Quelle place pour le doute?

L'âne de Buridan. Estampe

                                                                                 L’âne de Buridan . Estampe.

Restitution du café-philo de Chevilly-Larue du 3 juin 2023

Animation: Thibaut Simoné.  Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : « Le premier pas vers la philosophie est l’incrédulité »  (Diderot) Ce mot est tout autant chez lui, le refus de la croyance religieuse, que le refus des choses a priori, ce que l’on nomme aussi le scepticisme (j’y reviendrai).Le mot Doute vient du latin « Dubitare » balancer..
Balancer peut être entre deux possibilités. C’est,  être certain qu’une de ces deux propositions est bonne. Cela ne semble pas correspondre à l’esprit français qu’on dit « cartésien ».
Dans certaines langues, certaines cultures, le doute n’est qu’affaire d’analyse et d’expérience, dans notre approche française, le doute n’est pas toujours dépassable. C’est oui, nous savons, mais !
Mais !  Parce que nous savons que dans bien des domaines, des certitudes inoxydables (expression de Jankélévitch), des vérités scientifiques ont été renversées par des connaissances nouvelles.
Toutefois le doute ne doit pas nous empêcher d’agir, ou alors nous nous retrouvons dans la situation de notre ami l’âne ; l’âne de Buridan qui hésitait entre manger de l’avoine dans le sac devant lui, ou boire dans le seau à côté du sac d’avoine, il a tant hésité, nous dit l’histoire qu’au 107ème jour il est mort.
Donc, le doute parfois ne peut pas empêcher d’agir, on ne pas toujours rester dans la suspension de jugement des sceptiques (l’époché).
Le mot sceptique vient du grec SKEPSIS, soit ; recherche critique, examen, il est refus d’admettre une chose sans un examen critique. Les sceptiques pèsent les  raisons et finalement optent pour ce qui leur paraît le plus sage, ils dépassent le doute, et agissent. D’autres sceptiques que sont les pyrrhoniens, eux, doutent de tout, et suspendent leur jugement, et ne peuvent se prononcer.
Pour certaines personnes le doute les met dans l’embarras, dans l’embarras à ce point que cela empêche toute action, comme pour l’âne, alors ils vont prendre l’option d’agir comme le plus grand nombre, opter pour ces vérités inoxydables; ils ne peuvent pas vivre dans l’incertitude, le doute est tel le sol qui se déroberait sous leurs pieds. Alors ils vont se rabattre sur les jugements a priori, se conformer au « tout le monde pense comme ça,»  « tout le monde fait comme ça ».
Mais, vivre, c’est en raison, dépasser le doute.
Si je doute de moi, du moins si je doute trop de moi, je me ferme l’avenir, je me prive d’entrée, de tous les possibles. Et c’est justement parce, oser vivre, en conscience du doute, c’est se donner des chances, des chances de surprises agréables, de découvertes, de rencontres, que je pourrai me réaliser.

 

: Débat: Il existe plusieurs sortes de doutes. Où situer le doute ? nous voyons :
Le doute en général, le doute comme incertitude sur la réalité d’un fait ; le doute sceptique (déjà cité) ; Le doute cartésien, où comment douter raisonnablement en analysant, le doute qui suscite réflexion ; le doute et la philosophie, celui qui libère des dogmatismes, car : « l’ennui dans ce monde » nous dit Bertrand Russel « c’est que les imbéciles sont sûrs d’eux, et que les gens sensés  plein de doute ». Le doute traverse toute la société, lequel est nécessaire pour l’évolution de cette société. Mais le doute systématique peut engendrer la suspicion, qui va jusqu’au complotisme, aux fake news comme nous l’avons vu lors de la crise de la Covid 19.
Aujourd’hui le doute s’inscrit dans des nouvelles technologies, tel ChatGBT, où le faux se déguise en « vrai », où des avatars se substituent au réel.

