abord il niera l’avoir écrit, puis il dira : « Ce n’est pas moi qui l’ai écrit, mais je vous promets de ne plus recommencer ». C’est paradoxalement à partir de ce séjour en prison qu’il acquiert une certaine notoriété.
    Diderot reste cet esprit opiniâtre qui veut éduquer le peuple pour qu’il se libère. Se libère des superstitions, des croyances, et c’est pour ça que, contre vents et marées il va passer plus de 20 ans attelé à ce monument de savoir qu’est l’Encyclopédie : « Le but de l’encyclopédie »  écrit-il, «  est de ramasser les connaissances éparses sur la terre […] afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles à venir, et que nos neveux, nos descendants devenant plus instruits deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux »
   Et enfin, je reviens sur les accusations quant aux responsabilités attribuées à Diderot dans les excès de la Révolution, et pourquoi il fut si longtemps, ce génie mal aimé.
  Alors que les œuvres de Voltaire et de Rousseau sont de leur temps et après eux, connues et diffusées, celles de Diderot seront « mises au placard ». Et même si elles ne sont publiées que bien après sa mort, (car de contenu trop dangereux), elles seront décriées, voire caricaturées  par ceux qui en auront connaissance.
   Trois choses seront reprochées à Diderot. En premier, son athéisme affiché, revendiqué ; ce qui sera même dénoncé sous la Révolution. Alors qu’on brûle des églises, qu’on tue des prêtres, Robespierre qui souhaite faire référence dans la Constitution à un « Être suprême »,  dit le premier exécrer Diderot et les encyclopédistes. « Longtemps l’athéisme fera peur ».
   En second, on lui reproche ces quelques vers dans le « Discours d’un philosophe à un roi »
«  C’est alors qu’un trône vacille;
Qu’effrayé, tremblant, éperdu,
D’un peuple furieux, le despote imbécile
Connaît la vanité du pacte prétendu »
Puis il ajoute à ce texte un propos repris au prêtre philosophe Jean Meslier :
« Et les mains ourdiraient les entrailles du prêtre ?
Au défaut d’un cordon pour étrangler les rois »
   Toujours dans cette accusation d’incitation au régicide, un texte où il utilise une métaphore liée à l’activité de son père, la coutellerie : « Je serai, (celui) qui dit que ce sont des couteaux à deux tranchants se disposant alternativement suivant leurs intérêts, ou, entre les mains du roi pour couper le peuple, ou, entre les mains du peuple pour couper les rois »
  Donc, pour ses détracteurs, il appelait à décapiter le roi, alors qu’on le découvre dans les diverses biographies, dont la très bonne de Jacques Attali, «  Diderot, ou le bonheur de penser », un homme pacifiste, ami des hommes, « Ce combattant du verbe était l’homme le plus doux de la terre » (écrit Jacques Attali), lequel homme n’aurait sûrement pas accompagné le côté sanguinaire de la révolution.
    Et enfin, troisièmement, il lui sera longtemps reproché d’avoir démoli cette valeur qu’est le mariage, ainsi il écrit (parmi d’autres textes contre le mariage) : Le mariage « Une notion excellente pour trois ou quatre têtes bien faites, mais funeste pour la généralité. Le vœu du mariage indissoluble fait et doit faire presque autant de malheureux que d’époux ». Il évoque même la possibilité pour une femme d’avoir un enfant sans se lier en aucune façon au géniteur.
   Aujourd’hui des féministes, telle Elisabeth de Fontenay dans son ouvrage : «  Diderot ou le matérialisme enchanté » voit même là, (avec ses lunettes d’un féminisme de combat) un des premier textes ébranlant la société patriarcale, et l’assujettissement de la femme par le mariage.
   Longtemps ostracisé par une philosophie universitaire, il  aura fallu presque un siècle pour que Diderot, soit reconnu, avec un hommage en 1850 par Pierre Larousse, et que tous les arguments réactionnaires soient balayés pour redonner la vraie dimension de génie, de cet ami du genre humain.
    On va nommer Voltaire et Rousseau comme responsables de la Révolution: « C’est la faute à voltaire, c’est la faute à Rousseau », mais, ce n’est pas la faute à Diderot. Et pourtant !  nombre de ses écrits, tout ce renversement  de la pensée auront participé à l’esprit de révolte qui donnera 1789.
   Diderot est un des premiers qui a compris qu’on ne renversera pas les tyrans, les rois de droit divin, sans remettre en cause, le « pouvoir divin ». Les nostalgiques du royalisme, les religieux intégristes ont bien fait cette analyse.
   La haine pour Diderot se retrouvera lors du bicentenaire de sa naissance en 1913. Les mouvements d’extrême-droite menés par Maurice Barrès, et les catholiques-ultra,  manifestent contre cette célébration. Cette haine est aussi alimentée par ses propos qui sont les principes de la laïcité avant la lettre.
 Le 21ème siècle remettra sur le podium, ce génie, cet esprit des Lumières.

Diderot et la science. (Thibaut)
   « Quel plaisir de raconter la vie d’un homme immensément intelligent, puits de science, totalement libre, follement amoureux, incroyablement créatif ». C’est par ces quelques mots que l’écrivain Jacques Attali débute la très érudite biographie qu’il consacre au grand philosophe des Lumières, Denis Diderot.
   C’est dans la très célèbre Encyclopédie que Diderot va examiner le statut de celui qu’il nomme le philosophe. Cette définition pourrait, à n’en pas douter, se rapporter avec beaucoup de justesse à lui-même, alors qu’il décrit, « ce philosophe qui foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l’ancienneté, le consentement universel, l’autorité, en un mot, tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de lui-même et n’admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de sa raison. »
    Quelle plus belle définition pourrions-nous espérer que celle tirée de l’article « éclectisme » de L’Encyclopédie, à l’endroit de celui qui ne cessera toute son existence de s’abreuver profondément à « la fontaine piérienne », pour citer un vers fameux du grand poète anglais Alexander Pope. Dans son œuvre, « Pensées philosophiques », Diderot déclara que « si ces pensées ne plaisent à personne, elles pourront n’être que mauvaises ; mais je les tiens pour détestables si elles plaisent à tout le monde ».
   Et des pensées il en eut de fulgurantes ! En effet, bien qu’il ne soit l’auteur d’aucune découverte scientifique importante comme Galilée ou d’aucune véritable théorie à l’instar de Newton, il eut de nombreuses intuitions, d’incroyables fulgurances en matière de science, qui rendent sa pensée si moderne et par le même fait, si proche de l’humain du XXIe siècle ! Moderne en effet par la pensée athéiste et matérialiste dont il ne se cache pas et qui lui vaudra un séjour en prison.
   Voyez plutôt ce qu’il déclare dans ses « Pensées philosophiques » à propos du fonctionnement et de la nature du monde : « Grâce aux travaux de [Newton], le monde n’est plus un Dieu : c’est une machine qui a ses roues, ses cordes, ses poulies, ses ressorts et ses poids. » N’est-il pas piquant de remarquer comment les métaphores technologiques s’adaptent aux progrès de chaque époque. Ne comparons-nous pas de nos jours l’Univers à un ordinateur, comme nous pouvons le lire dans certains articles de cosmologie ? De plus, se faisant l’infatigable promoteur de l’observation rigoureuse du monde, il déclare quelques lignes plus en amont que « Les méditations sublimes de Malebranche et de Descartes étaient moins propres à ébranler le matérialisme, qu’une observation de Malpighi. »
   Rappelons que ce dernier peut être considéré comme le fondateur de l’anatomie microscopique, à la suite de Van Leeuwenhoek, drapier à Delft, qui perfectionne les loupes pour observer les tissus et qui se targue d’avoir décrit le premier les spermatozoïdes, les protozoaires et les bactéries en plein cœur du XVIIe siècle. Et bien entendu, Diderot fera état de « la découverte des germes » dans la section suivante de ses « Pensées ».
   Des pensées, il semble oser en attribuer aux animaux, comme pour leur offrir une théorie de l’esprit ainsi en témoigne ce dialogue issu, lui aussi des « Pensées » : « Êtes-vous un être pensant ? Lui demandais-je… – En pourriez-vous douter, me répondit-il, d’un air satisfait…- Pourquoi non ? Qu’ai-je aperçu qui m’en convainque ? … des sons et des mouvements ?… Mais le philosophe en voit autant dans l’animal qu’il dépouille de la faculté de penser : pourquoi vous accorderais-je ce que Descartes refuse à la fourmi ? » Il ne vous aura pas échappé l’allusion que Diderot fait au concept de « l’animal machine » cher au philosophe cartésien. Ce dernier se sera souvent trompé mais comment pouvait-il savoir et admettre en son temps que les non-humains font, eux aussi, preuve de capacités cognitives surprenantes.         Regardez plutôt les derniers travaux concernant les poules, les poulpes, les éléphants, les abeilles. Gageons que Diderot, lui, n’aurait pas été plus étonné que cela.
   Mais il est un domaine où, Diderot s’est particulièrement illustré par sa prescience. Il s’agit de l’idée de transformisme. En son temps, il est clairement admis que les êtres organiques tels qu’ils se donnent à voir, sont le produit de la création du Très-Haut, les sciences biologiques à l’époque ne se sont pas, en effet, encore émancipées de leur dire théologique. Ce « fixisme », tel qu’on le nomme ne sera balayé qu’un siècle plus tard avec la parution en 1859, de l’ouvrage majeur de Charles Darwin, « L’origine des espèces ». Dans son opus de 1754, « Pensée sur l’interprétation de la nature », Diderot nous expose l’idée d’organes homologues entre espèces différentes, ces homologies étant interprétées comme le signe d’une ascendance commune : « Quand on considère le règne animal et qu’on s’aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions et les parties, surtout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croirait-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier animal, prototype de tous les animaux, dont la nature n’a fait qu’allonger, raccourcir, transformer, multiplier, oblitérer certains organes. » Texte véritablement précurseur ! Nous constatons de fait, que Diderot nous explique que les animaux auraient été précédés d’un « prototype » primitif, dont la plasticité organique serait à l’origine de la grande diversité des parties qui se donnent à voir sur les différentes espèces vivantes. Le fixisme passe un sale quart d’heure puisque les êtres seraient susceptibles de se modifier.
   Plus étonnant encore est le texte suivant : « N’est-il pas très remarquable que la main de l’homme faite pour saisir, la griffe de la taupe destinée à fouir la terre, la jambe du cheval, la nageoire du marsouin et l’aile de la chauve-souris, soient toutes construites sur le même modèle et renferment des os semblables, situés dans les mêmes positions relatives ? » Ces dernières lignes ne sont pas de Diderot mais de Darwin lui-même. Il est troublant de constater une ressemblance dans la pensée.
   Mais là où Diderot n’émet que supputations, le grand naturaliste anglais va patiemment construire pendant vingt ans une admirable théorie scientifique argumentée et confirmée à maintes reprises depuis. Dans « Le rêve de d’Alembert » de 1769, Diderot, enfonce le clou : «Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé, qui n’a que quatre pieds de hauteur, qu’on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas l’image d’une espèce qui passe ? Qui sait s’il n’en est pas ainsi de toutes les espèces animales ? » Ce texte datant du milieu du XVIIIe siècle est extrêmement téméraire.
   En écrivant de la sorte, Diderot sait que les êtres organiques passent et se transforment. L’espèce humaine elle-même ne fait pas exception à la règle. La matière est corruptible et ne saurait rester à jamais l’image fidèle d’elle-même. Ainsi, « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » affirmait Héraclite, pour qui la seule permanence est à chercher dans le changement lui-même. Le « bipède déformé » dont Diderot esquisse le portrait, ce sont les esquimaux, que l’on vient juste de « découvrir ». De ce texte, il en ressort des conséquences philosophiques et théologiques absolument considérables. Ne vaut-il pas mieux pour lui que les faire apparaître en songe et ainsi faire passer ses idées révolutionnaires sans pour autant risquer l’embastillement.
   Enfin, dans ses « Pensées philosophiques ». Diderot fustige l’esprit humain et son incapacité à se représenter les grands nombres, source de croyances et de mésinterprétation des probabilités. Il déclare : « Selon les lois de l’analyse des sorts, […] je ne dois pas être surpris qu’une chose arrive, lorsqu’elle est possible, et que la difficulté de l’événement est compensée par la quantité de jets. »
   L’encyclopédiste a alors tout dit. Ainsi, plutôt que d’expliquer la survenue d’un phénomène rare par le miracle, il mise sur ses très nombreuses occurrences faisant ainsi passer sa survenue de l’état « improbable » à l’état « certain ». Par le même fait, il contredit les bigots et autres thuriféraires de Lourdes, qui, par méconnaissance de la taille de l’échantillon, préfèrent voir dans les guérisons « miraculeuses » le geste divin d’un Démiurge plutôt que les conséquences naturelles de la loi des grands nombres. Diderot, ayant conscience de sa propre limitation mentale, se plaît à penser contre lui-même et se fait le pourfendeur de l’obscurantisme. Il mettra en pratique ce qui deviendra la devise des Lumières : « Sapere aude». Espérons ne jamais rompre d’avec elles si tant est que nous ne les ayons jamais épousées

Diderot ou la naissance de la critique d’art  (Serge)
Il existe une œuvre importante de Diderot : « Les Salons ». Ce sont des comptes rendus, rédigés lors des Expositions organisées tous les deux ans par l’Académie royale de peinture et de sculpture dans le Salon carré du Louvre entre 1759 et 1783. Beaucoup de critiques considèrent que ceci est la naissance de la critique d’art comme genre littéraire.
    Frédéric Melchior Grimm a l’idée de créer une revue manuscrite, la « Correspondance littéraire », recopiée à la main et expédiée en correspondance privée pour échapper à la censure. Les abonnés sont les princes des principales cours d’Europe de l’est et du nord, qui lisent parfaitement le français et sont friands de ce genre de nouveautés
   C’est Grimm qui rédige les premiers comptes rendus. En 1757, il s’attarde devant un tableau et fait parler Diderot sur ce qu’il en pense Il demande ensuite à Diderot de se charger des comptes rendu mais dans le même esprit que leur discussion devant le tableau en question.
  En 1759, Diderot se lance et propose son premier compte rendu.
  Diderot rédigera en tout neuf Salons de 1759 à 1781. De quelques pages en 1759, les Salons, avec leurs suppléments de réflexions occupent en 1765 et en 1767 plusieurs centaines de pages.  « À partir de 1769, les Salons sont plus brefs, Diderot y consacre moins de temps : Il est reconnu, l’Encyclopédie a été publiée, il va se consacrer à son œuvre proprement philosophique et politique, dont on trouve d’ailleurs souvent l’embryon dès les Salons » https://fr.wikipedia.org/wiki/Salons_(Diderot)
   En principe Diderot décrit chaque œuvre. Mais dans les Salons, les critiques n’ont pas de frontière nette entre description et le jugement qui lui-même mêle le propos sur l’art et la fantaisie comme dans bien des œuvres de Diderot.
   L’évocation que Diderot fait des toiles exposées par Vernet en 1759 fournit l’argument d’une rêverie musicale et d’une réflexion philosophique. « La tempête est un spectacle, elle est un concert où sonnent le grondement du tonnerre et les cris des victimes. La voix humaine est donc présente dans le concert de la nature, c’est elle qui souligne le désordre de la tempête et marque l’impossibilité soudain d’accorder la nature et l’histoire, les puissances de l’océan et le destin des hommes ».
Cette réflexion philosophique se retrouvera dans le « Supplément au Voyage de Bougainville » (écrit en 1772) lorsque le vieillard de Tahiti menace les Européens » (Michel Delon. « Diderot et Vernet dans la tempête »)
   Le Salon de 1761 (45 pages de descriptions et 5 de discussions) considère les problèmes de la composition et de la technique, sans oublier le rôle de l’idée et du moment. Si Joseph-Marie Vien est loué par Diderot, c’est que sa peinture montre « la vérité […] de tous les temps et de toutes les couleurs ». Il s’interroge sur le cas d’une peinture qui ne serait pas fondée sur l’imitation de la nature.
    À propos d’une toile de Deshays, il déclare : « il y a des passions bien difficiles à rendre. Presque jamais on ne les a vues dans la nature. Où donc en est le modèle ? Où le peintre les trouve-t-il ? Qu’est-ce qui me détermine, moi, à prononcer qu’il a trouvé la vérité ? »
  Il prolongera cette réflexion jusque dans l’Encyclopédie, où il se demande comment ont pu faire les « Anciens qui n’avaient pas d’antiques » à copier. Dans le Salon de 1763, (69 pages) Diderot fait une réflexion sur l’art du portrait qu’il estime devoir d’abord correspondre au modèle, mais aussi avoir un certain trait de beauté « pour la postérité » : « Il faut qu’un portrait soit ressemblant pour moi, et bien peint pour la postérité. » On voit ici l’évolution de Diderot maîtrisant la critique au point d’en faire une véritable philosophie de l’art. Son point de vue apparaît comme le passage vers une théorie du génie créateur.
   Dans le Salon de 1765, (227 pages) il prétend ne pas avoir vu le Corésus et Callirhoé de Fragonard, qui avait attiré les foules ; mais il dit avoir fait un rêve, dans lequel le film du Corésus était projeté sur le mur de la caverne de Platon à des gens enchaînés qui tournent le dos à l’entrée mais à qui l’on interdit de regarder ailleurs que vers l’écran.
   Ce Salon de 1765 marque un tournant décisif. Le compte rendu introduit une nouvelle tendance de l’histoire de l’esthétique : la théorie de l’imitation se teinte de certaines réserves et admet que si le vrai a toujours partie liée avec la nature, le vraisemblable, lui, s’oriente résolument vers l’art. Je la résume en un conseil que Diderot prodigue aux jeunes artistes : « Éclairez vos objets selon votre soleil, qui n’est pas celui de la nature ; soyez le disciple de l’arc-en-ciel, mais n’en soyez pas l’esclave « .
   L’activité artistique devient une création particulière et non plus seulement une reproduction aliénée à son modèle. C’est, enfin, reconnaître que si la nature est vraie, l’art peut et doit comporter l’artifice et le mensonge. L’artiste, en ce qui le concerne, se fait témoin affranchi, traducteur indépendant et libre interprète.
   Je résume le point de vue en disant : on peut créer ce que l’on voit dans la caverne même si l’on sait que ce n’est pas le réel.
  Ce salon comporte en annexe un essai sur la peinture de 75 pages. (Il y aborde le dessin, la couleur, le clair-obscur, l’expression, la composition et l’architecture). Dans le Salon de 1767 (367 pages), avant d’aborder la description des œuvres Diderot introduit par une réflexion sur le « sens ». Il rend compte des paysages de Vernet, sept  tableaux qu’il n’a pas vus… Il est allé à la campagne où, se promenant avec un abbé philosophe, il va de sites en sites, qui sont autant de tableaux de Vernet !
   Dans ce salon il introduit la critique sous forme de dialogue, cinq pages En annexe il traite de la Manière ainsi que des deux académies huit pages « La manière est un vice commun à tous les beaux-arts. Ses sources sont plus secrètes encore que celles de la beauté. Elle a je ne sais quoi d’original qui séduit les enfants, qui frappe la multitude, et qui corrompt quelquefois toute une nation ; mais elle est plus insupportable à l’homme de goût que la laideur ; car la laideur est naturelle, et n’annonce par elle-même aucune prétention, aucun ridicule, aucun travers d’esprit. Un sauvage maniéré, un paysan, un pâtre, un artisan maniérés, sont des espèces de monstres qu’on n’imagine pas en nature ; cependant ils peuvent l’être en imitation. La manière est dans les arts ce qu’est la corruption des mœurs chez un peuple. Il me semblerait donc premièrement que la manière, soit dans les mœurs, soit dans le discours, soit dans les arts, est un vice de société policée ».
   Salon de 1769 (76 pages). Les critiques du Salon font 76 pages, sous forme de 17 lettres séparées.  « Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune » est un essai rédigé par Denis Diderot en 1568 et inséré l’année suivante dans la  Correspondance littéraire. L’écrivain avait rendu un service signaléà Marie-Thérèse Geoffrin, fameuse par le salon littéraire qu’elle tint avec tant de distinction. Pour lui témoigner sa reconnaissance, elle fit un jour déménager tous les pauvres meubles du philosophe et les remplaça par d’autres qui, quoique plus beaux et meilleurs, ne méritaient pas un éloge. Ce texte, écrit sur un ton ironique, est prétexte à une réflexion douce-amère sur le destin des philosophes, comme des artistes, face à la prospérité et les compromis auxquels on peut, l’âge aidant, se laisser aller : Il lance une réflexion « allégorique » sur la valeur marchande de l’art en face de sa valeur artistique. « Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l’opulence a sa gêne ».
   Diderot fait parfois preuve d’« athéisme pictural », en parlant de la beauté dans la nature, notamment dans les paysages de Vernet, et en affirmant une large préférence de la scène mythologique, ou des motifs plus triviaux ou sensuels par rapport aux sujets sacrés portés par une idéologie de l’Eglise.
    Défendre l’école moderne « N’est-ce pas une façon de juger bien étrange que de ne regarder les Anciens que par leurs beaux côtés, […] et que de fermer les yeux sur leurs défauts, et de n’avoir au contraire les yeux ouverts que sur les défauts des Modernes, et que de les tenir opiniâtrement fermés sur leurs beautés ?» (Van Loo).
   Mais l’héritage antique n’est pas nié. Il donne l’Antiquité comme âge d’or de la culture et des arts, où la concurrence stimulait l’artiste et faisait progresser l’art. Diderot reste attaché à l’éducation par les arts, aux bienfaits de la concurrence artistique. Cependant, une différence importante réside dans le sujet. Ce que relève et apprécie Diderot, c’est le mélange, ou plutôt l’abolition des classes sociales face à l’art. La démarche de Diderot au fil de ses salons c’est la genèse de la critique d’art. Elle sera poursuivie par Baudelaire (1821-1867) un siècle plus tard qui lui donne le virage de la modernité.
   Au Siècle des Lumières, on élabore une « philosophie des Beaux-Arts » qui se divise en arts mécaniques d’une part, en arts libéraux d’autre part.
   À la recherche du vrai, Diderot substituera celle du sens. Et il ira plus avant dans la réflexion qui mène au seuil de la création. Critiquant l’enseignement académique Diderot affirme une nette préférence pour les coloristes – en donnant la primauté de la couleur sur le dessin – et engage les artistes à aller chercher l’inspiration dans la rue où s’expriment le mieux, selon lui, les passions humaines. D’autres textes essentiels apportent un éclairage particulier à la critique de Diderot qui ne tient aucunement compte de la caution officielle et exerce son esprit critique en toute indépendance. Diderot se réclamera toujours de cette liberté souveraine. «  L’œuvre se doit aussi d’éveiller les sens et permettre au spectateur d’être affectivement touché. Selon Diderot, le mouvement et le détail extraordinaire et expressif font tout le piquant d’une toile et attirent l’attention […] La question de la vraisemblance reste toujours un argument de poids dans la critique de Diderot. Cette qualité qui rend possible le mensonge de l’art, dépend du choix que fait l’artiste dans la conception de son œuvre. L’expression, quant à elle, dépend essentiellement de l’inspiration, [….] Le philosophe exige enfin que conception et expression soient mises au service du vraisemblable ». (Olivier Deshayes. Diderot ou la naissance de la critique d’art)
   « Les systèmes de pensée sur « L’esthétique » n’apparaissent qu’au XVIIIe siècle. Diderot en est l’un des principaux initiateurs qui pose comme essentiels la relativité du goût et ses avatars » (Idem)
    En 1751 et 1755 avant les Salons il avait écrit « Recherche philosophiques sur l’origine et la nature du beau » puis « L’histoire et le secret de la peinture en cire ». Ainsi, avec ses réflexions préalables aux Salons puis avec les Salons, il a donné une orientation et une force nouvelles à des recherches sur l’esthétique qui à cette époque sont souvent des interprétations conventionnelles. « Je puis m’être trompé dans mes jugements, (écrit-il dans sa chronique De Salon 1763)  soit par défaut de connaissance, soit par défaut de goût ; mais je proteste que je ne connais aucun des artistes dont j’ai parlé, autrement que par leurs ouvrages, et qu’il n’y a pas un mot dans ces feuilles que la haine ou la flatterie ait dicté. J’ai senti, et j’ai dit comme je sentais. La seule partialité dont je ne me sois pas garanti, parce que franchement je ne sais pas comment on s’en garantirait, c’est celle qu’on a tout naturellement pour certains sujets, ou pour certains faire »

Pistes de réflexion en philosophie morale et politique chez Diderot
                                                                      (Edith)
   Les expressions précédentes ont montré un philosophe multiple, pluriel, interrogatif, et il en va de même sur les questions, philosophiques, morales, et sur les questions politiques. Mais avec un thème directeur, lequel est : comment réaliser le bonheur de vivre ? Le bonheur de vivre pour tous, et comment lutter contre les conventions et contre les préjugés ?
   Alors je me suis appuyée sur trois ouvrages ! L’Encyclopédie Universelle, l’Encyclopédie Universalis, et puis un ouvrage d’Yves Benot « Diderot de l’athéisme à l’anti-colonialisme »
   Si j’ai choisi cette approche, c’est parce que Diderot a été un philosophe engagé. Sa philosophie est un engagement où sa vie et son œuvre sont mêlées, (de son propre aveu).
   C’est, comme cela a été évoqué, le siècle de Louis XV, les guerres, les premières colonisations, la multiplicité des théories économiques, avec les luttes qui opposent le Parlement janséniste à la cour acquise aux Jésuites, et Diderot prend partie sans arrêt. Il prend d’abord partie pour le déisme, puis, pour la religion naturelle, puis, il évolue vers le scepticisme, et enfin il devient athée.
   Diderot reconnaît l’importance des intellectuels, et celle de « honnêtes gens » (comme il dit) avec lesquels il discute, soit sur les émeutes paysannes, soit sur Dieu.
  Il a été le seul, et c’est aussi une marque de son engagement, à suivre le convoi funèbre de Montesquieu (en 1748).
   Il s’intéresse, comme cela a été dit, à toutes les sciences. Il est en relation avec : Condillac, Montesquieu, La Mettrie, Helvétius, d’Alembert, et tous ceux qui interrogent la totalité du monde. Et donc, il est très sensible à ceux qui comme Rousseau et d’autres, s’inspirent de l’apport des sciences. Et en ce sens, il s’oppose à l’esprit de système du 17ème siècle, de Descartes, Pascal, Spinoza.. Donc, il veut que succède à l’esprit de système, l’esprit de l’Encyclopédie, c’est-à-dire un esprit qui cherche à établir l’inventaire de toutes nos connaissances, pour les exploiter, et pour mettre en place, une société heureuse.
   Donc, autre point, sa métaphysique ne peut plus se reconnaître comme, métaphysique dualiste qui oppose l’objet et le sujet, le monde matériel et le monde observable, et ce qui le transcende, dieu. Pour lui, comme pour les scientifiques avec lequel il est en relation, directement ou indirectement « de la pierre à l’homme, du ver de terre à l’étoile, l’univers reste « un », parce qu’il est un tout, formé d’organismes  vivants, différents»  (Encyclopédie)
   Et là, dit-il : il en va de même pour la société ; la société elle harmonise les tendances individuelles de chacun. Chacun cherche sa satisfaction, recherche le bonheur. Et bien, la société doit harmoniser toutes les tendances, et donc subordonner l’intérêt privé à l’intérêt général. Mais malheureusement, les hommes sont souvent ignorants, pleins de préjugés, esclaves des pensées qui les font se prétendre, supérieurs ; et donc, les hommes deviennent, fanatiques, dogmatiques, injustes. Donc, il faut une morale pour éduquer les hommes.
   Alors, dit-il : nous vivons tous, et nous avons tous vécu depuis l’aube de l’humanité avec une morale. La morale de l’espèce, la morale naturelle, la morale générale commune à toutes les nations, toutes les cultures, donc la morale respectable, qui refuse l’inceste…
Et puis il y a une autre morale, qui est propre à chaque nation, à chaque culte, voire, à chaque groupe social, voire, à chaque individu. Et par ailleurs chacun est naturellement égoïste, cruel et veut tuer l’autre.
   Alors que doit faire la société ? Et bien, pour Diderot, ce que la société doit faire et essaie de faire depuis toujours, c’est mettre en place une morale universelle, qui permet effectivement, de réguler l’égoïsme et la cruauté, dans chacun.
 Et donc la liberté de chacun consiste à connaître les lois de nature, les lois de notre propre nature, pour faire, réaliser, grâce à la science, et, à la politique, une société heureuse. C’est toute sa démarche.
   En 1773, Diderot invité par Catherine II de Russie, va, à sa demande, établir : «  Les plans et les statuts des différents établissements ordonnés par sa majesté Catherine II de Russie », pour l’éducation de la jeunesse, pour l’utilité générale de son empire.
Il en ressort quatre questions :
1° Quel est le meilleur gouvernement pour un grand empire ?
2° Y a-t-il un seul cas, où il est permis à un sujet de porter la main sur son roi ?
3° Faut-il sacrifier au hasard d’une révolution, le bonheur de la génération présente pour le bonheur de la génération à venir ?
4° L’état sauvage est-il préférable à l’état policé ?
  Et donc, il dit, qu’il y a trois problèmes politiques
Le problème constitutionnel (problème actuel) – La République, régime idéal est-il possible dans un grand pays ?
  Le problème des moyens d’action. Y a t-il un droit à l’insurrection ?
Et, comment organiser un régime rationnel pour tous. ?
Alors, les réponses, Diderot va les donner dans l’Encyclopédie, avec aussi des contributions de Rousseau, du baron d’Holbach.
Et, il écrit, avec Helvétius, un article (toujours dans l’Encyclopédie) sur l’espèce humaine, où il dit, que la traite des noirs est inhumaine, (pas a humaine).

Débat

 

 Débat : ⇒ J’ai découvert Diderot à treize ans, et j’ai toujours de l’admiration pour ce philosophe. J’ai trouvé que c’était facile, et là je comprenais tout, c’était extraordinaire. Et si je suis devenue athée, c’est aussi grâce à lui.
   Je pense que s’il revenait aujourd’hui, il serait tout à fait d’actualité, même s’il ne pourrait pas être universel, tant les sciences ont évolué, progressé, et se sont spécialisées.

  Je reprends cette expression de Diderot dans « Le rêve de d’Alembert » parlant de l’homme : du « bipède déformé » ; lorsqu’il dit qu’il y a peut-être, pour lui, encore d’autres développements à subir, et d’autres accroissements qui nous sont inconnus, que l’homme n’est qu’à une étape, qu’un instant de son évolution, il serait assez en phase avec certaines conceptions transhumanistes, qui nous parlent d’un nouvel homme du troisième millénaire.
   Et je reviens sur l’épisode d’emprisonnement, qui est due aussi à un petit ouvrage dont il dénie être l’auteur, lequel est « Les bijoux indiscrets » où il fait parler le sexe des dames, et où, les deux personnages principaux, ne sont autres que : le roi, et Madame de Pompadour.

⇒  Il y a deux textes où Diderot utilise le dialogue, dont l’un ; « Jacques le fataliste »  où, se réclamant de la philosophie matérialiste d’Epicure et de Lucrèce, il moque le déterminisme avec l’enchaînement de situations dues au hasard qui créent le réel, il dénonce un certain finalisme : (Extrait)
« D’où venait-il ? Du lieu le plus prochain.
Le maître ne disait rien, et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive, du bien, du mal, est écrit là-haut ».
Le maître – Dîtes moi où l’on va ?
Jacques – Est-ce que l’on ne sait jamais où l’on va ? Personne n’en sait jamais rien, personne !
Le maître – Alors conduisez-moi.
Jacques – Comment puis-je vous conduire, si je ne sais pas où l’on va ?
Le maître – oui, mais tu as oublié ce qui est écrit. C’est bien le maître qui donne les ordres. Mais c’est jacques qui choisit lequel ; alors j’attends
Jacques  – Bon ! Je veux donc que vous me conduisiez : en avant !
Le maître – (regarde autour de lui, embarrassé) Je veux bien, mais en avant c’est où ?
Jacques – Je vais vous révéler un grand secret, une astuce séculaire de l’humanité. En avant, c’est partout. Partout où que vous regardiez, partout c’est en avant.
Le maître – Mais c’est magnifique Jacques !
Jacques – Oui, moi aussi, je trouve cela très beau
Le maître – Et bien Jacques, en avant !
    De cet ouvrage, « Jacques le fataliste », d’un passage,  un très beau film a été réalisé : « Mademoiselle de Jonquières »

⇒  J’ai retenu différentes choses, et je retiens, par exemple, qu’il aura démoli, attaqué, la valeur du mariage, et dit qu’une femme puisse avoir un enfant sans épouser son géniteur, sans le besoin de reconnaissance paternelle, donc il était en avance de l’air du temps.
  Je retiens dans le domaine scientifique l’idée qu’il développe de la transformation de l’espèce.
  Et enfin son approche politique, de l’harmonisation des sociétés, de l’intérêt particulier qui doit être subordonné à l’intérêt général.., donc, des propos des années 1770 qui sont toujours d’actualité. 

⇒ Texte d’Hervé :

L’écrivain du 18ème siècle était un esprit brillant

Enfant, il étudie chez les Jésuites et monte à Paris
Nourri de philosophie, de mathématique et d’anatomie,
Celui-ci vit de traductions, de pamphlets, en vivotant.
Y sopet, ces recueils de fables sont de son époque.
C érébrales, ses « Pensées philosophiques », quel fait marquant !
L e pouvoir est indisposé par son audace qui provoque.
O piniâtre, il publie l’Encyclopédie, c’est un apôtre ardent.
P antophile (ami de toute chose), ainsi l’a appelé Voltaire.
É rudit, il a écrit de nombreux ouvrages et romans,
D iscours, la critique des « Salons » est suggestive et littéraire.
I mpératrice, Catherine II le reçoit en Russie, quel bilan !
E nthousiaste de la vertu, il a laissé une nombreuse correspondance

 ⇒ Diderot est le fils de son époque, une illustration. Illustration de la liberté de pensée qui se fait jour, laquelle était jusque là prisonnière de la religion, prisonnière de l’idéalisme. Diderot est un passeur de l’idéalisme au matérialisme. La preuve est, que les grands penseurs de cette époque : Rousseau, d’Alembert, Goethe, vont également penser comme lui, la condition de l’homme.
  Diderot introduit sa conception de la matière. Il introduit une compréhension de l’animal, et il voyait déjà dans l’homme un animal qui avait évolué.
Même dans le domaine psychologique, il dit que la pensée est la coordination de particules matérielles, et toujours partant du principe matérialiste qu’il n’existe rien dans la pensée qui n’existe déjà dans les sensations.
Diderot a également traité de problèmes sociaux. Il pense à l’effet  que produisent la technique et l’industrie dans le développement de la conscience humaine, ce qui est une nouveauté pour son époque.

 L’idée, le souhait de Diderot est, qu’avec plus de connaissances nous serions plus heureux. Est-ce que cela s’est réalisé ?

⇒  Diderot est considéré comme le précurseur des drames bourgeois au Théâtre, notamment avec « le fils naturel ». Il a abordé le roman, la critique d’art, et chaque fois avec un talent époustouflant. Et aussi, ce qui n’est assez souligné, c’est la manière dont il aborde les choses ; manière à la fois simple, mais se servant beaucoup des allégories, et cela dans un sens poétique. Par exemple, dans l’entretien entre d’Alembert et Diderot, où il pose cette question : Entre un bloc de marbre,  et moi, bloc de chair, quelle différence ?  ; Alors s’établit ce dialogue, absolument dingue : la statue est de pierre, et la chair est plante. Mais la plante  c’est de la pierre pilée parce que c’est de la terre, comme une statue de pierre pilée, et vous consommez la plante… C’est époustouflant comment il va de l’allégorie à la poésie, pour nous dire finalement, la nature et nous c’est finalement, la même chose, l’être humain, c’est aussi la nature, comme cela l’est pour le marbre, la pierre, la plante…

⇒  Ce qui a animé Diderot toute sa vie, c’est sa soif de savoir, de la connaissance, pour la cristalliser, la transmettre, être utile. Est-ce qu’il n’est pas, vu sous cet angle, un républicain puisqu’il en fait une chose publique, du savoir partagé ?
  Parfois, je me plais à imaginer qu’on pourrait le faire revenir. Dans notre époque il serait abasourdi. Dans une classe de terminale, il ne comprendrait rien aux programmes. Dans un labo de physique encore moins, puis ensuite dans un fauteuil devant une chaîne commerciale un samedi soir, est-ce qu’il ne crierait pas, à la trahison ?

⇒  Internet aujourd’hui, c’est l’Encyclopédie vivante, dont tous peuvent profiter. Et c’est dans le même esprit que Diderot qui veut la connaissance soit accessible à tous : paysan, artisan.
  Si Diderot revenait, il serait surpris qu’on n’ait pas réglé certains problèmes, surtout il verrait que le mal est toujours très présent dans une société qui a pourtant, évolué.

⇒ Dans « le supplément au voyage de Bougainville » il évoque la fidélité sentimentale, le refus du changement de l’amour ; d’où cela vient-il, est-ce que ce sont les préjugés sociaux, est- ce que ce sont des aptitudes naturelles ? Cherchons, dit-il
Et par ailleurs, il dit, dans l’Encyclopédie, s’opposant en cela à Rousseau qu’il y a un beau luxe, et un mauvais luxe. Le mauvais luxe c’est le modèle de consommation des grands seigneurs, ceux à qui il faut une nombreuse et superflue domesticité, des chose somptueuses, des poules de luxe, des cours démesurées, des palais qui ne servent à rien. Et puis aussi, il y a l’imitation des grands seigneurs par les roturiers. Il dit, il faut aller outre ce modèle de consommation égoïste, mais vers un modèle de consommation qui accepte le bon luxe, car le luxe est bon, il est le fait du développement, il est l’abondance, l’enrichissement d’un pays. Et là, il s’oppose à Rousseau. Il demande aussi, comment réduire les inégalités sociales, tout en sachant qu’on ne pourra jamais les supprimer. 

⇒  On a évoqué Diderot et le théâtre, et dans ce domaine il nous a laissé le paradoxe devenu célèbre du comédien, aujourd’hui très commenté quant au jeu de l’acteur, quant à la distance et l’implication du comédien dans son personnage. Ce paradoxe du comédien dit : «  Je prétends que c’est la sensibilité qui fait les comédiens médiocres, l’extrême sensibilité les comédiens bornés, le sang-froid et la tête, les comédiens sublimes ».
    Et vouloir connaître Diderot passe inévitablement par tout ce courrier, ces « Lettres  à Sophie Volland », amour épistolaire ou plus. Les biographes se posent des questions : est-il au-delà des lettres enflammées réellement son amant ou pas ? Quelle relation avec la sœur de Sophie, Charlotte ? Quelle relation  entre les deux sœurs ? Diderot fait souvent allusion à l’homosexualité de Sophie, « Ma Sophie »,  écrit-il, « est homme et femme à la fois »,  et il évoque les relations particulières entre les deux sœurs, Sophie et Charlotte, et très souvent parlant de cette dernière, il parle d’Uranie. L’uraniste était le mot à l’époque pour dire l’homosexualité. On ne retrouvera aucune lettre de Sophie adressée à Diderot.

⇒  On a tendance à attribuer à Diderot, avec l’Encyclopédie, l’idée que c’est l’accumulation de connaissances qui amènera le progrès humain et le bonheur. Il n’a jamais dit ça. Il prévient qu’il peut y avoir contre effet, et ainsi à chaque fois il pose le sujet, et contre le sujet, il nous invite à utiliser nos connaissances. D’où la nécessité d’acquérir des connaissances.

⇒  Diderot serait le bienvenu au café-philo. Dans un ouvrage (De l’interprétation de la nature), il nous dit : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire »
On peut penser, quand on connaît l’œuvre du philosophe, que dans le propos de Diderot le mot « populaire » n’a pas la même connotation que celle que certains pouvaient lui donner : c’est-à-dire : la plèbe, le vulgaire, mais plutôt le sens de « connu ». Diderot souhaite que tous puissent accéder à une éducation, à un plus large savoir, à la connaissance, qui était jusque là l’apanage de la noblesse.
   C’est dans la démarche déjà une véritable rupture dans l’univers des savants et des philosophes des siècles passés. Nul ne s’était inquiété de ce manque de diffusion des savoirs.
  Evoquant l’Encyclopédie Diderot dira  « Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques, les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité ». Cette phrase de Diderot résonne encore à aux oreilles de tous ceux qui veulent participer à la promotion de la philosophie. Alors ! Qu’en est-il de ce conseil, de ce souhait de Diderot aujourd’hui ?
   La philosophie de Diderot était subversive. Philosopher a pu, en un temps, voire, souvent, être un acte subversif. Ce serait dommage de ne pas profiter de cette liberté.

⇒  Dans un texte « Dialogue d’un philosophe avec Madame la Maréchale  de …», Diderot dans l’esprit matérialiste propre à certains philosophes de ce temps, va imager, avec ironie,  une joute en paroles qui n’est pas sans rappeler le « pari de Pascal ».

La Maréchale –  N’êtes-vous pas Monsieur Diderot ?
Diderot           –  Oui, Madame
La Maréchale –  C’est donc vous qui ne croyiez en rien
Diderot           –  Moi-même
La Maréchale –  Cependant votre morale est d’un croyant ?
Diderot           –  Pourquoi non, quand on est un honnête homme ?
La Maréchale –  Que gagnez-vous à ne pas croire ?
Diderot         – Rien du tout, Madame la Maréchale. Est-ce qu’on croit parce qu’on a                                      quelque chose à gagner
La Maréchale –  Je ne sais ; mais la raison d’intérêt ne gâte rien aux affaires de ce monde                            ni      de l’autre                                    
                  ….Il me semble que si je n’avais rien à espérer ni craindre, quand je n’y   serai  plus, il y a bien des petites douceurs dont je ne me priverais point, à présent que j’y suis. J’avoue que je prête à Dieu à la petite semaine.
….oui ; on peut faire l’usure tant qu’on veut : on ne le ruine pas. Je sais                            bien que tout cela n’est pas délicat, mais qu’importe ? Comme le point c’est d’attraper le ciel, d’adresse ou de force, il faut tout porter en ligne de compte, ne négliger aucun profit. Hélas ! nous aurons beau faire, notre mise sera toujours bien mesquine en comparaison de la rentrée que nous attendons !

 ⇒ Beaucoup des manuscrits de Diderot ont été perdus. L’ouvrage « Jacques le fataliste » avait disparu et c’est Goethe qui le retrouvera. En reste t-il d’autres à découvrir ?

Œuvres, de Diderot :

Pensées philosophiques. Addition aux pensées philosophiques. 1746.
La promenade du sceptique. 1747.
Les bijoux indiscrets. 1748
Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. 1749.
De l’interprétation de la nature. 1753.
Lettres à Sophie Volland. De 1755 à 1769.
Le neveu de Rameau. 1762
Entretien entre d’Alembert et Diderot. 1769.
Le rêve de d’Alembert. 1769
Paradoxe sur le comédien. 1769.
Supplément au voyage de Bougainville 1772
Réfutation d’Helvétius. 1774.
Entretien d’un philosophe avec Madame la maréchale de…1776
La Religieuse 1776
Jacques le fataliste. 1776
Essai sur les règnes de Claude et de Néron. 1778.
Avec D’Alembert, et 140 contributeurs. L’encyclopédie. De 1751 à 1772.

Théâtre, comédie.

Le fils naturel. 1757
Le père de famille. 1758.
Est-il bon, est-il méchant ? 1777.

Critiques d’art.

Premier salon. 1759
Second salon. 1761.
Troisième salon. 1763.
Quatrième salon. Essais sur la peinture. 1765.
Cinquième salon. 1767.
Pensées détachées sur la peinture. 1777.

Biographies et oeuvres sur Diderot

Diderot : Collection, Le monde de la philosophie. 2008
Diderot ou le bonheur de penser. Jacques Attali. Pluriel/Fayard 2013.
Diderot ou le matérialisme enchanté. Elisabeth de Fontenay. Grasset. 1981.
Denis Diderot. La culture et l’éducation. Aline Beilin. Philosophie en cours. 2011.
Diderot. Du Matérialisme à la Politique. CNRS Editions. 2013.
Histoire de la philosophie. Diderot et l’Encyclopédie. Émile Bréhier. PUF. 1968.
Diderot, jour après jour. Raymond Trousson (Disponible à la Médiathèque de Chevilly-Larue)
Vies de Diderot. Pierre Chartier. 2012.

Films inspirés de l’œuvre de Diderot

Les dames du bois de Boulogne. Robert Bresson. 1945.
La religieuse. Jacques Rivette. 1966
Mystification ou l’histoire des portraits. Sandrine Rinaldi. 2005.
Mademoiselle de Jonquières. Emmanuel Mouret. 2018

 

 

 

 

 

 

 

Quel rôle, quel avenir pour les associations?

Théo van Ryseelberghe. 1903

Théo van Ryseelberghe. 1903     

Restitution du débat du 27 février 2019. Café-philo de Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

 Introduction : L’engagement associatif est un moyen de mesurer, dans les Etats, la notion du collectif ; elles sont un acquis social créant du lien.
Nous voyons qu’en France le nombre d’associations, le nombre d’adhérents des associations serait plutôt à la hausse depuis les années 80. Ceci pourrait être dû à : un  pic des « papy boomers », l’obligation des repos hebdomadaires, l’allongement des congés, la réduction du temps de travail. Peut-être doit-on prendre en compte également un temps gagné avec toutes les technologies utilisées dans différentes activités journalières.
On pouvait toutefois, craindre que dans une société où l’on a le sentiment que l’individualisme progresse, l’engagement associatif baisse. Et l’on pouvait même craindre que les nouveaux liens, les nouveaux modes de communication, nos réseaux de contacts, (famille, amis, relations), avec qui on peut être en relation presque à la seconde, créant de nouveaux mini-univers, agissent négativement sur l’engagement associatif, mais il n’en est rien.
Tout cela est rassurant, face à l’arrivée de ces immenses réseaux sociaux. Nombreux sont ceux parmi nous, qui appartiennent à un ou des réseaux sociaux.
Nous avons là, à la fois des associations réelles, et des associations virtuelles.
Les plus grandes « associations » du monde sont en nombre d’adhérents: Facebook, 2270 milliards, You Tube 1,9 milliards, WhatsApp 1,5 milliards, Instagram 1 milliard, mais je précise, qu’elles ne sont que virtuelles.
Lorsqu’on observe le camembert de répartition des activités associatives, ce qui vient en premier ce sont toutes les activités réunies sous la définition « culture », ceci pour 24%. Il s’agit du nombre d’associations, pas du nombre d’adhérents. Puis viennent ensuite les activités sportives pour 17%, et là le nombre d’adhérents est plus élevé (250.000 clubs sportifs) puis les activités de loisirs pour 12%, puis les amicales pour 7%.
Dans le monde rural on est à 35,4 % d’adhérents à des associations. A Paris le pourcentage est inférieur à 30%. La France est après la Suède le pays qui compte le plus d’associations.
Différentes sources donnent le chiffre de 21 millions de Français adhérents à des associations, soit hors les enfants, les personnes très âgées, pas loin d’un Français sur deux.
Si j’essaie d’en faire une analyse et de porter un jugement de valeur, je trouve cela encourageant. Cela nous dirait que le « vivre ensemble », l’intérêt de l’autre, le goût du partage, de faire quelque chose ensemble, est toujours très vivant dans ce pays.
On peut penser que cette progression du nombre d’associations est due à une impulsion donnée au cours des dernières décennies, leur offrant des outils d’assistance, des aides financières.
Par exemple, si demain les subventions étaient supprimées aux associations sportives, on risquerait de voir régresser l’activité sportive.
Donc l’Etat, via diverses structures aide financièrement ces associations, bravo ! Mais l’Etat y gagne beaucoup en retour. Ce gain est immense, pour autant qu’on puisse comptabiliser toute chose. Ce gain c’est tout le temps donné, je dis bien « donné », dans un monde où le temps serait de l’argent.
L’engagement bénévole est une source de richesse.
Ce qui est devenu association est aussi l’héritage d’une certaine façon, de mouvements, de structures souvent différentes que furent les confréries, les compagnonnages, les corporations.
Si vous aviez dit il y a cinquante ans qu’il y a aurait 1, 3 millions d’associations, 16 millions de bénévoles, 1,8millons de salariés d’associations, on vous aurait ri au nez. Donc, on peut en déduire que la société évolue dans un bon sens.
S’il est des associations qui peuvent fonctionner avec un très petit budget, voire presque avec que les cotisations des membres, certaines ne peuvent exister sans subventions, et depuis quelques années les contraintes budgétaires que connaissent les collectivités amènent ces dernières à réduire les subventions ; ce qui peut mettre en péril certaines activités essentielles.
Pour l’avenir du monde associatif, si l’on a le sentiment que l’individualisme est plus présent qu’il a cinquante ans, cela n’influe pas sur l’engagement, et la France reste un des pays où l’engagement associatif reste le plus fort. Et je trouve que c’est encourageant, que l’investissement personnel, l’engagement citoyen ne faiblit pas ; ça nous conforte dans notre confiance en l’homme, et encore plus dans la femme, puisque ce sont les femmes qui, les chiffres le montrent, s’engagent le plus dans la vie associative.  En cela on peut être optimiste.

Débat Débat : ⇒   Le mot, association, est lié à « société », du latin « socius » désignant « l’allié, le compagnon », c’est-à-dire « celui avec lequel on mange le pain ». Donc une société c’est le fait d’un regroupement, qui est le contraire d’un isolement, de la dispersion, de la guerre, de la guerre de chacun contre tous.
Le sociologue Émile Durkheim, dit : une société est une organisation de gens qui vivent en compagnie, les uns avec les autres, dans une coordination soit horizontale, soit verticale. Et c’est aussi selon Rousseau «  une association volontaire »  qui regroupe des personnes qui passent contrat.
Une association n’est pas la même chose qu’une communauté. La communauté est un ensemble d’individus qui ont quelque chose de commun, qui communient ensemble, qui partagent. Donc, l’idée d’un lien, et aussi de partage, ce qu’il n’y a pas en association.
Toute association est un regroupement d’individus qui passent contrat, en vue d’une activité, ou d’un but. Cela veut dire, que cela relève d’un consentement, c’est pour cela qu’on dit : qu’on adhère. C’est un contrat de droit privé, une association à but non lucratif et d’utilité publique reconnue par l’État. Donc, les membres d’une telle assemblée sont bénévoles, et n’ont pas le droit de toucher de l’argent, de partager entre eux l’argent qu’ils peuvent recevoir : de l’argent qu’ils reçoivent soit de l’État, de la commune, des collectivités ou des adhérents…
Si il y a un développement des associations, c’est parce qu’il a une décrédibilité de l’action politique, et pour fuir cette société marchande, fuir les partis et c’est parce que d’autre part, avec le développement du capitalisme marchand, les gens s’investissent dans les associations à but non lucratif pour  fuir une société qui n’aurait comme but que la compétitivité.
Ce développement des associations a pour conséquence qu’elles deviennent des objectifs, et c’est comme une réponse sociale. Et l’on voit qu’il ya de plus en plus d’associations dans des petites communes, dans des territoires périphériques.
Finalement, si les associations se développent comme le dit Raphaël Glucksmann, nous sommes en train de passer de l’impasse individualiste d’une société marchande au réveil citoyen ; il écrit : « Nous pensions que la démocratie sociale allait s’étendre sur tout le globe, mais elle est en crise partout. Nous chantions les bienfaits des échanges, mais la mixité sociale recule partout, et de nouveaux murs s’érigent chaque jour»
   Alors, pour ne pas tout perdre, nous devons sortir de l’individualisme, et de différentes formes de multiculturalisme, communautaires et aussi, de partis.

⇒ Je suis Président d’une amicale.  Il a fallu la déclarer alors qu’il n’y a pas d’adhérents; cette association regroupe tous ceux qui sont allés en Algérie de 1954 à 1962 au même endroit c’est-à-dire à Bou Saâda. Cela nous dit que la vie de certaines associations est inscrite dans le temps.

⇒ La question est posée de savoir : qui parmi les présents est adhérent d’une ou plusieurs associations. La plupart d’entre-nous fait partie d’une ou plusieurs associations, de deux à cinq associations différentes. Cela veut dire qu’il y aurait tout de même un profil de l’adhérent, de l’acteur du monde associatif, et cela, en regard des chiffres annoncés quant à l’engagement numérique, il y a peut-être à pondérer les chiffres.

⇒ Y a t-il des profils de  gens qui ne rejoindront jamais une association ?

⇒  Je rencontre des gens différents dans mon association, mais c’est vrai que nous avons des points communs : besoin de s’investir, besoin de partager, besoin de rencontrer les autres.

⇒ Si on a besoin de déclarer une association en Préfecture, je pense que c’est parce que l’État doit savoir ce que font les gens qui se regroupent.

⇒ Les groupes : guildes, corporations, compagnonnages, fraternités, sociétés diverses, ont toujours été très surveillés, surtout lors des pouvoirs absolus; ainsi sous Napoléon (par exemple) les associations de plus de 20 personnes étaient interdites. Les associations ont une longue histoire, avec des interdits, et tour à tour des lois pour les encadrer.

⇒ Ce qui nous intéresse plus particulièrement du point de vue philosophique, ce sont les raisons, les motivations, qui font que des personnes vont rejoindre des associations, voire  s’engager, donner du temps comme bénévoles.
Est-ce que c’est simplement pour le plaisir, Est-ce un élan humaniste, d’ordre empathique, de générosité du cœur, comme s’engager dans l’action caritative ? Est-ce que c’est un besoin de lien social ? Un besoin de faire quelque chose d’utile, pour soi, pour les autres ? Un engagement citoyen ? Pour connaître d’autres personnes ? Pour un besoin d’appartenance, faire partie d’un groupe ? Pour, à partir d’un pôle d’intérêt,  partager avec d’autres ce que l’on a en commun ? Voire aussi le goût de transmettre?
Mais la création d’une association peut être aussi celle d’une association de défense.
Et puis ce qui rend difficile de vouloir cerner la personnalité du participant au monde associatif, c’est l’extrême diversité des mouvements associatifs. De fait, quoi de commun entre l’amicale des joueurs de boules, une ONG, une association féministe, une association de droits des animaux, et le Secours populaire ?
Une étude européenne constate que ce sont les plus âgés qui s’engagent, que les pays du nord ont plus d’associations que les pays du sud, que les pays où il a le moins d’État sont ceux où y a le plus d’associations, ce qui nous dit que peut-être que là où l’Etat se désengage, la population compense. Les chiffres sont difficiles à interpréter.

⇒ C’est si varié, qu’on a aussi des « associations de malfaiteurs » (non déclarées) !

⇒ Pourquoi des gens rejoignent-ils des associations ? Je pense que c’est parce que cela leur permet d’agir dans une activité où ils ne pourraient rien faire seuls ; l’association alors devient un passage obligé.

⇒ Si on est joueur de boules, on ne peut pas jouer seul, il faut en plus être organisés pour avoir un boulodrome, un local, etc. Il y a l’activité et en plus la vie d’un groupe.

⇒ Le regroupement associatif, ne valide pas l’expression : « Qui se ressemble s’assemble », car nous sommes dans nos associations avec nos différences, d’origine, de religion, d’options politiques. Autour d’un intérêt commun, même si on ne se ressemble pas, on s’assemble. C’est un engagement citoyen au-delà de toute différence. Le mouvement associatif est un des piliers de la démocratie, il est à défendre car est il est aussi un acquis social.

⇒ Il y a un déficit de renouvellement chez les adhérents, et surtout pour les responsables d’associations. Alors, est-ce que cela traduit un moindre engagement générationnel, ou, est-ce que ce sont des modèles d’associations qui sont vieillissants, ou l’engagement se fait-il sur de nouveaux types d’associations ?
On voit se créer de nouvelles associations : ce sont par exemple, les AMAP, Associations écologiques, pour la pureté de l’air, de consommateurs, de circuits courts, de systèmes de partage, d’épargne solidaire. Donc, la société change, de même le monde associatif ne cesse de changer de forme.

⇒ La crainte reste qu’en regard de la baisse des dotations des collectivités à cause des transferts de charges qui alourdissent leurs finances, les subventions d’associations connaissent des baisses significatives, ce qui mettrait en danger des activités associatives, comme les associations sportives par exemple, qui jouent un rôle important auprès des plus jeunes.

⇒ Si on valorisait le temps donné par les bénévoles, les charges, et s’il s’agissait de salaires, on arriverait à des sommes importantes, lesquelles sont au-delà des subventions. Si on fait un bilan Actif/Passif, c’est positif au niveau d’un État, et cela encore plus dans le domaine caritatif que le travail soit pris en charge par les bénévoles des associations dans certains cas..

⇒ De fait, le mouvement associatif participe  au PIB. On imagine le coût des bénévoles qui encadrent les enfants qui font du sport ?

⇒ Dans le domaine caritatif, que ce soit « les restos du cœur », ou l’aide aux SDF, des personnes expriment souvent cette idée : – oui, on donne, mais aussi, on reçoit, et cela peut donner aussi des petits bonheurs.

⇒ Les engagements caritatifs correspondent à quelque chose qui est en nous : empathie, amour de l’autre, pitié, compassion. C’est vrai on agit pour l’autre, et on agit pour soi.

⇒ L’engagement, et plus particulièrement l’action caritative, c’est aussi vouloir donner du sens à sa vie.

⇒ Je fais partie d’une association de poètes : créations, spectacles, promotions… C’est vrai que nous n’y voyons que peu de plus jeunes arriver. De fait, ils sont tout aussi actifs, mais ils sont surtout sur des réseaux, ces « associations virtuelles », lesquelles sont des entreprises. Il n’y a pas la rencontre de l’autre.

⇒ Notre société avec plus de précarité de l’emploi, la flexibilité, avec des horaires indéfinis, ne laissent pas l’esprit assez libre pour s’engager dans un mouvement associatif. Nombreux sont ceux qui de fait sont moins disponibles. Il y a alors, un phénomène d’éloignement, avec deux conséquences : une frustration de ne pouvoir participer à des activités en commun, et un manque de partage citoyen.

⇒ La vie associative, est ce « plus » qui  nous permet d’être acteur de la vie publique ; elle est ce moyen d’avoir une vie sociale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

La liberté d’expression: jusqu’où?

 

André Gil. Madame Anastasia. 1814. Document BNF.

André Gil. Madame Anastasia. 1814. Document BNF.

Restitution du  23 janvier 2019 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier.