⇒ Il existe au moins deux sortes de doute, il est comme le sérum et son poison ; le doute utile et le doute malsain. Le doute utile qui permet l’analyse,  les bons choix, celui qui évite les catastrophes. Puis le poison ; celui  qui est instillé par un tiers. Celui qui vous empoisonne, qui vous met dans l’embarras, qui va à l’encontre de mon raisonnement, qui peut vous culpabiliser…
Sortir du doute, peut être, écouter d’autres avis, pour retrouver la confiance

⇒  Il y a un mot que j’ai entendu, c’est le mot confiance, j’aime bien ce mot ; actuellement nous vivons dans une époque de diverses informations, dans un flux permanent, flux dans lequel on ne peut pas tout vérifier. Par conséquent, quand une information nous intéresse, il nous réfléchir si nous pouvons faire confiance à la personne qui en est la source. Par exemple, si j’entends un cosmologiste qui nous explique que l’univers observable a 10 milliards d’années, bien sûr je lui fais confiance.

⇒  Le doute c’est le contraire de la certitude. Entre les certitudes, la croyance, et la foi, le chemin est très court. Le doute me fait penser que ce que l’on tient pour vérité n’est que vérité visible, et toute vérité doit pouvoir être réfutable ; c’est le  rincipe même de la science. La science n’avance que, parce qu’à un moment donné un collectif se trouve d’accord sur certains points, puis un autre collectif viendra qui va démontrer que ce n’est pas ça, ou que c’est  plus du cela ;
Je suis assez d’accord qu’il faut dépasser le doute pour avancer,  mais ne pas avancer des choses bêtement, car il faut que l’on doute du doute.
Mais le doute du doute a déclenché le complotisme, et il se trouve des gens qui ne vivent que dans le complotisme permanent. Donc il faut douter de ce qui voudrait qu’on soit manipuléComplotismes, que tout soit complot. Il faut faire confiance à un certain nombre de spécialistes, mais aussi garder notre jugement quant à ces spécialistes, car une information peut  avoir aussi ses charlatans. Donc il faut être confiant et vigilant à la fois, le doute nous y oblige.

⇒  Etienne Klein différencie le doute et le soupçon. Le soupçon est pour lui le négatif ; le doute se posant lui à priori face à une affirmation, là où le soupçon est le refus de ce qui se passe, et le complotisme étant lui un refus sans aucun questionnement de l’intelligence, de la raison.
Donc il y a différence entre doute et soupçon, ce que reprend la philosophe Eléna Pasquinelli, qui elle, travaille sur la conscience, sous les différents positionnements de la conscience en lien avec la société, individuelle ou collective, et l’unicité du doute.
Elle questionne notre rôle, et celui dans la société qui n’a pas confiance dans ses institutions. Donc pour moi, la question est : comment se prémunir du soupçon, et passer à un doute raisonné ; à titre individuel et aussi à titre collectif ? Comment favoriser un doute qui ne crée pas des sociétés complotistes ? Et à l’inverse comment créer une société de la confiance, quand cette confiance est basée sur une  confiance à  diffuser et à partager.
Ce n’est pas le cas dans nos institutions scolaires d’apprentissage de la confiance, et de la compréhension ; ceci dans le sens que ce qui donne la confiance n’a pas lieu et donc la présence du doute est très présente chez les jeunes.

⇒  Quand on parle de doute, on parle parfois de doute métaphysique ; y a t-il quelque chose là-haut de suprême, y a-t-il vraiment quelque chose après la mort ? Ce doute est astucieusement exploité par un dénommé Blaise Pascal, qui propose rien de moins qu’un pari, pari dans lequel il dit : Vous pariez sur l’existence de Dieu ; vous n’avez pas investi grand-chose, et voilà qu’il existe, vous ramassez le pactole, la vie éternelle …,  vous refusez de parier, et voilà qu’il existe, vous perdez non seulement gros mais vous voilà condamné à la damnation éternelle.
Et vivre sans la confiance n’est pas concevable pour certaine personnes, il faut une croyance en quelque chose, quelque chose qu’ils ne remettront jamais en question, ainsi à l’extrême on parle de la foi du charbonnier :