Introduction (En préambule) : Vous avez pu voir sur l’affiche annonçant, illustrant ce débat une vieille femme laide armée de ciseaux démesurés; c’est le personnage d’Anastasia, (ou Anastasie),  figure la censure (d’où les grands ciseaux).
Après les dérapages de langage des derniers mois, ceux qui ont fait « le buzz », après le projet de loi pour lutter contre les fake news,  avec une certaine police du langage en rupture avec une habituelle liberté d’expression, une grande liberté héritée de mai 68, se pose à nouveau la question : « La liberté d’expression : jusqu’où ?
C’est une récente actualité qui a d’abord suscité cette question. Eric Zemmour le 16 septembre dernier sur un plateau de télé, qui dit à une jeune femme, Hapsatou Sy, chroniqueuse sur une télévision : « Normalement chez moi, on doit donner des prénoms dans ce qu’on appelle le calendrier ». Quelques jours plus tard le même Zemmour répond à un publication de la chroniqueuse sur son compte instagram, (je le cite) : «  Votre prénom est un insulte à la France. La France n’est pas une terre vierge. C’est une terre avec une Histoire, un passé, et les prénoms incarnent l’Histoire de France ».
Je dirais, que ces propos font honte à l’esprit de tolérance qui fait partie de nos valeurs. De plus est-ce que cela ne constituerait pas un délit en regard de l’article 1er de la loi Gayssot (du 13 Juillet 1990) qui parle de la « discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ». N’y a-t-il pas là franchissement de la ligne jaune quant à la liberté d’expression ?
Dans cette même période ; l’écrivain Yann Moix, commentant des émeutes en banlieue déclare : « Les flics ne veulent plus aller en banlieue, ils chient dans leur froc ». Entre la vulgarité, l’irrespect et la provocation, que penser de ce propos ?
Et encore plus violent, et semblant relever (à mon sens) du délit de racisme,  le rappeur, Nick Konrad : dit dans un clip encore sur Internet, qu’il faut « pendre les bébés blancs  » (je cite quelques paroles de sa chanson) : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, Attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps, divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands. Fouettez-les fort, faites-le franchement, que ça pue la mort, que ça pisse le sang ». « Pendez les blancs, et si ces hyènes s’accrochent aux lianes, descendez-les très brutalement…« , Vidéo sur  http://dakarbuzz.net/2018/09/26/video-pendez-les-blancs-le-clip-raciste-dun-rappeur-francais-qui-fait-scandale/
     Imaginez, un instant, que dans le texte de la chanson le mot blanc, soit remplacé par le mot, noir. J’aurais été tout aussi choqué. Et je me demande si Médiapart aurait défendu ce propos comme il l’a fait (dans un article, sur son site) pour le texte incriminé, en évoquant : le second degré, et de citer le rappeur pour qui il  n’y a pas de volonté d’inciter à la haine, et que c’était proposer une version différente de l’esclavage. Et enveloppant l’affaire dans un second degré l’article se réfère à Brassens ; ça a un côté grand écart du relativisme.  https://blogs.mediapart.fr/cuenod/blog/280918/faut-il-pendre-les-blancs
   De plus, d’où l’on parle donne un écho autre aux  propos. Si au café du coin un buveur de pastis parle de : gaulois réfractaires, de fainéants, de région d’alcooliques, des chômeuses femmes illettrées…, ça n’a pas la même portée que si c’est un Président de la République.
Je ne vois pas un général de Gaulle parlant ainsi aux Français, on a en mémoire ce titre d’un essai littéraire: « Un Président ne devrait pas dire ça ». L’exemple doit toujours venir d’en haut.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définit la liberté d’expression comme « un droit des plus précieux ; lire, parler, écrire, imprimer librement, sauf, à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
A savoir : ne pas diffamer, ne pas porter atteinte à la vie privée (là, on pense aux Paparazzi, aux journaux people), ne pas inciter à la haine, au racisme, au crime. Et (précision de la loi) excluant ce qui pourrait être considéré comme un trouble à l’ordre public, (ce qui ouvre un certain champ d’appréciation pour les pouvoirs en place).
Donc, je résume la limite à ne pas franchir : Incitation à la haine raciale, éthnique ou religieuse, apologie du crime, du terrorisme, discrimination sexuelle, de handicap, négationnisme.
La liberté d’expression je l’observe en divers lieux et je me dois de l’observer, de contrôler également mon langage.
C’est, au final, mesurer l’impact de ses propos sans devoir pour autant s’auto-censurer. Ce qui ouvre trois champs.
1° Ethique de conviction : ce que je pense, je le dis sans fard, car pour moi me taire serait une lâcheté, ce fut le cas pour Voltaire avec l’affaire Calas (par exemple). Et je mesure bien que  dire vrai peu aussi faire des dégâts, ce que j’assume dès lors que j’exprime ma conviction. « N’ayez pas honte de dire ce qu’on n’a pas honte de penser » dit une sagesse populaire.
La liberté d’expression peut vous faire risquer votre vie, c’est mourir pour des idées.
Ou
  2°Ethique de responsabilité, si je considère que dire et dénoncer ne sera pas un moyen agissant, et que cela pourra faire plus de mal que de bien, alors je m’abstiens.
La liberté d’expression n’est pas obligation de tout dire, elle comporte l’obligation, le devoir par respect d’autrui de mesurer ce qu’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire.  Je me méfie de ces expressions, comme : « je dis tout haut ce que les autres pensent tout bas » ou tout autre idiotie de ce genre. Et la franchise dit souvent des choses qu’on ne lui demandait pas.
Mais l’éthique de responsabilité peut aussi m’obliger. Se taire, taire une chose qui peut être conséquente engage notre responsabilité, c’est le silence complice. Il y a des silences qui tuent, qui sont des lâchetés, «  Les paroles des méchants tuent, les silences des bons tuent » (Martin Luther King) .
Nous pourrions débattre longuement sur la liberté d’expression dans les siècles passés, Nous sommes dans une époque où la liberté d’expression n’a jamais été aussi grande, mais, avec à la fois des dérapages et des interdits.
Alors comment, en toute raison fixer des limites, et quelles limites ?

 Débat : ⇒  On est loin de l’époque du Chevalier de la Barre décapité en 1766 condamné pour des propos rapportés et pour ne pas s’être décoiffé au passage d’une procession.

⇒  Il y a des groupes qui veulent semer le trouble.  Ce qu’on va retrouver  dans certains propos  des « indigènes de le République » des « déracisés », des « décolonisés » qui participent à une volonté des créer des clivages dans la société. C’est semer le trouble dans l’ordre public.

⇒  J’ai trouvé dans un récent numéro du Journal du dimanche un article traitant de ce sujet. C’est à partir d’une interview  de Philippe Val, journaliste, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo. L’article avait pour titre : « L’enfer de Val ». Ce dernier vit 24 heures sur 24, sous la protection policière.
Il est menacé de mort pour avoir demandé que soit retiré du Coran l’appel à tuer des incroyants, des juifs, des catholiques. Et d’autres personnes sont également protégées par la police pour avoir osé s’exprimer face aux islamistes.
Cela finir par créer un climat où il y a de l’auto censure, on ne peut plus débattre de certains sujets, ou alors on prend le risque qu’on vous tombe dessus. Entre une époque où on pouvait tout dire (il était interdit d’interdire), et notre époque, (où souvent on se tait), on est un peu passé d’un extrême à l’autre.
Et je pense aux personnes sous protection policière qui ne connaissent plus le bonheur de marcher seul dans la rue.

⇒ La liberté d’expression, comme la liberté de conscience, est un acquis de la démocratie. Mais, en dehors de cette liberté, et pour qu’elle reste libre, il nous appartient de savoir trouver la bonne mesure : suivant le contexte, suivant les personnes à qui l’on s’adresse. Ce n’est pas se taire dans la crainte, cela peut être ne pas dire par respect, ne pas choquer, voire ne pas choquer gratuitement.

⇒  Il y a des débats où il est difficile de s’exprimer, même d’aborder le sujet. Si vous posez une question sur l’immigration, sur les chiffres, vous aller trouver quelqu’un qui va vous cataloguer de raciste, alors que c’est un sujet de société qu’on veut pouvoir comprendre, faire la part du vrai et du faux.

⇒  Je pense que ce droit imprescriptible qu’est la liberté d’expression, doit s’accompagner impérativement, du devoir de bien dire les choses, «  Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Camus). Quand on emprunte des propos émis de façon désinvolte, ça finit par créer des conflits ; alors que si les choses avaient été bien dites, avec une base intellectuelle, on n’en arriverait pas là.
D’autre part, je reviens sur le cas de  Zemmour. Ce qui est dommage c’est que dans les médias les attaques soient ad hominem, alors qu’il faudrait lui répondre avec des arguments, attaquer ce qu’il dit, pas la personne.

⇒  Il y a eu plein de chansons interdites, du « Déserteur » ou des chansons de Léo Ferré, mais aucune n’a jamais appelé au crime, ni incité à la haine.

⇒  Aujourd’hui on constate des précautions langagières sur certains sujets. Ça peut être, la religion, l’immigration. Emettre une critique du Coran fait de vous un islamophobe. Schopenhauer en son temps dans la critique des trois monothéismes, disait que ces religions portaient aussi en elles de l’intolérance.

⇒  Je relis en ce moment Spinoza, le Traité théologico-politique, et je vois toute sa liberté d’expression, laquelle lui a valu d’être exclu de sa religion, de sa communauté. Et cette liberté d’expression l’amène à un propos politique qui serait banal aujourd’hui, mais qui était osé au 17ème siècle.

⇒  Certaines expressions artistiques permettent la transgression, mais pose la question des limites. Par exemple en 2016 le Musée Beaubourg expose des tableaux du peintre allemand Anselm Kiefer ; un ou plusieurs tableaux montrent un homme dans un champ qui fait un salut hitlérien. Les commentaires de ces œuvres, nous expliquent qu’il veut par là, se réapproprier l’Histoire de l’Allemagne. Soit ! Mais tous les visiteurs ne l’ont pas reçu ainsi. Le geste lourdement chargé de symbolique, a choqué des visiteurs en regard du poids de l’Histoire.
Dans un genre moins grave, on sait quel scandale avait provoqué l’exposition du tableau de Courbet, « L’origine du monde »
Alors, est-ce que même, par les voies artistiques on peut s’exprimer sans tenir compte, se questionner sur l’impact, ou sur le ressenti qui peut raviver des blessures ?

⇒  En  octobre 2018,  l’Assemblée Nationale a adopté un projet de loi relatif à « La lutte contre la manipulation de l’information » ; loi qui reste évoquée, (anglomanie oblige) loi contre les fake news. Elle fait l’objet de débat car s’il faut être très vigilant et lutter contre les dangereuses fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, pour beaucoup elle ne peut, une fois pour toute, valider comme vérité officielle des commentaires de grands médias
Nombre de français émettent un doute profond quant à l’objectivité de l’information, quant à la totale indépendance des contenus rédactionnels des médias. Alors, cette loi est ressentie, ou : comme loi protectrice en regard de la liberté d’expression, ou loi liberticide.
Dans ce même sens fin  juillet 2018 a été votée une loi sur le secret des affaires (un jour de départ en vacances des Français). Nombre de journalistes parleront de « Loi du silence ». Cette loi ; «  restreint la liberté d’expression  au profit de l’opacité des entreprises » dit un article dans le journal Libération
Au final, cette loi, amènera t-elle, dans les rédactions une autocensure ? Est-ce que cette loi ne vise pas aussi les lanceurs d’alertes ? Alors serait revenue, Anastasie, la dame de la censure avec ses ciseaux.
La liberté d’expression est un combat de toujours.

⇒ Il y a toujours eu des fake news. Et là, c’est comme si on attendait de l’État de nous immuniser contre les fausses nouvelles. Alors que, si on écoute le message des Lumières, il nous appartient déjà de « penser par nous-mêmes » ; juger par la connaissance, la raison, et être en mesure de débusquer les fausses nouvelles.
Alors, vouloir mettre un filtre sur tout ce qui est dit, et en extraire la vérité, ça me semble difficile.

⇒  Les gens n’ont jamais eu autant de connaissances, mais, avec les réseaux sociaux, on a ouvert les vannes. N’importe qui, peut publier n’importe quoi. Et les gens les plus motivés par une croyance vont consulter les mêmes sites d’expression. Laquelle n’est souvent que l’expression du petit groupe très actif.

Vous pouvez créer un site avec un forum de discussion, mais il faut être conscient que vous restez responsable en tant qu’éditeur des propos tenus dans ce dit forum de discussion.
La liberté d’expression a trouvé avec les réseaux de nouveaux chemins de liberté, mais ils ne sont pas sans risques, et des internautes se sentent libres de tout dire, voire d’insulter, ce qui a pu coûter cher à certains parfois. Ainsi, je voyais un jugement de la cour de cassation d’avril 2013 qui condamne une personne, laquelle sur sa page facebook, parlant des directrices de son entreprise, les traite de « chieuses », de « mal baisées », de « connes ». Nos propos nous engagent, nos écrits nous engagent.
Si vous publiez sur Le Net, vous ne trouverez pas tout de suite, en saisissant le titre de votre sujet,  ce que vous avez publié, il faudra attendre quelques jours, voire une semaine pour qu’apparaisse votre sujet sur Google. Cela  découle du fait que même si l’on entend souvent « Internet c’est tout et n’importe quoi », il y a quand même un contrôle de ce qui est publié. Et cela c’est le travail d’environ 100.000 personnes de par le monde, des modérateurs, ceux qu’on appelle : « Les petites mains du Net », ou, les « patrouilleurs de l’ombre » qui surveillent textes et images douteuses.
Il appartient encore aujourd’hui, malgré « l’intelligence Artificielle » à des personnes de définir ce qui est publiable, de ce qui ne l’est pas. Et la situation se complexifie quand on sait que ce qui choque un Américain, ou un Asiatique, n’est pas ce qui choque un Européen. On aura beau faire ingurgiter à un logiciel, la Déclaration de droit de l’homme et du citoyen, on aura beau leur faire avaler la signification de tous les symboles, par exemple reconnaître une croix gammée, le logiciel passera à côté du second degré, il aurait  laissé passé sans broncher, « un Durafour crématoire ».

 ⇒ Récemment a été publiée sur Internet une liste de 70 députés qui n’ont pas voté une loi concernant les élèves handicapés. Un site commente ainsi : « Ceci vous collera à la peau comme une infamie ». Cela nous pose la question : peut-on livrer ces députés à la vindicte populaire ? Même si je pense qu’il est utile de connaître les votes de nos élus, la méthode me questionne.

⇒ Qu’on mette des gens sur des listes publiées, ça me gêne.

 ⇒  Est-ce que par rapport à Mai 68 on serait passé dans un certain politiquement correct ? Ce politiquement correct que dénoncent les médias en l’assimilant aussitôt à du complotisme.
Aujourd’hui, est-ce que des Coluche, ou des Desproges, pourraient encore tenir les mêmes propos. Réécoutez-les et vous verrez que ça ne passerait pas. Est-ce que notre société compterait plus d’individus inaptes à saisir les seconds degrés ?
Je pense qu’on est rentré dans un certain conformisme du langage. Par exemple, je me souviens dans un débat d’avoir cités quelques philosophes, dont Alain Finkielkraut et Michel Onfray, et là, j’ai entendu – ah non ! Pas ceux-là ! –Ah bon qu’avez-vous lu des ces philosophes, qu’est-ce qui vous a déplu. La réponse fut – je ne les ai jamais lus, mais j’en ai entendu parler à la télé.
Et toujours face à ce conformisme, on n’ose pas trop dire que l’on n’apprécie pas, tel écrivain, tel peintre, de peur qu’on vous taxe de béotien. Mais, aussi, je me suis aperçu, que si j’osais dire que je n’aimais pas tel peintre, tel écrivain, il y avait d’autres personnes qui me disaient penser comme moi. On peut être face à un diktat du bon goût, qu’on n’ose pas affronter.

 ⇒ La liberté d’expression demande aussi une éducation, sinon elle s’exprime plus par la violence. En mai 68 l’expression était forte, vive, mais c’était celle d’étudiants qui savaient s’exprimer.

 ⇒  Il y a quatre ans c’était la tuerie à Charlie Hebdo et à l’épicerie Casher.
En 2015, un spectacle à partir d’écrits de Charb, (tué à Charlie Hebdo) a été présenté dans diverses salles en France. Ce spectacle s’appelait «  Lettre aux escrocs de l’islamophobie». De nombreuses municipalités ont refusé de donner ce spectacle. Par crainte, ou autre motivation ? J’ai pu le voir à Paris, il y avait quatre policiers devant le théâtre. La liberté d’expression peut être un acte de courage, comme elle peut se briser sur la lâcheté.

 ⇒ La liberté d’expression est aussi souvent évoquée concernant les médias. Cette liberté s’accompagne de règles déontologiques ; ainsi vous pourrez voir à la télé en Espagne des images gros plan d’immigrants noyés, images que ne montreraient pas nos médias.
Par ailleurs, le reproche le plus courant à l’égard des médias, est d’ordre politique : beaucoup de pluralité de publication, mais un déficit de pluralité d’opinion. La dépendance financière des médias, met le doute. Un industriel qui investit dans un média choisira-t-il un chef de rédaction avec une ligne rédactionnelle allant à l’encontre de ses intérêts. On connaît l’expression « Qui paie l’orchestre, choisit la chanson » (Ignacio Ramonet).
Toutefois il faut reconnaître que certaines télés invitent des « opposants » à  s’exprimer, et les éditorialistes feront leurs conclusions.
Entre le « nerf de la guerre » (l’argent)  et la totale liberté d’expression, limite ou pas limite ?

 ⇒ Est-on  jamais totalement objectif, souvent nos opinions sont orientées, voire à notre insu.

⇒ Dans le monde du travail la liberté d’expression est limitée. L’ordre hiérarchique limite ce qu’on peut dire, alors on se soumet.

 ⇒  Dans cette liberté d’expression, on peut être dans la servitude forcée, ou la servitude volontaire. Et puis, sujet d’actualité, on parle beaucoup d’expression par le référendum. J’ai tendance à penser que l’expression par référendum ne répond pas toujours directement à la question.

 G⇒Je ne me méfie pas trop des référendums, mais des questions des référendums. On nous propose un « grand débat », mais il nous est présenté cadré, limité en quatre lignes. Hors ces sujets, on ne veut pas entendre votre expression, alors que tout peut être abordé, et que le traitement de tout ça peut être mouliné par des ordinateurs afin connaître les principales préoccupations.

 ⇒ Je regrette dans l’expression des médias un manque de pluralité d’expression. Ainsi concernant certains chefs d’État étrangers il n’y a qu’une forme d’expression : les gentils, les méchants, sont fixés une fois pour toute.

 ⇒ Je suis plus favorable aux référendums, qu’aux sondages d’opinion. Car lors d’un référendum, il y a une campagne, des débats, de l’expression qui peut nous éclairer. Un grand choix sociétal décidé par référendum, on ne va pas le contester ensuite.

 ⇒  Liberté d’expression, jusqu’où ? Moi, je m’en remets à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soit : tout ce qui ne nuit pas à autrui.

 ⇒  Je retiens qu’on a défini la liberté d’expression, en la liant à la nécessité de s’informer avant de s’exprimer.

Y a t-il des limites à l’hospitalité?

 

Le juif errant Chagall 1925

Le juif errant Chagall 1925

Restitution du  13 décembre 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Modérateur: Hervé Donjon
Introduction : Edith.

Introduction : Le texte accompagnant l’affiche invitant à ce débat, indique bien que cette question implique plusieurs problèmes (Je cite) « Nous avons vu ces images de colonnes de réfugiés, ou les migrants sur des barques surchargées, nous avons tous entendu parler de ces milliers de naufragés ».
  Un problème linguistique d’abord : comment nommer ceux auxquels on propose l’hospitalité ? De qui sommes- nous les hôtes ? Et qui sont ceux  que l’on accueille ou pas ? Ensuite, le même texte disait : « Ces images, ces informations nous interpellent.., mais au-delà du défi aux gouvernements, c’est aussi au niveau individuel, un cas de conscience. Alors, quant à mettre des limites à l’hospitalité, entre raisons du cœur et raisons économiques, comment répondre ? » La question implique aussi un problème existentiel : dois-je choisir entre accueillir «  toute la misère du monde » (Rocard 1989) ; il paraît que la phrase était «  La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais doit en prendre sa part »,  ou comme Mitterrand parler de seuil de tolérance, repris par Walls (2015) à propos des Roms, et par Macron en 2017.
Puis-je choisir entre ce que je ressens comme un devoir moral, et ce qui est une contrainte politique liée à des impératifs économiques ? La question implique donc bien  de réfléchir  à des problèmes  philosophiques : que signifie hospitalité ? En soi, et pour moi : toujours et aujourd’hui. Que signifie limites ? Pour tous et pour moi : en fonction de notre histoire et de notre actualité.
La question est d’une actualité internationale brûlante sur le plan juridique: hier 11 décembre a été discuté au Maroc, le Pacte de Marrakech proposé par l’ONU (l’Organisation des Nations Unies) pour que les Etats s’accordent à mener une politique humaniste des migrations, conforme à la  Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). 150 pays ont adopté lundi ce pacte, « le Pacte mondial sur les migrations » des Nations unies, en le défendant par de vibrants plaidoyers face aux critiques des nationalistes et partisans de la fermeture des frontières. « Nous ne devons pas succomber à la peur », a exhorté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avant l’adoption formelle de ce texte destiné à renforcer la coopération internationale pour une « migration sûre, ordonnée et régulière« . Comme d’autres dirigeants présents à Marrakech, M. Guterres a aussi dénoncé les « nombreux mensonges » sur le Pacte qui a généré des tensions politiques dans plusieurs pays.
Et c’est un texte juridique  qui répond à une question d’actualité mondiale à traiter d’urgence. En 2005, 191 millions de personnes (3% de la population mondiale) vivaient en dehors de leur pays d’origine et, parmi elles 9,2 millions de réfugiés ayant fui des conflits armés, des désastres naturels, la famine ou la persécution. En 2013, était estimé à 232 millions le nombre de migrants dans le monde (près de 3,4 % de la population mondiale) ; ce sans compter la masse des illégaux et les clandestins – estimés à une quinzaine de millions et les sans papiers dans le monde occidental ; près d’un milliard si on intègre les migrants internes c’est-à-dire ceux qui ne franchissent pas de frontières nationales. Un milliard c’est-à-dire un habitant de la planète sur sept.
Il y a 3,4% de la population mondiale en migration pour des causes et des raisons  diverses, plus de 80% des déplacements entre les pays se fait de façon légale. Pour la migration clandestine, plus de 60.000 sont morts pendant leur périple depuis 2000, selon les chiffres de l’ONU.
D’autre part, en France il y a près de 11% d’ « étrangers » (selon la définition Eurostat) c’est à dire citoyens d’autres pays que les pays de résidence.
Les  chiffres  sont ceux donnés dans le livre d’Alexis Nouss « La condition de l’exilé». A mon avis c’est un texte très important car enfin l’ONU reconnaît que la migration et l’hospitalité ne concernent pas que l’Europe mais le monde entier. Ce n’est pas à L’UE de s’occuper seule de ce problème d’autant plus que les immigrés viennent d’autres pays que l’Europe. Et  il s’agit de l’hospitalité humaine universelle, c’est bien dit dans les objectifs. Beaucoup de pays ne vont pas signer (Hongrie, Italie .., les Etats-Unis se sont retirés, le Brésil a annoncé ce 11 décembre qu’il se retirerait). Ce sont les pays qui sont contre les valeurs universelles et le multilatéralisme.
C’est là un texte juridique (qui reprend la constitution de 1793), la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 avec les principes qui sont repris en tête de notre constitution. Les principes  de la déclaration universelle sont les suivants :
– libre circulation des hommes et des idées. Chacun a le droit de quitter son pays pour n’importe quel motif.
Est-ce un droit légitime ? Se pose la question des exilés pour des raisons  fiscales aujourd’hui (les  « évadés » fiscaux qui fuient les obligations civiques) comme celle des exilés contre- révolutionnaires de 1789.- Droit d’asile pour les personnes persécutées dans leur pays. Est- ce un droit légitime ? Se pose la question de l’ingérence d’un gouvernement dans un autre pays par rapport à la nature des persécutions (l’excision des petites filles, le bannissement des femmes dites adultères ou des mécréants,  la fatwa à l’encontre des apostats sont- elles des persécutions ?).
Sur ces deux  fondements (principes) il faut distinguer les différents cas d’hospitalité.- l’hospitalité pour les demandeurs d’asile, (hospitalité politique) après vérification de leur situation doit elle être inconditionnelle ?
– L’hospitalité pour les réfugiés économiques, (hospitalité économique) est-elle légitime dans les pays qui connaissent une crise économique ? Et vous avez tous entendu alors des discours de haine (populaire !) contre les étrangers
– Enfin l’hospitalité va se poser pour les réfugiés climatiques (hospitalité environnementale)
–  Qui  peut et comment prendre en compte ce nouveau type de réfugiés ?
(Je développerai plus avant dans le débat, ces sujets d’hospitalité et limites)

Débat

 

Débat : ⇒ L’hospitalité est indispensable dans une société humaine, elle est l’expression d’appartenance à l’espèce, et nul ne peut rester insensible à la douleur ou à la détresse de ses semblables. A ce propos, Victor Hugo, dit : « Soyez hospitaliers, même avec votre ennemi ». Devant une crise humanitaire perpétuelle, on voit qu’il y a effectivement des limites à l’hospitalité pour de nombreuses raisons. Pour des raisons politiques, économiques, coût financier excessif pour accueillir des migrants, des victimes de faits de guerre. Limites dues aussi à la peur de perdre son identité, peur du « grand remplacement »  annoncé par des « intellectuels éclairés », ce qui va entraîner une montée de populisme, de nationalisme, ou encore peur religieuse, etc.
Cependant le monde civilisé, ou plutôt, le monde démocratique, montre sa solidarité constante avec le reste de l’humanité en proie à la pauvreté et aux cataclysmes, même si cette hospitalité est de plus en plus retenue.
Pour conclure ; je dirai, avec force, que l’homme ne peut se soustraire matériellement et moralement à l’association humaine. Et mon propos est celui d’un homme de tête, et d’un homme de cœur.

⇒  Hospitalité nous vient du mot latin « hospis », (hôte), donc dans ce sens, un hôte est un invité. Un autre sens est : Le droit réciproque de trouver logement et protection les uns chez les autres. Mais pris au sens premier l’hospitalité était un devoir envers le voyageur.
Comment adapter ce devoir moral, situationnel, en devoir moral, permanent. « Une porte doit être ouverte ou fermée », serait une formule qui bloque le débat.
Aujourd’hui en France une majorité dans la population est hostile à une immigration non contrôlée ; une autre partie au nom de l’humanisme serait plus pour « la porte toujours ouverte »
C’est un problème politique, philosophique, social, humain, et c’est surtout un cas de conscience.
Les événements récents montrent une situation qui a pris une autre dimension, car nous sommes passés de la notion d’émigrants économiques,  à celle de réfugiés, les premiers fuient la faim et la misère, les seconds fuient en plus la guerre et ses exactions, pour eux c’est :  fuir ou mourir.
Le 19 avril de cette année (2015) un naufrage en Méditerranée fait une hécatombe, 700 morts. Même si nous apprenons chaque jour des naufrages en mer (1650 du 1er janvier au 19 avril 2015) nous avons tous été vivement émus face à cette horreur, où des femmes et enfants sont engloutis par la mer ; et cela nous pose la question : au nom de l’humanisme, au nom de notre solidarité envers notre prochain, pouvons-nous continuer à entendre, « noyées » dans le flot médiatique, de ces terribles informations ?
Puis le 2 septembre de l’année 2016, les télévisions du monde entier montrent le corps du petit Aylan, gisant noyé sur une plage. Puis, dans les images chocs, nous avons vu ce camion frigorifique en Autriche qui contenait les cadavres congelés de 71 personnes, puis nous avons vu des policiers hongrois, (le 11 septembre), qui ayant parqué des réfugiés derrière des grillages, leur jetaient de la nourriture par-dessus les grillages, comme on le ferait pour des animaux.  Ces images, non seulement nous brisent le coeur, mais elles nous font honte.
Nous pouvons bien sûr penser, voire, nous réfugier dans l’idée que ce problème ne dépend pas de nous, que nous sommes individuellement impuissants. Nous sommes bouleversés, et puis après !!!
Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main des objections pour une totale libre circulation de tous les individus sur la Terre. Nous savons que dans ce cas, une grande part de l’Afrique subsaharienne, de ressortissants de divers Etats africains, de personnes du Moyen-Orient, voire d’autres pays, que des réfugiés climatiques, vont submerger les habitants de l’Europe, que des millions et des millions individus vont affluer et se concentrer dans les régions au climat qui permet la vie et à un meilleur niveau de vie. Cela risque de créer des conflits, voire des guerres.
L’angélisme peut être dangereux ; une totale libre circulation peut déstructurer totalement nos sociétés, amener une dictature ou même une religion qui nous soumettra à son dogme, et qui fera voler en éclat le principe de laïcité.
Cette éventualité, ce risque, nous le savons aussi, alimente des fantasmes des peurs exploités par des mouvements d’extrême droite, des mouvements xénophobes.
La peur est souvent abstraite quand l’hospitalité est concrète ?
A ce jour la réponse politique qui donne bonne conscience, est : « aidons les pays où sévit la misère afin que leurs habitants ne soient plus obligés d’émigrer ». Oui, très bien !  Sauf que l’aide décidée en 2005 par l’ONU fixée à 0,70% du PIB des pays, n’est aujourd’hui que de 0,19 pour les USA, ou à 0,36% pour la France.
Sauf que la finalité de ses aides n’est pas contrôlée. Les organismes et ministères qui reçoivent ses aides ne les utilisent pas à restreindre la misère dans leur pays. Un africain vous dira : les aides des autres pays pour l’Afrique font vendre des Mercedes pour leurs dirigeants.
Au final, ceux qui aident le mieux à lutter contre la misère, sont, nombre de nos immigrés, et j’insiste sur cette expression qui les honorent, « nos immigrés » Combien de ces anonymes qui travaillent dur, qui travaillent à des tâches pénibles, qui travaillent surtout pour envoyer le mandat au pays, à la famille, ceci au prix de sacrifices qu’ils ne montrent pas. Ce sont eux, oui ! Eux qui sont les meilleurs remparts à des départs massifs, ce sont eux qui aident, (sans les ponctions de prédateurs), les familles à survivre. Leur rendre cet hommage qui leur est dû, peut un tant soit peu, soulager notre conscience, notre incapacité à mettre en accord notre aspiration humaniste, face à la volonté de préserver les acquis d’une évolution tant sociale qu’économique. Et si cette crainte déjà évoquée peut être ressentie en regard d’un modèle social, d’un modèle culturel, cela peut-être aussi ressenti quant au modèle républicain, quant à ce principe qui nous permet la paix religieuse, la laïcité.
Pour les émigrants il n’y a pas une volonté d’envahir, de coloniser, (là c’est de l’humour) mais c’est presque toujours, fuir la misère, c’est fuir la guerre, c’est fuir un mode de vie qui vous enferme, c’est parfois obéir au père qui n’a plus d’autre solution que de vous envoyer chercher de l’argent pour que la famille puisse survivre, alors c’est risquer le tout pour le tout,  parce qu’on n’a pas d’autre choix.
Quand on est dans une certaine opulence, un certain confort, on ne va pas risquer sa vie, émigrer, solliciter l’hospitalité. Quoique… On voit que l’hospitalité fonctionne très bien dans certains pays, (même en Europe) pour l’optimisation fiscale.

⇒  Poème d’Hervé (A la mémoire du petit Aylan) : Lire avec émoi.

Lieu d’une tragédie narrée en poésie
Interroger l’âme, puis livrer le sujet
Relaté avec émoi et sans fantaisie
Embarquons pour l’histoire d’un trajet

Conter l’odyssée vécue est émouvant
Emportée vers son destin, la marée humaine
Cherche la liberté en payant leurs servants
Implorant le besoin d’aide, par centaines.

Au rythme des vagues, au soleil couchant
Vois la lune et son collier formé d’étoiles
Envelopper dans la nuit cet exil émouvant
Couché dans ce faible esquif sans voile.

Étendu, le corps sans vie sur le sable mouillé
Malheureuse dépouille qui ne verra plus les astres
Oeuvre des flots, des tyrans aux mains souillées
Injure à l’humaine cohorte dénonçant ce désastre.

⇒  Si on y regarde d’un peu plus près les acteurs de l’activité économique, (pas ceux que j’appelle les parasites) sont souvent des émigrés ; émigrés récents, moins récents, enfants d’émigrés.

⇒  Un homme politique disait hier à la télé, que le pacte de Marrakech qui définissait des règles, une éthique de l’accueil des migrants, du fait qu’il n’était nullement contraignant, qu’il n’avait pas de portée juridique, n’était qu’une pétition de principe.
Et dans ce pacte, j’ai trouvé intéressant, entre autres, le fait que cela évoque le coût des envois des fonds des émigrés aux familles au pays. Il y a des organismes qui longtemps ont racketté les émigrés.
Et je voudrais évoquer deux principes qui restent au cœur de cette notion d’accueil, d’hospitalité : ce sont assimilation et intégration, sujets qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Dans certains pays, l’immigré doit devenir identique en tous points, se conformer, et on se rappelle cette formule : « La France tu l’aimes, ou tu la quittes ». Notre pays propose plutôt l’intégration, autre démarche, qui invite le nouvel arrivant, sans renier ses origines, ses racines, à épouser dans le temps le mode de vie de ce pays qu’il a choisi pour émigrer.
L’intégration n’est pas contrainte, car celui qui a choisi tel pays pour émigrer, a d’avance connaissance des valeurs du pays qu’il va rejoindre. Des valeurs qu’il fera peu à peu siennes, qui seront celles de ses enfants qui feront sûrement « souche »
Si je m’exile dans un autre pays et que je veux y imposer les règles, les usages du pays d’où je viens, je ne viens plus en ami, mais en conquérant.
Nos sociétés deviennent de plus en plus multiculturelles, ce qui est en soi une richesse. Mais comme à terme on ne pourra pas conserver, transmettre toutes ces cultures, il y a un risque d’appauvrissement culturel, de déculturation pour le pays d’accueil. Il faut y penser, l’envisager, pour préserver l’essentiel, et continuer à le transmettre.
Un mythe grec image très bien ce qu’est l’assimilation, c’est le mythe de Procuste : Procuste était un brigand qui invitait les voyageurs à venir se reposer chez lui. Il n’avait qu’un seul lit à leur offrir, et à ceux qui étaient trop petits pour la dimension du lit, il étirait les membres jusqu’à la mort; à ceux qui étaient trop grand pour renter dans le lit, il leur coupait un peu les pieds, un peu les jambes. Il sera tué par Thésée qui lui fera subir le même sort.
Cela illustre l’obstination à vouloir à tout prix assimiler l’immigré.

⇒  Je ne suis pas d’accord pour dire que le pacte de Marrakech, ne serait qu’une pétition de principe. La Déclaration universelle des droits de l’homme, c’est une pétition de principe, c’est-à-dire, que c’est l’affirmation que les Etats doivent trouver les moyens d’appliquer ce principe.
Le mot français hospitalité est, dés le 12ème  siècle dérivé du latin « hospitalis » qui désigne l’hébergement gratuit et l’attitude charitable qui correspond à l’accueil des indigents, des voyageurs dans les couvents, dans les hospices et les hôpitaux. Celui qui donne ou reçoit l’hospitalité est un hôte, c’est-à-dire que l’hôte est à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli, cela implique-t-il qu’il doit y avoir une relation de reconnaissance réciproque quand il y a hospitalité ? Et … le mot hostis d’où dérive le mot français hôte a pris la valeur d’étranger (celui qui est hostile ou auquel je suis hostile).
Ce qui entraîne une autre question : qu’est-ce qu’un étranger ?
C’est, au sens propre, celui qui n’a pas la nationalité du pays où je vis. Et en un sens plus ou moins sentimental, celui qui n’a pas l’appartenance du groupe qui est le mien.
Je reprends à mon compte ce que le philosophe contemporain Derrida écrit dans l’ouvrage  De l’hospitalité  « Quelqu’un peut m’être  moins « étranger , qu’un compatriote ou un citoyen   même s’il ne partage pas avec moi la langue nationale: s’il partage avec moi une culture, par exemple un certain mode de vie lié à une certaine richesse: A certains égards, j’ai plus en commun avec tel bourgeois intellectuel (….) dont je ne parle pas la  langue, qu’avec tel ou tel français qui me sera, pour telle ou telle raison sociale ou économique, sous tel ou tel rapport, plus étranger ».
Face à l’étranger l’hospitalité prend deux formes: la charité individuelle qui est au fondement de toutes les religions (conformément au principe de l’amour du prochain) et la solidarité sociale qui est une valeur politique de l’Etat républicain (conformément au principe du Bien commun).

⇒ Je suis tout à fait conscient qu’on ne pourra pas arrêter les flots de migrants. Pour imager cela je reprends ce que disait un migrant bloqué à la frontière roumaine : « Nous sommes comme l’eau, vous pouvez nous arrêter, mais nous finiront par passer »
On sait que notre société vers 2050 ne ressemblera pas à celle d‘aujourd’hui. Il faut en être conscient et gérer cet avenir. Aller vers plus du tout de frontière, aller vers la porte grande ouverte, ça peut être la catastrophe. Si j’accueille chez moi, je prévois de quoi manger, je prévois de quoi loger. Qu’est-ce qu’on a fait dans les années 1950/1960 ? Sans structures d’accueil, on a laissé venir une forte vague d’immigration, et on s’est retrouvé avec la honte des bidonvilles, dont Nanterre, le plus connu. Avec le temps on a mis des quotas (un mot qui fait hurler certains). Mais devenus plus responsables, notre pays d’accueil a fait les HLM (si critiqués) où les immigré trouvant, entre autres des sanitaires, et une vie plus décente, ont enfin trouvé le respect de l’humain
Je pense que très majoritairement dans ce pays, la France, il y a une volonté pour que les nouveau arrivants puissent s’intégrer, et combien d’associations travaillent dans ce sens. Néanmoins ce qui nous pose problème c’est les refus d’intégration, les replis identitaires, les communautarismes, qui mettent des barrières.
Et, il y a des éléments qui génèrent un blocage chez certains Français ; ainsi il y a quelques temps, on a vu à la télévision cet homme Afghan qui expliquait pourquoi il voulait venir en France. Puis on le voyait devant sa maison avec sa famille, et là on découvrait que sa femme était « grillagée »
Alors, on se dit : là, on n’est pas d’accord ! Pas d’accord pour des visages cachés derrière un grillage de tissu. Voilà une des limites.
Si une personne souhaite émigrer vers la France, et qu’elle n’est pas d’accord avec les lois républicaines de ce pays, pas d’accord avec le principe d’égalité homme/femmes, et de plus  hostile au principe de laïcité, alors, ça pose un vrai problème. Et encore d’autres limites.
Au-delà de cela, donner les moyens et fixer les règles d’accueil semble être la démarche responsable. Pour exemple, au Pays-Bas : «  les communes proposent aux nouveaux arrivants un programme destiné à les familiariser avec la société néerlandaise. Ce programme comprend l’initiation aux règles et coutumes des Pays-Bas [….] la loi sur l’intégration des nouveaux arrivants oblige ceux qui bénéficient d’une allocation à participer à ce programme sous peine d’amende.. »                                  https://books.google.fr/books?isbn=9791033164678

⇒  Je voyage pas mal pour mes activités, et toujours avant de partir dans un pays, je me renseigne sur ce que je dois faire, sur ce que je ne dois pas faire. Je dois respecter les us et coutumes de ce pays, c’est d’abord une question de politesse.
Et je dirais que l’hospitalité sans limite ferait courir de gros risques. On est obligé de faire un minimum de distinction, penser aux conditions économiques, et penser aux valeurs d’un pays.

⇒  On ne quitte pas de gaîté de cœur son pays, sauf à de rares exceptions. Je suis pour une hospitalité sans limite, sans frontières. Les frontières, c’est ce que les hommes ont inventé pour protéger leurs biens.

⇒  Une autre question maintenant est celle de comprendre ce que signifie limite pour répondre à la question pour ce débat.
Le philosophe Derrida, dans  « Cosmopolites, encore un effort » soutient que le sens de l’hospitalité est naturel à l’homme.  Pour cela il s’appuie sur l’idée du philosophe Levinas que je reprends à mon compte aussi, selon laquelle voir le visage d’autrui me fait dépasser le réflexe xénophobe qui me fait dire  « eux et nous » ; le visage d’autrui m’impose le respect de l’autre, de celui qui m’est étranger. Et donc le sens de l’hospitalité est sans limite et même refuse d’examiner les éventuels risques qu’elle implique.
« Il nous est arrivé de nous demander si l’hospitalité hyperbolique, inconditionnelle, absolue, ne consistait pas à suspendre le langage… Ne faut-il pas aussi soumettre à une sorte de retenue la tentation de demander à l’autre qui il est, quel est son nom, d’où il vient ? Ne faut-il pas s’abstenir de poser ces questions qui annoncent autant de conditions requises donc de limites à une hospitalité ainsi contrainte et confinée dans un droit (… )? …..Sans cesse nous guettera ce dilemme entre l’hospitalité qui passe le droit, le devoir ou même la politique, et l’hospitalité circonscrite par le droit (….)»
   Et, en effet il nous faut réfléchir en fonction du contexte dans lequel nous sommes, et par exemple le fait historique que des djihadistes qui ont l’objectif d’imposer la charia pour construire l’oumma (la communauté islamique) puissent être parmi les migrants.
Il nous faut réfléchir sur la question de l’hospitalité,  en fonction du contexte.
Au 18ème siècle, Kant écrit un « Projet de paix perpétuelle ». Dans le contexte des colonisations en Europe l’une des conditions est que l’hospitalité soit seulement un « droit de visite » et non pas un « droit de résidence ». Cela pour éviter que l’hospitalité sans limite courre le risque de rendre possible la colonisation comme avec les Indiens d’Amérique. Ainsi l’hospitalité sans limites est le principe d’une politique libérale qui compte sur le commerce pour pacifier les relations entre les Etats. Aujourd’hui, la mondialisation entraîne que l’émigration est une donnée du système capitaliste qui s’installe partout. Elle contraint les peuples à fuir les guerres (qui sont faites aussi pour le partage du monde) et à aller vendre leur force de travail là où il y a des possibilités d’emploi. Dans ce système où l’humain est relégué par l’argent, l’hospitalité  sans limite est un idéal qui ne prend pas en compte les réalités. Et en ce sens si l’idéal de l’hospitalité c’est qu’il n’y ait pas de lois ni de droit d’hospitalité, il me semble que pour ne pas tomber dans le voeu pieux, et pour concilier concrètement l’hospitalité avec le vivre ensemble,  il faut  lui imposer  non pas une limite mais des bornes légales, et par exemple des contrôles des migrants. Mais pour cela il faut non seulement des moyens et  être clair sur ce qu’on contrôle et rester dans ce qui est conforme au droit et, s’il faut renforcer les contrôles, rester dans le droit – qu’il faut peut-être modifier en situation de guerre- mais ne pas accepter l’arbitraire.

⇒ L‘hospitalité universelle et sans limite est un principe, et alors aux États, aux gouvernements de dire ce qu’on fait et quelle part de budget on met pour ça.

⇒  On ne peut pas avoir une attitude « bisounours » : venez, il n’y a pas de problème,  et on verra bien !

⇒  Les Canadiens qui défendent la langue française, du fait de l’immigration de personnes qui n’ont comme que l’anglais comme langue véhiculaire, se retrouvent avec des commerces, des services où la langue française n’est pas utilisée, ce qui va générer un recul dans l’usage du français. C’est un peu de la déculturation.

 

 

 

 

 

 

 

Sommes-nous en train de perdre connaissances

 

Deux filles lisant Picasso. 1934

Deux filles lisant Picasso. 1934

Restitution du  28 novembre 2018 du café-philo de Chevilly-Larue

Animation:  Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction: Thibaut Simoné

Introduction : Les connaissances produites de manière rationnelle et collective dans le monde chaque année, constituent un volume si vaste qu’il est devenu impossible pour l’honnête homme de se constituer une bonne culture sur des sujets aussi variés que la génétique, le climat ou la radioactivité alors que tout le monde en parle ou presque. Ne pouvant se targuer d’une connaissance universelle, l’individu devient un « croyant par délégation » comme l’avait bien compris Tocqueville en son temps quand il déclare « il n’y a de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. » En effet, à mesure que progresse la connaissance scientifique, « plus on sait de choses, moins je sais de choses ».
Pourtant, nous avons tous individuellement de nombreuses connaissances scientifiques : nous savons que la Terre est ronde, que les espèces évoluent et que l’atome existe. La difficulté réside dans notre rapport à la connaissance. Selon le philosophe des sciences Etienne Klein, «Nous savons que nous savons mais nous ne savons pas comment nous avons su ce que nous savons» et « cette mauvaise connaissance de nos connaissances nous empêche de dire en quoi elles se distinguent de simples croyances ».
Il a été montré également que plus les citoyens paraissent informés sur une question, plus ils doutent de la parole des scientifiques. Le besoin de véracité légitime en démocratie fait douter de la vérité elle-même comme le rappelle le philosophe Bernard Williams dans son livre «vérité et véracité». A cela s’ajoute, en particulier sur les réseaux sociaux tels Facebook, l’émergence d’une contre-culture, conséquence de la déliquescence des élites, et la diffusion massive de fausses informations et de « théories » alternatives aux théories scientifiquement acceptées par la communauté des chercheurs. De plus, outre la massification des données et la dérégulation de l’information sur Internet, nous observons la possibilité pour tous, quelque soit son degré d’expertise, d’intervenir via son clavier et de participer à un « relativisme » pas nécessairement de bon aloi au sein même de l’espace public. La mainmise par quelques-uns parmi les plus motivés du marché de l’information, constitue un risque majeur pour la démocratie.
Car au droit de douter, s’ajoute le devoir de douter avec méthode sans céder à la paresse intellectuelle, et aux nombreux biais cognitifs dont nous sommes tous les victimes. Comme le rappelle Francis Bacon dans  Novum Organum: «L’entendement humain, une fois qu’il s’est plu à certaines opinions, entraîne tout le reste à les appuyer ou à les confirmer ».
Pourtant, « on ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire » comme nous le rappelle Gaston Bachelard. Plutôt que d’aimer le vrai et dire non à notre propre pensée qui souvent nous enchaîne dans une caverne de l’ignorance, nous avons tendance à tenir pour vrai ce que nous aimons. Nous affectionnons un certain confort intellectuel et nous privilégions les informations qui sont en conformité avec notre vision individuelle du monde. « Tout est relatif » argumentent alors certains. Pourtant, si cela était vrai, il serait relatif que tout est relatif. La phrase porte en elle-même une contradiction majeure qui la rend fausse. Einstein ne l’a d’ailleurs jamais prononcée.
En matière de vérité, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. « Quid de l’avenir de la connaissance ? » Nos sociétés actuelles sont les héritières de l’esprit des Lumières mais « les lumières projettent toujours des ombres ».
Les progrès des sciences et des techniques, conjugués à une augmentation toujours plus grande des flux énergétiques, ont entraînés une élévation générale du niveau de vie dans nos sociétés. Nous arrivons à une ligne de partage des eaux, où ce modèle de développement, entre en collision avec la raréfaction des ressources ce qui peut, à plus ou moins long terme, déstabiliser nos sociétés droguées au pétrole. Un ralentissement de la croissance, un chômage de masse et la colère populaire en sont les avatars les plus visibles. Les populismes de tous bords trouvent alors de plus en plus d’auditeurs séduits par leurs chants de sirènes car en effet « le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il voit les choses plus simples qu’elles ne sont, et par là en donne une idée plus compréhensible et plus convaincante. »
Comme le pense Nietzsche « on peut prédire presque avec certitude le cours ultérieur de l’évolution humaine : l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la fantaisie, reconquerront pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, leur territoire auparavant occupé : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie est la conséquence prochaine ; de nouveau l’humanité devra recommencer à tisser sa toile, après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui nous est garant qu’elle en retrouvera toujours la force ? »

Débat

 

 Débat :  ⇒  Il y a une croyance dans le Coran qui (suivant l’interprétation) dit que la terre est plate, et aujourd’hui encore il y a des gens qui s’en tiennent là, et aux Etats-Unis des croyances ont valeur de connaissances avec les théories des créationnistes. Il y a tout de même des personnes qui donnent à connaître, je pense par exemple à l’émission d’Elise Lucet, «  Cash investigation » qui participe avec jusqu’à trois mille journalistes à des enquêtes d’investigation

⇒ Depuis des siècles l’homme augmente ses connaissances, par transmission de connaissances, par acquisition de nouvelles connaissances.
Mais la question se pose aujourd’hui, et sûrement que ce n’est pas la première fois qu’elle se pose : « Sommes-nous en train de perdre connaissances »
Autrement dit, aurions-nous perdus des savoirs? Des savoirs d’ordre : intellectuels, des savoirs artistiques, des savoirs artisanaux, ou des savoirs plus simples comme des savoir-faire de nos grands-mères, ou grands pères ?
Bien sûr, il y a nombre de savoirs qui ne seraient d’aucune utilité aujourd’hui. A quoi nous servirait de savoir attraper une truite avec la main, de poser un collet pour attraper un lapin, savoir disposer des lettres de plomb pour imprimer un texte, aiguiser une faux, la liste serait bien longue. Nous laissons derrière nous la mue de nos savoirs devenus inutiles.
Fort heureusement le mode de vie est évolutif, il nous astreint à apprendre sans cesse, on dirait aujourd’hui, que depuis la tablette d’argile, jusqu’à la tablette numérique, nous n’en finissons pas de « faire nos mises à jour ». Et l’expression image bien une des situations actuelles, se former sans cesse pour utiliser les moyens technologiques de plus en plus évolutifs, tels les smartphones, les ordinateurs, et toutes ces démarches administratives qui ne se font plus que sur Internet, et également tous ces automatismes où, il faut « converser » avec une machine, et ceci dans une logique qui est souvent, loin de correspondre à la nôtre.
Les aptitudes de mémorisation se sont amenuisées en passant à l’oralité, cette oralité qui nécessitait une prodigieuse mémoire. (On pense à Homère  dont la totalité de l’œuvre était, ligne après ligne présente dans sa tête). En passant à l’imprimé, à l’imprimerie, puis à la connaissance externalisée numériquement, nous avons pu perdre encore certaines facultés, dont celle dans la lecture d’analyser un texte, celle de toute la subjectivité qui nous rend apte à lire entre les lignes, à découvrir le message caché, et découvrir occasionnellement un second degré.
Même avec des heures et des heures d’écran, allons-nous apprendre la grammaire, avec tous les accords, apprendre toute la subtilité de la syntaxe, et toutes les règles. Notre communication, notre langage ne va-t-il pas s’aligner sur une écriture d’algorithme, devenir plus une langue pratique, un peu comme la langue anglaise, langue informatique ; évacuant la langue de Shakespeare, comme la langue de Molière.
Nous sommes de plus en plus en voie de restreindre nos aptitudes, en se spécialisant dans une connaissance particulière, ceci au détriment des fameuses « connaissances générales » au détriment de connaissances pratiques : on dit souvent en forme de boutade qu’un ingénieur informaticien, a du mal  à s’y retrouver face à un plan du métro parisien.
Est-ce que nous n’allons pas vers un monde de connaissances sans études ? Un univers qui nous fait sortir du projet des Lumières, et au soulagement de certains, ou au regret d’autres,  de ne plus avoir à penser par soi-même. Alors Kant sera passé de mode.
Nous voyons également de plus en plus de tâches où l’individu, est pratiquement asservi à un process, un programme informatique ; programme qu’il ne connaît pas, il obéit au programme, il est dans une procédure dont il ne connaît pas précisément la finalité.  Il y a bientôt trente ans, Jean-François Lyotard évoquait ce déplacement des connaissances : « Il est raisonnable de penser que la multiplication des machines informationnelles affecte et affectera la circulation des connaissances autant que l’a fait le développement des moyens de circulation, des hommes d’abord (transports), des sons, des images ensuite (médias). Dans cette transformation générale, la nature du savoir ne reste pas intacte »
    Enfin, et pour finir, je dirai, que faire de plus en plus d’exécutants de process, serait qu’après les avoir supprimés, nous récréerions, par certains côtés « de nouveaux poinçonneurs du métro »

⇒ Est-ce qu’on doit prendre le mot, connaissances, dans le sens : savoir quelque chose de manière individuelle ; tel, je sais que la terre est ronde. Ou, si c’est : connaissance de choses qui ne sont que des informations, et donc pas forcément vraies, ou encore connaissances pour lesquelles on ne va chercher plus loin dans notre réflexion.
Alors, à la question : «  Sommes-nous en train de perdre connaissances », est-ce comme cela a été évoqué, laisser certaines connaissances dernières nous, pour mettre en avant d’autres  connaissances ? Pour l’instant je ne sais pas comment prendre ce sujet.

⇒ Le terme « connaissances » est polysémique, et on peut hésiter dans le sens à retenir.

⇒ Une information n’est pas une connaissance. De plus il ne peut s’agir de croyance qui est aussi un mot polysémique. Quand je dis : je crois, ça n’a pas forcément le même sens que ce à quoi je crois par ailleurs. Un exemple, si je dis : je crois que l’univers à 3,8 milliards d’années, ça veut dire que je fais confiance aux astrophysiciens qui nous le disent. Parce que moi, je n’ai pas les outils mathématiques pour vérifier par moi-même. Donc, j’y crois.
Ensuite : « Sommes-nous en train de perdre connaissances, » c’est dans le sens, où, avec justement, la déréglementation de l’information, via Internet, on assiste, je trouve à un rapt intellectuel de la part de gens qui, en fin de compte, sont assez minoritaires, mais qui n’ont que ça  à faire. C’est-à-dire, que derrière ça, il y a presque un côté militantiste, et ils passent leurs journées sur les réseaux sociaux à inonder le web d’informations souvent fausses, voire simplistes. Et les gens qui pourraient éventuellement leur répondre, et bien, ils n’ont pas que ça à faire. Du coup on voit des théories comme la terre plate et si vous n’y êtes pas préparés vous vous trouvez face à des arguments que le quidam ne peut réfuter.

⇒ La connaissance, c’est le savoir, et c’est l’expérience, l’expérience de la chose qu’on connaît plus intimement. Chacun doit chercher la vérité plutôt que de la trouver ailleurs dans une opinion émise comme certitude.

⇒ Quand sur une connaissance, on dit : « Je crois », et ce n’est pas toujours affirmatif, c’est aussi « je pense que ».
Et il y a, aussi comme une défiance devant Internet, qui amène à ne pas l’utiliser pour défendre le mode de connaissances.
Est-ce que ce refus, cette opposition, ne va pas créer une séparation, créer deux clans ?

⇒ C’est déjà un peu le cas. Il y a des gens qui disent ça et qui se rendent compte qu’Internet en fait c’est un océan peuplé de vide, et sur ses îles vous avez des gens qui finalement restent entre eux, parce que c’est lié à un fonctionnement très ancien du cerveau, et très prompt à prendre ce qu’on appelle « le billet de confirmation ». C’est-à-dire, que nous avons tendance, à écouter, à accepter, ce qui va renforcer ce que nous croyons déjà ; et on est tous plus ou moins comme ça.
Je crois que, pour pouvoir accéder à une certaine connaissance, il faut se faire violence, c’est pas donné.  Penser disait le philosophe Alain, c’est avoir un esprit critique, c’est dire non, dire non à sa propre pensée ; et ça, ça peut être très douloureux, et il y a des gens qui le vivent très mal. On est très vite embringué dans un confort intellectuel sur notre vision du monde, et on a tendance à rester dans un entre-soi intellectuel. Alors, que quelqu’un qui serait plutôt de droite devrai lire Libération et celui plutôt de gauche, devrait lire le Figaro. C’est-à-dire, se confronter à une autre pensée, de manière à apprendre et à juger.

⇒ Un certain négationnisme des connaissances peut constituer un risque de perdre par réfutation des connaissances. Je pense au comportement d’un climato-sceptique, Claude Alègre, réfutant les conclusions du G. I. E.C. et dans une émission, il disait : de toutes façons je sais de quoi je parle, j’ai écrit un livre sur ce sujet.
Mais, toutefois, si je mets en doute toutes mes connaissances, si je suspends indéfiniment mon jugement, je suis à l’arrêt. La société a progressé malgré certaines données fausses, des données scientifiques ont été invalidées, et on a avancé malgré tout

⇒ Je reviens sur connaissances et croyances. Il y a un endroit où l’on ne remet pas en question les connaissances, c’est l’école. On apprend l’Histoire, il s’est passé ça, à telle date, etc. Et du coup comme on est en face d’une certaine institution, on croit forcément. On acquiert toutes ces connaissances, mais on n’a pas forcément cet esprit critique qu’on devra nous enseigner à avoir. Ça va être au niveau universitaire où l’on va acquérir des connaissances beaucoup plus fiables. Le prof en collège travaille sur un programme, sur l’étude de quelqu’un qui a repris une étude… et l’on va croire celui qui a la fonction.

⇒ Ce que j’ai appris à l’école, je suis censé le savoir, ça ne veut pas dire que je le connais. Dans la connaissance je mets une étape supplémentaire, c’est réfléchir sur son savoir. Ensuite cette différence entre croyances et connaissances c’est tout le débat philosophico-scientifique. C’est-à-dire que ce qui est croyance, n’est pas réfutable. Il est impossible de prouver que Dieu existe, comme il est impossible de prouver qu’il n’existe pas. En revanche, toute connaissance est réfutable, et même les connaissances scientifiques, bien entendu ! A tout instant on peut amener un élément nouveau, qui fait, qui montre, que ce que tu avais un peu exploré, ce savoir personnel et collectif, ça peut s’avérer faux, ou pour le moins, discutable.
Tout ce qu’on évoque : connaissances et savoirs, on ne peut plus l’aborder comme on l’abordait du temps des Grecs, par exemple. Il est évident qu’on ne peut pas parler de Socrate, de Platon, comme on parlerait d’un savant, d’un philosophe à l’heure actuelle ; parce autour de ces derniers il n’y a pas le vide de connaissances comme il y en avait avant. C’est-à-dire, que tout individu, aussi peu instruit soit-il, a collectivement hérité des connaissances de la société, qui sont fausses ou pas ; comme celles de l’école, qu’on n’a pas remises en question, (déjà parce que l’Education Nationale, ne se remet pas en cause), mais elles existent, et elles amènent à la collectivité, à la fois du savoir, et parfois, des connaissances.
Ensuite, il y a bien sûr, toutes ces nouvelles technologies, qu’on a déjà évoquées, notamment, Internet. Je pense que toutes ces technologies nouvelles ne font que prolonger des techniques qui ont toujours existé, c’est-à-dire que ce l’on appelle, icônes, cela a toujours existé dans la pensée.

 ⇒   Dans un tout autre domaine, un sentiment, une crainte se développe depuis quelques dizaines d’années, à savoir que dans une société qui devient de plus en plus multiculturaliste, des connaissances ne soient plus transmises. Bien sûr, non transmises par les parents parce que ce n’est pas leur culture, mais non transmises par l’école parce que  considérées comme de caractère trop culture nationale.
Et comme nous savons, que dans les décennies à venir, les vagues migratoires ne peuvent n’être que plus fortes : migration politiques, réfugiés de guerre, migrations économiques, migrations climatiques, les socles de connaissance actuels, vont inévitablement s’adapter à une nouvelle société, et là nombre de connaissances appartiendra définitivement au passé. Bien sûr elles resteront stockées, si toutefois les bibliothèques numériques sont à l’abri d’un énorme bug, si elles sont plus sûres que la bibliothèque d’Alexandrie. Et ça, ce n’est pas garanti !

⇒ Dès l’enfance on acquiert des connaissances dont on n’a pas connaissance, on adopte des connaissances, celles du milieu familial, environnemental, c’est tout un patrimoine dont on n’a pas a priori connaissance ; ce sont des habitudes, des méthodes, qui vont nous aider à entrer dans le monde des connaissances et d’apprendre.

⇒ Les connaissances réfutables ça dépend aussi des conditions d’utilisation. Par exemple Newton est vrai, mais la théorie de la lumière serait fausse

⇒ Quoique la relativité ait aussi des limites.

⇒ C’est pour ça que c’est de la science, c’est réfutable. Par contre, ce qu’il y a de formidable dans les connaissances scientifiques, est que même une erreur c’est en soi une connaissance. Puisque avoir démontré qu’on s’est trompé, cela participe à un progrès. On se trompe, et on a quand même appris. Mandela disait : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Et par ailleurs, je ne parlerai pas de théorie vraie, mais de théorie juste. On ne peut jamais démontrer qu’une théorie est vraie, elle ne peut l’être dans l’absolu. Par exemple, prenez la mécanique quantique, est-ce qu’elle est vraie ? Je n’en sais rien, mais quoi qu’il en soit, les ingénieurs utilisent les équations de la mécanique quantique.

⇒  Dans quelques années, disons vers 2050, la société actuelle sera tout à fait différente de par les migrations inévitables. Est-ce qu’il n’y a pas le risque d’une perte de connaissances liée à un héritage culturel ?

⇒ Je reprends cette projection dans 50 ans, que va-t-on perdre comme connaissances? Que va-t-on gagner ? C’est tout un débat, car là aussi, pourquoi la rencontre d’autres horizons nous ferait-elle perdre quelque chose ?
Je ne pense pas qu’on perde ou qu’on gagne, mais par contre on échange des connaissances. Je pense que l’échange peut être enrichissant, mais il peut être aussi néfaste. C’est à nous la société, de mesurer le poids du positif et du négatif.

⇒ En mathématique il y a un exemple qui dit qu’il y a trois entiers A, B, et C, et qu’il est impossible que A à la puissance n, + B à la puissance n, soit égal à C à la puissance n, sauf si n est égal à deux. C’est une théorie qui a demandé beaucoup d’essais sans résultats, et la démonstration a été faite des siècles plus tard.

⇒ Internet est devenu un socle de connaissances (même si il y a des connaissances fausses). Il est très important justement d’avoir l’esprit critique pour pouvoir discerner le vrai du faux. Les gens ont aujourd’hui accès à plus de connaissances, et cela demande de faire attention; c’est fantastique et dangereux à la fois.

⇒ Si tu n’as pas au préalable des connaissances, connaissances que tu as forgées par les livres, par l’étude, comment fais-tu un bon tri entre le bon grain et l’ivraie ? Par exemple en évolution biologique, quand on tape « Evolution » sur Google: qu’est-ce qui apparaît ? Une iconographie complètement fausse, c’est une image qui dit le contraire de ce qu’est l’évolution biologique.

⇒ Je reviens sur l’évolution des connaissances dans les années à venir ? Effectivement du fait de l’arrivée de toutes les nouvelles technologies, on devra faire faire des études différentes aux enfants pour pouvoir travailler avec les machines, converser avec les Intelligences Artificielles, parce que s’ils n’ont pas la formation nécessaire, c’est eux qui vont travailler sous les ordres, (du programme)  de la machine.
Et globalement, culturellement, on a déjà perdu un peu de connaissances, de connaissances générales ; je repense à l’expression de Sarkozy, parlant du programme d’attaché d’administration, lequel disait que connaître un classique comme « La princesse de Clèves », ne pouvait pas intéresser une guichetière. Ce qui voulait dire que dans nos écoles, aux élèves  (de ZEP, de province) on n’a pas besoin de leur enseigner les classiques. Ce n’est pas pour eux, on élague les connaissances de base, les classiques, le culturel ce sera pour des écoles d’élites…
Et je reviens sur cet incontournable sujet d’Internet. Il y a quand même une nouvelle encyclopédie, c’est Wikipédia (même si je ne mets pas Wikipédia sur un piédestal), c’est quand même la participation de milliers de personnes dont la plupart sont des spécialistes dans le domaine concerné.  Je rappelle que c’est ainsi que s’est constituée L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au 18 ème siècle.
Regardez : combien de gens autour de vous ouvrent un dictionnaire pour connaître précisément un mot. Les dictionnaires le plus souvent restent sur leur étagère.
Pour ma part, le plus souvent je n’ouvre que des dictionnaires spécialisés, de la langue française, ou, de traduction de langues, car là pour certains sujets sur la toile ce n’est pas fiable à ce jour.

⇒ J’ai  appris des choses à l’école, et j’ai eu un instituteur qui n’hésitait pas à me taper sur les doigts. Du coup, l’orthographe je connais bien, et je suis tout de même surprise quand je vois aujourd’hui, toutes les fautes d’orthographe que peuvent faire des gens qui ont fait des études supérieures. Pour moi c’est une perte.

⇒ Le savoir « sous le pouce » va libérer la mémoire. Il n’y aura plus le besoin d’apprendre par cœur, de mémoriser un tas de choses qui ne nous serviront peut-être jamais, ou que très peu ; alors qu’on aura à chaque instant la possibilité de consulter des milliers de banques de données, de stocker nos connaissances, notre mémoire sur des supports numériques, ou dans des «  clouds »
Ce sera, diront les partisans de l’IA libérer de l’espace dans une « tête bien pleine », pour parfaire la « tête bien faite ».
Mais au rebours, si nous laissons l’immensité du champ des connaissances aux IA, celles-ci devenues omniscientes, nous risquons fortement d’être formatés par les systèmes, exploités.
Revenant à la connaissance externalisée, nous voyons ce début d’asservissement à ce savoir d’accès si facile. Si dans une conversation, nous hésitons sur un mot, un nom, une date, inévitablement quelqu’un dans la minute qui suit, lisant sur son smartphone, vous donne l’information précise. Et ceci me remet en mémoire, une phrase de Montaigne qui prolonge son propos de la tête bien faite et de la tête bien pleine, (je le cite) : « J’en connais à qui, quand je lui demande ce qu’il sait, il me demande un livre pour aller me le montrer. Et n’oserait me dire qu’il a le derrière galeux, s’il ne va sur le champ, estudier en son lexicon (le Wikipédia d’hier), ce que c’est que galeux, ce que c’est que derrière »
Un article sur Philosophie magazine n° 62 de septembre 2012, titré : « Pourquoi nous n’apprenons plus comme avant ?», débute l’article ainsi : «  La révolution numérique n’est plus un slogan. Chaque jour, nous naviguons un peu plus, délaissons l’imprimé pour l’écran, stockons nos connaissances, vérifions sur Internet ce que nous dit un interlocuteur ou un enseignant. Comment apprendre, lire, nous souvenir, transmettre emportés par ce flux que nous maîtrisons encore mal. Le danger de perdre la concentration et la mémoire, de négliger l’étude, de ne plus pouvoir enseigner est réel. Mais le basculement de Gutenberg à Google porte aussi en lui l’espoir d’un esprit enfin libre – puisque les machines s’occupent de l’intendance – de se consacrer à l’essentiel ; la « pensée créatrice »
   Consulter est une faible activité intellectuelle en regard de la lecture. Les spécialistes nous disent aussi que la télé est plus nocive qu’Internet, car avec la télé nous sommes totalement passifs, le cerveau éponge est pratiquement en roue libre. On est passager, on n’est plus conducteur.
Des chercheurs avancent que l’apprentissage de l’écriture crée des connexions, des synapses, et que cela ouvre des aptitudes plus grandes pour tous les apprentissages.
Pour Michel Serre la mémoire supplétive numérique, même si cela influe sur nos facultés de concentration et de mémorisation, ne crée pas du « cerveau vide, mais du « cerveau libre » ; On le rend libre pour d’autres usages, et  cela s’est confirmé dans l’histoire. Après l’invention de l’écriture, de l’imprimerie, nos développements intellectuels sont marquants. Nous pouvons consacrer plus de cerveau à la créativité, à l’invention.
Un monde de l’information, soit un savoir extérieur à nous-mêmes, un savoir qu’on peut consulter à chaque instant où que l’on soit, ne risque t-il pas de tuer la curiosité, et à terme de tuer l’imagination.
Une étude montre que l’activité de consulter sur le Net, activait deux fois moins de connexions neuronales que la lecture d’un livre. Et l’on sait que c’est la gymnastique neuronale qui favorise la compensation des pertes neuronales au cours de la vie.

⇒ Est-ce qu’il a été établi un état des pertes de connaissances ? Est-ce qu’on peut les énumérer ? Dire globalement, à ce jour, on en a perdu tant dans tel ou tel domaine ?

⇒ On sait qu’on perd chaque année vingt cinq langues parlées au monde, peu à peu les derniers locuteurs d’une langue disparaissent.

⇒ Qu’il y ait des langues qui meurent ça m’attriste, parce qu’une langue c’est aussi une culture qui s’éteint. Il y a des choses qui sont exprimées dans une langue, et qui sont inexprimables dans une autre langue, intraduisibles. Au Moyen-Âge pour parler du poussin jusqu’au poulet, jusqu’au coq, il y avait une vingtaine de mots.

⇒ Le vocabulaire qui disparaît c’est aussi quelque chose qui meurt. Quand on utilise des supports numérisés, on va au plus simple au plus rapide. Et j’ai entendu dans l’introduction qu’on n’arriverait plus à englober toutes les connaissances, bien sûr !
Mais si je regarde ce qu’on peut appréhender comme connaissance en regard de Platon ça paraît ridicule. Ce qui fait le savoir, ne peut être tenu par un seul homme. Des Platon, ou des Aristote c’est inconcevable à l’heure actuelle parce que le savoir s’est tellement élargi.  Le plus savant ne  peut plus être un des meilleurs penseurs dans tous les domaines.
Le savoir, dans tous les domaines, s’est « taylorisé », on a des spécialistes.  Et il faut aussi qu’on réfléchisse sur la spécialité du savoir.

⇒ Il existe des réseaux d’échange des savoirs, au niveau national comme au niveau mondial. Ce sont des échanges de connaissances, gratuits. Le slogan dit : «  Le savoir est la seule chose qui ne s’achète pas, qui ne se vend pas »

⇒ La perte des langues, c’est l’équivalent au niveau mondial de la perte de diversité. Et si les mots disparaissent ce sont aussi des choses qui disparaissent. Plus personne ne va s’émouvoir de la disparition d’une espèce si auparavant on ne connaissait pas cette espèce.
Et pour reprendre la question du débat : Perdons–nous connaissances ? Oui, du point de vue où cela a été rappelé, que la connaissance a tellement évolué, qu’on ne peut plus comme Pic de la Mirandole, se targuer de tout savoir. Mais à l’inverse si vous prenez, par exemple : Rabelais, Galilée, et Descartes, pour leur faire faire un peu de tourisme 1ère classe, c’est-à-dire que vous les emmenez dans une école pendant un cours de maths, ils vont être abasourdis, ils vont constater que des gamins de 16 ans en savent plus qu’eux en mathématique, même s’ils n’auront pas leur génie. Et si vous les mettez devant une chaîne de télé commerciale, là, les bras leur en tombent. Car si d’un côté on a jamais été aussi éduqués, d’un autre on n’a jamais été aussi abrutis.

⇒ C’est bon d’avoir des connaissances, et c’est bon de les ordonner, d’avoir une compréhension globale. Quand Einstein a développé la théorie de la relativité, cela n’a pas été compris par tous, ce sont d’autres savants qui ont expliqué les principes espace/temps pour les rendre plus accessibles, plus compréhensibles.

⇒ Est-ce que nous perdons des connaissances ? Je dirais plutôt qu’il y a des choix. Par exemple est-ce qu’on choisit de parler de la Révolution, ou d’imposer certaines connaissances au détriment d’autres ? Et je trouve que le livre d’Orwell « 1984 » nous montre bien ce que serait la société si nous n’avions que des connaissances instrumentalisées. Par exemple, je décide que tel mot, n’a jamais existé, et je le remplace par un  autre mot. Le fait que ce mot soit écrit dans un manuel, les gens vont avoir tendance à le croire.

⇒ Effectivement, une perte de connaissance peut être une perte de liberté. Diderot disait que  « L’Encyclopédie a été faite pour que vous ayez des connaissances de chaque chose, et que vous puissiez ensuite réfléchir par vous-mêmes, et de là, vous affranchir, devenir plus libres ». « Knowledge is power » (Le savoir c’est le pouvoir) dit Francis Bacon, et ceux qui n’ont pas les connaissances sont à la merci de ceux qui ont les connaissances.
Par ailleurs, lorsqu’on entend que le niveau monte concernant l’école, il faut entendre le niveau de résultats au bac, par  exemple. Mais ce niveau, plus de 80% de réussite, est-il  le résultat d’un abaissement du niveau de connaissance ? Ainsi plusieurs tests nous ont montré que 80% de nos bacheliers échouent à un examen de certificat d’étude des années 1950. Alors est-ce que le niveau monte ?  Est-ce que le niveau baisse ?

⇒ Je pense  que les matières du certificat d’études primaire des années 1950, ça n’a plus rien à voir avec les matières d’aujourd’hui.

⇒ A l’échelle mondiale, le niveau d’éducation des jeunes monte, et c’est une très bonne nouvelle. Et c’est aussi vrai en France, avec un meilleur niveau pour les filles. Et dans 20 ou 30 ans ça peut nous donner des choses très intelligentes.

⇒ Entre 1990 et 2009, une étude sur des pays occidentaux dont des pays nordiques montre une baisse de QI de 4 à  8 points. Ce qui reste inquiétant. Des chercheurs ont découvert que les perturbateurs endocriniens, l’excès de lipides, l’obésité, la consommation de Haschich, de cannabis,  sont à l’origine de cette baisse du QI.
Les perturbateurs endocriniens généreraient dans le monde entier une baisse de QI. Des molécules présentes dans : les aliments, les emballages, les textiles, (entre autres). Ces molécules migrantes, remettent en cause le développement cérébral du fœtus. Une autre étude dans l’armée suédoise montre que le QI des appelés a baissé de 2 points par décennie au cours de ces dernières années. Après une progression jusqu’aux années 90, il y a une inversion de la courbe  de l’intelligence dans toute l’Europe. Nous devenons de plus en plus stupides dit un chercheur suédois dans le documentaire « Tous stupides »
Une spécialiste de perturbateurs endocriniens chercheuse au CNRS, Barbara Demeneix, disait dans une conférence : «  Reverrons-nous un jour, un Bach, un Mozart ?
En Californie on relève entre 1991 et 2001, une augmentation de 600 % des enfants diagnostiqués à la naissance comme autistes. Dans ce même Etat on constate une forte dégradation des capacités d’apprentissage dans les régions où sont fortement utilisés les pesticides ; de même le nombre d’enfants doués diminue fortement.
Ceci a donné, dans le film américain, (de 2006) « Idiocratie », film parodie, une situation poussée à l’extrême, montrant, situant dans une centaine d’années, une société encore plus crétinisée que certaines de nos émissions télé.
Certains diront même que ce film anticipait l’élection de Donald Trump.

⇒ Dans notre société, en dehors de médias d’investigation comme « Cash investigation », il a les lanceurs d’alerte qui donnent à connaître des choses importantes, et ceux-là sont menacés de prison.

⇒ Ils sont d’autant plus menacés, qu’une récente loi sur le secret des affaires, va juguler, interdire encore plus la diffusion d’informations de la plus grande importance pour nous tous.
Les lanceurs d’alerte sont devenus les nouveaux « Prométhée ».

⇒ Il y a bientôt 30 ans Jean-François Lyotard, nous parlait déjà de ce nouveau concept, la société de la connaissance : « Le savoir est, et sera un enjeu majeur, peut-être le plus important dans la compétition mondiale pour le pouvoir. Le savoir en se transformant en système d’information est devenu mesurable, marchandisable… Voilà comment nos sociétés de parole, parole qui constitue depuis le début les fondements de la démocratie, tendent de plus en plus à se transformer en sociétés de l’information » 
Le  nouveau concept qu’est « l’économie de la connaissance » qu’on nomme aussi (abusivement à mon sens) l’économie des savoirs ; il se résume de fait à une immense banque des informations. Nos connaissances sont devenues la marchandise qui alimente l’économie de la connaissance, et font aussi la fortune des GAFAM (Google/Amazon/Facebook/Apple /Microsoft)

 

Philosophies comparées d’Adam Smith et de Karl Marx

     Restitution du café-philo du 24 octobre 2018 à Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin
Modérateur : Hervé Donjon
Introductions : Danielle Pommier Vautrin et André Sergent.

Introduction, André Sergent (lue par  Danielle Pommier Vautrin, en son absence excusée) : La psychologie de l’actionnaire, et celle du prolétaire sont-elle de la même philosophie ?
Ce terme se retrouve aussi bien dans le vocabulaire syndical « intérêt de classe » par exemple, que dans le vocabulaire actionnarial, « intérêt d’un placement », par exemple.
Karl Marx, économiste de formation, propose de lire l’histoire sous un angle construit qui stipule qu’elle est conduite par un incessant conflit qui oppose différentes catégories sociales dans le but de préserver leurs intérêts. En particulier, les « possédants » d’une part, et ceux qui ne possèdent rien, ou peu de l’autre.
Il établit que ce conflit oppose ceux qui souhaitent garder pour eux les richesses accumulées, et ceux qui souhaitent que l’on partage ces biens, c’est-à-dire, et en résumé, ceux qui souhaitent déposséder les possédants pour devenir eux-mêmes, possédants.
Marx précise que seule une dictature peut opérer en la matière.
Dans le monde actionnarial, nous observons la même violence.
L’actionnaire se gargarise de posséder, il se plaît à être membre d’une élite, il est convaincu qu’il est né pour « réussir », « Dieu m’a fait », pourrait être sa devise !
Inversement, Marx propulse le prolétaire au rang de maître d’œuvre de la Révolution. Dans ce mythe l’ouvrier devient héros et membre lui aussi d’une élite.
Le désir de conquérir les biens, d’une part, celui de les accaparer de l’autre, ne relèvent-ils pas d’une seule logique ? Où le souci consiste à perdre ou à gagner, à « avoir » ou « n’avoir pas ».
Or, ce concept, « perdre, ou gagner » est strictement l’esprit de la compétition, y compris lorsqu’il s’agit de sport, de commerce, ou d’élection.
L’élitisme nourrit la psychologie de la compétition, comme le fleuve nourrit la mer.
Epicure, Shakespeare, Spinoza et Freud proposent une autre logique que celle « d’avoir ou de ne pas avoir ». Elle est révolutionnaire pour le coup, et prétend que l’essentiel est « d’être ou de ne pas être » Dans ce fonctionnement, nul besoin d’être riche, nul besoin, d’être noble, actionnaire, ou héros. Nul besoin enfin que les salaires soient différents.
Ainsi voilà posée la question dont vous allez débattre : propriétaires et actionnaires fonctionnent-ils, de fait, d’une seule et même façon ?

Introduction Danielle : Adam Smith est un philosophe et économiste écossais des Lumières. Il reste dans l’histoire comme le père des sciences économiques modernes, dont l’œuvre principale, publiée en 1776, « La Richesse des nations », est un des textes fondateurs du libéralisme économique. Professeur de philosophie morale à l’université de Glasgow, il consacre dix années de sa vie à ce texte qui inspire les grands économistes suivants, ceux que Karl Marx appellera les « classiques » et qui poseront les grands principes du libéralisme économique. Adam Smith est né le 5 juin 1723 à Kirkcaldy.
Dès sa naissance, Adam Smith est orphelin de père. Ce dernier, contrôleur des douanes, meurt deux mois avant la naissance de son fils. À l’âge de quatre ans, Adam Smith est enlevé par des bohémiens, qui, prenant peur en voyant l’oncle du jeune garçon les poursuivre, l’abandonnent sur la route où il sera retrouvé. Élève particulièrement doué dès son enfance, bien que distrait, Adam Smith part étudier à Glasgow à l’âge de quatorze ans et y reste de 1737 à 1740. Puis il part étudier à l’université d’Oxford.
Choisissant une carrière universitaire, Smith obtient à l’âge de vingt-sept ans la chaire de logique à l’université de Glasgow et plus tard celle de philosophie morale. Le corps enseignant apprécie peu ce nouveau venu qui sourit pendant les services religieux et qui est de plus un ami déclaré de David Hume mais il est apprécié de ses étudiants.
Pendant un long séjour avec son élève dans le Sud-Ouest de la France et en Provence, Smith s’ennuie et entame la rédaction d’un traité d’économie, sujet sur lequel il avait été amené à dispenser des cours à Glasgow. Après un séjour à Genève, Smith et son élève arrivent à Paris.      C’est là qu’il rencontre l’économiste le plus important de l’époque, le médecin de Madame de Pompadour, François Quesnay. Quesnay avait fondé une école de pensée économique, la physiocratie, en rupture avec les idées mercantilistes du temps. Les physiocrates prônent que l’économie doit être régie par un ordre naturel : par le laissez-faire et le laissez-passer. Ils affirment que la richesse ne vient pas des métaux précieux, mais toujours du seul travail de la terre et que cette richesse extraite des sols circule ensuite parmi différentes classes stériles (les commerçants, les nobles, les industriels). Adam Smith est intéressé par les idées libérales des physiocrates, mais ne comprend pas le culte qu’ils vouent à l’agriculture. Ayant vécu à Glasgow, il a conscience de l’importance économique de l’industrie.
En 1776, après y avoir consacré plusieurs années, Smith publie son traité d’économie politique, celui qui va faire sa renommée et qu’il intitule « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Smith meurt le 17 juillet 1790 à l’âge de soixante-sept ans. Ce philosophe écossais est souvent considéré comme le père de la science économique moderne. Le courant libéral en a fait l’un de ses auteurs de référence. Dans Recherches sur les causes et la nature de la richesse des nations, il n’apporte presque aucune idée nouvelle mais il fait la synthèse des idées économiques les plus pertinentes de son temps.
Pour Adam Smith, la richesse d’une nation ne réside pas dans l’or et la monnaie, mais dans le travail des hommes. Il y a trois grandes causes d’enrichissement de la nation : la division du travail, l’accumulation du capital et la taille du marché.
La division du travail désigne une répartition toujours plus spécialisée du processus de production. Chaque travailleur qui se spécialise dans son domaine augmente l’efficacité de son travail et sa productivité. Dans un système de libre-échange, les hommes se répartissent les tâches, puis s’échangent les fruits de leur travail.
Smith est aussi un partisan du libre-échange entre les nations. Il développe la notion d’avantage absolu. Si une nation est meilleure dans la production d’un premier bien, tandis qu’une autre nation est meilleure dans la production d’un second bien, alors chacune d’entre elles a intérêt à se spécialiser dans sa production de prédilection et à échanger les fruits de son travail. Il conseille « de ne jamais essayer de faire chez soi une chose qui coûtera moins à acheter qu’à faire ».
Une autre de ses théories les plus connues est celle de la main invisible. Adam Smith considère que la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général. En d’autres termes, la confrontation des égoïsmes mène à l’intérêt général : c’est le « mécanisme de la main invisible ». Selon cette théorie, l’Etat n’a pas à intervenir car le marché se régule naturellement. Il doit se cantonner à des fonctions régaliennes (armée, police, justice) pour protéger les citoyens des violences et des injustices.

Karl Marx : Je ne m’appesantirai pas sur Karl Marx dont tout le monde a peu ou prou une idée de la philosophie, même si elle a souvent été caricaturée, à l’instar d’autres grands penseurs de l’Humanité comme Freud, Attali ou Roudinesco, etc… par des petits joueurs qui ont cherché à leur nuire. De nombreux préjugés ont en effet entaché sa pensée.
Il reste toutefois une des grandes figures de la pensée pour notre siècle depuis près de plus de 150 ans. Marx voulait le rapprochement de la classe ouvrière et de la classe paysanne pour faire un grand mouvement d’union prolétarienne ou une « dictature » provisoire du prolétariat, soit un gouvernement sans concession opposé à la classe capitaliste qui exploitait le peuple par des hypothèques, de l’usure et l’impôt d’état notamment.
Le mot dictature, souvent pris à contresens, signifie que les classes victimes du capital doivent arriver au pouvoir et gouverner dans leurs intérêts.
Cette alliance des classes ouvrière et paysanne, hostiles alors à la dictature de Louis Napoléon Bonaparte s’accommode parfaitement du maintien des institutions de la démocratie parlementaire. C’est pourquoi Marx tient à l’existence d’un parti ouvrier, fonctionnant dans la révolution permanente et où les intérêts des ouvriers seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises.
Même si Marx réside à Londres à l’époque où il écrit vers 1848, avec sa famille, dans des conditions d’extrême pauvreté, comme celle de la classe ouvrière, mais n’en faisant pas partie, il a décidé qu’il ne fallait pas se plaindre mais comprendre les mécanismes de la pauvreté et travailler pour l’ensemble de l’humanité. En 1848, il assiste à la Révolution qui échoue faute d’alliance entre ouvriers et paysans, et voit l’arrivée de la dictature de Louis Napoléon Bonaparte pour dix ans cette fois. Sans l’alliance de tous les prolétaires, la révolution anti-capitaliste ne peut pas advenir, et le prolétariat ne peut pas gouverner pour ses intérêts. Le capitalisme reste l’ennemi de classe que Marx analyse parfaitement, notamment dans son livre « Le Capital », car il vit lui-même dans la pauvreté et le dénuement en étant un intellectuel bourgeois mais critique des rapports de classes injustes.
Marx a vu avant tout le monde en quoi le capitalisme constituait une libération des aliénations antérieures, il ne l’a jamais pensé à l’agonie et il a fait une apologie du libre-échange et de la mondialisation, et il a prévu que la révolution viendrait, si elle advenait, comme le dépassement d’un capitalisme devenu universel. Il est le premier penseur mondial porteur de l’esprit du monde, comme dit Jacques Attali dans son livre, « Karl Marx ou le génie du monde».
Il faut comprendre comment à partir des apports de Marx certains successeurs ont pu créer nos démocraties, et d’autres, récupérant et distordant ses idées, ont pu en faire la source des deux principales barbaries de l’histoire moderne, en le récupérant ou en s’y opposant.
Marx dit que tout pouvoir doit être réversible, que toute théorie est faite pour être contredite, que toute vérité est vouée à être dépassée, que l’arbitraire est certitude de mort, que le bien absolu est la source du mal absolu, qu’une pensée doit rester ouverte, ne pas tout expliquer, admettre des points de vue contraires, ne pas confondre une cause avec des responsables, des mécanismes avec des acteurs, des classes avec des personnes… »
Marx issu d’une famille juive, converti au protestantisme à huit ans, finissant par abandonner la religion, cet « opium du peuple » a développé une pensée qui reste messianique à l’échelle internationale, où après que le capitalisme soit allé au bout de sa logique la révolution prolétarienne adviendra. Le peuple alors sera au pouvoir pour réaliser les intérêts de la collectivité par opposition à la défense d’intérêts singuliers et privés portés par le capitalisme.
Il est temps aujourd’hui, de réaliser au moment où s’accélère la mondialisation, qu’il avait prévue, que Karl Marx, bien compris, redevient d’une extrême actualité.

 Débat Débat :  ⇒  Les théories, les écrits de ces deux philosophes sociologues, ont   généré directement ou indirectement deux idéologies.
L’une, se référant à Adam Smith, est devenue le libéralisme économique (que je ne confonds pas avec le libéralisme politique)
L’autre,  se référant à Karl Marx, le communisme, avec ses expériences, ses applications au siècle passé, dont une sur 70 ans. Cette dernière s’est effondrée ; pour beaucoup, elle n’a pas été jugée,  comme « globalement positive ».
En revanche, le modèle d’Adam Smith, ayant lui aussi ses vives critiques, trouve d’une certaine façon sa continuité dans la quasi-totalité de nos démocraties occidentales.
Aurions-nous choisi, conservé, le modèle le moins mauvais ? Choisi par défaut ? A chacun sa réponse.
La philosophie politique d’Adam Smith et celle de Karl Marx  se situent à près de cent ans de différence.
Il est à noter, et cela peut éclairer notre débat, que Karl Marx, non seulement connaît l’ouvrage de référence d’Adam Smith, mais il en cite des passages entiers, (presque 60 pages dans les manuscrits de 1844) et c’est à partir de ces textes qu’il  construit, qu’il développe sa dialectique, qu’il établit son jugement.
Adam Smith est de l’époque où la plus grande partie des échanges est encore d’origine agricole, conjointement au début d’une ère industrielle qui commence à bouleverser le rapport au travail, par la division même de ce travail. Cette division est pour lui bénéfique en tant que gain de productivité, lequel gain dans son optique n’est pas forcément pour l’enrichissement excessif de ceux qui détiennent les outils de production, mais pour augmenter, la rente, le profit, et la richesse d’une nation ; on utiliserait aujourd’hui le terme de croissance économique.
Si Adam Smith avait vécu à l’époque d’Engels et de Marx, peut-être aurait-il écrit un ouvrage quelque peu différent ; ce qui rend la comparaison de leur philosophie politique plus difficile. La société de Smith (si l’on peut employer ce terme) est de peu d’ambition, elle part de ce qui est, d’un état qu’il ne faut guère changer, un état où les inégalités sont source de richesses, et créent par là (pour lui) du progrès et la richesse d’une nation. .
La société de Karl Marx est beaucoup plus ambitieuse, elle n’est pas celle de l’égoïsme, (même bien compris) comme principal modèle économique. Mais elle est, on peut le penser, « trop ambitieuse », pour l’homme ; celui-ci n’étant peut-être pas à la hauteur des exigences nécessaires à une telle société.
La société de Marx, reste largement utopiste. Elle dépassait la simple analyse économique pour une refondation totale du modèle de société. Elle s’écartait d’autant plus du monde d’Adam Smith qu’elle prônait une révolution prolètarienne. On connaît cette vigoureuse déclaration : « Que les classes dominantes tremblent devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Manifeste du Parti communiste)
Adam Smith qui en dehors de l’oeuvre pour laquelle il est le plus connu : « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » a pourtant a écrit un traité de morale, un ouvrage célèbre. Celui-ci ne s’émeut pas du travail des enfants; et l’esclavage ne lui pose pas plus de question, lorsqu’il compare les avantages et les inconvénients de l’emploi d’esclaves « nègres » (suivant son propos) dans les plantations de Virginie. De même il écrit dans « La richesse des nations » (Liv.5 § 1 Section 3) qu’il y a « …deux différents plans ou systèmes de morale ayant cours en même temps….. (On lit plus loin) les vices qu’engendre la légèreté sont  toujours ruineux pour les gens du peuple Au contraire plusieurs années passées dans les excès et le désordre ne peut pas entraîner la ruine d’une personne que l’on appelle comme il faut, et les personnes de cette classe sont tout prêtes à le regarder comme un des avantages de leur fortune.., sans encourir la censure »

⇒ Je vais intervenir sur deux concepts ; le premier par rapport à Adam Smith et de « la main invisible », et il me semble que cela permet de comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans les débats entre libéraux.
Adam Smith considère que la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général. C’est-à-dire, que dans la confrontation des égoïsmes qui mènent à l’intérêt général, « la main invisible », c’est la providence du marché. Pourquoi, parce que nous expliquons comment, dans un contexte où chacun est en compétition contre tous, une harmonie sociale se dégage malgré tout.
Alors, il émet cette hypothèse providentialiste : tout de passe comme si une « main invisible » dirigeait l’ensemble dans l’intérêt de tous. Et donc tout se passe comme si chaque individu était conduit par une tendance irrésistible à remplir un but, une fin, qui n’entre nullement dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il œuvre souvent et finalement d’une manière plus efficace pour l’intérêt de la société que si il avait réellement pour but d’y travailler.
Donc, la fiction de « la main invisible » est devenue le symbole de l’optimisme libéral en matière économique, lequel croit aux règles spontanées du marché, à l’agrégation des intérêts individuels en intérêts collectifs. Et c’est sans doute l’origine de la « théorie du ruissellement » qu’on a entendu une fois de plus lors de la dernière campagne électorale.
Alors que, pour Marx, le terme de capitalisme n’existe pas encore à son époque. Pour Marx le capital est traversé par des contradictions qui interdisent d’atteindre un état définitif. Et donc, adversaire du libéralisme, il interprète la crise économique comme inhérente au système capitalisme. Et donc par là, il réfute concrètement l’optimisme libéral né d’Adam Smith.
Alors, un autre économiste. John Maynard Keynes, témoin de la grande dépression de 1929 considère, lui, qu’il est impossible, pour des raisons aussi bien anthropologiques qu’économiques, que le marché puisse se stabiliser dans un état infini. Et donc, Keynes à l’opposé des libéraux néoclassiques, c’est dire des libéraux en continuité avec Adam Smith, estime qu’il faut être favorable à l’intervention de l’Etat dans la vie économique d’un pays.
Et bien ! Il me semble qu’aujourd’hui, il y a opposition entre les néolibéraux  keynésiens qui prônent l’intervention de l’Etat pour résoudre les contradictions du capitalisme, et les ultralibéraux qui se réclament donc d’Adam Smith, qui eux considèrent, qu’il ne faut pas d’intervention de l’Etat, et qu’il faut au contraire, libérer les capitaux, et par exemple, supprimer l’impôt sur la fortune.

⇒  Je crois qu’il y a une grande similitude entre Smith et Marx, parce que tous les deux sont des grands penseurs, pas seulement économistes, mais philosophes et aussi historiens, sociologues.
Quant à leur différences : je crois qu’Adam Smith est un des principaux dépositaires de l’économie classique, avec lui et avec Ricardo qui va confirmer ce cycle, cette économie de l’apparence, des principes qui ne seront pas approfondis scientifiquement.
Donc Marx a fait une profonde critique constructive de cela, parce qu’il ramasse tout cela pour construire un appareil théorique dont les sources sont l’économie anglaise, la philosophie allemande, avec Keynes, avec Kant, et avec la sociologie française.
Donc, avec ces conceptions, il commence à analyser la société et les modes de production, puisque, pour lui, l’essentiel c’est la production industrielle, celle qui est le produit de la vie, et il dit les limites de l’économie classique qui fait référence aux apparences et non au fond, aux causes profondes des choses.
Il part de la plus-value qui va chez celui qui détient les moyens de production, pas à celui qui ne peut que vendre sa force de production aux propriétaires des moyens de production.
La production de la plus-value c’est pour Marx l’essence même du capitalisme. Et dans cette situation, il pense que la classe ouvrière doit se libérer de cette forme d’exploitation qui n’est pas vol, mais qui est le mécanisme même du système capitaliste.
La société dans laquelle nous vivons, ne pourrait pas exister s’il n’y avait pas appropriation de cette plus-value. Et Marx critiquait l’incapacité des penseurs humanistes à pouvoir expliquer en quoi consiste le fonctionnement profond du capital. Soit pour lui une question des apparences et du sens, deux concepts essentiels chez Marx.

⇒ Au début de l’année, une banque (Natixis) a publié dans une lettre mensuelle, un texte intitulé : «  Karl Marx avait raison ! ». C’était à propos de cette tendance, apparemment due  au fait que le capitalisme, ce système dont on vient de parler, s’en prend à ce qui le fait vivre, c’est-à-dire au vivant. Et le texte fait l’observation que, là, il y avait quelque chose qui donnait raison à Marx.
C’est quand même intéressant de voir que le capitalisme a aussi des limites à l’exploitation de cette force de travail évoquée.
Donc là, ça m’intéresse de marquer le côté Histoire qui continue malgré ce qu’on peut dire, malgré une soi disant « fin de l’Histoire » avec l’apogée du capitalisme et sa domination dans tous les domaines.

⇒  Marx exprime bien l’idée que le système capitaliste comporte son mal endémique, et qu’à la fin il va s’autodétruire.

⇒ Le capitaliste a toujours veillé, ou tenter  de détruire son système opposé, le socialisme. Ainsi les USA ont instrumentalisé le coup d’Etat au Chili.

⇒  Je me suis demandé  si il y avait un lien entre Karl Marx et Adam Smith, et entre toute cette conception libérale et cette conception communiste. Et j’ai vu qu’il y avait un lien, parce que, Marx dans ses écrits, dans ses théories, part du fait  que c’est justement à cause de ce capitalisme qui est grandissant que les prolétaires vont se réveiller et entamer cette révolution du prolétariat. Cette révolution du prolétariat qui pour lui, doit se faire sans violence. Et là, je pense que la théorie de Marx  a été transformée par l’Union Soviétique, et de façon violente. De même Karl Marx ne voulait que le Parti Communiste soit hiérarchisé. Lénine et Staline en ont fait une dictature. Donc, entre la conception de Smith et celle de Marx, il y a cause à effet.
Ensuite je me suis posé la question, qui est de chercher l’origine du libéralisme, et de comparer avec la conception de Karl Marx. Pour moi, là où je trouve que le libéralisme a pris une importance, c’est au moment de la Révolution, de 1789 à 1799, où l’on a mis en avant tous ces droits, les droits particuliers, notamment le droit de propriété. Et c’est intéressant de voir que c’est passé par la Révolution, et que dans la pensée de Marx c’est exactement la même chose, ça passe par une révolution.
Et je voulais revenir sur, « la fin de l’Histoire » (déjà évoquée) Je trouve que c’est très intéressant, parce que, si on regarde, par exemple la pensée du libéral conservateur anglais, Edmund Burke, il avait cette conviction qui le différenciait  des libéraux révolutionnaires. Pour lui, on ne devait pas « faire table rase du passé », comme le Révolution l’a fait, mais prendre en compte l’Histoire pour aller vers quelque chose, et, il remettait en cause ces « droits abstraits » ; notamment, le droit de propriété qu’on donne aux individus, parce qu’on l’a fait de manière abstraite sans prendre en compte l’Histoire.
Je trouve intéressant de comparer ces deux théories.

⇒ Je voulais revenir sur Marx et son concept d’aliénation. Donc, j’ai lu ce texte : « L’homme est un être qui produit, qui crée matériellement sa vie pour donner satisfaction à ses besoins élémentaires. Dans cet acte d’engendrement  de ses moyens d’existence il se voit dépouillé de lui-même et de sa propre essence ». Donc, on en vient à ce concept d’aliénation « L’argent, cet intermédiaire créé par les hommes, a acquit une puissance démoniaque, et il domine ceux qui l’ont engendré [….] Ainsi, l’homme, être qui travaille, qui soumet la nature, les choses et tout l’environnement matériel à sa volonté, se voit-il, en ce processus, aliéné, rendu étranger à ce qu’il crée, aux fruits de son travail et de sa production, étranger, en définitive, à lui-même » https://la-philosophie.com/philosophie-marx

⇒ Quel lien y a t-il entre Smith et Marx ? Il y en a forcément, mais je pense qu’en même temps tout les oppose. Marx n’était pas sans connaître les travaux de Smith. Bien entendu ! Smith dit qu’il faut laisser faire le libéralisme économique, et il ne propose aucun changement de la société. Il propose qu’elle fonctionne différemment. Pour lui, si tu trouves moins cher ailleurs,  ne te casse pas la tête, achète ! Il ne remet pas en cause les conditions de travail, il n’y a aucun fondement intrinsèque de la société qu’il remet en cause.
Chez Marx la société change, non seulement elle change, mais il faut qu’elle change, et elle a toujours changé. Parce qu’on oublie une chose c’est que Marx a fait une dialectique, une dialectique qu’il a créée ; un véritable continent philosophique. Avec la dialectique il a découvert que finalement, au cours du temps, dans l’Histoire, chaque fois que les hommes étaient devenus possédants de ce qu’ils devaient posséder, c’était lié à une lutte de pouvoir, d’où « la lutte des classes ». La dialectique historique c’est la grande découverte de Marx, et c’est pour ça qu’il dit: non seulement la société change chaque fois qu’il y a  lutte, mais il va falloir lutter pour faire la chance aujourd’hui et demain.
L’histoire de « la main invisible »  a très bien été résumé dans une précédente intervention, mais en plus, je pense que Smith se trompait là. Parce que, ce qu’il dit, c’était peut-être valable au Moyen-Âge, c’est-à-dire au temps des compétions entre les artisans qui faisaient des choses pour le bonheur de tous ; mais déjà à la fin du 18ème siècle l’industrie était  arrivée, et le capitalisme qui permettait les industries était arrivé, ce qui changeait fondamentalement la chose ; on n’était plus dans des sociétés de production moyenâgeuse.
Donc, avec l’histoire de « la main invisible » Smith  s’est complètement  trompé. Et c’est pour ça que Marx arrive et dit cette société il faut la changer, car le capitalisme crée l’esclavage industriel ; et il en a l’exemple en Angleterre, où à cette époque les ouvriers sont comme des esclaves. Il faut relire Dickens ou d’autres écrivains contemporains pour s’en rendre compte, et pas que les philosophes pour connaître ce qu’est l’exploitation de l’ouvrier à l’époque.

⇒ Un document du règlement intérieur des usines Michelin daté de 1880, illustrent la condition ouvrière de l’époque :
1 Piété, propreté et ponctualité font la force d’une bonne affaire.
2 – Notre firme ayant considérablement réduit les horaires de travail, les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heurs du matin à six heurs du soir, et ce, les jours de semaine seulement.
3 – Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau  y seront obligatoirement présents.
4 – L’habillement doit être du type le plus sobre. Les employés de bureau ne se laisseront pas aller aux fantaisies des vêtements de couleurs vives, ils ne porteront pas des bas non plus, à moins que ceux-ci soient convenablement raccommodés.
5 – dans les bureaux on ne portera ni manteaux ni pardessus. Toutefois, lorsque le temps sera particulièrement rigoureux, les écharpes, cache-nez et calottes seront autorisés.
6 – Notre firme met un poêle à la disposition  des employés de bureau. Le charbon et le bois devront être enfermés dans un coffre destiné à cet effet. Afin qu’ils puissent se chauffer, il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide.
7 – Aucun employé de bureau ne sera autorisé à quitter la pièce sans la permission de M. le Directeur. Les appels de la nature sont, cependant permis et pour y céder, les membres du personnel pourront utiliser le jardin au-dessous de la seconde grille. Bien entendu cet espace devra être tenu d’une façon parfaite.
8 – Il est strictement interdit de parler pendant les heures de bureau.
9 – La soif de tabac, de vin ou d’alcool est une faiblesse humaine et, comme telle, est interdite à tous les membres du personnel.
10 – Maintenant que les heures de bureau ont été énergiquement réduites, la prise de nourriture est encore autorisée entre 11 h 30 et midi, mais en aucun cas le travail ne devra cesser  durant ce temps.
11 – Les employés de bureau  fourniront leurs propres plumes. Un nouveau taille plume est disponible sur la demande chez M. le Directeur.
12 – Un Sénior, désigné par M. le Directeur sera responsable du nettoyage et de la propreté de la grande salle ainsi que du bureau directorial. Les juniors et les jeunes se présenteront à M ; le Directeur quarante minutes avant les prières et resteront après l’heure de la fermeture pour procéder au nettoyage. Brosses, balais, serpillières et savon, seront fournis par la Direction.
13 – Augmentés dernièrement les nouveaux salaires hebdomadaires sont désormais les suivant :
 Cadets : (Jusqu’à 11 ans)                     0,50 F
 Juniors : (Jusqu’à 14 ans)                   1,45  F
Jeunes :                                                     3,35 F
Employés                                                 7,50 F
Séniors : (Après 15 ans de maison) 14,50 F
   Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du travail, mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques.                      

⇒ Effectivement, pour lui, ce qui définit l’homme c’est, son travail. Ce n’est pas sa liberté, sa volonté, sa conscience. Pour lui ce qui caractérise l’homme et qui le distingue de l’animal, c’est que l’homme est « l’Être au travail » (Manuscrit de 1844). L’animal, à la différence de l’homme n’a pas de projet, n’a pas de plan pour produire ; comme les rues que produisent les termites, le miel que produisent les abeilles. Donc l’homme se distingue de l’animal par son travail. Et pourquoi ? Parce que par son travail, il se libère, se libère de ses liens aliénant avec la nature, ou, avec les autres hommes.
Donc, l’homme comme « Être au travail » devient un être libre, émancipé. Or, comme cela  été dit, par l’organisation capitaliste il devient aliéné, il ne se libère pas par son travail. Et pourquoi il devient aliéné, parce qu’il vend « sa force de travail », et il n’est pas maître du produit de son travail. Il travaille au profit de ceux qui détiennent « les moyens de production ».
Donc, pour cette raison, il est nécessaire de détruire le système capitaliste. Et là, en regard de ce qui été dit, ce n’est pas le marxisme qui implique la nécessité de la destruction du capitalisme. D’ailleurs Marx lui-même dit, qu’il n’est pas marxiste ; c’est-à-dire, je ne suis pas un idéologue qui défend une idéologie comme une religion. Je suis un économiste philosophe, j’analyse la contradiction du capital pour montrer que les contradictions exigent sa destruction, rendent nécessaire cette destruction. Et non seulement de par les contradictions, mais parce ce mode de production économique, c’est aussi une forme d’organisation sociale.
Alors, il y a (comme cela a été dit) ceux qui disent, le communisme, ou, plus précisément, le socialisme réellement existant (pas l’idéal, pas l’utopique), a « un bilan globalement positif ». Et puis, il y a ceux qui disent le socialisme c’est un totalitarisme. C’est Hannah Arendt qui dit que c’est un système politique qui fonctionne à l’idéologie et à la terreur, (ce sera par exemple le goulag). C’est-à-dire que les individus sont sous l’emprise d’une idéologie selon laquelle il y a les bons et les méchants, les amis et les ennemis du peuple.
Et je reprendrais la formule de Jean Ziegler dans son petit livre : « Le capitalisme expliqué à ma petite fille » (avec en sous titre : en espérant qu’elle en verra la fin »), je le cite : « Le capitalisme a créé un ordre cannibale sur la planète. Pourquoi ? Parce le capitalisme crée l’abondance pour une petite minorité, et la misère pour la multitude » Et il continue : « En effet, aujourd’hui, il y a ceux qui  habitent l’hémisphère nord, ceux qui appartiennent aux classes dirigeantes des pays du sud, ceux pour qui les formidables révolutions industrielles scientifiques produites par le système capitalisme durant les 19ème  et 20ème siècle, ont procuré un bien-être économique jamais atteint auparavant… Et les autres !»

⇒ Quand les deux (Smith et Marx) parlent de capital, ils n’y voient pas la même chose.
Pour Marx le capital, par l’acquisition des moyens de production, met les ouvriers en servitude, alors que pour Smith, le capital est nécessaire à la création d’activités, d’entreprises, il crée ainsi les emplois. Le capital chez Smith est le premier moteur de la société économique.
Le socle de la société c’est chez Smith, le capital, pour lui l’économie repose sur trois piliers : la rente du propriétaire, le profit de l’exploitant, le salaire de l’ouvrier.
L’approche économique de Smith est souvent définie ainsi :
1° La rente du propriétaire. Propriétaire de la terre, de l’usine du terrain, etc…
2° Le profit. Le profit de l’exploitant, métayer, entrepreneur, etc…
3° Le travail. Soit la part qui est allouée à celui qui travaille, à celui qui dans la dialectique de Marx, « vend sa force de travail »
Cela nous donnerait aujourd’hui :
1° La banque, le fonds de pension, les actionnaires.
2° L’entreprise et ses dirigeants.
3° Les salariés et employés de l’entreprise.
Pour Marx les deux premiers seraient plutôt classés comme prédateurs, profiteurs non productifs. Pour Marx l’ouvrier doit s’approprier l’outil de production, et ne pas avoir à travailler, ni pour la rente, ni pour le profit.
Les quelques textes concernant les salaires illustrent bien les idées d’Adam Smith quant aux droits étant exclusivement du côté du capital.: « C’est par convention que se déterminent les taux communs des salaires. Les ouvriers veulent gagner le plus possible, les maîtres donner le moins qu’ils peuvent. Il n’est pas difficile de prévoir laquelle des deux parties […..] doit avoir l’avantage. Les maîtres peuvent se concerter aisément, tandis que cela est interdit aux ouvriers »   (Richesse Des Nations. P, 137)
   « Toutes les fois que la législature essaie régler des démêlés entre les maîtres et les ouvriers, ce sont toujours les maîtres qu’elle consulte. [….] Les maîtres, ordinairement se lient par une promesse, une convention secrète à ne pas donner plus que tel salaire. Si les ouvriers faisaient entre eux telle ligue de la même espèce, la loi les punirait sévèrement » (Richesse Des Nations. P, 219)
  « Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses mains ; et l’empêcher d’employer cette force de la manière qu’il juge la plus convenable [….] est une violation de cette priorité primitive »    (Richesse Des Nations. P, 198)
On retrouve là, la volonté d’exclure des règles, des conventions salariales, d’exclure un droit de grève.

⇒ Le capitalisme dans son développement, dans ses crises qui se multiplient, devenu catastrophe à l’échelle planétaire, montre bien, qu’il y a là, une dimension historique à laquelle aucun système ne peut échapper.
Donc, comme il y a des adeptes de « la fin de l’Histoire » et certains qui encensent ce système ça vaut le coup de se pencher un peu plus sur ce qui se passe réellement.
De même cette dimension me semble présente entre les deux économiste Smith et Marx, ne serait-ce que parce qu’il y a un siècle entre les deux, et que pendant ce siècle il y a eu passage de l’économie artisanale où « l’inventivité » de chacun était « au pouvoir » à l’industrialisation… L’inventivité est une chose que le capitalisme ne va pas favoriser, au contraire, parce que ceux qui ne vont plus pouvoir vivre de leur créativité vont être obligés de devenir salariés ; et c’est ce passage là que Marx étudie davantage, et dans lequel il voit cette aliénation.  C’est le propriétaire des « moyens de production » qui décide quoi produire, comment produire, et avec qui. Et la différence avec ce passage dans le salariat, avec cette fameuse « force de travail », et bien, le salarié ne va pas seulement être obligé de « vendre sa force de travail » mais, « l’utilisation de sa force de travail » (nuance importante).
Donc « la force de travail » est devenue marchandise, c’est ça aussi qui le différencie avec les systèmes de production précédents. Tout devient marchandise, y compris la « force de travail » du salarié,  qui s’échange, qui s’achète, qui se vend.
Et il a quelque chose que le capitalisme ne veut pas connaître, ne voulait pas qu’on fasse connaître, et c’est Guizot qui disait qu’il fallait bien se garder de « vouloir approfondir cette question brûlante de l’origine de la plus-value ».

⇒ Nous évoquons là des idéologies qui ont marqué leur siècle, notamment celle de Smith, père de l’idéologie capitaliste, et après l’idéologie qui s’est inspiré de Karl Marx.
J’ai noté que le capitalisme embryonnaire est né dans des sociétés agricoles, et il faut penser que son expansion a causé bien des dégâts, des dégâts à l’échelle humanitaire : d’abord l’esclavage, puis les épopées coloniales dont la motivation fondamentale était l’économie, elles ont été liées au système capitaliste. Donc cela entraînait une destruction fondamentale des formes communautaires, et je pense à la terre, comme cela s’est fait en Algérie avec les expropriations des terres.
Après ces pages noires, on en arrive à d’autres catastrophes, dont celle des ressources naturelles ; ce qui m’interpelle, car comment avec le niveau d’éducation actuel, n’arrive-t-on pas à trouver la manière de bousculer ce système, et comment restons-nous « aliénés » ?

⇒ Pour répondre à cette question : capitalisme et environnement. Je ne pense pas que ce seront les idées marxistes qui viendront à bout de l’idéologie d’Adam Smith.
Dans les décennies à venir, c’est en regard des événements, des grands problèmes climatiques que se décideront prioritairement les choix politiques. L’économie de marché soutenue par une croissance exponentielle, cela est devenu irrémédiablement incompatible avec l’environnement: ou il faudra sauver la planète, ou il faudra sauver le marché, ainsi que nous le dit en substance Naomi Klein dans son ouvrage « Tout peut changer, Capitalisme et changement climatique ».

⇒  Pour Marx l’essentiel est la production matérielle, et selon son étude philosophique de l’Histoire, le monde est passé par différentes conditions. D’abord, par le commerce primitif où la nature appartenait à tous, et là, égalité absolue. Ensuite vient le système esclavagiste, pour, déjà utiliser « les forces de travail », après vient la production « latifundiste », celle des grandes propriétés agricoles, proche des régimes féodaux, toutes les exploitations sinistres de l’homme. Puis vient le régime capitaliste qui écrase les anciens mondes, et qui va développer une production matérielle avec une force et une intelligence extraordinaire ; laquelle va instaurer les idées fortes : de liberté, d’égalité, de fraternité, (des choses magnifiques). Mais, Marx en saluant cela, dit, que malheureusement, ce que cela nous promettait n’est pas là, n’est pas vrai, parce qu’il ne pouvait y avoir d’égalité entre le patron et l’ouvrier, il n’y avait pas de liberté ; qu’il n’y avait pas de volonté quand les gens pour survivre étaient obligés de vendre leur « force de travail ». Donc, quelle liberté ? Cette liberté c’est celle de l’économie classique, économie libérée de Smith, de Ricardo..
Et, quant au communisme « issu » de Marx, cela a donné Staline, une « cellule cancéreuse »  de l’idéologie qui s’est transformé en dictateur.
Alors, la question reste : quelle légalité aujourd’hui quant aux idées de Marx ? Est-ce ça compte encore Marx ?

⇒ Le matérialisme chez Karl Marx. Avec la bourgeoisie, la religion est, chez Marx un des obstacles à la libération des peuples.
Ce dernier est matérialiste au sens philosophique du terme, c’est-à-dire refusant le principe d’une divinité, (Sa thèse de doctorat est sur l’épicurisme), même si le matérialisme de Marx ne se résume pas qu’à cela.
Le second (Adam Smith) chez qui je n’ai rien relevé à la lecture de son oeuvre majeure concernant la religion, serait lui aussi matérialiste mais pas dans le même sens.
Marx est anti matérialiste (au sens purement économique) je le cite : « Les hommes se construisent un monde nouveau, non pas avec des « biens terrestres », ainsi que le croit la superstition grossière, mais avec des conquêtes historiques…il leur faut au cours de leur évolution, commencer par produire eux-mêmes les conditions matérielles d’une nouvelle société, et nul effort de l’esprit ni de la volonté ne peut les soustraire à cette volonté »  (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. La critique moralisante ou la morale critique)
Et, bien sûr, ses attaques contre la religion sont restées célèbres ; « La misère religieuse est d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.
  Le vrai bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole ».  (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Introduction)
   « La critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l’homme, est pour l’homme, l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable ». (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Critique de la philosophie du droit)
  Les preuves de l’existence de Dieu, ou bien ne sont que des tautologies vides de sens ; – par exemple, la preuve ontologique revient à ceci « ce que je me représente comme réel est pour moi une représentation réelle » et agit sur moi ;  et en ce sens, tous les dieux, aussi bien que les dieux païens ont une existence réelle ».
 (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Différence de la philosophie)

⇒ Je trouve intéressant de regarder ces deux théories et de voir ce qu’elles représentent. Si on regarde bien, elles reposent sur « l’intérêt »: intérêt particulier et, intérêt général. Et je trouve intéressant  de regarder la situation actuelle en France où le libéralisme a tellement de courants.
Aujourd’hui c’est facile de  prôner quelque chose de nouveau, de montrer une autre image de la société, pour se faire élire par exemple.
Il y a un libéralisme doctrinaire qui a créé une classe moyenne, cette nouvelle élite. Et j’ai l’impression, justement qu’aujourd’hui le gouvernement en place a repris cette nouvelle formule de la classe moyenne, et les gens disent : Ah! C’est nouveau ! Alors qu’en fait, on a affaire à un système complètement capitaliste.
J’adhère plus à Karl Marx qu’à la transposition que fut le communisme. Et chez les plus jeunes cela a plutôt un côté vieillot, alors que le libéralisme, il y a tellement de courants  qu’ils peuvent toujours s’adapter. Et plutôt que de manifester pour en finir avec le capitalisme, c’est l’adapter en s’adaptant.

⇒ L’ouvrage le plus achevé (même inachevé) de Marx c’est « Le capital » ; c’est celui sur lequel il a travaillé en dernier  sur la base de tout ce qu’il avait entrepris avant, lesquelles études étaient restées à l’état de manuscrits ; ça vaut la peine de le rappeler parce qu’on a tendance à ne citer que le jeune Marx ; Par ailleurs dans le matérialisme de Marx, l’aspect religion compte, mais je crois que ça va très au-delà de ça. Les racines du matérialisme, c’est par rapport à Hegel, ce qui a fait pour lui, le primat du réel.
Ce qui ne veut pas dire que le spirituel n’a qu’un caractère secondaire, au contraire, mais sur la base de la connaissance du réel il est donné pour ce qu’il est,  et à partir de là, nos connaissances peuvent se développer : les intelligences partager, échanger, et leur diversité constituer une richesse.

⇒ La philosophie de Marx prolonge la simple critique, elle doit aller vers la transformation, de la société, se faire, praxis : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il faut désormais, le transformer » (Marx. Thèse sur Feuerbach)

⇒ Quand on parle de Marx, on parle d’économie, de capital, on oublie que c’est un historien qui a, à un moment, beaucoup critiqué l’anarcho-syndicalisme. Dans cette lutte des classes en France, par contre, il fait l éloge de la Commune, elle a construit, elle ne s’est pas contenté de détruire. Marx était pour construire.

 ⇒  De Smith, ses partisans ont hérité des « éléments de langage » régulièrement utilisés ; de véritables copier/coller.
Smith dans la « Richesse des Nations » écrit que « L’accumulation du capital permet un accroissement de la productivité, et que la hausse du travail en résultant, entraîne la demande travail, et par là le hausse des salaires ».
Sans vergogne, 200 ans plus tard Raymond Barre dans la années 1970 nous servait  la même litanie. Nous avons encore en mémoire ces propos : « Les sacrifices d’aujourd’hui sur les salaires, sont les résultats de demain, lesquels sont les investissements de demain, et les  emplois d’après demain »  (Il y avait à l’époque 400.000 chômeurs en France). Et cette  litanie est  aujourd’hui encore  dans le catéchisme libéral
Autre élément de langage, hérité de Smith qui manifestait déjà une certaine mansuétude en regard de l’évasion fiscale (il écrit) : « Aux confiscations, amendes, et peines qu’encourent les malheureux qui succombent dans les tentatives qu’ils ont faites pour éluder l’impôt, il peut (l’État) souvent les ruiner et là anéantir le bénéfice qu’eut recueilli la société de l’emploi de leur capitaux… » (Richesse Des Nations Liv.5. § 2)

⇒ Je pense que les questions qu’on a posées, on peut y répondre avec Marx, et pas avec Smith
1ère question : Comment se fait-il qu’avec le niveau d’instruction actuel, le développement, on soit revenu, aux colonisations, à l’esclavage, aux crimes contre l’humanité ? Et comment le peuple le plus cultivé au siècle passé (le peuple allemand) a-t-il produit le nazisme ?
2ème question : est-ce que Marx s’est trompé ?
Bon ! On a dit dans le capitalisme, il n’y pas de morale, c’est le marché qui gouverne tout. Non seulement il y a de l’inhumain, mais il y a aussi de la déshumanisation parce qu’il n’y a que la morale des entreprises, celle du rendement.
Marx a montré que l’homme avance par les contradictions, et qu’il est passé de l’esclavage antique au servage du capitalisme ; et qu’on est passé au socialisme contemporain, à la condition pour que les prolétaires du système capitaliste  s’unissent : «  Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Et il a laissé entendre que le socialisme ne pouvait se réaliser  dans une société qui n’avait pas encore atteint un certain stade de développement  capitaliste, comme en Angleterre et les pays d’Europe. Ce qui est arrivé dans un pays qui n’était pas au niveau, ça n’a pas marché. Et là, il ne s’est pas trompé lorsqu’il dit « l’histoire a un sens », et pour qu’il y ait les passages, il faut qu’il y ait l’organisation des prolétaires. Et bien ! Ou, ils n’ont pas su le faire, ou, ils n’ont pas voulu. Ils n’ont pas pris en compte l’imagination humaine, la créativité humaine, les capacités d’innovation des individus. Ils ont voulu appliquer le système. Et ça a donné ce qu’on voit. Et aujourd’hui beaucoup n’y croient plus. Ils ne croient plus à la possibilité de détruire le système capitaliste.

⇒ Certaine phrases de Marx sont restées célèbres. Ainsi il parle d’égoïsme autrement que Smith : « La bourgeoisie a joué un rôle éminemment révolutionnaire…elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse…et la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste »  (Karl Marx. Le manifeste du Parti communiste)
Et sans me faire l’avocat de Smith, si celui était là, il nous dirait peut-être : que la tentative d’application des idées de Marx, ça n’a pas marché, car les hommes n’étaient pas à la hauteur d’un si grand projet.

                                                     Œuvres :

Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. 2 tomes. Adam Smith. 1776  (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
La théorie des sentiments moraux. Adam Smith. 1759.
Le capital. Karl Marx. 1867
Le manifeste du Parti communiste. Karl Marx. 1847-1848
Le manuscrit de 1844 ou Manuscrit de Paris. Karl Marx.
Œuvres philosophiques de  Karl Marx. 2 tomes. Editions Champ libre. 1981
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Le capital raconté à ma petite fille. Jean Ziegler. Seuil 2018
Karl Marx ou le génie du monde. Jacques Attali. Fayard 2015

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel humain pour demain?

Image site des états généraux de la bioéthique 2018

Image site des états généraux de la bioéthique 2018

Restitution du café-philo du 26 septembre 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Se sont tenus cette année à l’initiative du Comité Consultatif National d’Ethique, les États généraux de la bioéthique. Il s’agissait dans les divers débats organisés de collationner les questionnements des français, sur des sujets, tels que :
La PMA : Procréation Médicalement Assistée
La GPA : Gestation Pour Autrui
Les dons et transplantations d’organes, et implants.
Le Diagnostique Pré Implantatoire.
Le statut de l’embryon. Le séquençage de l’embryon, la médecine prédictive.
La conservation d’ovocytes. La cession d’ovocytes.
Les techniques d’imagerie médicale dans le domaine des neurosciences.
Les données numérisées dans le domaine de la santé.
La fin de vie……..
Et aussi quelles règles, quelles limites, entre, soigner, guérir, ou augmenter l’individu ?
Aujourd’hui le champs bioéthique tend à s’agrandir : après l’embryon, les expériences de clonage, la gestation pour autrui, les applications tendant à augmenter l’humain posent un questionnement difficile dans la mesure où ces nouvelles technologies progressent plus vite que la connaissance qu’on en a, et aussi plus vite que les capacités des Comités d’éthique à porter un jugement, et encore plus vite que les législations qui se mettrons en place.
Le Comité Consultatif National d’Ethique a rendu hier mardi 25 septembre ses réflexions à l’issue des débats publics.

PMA : Jusqu’à maintenant, selon la loi française, la Procréation Médicalement Assistée est réservée aux couples hétérosexuels stériles, excluant les femmes homosexuelles, femmes seules, femmes ménopausées.
L’actuel Président de la République a fait de l’accès de la GPA aux femmes seules, une promesse de campagne ; donc une « PMA pour toutes»
Les opposants évoquent la crainte d’un effet domino, c’est-à-dire que cela déboucherait sur la légalisation de la GPA  pour les couples homosexuels, femmes ou hommes, ceci au nom de la non discrimination, du sacro saint principe d’égalité ; donc, peut-être,  après « La PMA pour toutes » « la GPA pour tous ».
Une déclaration du secrétaire d’Etat Christophe Castaner semble préfigurer un choix politique, (je le cite) : «  La PMA c’est accorder des droits identiques aux femmes, la GPA est accepter la marchandisation du corps ». Mais les lois sociétales peuvent diviser profondément un peuple, nous l’avons vu avec le mariage pour tous ; de ce fait les dirigeants sont sur leur garde.

GPA : La question de fond sur ce sujet, est faut-il légaliser les mères porteuses ?
Dans un reportage télé, (16/09/18 Arte 21 h) une jeune députée de « Cuidadanos » (Patricia Reyes / Espagne), d’un parti qui propose de légaliser la GPA, déclarait : « Si une femme décide de prêter son ventre pourquoi pas ? » et elle ajoutait concernant l’aspect de l’hérédité : « La mère porteuse n’apporte aucun élément biologique », ou encore concernant les éventuels droits : « Il n’y a pas de droit à l’enfant, pas plus qu’il n’y a de droit d’être parent »
En Angleterre la GPA est autorisée même aux couples homosexuels. En Ukraine elle est légalisée, mais officiellement réservée aux couples mariés hétérosexuels. C’est un gros business alimenté par des clients étrangers de divers pays ; les prix vont de 10 000 à 50 000 euros toutes prestations incluses (y compris voyage, hôtel, etc…). On peut également choisir le sexe de l’enfant. Deux mille ukrainiennes par an louent leur ventre, interrogées elles précisent toutes : « Je le fais parce que j’ai besoin d’argent ».
Le coût le plus bas est l’Inde, le pays du low cost de la GPA.
Aujourd’hui un des problèmes cruciaux, car il concerne l’enfant, est la reconnaissance de nationalité d’un enfant né à l’étranger d’une mère elle-même étrangère.

Dons d’organes/transplantations, implants : Il existe un commerce international de vente d’organes ; faut-il l’interdire ? Et qui peut l’interdire ? Aujourd’hui en Chine ou en Inde, un rein vaut de 200 à 500 euros ? Nous sommes dans la commercialisation du « vivant ».
Laisser ce commerce  perdurer, n’est-ce pas accepter le respect de la liberté du plus riche face à la liberté du plus pauvre ?

DPI. (Dépistage Pré Implantatoire) Séquençage : «  ….faut-il autoriser » écrit Luc Ferry dans son ouvrage, « La Révolution transhumaniste »   le diagnostic in utero de prédisposition génétique à certaines maladies ou handicaps ? Peut-on à partir de ce dépistage, de la sélection génétique des embryons ne choisir que les « meilleurs », ce qui est une forme d’eugénisme. Si on sait se mobiliser contre le maïs, le blé, le riz  OGM, alors faudra t-il se mobiliser contre  des bébés génétiquement modifiés ?

Cession d’ovocytes, conservation d’ovocytes : Dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, le don d’ovocytes est de plus en plus répandu. Il s’agit d’un acte altruiste, pour aider les femmes qui manquent d’ovules sains à avoir des enfants. Les donneuses doivent être conscientes que vendre leurs ovules est illégal en France, en Europe et dans le reste du monde.
En effet, mettre un prix aux gamètes est internationalement prohibé.
Cependant, les donneuses d’ovules touchent souvent une compensation financière qui ne constitue pas une rémunération ou un salaire en soi, mais est comprise comme un dédommagement pour les gênes causées, les risques encourus et le temps consacré à ce geste solidaire.
En Espagne le don d’ovocyte ouvre un droit, une compensation fixée par le ministère de la santé, entre 800 € et 1000 € (Enfin, c’est une base de discussion)
Aux USA, l’American society for reproductive médecine, estime qu’au-delà de la somme de 5000 dollars ce n’est plus éthique.
Ce sujet a été également commenté ces derniers jours, et surtout quand à la démarche pour des femmes de faire congeler des ovocytes à l’étranger, pour faire éventuellement un bébé plus tard, parce que un enfant trop tôt peut gêner une carrière, disait une femme, ou, parce que «  à 39 ans je ne suis pas prête » disait une femme interviewée ce lundi dans in reportage intitulé : « Un bébé quand je veux ».

Le statut de l’embryon : L’embryon est-il un simple noyau de cellules non conscientes ?
Ou, d’après l’approche qui reste celles des églises : « une personne humaine potentielle » ?
A qui appartiennent les embryons surnuméraires ?
Doit-on autoriser les expériences, les applications liées à l’embryon ?
Des découvertes d’applications liées  aux embryons peuvent-elles faire l’objet de dépôt de brevet ? Soit : breveter le vivant.

 Tous ces sujets, et les décisions qui seront prises, les lois à venir,  feront l’humain et la société de demain.
Alors, devant ces questions qui touchent à l’éthique, à la morale, jusqu’au spirituel, à l’égalité  et à nos rapports sociétaux, à la politique, à l’économie, pouvons-nous être, neutres, indifférents, ou  totalement bio conservateurs, ou totalement bio progressistes ?
Quelles sont les diverses positions, et aussi, quels arguments ?

 

Débat

Débat :  ⇒ Il y a quelques jours à la télévision un professeur spécialiste de la procréation en général, le professeur Israël Nisand a donné ses positions sur la PMA, sur la GPA, sur le clonage, sur les enfants tri parentaux, sur la conservation des gamètes et des embryons, sur le DPI. Et j’ai retenu quelques informations, à savoir que : cela tenait compte des situations familiales. Par exemple, si un parent était décédé, on pouvait penser qu’il était possible d’implanter des embryons qui avaient été conservés, ceci dans la mesure où les deux parents étaient d’accord pour avoir un enfant, avant.
Ensuite quand une maladie empêchait la procréation, il pensait que la FIV (fécondation in vitro) pour une PMA était une solution aussi. Ou, quand une femme n’avait pas d’utérus, qu’elle était stérile, etc.
Donc, il citait pas mal de situations où la PMA pouvait se justifier, et il ajoutait ; de toutes façons si on ne le fait pas, les gens iront le faire à l’étranger, et il y aura une discrimination économique, les riches pouvant payer des interventions à l’étranger, et les plus pauvres ne pourront pas en bénéficier, donc, ça choque.
Au final, il disait : c’est quand même une question de confiance, et ça dépend beaucoup de la qualité de la relation  de la femme avec son médecin ; c’est-à-dire, que la décision au final appartiendra à la femme et au médecin. C’est pour cela que, au fond, il était d’accord pour qu’on favorise la PMA, mais en encadrant bien certaines pratiques. Ensuite il a dit qu’il n’était pas contre la conservation d’embryons et d’ovocytes, mais qu’il était hostile à la conservation des cellules souches spéciales. Il dit que les gamètes sont des objets, les embryons sont des sujets.
Il lui apparaissait aussi que le GPA était différente car elle faisait du vivant un objet de consommation et de même pour les ventes d’organes, il lui paraît immoral de marchandiser le vivant ?

⇒ Il est arrivé plusieurs fois que grâce à ces techniques une femme ait pu faire un enfant après le décès du père. Je ne vous pourquoi on y serait opposé.

⇒ Je pense que pour la PMA, la GPA, il faut respecter le principe d’égalité. Pour la PMA, je suis pour ; d’ailleurs hier j’ai assisté à une manifestation pour la PMA. Je pense que ça repose sur le principe que toute personne doit avoir la chance d’avoir un enfant, et ça remet aussi en cause certaines croyances, ou les idées que certains ont : comment doit être encadré un enfant ? Par un couple homo ? Par un couple hétéro ?
Ensuite, pour la GPA, je suis contre, parce que pour le moins en France on a cette idée du respect du corps humain, et pour cela on a mis des lois en place, et certaines lois précisent qu’on n’a pas le droit de louer son corps, de vendre son corps (ses organes) et je pense qu’à partir du moment où l’on autorise la GPA, on autorise le fait de pouvoir marchandiser son corps. Et là, il faut faire attention, parce que ça remet en cause énormément de choses, comme par exemple : le don d’organes en France, et l’on va vers un système, un peu comme aux Etats-Unis où tout est commercialisable.
Pour moi la PMA, le mariage pour tous, c’est une bonne chose. Mais je pense aussi que la PMA va engendrer la GPA. Ce sera une vraie question qui sera à prendre, non seulement sous l’angle de l’égalité, mais à considérer si louer son ventre n’est pas une forme de capitalisme pur et dur, et cela peut engendrer des choses pires encore.

⇒ Je reprends l’intitulé du débat : quel humain pour demain ? Donc, non réduit à la PMA et à la GPA. Sur toutes ces nouvelles technologies, il y a eu beaucoup d’interventions des scientifiques, et notamment celle de Jacques Testard, qui est à l’origine du premier « bébé éprouvette », Amandine. A partir de là, il s’est posé la question : est-ce qu’on peut généraliser cela ? Et il s’est rendu compte que ça avait toute une série de conséquences très négatives, et notamment, le fait que les gens vont pouvoir décider de « choisir un enfant » : comme ci ! Comme ça ! Cheveux roux – grand – petit – noir – blanc…et ainsi de suite puisqu’on peut « fabriquer l’enfant ».
Dans son ouvrage «  Le magasin d’enfants » ce même Jacques Testard, disait que ça entraînait « un marché d’enfant », et il disait : attention ! Finalement, l’invention dont je suis le père va entraîner que l’enfant peut devenir un objet qu’on peut acheter.
Et puis, il y a eu toute une série de discussions, et il s’est d’ailleurs séparé de l’autre médecin avec qui il avait mis au point la FIV (fécondation in vitro).  Testard a continuer de dire que les technosciences avec la révolution numérique nous permettent d’inventer un nouveau monde et un nouvel humain, un humain transformé, ce qui entraînera la marchandisation de l’humain,
A l’inverse, son ex collègue, Frydman considère au contraire que la technoscience et la techno médecine rendent possible la transformation de l’humain, qu’il faut aller dans ce sens, en évitant le problème de la marchandisation. Mais l’éviter, comment ? D’où les discussions que CCNE (Conseil Consultatif National d’Ethique)
Antérieurement, les questions posées l’étaient par des scientifiques (pas toujours d’accord entre eux), ceci sans se poser la question de savoir ce que pensait le « péquin », ce qu’en pensaient les gens en général. Il n’y a pas de représentant de la population dans le CCNE.
Alors, cette année le CCNE s’est ouvert aux citoyens, et donc la discussion a été partagée avec  des scientifiques, des citoyens, des associations, associations de mouvements lesbiens, de mouvements gays, etc.
Aujourd’hui pour ce qui est de la PMA, le journal « Le Parisien » (N° du 25/09/2018) titre à « la une » : «  La PMA pour toutes », c’est-à-dire, la PMA, non seulement pour les femmes mariées stériles, mais aussi, les femmes seules, les lesbiennes, et les femmes ménopausées (?).
La question est de savoir : comment on passe d’une opinion à une loi. C’est le  problème que pose très bien Luc Ferry dans son livre « La révolution transhumaniste » où il dit : le problème ce n’est pas qu’il y ait conflit d’opinions, et consensus finalement. Le problème est de savoir, comment je passe, et comment chacun passe d’une opinion à une loi ?
Mon opinion, en tant que femme, était tout simplement, que, oui, j’étais favorable à la libération de la femme, et donc favorable à ce que les femmes fabriquent des enfants, quelles et qui qu’elles soient ; qu’il n’y avait pas besoin d’être mariée pour fabriquer un enfant, et qu’il soit reconnu. Qu’il n’y avait pas besoin non plus d’être jeune.
Favorable, oui ! Mais en y réfléchissant : si la PMA est pour toutes les femmes, avec le principe d’égalité, égalité entre les femmes, toutes les femmes : mariées, seules, homosexuelles ou hétérosexuelles, alors, est-ce que, à partir de ce principe d’égalité on ne pourrait pas dire, qu’il faut une loi pour les hommes aussi, pour qu’ils puissent « avoir des enfants », donc ! Autoriser la GPA !
Il y a donc contradiction, et c’est cette contradiction qui doit guider ceux qui dans ce domaine élaborent les lois. Ce n’est pas à partir de ce principe d’égalité ou le principe de non discrimination (qui d’ailleurs ne sont pas des principes, mais qui sont des valeurs) qu’on élabore des lois. Quand on élabore une loi, il faut avoir en tête qu’on ne peut établir une loi qui impliqua autant de contradiction. Donc comme l’a dit Luc Ferry : comment élaborer une loi, qui écrit cette loi : les scientifiques ? La pression populaire ? Les lobbies ? Les médias ?  Il faut qu’effectivement il y ait la possibilité d’exprimer son opinion, qu’il y ait, argumentation, et que cela soit publique, et que les représentants parlementaires aient comme principe d’argumenter et de problématiser, qu’il n’y ait pas une telle contradiction dans les lois qu’ils élaborent.
Alors, je constate que le CCNE a dit : oui à la PMA pour  toutes. Et ça devient de fait un principe « pour tous »

⇒ J’ai retenu de l’introduction cette phrase: que les sciences vont plus vite que la capacité  des Conseils d’éthique à en juger, et plus encore que les législations. Alors quel danger ? Et quelle sagesse retenir ?
Pascal considérait que pour bien réfléchir il y avait divers ordres essentiels de la pensée : Le corps, la nature, l’ordre de la raison, de la morale, de l’amour.
L’ordre de la nature nous dit (suivant le dicton populaire) « On n’arrête pas le progrès », les techniques ne s’arrêtent pas,  il n’y a pas d’horizon. On a besoin de l’ordre de la raison, de la morale. Et au-delà, cela nous pose la question de l’eugénisme : lorsqu’on parle de sélection génétique, cela pose la question de la commercialisation des ventres. Je retiens cette phrase entendue de cette femme qui dit louer son ventre pour vivre, manger, survivre. Donc en regard de l’ordre de la morale et de l’amour, on passe la ligne jaune.

⇒ Le désir d’enfant peut très bien se satisfaire par une adoption quand on voit tous ces enfants qu’on ne peut nourrir dans certains pays. Toutes ces aides à la procréation je n’en vois pas bien l’intérêt.

⇒ Pour adopter il faut souscrire à un certain nombre de critères, lesquels critères éliminerait de nombreuses demandes de GPA.

⇒ J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un ouvrage de Sylviane Agacinski : « Corps en miettes », laquelle parlait déjà en 2009 de la GPA. Elle était totalement contre, et c’est aussi mon avis. Pour moi, les questions sont : quel sens éthique peut-on donner à l’enfantement par une mère porteuse ? Faire un bébé pour elle c’est une chose, mais porter un enfant pendant neuf mois pour le remettre à un couple, c’est une autre chose.
En tant que mère, pour avoir eu des enfants, je sais tout ce qui se passe dans cette période, ce qui se tisse entre la mère et l’enfant.  Et si la femme a envie de garder l’enfant, Qu’est-ce qui va se passer ? Qui est la mère ?
De plus, on l’a dit le « baby business » est très lucratif, et finalement cette pratique commerciale mène, comme cela a été dit, à une marchandisation du corps, avec toutes les dérives possibles, telle la vente d’organes dans les pays les plus pauvres, ou, même, comme aux Etats-Unis la possibilité pour les étudiantes ayant besoin d’argent, de vendre leurs ovocytes. De l’ouvrage de Sylviane Agacinski, je retiens particulièrement ceci ! « Dans un contexte d’extrême pauvreté, le besoin d’argent détourne les valeurs humaines les plus fondamentales. Chacun s’efforce de vivre, de survivre, de s’en sortir, y compris en sacrifiant sa propre dignité, et en sacrifiant sa propre intégrité morale et physique. Les faibles sont ainsi naturellement les premières proies de tous ces marchés humiliants, comme le marché du sexe, ou pire celui d’organes » ;
Et je voudrais dire aussi, quand une femme attend un enfant, qu’elle le porte dans son ventre, elle parle à son enfant, elle le touche, elle transmet de l’amour à travers la peau. Alors un « enfant fabriqué » aura-t-il eu cette part d’amour ?

⇒ Dans cet univers où nous voulons tout gérer que devient l’enfant dans cette conception de l’humain ?

⇒ On a évoqué un droit au nom de l’égalité, mais si on accorde ce droit à tout le monde, au nom du bien on fait le mal, et vers quelles dérives allons-nous ?
Et d’autre part dans tout ça, il y a dérive, il y a une escroquerie intellectuelle quand met au pinacle l’ADN et ce qu’il peut transmettre. Les parents vont transmettre de l’ADN à leurs enfants, et dans l’environnement de l’utérus il va aussi en recevoir. Une étude a montré que des souris gestantes élevées dans des conditions stressées, auront des petits, élevés en milieu calme, qui seront stressés. C’est un phénomène que l’on connaît, et il y a des gens qui vendent une croyance qui est erronée, voilà : vous allez pouvoir « choisir sur catalogue ». Ça ne marche pas comme ça !

⇒ La GPA est interdite en Allemagne, elle est bloquée par l’interdiction du don d’ovule.
En Belgique, pas d’interdiction, elle se pratique en dehors d’un cadre juridique. Le code pénal ne punit que les conventions de gestation pour autrui contractées à titre onéreux. Le changement de filiation requiert une adoption.
Au Danemark, la GPA a été votée par plusieurs lois. Les règles sont rédigées de façon pour, d’une part, empêcher la réalisation à titre onéreux, d’autre part, pour ne pas favoriser, même si elle ne l’empêche pas, qu’une personne qui souhaite devenir parent et qui ne le peut pas, ait recours à une personne de son entourage. Celle-ci pouvant même bénéficier d’une insémination artificielle dans certains établissements. Le changement de filiation requiert une adoption.
En France, la GPA est interdite.
En Grande Bretagne, la loi prévoit la GPA à titre gratuit et le droit de filiation aménagé en conséquence.
En Grèce, autorisée, avec une autorisation judiciaire. Elle est réalisée seulement si c’est la seule solution pour une femme de devenir mère. Toute contrepartie pécuniaire est interdite, excepté le remboursement des frais de grossesse. L’originalité de la législation grecque aux règles de la filiation de l’enfant conçu, la femme bénéficiaire de l’autorisation judiciaire, est que celle-ci est réputée être la mère légale de l’enfant et doit être indiquée comme telle dans l’acte de naissance dès l’origine.
En Italie, elle est interdite. La GPA est bloquée par l’interdiction du don de gamète.
Aux Pays-bas, la GPA est admise par le droit médical dans des conditions très strictes, mais non reconnue par le droit civil. Le code pénal ne punit que les conventions de gestation pour autrui conclues à titre onéreux… Le changement de filiation requiert une adoption. La mère porteuse peut décider de garder l’enfant.
Aux Etats-Unis, aucune législation fédérale, les Etats acceptant la GPA constituent une minorité.
En Inde, autorisée avec rémunération de la mère porteuse, mais la loi limite le recours à la GPA aux couples hommes/femmes mariés depuis au moins deux ans.

⇒  C’est intéressant de voir comment d’autres pays ont traité la question, car, sûr que les lobbies, les militants, militantes, pour la GPA vont chercher là, comment ouvrir la brèche. Et on voit aussi l’hypocrisie de certains pays qui ne tolèrent pas mais qui laissent faire.
Et je reviens sur le fameux principe d’égalité, et, comme cela nous a été dit, à partir de ce pseudo-principe on va développer l’idée que si telle technique est autorisée dans un autre pays, alors, pourquoi pas pour nous ?
C’est toujours des mêmes tenants du « j’ai le droit » qui nous disent que leur liberté individuelle ne saurait être entravée par la société. Sauf que c’est à la société de faire ses choix, et non à l’individu, l’intérêt de la société passe avant celui de l’individu.
Dans les réunions des Etats généraux de la bioéthique tout au long des derniers mois, il n’était question que de récupérer les questions des participants du public. Des avis, avec argumentations pouvaient être adressées par mèl au CCNE qui seul décide des recommandations qu’il fera aux responsables proposant les lois.
On ne doute plus que la PMA sera adoptée avant la fin de  cette année, et c’est en avril 2019 que des lois pourront cadrer les autres questions.
Et, toujours revenant à cette référence « égalité », lorsqu’on parle de « désir d’enfant »  qui devient « son droit », droit d’avoir un enfant, c’est d’abord le ressenti de l’adulte qui passe avant la préoccupation pour l’enfant. Et quand on parle d’égalité, on parle d’éthique, mais quand on parle de l’enfant, on parle de morale ? N’y aura-t-il pas carence dans les repères des enfants vis-à-vis des référents père/ mère ? Et ceci au-delà de l’enfance, au-delà de l’adolescence Comment l’enfant va-t-il se  construire ? Quelle incidence sur sa structure mentale ? De fait, est-ce que le souci de l’enfant peut primer sur le désir de l’adulte ?
Et enfin, s’agissant des dons d’ovocytes, on a dit qu’en France cela restait un acte altruiste, mais il est accepté qu’il y ait compensation ; alors ça se passe de gré à gré, on ne sait pas comment. Moins conséquent a priori que la GPA ça reste une commercialisation du vivant.
En Espagne, c’est le ministère de la santé qui l’a autorisé, c’est payant, entre 800 et 1000 euros (c’est la base mini). Aux Etats-Unis, un organisme qui s’appelle « American society for reproductive médecine » estime qu’au-delà de 5000 dollars ce n’est plus éthique.
Il y avait, il y a quelques jours, une émission sur Arte, dont le slogan était « un bébé quand je veux ». Et là, une jeune femme interviewée disait : « Je suis allée à Barcelone il y a un mois pour faire congeler mes ovocytes » et elle ajoutait «  parce j’ai 39 ans et je ne suis pas prête à faire un enfant ». A 39 ans pas prête !
En revanche on peut se demander si pour des jeunes femmes, face au risque de rupture dans une progression de carrière, ce n’est pas une option. Et puis, nous connaissons les dons d’ovocytes qui ont permis après un cancer à des femmes d’avoir un enfant. Donc, tous ces cas spécifiques méritent réflexion.

⇒ Je veux revenir sur ce qui est impliqué entre PMA et GPA, et la contradiction déjà évoquée, de par la non participation de tout le monde. Et donc une loi sur la PMA doit éviter qu’il y ait contradiction, si l’on autorise la PMA au nom de l’égalité, et bien ! ça implique que la GPA doit être autorisée.
Et dans les différents propos j’ai entendu dire : « le désir » ne peut être élevé au rang de « droit ». Le «  désir d’enfant » n’est pas « le droit à l’enfant ». Et alors on dit : mais si c’est autorisé ailleurs, pourquoi ça ne l’est pas ici ? Pourquoi on nous l’interdit ? C’est un argument qui ne tient pas. Pascal nous disait : « Vérité en deçà des Pyrénées, mensonge ailleurs ».
Et quelle est la valeur impliquée par la GPA ? On dit : Solidarité, amitiés, altruisme.., « je prête mon ventre ». Et bien, il y a des études sur cela, dont celle de Françoise Héritier, laquelle explique que dans certaines sociétés il y a eu « prêt du ventre »  de femmes à d’autres femmes. Mais elle ajoute : « Oui ! Mais cette solidarité, cet altruisme, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans une société marchande, de fait cela n’existe pas, c’est une marchandisation de la solidarité ».

⇒ La loi doit être assez libérale. C’est un peu la conception qu’en avait Tocqueville, c’est-à-dire qu’on fait passer en second nos libertés individuelles, pour laisser à d’autres le soin de nous représenter. Ensuite, si en France, tel acte est interdit, alors je vais le faire dans un autre pays. Je pense à des législations qu’on pourrait comme d’autres pays, adopter, (je pense par exemple au canabis). En France si on ne peut pas légaliser, on interdit tout simplement. On pourrait faire comme aux Etats-Unis, c’est-à-dire, que si on ne peut pas arrêter un marché, on va essayer de le contrôler. Si c’est fait dans d’autres pays, si on veut éviter le n’importe quoi, pour protéger ce marché, on va mettre un organisme en place.

⇒ Nous ne pouvons arrêter la science, nulle autorité ne peut la contrôler dans ses recherches, ni l’obliger d’avancer avec précaution. La loi pour légaliser, ou non, « la location de ventres »  ne peut se faire sur des concepts abstraits, elle doit aussi tenir compte des valeurs symboliques. Et il ne faut pas dissocier les avancées de la science, de l’humanisme, et de la sagesse.

⇒ J’ai relevé dans les arguments, pour la GPA, les avantages d’un encadrement législatif, et ce serait faire cesser, voire limiter, le « tourisme procréatif », supprimer la tentation d’aller le faire ailleurs, éviter pour un certain nombre de couple de conclure avec des organismes plus ou moins fiables, des contrats où la dignité des uns et des autres n’est pas toujours assurée.
Cette situation génère une grande injustice entre les couples, injustice entre ceux qui ont les moyens de réaliser leur projet, et ceux qui ne l’ont pas.
Par ailleurs un encadrement juridique garantirait la neutralité financière de la GPA, et pourrait protéger les uns et les autres de toute exploitation. Cette neutralité financière est la condition de la valeur éthique de la GPA

⇒  1ère remarque : Toutes les réflexions sur les thèmes évoqués découlent des recherches et avancées faites ces trente dernières années en biologie. Mais n’oublions pas que la science nous dit ce qui est, pas ce qui doit être.
2ème remarque : Quant au « désir d’enfant » il ne faut pas que ce désir ne soit que caprice, ce qui pourra poser problème, et ce qui peut ajouter à des drames
3ème remarque : Puisqu’on évoque : quel est l’homme pour demain ? J’ai l’impression que l’homme de demain, sera issu d’un changement de statut. C’est-à-dire que l’homme de demain c’est celui qui va d’abord désirer « la mort de la mort » ; phénomène peut-être aussi lié à la chute de la foi dans les pays occidentaux, puisque la foi nous promet le salut. Mais avec la chute de la foi, il n’y a plus que la vie, et donc s’il n’y a plus que la vie, il faut la prolonger à n’importe quel prix, quitte à tuer la mort elle-même, avec tous les artifices qu’on va imaginer, en augmentant l’homme, en le régénérant.

⇒ Si on ne se place pas en regard de l’enfant, on est dans le domaine de la marchandisation, dans un domaine strictement matériel, le corps strictement concret, mais ce n’est pas la vie ! La vie, n’est pas uniquement : est-ce que je peux avoir un enfant « fabriqué ». Mettre au monde, ce n’est pas « fabriquer  un enfant ». La question ne se pose pas pour moi en termes de chance, si je peux oser ce mot. Mais c’est : qu’est-ce que ça veut dire faire un enfant dans le contexte actuel, dans la civilisation ? Quand on attend un enfant on devient extrêmement lucide sur l’environnement, les problèmes qui nous entourent, et le fait de « mettre un enfant au monde » nous engagent. Je ne souhaiterais pas qu’un « désir d’enfant » ne soit pas autre chose que « fabriquer un bébé ».
Ensuite, si le désir d’enfant existe, moi je mettrais des limites absolues à la science pour deux choses : d’une part, ne pas toucher au génome, je suis tout à fait hostile au trafic de gènes, on ne sait pas complètement ce que l’on fait ; on risque de faire des monstres avant d’arriver à une méthode intelligente. Puis ce que je n’approuverais pas, c’est le clonage. J’ai entendu dans une émission qu’il y avait des femmes qui, à partir de cellules dédifférenciées de peau, avaient permis de créer des cellules différenciées sexuelles. Rien n’empêcherait (c’est un peu futuriste) à une femme de se faire un spermatozoïde à partir d’une cellule de peau, et de s’autoféconder, et là on est dans le délire total. C’est le dédoublement du matériel génétique comme dans la parthénogénèse. En tant que biologiste, je récuse ce mode de manipulation.

⇒ Il faut toucher au génome. Il y a des maladies très graves qu’avec ces techniques on pourra éradiquer.

⇒ On se rappelle la formule « La science ne pense pas », elle n’est pas là pour ça. Quant aux politiques, ils font des lois le plus souvent dans une seule optique électorale, loi sociétale pour attirer une catégorie sociale, ou, encore par idéologie
Je reviens sur l’idée que dans les dépistages, il y a quand même quelque chose qui se pratique couramment. Lorsqu’il y un lourd héritage génétique, avec des risques de ce qu’on appelle des « tares », beaucoup de couples, (même très discrètement) font des tests. Nous voyons de moins, par exemple, beaucoup moins de trisomie 21. Ceci est encadré par la loi, et, ensuite cela peut aussi dépendre du sens religieux. Certains médecins au nom de leur religion du « laissez venir au monde » refusent de faire ces examens. Donc, dans ces débats au niveau national, la religion n’est pas absente des avis. Dans certains pays théocratiques, le débat serait clos par avance. C’est vrai que la religion moins présente, laisse à la société le soin de choisir. Par exemple aujourd’hui avec des cellules souches on peut faire de la peau pour les grands brûlés ; il y a quelques siècles cela aurait valu le bûcher.
En fait on aborde un problème éthique où l’on veut faire parler la raison, mais le sujet contient aussi un aspect moral, et où « le coeur a ses raisons ». L’éthique c’est le moins mauvais, la morale, c’est le bien ou le mal. Mais pourrons-nous jamais faire une loi morale ?
Et je voudrais revenir sur l’embryon. Dans son ouvrage déjà cité, Luc Ferry, pose la question : «  Est-ce qu’il faut laisser faire les études sur l’embryon ? », et j’ai retenu cette phrase : «  Le conservatisme des uns, le fanatisme d’enfants à la carte, les appétits des nouveaux marchés, de brevets, laissent peu de place pour réfléchir à l’intérêt de la société ».
En Angleterre, le séquençage et la recherche embryonnaire sont totalement libres, totalement libres à des fins thérapeutiques, ce qui n’est pas mauvais, ce qui donne des espérances, comme pour lutter contre la mucoviscidose. Mais, les Anglais disent aussi, que c’est une source de commerce, qu’on va déposer des brevets, et que, si on ne le fait pas, d’autres pays vont le faire, et d’autres pays vont nous prendre le marché (revoilà le marché néolibéral). Donc, il faut protéger le marché. Et là, la morale, n’a pas sa place.

⇒ Au niveau du CCNE lors des réunions des Etats généraux de la biologie, est-ce que ceux qui souhaitaient la PMA ou la GPA ont posé des questions quant à l’intérêt de l’enfant ?

⇒ Même s’il n’a pas été question de défendre la PMA ou la GPA, je n’ai pas souvenir que des questions orales été faites dans ce sens. Oui, on doit se poser cette question : et l’enfant dans tout ça ! Et c’est là un problème complexe vous dirait un psychologue : comment parler de l’intérêt de la santé morale d’un être qui n’existe pas. Par exemple dans un don d’ovocytes et  GPA, nous aurons : un lien avec la donneuse, un lien génétique avec la mère porteuse, et un lien avec celle qui va élever l’enfant, la 3ème maman. Je crois qu’avec tout cela les psys ont du boulot pour les années à venir.

⇒ On a vu dans des reportages, ou lu, le cas de personnes qui ne peuvent connaître leur mère ou leur père, et cela crée des traumatismes.
Et par ailleurs, au-delà de l’ADN, du lien biologique, transmettre ces gènes, donner la vie à ses enfants, c’est aussi une façon de se prolonger au-delà de la mort.

⇒ Vouloir « la mort de la mort » est quelque chose de très ancien. Et justement, je pense, et là, je me fais l’avocat du diable, que les recherches technoscientifiques contemporaines ne consistent pas à rendre immortels. Il y a un très bon ouvrage, celui de Yuval Noah Hariri, « Homo deus » qui montre que « l’homme dieu », n’est pas l’immortel, c’est l’homme a-mortel, c’est-à-dire celui qui est capable de se réparer à chaque fois qu’il y dérèglement, accident (jusqu’à un moment où il ne pourra plus se réparer).

⇒  Le droit de l’enfant n’est pas le droit du bébé, ce droit se prolonge tout au long de la vie. C’est là qu’il faut se poser les bonnes questions, les questions  qu’il se posera sur son origine : Pourquoi je n’ai pas de maman ? Pourquoi je n’ai pas de papa ? Qui est ma vraie mère ? Qui est-elle, où vit-elle ? C’est un aspect moral qu’on ne doit pas évacuer.
Et revenant à Luc Ferry, dans son ouvrage (déjà cité),  après abordé les différents points de vue d’écrivains traitant de ces sujets, de : Laurent Alexandre, de Fukuyama, de Gilbert Hotois, d’Habernas, de Schumpeter, il conclut : « De là entre tout interdire ou tout autoriser, il va falloir trouver un chemin ». Quant à la mort de la mort, la nature a trouvé la solution, c’est la procréation. Les enfants continuent la vie, ceux qui sont nés seront toujours vivants. La mort est un outil de la pérennité de la vie.

⇒  Quand une mère seule, une mère lesbienne, élève un enfant, il n’y pas la même relation avec l’enfant, une case affective reste vide, celle du référent masculin.
Je ne vois pas, d’après mon expérience,  comment une femme pourrait compenser cette case affective, compenser, donner un masculin qui ne soit pas un masculin pervers.

⇒ J’ai relevé dans le dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville, que ((je cite) : «  Le clonage reproductif permet d’engendrer un être humain à partir d’un seul individu. Cette situation met en cause l’un des traits les plus précieux de l’humanité, qui est l’engendrement par deux individus différents, et par là même engendrer un troisième individu qui ne serait pas identique aux deux premiers {…] si les clonages se multipliaient l’espèce humaine en serait affectée »

⇒ Je continue de penser que ce n’est pas normal qu’on n’autorise pas les couples homosexuels à avoir des enfants. Je suis d’accord sur le fait que l’enfant ne sera pas plus bercé d’amour dans un couple homosexuel. Il n’y sera pas non plus à l’abri des séparations, des divorces. Donc je trouve normal qu’on se pose la question de l’avenir de l’enfant dans les couples homosexuels.

Le débat s’échauffe, mais toujours avec argumentation. Il revient souvent dans le débat, le mot « vide affectif » « référent Père/ mère », « il faut qu’il y ait l’image du père » « l’éthique exclut la morale », «  ne pas manipuler, ne pas marchandiser le vivant ».

NB : Les différents propos, et prises de position en réunion n’engagent que les intervenants, et nullement l’association du café-philo

 

 

 

 

Punir, pourquoi, comment?

                   «

Adam et Êve chassés du paradis. Détail. Masaccio 1425. Eglise santa maria del  Carmine. Florence. 

    Restitution du café-philo du 23 mai 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Danielle Pommier Vautrin
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Edith

Introduction : J’ai proposé ce sujet de discussion parce que je travaille bénévolement (depuis 9 ans) dans un cercle de lecture à la prison de Fleury-Mérogis ; ce, au sein de l’association « Lire c’est vivre », créée en 1987, dans le cadre d’un protocole d’accord entre le Ministère de la Culture et le Ministère de la Justice, pour développer la lecture en milieu carcéral (par la mise en place de bibliothèques dans chaque département et d’activités culturelles diverses en lien avec le livre)….
Robert Badinter ne pensait pas qu’il faille supprimer la prison, l’incarcération, mais qu’il fallait réformer la prison -qui est privation légitime de liberté-, non seulement pour en finir avec la promiscuité et la corruption de la vie carcérale, mais aussi pour y instituer le respect de la personne humaine et de ses droits : éduquer à l’humanité et prévenir la récidive. Ma 1ère  question est : comment punir ? D’abord donc, comment la prison punit-elle ?
Cette question est oubliée quand, avec les détenus, (ils sont volontaires) on lit un texte, on discute sur une notion, un concept, une théorie, mais elle resurgit quand on apprend qu’un détenu avec lequel on a eu des échanges intéressants et agréables va passer en jugement, ou qu’un autre est interdit de venir en bibliothèque pour une raison inconnue, ou que certains sont à l’isolement … Et cette question a été posée il y a deux ans lorsqu’il y eut des recommandations du Ministère de la justice pour chercher quelles mesures prendre vis-à-vis des « radicalisés ». Enfin cette question je me la suis posée récemment lorsque j’ai connu un détenu, condamné à la prison pour 12 ans (pour crime donc) qui a passé baccalauréat, licence, masters, et soutenu une thèse en sociologie (sur l’engagement relationnel et le bénévolat en milieu carcéral) et libéré en septembre 2017 est maintenant sociologue consultant… Et, cas opposé, le cas du meurtre sexuel d’Angélique (13 ans) par un père de famille, marié, avec deux enfants, qui a récidivé à Quesnoy sur Deule (Nord) en 2018 après avoir été condamné en 1996 pour un viol commis sur une mineure en 1994.  Et, le cas ordinaire des policiers agressés et blessés dans le quartier Nord à Marseille, des CRS à Grenoble, hier mardi 22 mai, par des individus armés de kalachnikovs et qui ont piqué cartes bleues, téléphones portables…
Et celui du lynchage à mort d’un vieux monsieur noir par des « jeunes » dans une cité de Pau, lundi 21 mai dernier.
Comment punir ? La question des finalités et des moyens de la punition est une question pour tout éducateur, parent, enseignant, surveillant, éducateur de rue, animateur de centre de loisir, policier,  mais c’est d’abord une question de droit, d’ordre juridique qui a été explicitement posée de ce point de vue dés la Révolution Française de 1789. Et les politiques pénales en France, de la Révolution de 1789 à nos jours, s’interrogent sur : comment effectuer le droit de  punir (différemment) la faute, le délit, l’infraction, le crime tout en respectant l’être humain en chaque individu ?
D’abord toutes les réformes pénales dans les sociétés démocratiques se réfèrent à la théorie de « La juste peine » de l’avocat italien du 18ème siècle Césaré marquis de Beccaria qui publia, en 1764, Des delitti et delle pene, traduit en français par l’abbé Morellet en 1766 (Des délits et des peines)… Son ouvrage fut vanté par les Encyclopédistes, commenté par Voltaire, apprécié des jurisconsultes, Il emprunte à Jean-Jacques Rousseau les concepts de volonté générale et de contrat social. Sa théorie de la juste peine comporte six principes : Le principe de publicité Nul n’est censé ignorer la loi   dans un Etat de droit. Le principe de promptitude : il n’est pas juste de juger et de punir un coupable longtemps après les faits. Le principe de nécessité : Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus sûrement les crimes, mais la certitude du châtiment.  Le principe d’humanité, qui affirme à la fois la barbarie et l’inutilité de la cruauté en matière de châtiment. La justice n’est pas l’accomplissement de l’instinct de vengeance mais sa sublimation. Le principe de légalité : Beccaria fut le premier à avoir voulu fonder le droit pénal sur la loi et rien que sur la loi. Le principe de la non-rétroactivité de la  loi (dont on admet aujourd’hui une seule exception: les crimes contre l’humanité définis en 1945 par le tribunal de Nuremberg à l’encontre des responsables nazis) : au cours de l’histoire, la loi criminalise des comportements d’abord admis, tolérés, voire approuvés (comme le viol, l’infanticide, la polygamie). La loi (la punition légale) ne fait pas que châtier le crime ; elle l’institue comme tel.
Robert Badinter, en tant que premier garde des Sceaux de Mitterrand, dès juillet 1981, abolit la loi « Sécurité et Liberté » qui limitait les permissions de sortie et la libération conditionnelle. Abolition de la peine de mort, suppression des QHS, généralisation des  parloirs libres, (sans grille ni hygiaphone), généralisation du droit de correspondance, autorisation de téléphoner à la famille une fois par mois, d’aménager et de décorer la cellule, extinction plus tardive des lumières, suppression du costume pénitentiaire. Autorisation de créer des associations dans tous les établissements pénitentiaires pour promouvoir les activités sportives, l’organisation de concerts dans la cour des « maisons centrales » (prisons où sont enfermées les personnes définitivement condamnées à de longues peines de réclusion criminelle)… Casser le monde clos de la prison, pas seulement avec les permissions de sortie mais avec l’entrée d’intervenants extérieurs…le cinéma, le théâtre, la musique, la lecture, les arts plastiques afin de donner au détenu sa dimension culturelle propre à favoriser son épanouissement personnel. Et la prison ne peut pas être une zone de non-droit : pour faire passer le milieu carcéral à une zone de droit, Badinter fait rédiger un guide du droit des détenus distribué à chaque arrivant, « nous avons considéré qu’il allait de soi que celui qui entre en prison, comme il reçoit une brosse à dents, reçoive le guide de ses droits . Il est usager, il faut qu’il sache exactement ce à quoi il a droit, à qui il doit s’adresser, comment il doit faire telle démarche administrative… Les détenus sont avant tout des êtres humains : ils ont, à cet égard, des droits qui ne peuvent être limités qu’à la mesure de la faute qui a justifié leur détention, mais pas davantage ». Badinter a écrit, en 2007 : «ma priorité était de transformer radicalement la justice française pour en faire un modèle de liberté » et que la Justice ne peut contribuer qu’indirectement au maintien de la sécurité ; c’est d’abord aux autorités de police à garantir l’ordre public, c’est au système éducatif de prévenir la survenance de la délinquance. La fuite dans la répression permet d’escamoter les vrais problèmes : celui des causes de la criminalité, celui du traitement des criminels.
Le problème n’est plus : comment punir mais pourquoi punir? Car notre temps (depuis les années 1970-1980) est celui du « moment punitif ». Et la punition (par la prison) n’est plus la solution aux problèmes des manquements, des délits, des infractions, des crimes. La punition est devenue le problème.  Car le nombre d’individus mis à l’écart augmente, le prix à payer pour les familles ou les communautés est plus lourd, le coût humain et économique pour la collectivité aussi, car il favorise la reproduction des inégalités et l’accroissement de la criminalité et celui de l’insécurité et enfin la perte de légitimité de son application discriminatoire ou arbitraire. Censé protéger la société du crime, la punition pénale apparaît de plus en plus comme ce qui la menace. Pour le sociologue, Didier Fassin, l’augmentation de l’incarcération est impressionnante : en plus de 60 ans après la 2ème guerre mondiale, la démographie carcérale a été multipliée par 3 et 1/2 ; 20000 en 1955, 66000 en 2015, 70000 en 2016, plus les personnes suivies en milieu ouvert dont les effectifs ont quadruplé en 30 ans : ¼ de million de personnes sont sous la main de justice ! Mais… cette augmentation n’est pas du tout l’augmentation de la criminalité. C’est le fait (un fait social total) que notre temps est celui du « moment punitif ». C’est un double phénomène : culturel et politique. Phénomène culturel de « l’intolérance sélective » : la société française est de plus en plus sensible aux illégalismes et aux déviances. Les individus sont de moins en moins tolérants à ce qui trouble leur existence: les conflits inter-personnels, les incivilités, les menaces proférées, les agressions verbales, les altercations au sein des couples passent désormais par le trio police justice et parfois prison. Phénomène politique de l’ « instrumentalisation des peurs » pour un bénéfice électoral. Le populisme pénal …
Pourquoi a-t-on toujours puni ? On a le sentiment qu’on doit punir. C’est un impératif. De quel ordre ? Est puni celui qui est jugé coupable d’avoir enfreint la Loi, laquelle varie suivant les groupes (la loi du milieu, la loi d’un groupe rebelle, la loi de l’Etat) mais, elle n’existe toujours que par la sanction.  Et elles sont toutes brutales.
Le désir de punir semble inné, naturel. Car avant la raison il y a le désir. Et on peut constater que de tous temps le public raffole des crimes, des viols et des supplices. Tout se passe  comme si la souffrance d’autrui flattait le sadisme qui rampe en nous. Et puis demander que celui qui a fait le mal encoure une peine qui fasse vraiment mal, cela autorise le plaisir, intense pour certains, de faire mal à leur tour en toute légitimité et en toute impunité. Le désir de punir est à l’origine de presque tous les crimes de sang non accidentels. Sombres histoires de jalousies ou de règlements de comptes. Et les châtiments ordonnés par voie de justice étaient hier égaux en cruauté des crimes les plus inhumains : faire couper des mains, condamner des hors-la-loi à mourir empalés, roués, brûlés vifs, écartelés, lynchés… Aujourd’hui, en France, depuis l’abolition de la peine de mort et les réformes successives des prisons, subsiste l’idée commune d’une Justice qui doit  rendre le mal pour le mal, pour faire expier à quelqu’un sa faute. La douleur infligée au coupable est censée rétablir un équilibre : il faut contrebalancer le crime par une souffrance équivalente.
Donc le déplacement de la punition comme réparation à la punition comme souffrance devient centrale
La punition ne sert à rien, elle est pernicieuse :
A) Elle est inutile: elle ne permet pas de donner au puni l’estime de soi, elle ne répare pas ; elle n’intimide pas certes. La peur du gendarme influence certains comportements (sur la route par exemple), mais le châtiment ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui sur des rails ne risquent pas de s’écarter du bon chemin ;  pour les voleurs, les escrocs, les faux-monnayeurs, la prison représente le risque professionnel et pour les voyous elle est un défi : on va me le payer ! Elle n’amende pas. Des naïfs semblent attendre de la prison que le détenu réfléchisse et regrette ce qu’il a fait. Sauf dans ces cas tout à fait exceptionnels, quand il y a mort d’enfant ou de l’être aimé par exemple, le remords est rarissime et l’on peut supposer qu’il serait identique si l’auteur d’un tel acte n’avait pas été arrêté. Le repentir est lié à une faute. Mais ce qui est faute à ses propres yeux n’a que très exceptionnellement à voir avec la Loi. Le regret qu’éprouve un détenu c’est le plus souvent celui de s’être fait prendre ou d’avoir manqué une affaire en or.
B) Elle est dangereuse: Elle consiste à faire souffrir, à rendre le mal pour un mal Ce serait juste mais cruel et imbécile. Il est aberrant de penser qu’un mal compense ou annule un autre mal. Il le multiplie. Il touche le coupable, mais aussi tous ses proches.
A la question Punir, comment ? Pourquoi ? Je pense qu’il faut substituer comment ne pas devenir dangereux pour soi et pour la société ? Ni violeur ni violé, ni assassin ni victime ? Ni djihadiste ni Charlie. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de sanction.

Débat

 

 Débat :  ⇒  Je voudrais élargir ce sujet de punir, à d’autres domaines de la vie. A ce sujet de vient lire le livre de Stefan Zweig : «  Conscience contre violence ». Il y fait l’étude de la République de Genève au temps de Calvin, avec toutes les formes de totalitarisme de l’époque ; tout ce que Calvin imposait comme punitions, comme châtiments, jusqu’à la mort pour ceux qui ne pensaient pas comme lui. D’autres personnages de son époque, des humanistes comme Erasme et Sébastien Castellion ont essayé de s’opposer. Certains ont été obligés de fuir Genève ou ont perdu la vie.
Ce qui est très intéressant dans cette réflexion, c’est, justement, à quel moment on peut penser que la conscience est préférable à la violence. Et ça répond à Edith qui nous dit dans son introduction, que le système carcéral est violent, alors qu’aller dans le domaine de l’éducation, c’est demander la prise de conscience. Et tant qu’ils n’auront (les détenus) pas cette prise de conscience, c’est vain d’essayer d’obtenir un regret ou quoi que ce soit dans ce sens. Il faut qu’ils comprennent d’abord que leur acte est un délit, un crime. Donc, prise de conscience, plutôt que violence.
Et sur ce même sujet, je pense aussi à l’éducation des enfants, et à une tendance parfois à trop user de l’autorité. La punition me paraît humilier l’enfant, elle ne paraît pas être efficace. Je préfère l’explication. L’expérience autoritaire, ça ne fonctionne pas. Il faut faire autorité sans être autoritaire.

⇒  Je pense utile de préciser tout d’abord que si une société, un État sanctionne, condamne, c’est pour que les victimes, leurs proches, leurs parents, ne se fassent pas justice eux-mêmes, c’est éviter les vengeances. Et punir n’est pas rendre le mal par le mal: ça ! c’était la peine de mort.
A punir je préfère, le mot sanction, qui est le résultat, d’une faute, d’un délit, voire d’un crime, d’une transgression à une loi qu’on connait. Toute société constituée nécessite le respect des règles qu’elle s’est fixées pour faire société en paix. Dès lors que l’un de ses membres déroge aux règles, aux interdits, établis par le plus grand nombre, il s’expose à une sanction, une punition, à la hauteur, (logiquement) du manquement, du délit du crime.
Donc, nous avons plusieurs approches : le manquement, la faute grave, ou atteinte à un individu, ou le délit en regard du groupe, de la société.
Punir, condamner, délivre deux messages : l’un au délinquant, au criminel, en lui infligeant une punition dont on espère qu’elle le dissuadera de recommencer.
Le second message est à l’adresse de la société, la rassurant sur le fait que le crime ne reste pas sans réponse, que les règles qu’elle a édictées sont respectées, qu’on veille à sa sécurité ; vous voyez, on vous protège ! La condamnation, la sanction, s’adresse aussi aux victimes, elle se veut réparation.
Et le message s’adresse à tous, à tout ceux qui auraient à un moment donné l’intention de se livrer à un délit, à un crime. Donc, la sanction est un message préventif, qui se veut dissuasif, et qui fonctionne plus ou moins bien, nous le savons.
Et l’État a besoin de faire publicité des condamnations, montrer qu’il ne peut y avoir impunité
Longtemps les exécutions publiques en dehors du goût morbide (sûrement) ont eu ce rôle de montrer en exemple. La dernière exécution publique a eu lieu en 1938 à Versailles. Les gens y emmenaient les enfants ; ils y allaient pour certains comme au spectacle. Le Président du Conseil d’alors, les a supprimées disant « qu’elles stimulaient les bas instincts ».
Je rappelle cet exemple (que j’ai déjà eu l’occasion de citer). Au début du siècle précédent, encore, au pied d’une tour à Valence (Espagne), devant la foule assemblée, on pendait les criminels. Les pères où les oncles y menaient les garçons adolescents, et au moment où la trappe s’ouvrait sous les pieds du condamné, l’adolescent recevrait une paire de gifles, accompagnée de ce propos, « c’est ainsi que tu finiras si tu ne te comportes pas honnêtement ». L’idée était que le propos, lié dans sa mémoire à la gifle,  resterait toujours à l’esprit du garçon. C’est pour reprendre une expression de Balzac « se servir de la douleur pour imprimer un durable souvenir ».
Et, enfin, je ne pense pas du tout que la prison, des condamnations, comme le port du bracelet électronique soit humiliant.  Le comment ne peut occulter le pourquoi.

⇒  On peut reprendre le problème à l’envers. Si on ne punit pas, qu’est-ce qui se passe?  « On n’est pas sorti de l’auberge ». Moi, la punition, la prison, humainement je ne suis pas  pour.
Un jour j’ai vu un policier qui sortait d’un immeuble avec un jeune homme menotté ; ce n’est pas agréable à voir. Après, la question se pose : est-ce qu’on punit bien, ou pas bien ? Ou, plutôt, comment on sanctionne, car le mot, punir, reste brutal, même si celui qui est condamné, est passé devant la justice, confronté aux lois, son cas jugé en conscience par des juges, avec la prise en compte des circonstances.
Mais punir, peut être un choix idéologique, comme dans les procès staliniens, ou comme dans le livre d’Arthur Koestler, « Le zéro et l’infini » où le film « L’aveu » de Costa Gravas, où l’on voit comment une dictature contraint, punit les opposants.
Dans nos pays démocratiques, ceux qui sont sanctionnés savent pourquoi ils sont sanctionnés, ils savent qu’ils ont commis une faute, un délit, un crime. Et puis, parfois celui qui a commis un crime, qui l’avoue, qui en est conscient, lui-même demande d’expier ; il souhaite lui-même la sanction, comme le personnage de « Crime et châtiments » de Dostoïevski.
Depuis toujours, c’est à la société de faire justice. C’est la justice qui a mis un processus de vengeance des Atrides, dans la tragédie de « l’Orestie » d’Eschyle.
On a dépassé la loi du talion, le « œil pour œil » ; l’évolution humaine est lente, mais elle se fait, même avec les besoins de réparations après des crimes.
Ainsi, plus près de nous il fallait bien sanctionner les crimes nazis, ces horreurs, il fallait Nuremberg. Et l’on ne peut nier, rejeter l’exemplarité de la sanction, et montrer que la justice passe, sans sadisme, sans esprit de vengeance, sans vouloir humilier.

⇒  On doit préciser quant aux règles de la prison, qu’on a affaire à des adultes, pas à des enfants. Mais j’adhère à cette idée de prise de conscience, de possibilité de renouer avec la société qu’on croyait contre soi. Ce fut le cas de metteur en scène José Giovani, qui avait passé des années en prison, et avait fini par comprendre que ça venait de lui ; et il a fait un travail sur lui. La prise de conscience doit être aidée, ça vient toujours d’en haut pour aider à se reconstruire.

⇒  On a focalisé, sur le châtiment, sur l’individu, la personne. Je voudrais prendre un angle collectif, par exemple dans le journal « Le Monde » du dimanche 20 mai qui titre : « Le pape accable l’Eglise du Chili, à propos de la pédophilie », François dénonce la responsabilité collective des évêques chiliens, lesquels ont dû démissionner en bloc.
«  Nous sommes très impliqués » a dit le pape, « moi, le premier » ; les victimes attendent des actions concrètes, pas que des paroles face aux abus sexuels sur des enfants. Et s’il n’y a pas décisions, comme la création d’un tribunal chargé de juger les évêques, de lever le secret, d’abolir la prescription, alors la démission des évêques ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, et cet exemple de sanction sera pour l’Eglise dans tout le monde.

⇒  Nous avons évoqué la justice, les peines, les sanctions dans notre société occidentale, et si l’on compare aux pays arabes ou d’autres pays, bien évidement, on voit l’écart. On peut se dire que dans les pays européens, dans les sociétés démocratiques, c’est là que nous pouvons réfléchir et débattre de cette question.
Le problème de la société par rapport à la violence est politique ; ne serait-ce que si l’on prend le problème des banlieues et tous ceux qui restent à l’écart. On voit des jeunes gens qui vont vers la délinquance, une violence pour se trouver une identité ; c’est comme ça qu’ils sont en majorité dans les prisons, en dehors des grands délinquants.
Et la radicalisation, ça rentre bien sûr dans ce sujet, parce que c’est aussi un modèle qui est offert à ces mêmes jeunes. Donc, nous avons là un problème politique et moral.
Et je pense que les médias ont une responsabilité très importante, et cela dans deux sens : à la fois parce qu’ils véhiculent par le buzz, les procès comme les jeux du cirque moderne, et, en même temps, si la télé savait montrer plus d’exemple de réinsertions après la prison, peut-être que cela donnerait un autre feeling à la question.
Et puis je reviens sur des sanctions exagérées parfois, comme pour la bande à Baader en Allemagne, où on a vu des punitions terribles, avec, par exemple : « La torture blanche » : on laissait la lumière allumée 24 heures sur 24, et il n’y avait aucun bruit ; les gens devenaient fous, déstructurés. C’était produire de la souffrance. On peut se demander pourquoi ?

⇒  Je préfère aussi le terme sanction à celui de punir. Punir c’est porter un jugement de valeur sur un comportement qu’on juge immoral, indigne de nature délictueuse, criminelle…Je pense que lorsque les gens sont en prison, il y a eu procès et jugement (en dehors des détentions préventives). Je pense qu’il est inconcevable que des actes qualifiés de graves, portant atteinte aux individus, puissent rester impunis.
l y a peu un agriculteur qui était ivre a tué deux enfants avec son tracteur. Alors comment lui faire prendre conscience, car même avec un bracelet électronique il pourra continuer à boire.

⇒  Nos sociétés occidentales (pour rester dans ce que je connais le mieux) ont grandement évolué dans ce domaine de la punition. Il n’y a pas si longtemps, qu’on écartelait, qu’on brûlait, qu’on pendait. Avec ses tâtonnements la société évolue tout de même ; on punit, sans ôter la vie, même à ceux qui sans état d’âme l’ont ôtée à des innocents, voire des enfants, ou des vieillards sans défense.

⇒  Est-ce que l’impunité totale pourrait faire disparaître la criminalité. Je ne le pense pas, ou alors qu’on essaie pendant cinq ans et l’on mesurera. Je ne pense pas non plus qu’on emprisonne volontairement de plus en plus, bien au contraire. Je rappelle les abaissements de seuils sous le ministère Taubira, et de plus on a créé des peines de substitution ; non réellement par laxisme, mais parce que nos prisons sont surpeuplées; plusieurs détenus parfois par cellule, une promiscuité qui est facteur de violence. Combien de fois vous entendez l’expression « bien connu des services de polices » pour des délinquants ayant plus de dix comparutions. Mais si vous mettez ces « petits délinquants », avec des longues peines, avec des radicalisés, on prend le risque de faire d’une « brebis égarée », un loup.
Je pense que le modèle politique et social d’une société, définit pour beaucoup le niveau de délinquance, et permet alors de faire des établissements pénitenciers plus corrects.
Le pays qui serait le meilleur exemple en ce sens est le Danemark. Une étude nous dit qu’il n’y a que 0,7 personne sur 10.000 habitants en prison. Aux USA c’est 6,5 personnes en prison pour 10.000 habitants. En Colombie, (c’est les champions !), il y a 60 personnes sur 10.000 habitants en prison (dans des prisons d’horreur). Donc, ce n’est pas la prison qui supprime la délinquance. Nous, les Français ne sommes pas si mal placés, c’est 1 personne en prison pour 10.000 habitants.
Et ce sujet amène la vraie question d’actualité, celle des djihadistes qui reviennent de Daesh, on sait pourquoi on les sanctionne, mais on ne sait pas bien comment on va les faire cohabiter en prison, comment protéger les autres prisonniers.

⇒  Bien sûr que l’impunité totale est impossible. Il faudrait toute une éducation en amont, et elle n’y est pas. L’impunité n’existerait que si les gens étaient plus civilisés, avec plus de conscience de groupe, plus de respect pour  les autres.
Et maintenant on doit se demander aussi, est-ce que les victimes, leurs familles, ont une compensation du délit, du crime. Est-ce qu’on est vraiment  trop laxistes ?
Je pense comme le proposait Lacan, que le procès d’un délinquant doit d’abord retracer toute son histoire, et cela rend important les circonstances atténuantes. Parce que le même délit n’est pas fait, alors, par le même individu ; ce n’est pas la même culpabilité, et ce n’est pas la même sanction qui s’impose. Il ne peut y avoir de sanction automatique. C’est le cas de la femme qui avait tué son mari, parce qu’il la battait, qu’il la maltraitait. Il y a eu une fois de trop. Et il y a le délicat problème de la légitime défense. Là je n’ai pas de réponse. Et le gros problème du risque de l’erreur judiciaire qui doit rendre prudent.

⇒  On a beaucoup parlé de justice dans nos sociétés démocratiques. Dès lors qu’il y a une institution, institution familiale, éducative.., avec un détenteur d’autorité, il y a consensus à accepter par ceux qui sont sous l’autorité, qui acceptent le règlement. Donc, cette société, si elle veut maintenir égalité, et légalité, il faut qu’elle institue des peines proportionnelles à la faute. Dans une entreprise il y a un règlement intérieur, les règles relatives à l’emploi, cela va du blâme au licenciement ; il y a des systèmes punitifs en dehors de la justice.
Il y a eu une époque barbare, avec le bagne, les travaux forcés. Des prisons, il y en a toujours eues, et dans des conditions indignes, on y mourrait assez vite.
Et j’avais commencé à réfléchir sur la différence entre punir et châtier. Punir, c’est bien la peine, à la fois la souffrance, la peine pour compenser ; ce n’est pas la loi du talion, et les jugements ne sont pas les abus d’autorité des dictatures. Déjà, il y a des procès publics, des jurés en pénal, et c’est pour eux une rude tâche.

⇒  Je pense que lorsque les  lois sont iniques, on a le droit à l’objection de conscience. On ne doit pas être des « béni oui oui » devant toutes les lois. La révolte est nécessaire face aux lois qui nuisent à l’intérêt collectif. Il y a un devoir d’objection aux lois injustes. Il faut refuser les justices privées et mettre entre parenthèses les périodes de guerre ou de Terreur. Et il me paraît plus important de respecter l’esprit des lois que la lettre.
Je pense aussi aux lois iniques lors de la dernière guerre mondiale à l’encontre des Juifs.

⇒  Ne pas avoir peur de la prison, poserait quand même un sacré problème, il faut qu’il y ait la peur de la prison, la peur de perte de liberté, d’enfermement.
Par ailleurs, je me dis qui si demain, je suis juré dans un procès, sachant que mon vote pourra être déterminant quant à la peine infligée, si cela entraîne un jugement trop sévère, j’ôte au condamné la possibilité de se racheter. En le condamnant trop, c’est condamner l’humanité qui est en lui, c’est un peu une punition envers nous-mêmes. Il faut qu’une sanction soit la plus mesurée possible, sinon on sanctionne toute la société.

⇒  En fait il est question de réfléchir à un système de sanction qui ne soit pas un système de punition et de souffrance. Cela veut dire aussi, qu’il faut réfléchir par rapport à la victime. La victime est le centre du processus. Le criminel n’offense pas seulement la loi, il fait offense à quelqu’un, il tue, il brutalise, il vole… Donc la peine c’est la sanction aux dégâts produits…

Œuvres citées

Des délits et des peines. Abbé Morellet. 1776
Conscience contre violence. Stefan Zweig. 1936
Crimes et châtiments. Fédor Dostoïevski.1866
Le zéro et l’infini. Arthur Koestler. 1945.
Le joueur d’échecs. Stefan Zweig.
L’Orestie. Eschyle.

 

 

Demain: les robots?

Robot ASIMO. Image Wikipedia

Robot ASIMO. Image Wikipedia

Restitution du café-philo du 25 avril 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Serge Carbonnel.

Introduction : Si l’on adopte pour le mot robot la définition de 1936 « appareil capable d’agir de façon automatique pour une fonction donnée » (THIBAUDET, Réflex. litt., p. 378), il y a longtemps que nous côtoyons les robots.
Si l’on adopte la définition technique actuelle du dictionnaire académique : « Appareil effectuant, grâce à un système de commande automatique à base de micro-processeurs, une tâche précise pour laquelle il a été conçu dans le domaine industriel, scientifique ou domestique », alors le robot suit la croissance et l’évolution du monde industriel.
Le débat de ce soir serait donc plutôt : les robots, HIER, AUJOURD’HUI et DEMAIN !
Dans toutes les époques de son évolution l’Humanité n’a cessé de fabriquer des machines qui avaient pour but d’être plus efficaces que l’homme et de lui épargner fatigue et danger. Nous sommes d’emblée dans la machine qui agit de façon automatique à la réalisation d’un but en général, (machine élévatrice d’eau dans l’antiquité, clepsydre etc.)
Dans le dictionnaire du 18ème siècle de Diderot, d’Alembert ce mathématicien génial écrit deux articles : Automate et Androïde. L’automate c’est : «  machine qui porte en elle le principe de son mouvement ». L’androïde, c’est : « automate ayant figure humaine et qui, par le moyen de certains ressorts bien disposés, agit et fait d’autres fonctions extérieures semblables à celles de l’homme ». Il y est décrit un androïde fait à Paris en 1738, « le Flûteur automate de M. de Vaucanson, (aujourd’hui de l’Académie des sciences) en reproduit le rapport (de ce dernier)….. Et les conclusions faites après observations réelles » (sont) qu’il a fallu donner tous les vents différents, avec une vitesse que l’oreille a de la peine à suivre, donner des coups de langue à chaque note, jusque dans les doubles croches, parce que cet instrument n’est point agréable autrement…… » (Le Mécanisme du flûteur automate. Présenté à Messieurs de l’Académie Royale des sciences, par Monsieur M. de Vaucanson. 1738. BNF) L’automate surpasse en cela tous nos joueurs de tambourin : déjà au XVIIIème siècle on admet que l’androïde, pour la fonction qui lui est assignée, puisse faire mieux qu’un humain qui pourtant l’a conçu.
A cette époque, et en particulier à partir de l’essor des sociétés industrielles, le robot machine capable de réaliser des tâches humaines pour faire plus vite, parfois mieux et en plus grande quantité n’a cessé d’envahir notre quotidien.
Selon le professeur Jean-Paul Laumond dans sa leçon inaugurale (en 2017) au Collège de France, on s’accorde à dater la naissance de la robotique à l’introduction en 1961 du premier robot industriel sur les chaînes de montage de «Général Motors ». Il s’agit du robot Unimate issu d’un brevet déposé par George Devol et industrialisé par Joseph Engelberger, reconnu comme le père de la robotique.

Alors ! Quel rôle définir au robot ?
1° Dans un premier temps de cohabiter en collaborant avec l’homme.
On considérera cela comme un bien-être, comme une amélioration de la condition humaine parce que ce sont a priori les tâches les plus dures et harassantes qui sont confiées aux robots industriels.
2° Dans un second  temps en remplaçant celui-ci.
On considérera pendant un certain temps ce remplacement de l’homme par le robot comme un progrès, mais ceci tant que le développement industriel sera capable de proposer un autre travail aux hommes qui ont été remplacés par des robots et tant que le développement des services sera capable d’inventer une nouvelle économie.
Puis arrive une époque, dans un temps plus proche de chez nous, où les développements industriels et économiques subissent moins la croissance et même parfois une décroissance. Dans un cadre pareil, alors que le développement du robot industriel, lui, n’a cessé de grandir, cela provoque une crise du travail dont tous les pays du monde sont victimes ; Crise du travail qui se traduit bien sûr par le chômage, par la crise de son financement.

Aujourd’hui qu’en est-il ? Quel est l’état de la robotique ?
Je distinguerais trois groupes principaux :
a) La robotique industrielle qui elle, n’a cessé de s’accroître et a remplacé tous les métiers nécessitant des actes répétitifs et pénibles : chaînes de montage d’appareil ménagers, chaîne de montage de véhicules, robots de peinture en tout genre, etc…
b) La robotique logicielle : celle qui n’a pas la forme d’une machine, ni celle de l’androïde, mais qui est au cœur de nos ordinateurs par des algorithmes spécifiques remplaçant de nombreuses tâches fastidieuses, et permettant même de réaliser des tâches qu’il serait impossible de réaliser dans un temps humain. Il y a dans cette robotique logicielle du bon et du mauvais. Un logiciel de logistique est, par exemple, capable de remplacer des dizaines d’hommes et réaliser automatiquement une gestion sans faute des approvisionnements, des livraisons, réapprovisionnements, absolument calquée sur la réalité des ventes et permettant de travailler en flux tendu sans jamais avoir (ou rarement) de rupture.
Un logiciel de calcul scientifique permet, par exemple, de travailler sur le modèle standard de la physique, sur les relevés et les observations de la recherche cosmologique et astronomique, en réalisant les mêmes tâches qui seraient absolument impossible à l’homme dans un temps humain. Il en est de même pour le travail que l’on peut faire sur les modèles biologiques, et qui permettent de réaliser, en un temps machine, des recherches qui seraient insolubles en un temps humain.
c) Le troisième aspect est la robotique de type androïde qui, de plus en plus, se veut de réaliser des robots de type humain, et qui usent de toutes les avancées des travaux de l’Intelligence Artificielle. « En France le rêve va être relayé à la fin des années soixante-dix par Georges Giral au laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) à Toulouse. Il y crée le groupe robotique et Intelligence Artificielle (RIA) et y conçoit en 1977 le robot mobile « Hilare », que l’on peut voir maintenant au Musée des Arts et Métiers. Il lance en parallèle le programme Automatisation et Robotique Avancée (ARA) qui sera coordonné par Philippe Coiffet ». https://lejournal.cnrs.fr/articles/voici-pyrene-le-nouveau-robot-humanoide
L’état de la robotique aujourd’hui est tel que cela remet en cause fondamentalement nos métiers, nos sociétés, leur organisation à côté d’aspects très positifs parfois. Je pense, par exemple, au développement des exosquelettes qui permettent déjà des choses merveilleuses et permettront sans doute un jour faire marcher et bouger des tétraplégiques.
Une part des hauts dirigeants des sociétés du monde numérique, d’Internet ou autre organisme militent idéologiquement, ou par intérêt financier, vers ce qui remplacerait le « panthéisme » par le « robothéisme ». Pour certains, l’Être humain ne serait qu’un robot fait d’algorithmes,  qu’une machine chimique.
Mais la réalité, c’est que des robots savent diagnostiquer parfois mieux que des spécialistes. Un patient a été sauvé d’un cancer (que les spécialistes ne voyaient pas), par un robot qui lui, l’a détecté sur les radios.
Aujourd’hui, autres exemples : le robot ASIMO, parle, court, joue au football, un robot est présentatrice de news sur une chaîne de télévision. Et nous voyons arriver : Pepper, « Le robot compagnon ».
Le Japon développe fortement les robots travailleurs ; un très grand dirigeant d’entreprise a d’ailleurs déclaré : « On aura besoin de têtes et pas de bras »

Qu’en sera-t-il demain ?
Toutes ces machines, tous ces robots androïdes seront-ils capables, et serons-nous capables   de mesurer la distance qu’il y a entre : faire et comprendre. Et serons-nous capables de mesurer et de prendre en mains les changements fondamentaux que cela va amener inéluctablement, puisque désormais, développement du robot et développement de l’IA sont liés à jamais.
Je me servirai du rapport de Cédric Villani sur l’Intelligence Artificielle et ses retombées pour résumer cette projection sur l’avenir.
Enseignement numéro 1 :« Il apparaît de plus en plus certain que l’IA va modifier la majorité des métiers et des organisations ….. Combien de personnes sont concernées dans leur travail au quotidien ? Potentiellement : tout le monde »
Ce n’est sans doute pas pour rien qu’un candidat à l’élection présidentielle en 2017 avait proposé un impôt sur la robotisation en entreprise.
Enseignement numéro 2 : Rares sont les professionnels qui passent entre les gouttes. On pense d’emblée aux « opérateurs d’assemblage, de manutention, ou d’encaissement. Mais ils s’appliquent aussi aux tâches de bureau, comme la gestion d’un planning, ou la relation client ».
« Des tâches considérées aujourd’hui comme très qualifiées pourraient être automatisées », rapporte l’étude France Stratégie, qui évoque notamment l’exemple de la conduite autonome. « La partition entre la machine non créative et l’humain créatif est de plus en plus remise en cause, ce qui rend difficile d’attribuer les domaines partagés, poursuit le second rapport. Aucun métier ne peut imaginer être à l’abri de modifications du fait de ces critères ».
Enseignement numéro 3 : La mutation pourrait être brutale y compris dans les transports, et progressive dans la banque.
France stratégie identifie deux scénarios opposés :
Le premier « dans la continuité de la transformation numérique » par «  des transformations progressives des tâches, des emplois, des compétences et des organisations, avec la possibilité d’accompagner les évolutions pour les travailleurs, ainsi que pour les usagers ».
Le second scénario : une transformation brutale, avec un « temps d’adaptation des entreprises…) très court » et, « de réelles difficultés ».
« La vitesse de transition dépendra en partie de la technologie, mais plus vraisemblablement d’une combinaison entre acceptation sociale et volonté politique », note le rapport.
Enseignement numéro 4 : Travailler avec une IA ne sera pas forcément une sinécure, et : « obéir aux ordres d’une Intelligence Artificielle, perdre le contrôle sur les processus, déléguer les décisions à la machine sont autant de modes de complémentarité qui (…) seront susceptibles de créer de la souffrance au travail »
La solution ? Une refonte de la législation concernant les conditions de travail, aujourd’hui « principalement adaptée aux modes de travail de l’ère industrielle »
Enseignement numéro 5 : Mal déployée, l’Intelligence Artificielle pourrait conduire à une explosion des inégalités.
Enseignement numéro 6 : On ne peut pas demander aux entreprises de mettre en place des garde-fous. Automatisation massive des emplois pouvant entraîner une explosion du chômage et des inégalités.
Bien sûr, les employeurs pourraient décider de ne pas déployer les solutions d’Intelligence Artificielle, ou encore de financer des reconversions des salariés devenus obsolètes. Mais ce n’est pas envisageable dans un contexte ultra-concurrentiel. «  S’en remettre uniquement aux choix micro-économiques des entreprises sur la manière de mettre en œuvre les technologies d’Intelligence Artificielle (…) peut conduire à des situations qui ne sont pas optimales », avancent prudemment les experts de la mission Villani, indiquant également : «  Les simples incitations du marché suffisent rarement à allouer au mieux l’offre de travail ». Alors qui va s’y coller ? L’État, et les collectivités locales et les branches professionnelles, disent les deux études.
Enseignement numéro 7 : Demain, on n’apprendra plus un métier, mais « des compétences transversales ». «  Les formations actuelles, qu’il s’agisse de la formation professionnelle ou de la formation initiale, sont loin d’être adaptées pour assurer cette transition »
Enseignement numéro 8 : Nos enfants devront tous être formés à l’intelligence artificielle.diplômes (….) avec notamment les disciplines les plus en tension à l’université (médecine, physique, chimie, sociologie, psychologie, droit…) » afin de former des « spécialistes hybrides » Tandis que le rapport France Stratégie propose d’intégrer à toutes les formations, du CAP au doctorat, « les compétences nécessaires à l’utilisation des outils IA »
Enseignement numéro 09 : il faudra peut-être inventer de nouveaux modèles de redistribution : « Il est nécessaire à moyen terme, de poursuivre les réflexions sur des modes alternatifs de production et de redistribution de valeur ».
Personne ne peut certifier que les créations compenseront les destructions de postes, que l’on peut déjà observer par exemple dans les secteurs de la banque ou de la grande distribution. Et de toutes façons, les nouveaux postes sont créés dans les grandes métropoles, laissant les villes de moins de 100.000 habitants se vider de leurs emplo
C’est pourquoi, le rapport Villani propose de financer des « initiatives sur les territoires spécifiques, qui tentent par exemple d’inventer de nouveaux modèles pour faire face à l‘automatisation des métiers »
Plusieurs exemples d’expérimentations sont cités : le « revenu de base contre la pauvreté »  qui doit être testés en Gironde en 2019 (et, désormais, dans douze départements). Le financement des créations de CDI sur les dix « territoires zéro chômeurs de longue durée ». Et le revenu contributif, concept du philosophe Bernard Steigler bientôt testé dans l’intercommunalité de la Plaine-Commune (93). Le principe : verser un salaire aux personnes qui « travaillent sur des projets utiles à la collectivité mais non rémunérés ».
Je rajouterais à tout cela une réflexion du concept de « useless class » (classe inutile). « Ce sont les gens qui ne sauront rien faire mieux que l’Intelligence artificielle. Au 20ème siècle, la classe ouvrière pouvait lutter contre son exploitation par la classe supérieure. Elle avait des moyens de pression, puisque sans elle l’économie ne pouvait pas tourner. Rien de tel pour la classe inutile. Certains gentils dirigeants de la Silicon Valley pourront peut-être leur donner de l’argent pour les aider à vivre, mais voilà tout…  Vous ne pouvez pas faire grève si vous ne servez à rien ! »
« L’élite, qui n’aura pas même besoin de les exploiter, devra lutter contre eux, et ne perdra rien à les faire disparaître, puisque ces inutiles n’auront plus aucun rôle économique ou militaire.
 » L’homme-Dieu sera pire que le pire des dictateurs « .

Débat

 

Débat :  ⇒ Nous utilisons divers termes lorsque nous parlons des robots.
Les robots sont d’abord des machines telles que nous les connaissons dans le monde industriel depuis plusieurs décennies.
Les humanoïdes, sont des robots ressemblant à l’homme : deux bras, deux jambes, une tête. Conception anthropomorphique, qui n’est pas sans raison. Nos petits robots  d’accueil ou robots compagnons : Asimo, Pepper, Nao, Hope, Zora…, sont des  humanoïdes, on parle aussi d’androïdes,
Les gynoïdes, les mêmes avec l’apparence « femme » (De quoi alimenter à terme, des débats sur le genre).
Les Cobots. La cobotique et la collaboration: homme/robot (interaction directe ou téléopérée)
Les Cyborgs : Des « Êtres humains » (je précise bien) des êtres humains aux capacités modifiées, disons, un cran très au-dessus de ce que nommons à ce jour « l’homme augmenté ». Une hybridation bio-technologique, soit : Exosquelettes, organes artificiels, membres artificiels, puces ou implants neuronaux.
Les Chabots : Robots qui (au Japon) reçoivent, qui renseignent des clients de magasins, de banques.
Ensuite, la science-fiction utilise d’autres termes,  tels :
Les hubots, contraction entre : humain et robot.
Les Sexbot, le même, à usage sexuel. (Des deux genres)
Et la Science Fiction utilise aussi le terme de « réplicant ».
Donc, on utilise le terme générique robot pour ce qui effectue des tâches, des activités physiques humaines
Et même si nous n’en sommes qu’au domaine expérimental, ils vont arriver, demain,
Les Nanosrobots
Au-delà nous parlons de systèmes, et encore plus évolués, nous parlons d’Intelligence Artificielle (Presque un autre débat)
Alors après des questions récurrentes comme: « Faut-il avoir peur des robots ? » ou,  « La technologie menace t-elle l’humanité ? », ce qui me semble être les principales questions quant à l’arrivée de robots dans l’univers des humains est :
1° Les robots, quelle que soit l’appellation, continueront-ils à créer du chômage ?
2° Le statut de l’humain, et la structure sociétale sont-ils remis en cause ? On utilise déjà le terme de : « Robolution »
3° Le robot n’ayant par principe aucun état d’âme, n’y a t-il pas le risque d’armées de robots ?
L’intérêt que la plupart d’entre-nous portons à ce sujet des robots pour prendre un terme assez générique, n’est pas qu’une lubie, ou un sujet à la mode. C’est en fait s’interroger sur le monde de demain. C’est même pour reprendre la formule de Hegel « philosopher avec son temps ». Ce demain qui n’est pas dans un siècle mais dans les quelques décennies à venir.
Nous savons, et nous sommes pratiquement certains que très prochainement, que le voulions ou non, notre univers social sera plus ou moins bouleversé par l’arrivée dans nos vies, à divers niveaux, de systèmes, de robots, qui assumeront des tâches avec plus d’efficacité que nous, et nous délestant au passage de certaines responsabilités. Et ce problème est différemment ressenti en fonction de la tranche d’âge des personnes à qui l’on pose la question : « devons-nous craindre les robots ? »
Mais il m’est arrivé d’entendre des personnes enthousiasmées par un univers de robots, avec cette expression : «  Aux robots les boulots difficiles, répétitifs, les sales boulots, et à nous les loisirs ».

⇒  Je me suis plutôt intéressée aux intelligences artificielles, et comme cela a été dit les algorithmes peuvent stocker une mémoire infiniment supérieure à la mémoire humaine.
Trois exemples qui m’ont frappée : dans les années soixante, on débattait de la nature unique de l’humanité, de la supériorité humaine.
Mais le 10 février 1996, Deep blue, l’I.A. de chez IBM, l’emporta sur le champion du monde d’échec, Kasparov. Et, il y a peu, Une I. A. a remporté un succès encore plus sensationnel avec le jeu de go. En mars 2016 à Séoul un match oppose l’I.A. Alpha GO de Google au champion coréen, Lee Sedol. L’I.A. bat le champion de quatre à un, en recourant à des stratégies originales qui stupéfièrent les spécialistes.
Puis, je reviens sur le remplacement des humains dans les métiers. Et on lit souvent que presque tous les métiers peuvent être remplacés par des intelligences artificielles.
Yuval Noah Harari, dans son ouvrage « Homo deus », écrit : «  En 2004, les professeurs Frank Levy et Richard J. Murnane de Harvard, publient une étude approfondie du marché du travail, laquelle répertoriait, les professions les plus susceptibles de connaître l’automatisation : « La conduite des camions semble être une activité qui sera automatisée dans l’avenir  proche [….]  Des algorithmes pourraient sans risque conduire des camions sur des routes fréquentées » écrivent-ils.
« Google et Tesla » écrit Yuri Noah Hariri (dans l’ouvrage déjà cité)  «  ne se contentent pas de l’imaginer, et sont en passe de mener à bien ce projet. […. ] Au cours des derniers millénaires, cependant, nous autres, humains, nous nous sommes spécialisés. Un chauffeur de taxi, ou un cardiologue, se spécialise dans une niche bien plus étroite qu’un chasseur-cueilleur, ce qui le rend d’autant plus facilement remplaçable par une I.A.
Ainsi que je ne l’ai cessé de souligner, L’I. A. n’a rien de commun avec l’existence humaine, mais 99% des qualités et capacités des hommes sont purement et simplement redondantes pour l’exercice de la plupart des métiers modernes. Pour que l’I. A. chasse les hommes du marché du travail, il suffit de nous surpasser dans les talents spécifiques que requiert une profession particulière. Même les managers chargés de ces activités sont remplaçables. Grâce à de puissants algorithmes, Uber peut gérer  des millions de chauffeurs de véhicules avec une poignée d’humains seulement. La plupart des ordres sont donnés par des algorithmes qui ne nécessitent pas la moindre supervision humaine ».
Dans ce même ouvrage est citée une étude de chercheurs d’Oxford réalisée en 2013, laquelle dit que 47% des emplois américains sont très exposés. Par exemple, il est possible à 99% qu’en 2033, les télémarketeurs, les courtiers en assurances, perdent leur emploi au profit des algorithmes. Les arbitres connaîtront le même sort, les  caissiers, les cuisiniers,  les serveurs, les assistants juridiques. 89% pour les boulangers et les chauffeurs de bus, et pour 88% les ouvriers du bâtiment, les aides vétérinaires, les médecins, etc…
Alors, je reprends la question déjà posée : que feront les êtres humains ? Qu’allons-nous faire de ces gens ?

⇒  Un robot se distingue d’une machine. En gros, on dit d’un robot qu’il est programmable, mais on n’a pas attendu d’avoir des robots pour faire des machines programmables.
Première chose : On va dire que le robot se distingue, en cela qu’il est capable de changer d’activité, de faire des corrections sur ce qu’il est en train de faire, et a une certaine capacité de perception de son environnement, grâce à des capteurs. Du coup, le robot donne l’impression d’être un peu plus intelligent. Des systèmes qui ont des capteurs on en a déjà. Pour moi qui travaille dans ce domaine de la robotique, le robot est une machine comme les autres, un petit peu différente, mais pas tant que ça. Il n’a pas d’intelligence, même s’il peut être plus performant. Il peut faire une addition, des opérations, mais il ne le fera pas si personne ne lui a fait le programme.
En gros, c’est : Programmation – Perception – Action. Quand on dit ça, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de choses autour de nous qu’on pourrait considérer comme des robots. Un distributeur de billets, pour moi, c’est aussi un robot,  cela a supprimé des emplois, mais le traitement de textes, avait déjà supprimé dactylos, secrétaires…
Deuxième chose : Les robots sont des choses programmées à l’avance et qui sont plus ou moins capables de faire des corrections  sur les tâches à faire. Par contre, ce qu’on voit, c’est que, pour utiliser des machines comme cela, on a transformé des processus de production.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de robots qui fabriquent des voitures, des voitures qui se ressemblent beaucoup, elles ont des tolérances dimensionnelles.  Donc, une fois que le robot a appris à faire une certaine tâche sur une voiture, il peut la reproduire de façon très performante. Pour qu’une production de voiture soit performante, il faut construire une usine de cinq milliards d’euros, pour découper les tâches de façon à ce que ça puisse être fait par une machine…..
Et, il y a des tâches dans les PME où ce serait trop compliqué de confier ces tâches à des robots, ce serait trop compliqué, trop coûteux de vouloir tout programmer. Il vaut mieux s’adapter le moment venu.
Donc, on a inventé des téléopérateurs, des machines qui sont pilotées par un humain. On pourrait dire aujourd’hui, qu’une voiture, même si ce n’est pas du tout anthropomorphique, c’est une espèce d’auto-manipulateur ; j’appuie sur une pédale et elle obéit.
Et je reviens sur les cobots, robots collaboratifs, qui peuvent travailler dans le même espace que les humains. Et l’on a évoqué les exosquelettes, le cobot utile, qui suit l’intention à chaque instant de l’humain auquel il est attaché.
Normalement plus on a des capacités techniques pour faire un travail dur et plus cela devrait être une bonne nouvelle, et, en fait cela ne l’est pas. Pas à cause de la machine en elle-même. Et l’on parle alors de la propriété des moyens de production, ou n’importe quoi d’autre si c’est une petite minorité qui possède ces moyens de production, les outils robotiques. De fait, cela concerne la façon dont les richesses sont utilisées. Cela pose la question de l’emploi.
La valeur qui est créée par une machine est toujours là, elle existe encore. La question est : qui est-ce qui se met la plus-value dans la poche ? Est-ce que c’est par la société toute entière,  qu’elle peut être partagée ?
Il y a sur ce sujet, un certain pessimisme. C’est vrai on a des métiers qui ont évolué grâce aux technologies ; par exemple quand j’étais jeune, il y avait des poinçonneurs du métro ; ce n’était pas un boulot passionnant. Il y a des centaines d’emplois qui ont disparu, et les gens ont été occupés à d’autres postes. Je ne pense pas que le robot va provoquer plus de chômage si c’est nous qui les fabriquons. Par contre si ces robots viennent de l’étranger, effectivement on aura un problème.
On est en train d’améliorer les supers calculateurs, et il y a des informaticiens qui réfléchissent à des algorithmes plus transparents, des machines auxquelles on puisse accéder
Il y a un rôle politique pour vérifier que le système ne va pas fonctionner tout seul.
Et puis, préparer la transformation du marché du travail, ça repose sur un point important, dont la formation, évidemment ; il faudra être formé à de nouveaux métiers. Ce sera quelque chose qui nous poussera à nous transformer.
En tout cas, il y a une réponse concrète du gouvernement avec le rapport Villani qui a été mis en place très vite, puisque Villani propose de doubler le salaire des chercheurs, et le gouvernement a tout de suite dit : non !
Donc ça réagit très vite.

⇒  Moi, je ne suis pas du tout inquiet pour l’avenir. Je pense qu’il faut mettre en place les politiques pour qu’on s’adapte à des transferts. C’est un robot qui m’a amené ici, avec le GPS qui m’a indiqué la route sinon je me serais perdu dans cette banlieue que je ne connais pas.

⇒  Dans l’industrie les hommes font moins d’effort grâce aux robots. Moi je n’aime pas travailler, je préférerais passer mon temps à peindre ou faire de la musique. Je veux bien laisser le travail à des machines. Par exemple la petite machine qui passe l’aspirateur toute seule dans la maison, c’est le rêve ! Sauf si j’ai laissé tomber une boucle d’oreille…Donc, c’est comme pour les robots, il n’y a pas de sécurité absolue, il faudra les contrôler.
Mais la disparition du travail, moi, ça me ravirait.

⇒  On fait la confusion entre travail et emploi. La révolution robotique va supprimer des emplois mais pas le travail. « L’homme est un être qui se réalise par le travail » (Marx) ; le travail quel qu’il soit : travail manuel, intellectuel, artistique ; etc. C’est par le travail que l’homme sait qu’il est un être humain.
Je suis d’accord avec le fait que le problème n’est pas en soi, les robots. La question est bien celle de ceux qui possèdent les moyens de production, et qui organiseront l’utilisation de ces robots. Et bien sûr, cela pose la question de quel système politique pour demain, pour cadrer, régulariser, légiférer sur l’utilisation des robots : par qui ? Et, comment ?
Mais les chercheurs en robotique ne se posent pas la question. Yuri Noah Hariri dit bien dans son ouvrage « Homo deus » que le problème ce n’est pas de vouloir culpabiliser les chercheurs en robotique, parce que ceux-ci ne se préoccupent pas des inégalités sociales aujourd’hui et demain ; ce n’est pas leur fonction. Mais il ajoute, que si jamais les chercheurs et les producteurs de robots allaient fabriquer des robots conscients, alors le problème de l’inégalité pourrait être posé, y compris pour les robots.
Et j’ai lu le livre «  Remplacer l’humain » de Nicholas Carr qui met en évidence tout ce que les robots peuvent faire à la place de l’homme, depuis les activités physiques difficiles, pénibles. Il dit : – les robots, c’est bien, mais cela modifie ce que nous faisons et ce que nous sommes. Et il prend deux exemples : celui des pilotes qui avaient, comme l’écrivait Saint-  Exupéry, un lien charnel avec les problèmes naturels. Aujourd’hui le pilote tient en moyenne les commandes pendant trois minutes, au décollage et à l’atterrissage. Il passe l’essentiel de son temps à la surveillance des écrans et à la saisie des données de contrôle de vol. Du coup les vols sont infiniment plus sûrs, mais ils sont dans une dépendance absolue vis-à-vis de l’automatisation, aboutissant à une forme de désapprentissage des bons réflexes en cas d’imprévu s’il faut repasser en mode manuel.
Et deuxième exemple, il évoque le rapport de l’ordinateur et des patients, et entre en compétition  avec le clinicien. Il dit que la médecine basée sur la robotique est plus sûre que la médecine fondée sur le jugement humain. Mais, en même temps, le médecin se disqualifie parce qu’il reste soumis à la machine, il est sous l’emprise de la machine, il attend un résultat.
Dans la robotique, c’est tout un tas d’aspects positifs. Mais en même temps, ça modifie l’être humain.

⇒  On en revient au pharmakon, soit, ce qui peut s’avérer comme la meilleure ou la pire des choses.

⇒  On a évoqué les soldats-robots. Ils existent actuellement en Syrie, ou sur d’autres champs de bataille, ils sont spécialisés dans certaines tâches, (par exemple le déminage).
Avec les I. A., les systèmes,  disait un professeur, ce n’est plus la peine d’apprendre, de faire apprendre aux futurs ingénieurs car de toute façon ils seront surclassés dans le domaine de la mémoire. Donc je n’enseigne plus à mes élèves, je leur enseigne à comprendre sans apprendre.
Et on voit l’écart entre les annonces et les réalisations ; ainsi, de l’arrivée des drones livrant des produits Amazon. Une technique qui aurait vite fait de saturer le ciel.
Et concernant les emplois, on estime que les emplois à perdre qu’on ne peut réellement définir seront remplacés, pas plus que l’on ne connaît les emplois de remplacement, et ceci d’autant plus, si les robots sont fabriqués par des robots.

⇒  Je vois qu’on navigue entre crainte et optimiste. De toutes façons cela viendra, on aura beau mettre des moratoires, l’économie, la concurrence passeront outre « tout ce qui est techniquement faisable sera fait, que ce soit moral ou pas ». (Principe de Gabbor)
Dans les récents ouvrages sur ce sujet nous allons des auteurs plutôt pessimistes, aux plus optimistes. Cela va de Jacques Testart (à l’origine du premier bébé in vitro) qui a écrit «  Au péril de l’humain » (avec Agnès Rousseau), au Dr Laurent Alexandre, transhumaniste convaincu, avec son ouvrage : « La guerre des intelligences ». La raison, l’équilibre me semble être plus chez Luc Ferry avec son ouvrage : « La révolution transhumaniste ». Présentant tous les aspects qui peuvent être positifs et les aspects dangereux, il conclut que nous ne pourrons passer ce bouleversement qu’avec un État fort, un État régulateur. Programme qui s’écarte du libéralisme qui prône un État a minima, un État « veilleur de nuit ».
Et je reviens sur l’aspect anthropomorphique de nos robots d’accueil, ou robots compagnons, tel : Pepper, Asimo, Nao, Hope, Zora…., en dehors d’un aspect qui rappelle l’humain, « une tête, deux bras, deux jambes » pour créer un début d’empathie, ces robots devant évoluer dans notre univers, il leur faut des capteurs en haut de « la machine », des jambes pour se déplacer dans notre milieu et des bras pour la préhension (comme les humains).
Le robot Zora dans de nombreuses maisons de retraites en Belgique, anime un Karaoké, connaît toutes chansons anciennes, fait faire de la gymnastique aux pensionnaires, les félicitent en les nommant par leur nom. Il écoute les personnes âgées lui raconter leur vie, et plus tard il leur raconte leur vie. Leur mémoire défaillante fait qu’ils se disent  que le robot connaît leur vie comme un proche.
Et enfin, l’aspect emploi que nous avons beaucoup évoqué, est à coup sûr la remise en cause de toutes nos structures sociales. Il nous faudra imaginer un nouveau contrat social.

⇒  La robotisation, même si les robots sont fabriqués en France, ça peut être une bonne nouvelle. Une étude aux États-Unis  montre que même si tout le travail autour des robots était fait dans ce pays, ça supprimerait quand même des emplois, et les nouveaux emplois ne compenseraient pas la perte. Néanmoins, il reste l’idée de la « robot relocalisation », relocalisation de certains métiers, d’activités qui étaient parties en Chine ou dans des pays à bas salaires. Cela concerne toutes les tâches qui ne peuvent être découpées en morceaux.
Et pour les véhicules sans chauffeur, les systèmes vont être améliorés, et un jour viendra où il sera interdit de conduire un véhicule soi-même.
Je rêve d’une voiture autonome, car alors on aura besoin de moins de voitures, car la voiture ne sert que quand elle roule. L’environnement y trouvera son compte.

⇒  L’avenir dans ce domaine de la robotisation, sera une combinaison entre : acceptation sociale et volonté politique.
Et je voudrais évoquer une expérience faite par Google, avec un robot qui enregistrait toutes les tchatches sur les réseaux sociaux de jeunes. Le système communiquant a fini par exprimer des propos racistes, il a fallu arrêter l’opération. Ça veut dire, que même avec de l’auto- apprentissage, à un moment donné se pose la question de : qu’est-ce que c’est que la conscience ? Pour l’instant, on est incapable de donner une conscience à un système. L’I. A. n’a d’intelligence, qu’artificielle (comme son nom l’indique), elle n’est que ce qu’on lui a donné, elle n’est pas pensante. L’Être humain est capable de créer des concepts. Qui me dit qu’un système est capable de créer, de conceptualiser ? Ce qui reprend cette différence entre « faire et comprendre ».
Et dans tout ce qu’on a dit concernant les pertes d’emplois, ce sera à nous les humains de concevoir une nouvelle société. Mais si l’on parle du futur avec nos critères actuels, on est dans l’impasse. Avec nos critères actuels, c’est la mort d’une certaine classe de la société, qui a aussi été nommée comme « classe inutile » ; sauf que si l’on met en branle notre capacité à créer une autre société, il y a peut-être des solutions à dégager. Et là, le robot sera peut-être, un bienfait.

⇒ Nous voyons que la société est dans un changement profond. Et c’est à nous humains, si nous avons une intelligence d’anticiper face à ces risques de suppression d’emploi. Et on doit être capables de former les gens à de nouveaux emplois.
Je reviens sur le robot et le médecin. Du robot capable de faire un diagnostic supérieur, ôtant au médecin sa capacité d’action. Je pense le contraire. Si le médecin est curieux, il va chercher à comprendre l’info du robot, et va l’utiliser à son profit pour progresser.

⇒  Je ne sais pas si on donnera une conscience aux robots, mais je ne le souhaite pas, déjà qu’une conscience c’est compliqué chez les humains.
Puis concernant les pertes d’emploi, ce sujet qui inquiète ; au-delà de l’étude qu’on peut faire, on voit des pays qui sont plus en avant dans ce domaine, et qui n’ont pas plus de chômage.
On a vu les mutations dans le secteur agricole, le secteur ouvrier ; du secteur primaire au secondaire, au tertiaire, on parle maintenant d’un secteur quartenaire ; tout évolue, il n’y a rien de systématique. C’est la manière dont on va gérer la situation qui apportera la réponse.

⇒  Nous abordons un sujet où l’on doit prendre en compte : « pouvoir et devoirs » (devoirs éthiques). Ces systèmes ne seront pas des citoyens, cela ne sera pas dans le champ d’apprentissage.

⇒ On avance dans le débat et dans la réflexion, et ce qui revient c’est qu’effectivement il est difficile d’appréhender une société robotisée de demain avec des raisonnements d’aujourd’hui. Néanmoins, pour l’instant il nous faut bien l’aborder avec nos moyens.
Effectivement cela nous rappelle toutes les grandes mutations technologiques depuis les métiers à tisser et les révoltes des Ludistes, des Canuts.
Aujourd’hui la théorie de Schumpeter, des « destructions créatrices » est peut-être obsolète. Schumpeter c’était au siècle dernier, les années 40 ; nous ne sommes plus du tout dans ce schéma, nous sommes bien au-delà de la machine agricole, des métiers à tisser, les comparaisons sont vaines.
Et je reviens sur Deep blue qui a gagné aux échecs et au jeu de go, le système ne savait pas qu’il jouait aux échecs. Ce n’est pas « je calcule donc je suis », à ce jour encore « l’esprit surpasse la matière »
Et je veux évoquer ce sujet des « robots tueurs ». En Chine, aux USA, des expériences sont menées sur des engins munis d’armes de mort, avec de caméras à 360°, détecteurs à infra-rouges. Ces engins sont télécommandés par des opérateurs, situés parfois à des milliers de kilomètres.
Ce système permettrait de faire des guerres « zéro mort », génial ! Enfin génial pour celui qui a ces armes.
Actuellement la frontière de la Corée du sud est contrôlée par des robots sentinelles armés de mitrailleuses, de lance-grenades. Ce système est visualisé à distance, ce n’est pas le robot qui décide de tirer. Mais si un hacker pirate le système, il peut déclencher une guerre.
Donc, si un robot tueur est aujourd’hui du domaine expérimental, demain, modèle abouti, modèle dupliqué à des milliers d’exemplaires, c’est une armée.
A ce jour, sept cents personnalités dont Bill Gates, Elon Musk, Stephan Hawkins, des chercheurs des scientifiques, ont signé un appel pour l’interdiction de développement d’armes létales.
http://www.wedemain.fr/L-appel-de-700-personnalites-sur-les-dangers-de-l intelligence-artificielle_a803.html
L’ONU a été saisie sur ce risque. Pour l’instant l’ONU a voté un moratoire, c’est-à-dire, à décidé de ne pas décider.

⇒  Est-ce que la volonté de développer des I.A. ne dénote pas de la mégalomanie de certains de nos gouvernants. Je pense à Macron qui a déjà fait débloquer un milliard pour la recherche en I.A.

⇒  J’ai lu le bouquin d’Henri Atlan, « Utérus artificiel » où il explique : qu’après la pilule, l’insémination artificielle, la fécondation in vitro … l’étape prochaine c’est l’utérus  artificiel, une boîte à procréer. Il dit : cela a une fonction thérapeutique, parce que c’est aussi un incubateur. Mais cela a aussi une fonction robotique, ou, un robot procréateur qui permettra aux femmes de « Disposer de leur corps », (comme elles disent), d’avoir un enfant « si je veux, quand je veux ». Avec l’utérus artificiel,  cela leur permettra de refuser la grossesse : pour le boulot, pour l’apparence…, ça va permettre aussi aux hommes de procréer, donc ça a des conséquences positives : 1° quant à l’égalité Hommes/Femmes, quant à leurs désirs d’enfant. 2° Le lien avec la nature  est annulé, la procréation n’est plus liée à la sexualité. 3° Le problème de la marchandisation des ventres, les mères porteuses est annulé, résolu. Et 4° C’est la fin de la relation parentale biologique avec l’enfant ; la fin de bien des problèmes complexes, problèmes de filiation, d’identité.

⇒  Je suis du côté plutôt pessimiste ? Ce « meilleur des mondes » ne m’emballe pas. On pense que si Hitler avait eu ces technologies…
Ce qui me fait peur c’est que l’Être humain va abandonner une part de sa liberté. Nous serons connectés, avec des puces qui surveillent notre santé, et on pourra presque nous dire de quoi et quand on va mourir.
C’est : après nos réseaux, nos tablettes, nos smartphones, Big Brother qui envahit nos corps, nos esprits, et va connaître tout de nous. Ces infos (le Big Data) sont bien sûr confidentielles, sauf pour Facebook que vient d’avoir des sérieux soucis à ce sujet.
Alors, au bout du bout, serons-nous encore des Êtres humains ? Des Êtres déterminés par notre liberté d’être et d’agir, si toutes les décisions même les plus intimes peuvent être prises à notre place.

⇒  Depuis homo habilis, l’homme a inventé des outils pour se simplifier la vie, et aussi, pour tuer son voisin. La question reste : quelle organisation de la société de demain, si ce n’est pas la majorité qui a la maîtrise, si cela est dans les mains d’une minorité ?  Cela peut -il être bon, bon pour les hommes, bon pour la planète?

Références. Livres :

Le jour où les robots mangeront des pommes. Emmanuel Grimaud et Zaven Paré. Edit. Petra 2011
La guerre des intelligences. Dr Laurent Alexandre. JC Lattès. 201T
La révolution transhumaniste. Luc Ferry. J’ai lu. 2016
Le transhumanisme est un humanisme. Gilbert Hottois. Edit. Académie royale de Belgique 2014
L’homme simplifié. Jean-Michel Besnier. Fayard. Folio 2004.
Justice. Michael Sandel. Albin Michel. 2016.
Au péril de l’humain. Jacques Testard et Agnès Rousseau. Seuil. 2018
Homo deus. Yuri Noah Hariri. Albin Michel. 2015
Remplacer l’Humain. Nicholas Carr. Edition, l’Echappée. 2017.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rousseau: de l’homme naturel au citoyen

Jean-Jacques Rousseau, par Quentin de La Tour. 1753. Musée JJ Rousseau, à Montmorency

Jean-Jacques Rousseau, par Quentin de La Tour. 1753. Musée JJ Rousseau, à Montmorency

Restitution du débat du 28  mars 2018 à Chevilly-Larue

Animatrices et animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Danielle Pommier Vautrin. Berverly Zehia. Lionel Graffin. Guy Pannetier.

Modérateur : Hervé Donjon.

Biographie de Jean-Jacques Rousseau (Danielle)
Sa vie : Jean-Jacques Rousseau est né à Genève dans une famille calviniste le 28 juin 1712. Sa famille était d’origine française. Jean-Jacques, ayant perdu sa mère dès sa naissance, est d’abord élevé par son père qui lui fait lire avec lui des romans d’aventures et les Vies de Plutarque. Puis, il le confie à dix ans, pendant deux ans, à son oncle, M. Bernard, qui le met en pension chez le pasteur Lambercier, à Bossey. L’enfant revient à Genève et est placé comme apprenti chez un graveur. Mais un jour, pour ne pas s’y exposer à un châtiment mérité, il se rend chez le curé de Confignon, petit village à deux lieues de Genève, et lui déclare qu’il veut se convertir au catholicisme. Le curé l’envoie à Annecy chez Mme de Warens, et celle-ci l’adresse à l’hospice des catéchumènes de Turin. Elle est sa maîtresse et bienfaitrice qui influencera son œuvre et s’attachera à parfaire son éducation. En 1741, Jean-Jacques Rousseau devient précepteur des enfants de Mme de Mably à Lyon.
   Passionné de musique, il élabore un système de notation musicale qui ne rencontre pas le succès espéré à Paris. Après un séjour à Venise, il retourne à Paris et se lie d’amitié avec Diderot qui lui demande d’écrire des articles sur la musique pour l’Encyclopédie. Il fait la connaissance de quelques financiers. On le fait entrer comme secrétaire chez M. de Montaigne qui partait pour l’ambassade de Venise ; au bout d’un an, brouillé avec son chef, il est de retour à Paris. Le voilà qui accepte une autre place de secrétaire, chez Mme Dupin, femme d’un fermier général : c’est le moment mondain de son existence.
   Jean-Jacques Rousseau vit en ménage avec Thérèse Levasseur, modeste servante, avec laquelle il a cinq enfants. Ne pouvant les élever correctement, il les confie aux Enfants-trouvés, ce que lui reprocheront plus tard ses ennemis.

Son œuvre : Jean-Jacques Rousseau acquiert la gloire en 1750, où il se révèle brusquement philosophe paradoxal et écrivain de génie. A partir de cette période, sa vie est étroitement liée à son œuvre. Dans le domaine philosophique, la lecture en 1749 de la question mise au concours par l’Académie de Dijon : « le rétablissement des sciences et des arts a t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? » provoque ce qu’on appelle « l’illumination de Vincennes ». De là naissent les ouvrages qui inscrivent durablement Rousseau dans le monde de la pensée : le Discours sur les arts et les sciences(1750), le  Discours  sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes  (1755) et plus tard  Du Contrat social (1762).
   Son succès est tel qu’il se sent forcé de mettre sa vie en accord avec ses principes. Il rompt avec le monde, se loge dans une mansarde et gagne sa vie en copiant de la musique. Puis il se rend à Genève, où il est reçu comme un grand homme et admis à faire de nouveau profession de calvinisme. Il prend comme hypothèse méthodologique dans son ouvrage Du contrat social, ce qui va devenir le thème central de sa philosophie : l’homme naît naturellement bon et heureux, c’est la société qui le corrompt et le rend malheureux. Il réfute ainsi la notion de péché originel.
   Jean-Jacques Rousseau retourne dans sa patrie d’origine en 1754.
  En 1755, Rousseau compose un second Discours, sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et ce discours ne fait pas moins de bruit que le précédent. Il accepte alors de Mme d’ Épinay un pavillon situé dans la forêt de Montmorency, l’Ermitage, non loin du château de la Chevrette. Là, au milieu de la nature, il commence trois grands ouvrage : L’Emile, le Contrat social et la Nouvelle Héloïse. Mais bientôt il se croit persécuté par Mme d’Épinay et par tous ceux qui sont reçus chez elle : et il quitte l’Ermitage en décembre 1757.
   Son œuvre principale, « Du contrat social », analyse les principes fondateurs du droit politique et présente la pensée politique de Rousseau. Pour Rousseau, seule une convention fondamentale peut légitimer l’autorité politique et permettre à la volonté générale du peuple d’exercer sa souveraineté. Il va plus loin que  Montesquieu et  Voltaire dans la défense de la liberté et de l’égalité entre les hommes, en proposant un ordre naturel qui concilie la liberté individuelle et les exigences de la vie en société.
   Rousseau est critique par rapport à la pensée politique et philosophique développée par Hobbes et Locke.  Pour lui, les systèmes politiques basés sur l’interdépendance économique et sur l’intérêt conduisent à l’inégalité, à l’égoïsme et finalement à la société bourgeoise (un terme qu’il est un des premiers à employer). Toutefois, s’il est critique de la philosophie des Lumières, il s’agit d’une critique interne. En effet, il ne veut revenir ni à Aristote ni à l’ancien républicanisme ou à la moralité chrétienne.
   La philosophie politique de Rousseau exerce une influence considérable lors de la  période révolutionnaire durant laquelle son livre le Contrat social est « redécouvert ». À plus long terme, Rousseau marque le mouvement républicain français ainsi que la philosophie allemande. Par exemple, l’impératif catégorique de Kantd est imprégné par l’idée rousseauiste de volonté générale. Durant une partie du XXe siècle, une controverse opposera ceux qui estiment que Rousseau est en quelque sorte le père des totalitarismes  et ceux qui l’en exonèrent.
   Dans « L’Emile ou l’Education », Jean-Jacques Rousseau soutient que l’apprentissage doit se faire par l’expérience plutôt que par l’analyse. Il y professe également une religion naturelle, sans dogme, par opposition à la révélation surnaturelle, ce qui lui vaut d’être condamné en 1762 par le Parlement de Paris.
    Il se réfugie alors en Suisse. On le voit successivement à Yverdun, à Motiers, où il s’habille en Arménien, dans l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne. Partout il se fait des ennemis. En 1766, il part pour l’Angleterre, où l’avait appelé le philosophe David Hume. Mais il ne tarde pas à se brouiller avec lui. Il revient en France, et après quelques étapes en Normandie, à Lyon, à Monquin (Dauphiné), il s’installe de nouveau à Paris : il habite alors la rue Plâtrière, qui porte aujourd’hui son nom, et il se remet à copier de la musique.
   Critiqué par les philosophes et attaqué par Voltaire (qui se moque de sa théorie où la société dénature l’homme), Jean-Jacques Rousseau se sent persécuté. Il tente de se défendre et de s’expliquer dans « Les Lettres écrites de la montagne » et les « Confessions ». Attisée par Voltaire, la population va même jusqu’à lapider sa maison et brûler ses livres. Les dernières années de sa vie se passent à Ermenonville dans la maladie et l’isolement.
   Un de ses admirateurs, M. de Girardin, l’emmène le 20 mai 1778 dans son château d’Ermenonville. C’est là que Jean-Jacques meurt, d’une attaque d’apoplexie, le 2 juillet 1778. On l’enterre, selon son vœu, dans l’île des Peupliers, au milieu du parc de ce château. En 1794, ses restes sont transportés au Panthéon de Paris.
   On peut aussi dire de Rousseau qu’il est déjà romantique : parce qu’il fait de la littérature personnelle : ce sont ses impressions à lui qu’il vous donne dans tous ses ouvrages ; par la façon dont il sent et peint la nature ; par son sentiment religieux ; par l’exaltation et la couleur de ses descriptions.

Le Contexte politique et social (Guy)
  L’œuvre de Rousseau s’inscrit dans cette période du 18ème siècle, époque qui reste fortement marquée par la Révolution anglaise, puis la guerre de sept ans impliquant plusieurs pays. On parle d’une avant première guerre mondiale. C’est aussi l’époque des grandes déportations d’esclaves africains vers les Etats-Unis. Ce sont aussi les dernières grandes disettes dues à 16 hivers destructeurs. Le manque de denrées alimentaires attise la spéculation, une épidémie bovine détruit la plus grande partie des cheptels; dans la toute fin du 17ème siècle deux millions huit cent mille personnes, soit 15% de la population, sont mortes de faim.  Pendant ce temps on continue à donner de grandes fêtes à Versailles.
Le ministre Turgot va déclencher des grèves. Ces grèves sont vivement réprimées, comme pour les canuts lyonnais. C’est le début de ce qu’on va nommer la petite industrie. Croyant accéder à plus de liberté les ouvriers réalisent très vite qu’ils sont en dépendance économique. Les hommes travaillent jusqu’à 18 heures par jour, et pour maintenir les salaires au plus bas, Turgot encourage l’embauche d’ouvriers étrangers. Ce début d’industrialisation crée des crises catégorielles, et des ouvriers qui n’ont pas d’aide, sont parfois réduits à la mendicité.
On doit être conscient que Rousseau écrit dans ce contexte, cette grande misère que nous avons du mal à imaginer.
Par ailleurs, « A cette époque » écrit Jean Starobinski dans l’ouvrage « La transparence et l’obstacle, »  « où les écrits de Rousseau commencent à avoir un certain écho, une faction de la noblesse souhaite des réformes et des mesures énergiques, en particulier à l’égard du clergé qui s’affirme de plus en plus comme un Etat dans l’Etat…, ».
Des personnalités de la noblesse, comme le prince de Conti, ne fréquentent plus la cour et agissent pour rapprocher le parlement et la noblesse, afin d’affaiblir, l’absolutisme royal. Ces derniers perçoivent dans les écrits de Rousseau les idées pour aller vers les réformes qu’ils souhaitent.
La religion perd grandement de son influence sur l’esprit d’un peuple, elle cesse d’être l’unique sens de la vie. Avec l’esprit des Lumières advient un humanisme qui dit aux individus, qu’ils sont l’unique source de sens.

Il y a un recul sur les quelques libertés obtenues lors de la régence de Philippe d’Orléans, ceci toujours à l’actif des « dévots » le groupe janséniste très influent auprès du pouvoir.
Ces mêmes Jansénistes ont enfin gagné leur duel contre les Jésuites. Jésuites dont l’ordre sera aboli en 1762, leurs écoles fermées, ces derniers perdant ainsi leur grande influence dans l’éducation des élites. Le peuple sent et redoute le retour d’une certaine rigueur.
   Si, avec Voltaire c’est l’obscurantisme religieux, ses formes fanatiques qui sont mises à mal, et créant par là un vrai tournant, Rousseau, lui va s’attaquer à l’autre versant, c’est-à-dire à l’aspect purement politique. Cette époque dont d’Alembert, un des pères de l’Encyclopédie, dira, qu’il se fait (je cite): « … un changement bien remarquable, changement qui, par sa rapidité, semble nous en promettre un plus grand encore. C’est au temps à fixer la nature et les limites de cette révolution, dont notre postérité connaîtra mieux que nous les inconvénients et les avantages… »                               
   Cette période du XVIIIème siècle est avant tout une époque de réveil des esprits entreprise par les rédacteurs de l’Encyclopédie, dont d’Alembert, Diderot et tant d’autres.
    En 1749 l’académie de Dijon lance un concours sur la question  suivante : «  Le rétablissement des sciences et des arts à t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? ».
Cette question n’est pas innocente dans cette époque où les philosophes des Lumières, introduisent cette idée que l’homme va, dans tous les domaines s’améliorer, grâce à la science, à plus de connaissance, et que, sortant  de nombre de croyances qui l’enferme, il va créer un monde meilleur.
   L’ouvrage de Rousseau, « Discours sur les sciences et les arts », antithèse des théories des Encyclopédistes ouvrira des pistes de réflexion très au-delà d’une simple opposition. Témoignant à contre-courant de son époque, il enrichit néanmoins le débat.

Tous les écrits de cette époque : de l’Encyclopédie, de Voltaire, de Rousseau,  annoncent un basculement des valeurs d’une société. C’est un questionnement à cette époque, qui nous fait beaucoup penser à nos questionnements actuels sur les nouvelles technologies.

La Révolution et les concepts politiques de Rousseau (Edith)
Je dis bien « La Révolution française et Jean Jacques Rousseau »  et non pas Jean Jacques Rousseau et la Révolution française. Ce qui m’intéresse c’est en quoi la révolution française s’est inspirée, ou a été marquée par les écrits de Jean Jacques Rousseau. Et si cela m’intéresse, ce n’est pas par une préoccupation d’historienne –que je ne suis pas- mais par une interrogation philosophique : quelle a été la portée des concepts élaborés par Rousseau sur les discussions des révolutionnaires de 1789 à 1794 ? J.J. Rousseau a réfléchi aux conditions nécessaires pour que le système politique (l’énonciation des lois, la gestion des affaires publiques, le comportement des citoyens, le type de gouvernement) soit juste et garantisse à chaque individu sa liberté et à tous la paix.
   D’autre part, aujourd’hui les débats idéologiques (sociétaux et sociaux) font s’affronter des communautés, des intérêts  particuliers et de groupes, et des partis politiques : Rousseau peut peut-être nous aider à réfléchir sur ce qui, du point de vue politique, permet le vivre ensemble.
   J.J. Rousseau a argumenté les concepts « Contrat social », « Volonté générale», » « Souveraineté », « Peuple », « Démocratie », «  Religion (civile) », et « Education » (à l’autonomie) et leur lien. (Contrat Social et Emile, ou de l’Education).

En quoi la révolution française s’est-elle inspirée de Rousseau ?
« C’est la faute à Rousseau, C’est la faute à  Voltaire… »
    Dans la chanson de Gavroche, (Les Misérables) Victor Hugo, lui, se moque de la manière d’attribuer la Révolution à Voltaire et Rousseau. D’autre part Rousseau, Voltaire, sont associés tous deux au Panthéon, comme « génies » de la Révolution, mais, ni aux mêmes dates ni par les mêmes factions. Par contre, ils ont été  englobés dans une même  responsabilité par la Restauration : ils ont été tenus pour causes de toutes les violences, petites ou grandes, justifiées ou ignobles.
   Dire «  c’est la faute à Rousseau, c’est la faute à Voltaire », c’est peut-être attribuer trop de pouvoir aux idées et à la pensée. Car les historiens n’ont pas fini de distribuer la part des mouvements sociaux profonds de la société, des malentendus événementiels, de la conjoncture économique, des Lumières, des salons et des cafés de Paris, des faubourgs et de la province, des Académies, des loges maçonniques, et de la monarchie elle-même dans l’irruption de la Révolution française.
   D’autre part, c’est toute l’Europe occidentale qui bouillonne dans l’effervescence d’une nouvelle culture politique. D’où les questions : pourquoi le passage à l’acte en 1789 ? Et pourquoi en France ? Mais dans ce bouillonnement culturel, si nous sommes tentés de faire une place centrale à Rousseau, c’est parce que nous le lisons encore alors que nous ne lisons plus guère Mably ou Morelly. Et surtout parce qu’il a été beaucoup lu par la génération qui a vécu la Révolution, et qui pour une part l’a faite, et même, par moments a su à peu près ce qu’elle faisait.
   Cependant il faut rappeler qu’immédiatement après  sa parution (1762) le Contrat Social a été  peu lu, à  cause d’obstacles matériels tout simplement. Et aussi  parce que Rousseau, dans les années  60, est, pour le public, surtout l’auteur de la Nouvelle Héloïse et de l’Emile. (Même s’il est vrai que l’Emile contient un résumé  du Contrat et qu’ainsi les idées  du Contrat se diffusèrent malgré toutes les censures). En revanche pour le public de l’époque  révolutionnaire  c’est bien le Contrat Social que Rousseau, en costume antique, tient  sous son bras, sur les cartes à jouer. Rousseau est partout présent  dans la Révolution,  dans le décor des  assiettes, les couvercles de boîtes, les cartes à jouer, drapé  à  l’antique ou en costume contemporain, tenant le Contrat Social sous le bras. Sa  présence est prédominante en l’an 2 (1793-1794), mais déjà dès 1791 on donne à la rue Plâtrière le nom de Jean-Jacques Rousseau, qu’elle porte encore. (Dictionnaire historique des rues de Paris J. Hillairet). Rousseau est mort onze ans avant le début  de la Révolution.
     En cette année 1778, Danton, Robespierre,  Carnot,  Babeuf, Desmoulins,  Manon Roland, ont entre  18 et 25 ans. Tous ont lu Rousseau. Et ceux qui l’ont rencontré  s’en souviendront… même  si la rencontre  nous paraît insignifiante ; elle ne le fut pas pour eux. En voici deux exemples. En 1770 le jeune Lazare Carnot est venu de sa province à  Paris pour passer des examens. Il va rue Plâtrière avec un camarade. Son biographe nous dit que Rousseau fut morose et défiant et la conversation assez terne. Cependant des décennies plus tard Carnot raconte l’épisode à son fils de qui nous le tenons. Il gardera les œuvres de Rousseau dans sa bibliothèque. L’esprit mathématique,  l’esprit de décision et d’organisation  n’excluront pas chez lui le goût  de l’effusion et du sentiment exprimés dans le vocabulaire et l’œuvre de Rousseau. Et, deuxième exemple : la rencontre que fit Robespierre. On conjecture une rencontre au cours d’une promenade. Est- ce un fait concret ou un fantasme ? Peu importe car ce qu’a écrit  Robespierre est significatif : « Je veux suivre ta trace vénérée, constamment fidèle  aux inspirations que j’ai puisées  dans tes écrits ». Et encore « Homme divin !tu m’as appris à  me connaître; bien jeune, tu m’as fait apprécier la dignité  de ma nature et réfléchir aux grands problèmes de l’ordre social. » (Robespierre, textes choisis, éditions sociales, 1958, par Gérard Walter).  
   Même sachant que l’époque abuse volontiers de l’adjectif divin, on doit remarquer que Rousseau joue le rôle de Saint patron .Il suffit pour s’en convaincre, de regarder les tableaux allégoriques. On y voit, dans un paysage agreste, un arbre de la liberté surmonté d’un faisceau qui porte les inscriptions : « force », « vérité » «justice », « union ». Au-dessus du faisceau  une couronne de lauriers, plus haut un drapeau tricolore, et enfin dominant le tout, un portrait de Rousseau.
   Ainsi Rousseau est très présent dans la Révolution, mais c’est évidemment réfracté dans l’imagination de ses lecteurs. S’il avait vécu plus longtemps, quelle part aurait-il pris aux événements ? Comment les aurait-il jugés ? Aurait-il renchéri sur les nécessités  de la Terreur, ou bien, horrifié aux premières violences, se serait-il réfugié à Genève ? Aurait-il admiré  Marat ou Charlotte Corday ?  Ou, pourquoi pas, les deux ? Tout cela n’est certes que jeux de pensée. Mais leur intérêt  est de nous faire percevoir combien, avec Rousseau, l’éventail  des possibles était ouvert.

Quels sont les concepts retenus par la Révolution française ?
   D’abord Rousseau n’a ni voulu ni prévu la Révolution ; il n’est pas inutile de le rappeler car le mot apparaît plusieurs fois dans ses écrits, comme d’ailleurs souvent dans ceux du temps. Notamment à la fin du second discours, « Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ». Mais ce mot n’a pas le sens précis que nous lui donnons rétrospectivement. Tantôt  il se réfère aux glorieux exemples antiques « Si Sparte et Rome ont péri, quel État peut espérer  de durer toujours ? » (Contrat Social livre 2 chapitre 3). Et qu’il emploie ou non le mot Révolution,  Rousseau prévoit la ruine des Etats. « Je vois tous les États d’Europe courir à  leur ruine. Monarchies, Républiques… la menacent d’une mort certaine » (Considérations sur le gouvernement de Pologne).Tantôt il exprime le sentiment fort mais vague d’être dans une société en transformation où tout est  possible. Mais ce possible il l’imagine volontiers allant de mal en pis.

   Et si l’on considère les attitudes prises par Rousseau à l’égard de problèmes  politiques précis, on ne le trouve nullement disposé à transformer brutalement les institutions existantes. D’abord il a un grand souci de tenir compte des réalités institutionnelles de chaque pays et aussi des mœurs et des caractères. (La différence  entre  ses propositions pour la Corse et pour la Pologne le montre bien). En général  il craint le changement politique. S’il est optimiste en ce qui concerne la nature humaine, originelle ou bien éduquée,  il est pessimiste à  l’égard  de l’histoire, pessimisme qui éclate à la fin du deuxième discours. Pourtant il accepte de donner des conseils. Mais devant une situation historique, il se révèle réformateur et non pas révolutionnaire.
   Mais Rousseau mort, son œuvre politique, malgré  les censures, est diffusée dans toute la culture du temps. L’un des textes de politique pratique qui l’évoque le mieux est le projet constitutionnel de Condorcet, rédigé au début de 1793, projet auquel fut substituée la Constitution de l’an 1 (juin1793). Et c’est aussi le langage de Rousseau, qui peut éclairer les discussions qui traversent l’œuvre constitutionnelle. On sait qu’en 1789 presque personne ne veut abolir la monarchie, même  ceux qui, plus ou moins proches de Rousseau, seront les Républicains de l’an 1.

L’homme naturel (Lionel)
   Pour Rousseau  l’état de nature, est un état qui n’a jamais existé, mais dont il est nécessaire d’avoir des notions pour juger l’homme de son époque.
   L’homme naturel est un modèle théorique, un modèle épistémologique, modèle destiné à comprendre l’homme, mais ce n’est pas un moment de l’Histoire.
   Donc, il dresse un tableau presque apocalyptique de l’homme naturel dans son « second discours » (1ère partie) : « Son imagination ne lui peint rien, son cœur ne lui demande rien. Ses modiques besoins se trouvent si aisément sous la main, et il est si loin du degré de connaissances nécessaires pour désirer d’en acquérir de plus grandes, qu’il ne peut avoir ni prévoyance, ni curiosité. Le spectacle de la nature lui devient indifférent à force de lui devenir familier; c’est toujours le même ordre, ce sont toujours les mêmes révolutions; il, n’a  pas l’esprit de s’étonner des plus grandes merveilles ; et ce n’est pas chez lui qu’il faut chercher la philosophie dont l’homme a besoin pour savoir observer une fois, ce qu’il a vu tous les jours. Son âme que rien n’agite, se livre au seul sentiment  de son existence actuelle sans aucune idée de l’avenir, quelque prochain qu’il puisse être ; et ses projets bornés comme ses vues, s’étendent à peine jusqu’à la fin de la journée. […] Ses désirs ne passent pas ses besoins physiques ; les seuls besoins qu’il connaisse dans l’univers, sont la nourriture, une femelle, et le repos; jamais l’animal ne sera ce que c’est que mourir, et la connaissance de la mort et de ses terreurs, est une de ces premières acquisitions que l’homme ait fait, en s’éloignant de la condition animale»  (Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes)
   Et Rousseau évoque trois notions que possède l’homme naturel :
 Premièrement : « La perfectibilité ».  «  L’homme naturel possède d’abord, sa perfectibilité, faculté, qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous, tant dans l’espèce que dans l’individu »
   Deuxièmement : « La pitié ». «  La pitié qui nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables »
   Troisièmement : et qui me semble la plus importante, «  L’amour de soi » (à bien distinguer de l’amour propre) : «  L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation, et qui dirigé dans l’homme par la raison, et modifié par la pitié, produit l’humanité »

Le contrat social (Beverly)
   Pour Rousseau l’homme à l’état de nature est une brute heureuse, parce que l’homme n’est pas intelligent, il mène une existence isolée dans la nature. Dans cet état il n’existe aucune autorité, ni droit, il n’y a pas de commerce, il n’y a pas de morale.
   Dans cette état de nature il n’y a pas de sociabilité, ni de conflit entre les hommes. Cette existence a duré quelques milliers d’années. Cependant l’homme a connu une évolution qui n’est pas le fruit du hasard. Un jour quelqu’un a réalisé une invention technique parce que l’homme est perfectible, cette invention marque un progrès, de ce progrès naissent des techniques permettant le développement de la chasse et la pêche.
   Se forment alors des familles, les premiers liens sociaux et enfin la raison commencent à s’éveiller. L’apparition des nouvelles techniques avec le développement des capacités intellectuelles, a créé l’inégalité morale et politique. Les plus intelligents s’approprient de manière privée les terres, construisent les meilleurs outils, etc… Pour lui c’est la propriété privée qui est coupable de tout. L’humanité passe par une nouvelle phase de son évolution ; apparaît alors l’homme tel qu’il s’est fait lui-même, apparaît en même temps également l’inégalité. Pour lui les arts, les lettres, les sciences, ne font que renforcer l’inégalité, la société se divise en deux : les riches et les faibles, ce qui marque le commencement du déclin de l’humanité, et donc la guerre de tous contre tous. Du coup s’impose l’anarchie, et c’est pourquoi les hommes décident d’entrer dans la société. Se sont les plus menacés donc les riches qui décident d’entrer en société, ce contrat a pour objectif de mettre fin à la guerre perpétuelle, pour lui ce contrat met en place une situation de droit et plus de fait, donc rien ne change réellement.
   De plus des magistrats sont créés, ce qui crée encore plus d’inégalité. Un jour, la lutte s’achève par la victoire d’un tyran : le despote ; tous deviennent esclaves et donc asservis à un rapport du maître à l’esclave ; on a une égalité de l’homme par la crainte. Pour lui les progrès techniques, la société, la civilisation n’ont fait que l’homme méchant, asservi. Première solution retourner à la brute heureuse, donc faire machine arrière, mais il se rend compte que c’est impossible. Deuxièmement recréer une seconde société. Il estime qu’en France et en Angleterre ce n’est pas possible car la société est trop corrompue. De la va naître le Contrat social à l’origine de l’homme nouveau.

   Pour Rousseau le pacte social n’est pas que pour unir les hommes, mais changer la nature de l’homme, le dénaturer. Pour lui l’homme abandonne tous ses droits, lesquels ne se font pas au profit d’un Léviathan comme chez Hobbes. Pour Rousseau, le contrat est un engagement de tous envers tous, ce que chacun perd individuellement instantanément, il le récupère comme membre de la communauté ; voire plus avec la garantie de la force de la collectivité. De ce fait, par ce pacte, naît un nouvel homme oubliant l’inégalité antérieure. Les hommes deviennent tous égaux par convention, par une fiction juridique. Grâce à cette transformation de la nature de l’homme au moi individuel,  succède un moi commun, la personne publique, qui a une volonté.
   Rousseau considère que la volonté générale n’est pas la volonté de tous. Elle ne représente pas l’addition des volontés particulières, ce n’est pas le point de vue de la majorité ou de l’unanimité, elle n’est pas quantitative. La volonté générale est la raison publique, ce qui est conforme au bien commun, aux impératifs de la raison, ce qui est nécessaire à la conservation de la société. La volonté générale n’est pas un fait politique, c’est une notion morale philosophique. Comme pour le roi, le peuple est investi de la volonté générale absolue, du caractère « linéarisable » de la souveraineté, Rousseau rejette la démocratie représentative : pour lui elle doit être directe. Le peuple souverain transforme le projet en loi. Pour lui la représentation est le signe d’un asservissement civique. Seulement cette démocratie ne peut s’appliquer dans les trop grands états, il trouve le moyen grâce à la Pologne avec un régime fédéral.
   Comme pour Baudin, historien et philosophe français (1),  la souveraineté ne peut être partagée ; en opposition à Montesquieu, ce qui compte c’est la puissance souveraine, donc celle de faire la loi. Le pouvoir législatif, le véritable acte de souveraineté est de faire la loi les autres pouvoirs en découlent. La souveraineté générale est une manifestation exprimant l’intérêt commun, parce que le peuple assemblé en corps ne peut vouloir que le bien, que l’intérêt commun, il ne peut s’égarer. C’est une conception absolutiste se substituant à la monarchie. Les individus composant l’assemblée et donc le pouvoir souverain ne peuvent nuire, notamment à lui-même et donc la loi est toujours parfaite car elle tend toujours à l’intérêt commun. Cette souveraineté dépasse l’absolutisme français, pour lui il n’est pas le même qu’en France pour lui le souverain est maître de la liberté et des biens de tous les citoyens.
 (1) Jean Baudin, auteur des Six Livres de la République. 1570.
  Cette idée fonctionne car pour Rousseau le peuple peut exercer une démocratie absolutiste parce qu’il n’exerce pas le pouvoir par opportunisme. Pour lui s’est la conformité de la volonté particulière à la volonté générale. Au fond être vertueux c’est adhérer sans aucune réserve à la volonté générale, c’est confondre sa volonté particulière à la volonté générale. Les citoyens vertueux se sont ceux qui ne font qu’adhérer à la volonté générale. On débouche sur une religion civile.

Débat

 

 Débat :  ⇒ Ce que les gens retiennent d’abord chez Rousseau, c’est l’abandon de ses enfants. Pour venir ce soir, j’ai parcouru un ouvrage de Rousseau (sur l’inégalité parmi les hommes) ; une des choses qui m’a fait sauter en l’air, c’est lorsqu’il parle de la femme qui devait naturellement obéir aux hommes. Et j’ai été surprise de son propos d’un homme naturel solitaire, car solitaire il n’aurait pas survécu.
Par ailleurs je ne l’ai pas vraiment cerné quant à la religion…

⇒  J’ai trouvé sur un site l’ensemble des lieux où il a séjourné dans sa vie. On pourrait presque faire du « tourisme Rousseau ».
   Et l’on a déjà évoqué son côté effectivement paranoïaque, de plus il était misanthrope, il n’avait de cesse (tel un « promeneur solitaire ») de s’isoler, de fuir la foule.
   Je relis ce passage dans mon manuel de philosophie (de mon temps d’étude), ce passage extrait de l’ouvrage, « Lettre à Malesherbes (1762) « : Ainsi il quitte le château de Montmorency où il trouve l’extase au milieu de la nature. L’or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d’un luxe qui touchait mon cœur ; la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m’environnaient, l’étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d’observation et d’admiration ».
   Il y a là, une sorte de panthéisme, il s’exalte : « Alors, l’esprit perdu dans cette immensité, je ne pensais pas, je ne philosophais pas, je me sentais comme une sorte de volupté.., j’aurais voulu m’élancer dans l’infini, j’étouffais dans l’univers. Dans l’agitation des transports, je m’écriais : ô grand Être ! ». Il est très romantique.
(Texte qu’on retrouve en grande partie dans, Les Rêveries du promeneur solitaire)
   Quant au contrat social : effectivement, il y a la volonté du peuple, et c’est lui qui fera la distinction entre pouvoir législatif, et pouvoir exécutif, au service des lois, votées par le souverain, le peuple.
  Alors peut-être s’est-il inspiré du modèle anglais.
  Mais il amène cette notion de citoyen.

⇒  Parmi les réflexions par rapport à une relecture du « Contrat social », je retiens cette phrase : qu’il faut demander « une aliénation totale de chaque associé, avec tous ses droits à toute la communauté ». C’est du Rousseau qu’on va retrouver dans « la Terreur » et dans les totalitarismes du 20ème siècle, jusqu’à l’Union Soviétique. Ça me fait froid dans le dos !
   Mais il y a quand même une réflexion politique passionnante. Et Rousseau est Suisse, originaire de Genève, laquelle est une cité, pas un royaume, déjà un système démocratique. Le fait qu’il soit « citoyen de Genève » va impulser sa réflexion philosophique.
   Et il s’inspire aussi de Montesquieu pour la séparation des pouvoirs.
  Il évoque les différents modes de gouvernement : de l’anarchie, de l’aristocratie, de la démocratie, et que les trois peuvent dégénérer : en tyrannie, en oligarchie. La démocratie peut aussi dégénérer en ce qu’il a appelé la « logocratie », c’est-à-dire, quand chacun commence à tirer dans tous les sens et fait comme bon lui semble.
   Le « Contrat social » est un ouvrage remarquable dont on peut encore s’inspirer. De même, Rousseau ne dit pas : voilà ce qu’il faut faire, mais il donne des pistes ; il n’a pas de définition uniforme, c’est beaucoup d’éléments, c’est une réflexion complète, sur le sujet citoyen.
   Rousseau a aussi écrit sur l’origine des langues (Essai sur l’origine des langues 1781). C’est parfois amusant. Ainsi quand il essaie de trouver les différences du langage entre les pays du sud, et les pays du nord, il va dire des choses, du genre : dans les pays du sud la langue est plus chantante parce qu’il y fait chaud, qu’il y a des fontaines, des oiseaux, etc… Mais il développe une réflexion, à savoir si le langage a développé la société, ou si la société a créé le langage.
   Alors, je ne parle pas de toutes les idées de Rousseau, parce que je pense que la société, est, de facto, « on est ensemble » ; seul on n’est rien. Il y a dans son mode de vie, dans son propos, une affirmation de l’individualisme, ce dont nous souffrons aujourd’hui.

⇒  Rousseau est toujours à la mode, aujourd’hui beaucoup de gens voudraient changer la Constitution, laquelle n’est pas quelque chose qui vient d’en haut, ou, lié à un pouvoir présidentiel, mais venant d’en bas, du peuple assemblé.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU      Acrostiche : les confessions citées (Hervé)

Le 28 juin 1712 naît Jean-Jacques Rousseau à Genève, Isaac Rousseau est son père.
Encore bébé, le 7 juillet, sa mère Suzanne Bernard décède, ses livres sont bienvenus.
Son enfance se passe à lire auprès de son père ; sa tante et mie Jacqueline l’affectionnent.

Conscience morale forgée suite à une injustice, fripon, son goût pour la solitude est resté.
Oiseau aimant la liberté, voulant être aimé, amoureux, tout  est détaillé dans ses écrits
Nécessitant des critiques, révélant ses aventures galantes  se soldant par des ruptures.
Forgée, sa passion pour la musique au gré de ses rencontres, l’émotion, sa sensibilité
Exprimées dans son dictionnaire de la musique favorisent la voix et la diction chantée.
Ses choix religieux voulus, de protestant, il devient catholique puis redevient protestant.
Sans le sou, devenu père de famille, ses enfants sont placés « aux enfants trouvés », il se justifie.
Imaginative, sa bibliographie inédite dans ses confessions, ses discours sur les sciences et les arts
Ou sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes mérite son succès.
Novateur, philosophe, son contrat social parle de la souveraineté du peuple, du droit humain.
Sensé, le cadre de son contrat vise à fonder le droit politique sur la vertu,  la liberté,  l’égalité.

Claires, sincères « les rêveries d’un promeneur solitaire » le rendent heureux de pouvoir dire la vérité.
Il révèle la volonté de l’intérêt commun, peuple = souverain déjà ébauchée dans « l’Emile ».
Toute sa pensée se révèle en remontant aux origines de son être, apprendre à mieux se connaître.
Émotion des parlementaires à la lecture de « l’Emile » pour ses prises de positions religieuses.
Escapade vers la Suisse, indésirable, il part en Angleterre, puis revient en France en lieux divers.
Sa vie s’achève  le 2 juillet 1778 à Ermenonville, avant le transfert de ses restes au Panthéon en 1794.

Je voudrais revenir sur « l’état de nature ». Jamais Rousseau n’a dit que l’état de nature, c’était la solitude. Je lis (Du Pacte social § 4) : «  Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation l’emporte par leur résistance suR les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut substituer, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être »
   Autrement dit, Rousseau émet une hypothèse d’un état de nature. Et je me pose la question  de savoir qu’est-ce que ça  peut bien être l’homme naturel, indépendamment de la société.
   De fait il énonce l’hypothèse d’un état de nature pour juger de l’état présent. Je cite, (2ème discours) : « Car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent ».

⇒  Notre société est très marquée par Rousseau, que ce soit les libéraux, Benjamin Constant, Tocqueville, tous se sont inspirés de ses théories. Et jusqu’à l’héritage pour notre Constitution ; je trouve le philosophe fascinant.
   Et je trouve également chez Rousseau, d’origine suisse, d’éducation protestante, des similitudes, ou des emprunts à Calvin dans la façon de parler de la volonté générale, la volonté majoritaire qui a toujours raison. C’est ainsi qu’est gouvernée la République de Genève. Je pense que le principe de souveraineté est largement inspiré de Calvin.

⇒  Dans son introduction à « Rousseau » (Collection Le Monde de la philosophie) Roger-Pol Droit, écrit : « ….Près de deux siècles après la Révolution française, dont la constitution républicaine a mis en pratique les idées de Rousseau, le contrat social s’est étendu à presque toute la planète ». Je veux bien, mais il reste encore pas mal à faire.

⇒  On s’est beaucoup inspiré de Rousseau pour construire la société actuelle, même si on a beaucoup élagué, même si on a aussi beaucoup emprunter à Montesquieu pour les pouvoirs, législatif, et, exécutif.
   Aujourd’hui, ça ne marche plus vraiment, quand nos députés font des propositions de lois, les ministres font, eux, des projets de loi. Il y a des héritages de Rousseau à reconquérir, comme la représentation élective ; on n’est citoyen que le jour où l’on vote. Il y a, à reconstituer une volonté générale.

⇒  Rousseau dit bien que s’il aliène sa liberté de citoyen c’est pour donner mandat, donner le pouvoir de le représenter. C’est le principe même du contrat social, qui reste le nôtre.
  Et puis quelques remarques : si Rousseau ne prône pas la Révolution que l’on va connaître, il lui arrive d’utiliser plus que le mot. Ainsi dans une lettre (publiée dans « Rousseau », collection La Pléiade) on lit : « « Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société, sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables [….] nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions » Et il ajoute en note « Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l’Europe aient encore longtemps à durer »
   Puis dans une autre lettre au roi Stanislas, en 1751, Rousseau écrit que si quelque grande révolution venait à renverser l’ordre existant, elle serait (je le cite) : «  presque aussi à craindre que le mal existant ».
   Et quant au contrat social, il en explique le fondement et sa nécessité pour tous ; je cite : « Les riches surtout durent sentir combien  leur était désavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faisaient seuls tous les frais, et dans lequel le risque de la vie était commun et celui des biens particuliers..» (Second Discours). Et dans le « Contrat social § 4 » il s’explique de nouveau : « Puisque aucun homme n’a autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes »
   Et, tout autre sujet, on a évoqué son coté misogyne. Oui ! On dirait aujourd’hui que c’est un sacré macho. Parmi nombre de déclarations du même style j’en ai retenu trois : « Toute l’éducation des femmes doivent être relative aux hommes ». Ou encore « Hors d’état d’être juges elles-mêmes, elles doivent recevoir la décision des pères et des maris, comme celles de l’Eglise ». Et aussi : « L’amour a été inventé par les femmes pour permettre à ce sexe de dominer, alors qu’il était fait pour obéir ».
   Voilà qui alimenterait notre actualité !

 ⇒  Vous en connaissez beaucoup des philosophes qui ont parlé de l’indépendance de la femme ?

⇒  Le personnage me gêne, de par son ambivalence, dans ses relations, dans sa famille, avec la religion, « j’y vais, je reviens ». Comment peut-on être aussi  indécis dans ses choix, dans toute sa façon d’être, et de dire comment l’homme doit vivre.

⇒  Rousseau évoque la lente évolution de son homme naturel, par les arts premiers, planter, semer, récolter. Mais il va se trouver face à celui qui : « …ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi ».
   De là viendra la guerre. Il écrit : «  Car c’est ainsi que les plus puissants ou les plus misérables, se faisant de leur force, ou de leurs besoins une sorte de droit au bien d’autrui, équivalent selon eux, à celui de propriété. L’inégalité rompue fut suivie d’un affreux désordre ».
   Donc, ce fut la guerre ou le contrat social.

  Dans le Contrat social, Rousseau parle d’un bon gouvernement, et définit celui-ci. (C’est un peu ce qu’on cherche encore). Au chapitre 4: Des signes d’un bon Gouvernement, dans le Contrat social, il écrit : «  Quand donc on demande absolument quel est le meilleur gouvernement, on fait une question insoluble comme indéterminée ; ou si l’on veut, elle a autant de bonnes solutions qu’il y a de combinaisons possibles dans des positions absolues et relatives des peuples.
Mais si on demandait à quel signe on peut connaître qu’un peuple donné est bien ou mal gouverné, ce serait autre chose, et  la question de fait pourrait se résoudre. Cependant on ne résout point, parce que chacun veut la résoudre à sa manière. Les sujets vantent la tranquillité publique, les Citoyens la liberté des particuliers ; l’un préfère la sûreté des possessions, et  l’autre celle des personnes ; l’un veut que le meilleur Gouvernement soit le plus sévère, l’autre soutient que c’est le plus doux ; celui-ci veut qu’on punisse les crimes et celui-là veut qu’on les prévienne ;l’un trouve beau qu’on soit craint des voisins, l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré ; l’un est content que l’argent circule, l’autre exige que le peuple ait du pain. Quant même on conviendrait sur ces points et d’autres semblables, en serait-on plus avancé ? Les qualités morales manquant de mesure précise, fut-on d’accord sur le signe comment être sur l’estimation ? Pour moi, je m’étonne toujours qu’on méconnaisse un signe aussi simple, ou qu’on ait la mauvaise foi de n’en pas convenir. Quelle est la fin de l’association politique ? C’est la conservation et la prospérité de ses membres. Et quel est le signe le plus sûr qu’ils se conservent et prospèrent ? C’est leur nombre et leur population. N’allez donc pas chercher ailleurs ce signe si disputé. Toute chose d’ailleurs égale, le Gouvernement sous lequel, sans moyens étrangers, sans naturalisations, sans colonies, les Citoyens peuplent et multiplient davantage, est infailliblement le meilleur : celui sous lequel un peuple diminue et dépérit est le pire. Calculateurs, c’est maintenant votre affaire ; comptez, mesurez, comparez »
   Si je retiens ce critère de peuple qui se multiplie pour un bon gouvernement : l’Europe est mal gouvernée, l’Afrique est mieux gouvernée.

⇒  Concernant son rapport à la religion, Rousseau est déiste (pas théiste), autrement dit, il reconnaît l’existence d’une puissance organisatrice sans lui vouer un culte. Et dans « La profession de foi du vicaire savoyard », il dit : « Voilà mon premier principe. Je crois qu’une volonté meut l’univers et anime la nature. Voilà mon premier dogme, premier article de foi » et il ajoute plus loin, mais « que d’hommes entre dieu et moi »

⇒  Deux  réflexions quant à Rousseau.
La première est que, pour exister, être connu, il aurait choisi délibérément au départ une remise en cause, d’être l’anti-Prométhée, de faire l’antithèse des idées de progrès portées par les Lumières. C’était pour lui, dénoncer l’histoire sociale que ces derniers élaborent, ce qui aurait été, alors, non un progrès, mais une décadence.  (Certains biographes relatent que ce serait Diderot qui lui aurait conseillé de prendre cette option, cette antithèse).
   Il y a une progression, une cohérence chez Rousseau. De l’homme naturel, des inégalités au contrat social à l’Emile, il se façonne, et chaque fois jusqu’aux « Confessions ». C’est en cela qu’on ne peut dissocier l’homme de l’œuvre.  
   Puis seconde réflexion : ayant enfin eut la notoriété à 40 ans avec les « Discours sur les sciences et les arts », où il prône une certaine manière de vivre, Rousseau allait devoir désormais se conformer à cette idée de l’homme, à cette théorie qu’il édicte « Nos opinions sont la règle de nos actions » écrit-il.  Ce qui fait que d’une certaine façon, son livre l’a fait, plus qu’il ne s’est fait, pour paraphraser Montaigne.
   Et au final si l’on examine l’ensemble son œuvre, (dont quatre particulièrement) il y a cohérence.  Les deux premiers ouvrages dénonçant la condition de l’homme due à la société, débouchent et sur L’Emile, et sur le contrat social. Rousseau chaque fois répond à Rousseau.
   Nombre de philosophes, dont : Kant, Hegel, Ernst Cassirer, verront de suite la cohérence dans ces quatre ouvrages
   Par ailleurs, pour  être cohérent avec le « personnage » de toute son œuvre, il refuse des postes, il refuse des rentes, il ne peut se compromettre. Rousseau semble être devenu prisonnier du personnage qu’il a créé. Il devient comme l’a nommé Kant « le nouveau Diogène ». Il dit qu’il abandonna alors, tous les signes vestimentaires de vanité : « Je quittai la dorure et les bas blancs ; je pris une perruque ronde ; je posai l’épée ; je vendis ma montre … » (Les Confessions)
   Et enfin, il a marqué son époque et au-delà, quant à l’éducation. Des personnes prendront modèle sur son œuvre (l’Emile) pour éduquer leur enfants (telle Georges Sand), et les principes de l’Emile se retrouvent aujourd’hui dans les écoles Freinet et Montessory.
   Toujours après cet ouvrage on abandonnera cette façon de langer les bébés en les enfermant comme des momies, emprisonnant les membres (ce qui permettait, dira-t-on, aux nourrices de pouvoir accrocher cette boule de chiffon à un clou).  Les bébés lui doivent beaucoup.

⇒  La Révolution s’est inspirée de Rousseau, notamment pour l’égalité. Ce qui est justement en opposition avec les anti-révolutionnaires, tel Burke, qui a critiqué cette notion d égalité.
Second point : On se serait inspiré des modèles de Rousseau et Montesquieu. Ce dernier ne voulait pas la séparations stricte des trois pouvoirs ? Mais qu’ils se contrôlent et s’équilibrent.
Ce sont les deux conceptions celle de Rousseau, plus celle de Montesquieu qui font qu’un gouvernement fonctionne.

⇒  Rousseau est quelqu’un qui prêche la tolérance et le respect de chacun tant que ça ne va pas à l’encontre de l’intérêt public. J’ai sous les yeux un extrait du Contrat social (§ VIII) : « Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or, il importe bien à l’État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’État ni ses membres ; qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui [….] Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle.
   Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la divinité puissante, intelligente, bien présente, prévoyante et pourvoyante ; la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois, voilà les dogmes positifs. Quant au dogme négatif, je les borne à un seul ; c’est l’intolérance »

⇒  Rousseau ne dit pas que l’égalité est synonyme d’identité (au sens identique), il parle d’égalité des droits. Et, effectivement, il pense que le contrat social met en place l’égalité des droits, la liberté individuelle, et l’union ; lequel contrat repose sur l’aliénation totale de chacun à la communauté. Ce n’est pas un totalitarisme, c’est une aliénation à la volonté générale. Il faut que chacun se mette à penser, non en termes d’individu, mais en termes de volonté générale. Et pour que chacun se mette à penser comme cela, il faut qu’il ait été éduqué à faire en sorte que les individus arrivent à se déterminer en fonction de l’intérêt général, et non en fonction d’intérêts particuliers. Et bien ! ça renvoie pour lui à l’éducation, et du coup, il écrit «  L’Emile ou l’Education » pour expliquer cela. Et d’autre part, pour que cela fonctionne, il faut un gouvernement, la démocratie ; c’est-à-dire que le peuple doit être assemblé quotidiennement pour examiner toutes les décisions concrètes qui se présentent. Et cela est difficile, et Rousseau, le dit lui-même, c’est pour cela qu’il pense à des dimensions comme la Corse.
   Et Rousseau dit que pour que les individus soient éduqués en termes d’intérêt commun, il y a l’éducation, mais aussi le rôle du législateur, lequel expose les problèmes en terme d’intérêt commun.
   Rousseau dit : il y a eu des grands législateurs dans le passé ; et bien, maintenant, dans un pays petit ou grand, il faut qu’il y ait une assemblée qui réfléchisse à cette notion d’intérêt commun, et que le peuple, par un référendum dise : oui ! On est d’accord ! Non ! On n’est pas d’accord !

⇒  Quand Rousseau parle des inégalités, il précise qu’il existe des inégalités de la nature contre lesquelles on ne peut lutter totalement, et puis les inégalités qu’il évoque surtout sont les inégalités créées par la société. Il ne parle jamais de possible égalité totale.
   Et, quant à son modèle de démocratie, il concerne un peuple défini ; en fait le modèle, pour lui qui se présente souvent comme « citoyen de Genève » c’est justement la République de Genève, une ville qui à l’époque n’a guère plus d’habitant que notre ville de Chevilly-Larue (on parle de 27000 habitants).

⇒  On peut être un peu surpris des paradoxes et de l’ambiguïté de la personne de Rousseau, c’est lui-même qui souvent l’exprime, voire lui-même qui s’expose quand il écrit, dans une lettre à  une de ses amies, Madame de Verdelin: « Je suis à la fois efféminé et indomptable, j’ai un cœur de romain, et un cœur presque de jeune fille, de jeune vierge… », et, s’étant fait peindre pour une couverture d’un des ses ouvrage en turque (au féminin) enrubannée, il évoque cela, « Me voici à présent plus de la moitié femme, et je vous demande de m’accepter dans votre sexe, puisque les hommes m’ont exclu du leur ».
Toujours dans ce même ordre d’idée, on sait qu’il montra son derrière à des jeunes filles. Y avait-il en lui un exhibitionniste ?
Et il est encore plus ambigu, concernant son goût pour les « fameuses » fessées. Mademoiselle Lambercier écrit-il : « allait quelques fois jusqu’à nous infliger la punition des enfants.., et ce qu’il y a de bizarre c’est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avait imposé. J’avais trouvé dans la douleur, de la honte, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte… » 
Rousseau surprend : de la profondeur de vue, de celui qui peint l’homme en regardant son nombril, à celui qui marquera désormais le contrat politique dans tant de démocraties, et à celui qu’on évoque peut-être moins : le romancier, celui qu’on nommera souvent « le père du romantisme ». Un romantisme avec des descriptions qui vous font vivre les scènes, avec des figures de style comme une mise en scène de l’action ; il reste dans ce domaine l’objet d’une étude approfondie.
  Et enfin, au terme de ce débat : après avoir étudié et débattu l’an passé, de l’œuvre de Voltaire, puis cette année celle de Rousseau, l’an prochain, nous aborderons Diderot et son œuvre.  Trois des grands philosophes (en France) de cette période des Lumières.
    Voltaire a animé son siècle
    Diderot a éduqué son siècle
Rousseau a fait réfléchir son siècle.
 

(Principales) 0euvres de Rousseau

Discours sur les sciences et les arts
Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes.
Du contrat social
Emile, ou De l’éducation.
Julie ou la nouvelle Héloïse
Les Confessions.
Les rêveries du promeneur solitaire
La profession de foi du vicaire savoyard.
Lettres écrites de la montagne

Bibliographie

La vie économique et les classes sociales en France au XVIIIème siècle. Henri Sée. BNF.
La transparence et l’obstacle. Jean Starobinski. Gallimard. 1976
L’idée du contrat social. Jean-Pierre Cléro et Thierry Ménissier. Ellipses. 2004
Rousseau. Biographie. Raymond Trousson. Folio. Gallimard. 2011.
Rousseau, une politique de la vérité. Géraldine Lepan. Belin. 2015.
Robespierre, textes choisis. Editions sociales par Gérard  Walter.
Lettre à Malesherbes. Rousseau. 1762.
Rousseau. Œuvres Complètes. 5 vol. B. Gagnebin et M. Raymond. Pléiade1999/2004.
Histoire de la philosophie. Émile Bréhier. PUF. 1968
La théorie de la société bien ordonnée chez Rousseau. De Gruyter. 1988
Jean-Jacques Rousseau et la philosophie politique de son temps. Robert Derathé. Vrin 1994.
La politesse des Lumières ; Philippe raynaud. Gallimard. 2013
La philosophie des Lumières. Ernst Cassirer. Flammarion. 2016
Rousseau. Collection, le Monde de la philosophie.
Les confessions/ Première bac/Lectures méthodiques. Hatier 1997

Pourquoi nous faut-il des héros?

Francois1er à Marignan. Chateau royale de Bloisj.François 1er à la bataille de Marignan.
Attribué à Noël Bellemare. 1530. Iconographie BNF

                   Restitution du débat du  28 février 2018 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Lionel Graffin.

Introduction : Interviewé  par un journal Claude Imbert chef de cuisine d’un restaurant parisien, déclarait ceci, au sujet des champions des jeux olympiques actuels: «  On doit célébrer nos champions, comme peuvent le faire certains pays ou chaque champion est considéré comme un héros national. Il démontre que quand on se bat, on peut arriver à réaliser ses rêves ». Cette image, référence absolue peut hanter les esprits. L’article prolongeait : «  Il n’est pas demander à nos champions de mourir pour une cause juste, si ce n’est d’arriver premier »
Et les héros ne sont pas des surhommes. Le héros accepte de mourir pour une cause, une religion, son peuple, etc. le surhomme abuse de son pouvoir, et il ne veut pas forcément mourir pour un peuple.
Et il existe aussi, des héros dans les ouvrages littéraires. Elevé dans une ferme, je me suis éveillé par la lecture, d’abord par les bandes dessinées. Mes héros étaient du genre Tarzan,  ou chef indien. Ce qui me constituait par exemple c’est quand ce chef indien qui veillait à la prospérité de sa tribu finissait par être contraint d’entrer en guerre.
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, enfant accueilli pendant la seconde guerre mondiale, lui aussi dit qu’il s’est construit ses héros, qui s’appelaient, ou, Rémy, héros de « Sans famille » d’Hector Malo, (lui aussi enfant recueilli), ou, Tarzan, autre enfant recueilli, lui par la Jungle et les animaux de la jungle. Et il citera aussi, Oliver Twist…  Ce sont tous des héros  positifs qui aident, à travers l’imaginaire, la rêverie, un enfant à se construire. Et dans son livre, «Ivres paradis, bonheurs héroïques »,   Cyrulnik écrit : « Pas d’existence sans épreuve, pas d’affection sans abandon, pas de lien sans la déchirure, pas de société sans la solitude. La vie est un champ de bataille où naissent les héros qui meurent pour que l’on vive. Mes héros vivent dans un monde de récits merveilleux et terrifiants. Ils sont fait du même sang que le mien, nous traversons les mêmes épreuves…Leur épopée me raconte qu’il est possible de s’élever au-dessus de la fadeur des jours et malheur de vivre.., nos héros nous montrent le chemin »
   Mais nous n’avons pas tous les mêmes héros. Par exemple Rockefeler et le mythe de sa réussite, ou aujourd’hui, Steve Jobs, enfant abandonné, héros moderne. Les deux alimentent le rêve américain qui est dans l’esprit des migrants.

  Débat  Débat :   ⇒  Il y a un héros que je voudrais ne pas oublier de citer, c’est ce héros, je devrais cette héroïne de tant personnes, « leur mère » ; « Ma mère, ce héros ! » (Pour paraphraser Victor Hugo). En France le mot héros est connoté, mâle, homme, et si l’on le met au féminin, il devient héroïne ; alors on pense à un personnage de roman, ou de film.  « Il n’y a en vérité, aucune  différence d’espèce entre l’héroïsme du soldat qui combat et celui de la mère de famille pauvre qui est fidèle à sa tâche et l’accomplit toute entière…. »   (Daniel Rops. Ce qui meurt)  

⇒  Les héros nous font la démonstration qu’il est possible en certains cas d’accomplir des choses d’exception. Sans leurs exemples, nous ne saurions peut-être pas que ce soit possible.
Dans ce domaine de l’héroïsme, il y a différents degrés. En effet pour être un héros, il faut différentes qualités, comme savoir dominer sa peur et ne pas se laisser dominer par elle.
L’héroïsme nécessite, le sens moral, le courage, la ténacité, le sens du devoir, utile pour soi comme pour les autres. Exemple : l’homme (ou la femme) qui affronte les souffrances d’une maladie, qui accepte le devoir vivre, pour lui comme pour les siens,  celui qui brave cette situation est une sorte de héros.
Pendant la seconde guerre mondiales des héros (également, hommes et femmes) on résisté sous la torture, résisté pour ne pas dénoncer. On est dans un sens d’héroïsme au service du collectif, au service d’un pays.
Et je pense à de grands héros (même plus discrets) tel le couple Curie, qui ont donné une partie de leur vie pour œuvrer dans les moyens pour soigner, pour guérir.
J’ai besoin de savoir que les héros qui ouvert des chemins que  je n’aurais jamais pu emprunter, et prendre pour exemple, qui, par leur  intelligence, leur créativité, leur volonté ont permis que les choses bougent pour aller vers une amélioration des choses. Je trouve que ces personnes (ces héros) méritent qu’on les prenne en exemple.

⇒ Pour moi, un acte héroïque  n’est pas forcément réfléchi, ça peut être impulsif, comme pour sauver quelqu’ un de la noyade. Et pourquoi il nous faut absolument un héros ? Peut-être parce qu’on a besoin d’idéal. Je comprends qu’on ait besoin d’idéal, surtout quand on est jeune. Maintenant, on a évoqué le courage des malades, je ne pense pas que renoncer à la vie soit un acte de bravoure, l’euthanasie n’est pas un acte héroïque, mais certaines personnes dans ce domaine ont fait avancer  les choses.

⇒  Oui, pour prolonger ce dernier propos je pense qu’héroïsme et courage ne sont pas inséparable. C’est vrai que s’il faut sauver quelqu’un de la noyade, si l’on réfléchi on n’y va pas.
Et je me pose cette autre question : Est-ce que les héros sont toujours des êtres exceptionnels ?

⇒ L’étymologie nous dit que le héros est issu du grec « hêrôs », maître, chef, puis demi dieu. Cette notion de demi dieu est principalement une conception de la mythologie grecque. Hercule, Achille, Ajax, Hector, Ulysse,  et tant d’autres sont héros et demi dieux alors pour les grecs. C’est à cette époque une personne essentiellement mythique.
De nos jours on trouve dans la signification du mot héros quatre aspects.
1° Le personnage mythique, légendaire.
2° Le personnage qui se distingue par son courage
3° Le personnage ayant accompli quelque chose d’extraordinaire, des exploits.
4° Le personnage de roman, lequel le plus souvent n’a rien de commun avec les précédents.
 Dans toutes les cultures nous rencontrons des héros légendaires, ces personnages créés par les hommes pour valoriser le courage, pour offrir des modèles de bravoure qui feront parfois avancer des hommes ; des hommes qu’ont sait parfois qu’on va faire tuer. Peu de héros sont sortis entiers de la boucherie de la grande guerre.  Dans un film de Yves Ciampi 1954, « Les héros sont fatigués », bien après la dernière guerre deux hommes un français et un allemand, découvrent qu’ils ont été des héros chacun dans leur camp. Le héros n’est pas toujours universel.
Les héros peuplent notre récit national, ils sont souvent héros de champs de bataille, modèle de bravoure. Mais nos héros ne sont pas que des sabreurs. Nous avons élevé au rang de héros, des hommes, des femmes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes à l’humanité, et si nous visitons nos héros nationaux au Panthéon, nous n’avons sur 81 héros, hommes et femmes. On n’y trouve  que huit militaires. Et à côté de cela huit scientifiques, et six  hommes de lettres.
Et je verrais aussi comme héros, des, Nelson Mandela, ou Gandhi, des héros qui n’ont pas de sang sur les mains. Rappelons-nous qu’en 1938 Hitler était un héros pour certaines personnes.
Donc la notion de héros reste entachée de subjectivité.

⇒ Pourquoi nous avons besoin de héros ? C’est parce que l’humanité a besoin de croire que l’impossible est possible. Pour que l’on croie cet impossible, possible, les Grecs avaient inventé cet intermédiaire entre les dieux et les hommes, qu’ils appelaient héros. Mais petit à petit ça a changé. Quand on n’a plus cru aux mythes, on a essayé de trouver des héros dans la vie de tous les jours ; et quand on n’en avait pas, on en inventait. C’est-à-dire qu’on va jusqu’au mensonge pour trouver des héros. Le général Custer est un héros aux Etats-Unis, sa « légende » elle n’est basée que sur des mensonges. Mensonges sur ce qu’il fait pendant la guerre de sécession ; il est mort à la bataille de « Little Big Horn » où ses troupe furent battues à plat de couture. Et nous avons inventé des mythes absolument indémontables autour de Jeanne d’Arc, dont on a fait pendant longtemps une héroïne nationale.
Et on a fait un héros de Steeve Jobs, avec une histoire de garage, un mythe de plus.
Et oui, lors de la seconde guerre mondiale, certains ont considéré Hitler comme un héros. Mais si on avait perdu la guerre contre l’Allemagne d’alors,  je sais pas si on aurait considéré Churchill comme un héros, ni si de Gaulle aurait été considéré comme un héros en France. On a posé ces exemples à posteriori parce qu’on a besoin de mythes.
Pendant un moment on s’est servi du sport, pour nous dire que les sportifs sont des héros. Mais on y croit de moins en moins maintenant, car si un sportif gagne trop souvent, on se dit « est-ce qu’il est dopé ? »
Alors on croit de moins en moins aux héros.

⇒  Avec le temps, l’Histoire, nous éclaire et démystifie les héros : ainsi Roland qui avec les troupes de Charlemagne ayant  combattu les sarrasins est mort de façon héroïque, a, en fait,  été tué par des basques dont ces troupes venaient de mettre leurs villes à sac.

⇒  Je pense que les héros et les mythes qui en découlent, constituent un ciment, et sans ce ciment, la société n’existe pas. Ces mythes, sont une nécessaire assise de civilisation, et on ne s’en débarrasseras jamais.

⇒  Je me suis posé cette question : un héros est-il forcément l’auteur d’un acte héroïque ? Parmi les personnages historiques, il y a, Marie Stuart, un personnage qui me passionne. Cela me dit que le héros peut être individuel, ou collectif. Lorsqu’on parle du général de Gaulle, c’est un héros collectif, mais de manière individuelle, c’est pas sûr, que la réponse soit la même. Je pense que le héros est un personnage propre à chacun. On a nos héros qui nous aident à avancer.

⇒  Il y a des héros qui ont été félicités, décorés, il y a peu de temps. Ce sont ces hommes qui ont osé désarmer un terroriste sur le train le Thalys, (28 août 2015). On en a fait un film, (Le 15 h 17 pour Paris)

⇒  Il y a peu de temps, notre actuel Président de la République, a voulu faire un « héros » d’une idole de la chanson. Là, aussi, on se dit que cela peut être pour fédérer le peuple (Cérémonie en l’honneur de Johnny Hallyday, 11 décembre 2017)

⇒  La dernière fois qu’on a honoré un héros avec une telle ampleur à Paris, c’était pour l’enterrement de Victor Hugo (22 mai 1885). Qu’on en fasse de même pour un « personnage people, », pour qui notre Président de la République a fait,  à «La Madeleine » une oraison funèbre, de plus, à un exilé fiscal ça fait drôle ! et surtout ça relativise, voire, ça dévalorise la notion de héros. (Ce qui n’empêche pas, de reconnaître, de respecter, la réaction affective des gens)

⇒  La figure qui m’a porté pensant très longtemps, qui était au-dessus de mon bureau, c’est celle d’Einstein. Je pense qu’il se crée un lien avec nos héros. A 26 ans Einstein publie cinq articles dont chacun méritait le prix Nobel. Je pense que les héros créent un rapport particulier  à la liberté, ce sont des gens qui vont jusqu’au bout, et c’est en cela qu’ils sont des individus libres.

⇒  Je ne vois le côté collectif quand on parle de héros. Celui-là prendra la forme d’Einstein, de,  de Gaulle, ou plus anonymes, de  ceux de la Résistance. Ce qui me fait peur, c’est que le héros puisse cacher une partie de l’homme. Les Révolutions ne se réfèrent pas à un nom, c’est un peuple qui se soulève. Je ne veux pas tirer un trait sur les héros, mais pour Einstein, par exemple, il y avait un monde scientifique autour de lui, il a été un moteur.

⇒  Les héros dans l’Histoire sont souvent du côté des vainqueurs. On peut se poser la question, combien de héros qui ne sont pas passé à la postérité , « passés à la trappe », car ils étaient du côté des perdants.

⇒ Pour répondre à la question initiale, nous avons besoin de héros pour accepter la condition humaine, pour l’accepter avec ses petites lâchetés. .

⇒  Quand on parle d’être exceptionnels, (comme Einstein) on ne parle pas de héros. Les grands scientifiques ne sont pas des héros. Par exemple, Plank, (un des pères de la théorie quantique) a été un collaborateur du nazisme. Et au Panthéon, il n’y a pas que des héros, il y a des « bienfaiteurs de la nation », c’est une reconnaissance officielle de la Nation.
Le héros il y a en a de moins en moins, c’est pourquoi il faut en trouver. On a cité, l’effervescence au tour de Johnny Hallyday. On voit bien que derrière il y avait un but ; le désir d’un gouvernement qui essaie de se rapprocher du peuple.
Les héros nous sont imposés, héros fabriqués, bâtis parfois sur des mensonges. Le héros cache l’homme, et pendant ce temps le réel se trouve caché. Fermez les yeux sur votre réalité, nous vous fabriquons une réalité à base de héros. Il y a une tendance aujourd’hui a nous montré d’autres type de héros, tel Steeve Jobs (Créateur d’Apple)

⇒  Dans son livre :  » Ivres paradis, bonheurs héroïques »  Boris yrulnik cite la chanson   Nibelungen » : « Neuf mille écuyers gisaient à terre frappés à mort, et au centre douze chevaliers, compagnons de Dancwart.  On le voyait seul au milieu des ennemis ». Depuis l’enfance je reste pantois devant ces tableaux de batailles montrant ces héros.  Et dans un autre ouvrage, « Le mythe de la virilité » Olivia Gazalé, évoque : Olivier, « Olivier, compagnon de Roland, qui horriblement blessé, empoigne ses entrailles, les remet dans son ventre .., puis arrache le gonfalon, s’en fait un bandage, se redresse sur son destrier et se lance encore contre les païens qu’il refoule jusqu’à la mer ». On y retrouve le côté spectaculaire, théâtral de la prouesse.
Jusqu’au 19ème siècle on disait que seul l’homme avait de pouvoir démiurgique du héros.., en dehors de Jeanne d’Arc ce héros : «  regardez ! voilà quelqu’un qui est une femme, qui se bat comme un homme, mieux que les  hommes … » Ce mythe de Jeanne d’Arc aurait peut-être été créé pour créer une réaction chez les hommes pour « bouter » les Anglais.
Et je reviens sur nos héros au Panthéon. Lors de l’entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle-Anthonioz de Gaulle et de Geneviève Tillion, François Hollande dit dans son discours : «  Admirables sans être admirées, reconnues sans avoir cherché à l’âtre, ces deux femmes incarnent l’esprit de la Résistance » Il fait  un éloge, une présentation qui ne correspond pas tout à fait à la définitions que nous faisons habituellement des héros. Nous avons là des héros humanistes, plus près de nous… 

⇒  Celui qui comme Mandela a subi la prison, qui à, au risque de sa vie, résisté au pouvoir en place, à fait un acte héroïque, De même Gandhi, qui risquait sa vie, lequel par un « Résistance passive » a libéré son peuple du joug de Anglais, et ceci sans avoir fait versé une goutte de sang, voilà des ces héros qui forcent l’admiration, pas des héros qui ont laissé des vallées de larmes derrière eux. .

⇒  On a les héros qu’on s’est choisi, et parmi ceux qui nous étaient offert. Les héros peuvent être instrumentalisés ; ils peuvent être mis au service de la religion (par exemple), laquelle religion aura, ses héros que sont les prophètes, le Christ, les Saints, les martyrs. Et toutes les religions offrent leur panoplie de héros. La politique n’est pas en retard pour offrir des héros ; ce sera par exemple, les figures hiératiques de Simon Bolivar, ou le Che Guevara, ou tout autre. 

⇒ On a évoqué les héros des tableaux au-dessus de la bataille, surélevés sur leurs montures. Le héros est toujours au-dessus du commun des mortels. Les statues les élèvent. Ils nous en reste l’expression quand on va héroïser quelqu’un, on va le : « mettre  sur un piédestal ».
Et il y a un film passé ces derniers jours sur ARTE (26/02/2018) : «  Georges Elser », et ce personnage, cet allemand qui a fabriqué la bombe pour un attentat contre Hitler, est torturé par la Gestapo, on lui demande de se renier : ce  à quoi il répond : « Si je me renie, le mot liberté ne veux plus rien dire ». Je crois que le héros est comme dans ce cas, celui qui, au prix de sa vie,  sublime nos valeurs. 

⇒  Alors oui, comme on l’a dit chacun choisi, même de façon très arbitraire ses héros. Le dernier choix entendu, c’est celui d’un ex Président du Front National, (je ne cite pas de nom) lequel dans ses mémoires écrit : « Charles de Gaulle  reste pour moi une horrible source de souffrance pour la France« . Il y raconte également la première fois où il l’aperçut, en 1945 dans le Morbihan: « Je serrai » dit-il « cette main indifférente. Il me parut laid et dit quelques banalités à la tribune tendue de tricolore. Il n’avait pas une tête de héros. Un héros doit être beau. Beau comme Saint Michel ou le maréchal Pétain », et il ajoute que pour lui ce fut,  » un faux grand homme dont le destin fut d’aider la France à devenir petite« .

⇒  J’ai grandi, mais je garde les héros de mon enfance, je ne les pas abandonnés, même si d’autres sont venus. Un héros peut être constant, tout au long de ses conquêtes Alexandre le Grand gardera comme héros, Achille.

⇒ Le héros peut être un outil de propagande.

⇒  Pour nombre de personne dans ce monde, Ben Laden, est un héros ; le héros de « la lutte anti impérialiste ». Ceux qui font des attentats, les terroristes, les kamikazes, sont pour certains, des héros.

⇒  Ce monde n’est pas très très joli, il nous faut bien des héros pour y croire un peu.

⇒  Un village a été élevé au rang de héros, au rang, suivant l’expression de « juste » ; c’est le village de le Chambon sur Lignon. Héroïsé pour avoir sauvé des juifs pendant l’occupation lors de la guerre 39/45 ; un héroïsme collectif.

⇒  On fait souvent des parallèles entre héroïsme et personnalité. Il y a encore peu, lorsque vous alliez dans un pays étranger, et que vous disiez je suis français. La réaction était parfois, « Ah oui ! la France : le général de Gaulle, Yves Montant » 
Aujourd’hui avec la communication accélérée, via les réseaux sociaux, les héros affluent et passent. Quelque soient leur valeurs ils passent vite aux oubliettes de l’Histoire. 

⇒ Les héros sont porteur de symboles, références de nos valeurs, ils aident à nous structurer, nous ne les jetons pas aux oubliettes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La tyrannie du désir

 

Collier Evert. Vanité. 1662. Riskmuséum. Amsterdam

Collier Evert. Vanité. 1662. Riskmuséum. Amsterdam

Restitution du débat du  24 Janvier 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.
Introduction : André Sergent
Modérateur: Hervé Donjon

Introduction : Jadis, le travail bien fait, allait de soi. Il était la condition de la survie, et l’effort demandé à sa réalisation passait en second plan. La qualité du résultat suffisait à satisfaire celui qui en était l’auteur.
De nos jours, l’effort obligatoire ou nécessaire déclenche une réaction inattendue ; à savoir : « Pourquoi tu te fais suer  comme ça ? ». Tout se passe comme si l’effort nécessaire à la réalisation d’une tâche, relevait d’une souffrance inacceptable, d’un viol, inutile et opposable par ailleurs à « l’ impression de bien être ».
Les choses se séparent : en « simples, agréables et rentables », et d’autre part, en, « compliquées, désagréables et insuffisamment rentables ».
Le résultat du travail, à savoir : la tâche bien faite, la belle ouvrage, apparaît comme un plaisir lointain, moyennant l’amputation d’un bras.
Le travail s’oppose aussi au plaisir immédiat facile d’accès. Pourtant la planète n’a pas été conçue pour  satisfaire sur un plateau tous les besoins du monde vivant. La nature se contrefiche de nos petites envies, et La Fontaine n’est pas loin avec sur la fable de « La cigale et la fourmi ». Par ailleurs, le matraquage «  mediatico-idéologique »  de la société de consommation venue des USA, la soi-disante facilité informatique, forgent de nouveaux ressorts sociaux, et un nouveau rapport au travail : « Lâchez-vous ! » « Faites-vous plaisir ! ».  Profitez, car « vous le valez bien », ce qui participe d’une offensive psycho-politique diabolique.
Et si n’obéis pas, tu perds ton emploi, et tu n’achèteras point. Pour le coup tu ne seras pas quelqu’un de bien. En clair, « ferme-là » si tu veux être dans la caprice « à volonté », sept jours sur sept.
En conséquence la souffrance réelle au travail, imposée par le management américano-japonais, et Sud Coréen, et le chantage à la consommation, rend au mot « travail » son sens ancien. Lequel au Moyen-Âge, désignait un instrument de torture, et le travail lui-même s’appelait « labeur ».
La course au plaisir, soutenue par des approches discutables de la psychanalyse, la fuite du travail bien, fait, donc de l’effort, qui au passage casse le rapport au travail, renvoie à la philosophie du profit facile, maximum, et immédiat.
La société des hommes se voit renvoyée aux premiers âges, époque où, « la dictature du principe de plaisir » opposables aux contraintes du réel, c’est à dire de l’autre, et le respect affairant. L’adulte est renvoyé au bébé qui pleure au moindre désagrément.
La « nature » aujourd’hui est immature, il refuse de ne plus être nourri, logé, blanchi gratis sous le ventre de maman. La propagande autour de la cuisine de la mal bouffe participe de l’offensive. Le plaisir premier, buccal et archaïque devient le plaisir archétype du bien. Je veux mon smartphone dès 10 ans, sinon je tape du pied : -Non mon garçon, j’ai pas d’argent pour ton smartphone ; tu travailleras en souffrance
– C’est pas juste !
– Eh bien oui !
Voilà le produit moderne du système capitaliste, à savoir : un foule de voraces, manipulée par une poignée de prédateurs.
Alors quoi du plaisir, à l’effort ?
Doit-on laisser agir le manipulateur de nous-mêmes, que nous sommes?
Doit-on laisser faire : l’instinct, le compulsif, le puéril, l’animal ?
Doit-on intégrer l’agent réalité, ô combien frustrant ?
Doit-on, nous laisser infantiliser ?
A vous de le dire…..

Débat

 

 Débat :  ⇒  Nous sommes de êtres de désirs avant d’être des êtres de liberté. Notre société est à bien des sens du terme, une société d’offre, plus qu’une société de la demande. Nos désirs sont l’objet d’études. En transformant des produits, objets en désir, on en fait des raisons du désir. Nos désirs sont des paramètres économiques, facteur du taux de consommation, facteur de croissance. C’est parce qu’on nous révèle ce que nous ne savions pas avoir besoin, en avoir le désir, que nous sommes ces utiles consommateurs « panurgés », qui vont dépenser, voire s’endetter, jusqu’à être surendetté, et parfois au-delà de seules besoins nécessaires.
Nous naissons dans une société qui s’est structurée économiquement et socialement au cours des siècles. Nous sommes éduqués suivant ces critères. Arrivés à l’âge adulte, nous sommes face aux choix, mais avons-nous réellement le choix. Il nous faut rentrer dans le moule, ou alors être exclu du monde; pas facile, pas évident, ou alors c’est  la marginalisation, nos volontés sont sur des rails.
Tout l’aspect tient dans cette idée induite, que réaliser ses désirs, c’est se réaliser, d’où il s’en suit, une valorisation de soi, « parce que je vaut bien », c’est la colonisation marchande des esprits, je consomme, donc je suis.
Que deviendrait notre société occidentale, si tout à coup, nous nous mettions à avoir des désirs se limitant aux seuls besoins naturels ?
Je crois que nous avons hérité, ce jouir sans entrave, qu’évoque l’introduction, de certains errements de Mai 1968, cet orgasme social, où il était tout à coup, « interdit d’interdire », slogan que certains n’ont jamais compris au deuxième degré.
C’est aussi dans le même ordre d’idée, l’héritage Dolto ; à partir de là, je n’ai rien à m’interdire ; tout m’est du, ou alors la société est responsable de mon insatisfaction, responsable de ma privation, de la frustration de mes désirs, car mon désir devient mon droit. En fait, nous sommes parfois en face de pulsions, nous pouvons imaginer que céder à nos désirs est un acte de liberté, alors que nous ne sommes plus libres.
Céder ou ne pas céder à ses désirs, nous ramène à la philosophie épicurienne qui nous rappelle que l’accès au bonheur dépend de notre capacité à choisir entre les désirs naturels, objectifs, et les désirs vains, subjectifs
Les religions nous ont souvent dit que c’était le diable qui se cachait derrière les tentations parfois relevant de l’inaccessible, voire d’interdits ; « « Mes désirs » dit Sartre dans Huis clos «  m’infectent l’âme, ils sont un obstacle au bonheur ; comment choisir entre le diable et le bon dieu ».
La tempérance, la sobriété seront reprises par des religions, et plus particulièrement par ceux qu’on appellera les réformistes, dont les protestants.
Cela va, pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre, jusqu’à refuser systématiquement tout ce qui découle du désir. Je pense aux personnages protestants intégristes du film « le festin de Babette », où les personnages s’interdisent de parler des plats succulents qu’ils mangent ; c’est une autre forme de tyrannie qu’on s’impose à soi-même, et à ses proches. Et d’autres religions ont aussi inversé cette notion de tyrannie quant aux désirs.
Entre la rigueur sous la forme de l’intégrisme et la satisfaction sans freins de tous nos désirs, la voie raisonnable est à notre portée.
Et je conclus ce propos : si le tyran pour nos désirs, comme cela a été dit, c’est souvent nous-même, et en tant qu’épicurien, (au sens philosophique du terme,) savoir modérer mes désirs, m’aide à une vie heureuse.

⇒  Il y a un paradoxe dans cette expression car mes désirs sont les miens, ceux dont je suis le maître, qui donc ne me tyrannisent pas. Cette question implique de chercher d’une part s’il y a plusieurs sortes de désirs, d’autre part quelle est la relation que le Moi,  entretient avec ses désirs. Je m’appuierai sur deux analyses: celle d’Epicure, celle de Freud
1° Avec Epicure, l’individu peut connaître le bonheur (l’ataraxie ; l’absence de trouble) s’il sait distinguer ses désirs les uns des autres et ne satisfaire que les uns et refuser les autres. Il y a les désirs naturels et nécessaires (manger, boire, dormir et réfléchir –philosopher). Ils doivent être satisfaits (par tous les êtres humains) pour vivre. Il y a les désirs naturels et non nécessaires (gourmandise, désir sexuel). Ils doivent être satisfaits modérément. Il y a les désirs artificiels (de pouvoir, de luxe). Ils ne doivent pas être poursuivis car ils n’entraînent qu’insatisfaction, qu’inquiétude : ils sont infinis, jamais finis, recherche de toujours plus et donc source sde stress. Epicure nous invite donc à analyser nos désirs, à comprendre lesquels sont artificiels (induits par le milieu dans lequel nous vivons ? par le type de société qui nous contraint à désirer toujours plus d’avoir ou/ de reconnaissance).
Réflexions proches des recherches actuelles sur l’idéal de la décroissance.
2° avec Freud : toute société, quelle qu’elle soit, inculque à l’individu de refouler ses désirs. «  Le moi n’est pas maître dans sa maison » ; le moi est fonction du ça, et du surmoi. Ainsi, le bonheur n’est pas au programme de la civilisation, car pour vivre en société l’individu apprend à sublimer l’Eros et à refouler le Thanatos
Les humains sont tous déterminés par des désirs, mais être déterminé, n’est pas être esclave, et la réflexion permet à chacun que ces derniers ne le tyrannisent pas. N’est ce pas ce que les juges disent aux avocats qui plaident « les circonstances atténuantes » ? Tout être humain est doté de capacité à réfléchir
«  L’intelligence est la chose du monde la mieux partagée »  écrivait Descartes, « mais il faut savoir en faire l’usage » : aux éducateurs d’enseigner à réfléchir. Mais comment légiférer sur les désirs ? Peut-on distinguer ceux qui peuvent être autorisés et ceux qui ne le peuvent pas ? C’est encore JJ Rousseau qui m’a fait comprendre que les désirs ne sont pas des droits. Pour qu’une société vive en paix, pour qu’il n’y ait pas la guerre de chacun contre chacun, il faut qu’il y ait un contrat social «  où chacun aliène tous ses droits à la communauté ». C’est la condition pour que chacun soit libre et que tous soient égaux.
Prenons deux exemples d’aujourd’hui  en France :
1° Le débat au Comité Consultatif National d’Éthique sur la PMA, et le débat parlementaire sur la loi contre le harcèlement sexuel.
Fin juin 2017 le CCNE s’était prononcé pour l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, et aux femmes seules, et pas seulement aux femmes infertiles de couples hétérosexuels. Le débat avait divisé les médecins, les représentants des Églises, les chercheurs spécialistes en gynécologie et en procréation artificielle. Alors s’est écrié «  le désir d’enfant n’est pas un droit » ! Et en effet le désir d’enfant n’est pas un intérêt  commun, c’est un intérêt (un désir) particulier à certaines femmes; et il est contradictoire de vouloir autoriser la PMA à toutes les femmes et de dire en même temps que la GPA  est interdite. Car il y a égalité de droits des femmes et des hommes. Et pourquoi les hommes n’auraient ils pas le désir d’enfant ? Aujourd’hui, la révision de la loi de bioéthique est prévue au premier semestre 2019. Et des associations féministes et LGBT estiment qu’il s’agit d’une question de discrimination et non de bioéthique. Elles discutent en termes de désir  particulier et non en termes de droit valable pour tous. Quand Simone Veil a légiféré sur le droit à l’avortement c’était en raison de l’intérêt général: la liberté pour les femmes comme pour les hommes de « disposer de leur corps ».
2° Le débat parlementaire sur le harcèlement sexuel des hommes à l’encontre des femmes, prend en considération les revendications  liées au mouvement féministe, et cela relève d’une volonté démocratique de garantir l’intérêt commun, la res publica (la chose commune), ici l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Il y a, en effet non seulement l’égalité des droits au travail, l’égalité des salaires : le « à travail égal, salaire égal », l’égalité du droit de vote, mais aussi l’éga-liberté (Régis Debray) de  satisfaire ses désirs.
Mais le débat dans les média, sur les réseaux sociaux, est un débat qui oppose des désirs individuels («  ma liberté d’être importunée » face à « ta liberté de dénoncer », de « balancer ton porc »). Comment le législateur garantira-t-il le droit commun à l’égale liberté des hommes et des femmes ?
Rousseau écrivait que le peuple doit être éduqué pour qu’existe une démocratie républicaine ! Qui peut l’éduquer à refuser la tyrannie des désirs particuliers ?

⇒  Je ne pense pas, comme il a été dit, qu’on puisse avoir du bonheur en refusant de céder à ses désirs. Et l’acte de limiter ses désirs fait qu’on n’est pas totalement heureux.
Ensuite, je fais la distinction entre droit naturel et désir. Je pense que boire, manger, soient des désirs, c’est des droits naturels que découlent les désirs.
On est partis de l’état de nature avec des droits naturels : propriété, liberté, égalité, ce qui nous a donné comme le dit Rousseau, la possibilité de former société…et des droits naturels puis aux désirs, la société a évolué, avec les lois qui ont pu limiter les désirs. Je pense que le texte le plus symbolique sur la limitation des désirs, c’est la Constitution.
Quant à L’IVG, si cet acte est défini comme droit à ne pas avoir d’enfant en recourant à la médecine,  je pense que la logique est aussi : un droit à avoir un enfant, mais pourquoi alors parler d’un désir.
Quand on parle de ne pas vouloir un enfant c’est un droit. Et quand on parle de vouloir un enfant c’est un désir. Et revenant sur Rousseau, lorsqu’ils nous dit que la loi doit être au-dessus des désirs, la méthode n’a pas fonctionné, on en a eu un exemple avec Robespierre, ça n’a pas vraiment marché.

 ⇒ On parle de désirs, de droits, et de lois. C’est la loi qui fait le droit. Chaque fois qu’on fait le droit, il s’oppose toujours à l’intérêt de chacun. Et c’est encore plus difficile à traiter de cela quand il s’agit de désirs individuels. Dans ces débats d’éthique actuels, il ne faut pas que le désir d’une petite minorité, loi dictée par quelques uns sur les réseaux, matraquée,  devienne la loi réelle.
Il suffit  d’idées lancées sur Internet pour que tout le monde aille dans ce sens, et la volonté de quelques uns deviendrait le désir de tous. C’est devenu, aujourd’hui, comme avec « le harcèlement » insupportable !
Il y a aussi des désirs personnels sur un plan tout à fait ordinaire, sans retentissement sociétal, et qui sont tout de même tyranniques. Je pense, par exemple,  aux personnes accrocs aux sites de sexe sur Internet. C’est une addiction. Mais il y aussi des addictions au chocolat, à la nourriture, et des obsessions qui peuvent  rendre des personnes associables.
Et il y a la tyrannie des désirs crées, éveillés par la publicité. Il y en a un certain nombre qui sont comme du harcèlement mental ; on multiplie nos désirs, « en veux-tu, en voilà », on vous fais la publicité d’une voiture avec une belle fille déshabillée à côté. On utilise plus le désir que des arguments technique, c’est du viol psychologique.

⇒  Dans l’annonce sur ce débat, sur le journal en ligne « 94 citoyens » il est écrit ce texte : «  Tout vouloir précède d’un besoin, c’est-à-dire une souffrance », et je me suis dit : Ah, oui !  quand on parle des addictions on n’est plus sur la seule question du désir, car on est face de quelque chose impossible à contrôler, donc le besoin qui lui, s’impose, et qui peut être lié à une souffrance, un manque.
Le suite de ce texte (de Schopenhauer) dit : « La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini, la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain.  Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos » (Le monde comme volonté et comme représentation. Schopenhauer)
Effectivement, pour moi, le besoin est différent du désir, et je retiens l’expression : « Nous sommes des êtres de désir, avant d’être, des êtres de liberté ». Nous sommes tous ces êtres de désir, nous avons toute la vie pour atteindre un état de grandeur. Et quand on parle de désirs, tout n’est pas que désirs avec un grand D. Il faut distinguer les désirs, des petits désirs aux addictions qui sont des désirs insatisfiables, un manque qui s’entretien tout le temps. Et d’où cela vient-il, est-ce que cela vient de la société ? Et, est-ce que l’addiction au pouvoir, c’est plus masculin que féminin. Ça ne me semble pas venir du sexe (du genre), nombre d’addictions sont dues à une société dominée par « le dieu argent ». Ces désirs addictifs, artificiels, non nécessaires ne sont pas de l’ordre des besoins, ou, nous ne sommes plus « des être de liberté ».

⇒  Lorsque le désir se fait addiction, qu’il devient tyrannie, il y a là, oui, des désirs profonds insatisfaits. Il y a là, un moyen de vouloir combler  un manque, lequel n’arrive pas à être combler malgré tous les plaisirs qu’on s’offrira, les plaisirs auxquels on cédera pour se faire du bien. Et c’est bien le sens des achats compulsifs qui mènent au surendettement.
Et si, parmi nous, s’exprime l’idée, que l’insatisfaction des désirs empêche d’accéder au bonheur, je ne pense pas de même. Peut-être, est-ce question de tempérament, mais je continue à penser qu’on peut très limiter, contrôler ses désirs, et que c’est justement cette capacité de maîtrise de ses désirs qui me rend heureux en écartant des envies suggérées ; « le moi » reste  « maître dans la maison ». Par exemple, je ne désire pas avoir une Rolex à 28000 €, ça ne prive pas, qu’est-ce que j’en ferai ?
Et, pour réhabiliter le désir, il n’est pas qu’insatisfaction, il est avant tout moteur d’action, fondamental. Certains de nos désirs peuvent nous amener à nous surpasser, à faire des choses extraordinaires, de belles réalisations, et contrairement à ce que nous dit Schopenhauer, un désir satisfait n’est pas une « illusion disparue », il n’en crée pas, ipso facto, dix autres.
Ce qui tuerait mes désirs, serait que je puisse accéder au moindre désir exprimé ; les désirs trop peu désirés font les gens blasés. Mes désirs me font aller de l’avant, et le jour où je n’aurai plus de désir, je  ne serai pas loin d’être mort.

⇒  Le mot limiter (ses désirs) ne paraît pas satisfaisant, je verrais mieux l’expression : « contrôler ses désirs ». Tous les désirs doivent être bien nommés. Le désir d’une barre de chocolat ne peut être associé au désir d’être aimé.

⇒   « Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves » nous dit Shakespeare, et nos rêves parfois se transforment en désirs, (pour le meilleur ou pour le pire). Si je rêve d’une certaine forme de société, je vais tout faire pour que cette société arrive, (de la meilleure ou de la pire des façons). Le désir n’est pas absolument l’attrait de choses matérielles, il y a des désirs conceptuels, et les rêves en font partie. Ces rêves qui se transforment parfois en concepts si permanents, qu’ils en deviennent un objet auquel on finit par croire.

⇒  On a beaucoup parlé des désirs, mais pas de la définition du mot, on a utilisé des synonymes. Est-ce que le désir, c’est l’aspiration à, un vœux, un élan, un étincelle qui vous pousse vers quelque chose ? Est-ce que c’est juste un point départ, un projet tant qu’il n’est pas abouti ? Si quelqu’un désire devenir musicien, si il y arrive, il n’aura plus ce désir, il lui restera le plaisir sans le désir.

 ⇒  Le désir est un manque à combler ; c’est notre alchimie qui nous façonne nos désirs.

⇒  L’étymologie du mot désir, n’est pas sans avoir un lien avec l’expression : «  demander la lune ». Le mot découle du latin « desiderare » fondé à partir de « Sidus – Sideris » l’astre ou la planète, ou, « la nostalgie de l’astre », « le désir de l’étoile… » (Le Grand Robert de la langue française)
Et, nous n’échapperons pas au désir physique, qu’on le nomme désir amoureux, désir sexuel. C’est la source de l’humanité, même si le triste Schopenhauer, (encore lui) nous dit que  l’amour est : « comme une ruse de la nature destinée à nous inciter à nous reproduire ». Le désir d’amour, c’est aussi le désir et le besoin de tout partager avec l’autre, de vivre avec l’autre, il est désir et attirance réciproque (du moins il faut l’espérer).
Dans ce type de désir,  nos philosophes ne furent apparemment pas de grands amoureux ; des tristes stoïciens pour qui la relation sexuelle n’est (je cite) que « le frottement de deux boyaux » (Sénèque) à Kant, pour qui (je cite) « lorsque la femme fait d’elle-même un objet de désir, elle dispose d’elle-même comme une chose dont on peut se servir pour combler son appétit, un peu comme un rôti de porc qu’on mange pour apaiser sa faim ».
L’amour est un désir infini, le désir en amour est plus qu’un désir physique, quand on est amoureux, amoureuse, le monde n’a plus de limite. J’ai retenu cette belle définition : « Le désir c’est ce qui fait que toute la superficie de la peau, désire toute la superficie d’une autre peau…. On est intimes avant même de se connaître, on ne peut pas se passer du désir de l’autre, et de son sourire, et de sa main, de ses lèvres. On le suivrait jusqu’au bout du monde; et la raison dit : « Mais que sais-tu de lui ? » Rien, rien, hier encore c’était un inconnu. Quelle belle ruse inventée par la biologie pour l’homme qui se croit si fort ! Quel pied de nez au cerveau. Le désir s’infiltre dans les neurones et les embrouilles. On est enchaîné, privé de liberté »   (Les yeux jaunes des crocodiles. Katherine Pancol)
Et si ce désir est tyrannie, moi, j’accepte cette tyrannie.

⇒  Pour définir le désir, il y a au moins deux philosophes qui s’expriment mieux que ces derniers cités. Spinoza dit, que, « le désir est l’effort pour persévérer dans son être »,  c’est comme le moteur de la vie.
Et puis, un autre philosophe, Hegel, disait que le moteur de la vie humaine, c’est « le désir de reconnaissance », ce qui rejoint aussi, le désir d’être aimé, ce moteur de l’histoire de l’homme, tant individuel que collectif.

 ⇒  La réalisation des désirs, ne tue pas le désir. Il y a des désirs qui ne s’éteignent pas.

⇒  Est-ce qu’on est d’accord sur le fait que maîtriser ses désirs permet d’être plus heureux ?

⇔  Réguler ses désirs n’est pas limiter, n’est pas les brider. Il faut savoir, et choisir ce qui est bon ou pas de réaliser, sans mettre une barrière infranchissable.

⇒  Freud imaginait les pulsions, les désirs trop forts, comme l’eau retenue par un barrage, plus ils sont retenus plus le niveau monte, ils s’infiltrent, débordent. En fait, le désir bridé totalement fait des petits « monstrueux ».

 ⇒ Heureusement qu’il y a des freins sociétaux, des freins qu’on s’impose, sinon ça s’arrête où la satisfaction des désirs.

⇒  Nous vivons sous le regard de la société ; Dans la mythologie grecque le personnage de Gygès possédait une bague, qui, lorsqu’il la tournait, le rendait invisible, et alors il pouvait satisfaire tous ses désirs sans être vu.
Maintenant il y a des sociétés plus ou moins permissives, certaines ou la tyrannie, est l’opposition à des désirs tout simples.

 ⇒  Dans nos sociétés occidentales nos désirs d’avoir, de consommer, sont incompatibles avec le désir de régler le problème climatique. Il va falloir faire l’impasse sur nombre de désirs, choisir, se faire violence.

⇒  La philosophie bouddhiste est plus à même de répondre à cette modérations des désirs.

 ⇒  La philosophie bouddhiste a une conception totalement contraire à celle de nos sociétés occidentales. Le bouddhisme ne dit pas – A bas les désirs ! éliminons les désirs ! mais écartons les désirs qui mènent à la souffrance, car c’est la souffrance qui empêche d’être heureux. On ne garde que les plaisirs nécessaires, comme chez Épicure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les formes du dialogue

August Make. Détail de la promenade. 1813.

August Make. Détail de la promenade. 1813.

Restitution du débat du  22 novembre 2017 à Chevilly-Larue

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.

Introduction : Danielle Pommier Vautrin

Introduction :  Le dialogue, du grec « dia » entre, et « logos », parole. Un dialogue permet la communication par l’échange de paroles entre deux personnes ou deux parties. Il demande d’écouter l’autre, et de préciser son argumentation. Il permet le surenchérissement de l’un sur l’autre pour élaborer une théorie ou avancer dans une réflexion ou un débat commun.
Le dialogue est différent de deux monologues de sourds où chacun campe sur sa position et où on ne parle que pour soi, pour s’écouter parler, mais pas pour entendre quelque chose de l’autre ou le comprendre.
Le dialogue permet d’éviter des polémiques stériles et des conflits à cause de préjugés. Dans un dialogue il y a échange et élaboration des positions contrairement à deux monologues où chacun s’en tient à son opinion (cas de la justice, la politique etc.)
Que suppose le dialogue ? Une bonne qualité d’écoute et de bienveillance pour ce qu’exprime l’autre que l’on soit d’accord ou pas.
Une confiance dans l’honnêteté intellectuelle de son interlocuteur.
Une langue commune que ce soit une langue nationale ou ethnique ou un jargon, ou une langue symbolique, dans une discipline (scientifique, économique, littéraire, médicale, religieux, maçonnique, politique, etc.)
Quelles formes le dialogue peut-il prendre ? Le dialogue peut prendre différentes formes qui peuvent aboutir à la compréhension par l’autre :
– La douceur, la tendresse,
– Le respect de l’autre
– le souci des relations sociales
– les arts : musique, peinture, objets, sculptures, le théâtre, et tout ce qui sert à dire quelque chose à l’autre (son public). Ne parle-t-on pas aussi de dialogues dans les pièces de théâtre, les films etc. ?
– Dans la littérature où l’on peut se trouver en communion avec le livre que l’on lit et dans un dialogue intérieur en confrontant ses positions à celles de l’auteur.
– Dans la méditation où certains ont rencontré  et parlé avec leur maître intérieur.
– Avec les enfants en essayant de leur donner une éducation solide et une confiance en eux sans les contraindre. En évitant le rapport de forces et en privilégiant la communication et le respect de l’autre par chacun.
– Le dialogue vu par le Président Macron qui dit privilégier à sa manière le dialogue au rapport de forces : « j’aime beaucoup aller au contact des gens pour parler avec eux… et essayer de les convaincre ! » (sic)
– Dans certains handicaps le dialogue peut avoir lieu dans une langue spéciale : langue des signes des malentendants ou braille des malvoyants.
– Dialogue particulier avec la presse et les médias qui nous font réagir face à leurs assertions.
– Cas des dialogues par la violence où la puissance de conviction peut se faire par des coups – mais heureusement cela ne marche pas souvent. Mais je connais un cas d’enfant battu qui est un homme formidable grâce à son amour pour les siens et les autres. Identification inverse.
– Le dialogue est à l’œuvre dans la démonstration dialectique où l’on donne à l’autre une argumentation en échange de la sienne.
– Le E-dialogue permet également de communiquer par tous les moyens informatiques : mails, SMS etc. avec peut-être ses limites.
– Dans le dialogue on a un antidote à l’autorité arbitraire : dans le couple, dans les familles,
avec les amis, dans les associations, dans la société en général…
– Le dialogue est aussi un obstacle à la manipulation séductrice mais perverse, ou quand « l’autre » utilise vos arguments pour les travestir. Il permet de demander des explications rationnelles, si possible.Les périodes de l’histoire et le dialogue

                Causes négatives     et      Effets positifs
Négatif: Dictatures dans tous les pays d’Europe
Positif: Les droits de l’homme et la DUDH
lors de la seconde guerre mondiale
Négatif: Inquisition
Positif: Mai 68 et tous les échanges facilités
Négatif: Les fanatismes religieux de toutes les époques
Positif: Les églises  qui réfléchissent (Vatican II)
Négatif: Les totalitarismes
Positif: Les lois humanistes
Négatif: Les égoïsmes
Positif: L’altruisme
Négatif: L’ignorance
Positif: La culture et/ou la vie intellectuelle
Négatif: L’exclusion, le racisme, la haine
Positif: Les associations de défense de causes humanitaires
Négatif: Le repli identitaire
Positif: L’ouverture et la tolérance
Négatif: Les intérêts individuels
Positif: Les engagements collectifs
Négatif: Les guerres
Positif:  Les mouvements pacifistes
Voici quelques pistes qui peuvent nous permettre d’avancer sur la voie du dialogue…

 

Débat

 

 Débat :  ⇒  Il a été cité, mai 68 grand moment de dialogue citoyen, et plus près de nous nous avons eu « Nuit debout », avec ces grandes messes de l’expression. Cependant parfois, le dialogue n’a pas toujours été très ouvert ; des hommes politiques se sont fait « jetés », des intellectuels qui n’auraient pas eu « la bonne couleur » chassés, ostracisés, comme la philosophe Alain Finkielkraut. Un homme que je connais s’est vu refusé la parole dans un débat sur le féminisme au seul motif qu’il était un homme, et qu’il n’était pas concerné. En dehors des ces quelques dérapages, c’était sympa de voir toute cette jeunesse assemblée, dialoguant. En revanche difficile de dire précisément sur quoi cela a débouché.

⇒  Ce genre de dialogue ne peut pas déboucher sur rien. Pour plein de nombreux jeunes c’était « se dépuceler l’esprit ». Mais dès qu’au cours du dialogue on abordait des projets de construction, cela bloquait. C’était un dialogue qui n’allait pas jusqu’au bout.

⇒  Le dialogue, l’échange, n’oblige pas à ce qu’on arrive sur un accord. Le dialogue permet de développer des idées, voire faire avancer un débat, faire réfléchir.

⇒ Oui, le dialogue n’exige pas au final d’obtenir le consensus, on ne repart pas « la main dans la main », mais les idées échangées peuvent faire bouger, ne serait-ce qu’un peu nos certitudes, bousculer des a priori. C’est un peu ce que l’on fait au café-philo.
Si l’on part de l’étymologie du mot « dialogue » « DIA » entre, et, « logos » parole ; on voit un principe, celui de transmettre une idée par la parole, un échange entre une ou plusieurs personnes ; un émetteur, un ou plusieurs récepteurs, auditeurs, sauf à parler tout seul.
Même si je préfère chercher des sources autres que Wikipédia, j’ai voulu voir leur définition du mot dialogue, et là je suis surpris et même en désaccord, car pour eux (je cite) : «  Le dialogue se distingue de la discussion et du débat. Il se réfère à un mode de conversation qui concerne nécessairement, raison, discernement, exactitude, et sagesse ».  Donc, ce soir, nous ne faisons que débattre, et nous n’avons « ni la raison, ni le discernement, ni la sagesse…», et nous ne dialoguons pas. Je ne suis pas d’accord avec cette restriction.

⇒  Dans son dictionnaire philosophique, André Comte-Sponville, donne cette définition du dialogue : « C’est le fait de parler à deux ou à plusieurs pour chercher une vérité, c’est un genre de conversation tendu vers l’universel plutôt que vers le singulier ; comme dans une conférence, tout comme vers les particuliers dans la discussion. On y voit ordinairement plus ou moins depuis Socrate une des origines de la philosophie ; tout dialogue tend vers l’universel, c’est-à-dire l’esprit et notre capacité à s’y installer. De là, l’échange des arguments, et parfois la tentation du silence ».
Cette définition nous éclaire bien pour notre débat.

⇒  En philo le dialogue a sa référence dans les œuvres de Platon, comme dans le « Théétète » des discussions organisées, des échanges entre ses divers personnages, ils argumentent, ils confrontent des idées pour faire émerger « les idées de Platon ». Ce dernier se fait même ventriloque pour faire parler Socrate qui n’a laissé aucun écrit.
Dans la littérature, il me semble que le dialogue commence véritablement avec Cervantès, avec le dialogue entre Don Quichotte et Sancho, puis on retrouve des œuvres dialoguées au 18ème siècle, comme chez Voltaire, avec « Candide », ou chez Rousseau avec « La nouvelle Héloïse ».
Je raffole des dialogues des fables de La Fontaines, où il fait parler les animaux à la place des humains, pour parler de nous.

⇒  Dans la philosophie grecque on a fait parler de la philosophie par le dialogue, ce qui va disparaître au moyen–Âge avec les grands récits, les grands écrits théoriques.

⇒  Au Moyen-Âge, il y a un théâtre populaire, il y a du dialogue.
Au Moyen-Âge on jouait « Les mystères »  sur les parvis des églises. C’était des thèmes religieux avec des personnages, des démons, avec « la mère Carême »  et son poisson.., des dialogues très drôles. C’était des spectacles impies joués lors du Mardi-Gras.

⇒  Lorsqu’on assiste à une discussion, en dehors des mots, les gestes, les expressions du visage participent au dialogue. Le visage dit j’approuve, je désapprouve, et le geste accompagne le propos…

⇒  Les Italiens connaissaient déjà cela avec des dialogues en pantomime.

⇒  Pour que le dialogue fonctionne, il faut un langage et des codes communs. Mais accompagner son propos de gestes sera reçu différemment, si par exemple vous vous adressez à un japonais, il y a risque d’équivoque.

⇒  Il y a un dialogue qui n’est plus, c’est le dialogue épistolaire. On a évoqué notre époque Internet, de la communication plus que du dialogue. On a, pour certains, connu une génération où le dialogue avait plus de profondeur ; par exemple quand on écrivait une lettre (ce que l’on ne fait plus), on réfléchissait un moment avant d’écrire une phrase, le stylo restait un instant en l’air; on essayait d’imaginer comment le correspondant allait interpréter la phrase, car les écrits restent (les mots s’envolent). Aujourd’hui les pouces vont trop vite, la réflexion ne précède plus toujours, l’expression. On est plus vite dans la réaction, mais peut-être, que le fait de plus de spontanéité rend le propos plus naturel ???

⇒  C’est le dialogue « Petite Poucette », de Michel Serres

⇒  Si le naturel c’est, exprimer des pulsions sans filtre, je ne suis pas d’accord. Etre impulsif, n’est pas être naturel.

⇒  Le dialogue est d’autant plus simplifié qu’intervient parfois le correcteur dans Internet qui choisit ses mots à votre place, ceci à partir de son « langage intuitif »

⇒  Le dialogue épistolaire a déclenché une forme de littérature au 18ème siècle. Il y en a eu tout plein, dont l’ouvrage « La nouvelle Héloïse » déjà cité. Cela venait du fait que depuis x temps, les hommes de lettres, les scientifiques, les chercheurs avaient établi de véritables dialogues épistolaires ; « je t’envoie une lettre – tu me réponds.. » Ils communiquaient à travers le monde sur leurs domaines de connaissances.

⇒ Pascal, le janséniste, fera de même, des dialogues par publications de réfutations, avec les Jésuites, et cela s’appellera « Les Pensées ».

⇒ Lorsqu’on est devant sa feuille de papier, que l’on écrit à quelqu’un, alors on est deux. On pense à l’autre ; comment va-t-il recevoir mon propos ? C’est un dialogue distancié. C’est parfois l’occasion de dire des choses qu’on n’aurait pas dites autrement. Kafka n’aurait pas écrit « La lettre au père » par SMS.

⇒  Est-ce que les SMS, les Tweet, nous laisseront des éléments d’archives, de dialogue de notre époque.

⇒ Nous avons récemment beaucoup entendu parler de ce dialogue épistolaire que constituaient les lettres à leur famille des soldats de 14/18. C’était une première fois dans ce domaine, et cela était dû particulièrement au fait que ces jeunes soldats était la première génération de l’école publique, de l’époque Jules Ferry qui avait appris à écrire.

⇒  Le dialogue est-il utilisé uniquement dans le but de convaincre ?

⇒  Si on ne dialogue pas, on ne s’expliquera jamais, le dialogue est justement l’antidote du conflit, des préjugés, des rancunes…

⇒  Est-ce que la prière est un dialogue ?

⇒  Si on arrive à parler à Dieu, oui !

⇒ Et s’il ne répond pas ?

⇒ Pour de nombreuses personnes, c’est un dialogue.

⇒  La prière est un dialogue intérieur ; il échappe à la définition rigoureuse du dialogue. La dialogue intérieur c’est aussi un dialogue avec soi-même, en se donnant parfois les arguments pour, et les arguments contre.

⇒  Le journal intime est-ce une forme de dialogue ?

⇒  Le journal peut difficilement être considéré comme dialogue dans la mesure où la partie « logos » (la parole exprimée) n’y existe pas; il faut, pour pouvoir parler de dialogue, l’expression orale, l’adresse à l’autre, et que celui-ci soit un véritable interlocuteur.

⇒  Dans les différentes formes de dialogue, on trouve le dialogue polémique, dialogue ou débat contradictoire, où il faut convaincre, avec parfois la dialectique de la mauvaise foi, ne pas trop s’attacher à la vérité, où les arguments les plus spécieux sont utilisés ; argumenter, réfuter, comme le préconise Schopenhauer dans « L’art d’avoir toujours raison ». Il y a un film actuellement sur les écrans où un prof d’université forme une jeune étudiante à la rhétorique pour participer au concours annuel d’éloquence de la magistrature (Le brio d’Yvan Attal).
Un autre film évoque à merveille ce sujet, c’est «  A voix haute ; la force de la parole »

⇒ La symétrie me parait importante dans le dialogue. Il faut que les interlocuteurs soient à équivalence  de connaissance.

⇒  Dans le film le Brio, j’ai retenu cette belle réplique du dialogue. Un personnage dit : « Il sait si bien parler qu’il ne sait pas dire les mots simples ».

⇒  A partir du moment où on est dans l’éloquence, dans la rhétorique, c’est pour séduire, ce n’est pas pour être à forces égales. Dès qu’on met l’éloquence dans le dialogue, la parole est fausse, c’est la forme qui l’emporte sur le fond. Si Danton polémique avec Robespierre, ils sont à armes égales, même si contre n’importe lequel d’entre-nous, il nous réduit à néant.

⇒  Une phrase de Prévert dans « Spectacle » illustre parfaitement la perversité d’un certain  dialogue polémique : « Qu’est-ce que cela peut faire que je lutte pour la mauvaise cause, si je suis de bonne foi. Et, qu’est-ce que ça peut faire que je sois de mauvaise foi, si je lutte pour la bonne cause ».

⇒  Dans les villages africains, les hommes se réunissent sous l’arbre à palabres, des réunions où l’on débat.

⇒  C’est nous, les Occidentaux qui avons idéalisé ces palabres qui sont de fait un lieu où l’on expose des problèmes, des dissensions, qui seront jugées par les anciens, ou par le chef du village.

⇒  C’est un peu « le dialogue social »  (à la mode aujourd’hui) : on convoque, on vous écoute, et le « chef de village » décide.

⇒  Cela n’arrive pas tous les jours des bons dialogues, d’être en face d’un interlocuteur avec qui l’on peut parler, exprimer ses idées, apporter ses réflexions  sans se sentir jugé, sans être systématiquement contredit…

⇒  Il y a une forme de dialogue de groupe qui a totalement disparu depuis plus d’un demi- siècle avec l’arrivée de la télévision : ce sont les veillées. Les gens se réunissaient, discutaient longuement, échangeaient, ils n’étaient pas pris par le temps. Etant enfant j’ai assisté, et participé à de nombreuses veillées aux noix. On y racontait des histoires, les plus jeunes chantaient avec leurs petites partitions ,couleur sépia , achetées sur des marchés.

 ⇒ On a de moins en moins de dialogue « en face », avec l’adresse à l’autre. On communique plus et on se parle moins, on va vers une nouvelle forme de dialogue, qui s’ajoute.

⇒  Je préfère entendre mes enfants au téléphone, que d’avoir un SMS.

⇒  Dans l’esprit des fêtes qui approche et le bonheur de la verve de Voltaire, j’ai relevé son fameux « dialogue de la poularde et du chapon » :
– La poularde : Une maudite servante m’a prise sur ses genoux, m’a plongé une longue aiguille dans le cul, a saisi ma matrice.., l’a arrachée et l’a donnée à manger au chat. Me voilà incapable de recevoir les faveurs du chantre du jour, et de pondre.
– Le chapon ; Hélas ! Ma bonne, j’ai perdu plus que vous ; ils vous on fait poularde et  moi chapon.
La seule idée qui adoucit mon état déplorable, c’est que j’entendis ces jours-ci  près de mon poulailler, raisonner deux abbés italiens à qui on avait fait le même outrage afin qu’ils puissent chanter devant le pape avec une voix plus claire.
– La poularde : Quoi ! C’est donc pour que nous ayons une voix plus claire qu’on nous a privé de la plus belle partie de nous-même ?
– Le chapon : Hélas ! Ma pauvre poularde, c’est pour nous engraisser, et rendre notre chair plus délicate.., car ils prétendent nous manger.
– La poularde : Ah ! Les monstres !
– Le chapon. : C’est leur coutume, ils nous mettent en prison pendant quelques jours ; nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction ; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir.
On nous apporte devant eux dans des grandes pièces en argent ; chacun dit de nous ce qu’il pense ; on fait notre oraison funèbre ; l’un dit que nous sentons la noisette ; l’autre vante notre chair ; on loue nos cuisses, nos bras, notre croupion ; et voilà notre histoire dans ce bas monde finie pour jamais.

Et parler du dialogue c’est aussi se souvenir des dialogues truculents de  Michel Audiart. J’en ai noté, choisi deux : « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner » Et   « Quand les types  de 130 kg parlent de certaines choses, ceux de 60 kg les écoute »

⇒  Je me suis posé la question quant à l’art chez l’écrivain de faire dialoguer des personnages avec leur identité propre ; est-ce qu’on  a le fil de toute une histoire et les personnages avec le propos arrivent. C’est pour moi, le génie de l’écriture ; et dans un roman avec plusieurs personnages, les tirets qui mettent tour à tour, les personnages en scène, me les rendent presque présents ; je vois le personnage, le personnage qui va parler….

⇒  Le dialogue littéraire ce n’est pas un fil qu’on déroule. C’est construit, c’est pensé très avant, il y a de l’inspiration et de la transpiration.

⇒  Dans le dialogue littéraire on est avec le personnage, cela crée une proximité. Il y a quelque chose comme un échange. Comme dans un courrier, c’est  un transfert d’humanité.

⇒  Quand on est en dictature ou totalitarisme, c’est toujours le même discours en peu de mots, les mêmes paroles, il  n’y a pas de place pour la réflexion, et pas de dialogue réel.

⇒  On a dit qu’il faut avoir les mots clefs, les mêmes codes, soit ! Mais quand l’autre n’a pas ces mêmes codes et qu’on réussit néanmoins à ouvrir le dialogue, là, c’est aussi une réussite.

⇒  Si je discute avec quelqu’un du 16 ème (par exemple) je n’ai pas les mêmes clefs quand à l’aspect social, et avec les clefs intellectuelles, on va peut-être se combattre. On peut se comprendre en n’ayant pas les mêmes idées.

⇒  Un des meilleurs exemples du dialogue politique est la pièce de théâtre (et film) « Le souper » avec Claude Rich en Talleyrand, et Claude Brasseur en Fouché.

⇒  On est dans la joute verbale, avec toutes les subtilités du langage. Dans ce genre on peut citer également ; « Ridicule » avec les dialogues des salons du 18ème siècle, où on peut humilier avec un mot, une saillie, un mot d’esprit.

⇒  Le dialogue, dans des moyens de communication, comme la presse, obéit aujourd’hui à la règle des trois « C ». C’est-à-dire : court – clair – concis. On a tendance à concentrer le propos au point de parfois lui faire perdre du sens. Et si l’on fait trop long, c’est coupé ; pour faire bien, il faut faire : court, clair, et concis. Cela limite le dialogue et l’élaboration de la pensée.

⇒  Lorsqu’on s’adresse à un public, on ne parle pas comme si l’on parlait avec sa belle-sœur ou son collègue de bureau. Il faut structurer sa pensée pour être sûr que l’on sera compris de tous : « Il faut penser sa parole, avant que parler sa pensée ». Et il y a une notion de respect de ceux à qui l’on s’adresse, parce qu’ils ne doivent pas être captifs d’un temps de parole qui nous est accordé, pas captifs de ceux qui délayent, qui s’écoutent parler, ou  ce « parleur étrange, et qui trouve toujours l’art de rien dire avec de grands discours » (Molière. Le misanthrope). Il faut savoir garder l’attention de l’autre qui vous « prête l’oreille ».

⇒  Moi je ne viens pas au café-philo pour dialoguer, je viens pour écouter.

⇒  Je ne suis pas d’accord sur ce point. Celui qui écoute est la part indispensable du dialogue, sinon on parle tout seul ; le silence n’est pas refus de dialogue. Dans le dialogue il a un émetteur et un ou des récepteurs qui peuvent à leur tour devenir émetteur.

⇒  Je reviens sur cette intervention qui nous dit qu’il faut de plus en plus faire court dans l’écrit. Je crois que c’est un mal de notre époque, dans ce temps qui semble se rétrécir, la vie va plus vite. Le temps d’écoute et d’attention diminue, il faut aller à l’essentiel, sinon, on zappe.

⇒  J’ai attrapé la maladie du « faire court » ; j’ai trop peur d’ennuyer.  Il y a des longues tirades où l’essentiel tient en trois coups de stabylo.

⇒  Certains n’ont pas l’art de la synthèse, et il leur faut plus de temps, en passant même par des détours. Si on ne leur laisse pas le temps, ils ne parlent pas. Ils parlent à leur rythme, il faut leur laisser du temps pour que la pensée descende dans les mots.

⇒  Ah si je savais parler comme je sais penser !

Références :

Définition du mot dialogue. Wikipédia.
Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville PUF. 2001.
Le Théétète. Platon. – 394.
La nouvelle Héloïse. Rousseau. 1761
La poularde et le chapon. Voltaire. 1763
L’art d’avoir toujours raison. Schopenhauer. 1831

Films :

A voix haute : la force de la parole. De Stéphane de Freitas et Ladj Ly. 2017
Le Brio d’Yvan Attal. 2017
Ridicule. De Patrice Leconte. 1996
Le souper. D’Edouard Molinaro. 1992.

 

 

Qu’est-ce qui meurt quand une civilisation meurt?

 

Les pyramides de Giseh en Egypte

Les pyramides de Giseh en Egypte

Restitution du débat du  22 novembre 2017 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.
Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Edith

Introduction : Etrange question ! Quand on dit qu’une civilisation meurt ce qui meurt c’est la civilisation ! Le problème est bien là : qu’entend-on par civilisation ?
Nous ne sommes pas là pour disserter sur l’étymologie du mot, ni non plus sur les interrogations documentées des récits de vie de voyageurs anciens et modernes, ou/et des enquêtes des ethnologues et anthropologues contemporains. Récits de voyages, enquêtes et analyses qui, à la fois soulignent la diversité des civilisations ; « comment peut-on être persan ? » demandait Montesquieu, et l’unité de l’espèce humaine (cf. la controverse de Valladolid : en 1655 entre le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda, pour savoir si les Amérindiens ont une âme – pour savoir s’il est moral de conquérir leurs terres et de les « esclavagiser ».)
La question de la mort de la civilisation est une question qui nous concerne tous.
Dans notre vie quotidienne: combien de fois ai-je entendu « ce sont des sauvages »,  combien de fois j’ai dit « vous êtes des barbares », combien de fois nous nous interrogeons sur ce qui favorise la civilité avec nos voisins, nos enfants, ou les anciens! Et la question de la mort des civilisations est l’objet de débats idéologiques actuels : vivons-nous le choc de civilisations ? Est-ce la fin de la civilisation occidentale ? La civilisation européenne est-elle menacée ? Et aussi sommes-nous à une phase de mutation irréversible de la civilisation humaine : avec les recherches et inventions techno scientifiques (en intelligence artificielle, génie génétique, biologie du cerveau, robotique …), nous passons de l’homme réparé à l’homme augmenté, à l’homme transformé: de l’homo sapiens à l’homo deus
Je propose de soutenir que ce qui meurt dans une civilisation quand on dit qu’elle meurt, c’est le sens de l’humain, ce que Levinas nomme la conscience du visage d’autrui.
Vous connaissez tous les multiples formes de déshumanisation d’une civilisation.
D’après l’Unicef, depuis fin août 2017, plus de 400000 réfugiés Rohingyas fuient les persécutions dans l’Etat birman d’Arakan, pour se réfugier au Bengladesh. Parmi eux 60% d’enfants, et toujours d’après l’Unicef, depuis janvier 2017, dans le Nord Est du Nigéria, 83 enfants ont été utilisés comme bombes humaines. (55 d’entre eux étaient des filles de moins de 15 ans, 27 étaient des garçons et l’un était un bébé attaché à une fille). Le groupe armé connu sous le nom de Boko Haram a revendiqué ces actes ayant pour cible la population civile. En même temps actuellement 1,7 million de personnes sont déplacées en raison de l’insurrection dans le nord est du Nigéria et 450000 enfants risquent de souffrir de malnutrition.
Mais revenons sur le terme « civilisation ». Ce terme n’est apparu dans la langue française qu’au 19ème siècle (en 1835), lié à l’intérêt croissant que les français accordaient à l’histoire. Alors il a pris une double signification. Auparavant Mirabeau a inventé ce terme (en 1756), un siècle plus tôt, pour désigner « l’adoucissement des mœurs, l’urbanité, la politesse, l’observation des bienséances ». Parce que Mirabeau croyait ou plutôt voulait que l’évolution des sociétés suive « une gradation de la barbarie originelle à la condition présente de la société actuelle ». Au départ donc civilisation égale civilité (les mœurs douces, la courtoisie, la manière honnête de vivre et de converser avec les gens). Aujourd’hui (et dans la 9ème  édition du dictionnaire de l’Académie française -2010) la civilisation est: « l’ensemble des connaissances, des croyances, des institutions, des mœurs, des arts et des techniques  d’une société».
Et le changement de sens est significatif : chez Mirabeau la notion est morale, chez les contemporains, elle est technique (grâce aux travaux des ethnologues et anthropologues contemporains). C’est ainsi que, alors que les mœurs sont spécifiques à un pays, un peuple, une nation, et donc différentes, les connaissances appartiennent à l’espèce humaine; se développe alors l’idéologie de l’unité de la civilisation humaine dans la diversité des modes de vie.
Enfin, je suis intéressée à reprendre l’hypothèse de l’historien Lucien Febvre, dans Civilisation, le mot et l’idée: les idéologies de fin de la civilisation apparaissent toujours lorsqu’une forme nouvelle de guerre est en cours. Après la première guerre mondiale, Spengler, Toynbee, Paul Valéry, Freud, et d’autres (chacun avec des arguments spécifiques) ont développé l’idéologie de la fin de la civilisation. « Nous autres  nous savons que   les civilisations sont mortelles » (Paul Valéry) ; Malaise dans la civilisation (Freud) ; Le déclin de l’occident (Spengler). Et en effet (en poursuivant  le propos de Lucien Febvre), après la deuxième guerre mondiale et l’industrialisation de la mise à mort de certains humains, et de la nature, après Auschwitz, Hiroshima, et Tchernobyl, ont été élaborés deux concepts juridiques pour prévenir la fin de toutes les civilisations humaines : la notion de « crime contre l’humanité » et la notion d’ « écocide ». Le crime contre l’humanité, défini par le tribunal international de Nuremberg (en 1945), est à distinguer des crimes de guerre. C’est « un crime commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile…inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». La notion est précisée par la cour pénale internationale de 1998, par le statut de Rome de 1990. Le crime contre l’humanité est un délit imprescriptible et l’expression d’opinions qui remettent en question la réalité de ces crimes est un délit passible de plusieurs années de prison. …
Aujourd’hui, les débats idéologiques sur la fin de la, ou des civilisations, sont médiatisés journellement en France. Ce pourquoi, j’ai proposé ce thème de réflexion. Parce que la guerre est partout, avec un nouveau seuil de déshumanisation des civilisations.
Je ne suis pas experte en géopolitique, ni non plus en histoire du droit. Mais, après avoir dépassé, dans mon histoire familiale, les effets négatifs du génocide des Juifs et des Tziganes, je m’inquiète des effets inhumains sur mes enfants et mes petits-enfants, des formes nouvelles de guerre : les guerres asymétriques et les terrorismes. Il faudrait étudier l’histoire des usages du mot terrorisme (je ne le fais pas ici). Quant au concept de « guerre asymétrique », il vient d’un général américain Wesley Clark qui l’a élaboré pendant l’intervention américaine au Kosovo. Il désigne le fait que ce ne sont pas des armées qui se font la guerre, mais des groupes, ou des individus qui s’attaquent à des Etats en tuant des populations civiles. Les cibles civiles remplacent les objectifs militaires, cette manière de faire la guerre est aujourd’hui partout. Détournements d’avions, opérations clandestines, représailles massives, opérations conduites par des martyrs qui visent à infliger des pertes massives à la population civile … la guerre ne se conduit pas sur des champs de bataille mais sur les écrans de télévision et dans les foyers.
Après les désillusions terribles de la civilisation de « l’homme nouveau », du socialisme réellement existant, je vis la crise de la civilisation capitaliste qui promet, avec le développement libéral des modalités du travail, et la progression fulgurante des innovations techno-scientifiques, la possibilité pour chacun d’être un self made man,  et de vivre heureux. Or chacun est non seulement de plus en plus asservi « aux eaux glacées du calcul égoïste » (Marx), faire du chiffre, être rentable, « le temps c’est de l’argent », mais aussi aux « bio pouvoirs »
C’est ainsi que devient lancinant (et stérile) le débat médiatique sur la fin de  la ou des civilisations. Je fais référence à trois d’entre eux. Régis Debray critique le fait que la civilisation européenne, des Lumières, de la démocratie, de la laïcité, se laisse conquérir par l’américanisation, (la civilisation de l’image, de la conquête de la lune, des gratte-ciel, du hamburger et des fast food.) Alain Finkielkraut dénonce la fin de la civilisation humaniste, où les particularismes locaux, prennent le pas sur l’universalisme de la pensée ; (à chacun sa vérité, à chacun ses droits). Il s’effraie de la double décadence de cette civilisation, celle de la grande déculturation par l’école et celle du grand remplacement par l’immigration de peuplement. Michel Onfray, (qui se présente comme hédoniste, anarchiste et girondin), fait coïncider la fin de la civilisation occidentale avec la fatwa lancée par l’Iran contre l’écrivain britannique Salman Rushdie.
Ce que j’en retiens c’est que ce qui meurt dans une civilisation quand on dit qu’elle meurt, c’est sa capacité non seulement à se rebeller, mais aussi à inventer de nouveaux projets de vie.
Enfin la révolution numérique met-elle, en question toute civilisation humaine? Selon Yuvah Noah Harari qui vient d’écrire Homo deus, l’histoire de l’avenir, le problème n’est pas de savoir si une civilisation l’emporte sur une autre, mais celui de savoir si nous sommes à un tournant de l’évolution de l’espèce humaine. Ce qui se joue dans le passage de l’homo sapiens à l’homo deus, c’est non seulement que les humains sont de plus en plus capables de réparer, d’augmenter leurs capacités mais aussi de se transformer …jusqu’à devenir homme dieu, non pas immortel mais amortel: capable de s’auto fabriquer dès qu’il y a un accident ou une perte de capacité, jusqu’à l’usure inévitable néanmoins. Ce, grâce aux recherches en intelligence artificielle, en robotique, en génie génétique. En effet, nous pouvons penser que nous serons de plus en plus intelligents, de plus en plus capables de nous connaître, de connaître et notre passé individuel, et notre avenir individuel et collectif.
Nous allons devenir des algorithmes tout puissants. Saurons-nous fabriquer des intelligences conscientes ?  C’est  la question. Bien sûr l’inégalité entre riches et pauvres ne disparaîtra pas (il y aura les plus, et les moins connectés), c’est là un problème. Et l’apparition de ces « homo deus » (la mutation de l’espèce humaine) est voulue et financée par les milliardaires GAFA (Google, Amazon, Face book, Apple). A nous de nous en inquiéter !!
Voulons-nous cette civilisation ?

Débat

 

Débat :  ⇒ Je relie ce sujet à des lectures qui m’avaient en  leur temps questionnée sur ce sujet ; ce sera : « Malaise dans la culture » de Freud qui annonçait l’arrivée du national- socialisme, ou : « Le monde d’hier » de Stephan Zweig, lequel s’interrogeait sur ce monde qui était en train de disparaître sous nos yeux. Puis au cinéma par le film : « Le guépard » qui montre la fin de l’aristocratie italienne. Et j’ajoute à ces titres celui de Garcia Marquez : « Cent ans de solitude » qui porte sur la fin des grandes propriétés en Amérique latine et la décadence des haciendieros. Donc du cinéma à la littérature nous sommes sans cesse alertés sur la mort des civilisations.
Et qu’est-ce qui se passe quand une civilisation, riche, cultivée, meurt ? Est-ce parce qu’elle perd ses valeurs culturelles ? Arts, lettres, sciences ; qu’elle est remise en cause, qu’elle génère trop d’injustices ? Qu’elle perd le sens du respect humain, en considérant l’homme comme un objet ?
Est-ce le fait d’une civilisation en perte de repères dans les mœurs, où tout est autorisé sans savoir si c’est vraiment dans l’intérêt de l’individu ? Est-ce une perte des idéologies ? Une société où l’on ne discute plus avec des arguments, mais où l’on n’est que dans le rapport de forces…
Quand la civilisation se casse la figure, malheureusement, ce qui gagne du terrain c’est l’ignorance, l’obscurantisme.
Le film : « Une histoire sans fin » nous dit que le néant progresserait toujours tant que le petit garçon ne pourrait pas dire l’amour. Ce qui nous rappelle que ce qui est essentiel, nous unit, c’est l’amour au sens le plus large du terme.
Une civilisation qui meurt, c’est l’arbre de la connaissance qui perd ses racines.
Et aujourd’hui ce que nous risquons aussi de perdre ce sont les arts et traditions populaires, une culture qui fait consensus dans la population.

⇒ Première réflexion. Si l’on étudie comment les grandes civilisations se sont plus ou moins éteintes, ou ont disparu, cela ne peut nous servir de modèle, tant le contexte est différent.
Nous sommes à l’époque du « village global », et là se pose la question : qu’est-ce qu’une civilisation, aujourd’hui ? Peut-on parler d’une civilisation purement occidentale, alors que le monde entier est connecté en réseau, alors que souvent  nous voyons  les mêmes films, alors qu’une grande partie de la population du monde porte les mêmes pantalons (jeans), les mêmes baskets, que nous consommons de plus en plus les mêmes produits.
Donc le terme, civilisation, perd grandement sa signification initiale. De toute façon se serait bien surprenant que d’une façon ou d’une autre cette civilisation ne vienne pas avec le temps,  à être remplacée. Quand ? Comment ? Cela ne se fait pas d’un coup, plouf ! Il y a, peut-être des étapes, des signes avant coureurs ; et là, on peut penser à l’ouvrage de Fukuyama, « La fin de l’Histoire ». Fukuyama pour qui le modèle économique actuel est là finalité de l’évolution sociale, qu’il est désormais indépassable, qu’il n’a pas, qu’il n’y a plus d’alternative, que c’est l’unique et dernier grand récit, que c’est une « loi de gravité économique ».
Mais quand les sociétés en viennent à penser qu’elles n’ont plus à changer, quand elles ne sont plus en capacité d’inventer d’autres modèles, c’est peut-être là où elles sont le plus en danger.
Seconde réflexion : « La civilisation est en déclin, la civilisation est décadente, indécente », cela se traduira par l’expression « Boko Haram » ou « l’éducation occidentale est un péché ». Cette expression Boko Haram sera le nom d’une secte au nord du Nigéria. « Boko », signifie : livre, et « haram » signifie, interdit, (interdit par le Livre). Et pour tous ceux qui sont dans cette mouvance, c’est un devoir de combattre cette civilisation occidentale impure (haram) par quelque moyen que ce soit, comme le terrorisme, la guerre asymétrique, guerre identitaire et guerre de civilisation. Cela constitue aujourd’hui un des risques les plus présents dans les esprits pour notre civilisation occidentale.

⇒ Ce qui meurt pour moi c’est la perte d’identification, quand disparaît l’idée de faire partie d’un groupe, quand disparaît le sens du commun, d’un ciment basé sur nos différentes racines, ciment qui peut évoluer (rien n’est figé). Refuser de partager tout ce commun, c’est un peu comme l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, puits de tout un savoir.
Au-delà des causes, ce qui est important, c’est la conscience que nous avons d’être une civilisation et d’avoir une histoire.

⇒  Il y a deux aspects dans la question: Pour moi, il faut distinguer deux types de civilisations. Les civilisations anciennes, dont il ne reste que des survivants et qui étaient basées, essentiellement sur des traditions et croyances, civilisations sur lesquelles se sont greffés les apports des technologies. Pour que ces civilisations anciennes aient pu mourir, il a fallu parfois des ethnocides, et certaines ont été balayées par une colonisation folle. Il n’y a presque plus d’aborigènes, il en reste quelques-uns en Australie, mais tout ce que l’on a détruit dans ce domaine est une véritable catastrophe ; ce sont les Indiens en Amérique du nord, dont quelques uns  n’existent encore que par miracle.
Pour celles qui ont connu un apport technologique, je pense qu’elles ne sont pas mortes, et pas près de mourir, elles n’ont fait que muter, mais cela avec parfois des mutations parfois excessivement importantes qui ont modifié complètement  leur mode de vie. On peut citer plusieurs verrous de changement fondamentaux. Ce fut l’invention de la caravelle (le bateau) qui a mis fin à l’expansion des Ottomans. Ensuite il y a eu, l’invention de l’imprimerie, puis aujourd’hui l’informatique, demain, peut-être le transhumanisme ?
Ce qui a fait changer d’une façon fulgurante les civilisations, ce sont les modes de production. On a utilisé l’homme (esclavagisme) et on en est sorti. Puis il y a eu l’arrivée du salariat dans le système capitaliste. Mais maintenant on est dans une autre dimension, le financiarisme qui bouleverse fondamentalement les choses., les civilisations ne meurent pas, et ce sont les mutations violentes, qui font les « petites morts des civilisations ».

⇒  On a évoqué notre civilisation qui ne peut mourir car nous avons sauvegardé toutes nos connaissances, tous nos savoirs, mais si demain, nous avons un énorme bug, tout sera enseveli à jamais, et la civilisation avec.
Aujourd’hui on entend que de jeunes informaticiens de la Silicone Valley, ceux qui oeuvrent sur la civilisation de demain, se suicident. Sont-ils confrontés à un risque de déshumanisation ?

⇒  Ce qui nous interroge aussi, ce sont les rapports de demain avec les robots, qui nous ferons peut-être perdre des liens, des contacts humains.

⇒  Je pense que des civilisations sont mortes parce que leurs dieux sont morts. C’est le dieu unique, le monothéisme qui a tué leur civilisation.

⇒ On ne peut pas lier une civilisation et ses cultures qu’à une religion, sinon les athées seraient hors de la civilisation. Ce qui ne veut pas dire qu’au-delà des références cultuelles, il n’y ait pas des points communs universels à conserver et à défendre.

⇒ Je ressens aussi ce risque face à l’informatique, et au risque « Big Brother » qui nous voit, nous écoute, et qui nous dictera ce que l’on doit faire en tuant notre réflexion personnelle ?  N’est-ce pas un risque de déshumanisation. ?

⇒  Je vois une civilisation ou sous forme d’empire, ou sous forme culturelle. Ce dont je me rends compte c’est que souvent, sous sa forme empire, une civilisation pouvait disparaître, mais la civilisation de forme culturelle reste. Je pense qu’aujourd’hui notre civilisation s’inspire d’autres civilisations, que ce soit la civilisation gréco-romaine ou égyptienne. De ce fait on assiste à une sorte de travail de mémoire, ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne peut pas éliminer toutes les civilisations ayant  existé.
De plus, je pense que le progrès nous renvoie à l’origine de ce qu’était l’homme. « L’homme est un loup pour l’homme », nous dit Hobbes. Pour lui, l’homme se met en groupe juste par intérêt, et non pas par humanisme.
Je pense qu’on arrive vers une civilisation parfaite en revenant à nos origines où l’on vit égoïstement, de façon naturelle.
La civilisation ne meurt pas. Elle devient juste parfaite parce qu’on est de plus en plus intelligents grâce à toutes les civilisations et à leurs apports. On arrive à un moment où on ne pourra plus évoluer, on arrivera à la perfection.

⇒  Les pays colonisateurs, même s’ils ont parfois pillé, ont aussi apporté la richesse de leurs connaissances. Cela a créé des échanges et fait partager des langues, et c’est à cette période que l’anglais qui a pris la première place. Et ce qui meurt dans les civilisations qui meurent, ce sont souvent les langues. Petit à petit, s’installe une homogénéisation, et une philosophie universaliste doit aussi protéger les différences culturelles, ne pas s’en tenir qu’à des cultures urbanisantes, et en n’effacer aucune.

⇒  Une civilisation qui disparaît est-ce un mode de vie qui disparaît ? Celui-ci doit-il être, admiré, respecté, sous prétexte qu’il est affublé du mot « civilisation ».
Nous avons eu des modes de vie barbares, mais acceptées en leur temps ; alors ce qui me semblerait disparaître lorsqu’une civilisation meurt, ce sont : les arts, la culture, et la réapparition des barbaries, des égoïsmes, des massacres. Et enfin, la question se pose : quelle civilisation a respecté la vie humaine ?  Aucune !

⇒  Nulle religion unique ne peut représenter une civilisation, et elles ont même pu être un obstacle à l’évolution, par leur obscurantisme, comme à certaines périodes (cf. Galilée). La théorie de l’évolution a gêné l’Eglise qui mettait alors un frein à l’évolution.
L’évolution des idées fait partie d’une civilisation. Je pense que l’homme est plus qu’ « un loup pour l’homme ». Il a fait des civilisations en se regroupant avec des intérêts communs, (pas seulement des intérêts individuels).
Alors je pense qu’une civilisation « achevée » n’est pas forcément parfaite. Ce sont parfois les civilisations les plus évoluées et les plus cultivées qui ont basculé dans la barbarie (Allemagne des années 30).
Par ailleurs, faut-il respecter toutes les civilisations même guerrières ou destructrices? Chacun répondra pour soi à cela, mais cela n’empêche pas de chercher à les connaître, voire, les étudier pour comprendre comment elles se sont construites.

⇒  Nous avons évoqué le rôle des religions dans les civilisations : parfois entraves, parfois soutien politique, soutien du pouvoir, parfois dogmatique (ce qui entraîne le fanatisme). Religion et civilisation ne font qu’un, quand on est en théocratie.
Mais pour qu’une civilisation perdure, il faut du sacré, ou ce que l’on considère comme sacré, quelque chose à quoi l’on peut se rattache.
Et quand on dit qu’on veut une civilisation humaniste, on dit qu’on ne veut pas de la domination d’une religion, qu’on ne veut pas d’une dictature quelle qu’elle soit, qu’on veut de la laïcité, des droits de l’homme, etc… Ce qui n’est pas un obstacle au sacré.
Les religions n’ont pas été qu’entraves aux civilisations, car souvent pour civiliser des groupes, il a fallu les relier (religare) autour de quelque chose pour les sortir de la barbarie, pour qu’ils forment ainsi cette société si large qu’on nomme civilisation.
Alors dans les signes, ou disons plutôt dans les risques pour qu’une civilisation meure, (en l’occurrence, la nôtre) on a le plus souvent entendu : La perte de sens collectif, perte du  lien social, la perte de projets collectifs, l’abandon des valeurs, la perte de la culture, une guerre asymétrique, des invasions, des émigrations économiques ou climatiques massives, une soumission aux intelligences artificielles, un chamboulement climatiqueMais ce qui meurt aujourd’hui de toute évidence et qui risque fort d’entraîner dans la mort toute civilisation, ce sont : la perte de la biodiversité, la terrible disparition des espèces, soixante pour cent des primates sont en danger, appelés à disparaître dans les trente années à venir.
La civilisation : on va l’éteindre  et éteindre toute vie avec elle.

⇒  Dans sa définition « Mondialisation » André Comte-Sponville, ajoute à son article : « Faut-il envisager une civilisation mondiale ? » Alors, est-ce que l’on n’est pas déjà sans ce modèle ? Car les différences entre  les civilisations semblent s’affaiblirent.
Pour moi, une civilisation morte serait, celle dont on a perdu le souvenir, un peu comme un cimetière abandonné, où même les noms auraient disparus des tombes. Des tombes où, serait inscrit: ci-gît qui ?
Au-delà des chemins de vie reçus de nos ancêtres, nous sommes engagés dans cette mutation- évolution de notre civilisation, nous sommes plus moins sur le chemin.

⇒  Que faire pour qu’une civilisation ne meure pas ?

⇒  Les civilisations qui ont perduré, même au-delà d’elles, sont celles qui ont laissé des traces : sur des pierres, des écrits…

⇔  Je retiens que notre civilisation ne peut pas mourir, qu’il y a un effet entonnoir qui en fera une civilisation mondiale, universelle.

⇒ Si on n’est pas attentif à tout ce qui nous a précédé, il n’y aura pas de lendemains pour les civilisations : «  Un monde sans mémoire est un monde sans avenir ». Il y a un fil de l’Histoire qui lui donne son sens…. Nous avons été précédés et l’évolution ne peut se faire qu’en tirant les leçons du passé pour se tourner vers l’avenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Morale et politique

Restitution du débat du  25 octobre  2017 à Chevilly-Larue

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Animateurs : Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: « La morale est une question de conscience personnelle » dit François Bayrou, au journal télévisé le 1er juin 2017 lors de la présentation de la loi initialement nommée « Loi sur la moralisation de la vie publique »
Alors qu’il va présenter cette loi de moralisation, voilà qu’un ministre de ce tout nouveau gouvernement qui promettait de laver « plus blanc que blanc » se trouve pris dans un conflit d’intérêt. Affaire qui n’est pas a priori considérée comme illégale, mais reconnue par tous les observateurs, comme relevant de la morale. Légal dira t-on ! Soit ! Mais,  immoral.
Ainsi, le Ministre se voit dans l’obligation de changer le nom de la loi, laquelle devient : « Loi pour la confiance dans la vie démocratique ». (On passe de la morale à la confiance, on descend d’un cran).
Donc le Ministre nous dit que la morale, c’est finalement, chacun la sienne, ce qui sous-entend, qu’on ne peut se référer à des règles de valeurs morales collectives.
Sur ce, je suis parti trois semaines à l’étranger où je n’ai lu que le journal local. Au retour (fin juin), j’ai acheté sur la route, le Canard enchaîné, et là, surprise, trois exclusions, dont celle du ministre qui voulait nettoyer « les écuries d’Augias », et on en pressentait  d’autres. Ce qui ne remet pas en question les qualités morales dudit Ministre, mais j’ai de suite pensé à la situation de l’arroseur arrosé, ou encore au risque boomerang. Le journal titrait : « Trois ministres au tapis en un mois » (Canard enchaîné du 21 juin 2017)
Nous avons là ce qui pourrait être un sujet de philo au bac :
Un homme politique doit-il être irréprochable ? Comme le préconisait le candidat Fillon lors de la primaire à droite,  « doit-il être un modèle d’intégrité ? »
« Est-ce une illusion de vouloir faire cohabiter morale et politique ? »
Finalement la loi sera édictée le 15 septembre 2017. Les journalistes, comme dans le Figaro, entre autres, continuent à parler de loi sur la moralisation de la vie politique alors que son intitulé reste : « Loi pour la confiance dans la vie politique ».
Pour des raisons que nous allons sûrement évoquer, la société française est en demande de plus de moralisation dans la vie publique, de plus d’exemplarité chez les hommes politiques, comme chez tous ceux qui détiennent de grands pouvoirs de décision.
Depuis 1988, nous avons eu 8 lois tendant à moraliser le monde politique, plus 12 décrets et c’est en cette année 2017 que cette demande a été relancée, alimentée par le chevalier blanc « Républicain », puis reprise à souhait par un nouveau mouvement politique, qui en a fait, qui en avait fait, un de ses grands chantier du quinquennat.
Je précise qu’il n’est nullement question dans mon propos de valider le « tous pourris » (Surtout pas).
Maintenant, et brièvement, pour s’assurer que nous que nous mettions bien la même chose sur les mêmes mots, voilà  les définitions et acceptions du mot, morale, et du mot conscience que je retiens particulièrement.
Celle d’André Comte-Sponville, pour morale: « Ensemble de nos devoirs, autrement dit des obligations ou des interdits que nous imposons à nous-mêmes, indépendamment de toute récompense ou sanction attendue, et même de toute espérance… » Des interdits que nous nous imposons, pas des interdits de lois, d’usage, de coutume.
Et la classique, mais si simple définition de Socrate : « Tout homme porte en soi les vérités morales, il n’a pas à les apprendre du dehors, il les découvre en réfléchissant sur la nature humaine ».
Quant à la conscience, je retiens cette partie de la définition du Grand Robert de la langue française: « …Connaissance intuitive par l’être humain de ce qui est le bien, de ce qui est le mal et qui le poussent à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes ».
Voilà en bref pour les définitions.
C’est vrai que « le mot morale fait peur ». (Plutôt Athènes que Sparte). La morale inclut une exigence qui ne souffre pas des compromis ou arrangements, lesquels seraient parfois machiavéliques, où la finalité permet qu’on s’écarte de la morale, ou, suivant l’expression nécessaire à la conduite politique des affaires, nous passons dans le camp réducteur de sa pensée « la fin justifie les moyens ».
Tout à fait opposé aux théories machiavélistes, Rousseau nous dit que (L’Emile §4) (je cite) « …ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n’entendront jamais rien à aucune des deux »
Pour lui pas d’édifice social sans la morale.
Pour Rousseau « la morale découle de lois naturelles », de même que la légalité, qui, dit-il  n’est nullement garante de la morale. Un proverbe espagnol illustre bien ceci : « Echo la ley, echo la trampa », ou : à peine la loi édictée, le moyen de la contourner existe déjà.
Alors la question de fond reste : morale et politique sont-elles compatibles ?
A cette question les philosophes nous ont dit, chacun à leur façon, que la cohabitation de la morale et la politique était difficile, qu’il était difficile de les associer dans un même précepte, mais : « que les deux doivent absolument être réunies, et que l’idée du contraire serait absurde » (Kant)
Mais si la politique ne peut s’affranchir de la morale, elle n’est pas pour autant du domaine des purs idéalistes, elle le serait plutôt,  des réalistes.
C’est ce que nous disait Luc Ferry récemment dans une émission sur France-Culture : « Un très grand politique n’est pas forcément quelqu’un dont la morale est la boussole. Ce qu’on peut demander à un politique c’est la légalité, pas la morale ». L’homme politique se fixe un but, et pour y parvenir la route n’est pas forcément toute droite, la latitude lui est donnée (suivant le point de vue de Luc Ferry) d’adapter, soit entre pragmatisme et utilitarisme.
Ce point de vue validerait en quelque sorte l’idée que : La morale s’attache aux intentions, et que la politique s’attache aux résultats.
C’est aussi, parfois la real politik, terme employé aujourd’hui pour souligner l’abandon des principes éthiques, au profit de réalités économiques.
Dans le  film  de Frank Capra (Mrs Smith au Sénat),  un jeune sénateur pur, se retrouve dans un univers politique où les fils sont tenus par un magnat de la presse. Un sénateur, son aîné, voyant qu’il va dénoncer tout un circuit de corruption, lui tient ce propos : «  Ce monde est un monde brutal d’hommes, ce n’est pas votre place… C’est dur d’affronter la réalité, mais on contrôle ses idéaux avant d’entrer en politique comme on contrôle ses bretelles », et il poursuit : « Il y a trente ans j’avais vos idéaux…, j’ai choisi le compromis afin de servir le Sénat et le peuple de façon honnête. C’est ainsi que les états et les empires se sont faits depuis la nuit des temps »
Alors, si l’on ne retient du mot politique, que l’art de diriger, de parvenir au pouvoir et de le conserver, alors oui, la morale n’y a pas sa place, et l’on pourra se contenter des recommandations de Machiavel : « être habiles comme des serpents » tout en étant « aussi innocents qu’une colombe »
L’ex-ministre de la justice n’aurait pas eu à faire cette reculade, si la loi avait été initialement nommée « loi d’éthique en politique » ou quelque chose d’approchant.
Deleuze reprenait souvent cette formule : la morale c’est le bien et le mal, l’éthique, c’est le bon et le mauvais.
Quand je respecte  les règles d’usage, les lois de mon pays, je respecte les règles d’éthique.
Quand je respecte les règles de ma conscience, de la conscience collective d’un peuple, je respecte les règles morales.

 Débat

Débat :  ⇒ Ma première réflexion est dans ce « et » morale, et le « et » politique. Autrement dit, quels sont les liens entre morale et politique. En ce sens, je ne suis pas d’accord avec le ministre (François Bayrou) qui dit que « la morale est une question de conscience personnelle », et s’il nous faut connaître les liens entre morale et politique, il nous aussi connaître les liens entre morale et confiance.
Puis mes réflexions suivantes seront : comment distinguer éthique et morale ? Et aussi, comment distinguer, l’action politique de l’action politicienne ? Et, en ce sens je reprends ce qui a été dit en introduction, soit, la question de savoir s’il peut y avoir une politique morale ?
Déjà quant aux liens entre morale et politique, me vient en mémoire, « La controverse de Valladolid » en 1655, entre le dominicain Bartholomé de las casas et le théologien Juan Ginés Sepúlveda, pour savoir si les Amérindiens avaient une âme. C’est-à-dire, pour savoir s’il était moral de conquérir leurs terres et de les « esclavagiser ».
Et me reviennent en mémoire, des formules devenues langue courante de différents philosophes de l’action politique, comme Machiavel au 16ème siècle, « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais, entre le pire et le moindre mal ». Et puis la formule que tout le monde connaît : « La fin justifie les moyens » soit l’absence de scrupules moraux, l’éloge du  cynisme ; Oui ! Parce que son célèbre ouvrage, « Le Prince » est un manuel de conseil aux politiques pour prendre le pouvoir, et pour le conserver. Et donc par exemple, jusqu’à l’exécution brutale, cruelle et publique, pour décourager la contestation de l’autorité du prince ; la fin justifiant le moyen. Ce à quoi s’oppose Rousseau qui lui, avait un autre projet ; non pas, comment prendre et garder le pouvoir, mais comment élaborer un contrat social, qui élimine les inégalités entre les hommes, et c’est dans « L’Emile » qu’il écrit : « Ceux qui voudront traiter séparément morale et politique, n’entendrons jamais rien ni à l’une, ni à l’autre ».
Donc, toute théorie selon laquelle les moralistes abstraits, seraient au-dessus de la lutte des classes, ne prend pas en compte la réalité. « Le mensonge est immoral » a argumenté Kant. Parce que le mensonge n’est pas universalisable. Si tous les humains mentent, le mensonge n’a plus de sens. « Le mensonge est inhumain » nous dit Trotski, mais de même que la violence, le mensonge peut être nécessaire ; Que dirait-on d’un soldat qui ne cacherait rien à l’ennemi…
Enfin, autre référence, Sartre dans « Cahiers pour une morale » écrit qu’il veut une morale concrète, « Il n’y a pas de morale possible dans une situation immorale » écrit-il, et « Les moyens indiquent la fin ». Formule qui nous met face à un dilemme, et difficulté supplémentaire, la question étant de savoir qui décide, non seulement des moyens, mais aussi des fins de nos actions. S’agit-il d’individus charismatiques ? S’agit-il de partis ? S’agit-il de groupes d’influence ? Cela a été l’objet d’interrogations dans les débats de « nuit debout » en 2016. Et un film « L’assemblée » de Mariana Otero fait état de cela.
Donc la question des liens entre morale et politique est une question qui reçoit finalement plein de réponses. Je retiens particulièrement la réponse marxienne et sartrienne : « Les moyens indiquent la fin ».

⇒  Récemment, dans un débat sur ce même sujet, un philosophe exprimait l’idée que, selon lui, il ne devait y avoir aucun lien entre morale et politique. J’ai objecté que j’étais d’accord sur la forme, mais pas sur le fond. Sur la forme, il est évident que la morale est une action qui se dirige plutôt vers l’individu, la personne humaine. Et que la politique, au contraire concerne le groupe, les groupes sociaux.
C’est évident que la morale est universelle « Tu ne tueras point », ce qui peut se concevoir comme valeur universelle.
La politique au contraire est particulièrement concrète, ça dépend des conditions de la société. C’est une politique différente d’un pays africain à celle d’un pays européen, asiatique, ou, latino-américain. Ce sont des politiques concrètes qui répondent à de situations concrètes.
La morale fixe des limites morales, la politique concerne plutôt les moyens, les moyens pour une vision, un objectif social bien sûr.
Mais je reviens au fond. On ne peut séparer les deux concepts, au-delà des discours que l’on fera sur l’un et sur l’autre, car la vie réelle est riche, plus complexe que toute théorie.
Je reviens sur une décision politique, celle du gouvernement américain en 1945 ; alors que le Japon est à genoux, la décision est prise de lancer la bombe atomique, non pas sur des lieux qui étaient des centres militaires stratégiques, mais sur une population, en violation des règles, violation morale le plus atroce, un crime ! Lequel rejoint la shoah.
Donc je résume, la politique sans morale est, corruption, c’est dictature, c’est égoïsme, ou le mépris de toute règle morale.

⇒  Sans entrer dans les arcanes philosophiques sur ce sujet qui appelle au pragmatisme, je vois que nous sommes chaque jour confrontés à la morale dans la vie politique. Je crois que la morale peut être utilisée par la politique, comme une espèce de  paravent. Si la politique est un art, ce sont tout de même des hommes qui sont à l’exercice ; je prendrais comme exemple, les canons moraux comparés de l’Afrique ou de l’Europe. Les hommes qui viennent en politique en Afrique, y viennent pour faire de l’argent, pour acquérir une notoriété. A partir de là, la morale disparaît totalement de la vision politique. Dans mon pays, le Congo, une partie de la population est sous le joug d’un pouvoir absolu. Le vivre ensemble est déjà entaché d’immoralité, les moyens pour la fin ne visent pas qu’à gérer des hommes, ou lutter contre la faim, mais à se faire du « pognon ».
Et ici en France, le gouvernement a mis en place une loi de moralisation de la vie publique, mais ça reste un leurre.

⇒  A ce sujet morale et politique, j’aurais préféré : morale et capitalisme, ou, politique et capitalisme, car c’est ce dernier qui dicte la politique.
Nous en avons un exemple d’actualité, avec les cas Monsanto qui arrive à « acheter » des gens ayant pouvoir de décision. Il y a de nombreuses décisions qui tiennent d’abord du gain, tant pis pour l’avenir.

⇒  Moi, je suis plutôt de l’avis de Machiavel dans le sens où, quand il écrit « Le Prince », il fait une différence entre moralité et politique, car sa vision était comment construire un État. Il mettait en exergue que pour être un bon prince, il fallait à la fois, être bon, et être mauvais. Il rattachait la morale à la religion, en disant (en gros) que le prince devait faire semblant d’être assez pieux, de le laisser croire à ses sujets pour que ces derniers le suivent. Il se servait de la morale religieuse.
De la religion découle la morale, de la politique ne découle pas la morale.
Si l’on regarde nos sociétés d’aujourd’hui, ce qui les a amenées là, on se rend compte que la plupart de ceux qui font de la politique, se sont détachés de la morale, sinon on n’aurait pas notre civilisation telle qu’elle est. En gros l’État n’a pas besoin de morale pour exister, et à partir de là, on peut l’en détacher.
Aujourd’hui, on parle de morale dans la politique, parce qu’il y a des gens qui fraudent… Mais si l’on regarde bien la morale, elle a été abandonnée. En laissant la morale de côté, on obtient certains progrès, je pense. Et aujourd’hui, même dans le domaine juridique par exemple, on se rend compte que les juges vont faire extrêmement attention, entre la morale et la loi, et ne pas tomber dans cette moralité qui pourrait biaiser le jugement. De même que cela pourrait biaiser une politique à mettre en place.

⇒  Je voudrais comprendre comment la morale peut être uniquement une affaire individuelle. Je ne vois pas comment on peut être dans une société sans se poser la question sur les valeurs morales de cette société. On est bien obligés de respecter les règles morales de la société, on ne peut pas se comporter en être asocial. Je veux bien qu’on dise qu’on puisse s’affranchir de la morale ; moi, je ne sais pas faire ça. S’affranchir de la morale, ça donne peut-être ce qu’on voit aujourd’hui, et je ne suis pas sûre qu’on y ait gagné en liberté. Je vois plutôt une société en train de se dégrader.

⇒  Je m’interroge quant à l’origine de la morale et peut–on la dater ? Je pense qu’elle vient des religions monothéistes qui avaient un message universaliste, et une volonté de définir des règles. Ceci dit, le système actuel, que nous subissons, a toujours existé, que ce soit sous les monarchies ou tout autre système. Depuis le néolithique, il y a toujours des divisions de classe, des exploitations immorales de l’individu.

⇒  Malheureusement, l’actualité met trop en avant des hommes politiques qui ont failli, alors que la majorité est « dans les clous ». Ces élus, ce sont des gens qui ont adhéré à des idéaux, qui ont adhéré à un parti. Ce qu’ils veulent c’est servir la société pour le bien public. On voit qu’il y a une majorité de ceux-ci qui ont une moralité qu’ils mettent en pratique dans leurs mandats ; on en a des exemples dans nos communes.
Et on a évoqué moralité et légalité, on ne peut pas les opposer. La légalité ressort du politique puisqu’elle découle de la loi. La loi au départ est basée sur la 1ère Constitution de 1789 avec les idéaux de la Révolution, et avec les droits de l’homme et du citoyen. Donc, il y a un substrat de morale dans la politique par les espoirs qu’on avait mis dans la Révolution, peut-être des utopies pour certains. Une loi reste morale, même si elle est modifiée comme la récente loi sur le travail. Là c’est : tu ne dois pas dire, – tu dois, ou, – tu ne dois pas le faire. La politique, c’est, il faut faire, il faut agir.

⇒  La politique s’occupe des lois, donc de légalité, et là il ne peut pas y avoir de morale. Je prends un exemple, l’ISF, c’est moral, ou ce n’est pas moral qu’on le supprime ? Certains vous diront c’est absolument immoral. On ne peur pas parler de morale dès qu’on parle de la loi.
Et, je ne crois pas comme l’a dit François Bayrou, que la morale est quelque chose de totalement personnel, parce que la morale est issue d’un consensus sociétal. La morale a toujours existé, et bien avant les monothéistes. Toute société a un besoin de s’organiser, ceci avant le juridique. Donc s’est établi ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire, d’ailleurs dans les hiéroglyphes en Égypte, on trouve déjà des préceptes moraux comme dans les fables d’Ésope ; on y dit ce qui est bien, ce qui est mal.
A partir du moment où il y a une société, il y a une morale qui se met en place.
Et je reviens sur cette décision politique de lâcher la bombe atomique. Initialement, elle devait être lâchée sur Kyoto, mais « on ne va pas détruire un potentiel intellectuel » aurait dit le Président des USA, « bombardez Hiroshima, là-bas ce sont des paysans ». Décision politique immorale ; mais en temps de guerre, il n’y a pas de morale ; la fin justifie les moyens.

⇒  Je ne suis pas un idéologue, je ne défendrai pas un dogme, car en politique nous sommes d’abord devant une éthique de responsabilité. En politique, nous évoluons entre :
A) Éthique de conviction, où mes décisions se plient à mon idéal politique, à un dogme.
B) Éthique de responsabilité, où la finalité de mon action comme objectif, définit les moyens, les actions. Les conséquences sont imputables à ma propre action.
Ce sont des aspects incontournables pour tout homme politique.
De ce combat entre éthique de responsabilité, et éthique de conviction, nous avons un exemple dans l’Histoire. Dans les années 30 Hitler va envahir les Sudètes, l’Autriche. En France, les pacifistes au nom de la paix, valeur universelle et première, s’opposent à ce qu’on lui déclare la guerre. Pendant ce temps il arme son pays, puis envahit la Pologne, et là l’éthique de responsabilité s’impose enfin, on lui déclare la guerre (un peu tard).
Alors ne s’en tenir qu’à la morale ne me semble pas toujours possible, ce qui n’évacue pas pour autant toute morale dans la politique. Envisager toutes les conséquences, la finalité d’un acte politique est aussi une action morale.
Parfois on peut avoir raison avec Sartre.
Parfois on peut avoir raison avec Aron.
Et je reviens sur une intervention dans laquelle a été dit que les hommes politiques s’étaient détachés de la morale, et qu’on ne pouvait pas faire de la politique en s’en tenant à la morale. Soit ! Mais si ce soir si nous avons eu ce débat, c’est parce que des hommes politiques défendant ce même principe, ont eux-mêmes amené ce sujet dans l’actualité, l’on « mis sur le tapis » lors de la dernière campagne électorale. On en débat, mais « ce sont eux qui ont commencé ! »
Et je voudrais argumenter, en disant que je continue à penser que morale et politique sont intimement liées. Je ne me résigne pas à cette séparation. Et si morale et politique n’ont rien à voir, alors ! Pourquoi le « Pénélope gate » ? Pourquoi tout ce battage ? Pourquoi la démission de trois ministres en quelques semaines ? Et si il n’y a pas de conscience morale collective, alors on risque de tomber dans la banalité du bien et du mal, on risque d’avaliser les propos qui disaient que la shoah était « un détail de l’histoire ».
Et je dirais maintenant, qu’on en vienne à édicter une loi pour la confiance dans une représentation démocratiquement élue, m’interroge ! Ces élus ont fait campagne. Comme moi, vous avez pu les entendre lorsqu’ils présentaient ce que l’on nomme leur « profession de foi ». Leur élection est déjà un « contrat de confiance ». Et ça ne suffirait pas !
Il me semble voir dans cette démarche, un des signes d’une crise démocratique, démarche qui révèle un substitut devant une incapacité pour des élus au niveau national de mettre en œuvre les promesses qu’ils ont fait ; devant l’impuissance publique.
Et enfin, question subsidiaire : la confiance sans la morale, est-elle possible ?

⇒   Je reviens sur le propos qui nous dit que les hommes politiques se sont détachés de la morale, oui ! Parce que ce sont des politiciens, et il faut distinguer homme politique, et homme politicien.
Et en ce sens, effectivement on peut reprendre le propos de Machiavel précisant que pour conserver le pouvoir, la fin justifie les moyens, et que ceux qui veulent prendre et garder le pouvoir, ne se préoccupent ni du bien ni du mal. Cela oblige, comme déjà dit de distinguer éthique et morale, et aussi se poser la question de savoir si la morale a existé de tout temps dans les sociétés. Il y a là-dessus pas mal d’études, en particulier, celle de Durkheim, qui a mis en évidence le fait que dans toute société, et pas seulement dans des sociétés religieuses, mêmes dans les sociétés primitives, il y a eu des règles du vivre ensemble, c’est ce qu’on appelle, la morale.
On a dit : « la morale ce n’est pas la légalité ». Et bien oui ! Mais on peut se poser la question de savoir si toutes les lois qui aujourd’hui sont mises en place sont toutes morales. Si elles étaient morales sous Hitler, sous Pol Pot. Si les lois sont morales avec Trump, avec Macron.
Pour dire que c’est moral, il faut que ce soit valable pour tous.
Et je reviens sur morale et éthique. C’est le philosophe Paul Ricœur qui m’a enseigné de façon plus précise la distinction dans son ouvrage « Soi-même comme un autre » ; il y a bien une distinction entre morale et éthique, selon que l’on met l’accent sur ce qui est estimé bon, bon pour moi, ou ce qui s’impose comme obligatoirement, bon pour tous. Alors au-delà de cette distinction, on va dire, oui ! ça c’est de la philo, à quoi ça nous mène ? Et bien on le retrouve dans l’actualité des débats dits sociétaux. Je prends deux exemples : celui du droit à la PMA (procréation médicalement assisté), et la GPA, (gestation pour autrui)
Le 15 juin 2017, le Conseil Consultatif national d’Ethique avoue son inquiétude devant l’expansion rapide du marché des mères porteuses. Donc l’argument, c’est que le droit au respect de la vie privée, exige que chacun puisse établir les détails et la substance de son identité d’Etre humain, y compris sa filiation. Mais cela est contradictoire avec le fait d’un contrat financier qui fait de l’enfant une chose, un objet produit. Mais le 5 juillet, la Cour de cassation décide que les parents, hétérosexuels comme homosexuels, ayant recours aux mères porteuses, peuvent être parents d’enfants nés à l’étranger, enfants d’une femme qui l’a porté et qui a été payée pour cela. Donc la loi qui s’oppose à la réification, à la chosification de l’enfant et l’exploitation de la femme,  est contournée au profit de désirs de certains adultes.
Et bien, je trouve que nous sommes victimes consentantes de cet affaiblissement de la loi, parce que nous sommes individualistes, et que nous confondons le désir individuel et l’affirmation d’une éthique personnelle, au lieu de chercher une morale humaine.

⇒  Il n’y pas de société sans morale, et je ne crois pas que la morale soit une question de religion, c’est une affaire de vie en commun, de droits civils et politiques.
On a parlé de guerre et de morale. Ça n’a pas de sens ! C’est en temps de paix qu’il faut de la morale, et la référence reste la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui préconise plus de justice morale, humaine pour tous les humains. La morale est sociétale.

⇒  S’il n’y avait pas eu l’affaire Fillon, je ne crois pas qu’on aurait eu tout ce battage. Et l’affaire Fillon, ce sont les journaux, c’est nous, qui avons amené ce nouveau gouvernement à faire cette loi. Laquelle loi n’a rien changé, un élu ne peut plus employer sa femme, mais peut employer son neveu.., et on n’a rien enlevé sur l’influence des lobbies. Malgré tout, même si les politiques sont là pour se reproduire, et chercher comment durer, comme le préconisait Machiavel, (le prince qui ne dure pas est un mauvais prince), la responsabilité morale nous dit que le reste de la société peut avoir des influences, et il ne faut pas s’en priver.

⇒ La morale est propre à chaque pays. En France le « lancer de nains » a été interdit sur le principe de la dignité et non de la morale. Alors que si l’on compare avec les États-Unis, chez eux c’est autorisé. Il y a des principes reconnus par la loi, d’autres reconnus par la morale.
Dans des sociétés, quand les lois n’existaient pas encore, des règles de morale ont encadré ces sociétés, ce n’était le fait de la religion. Clovis chef barbare, n’avait pas de morale, il s’est converti à une religion dont il a adopté la morale. Mais s’il n’avait pas auparavant de morale, il était quand même le chef d’une société.
Je pense qu’il faut faire attention entre morale et loi. Et il convient de bien les distinguer, car on a vu des lois immorales sous le régime nazi.

⇒  La morale ne nous est pas donnée comme ça, c’est quelque chose qu’on acquiert en grandissant, en fonction d’un milieu, à partir de l’individualité. Il faut tenir compte de la diversité, des catégories sociales qui suivant leurs propres intérêts établissent leurs valeurs morales.

⇒  Il y a une conscience morale individuelle oui, mais il y a aussi une morale collective prise en charge par l’État, c’est l’enseignement du civisme et la morale à l’école.
Les hommes politiques nous demandent d’être moraux, alors pourquoi eux, ne le seraient-ils pas ?

⇒ Il y a eu des théories philosophiques et économiques à la fois, dont celles des Utilitaristes, comme Jeremy Bentham, pour qui la finalité en politique était le bonheur ; le bonheur pour le plus grand nombre  d’individus,  dût-on pour cela en sacrifier quelques-uns.
Là encore, la fin justifie les moyens. Celui-ci aujourd’hui vous dirait sûrement que la bombe atomique a été « un mal pour un bien », car c’est « grâce » à ce grand carnage qu’on a pris conscience du danger extrême d’une guerre nucléaire et que cela a écarté ce grand danger depuis Hiroshima.
Je reviens sur la représentation politique et les obligations morales qui y sont liées.
Je pense par exemple à l’ex-Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso qui comme d’autres est aller travailler dans le secteur de la banque, en l’occurrence pour Barroso,  dans une officine  qui juge et note les finances des pays d’Europe.
Qui imagine le général de Gaulle après ses mandats de Président de la République allant travailler dans un organisme financier ? Ou aller « pantoufler » dans une grande société, ou monter un cabinet conseil ? Et (pour la petite histoire) on se rappelle que ce dernier,  arrivant à l’Elysée, a aussitôt fait installer un compteur électrique afin de régler lui-même sa propre consommation d’électricité.
Ces dernières années nous avons vécu des évènements qui ont particulièrement terni l’image de nos représentants politiques, de situations impensables il y a un demi-siècle.
Je pense aux deux Présidents de la République mis en examen. Je pense à Mr Cahuzac se parjurant devant l’assemblée Nationale. Je pense aussi aux réactions des gouvernements démocratiques, dont le nôtre, face aux lanceurs d’alerte.
Par ailleurs, pour souligner que conscience collective et conscience personnelle ne peuvent être totalement dissociées, même au-delà des oppositions : les vives discussions en 1975, sur la loi Veil prouvent que la morale, même si chacun se l’aménage un tant soit peu, que cette dernière a place dans le débat public.
Simone Veil avait présenté son projet de loi « pour la santé publique » (Ceci dira-t-elle, par prudence). Elle abordait en fait un problème moral qui touchait tous les Français, toutes les Françaises en premier lieu, et ceci au-delà des catégories sociales. Alors, conscience collective et conscience des élus, (conscience personnelle) étaient interrogées tout à la fois ; alors, la morale n’était pas qu’affaire de conscience personnelle. Ce fut également le fait d’une conscience collective qui a fait évoluer la société dans d’autres domaines, je pense aux lois contre le racisme, je pense aux lois contre l’homophobie.

⇒  Des lois établissant la discrimination positive peuvent sembler sortir de la morale, mais c’est rétablir plus d’égalité pour des enfants défavorisés, leur permettre d’accéder à des études supérieures.cela ne constitue pas un privilège ; c’est dans le sens de plus de justice sociale.
Et je reviens sur une action politique et politicienne. Aujourd’hui on parle beaucoup d’islamophobie, et dans ce sens j’ai vu un spectacle de Charb, (dessinateur qui est mort dans la tuerie de Charlie-Hebdo). Le spectacle s’appelle : «  Lettre aux escrocs de l’Islamophobie qui font le jeu des racistes ». Il dit tout simplement que l’usage du mot islamophobie est maintenant utilisé pour stigmatiser comme raciste toute critique des islamistes. C’est là une escroquerie, qui fait passer une idéologie totalitaire, le wahhabisme pour la totalité de l’islam. Et pour interdire de la combattre, au nom de l’antiracisme, et pour induire que la laïcité de l’État peut être un racisme persécutant les musulmans.
Cette escroquerie a amené certaines forces traditionnelles de gauche jusqu’à accueillir dans leur rang des militants autoproclamés, « raisinés », prônant la haine des femmes libres, de la République, et de l’esprit des Lumières
L’action politique qui vise des idéaux, qui vise un projet de société morale, pour tous, est alors ramené tout simplement à des calculs politiciens, à des objectifs électoraux, locaux ou nationaux.
Donc l’action politicienne, illustrée dans ce cas, ne se pose pas la question : qu’est-ce qui est moral ? Qu’est-ce qui valable pour tous ?

⇒ Nous n’étions pas dans ce débat pour faire le procès de nos élus. Bien sûr ! Ni de
quelque parti que ce soit. Je voudrais résumer ma pensée, ma réflexion, avec une formule dans l’esprit de Rousseau : Si j’aliène ma liberté naturelle pour contracter avec les autres (c’est le contrat social), j’entends m’associer avec des personnes ayant comme moi des valeurs morales. J’aurais du mal à m’associer à des personnes ayant  des valeurs morales à dimension très variable, ou n’en ayant pas. Quand je dois faire mon devoir de citoyen, je prends cela en considération.
Et enfin, je dirai que : si nos valeurs n’ont pas de valeur morale, alors, elles n’ont aucune valeur.

⇒  Texte d’Hervé : La morale pure c’est la paix. Elle est la vertu de la philosophie. Mais il est inconcevable que la vertu, puisse naître, se maintenir, et porter ses fruits dans une âme obscure et troublée.
Il est inconcevable que la vertu porte le désordre dans le milieu où elle s’exerce.  La racine de la morale est dans la conscience. Toute conscience est implicitement morale. « Travaillons à bien penser » dit Pascal, voilà le principe de la morale.
La raison ayant pour rôle principal comme dit Descartes, qu’apprécier les biens et les maux donne nécessairement une règle à notre conduite. Jean-Jacques Rousseau, même, a pu soutenir que la conscience est juge infaillible du bien et du mal. Toute pensée est espoir de dialogue et d’accord.

N.B. Nous avons souvent abordé des sujets relevant tant de la loi, de l’éthique que de la morale. Dans ce sens on peut vous recommander l’ouvrage de Michael Sandel (Philosophe états-unien) « Justice » où il aborde, entre autre les thèmes de GPA, de discrimination positive, etc

Référence, ouvrages cités.

L’Emile. Jean-Jacques Rousseau. Poche
Le Prince. Machiavel. Poche
Soi-même comme un autre. Paul Ricœur. Poche
Justice. Michael Sandel. 2016. Albin Michel.

Journal : Le canard enchaîné. N° 5043. 21 juin 2017

Emission. La politique est-elle un métier ? (Les chemins de la philosophie) France-Culture.  5 juin 2017 (Encore en Podcast)

Film. Mister Smith au sénat. De Frank Capra 1938
Film. L’assemblée, de Mariana Otera. 2016

Spectacle, de Charb: Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes.
(Présenté au  théâtre d’Alep à Ivry S/Seine)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Identité personnelle, identité collective

Restitution du débat du  27 septembre  2017 à Chevilly-Larue

 

Marie Laurençin. Apollinaire et ses amis. 1908. Musée de Baltimore.

Marie Laurencin. Apollinaire et ses amis. 1908. Musée de Baltimore.

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Vautrin.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: Nous sommes tous différents, et à la fois, nous sommes tous semblables. Avec toutes ses caractéristiques, notre identité constitue un caractère unique. Nous ne sommes pas des cellules dupliquées.
Qu’il s’agisse, de vous, qu’il s’agisse de moi, nous n’avons pas, parmi les milliards d’individus sur la terre, notre double ; porterait-il, porterait-elle, le même nom, le même prénom, il n’y pas deux ADN identiques
Alors, aborder dans un même débat identité personnelle et identité collective pourrait donner le sentiment a priori, qu’on aborde là deux sujets distincts, alors que les deux me semblent  inévitablement liés. Mais, même s’ils sont liés, on ne met pas la même chose dans ce terme d’identité collective.
Si mon identité m’appartient, si elle est aussi ma construction, elle ne peut se dissocier du groupe auquel j’appartiens, « Seul, je suis un primate » nous disait Albert Jacquart.
Donc entre identité personnelle, et identité collective, quels liens ? C’est la principale question de ce débat.
Si je devais tenter de définir les  fondements de la notion d’identité, j’énoncerais :

1°L’existence physique matérielle et les particularités physiques; une identité juridique avec les  éléments qui vont constituer notre carte d’identité nationale, un curriculum vitae, et divers documents administratifs.
2° Le tempérament, les spécificités d’un individu, soit notre identité morale, ce que nous sommes intrinsèquement, notre tempérament, notre singularité d’individu, et ce que nous pensons être en notre for intérieur, ce qui s’avère être aussi une identité subjective.
3° L’appartenance culturelle, l’héritage familiale, et communautaire.
4° L’appartenance à une ethnie, un clan, une  caste.., etc.
5° La reconnaissance de l’appartenance à un récit, tels le peuple juif, le peuple arménien, le peuple kurde…..
6° L’appartenance à une époque : génération d’avant, génération mai 68, génération 2.0
7° L’appartenance par origine à un lieu de vie, voire l’attachement à une région, à une nationalité, à une langue.
8° L’appartenance à une religion, à une confrérie, à un groupe culturel : rotary club, ou loge maçonnique, ou encore un  groupe sportif,
9° L’appartenance  à une activité, une profession : le monde du spectacle, le monde du sport, le monde médical, de la magistrature, de l’armée, etc.
10° L’appartenance à un univers social : soit l’identité sociale ou, d’une part la personne qui se montre aux autres, par convention, pour l’estime que l’on en retire, et, en même temps, la position sociale que nous occupons dans la société. Cette appartenance sociale est à ce point importante que parfois des chômeurs ayant perdu leur emploi peuvent avoir le sentiment d’une perte d’identité sociale, avoir le sentiment d’être exclus du monde du travail.
11° L’appartenance à un groupe ciblé de consommateurs, ou notre identification cataloguée par Google et autres organismes, nous place dans un groupe, une autre construction identitaire.
12° L’appartenance aujourd’hui à un réseau sur Internet : Notre identité peut être d’ordre numérique, notre identité s’affiche sur un « mur » en partage avec des centaines d’amis, de « followers » ; cette identité va aussi muter sur les réseaux sociaux où les individus s’identifient par alias. Pour certaines personnes cette identité virtuelle est un complément d’identité. Notre identité numérique est désormais enregistrée, stockée en yottabits

Notre identité est donc une identité de faits, de multiples aléas, un agrégat de situations.
Autrement dit : « Je suis moi et mes circonstances ».
   Alors, avant de voir les liens et interactions entre identité individuelle et identité collective, comment concevoir son identité individuelle ? En dehors du « connais-toi, toi-même », cette identité, représentation de soi, est inévitablement pour partie subjective, subjective entre ce que je pense être, et ce que je suis réellement.
Mon identité primitive est la base de la personnalité qui va se créer tout au long de la vie, avec ses traits identitaires acquis par mimétisme.
J’ai cherché à trouver les différences entre identité et personnalité. Il y a effet miroir, et les définitions parfois s’appliquent aux deux termes.
La personnalité a ses racines dans le mot « persona » qui en latin, désigne un masque ; « le masque à travers lequel (per) l’acteur fait retentir (sonat) son rôle ».
Ce qui ne veut pas pour autant dire que nous porterions tous un masque, qu’on ne montrerait qu’un personnage, que l’on serait comme dans un rôle.
Dans un ouvrage « Traité de la nature humaine », chapitre l’identité personnelle, du philosophe anglais David Hume, celui-ci évoque la notion de vacuité du moi, c’est-à-dire que notre identité n’est que construction de l’esprit, car nous ne sommes jamais le même homme, ou la même femme.  Que l’individu : « …traverse toute sa vie avec une identité, alors que nous ne sommes « nous » que par instants, par périodes, des périodes de notre vie ». Il évoque déjà ces « transformations silencieuses » du moi, de ce « moi diaporama », de ce moi évolutif.
Dans ce même sens, je dirai que j’ai tellement changé depuis l’adolescence, que je suis presque un autre, je suis un peu comme une voiture dont on aurait changé toutes les pièces, une à une, au cours des années, donc, le même et pas le même. Sûr que l’adolescent que je fus serait surpris de rencontrer celui qu’il est devenu.
Et toujours dans ce même ordre d’idées, dans son roman « Rue des voleurs » l’écrivain Mathias Enard, illustre cette situation : «  …jamais je ne pourrai retrouver celui que j’étais avant [….] la vie a passé depuis [….] la conscience a fait son chemin, et avec elle l’identité – je suis ce que j’ai lu, je suis ce que j’ai vu, j’ai en moi autant d’arabe que d’espagnol et de français, je me suis multiplié dans ces miroirs jusqu’à me perdre ou me construire, image fragile, image en mouvement…»
Alors pour conclure cette introduction, je dirai : si, « Je, est un autre » comme nous l’a dit le poète, en vérité : « je »,  ne cesse jamais d’être un autre. 


Débat

 

⇒ Si on est toujours confronté à un même milieu, je prends l’exemple d’une fratrie, à un moment donné, voire même assez vite, il y aura des identités, des personnalités différentes.

⇒ L’identité collective n’empêche en rien le développement d’une identité plus particulière, identique n’est pas au sens de « pareil ».

⇒ Le piège dans la langue française est qu’identité veut dire pareil (identique), ou alors, différent.

⇒ Un journaliste algérien relatant sa vie, explique que celle-ci commence à Sétif en 1954 (date et lieu qui reste dans la mémoire : début du conflit algérien). Aujourd’hui lorsqu’on me demande de remplir un document officiel, dit-il : je suis Français, je suis Algérien, je suis Franco-Algérien ?

⇒ Bergson, à propos de l’évolution créatrice, dit : « Dans notre identité, il y a, à la fois, une unité multiple, et une multiplicité « une ».
Bien sûr, une identité évolue, d’abord personnelle depuis l’enfance où l’on ne cesse de copier. Dans tous les aspects d’une identité, est-il possible de s’en inventer une autre ? Cela pourra-t-il se réaliser par clonage ? Et est-ce qu’un clone serait identique en tous points ?

⇒  Quand on a des enfants, on prend très vite conscience qu’ils ont chacun au départ une personnalité différente. Il y a quelque chose qui appartient intrinsèquement à l’individu depuis le départ. S’agit-il d’un héritage génétique ?
Et par ailleurs, quand on rencontre quelqu’un que l’on n’a pas vu depuis une quinzaine d’années, à certains propos, comportements, on se dit : « ah, c’est bien toi ! Ta réaction ne m’étonne pas ».  Il y a une constance, comme une essence de la personne.

⇒  Nous abordons, tempérament et caractère. Et mon sentiment est que : le caractère est une formation identitaire, par les acquis, l’éducation, et que le tempérament est ce « nous » intrinsèque, avec des caractéristiques de nature : affable, gentil, coléreux, curieux, stoïque, etc… Ce que toute éducation ne saurait modifier profondément.  On utilise souvent ces deux termes, tempérament et caractère, de façon indifférente.

⇔  Nous avons évoqué le clone, mais plus couramment nous avons les jumeaux, vrais ou faux jumeaux. On les habille pareil, tout petits, même nourriture, même éducation, ils reçoivent tout à l’identique, et hors l’aspect physique, avec les années l’identité personnelle sera marquante.

⇒  La racine d’identité est la même au départ. Au Moyen-Âge, « identité » est égal à « similitude », et puis le mot prendra une autre acception.
Reste cette question, qu’est-ce qui est permanent ? Qu’est-ce qui bouge ? Et comment reste-t-on soi-même ?
Quant à l’identité collective, cela rejoint : qu’est-ce qui fait qu’on se sent d’une communauté ? Ceci dans tous les domaines qui peuvent rassembler. Comment faire groupe et ne pas perdre son identité ? Cela nous rappelle que l’individu peut ne pas être pareil, « identique » dans le groupe, ou hors du groupe. Les foules par exemple peuvent tuer l’identité.

⇒  Plus on élargit nos connaissances intellectuelles par les personnes rencontrées, plus on apporte à notre identité, plus on échange, plus on peut se confronter à des idées différentes, plus on pourra sortir d’une identité statique, qui est presque toujours un manque de personnalité.

⇒  Nous nous construisons par mimétisme, mais un excès de mimétisme peut aussi ne pas faire croître sa propre identité. Il faut pouvoir sortit du désir mimétique.

⇒  Adolescent, j’ai puisé chez deux adultes (très différents) des traits de personnalité ; ceci chez l’un, ceci chez l’autre. Il y a un peu d’eux en moi, dans mon identité.

⇒  Nous avons des cellules miroir, consciemment, inconsciemment on mime, c’est aussi un  comportement de primate.

⇒  L’identité d’une personne n’est pas une étiquette où chacun pourra lire la même chose. Dans « identité » nous avons  « identique » ; suis-je identique à la description que je ferais de moi, suis-je identique à la description que d’autres feraient de moi ?
Nous sommes semblables, disais-je,  et nous sommes différents
Lorsque je dis cela, je pense inévitablement à ceux ou celles qui veulent se construire une identité, une personnalité, à partir d’une ou des différences.
Je pense à ceux qui d’une façon ostentatoire affichent une différence.
Ce sera pour certain de s’habiller d’une façon en-dehors de tous les codes vestimentaires, d’une façon parfois extravagante. Ce sera par exemple des cheveux verts ou bleus, voire certains percings, certains tatouages, tout cela pour se différencier, se donner une personnalité spécifique (peut-être pour palier un manque de personnalité). Et à l’inverse, je me pose la question de la dilution de la personnalité, comme dans une tenue vestimentaire, religieuse ou communautaire qui différencie sans différencier, créant l’anonymat (terme qui est le contraire d’identité).
Je m’explique : je pense à  la femme qui se voile, qui cache sévèrement son corps. Celle-ci se trouve d’une certaine façon, non identifiable.
Mon propos s’attache à des jugements de faits, et non jugements de valeur.  Je ne remets pas en question la liberté de se vêtir de telle ou telle façon. De même, la tenue vestimentaire quand tous suivent une mode, identifie et rend plus anonyme tout à la fois.

La question d’identité traverse particulièrement nos sociétés occidentales.
Il y a depuis quelques décennies des personnes bien avisées, qui donnent dans ce que j’appellerais un « humanisme de façade », et si vous êtes, homme – de plus de quarante ans – » blanc » et de plus hétérosexuel, vous êtes suspect d’être : macho, raciste, homophobe. Ces mêmes personnes souvent prônent l’indifférenciation sexuelle, soit une identité neutre.
Dans ce sens, aujourd’hui des lobbies réclament la possibilité d’inscrire cette neutralité sexuelle sur la carte d’identité, où, en lieu et place de sexe : masculin ou féminin, il serait inscrit : né homme, née femme, ce qui laisserait peut-être la latitude de définir ensuite le genre dont on se réclame.
Ce sujet d’identité sexuelle a été mis en avant lors de la dernière mandature présidentielle. Grand battage médiatique autour de ce sujet qui occultait l’incapacité d’agir sur des problèmes plus sérieux.
L’identité collective enferme l’identité personnelle. Les gens aujourd’hui peuvent plus facilement afficher leur identité, la société est plus ouverte aux différences. Il y a cinquante ans, aucun homme politique n’aurait osé avouer son homosexualité ; c’était toléré, presque naturel; si l’on était artiste, couturier, antiquaire… (Toujours les schémas identitaires).  Au-delà il fallait sauver les apparences, garder le masque. Ce sera Gide qui va oser « sortir du placard » avec son  œuvre «  si le grain ne meurt »… Mais le diktat identitaire ne disparaît jamais totalement, ainsi, par exemple, la quasi obligation dans certains quartiers pour une femme de porter le voile, est comme un diktat de l’identité collective.

⇒   Le désir d’uniformité peut découler d’un désir de ne pas se faire remarquer, et parfois sortir du schéma identitaire peut amener des difficultés. Ainsi pour prendre un exemple local, la peintre Rosa Bonheur, qui avait acheté ici dans la ville un hangar pour peindre ses œuvres de grande taille, avait dû demander une autorisation pour porter le pantalon, ce qui était plus pratique que la robe pour aller dans les abattoirs où elle faisait des croquis. Ainsi, elle a été avec Georges Sand parmi les premières femmes à sortir du marquage vestimentaire.

⇒  Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont se forme cette personnalité ? Qu’est-ce qui me distingue réellement des autres ? Qu’est-ce qui ne me distingue pas ? Et sur quoi repose finalement ce sentiment d’identité ? C’est d’un certain côté passionnant ; qu’est-ce qui nous rattache au nourrisson qu’on a été ? Qu’est-ce qui fait qu’on se réveille le matin, persuadé qu’on est bien celui qui s’est endormi la veille ? Cela m’interroge, comme cela déjà intéressait Locke pour qui notre identité est un corps, une histoire.
Et l’on a évoqué la question d’identité d’un éventuel clone ; ce qui nous rappelle que des laboratoires de neuroscience dans la Silicon Valley, travaillent à des systèmes humanoïdes en cherchant à transférer des esprits dans un programme. Le jour où l’on aura copié mon cerveau dans un disque dur, le disque dur, le programme, se demandera peut-être : « qui suis-je ? »

⇒  Notre identité est une richesse, richesse de la différence. Rendez-vous compte de toutes ces infinies caractéristiques, pas deux êtres pareils avons-nous dit. Comment la nature peut-elle faire une chose aussi extraordinaire ? Et nous avons évoqué la perte des états antérieurs, oui ! Mais tout n’est pas définitivement évacué, et nous n’oublions jamais l’enfant qui est en nous ; c’est le noyau sur lequel on s’est construit, une permanence dans le changement.

⇒  On se construit sur la différence avec les autres. Je recherche davantage des gens qui ont d’autres idées que les miennes.

⇒  Si on transférait la totalité d’une identité humaine à un système, à une machine, celle-ci deviendrait folle car nous sommes tellement divers en nous, être aux mille facettes, avec toutes nos contradictions, nos paradoxes, qu’elle ne pourrait s’y retrouver dans cette identité. On aime une chose aujourd’hui, on la déteste demain, c’est une infinie richesse d’élaborations possibles qui ne peuvent être modélisées. Cette identité est une somme d’incohérences que seul un humain peut gérer.
Notre identité est divisible indéfiniment, et opposable indéfiniment.

⇒  Se réclamer d’une identité collective, est dans un certain mode de pensée, souvent nommer « gaucho-intello-bobo » et très mal vu ; nous n’avons, vous diront-ils qu’une identité universelle. Mais il me semble que faire la promotion de ce fameux citoyen universel c’est aller vers nos pertes d’identité. On devient consommateurs standards, alors semblables, comme ces produits de grande consommation qu’on retrouve de Singapour à Toronto. De l’uniformité naît l’ennui.
Le philosophe Alain Finkielkraut dans son ouvrage, « L’identité malheureuse », reprend ce besoin d’identité, (je le cite) : « Dès le 12ème siècle la France rurale commence à migrer vers les villes. Ces premières villes n’offrent aucune structure pour créer du lien entre les habitants. Les nouveaux arrivants se sentent déracinés, ils ajoutent souvent à leur nom, celui de leur village, de leur lieu d’origine, ils ajoutent leur profession : boulanger, charbonnier, charpentier….C’est là, déjà,  un besoin d’identité, d’appartenance à un groupe. L’individu même si l’on vante le citoyen du monde a du mal à être le citoyen de nulle part. Mais cette notion d’être de quelque part, d’avoir des attaches culturelles et géographiques, qu’on retrouve dans cette définition maternelle de patrie, a tellement été dévoyée, qu’on ose à peine aujourd’hui l’employer ».
   Lorsqu’on évoque une identité française, le terme est parfois classé comme suspect. Une bien pensance, « intello-gaucho-bobo »  (la même déjà citée) vous dirait que se réclamer d’une identité française serait une attaque contre l’immigré.
L’identité collective, une identité nationale se construit en raison d’une langue, d’une histoire, d’un pays, d’un Etat (je n’utiliserai pas, par précaution de langage, le mot, nation). Nous sommes identifiés, nous autres Français, comme enfants de Voltaire, avec un esprit critique, un esprit de révolte, un attachement farouche à la liberté d’expression, à la liberté philosophique et religieuse, à la liberté sexuelle, ce qui n’est pas le fait de tous les pays. « …nous appartenions » dit Michel Serres dans son ouvrage, « Petite Poucette » « à des régions, [……] des cultures, rurales, ou urbaines, (Nous appartenons à) un sexe, un patois, un parti, la Patrie, etc […], ces collectifs ont peu à peu, à peu près tous explosé  Ceux qui restent s’effilochent.»                                                
L’identité, son identité, peut être une question qu’on ne se pose pas, mais elle peut aussi faire l’objet de questionnement, comme pour une personne ayant émigré, pour une personne d’une éducation différente du pays où elle vit. Ces questions vont être abordées différemment ; assumées, sans difficultés particulières, ou moins bien vécues.
C’est un sujet qu’on a voulu mettre en avant en 2009 avec la création très controversée d’un « Ministère de l’identité nationale et de l’immigration », et, là, le rapprochement de ces deux termes, le possible amalgame, avait choqué. La majorité des Français avait  refusé d’entrer dans ce débat. Nous avons dépassé ce discours, nous pouvons aujourd’hui parler plus sereinement d’identité.
Notre histoire, notre drapeau, nos drames vécus et surmontés, notre culture, un certain art de vivre, tout cela nous le partageons, et rares seront ceux qui veulent remettre en cause quoi que ce soit. C’est l’idée d’un pays, d’une patrie, c’est une idée qui a dépassé le nationalisme et tous ses dangers.
Alors que des pays affichent leur drapeau, leur identité, à tout bout de champ, ce qui frise parfois le nationalisme, les Français sont priés de mettre leur drapeau dans la poche. Pas un film du cinéma hollywoodien sans qu’apparaisse à un moment donné la bannière étoilée. Je vois des gens se promener avec des T-shirts ou pulls avec le drapeau des USA. S’ils le faisaient avec le drapeau français, ils deviendraient ipso facto suspects d’être des fachos, des nationalistes, des militants d’extrême droite.
D’une certaine façon oser se réclamer, sans aucune gloriole, de son identité française est devenu impudique, provoquant.., ce que nous explique très bien Alain Finkielkraut dans son ouvrage déjà cité.
Nous avons parfois entendu je suis musulman et français, alors que, Finkielkraut dit de lui: je suis Français et juif, tout comme la journaliste tunisienne, Sonia Mabrouk, qui affirme être Française avant d’être musulmane. Vouloir s’identifier d’abord à partir de sa religion quelle qu’elle soit, semble être un refus de vouloir faire société tous ensemble.
« Si l’identité personnelle » dit Henry Pena Ruiz, dans son ouvrage, La Laïcité « est une construction relevant du libre arbitre, elle ne peut se résorber dans la simple allégeance à une communauté particulière [….] nul être humain, n’appartient au sens strict à un groupe. »
   Parfois, identité personnelle et identité collective se fondent en un « on ». Ce « on »,  ce « tout et rien à la fois », est telle une casaque qu’on met et qu’on enlève. Par exemple : après la victoire du PSG sur l’OM, des gens qui ne se connaissent « ni d’Êve ni d’Adam, » qui n’ont parfois rien de commun, entament un « on » a gagné ! De même les soirs d’élection, le « on » l’emporte sur « eux ».

⇒  L’identité peut faire l’objet de manipulations. Ce fut le cas des enfants allemands qui étaient entièrement nazifiés, avec un symbole, un drapeau, jusqu’à une idéologie de la mort qu’ils intériorisaient, car en fait ils étaient vides d’identité personnelle.

⇒  L’identité liée à un étendard, à un drapeau que l’on doit hisser et saluer, ou la reprise d’un chant guerrier national, tout cela est un formatage d’identité nationale.

⇒  Toute appartenance à une institution peut créer de l’identité collective, laquelle est bien sûr au détriment de l’identité personnelle, au détriment d’une identité singulière.
On finit par acquérir des prêts à penser, un jargon, des réflexes qui finissent par enfermer plus qu’ils ne libèrent. Cela peut amener une pensée sclérosée parce que nous sommes dans un système fermé. Toute communauté est fermée.

⇒  Que ce soit dans une secte ou un autre mouvement, on est parfois fanatisés, il y a quelquefois un lavage de cerveau, destruction de ce qui était l’identité propre.

⇒  Oui, la jeunesse hitlérienne a été désidentifiée, elle a eu un substitut par de la symbolique, on crée de l’identitaire avec des symboles, avec des « grands récits » : le nazisme, le grand Reich, la race pure, race aryenne, ont été de ces « grands récits ».
Dans ce même sens, les événements, les époques, peuvent décider des orientations identitaires. Qui avait 20 ans en 1936 pouvait fort bien être attiré par les idées communistes, c’était le grand récit de l’époque.

⇒  Je suis fière de ma nationalité, je ne mets pas mon drapeau dans ma poche. Si j’allais à l’étranger, ça ne me gênerait pas de porter un T shirt bleu blanc rouge. Pourquoi ne pas avoir la fierté de son pays ?

⇒ Je ne dirais pas forcément que je suis fier de mon identité française, mais je dirais plutôt que je suis content d’être Français, content d’être né dans le pays des droits de l’homme.

⇒  Au niveau de l’enfance, où se définit pour beaucoup l’identité, il y a des méthodes éducatives qui semblent plus favorables à ce développement d’identités singulières. Je pense à l’école Freinet, à la méthode Montessori. Ceux qui ont fréquenté ces écoles en garde de beaux souvenirs et reconnaissent combien cela a été déterminant dans leur construction d’identité.

⇒  Les camps de concentration, ont été les lieux des pires méthodes de désidentification, l’individu étant ramené à un simple numéro tatoué sur le bras.

⇒  Une identité personnelle, son identité personnelle, est parfois difficile à définir, tant elle est fonction des divers éléments, mais cela se complique avec l’identité collective. Et, est-ce que l’identité française vraiment, ça existe ? Est-ce que l’identité collective c’est la somme des identités individuelles ? Ou quelque chose d’impalpable au-dessus de cela ?
On dit par exemple, les Français aiment le fromage. Mais moi, je déteste le fromage. Et aussi, on voit que lorsqu’un collectif doit prendre une décision, aussitôt on voit réapparaître les identités individuelles.

⇒  On se pose la question, quand voyons-nous une identité collective à caractère national ? Un exemple nous avait été donné avec la grande marche « Nous sommes tous Charlie ». Après les tueries de Charlie-Hebdo, des millions de Français sont sortis spontanément dans la rue, les drapeaux tricolores ont été mis aux fenêtres. Il y a eu synthétisation d’une identité française autour de valeurs communes, comme la liberté de penser, la laïcité.
Et la question qui semble posée quant à cette identité collective, (question philosophique) serait : est-ce que le tout est plus grand que la somme des parties ?
En fait, l’identité française ne sont que des caractéristiques. En dehors des clichés, c’est  globalement: nous sommes comme cela, ou comme cela.., et c’est vrai qu’on n’aime pas tous le fromage !

⇒ Pour moi, ma nationalité française c’est une fierté. Une fierté, et une reconnaissance à notre passé, de tout ce qui a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui. C’est à la fois de l’amour pour ma patrie, et de l’attachement.

⇒  Le problème d’identité collective se pose aux personnes immigrées, arrivées récemment.

⇒ Souvent ces nouveaux arrivants se regroupent autour d’une communauté de leur pays d’origine, leur base identitaire individuelle comme collective ; puis les enfants par les fréquentations d’écoles, d’autre ados, vont peu à peu partager deux identités, lesquelles peuvent (il faut l’espérer) être complémentaires, mais aussi parfois poser question ; ainsi que l’explique d’une certaine façon l’écrivain académicien Henri Troyat dans « Étranger sur la Terre », ouvrage qui évoque l’intégration des « Russes blancs » au début du siècle dernier (je le cite) : « Tout à coup il se demande si un Français éduqué en Russie, n’était pas plus Russe qu’un Russe éduqué en France, et, quelles étaient les parts de l’hérédité dans la formation de l’individu ». C’est le problème que connaissent nombre de jeunes, enfants de parents immigrés récemment, lesquels deviennent des étrangers dans le pays de leur parents, et qui peuvent pour certains, ne pas se sentir totalement Français, en France.

⇒  Dans un ouvrage récent, « Le grand remplacement » l’écrivain Renaud Camus, (auteur très controversé pour avoir en un temps appartenu à l’extrême droite) dit en substance : « l’identité n’est pas qu’une question d’origine, que c’est aussi une question d’adhésion, adhésion au pays choisi pour émigrer, adhésion au pays d’accueil. Si l’identité française est rejetée par des jeunes issus de l’immigration, (c’est toujours l’auteur qui parle), c’est parce qu’il y a un manque d’enseignement à l’école des valeurs démocratiques ».
Et je retiens de cet ouvrage, plus particulièrement ceci : « … notre précieuse identité française est celle d’un peuple de « bâtards ». J’ajouterai que de fait, dans notre identité française, dépassé le fameux « gaulois » il y a culturellement ou physiquement : du Grec, du Romain, du Wisigoth, du Viking, de l’Italien, du Polonais, etc…Tous ces apports, ce patchwork,  ont fait un peuple et notre identité française.

⇒  Heureusement, nous avons dépassé les thèses de Gobineau, de son ouvrage, «  De l’inégalité des races » (1855), où nous avions là aussi, une grave dérive identitaire.

Références/ Livres

Traité sur la nature humaine. David Hume. Poche.
Rue des voleurs. Mathias Énard. Acte sud. 2014.
Etrangers sur la terre. Henri Troyat. Editions de la table ronde/ Famot. 1950)
L’identité malheureuse. Alain Finkielkraut. Stock. 2013
Petite Poucette. Michel Serres. 2012. Edit. Le Pommier.
La Laïcité. Henri Pena Ruiz. 2004. Collection Corpus.
Le grand remplacement. Renaud Camus. Editeur. 2011.  David Reinharc.

 

 

 

Ciné-philo autour du film: Lion

                          Ciné-philo   à Chevilly-Larue
En partenariat avec le cinéma du théâtre André Malraux
Restitution du débat du 22 mai 2017

Affiche:, Lion. Image promotionnelle

Affiche:, Lion. Image promotionnelle

 Film de Garth Davis. Oscars 2017. 6 nominations

Thème du débat : «  Peut-on vivre sans ses racines » ?

Débat : ⇔ On peut penser que ce film a été sponsorisé par la marque « Kleenex » ; on dit même qu’il a été vendu autant de paquets de mouchoirs que d’entrées, (c’est pour rire). Néanmoins pendant la projection j’ai entendu souvent des gens qui se mouchaient. Bien sûr il y a de l’émotion ; je reconnais que lorsque je vois les yeux de Saroo dans la baignoire regardant sa mère adoptive, je craque, il a un regard d’une telle profondeur cet enfant.
Alors, bien sûr, il y a des gens qui ont dit, c’est un film pour faire « pleurer dans les chaumières », soit ! Mais c’est tout de même une histoire vécue, même scénarisée, avec sûrement des petits rajouts. Cela reste du beau cinéma qui parle au cœur de chacun (enfin si on en a). Ce qui serait intéressant, ce serait de connaître pour chacun de nous, quelle est l’image, le moment qui vous a le plus marqué ?

⇒ C’est la complicité des deux frères qui m’a marquée, cette fusion, leurs regards lorsqu’ils sont dans leurs lits.

⇒ Nous avons deux personnages Saroo, l’enfant puis l’adulte, lesquels se cherchent. Mais c’est l’enfant le plus émouvant, celui qui nous marque le plus.

⇒ On a le sentiment que Saroo adulte est tout à coup arrêté, il n’arrive plus à se projeter dans le futur, bloqué tant qu’il n’a pas retrouvé son passé.

⇒ De même que tant qu’il na pas résolu ce problème de ses racines, il n’arrive pas à s’investir dans une vraie relation amoureuse. Il n’en a pas les moyens tant qu’il n’est pas lui-même.

⇒  Il lui manque une part de lui-même. La psyché est, nous dit-on, constituée de ce que l’on est à cet instant, et de ce qu’on a été à tous les moments de sa vie ; cela semble bien s’appliquer au personnage.

⇒ Ce qui m’a marquée, c’est l’instinct de survie, de préservation. Lorsqu’il est recueilli par cette femme à Calcutta, et que vient cet homme, il sent quelque chose en lui qui lui dit « attention danger ! »

⇒ Ce qui nous rappelle que chaque année 80.000 enfants disparaissent en Inde. Quels médias en parlent ? Quels journalistes d’investigation enquêtent ? Alors qu’on nous assomme des péripéties des élections aux USA (par exemple). Alors, que deviennent  ces enfants, et qui s’y intéresse ?

⇒ On peut craindre qu’ils ne soient vendus, livrés à la prostitution.

⇒ Ou pire, qu’ils ne fassent l’objet d’un commerce d’organes.

⇒ Oui, lorsque recueilli par la jeune femme à Calcutta, le monsieur qui vient le voir dit à la femme : «  c’est bien ce qu’ils cherchent »  Donc on peut penser à la vente d’enfants, voire d’adoptions en dehors des lois des différents pays.

⇒ Une image qui est marquante, et qui me semble est un tournant du film, c’est celle des beignets, les « jalabis », c’est un déclic, et tout à coup resurgissent des souvenirs enfouis.

⇒ C’est la réminiscence de la « madeleine de Proust ».