« Le diable un jour demanda à un malheureux charbonnier
-Que crois-tu ?
Le pauvre hère répondit :
– Toujours je crois ce que l’Église croit.
Le diable insista :
– Mais à quoi l’Église croit-elle ?
L’homme répondit :
-Elle croit ce que je crois»Le diable eu beau insister ; il n’en tira guère plus et se retira confus devant l’entêtement du charbonnier. (Fleury de Belligen. Grammairien du XVIIème s)

⇒  Clément Victorovitch a été présenté dans une émission qui avait pour titre «  Eloge du doute » dans laquelle il nous parle de la différence entre les valeurs d’un auteur qui peut nous affirmer  des faits de manière scientifique, ou, affirmer avec des arguments, lesquels sont parfois biaisés. Et l’on parlait alors de doute quant à la chloroquine ; lors de la crise de la Covid 21 avec une personnalité scientifique qui proposait de soigner les effets de cette maladie, laquelle était en opposition totale avec des scientifiques de ceux qui osaient même dire, « – je ne sais pas » ; Donc le doute s’est répandu sur les réseaux sociaux, et les algorithmes  ramenaient toujours sur des publications qui affirmaient l’efficacité de ce traitement, c’était le billet de confirmation.
Ce billet de confirmation en fait était augmenté par toutes les recherches qu’on peut faire sur Internet, et par des articles, lesquels avec le fonctionnement des algorithmes nous ramenait toujours vers des articles allant dans le même sens ; donc, des articles où le doute est effacé, supprimé, puisqu’on va toujours dans le sens de ses certitudes antérieures.
Et je me suis replongée dans un ouvrage de Gerald Bronner «  Apocalypse cognitive » qui nous dit que le déferlement de l’information a entraîné une concurrence généralisée  de toutes les idées. En fait il n’y avait pas de hiérarchie entre les informations provenant de scientifiques aguerris, et d’information provenant de « margoulins », qui énonçaient des informations à l’emporte pièce.
De toutes ces lectures j’en ai tiré un petit texte.
Le doute fait que l’Être humain  ne se contente pas d’être au monde, mais de penser le monde et de l’interroger, et aussi se faire violence en ne s’appuyant pas sur des certitudes, comme de ces fameuses certitudes qu’on nous a assénées lors de la pandémie.
C’est inconfortable, alors maintenant comme dans les siècles passés il est difficile de dire « je ne sais pas » ou, « je ne suis pas sûr ».
Avoir des doutes doit donner le temps de comprendre, de réfléchir. Dans une époque où tout va très vite, où il faut prendre des décisions rapidement, le doute est mal perçu, il n’a pas sa place.

⇒   La peur n’a pas sa place avec le doute, on a besoin de certitudes ; et certains scientifiques parlent avec éloquence, tel un certain professeur lors de la crise de la Covid 21. C’est problématique, car l’éloquence de la parole ne correspond pas à la justesse de la pensée.
On a vu que la recherche et la science ce n’est pas la même chose, que la recherche est chronophage, et que si sur un plateau de télé, si vous dites « je ne sais pas », vous n’êtes plus invité.
Une la société est parcourue par deux courants : conséquence de cela, c’est que cela crée le doute envers la communauté scientifique.
Etienne Klein cite un philosophe anglais, Bernard Williams, lequel dans son ouvrage «  Vérité et véracité » explique que la société est parcourue par deux courants de pensée qui normalement devraient s’annihiler mutuellement, mais au contraire, ils se renforcent. Il dit : la terre est parcourue, et par la recherche de la véracité, et par le refus d’être dupe, donc la tradition du doute, c’est qu’il est complètement légitime en démocratie, mais cette permission de douter va se muer, en hyperthrophilie. Et cette hyperthrophilie va en venir jusqu’à nier le fait qu’il puisse exister des énoncés fiables, et des énoncés dont il est compliqué de mettre en doute ; c’est un vrai danger démocratique. C’est ce que dénonce Pascal Bronner dans « La démocratie des crédules » .

⇒  Il nous faut toujours bien définir ces deux mots, certitude et conviction. La conviction est une « vérité admise » qui ne clôt pas la recherche de vérité, c’est ce qui me paraît en toute honnêteté comme étant vérité, ce qui me paraît plausible, ce à quoi on pourrait s’en tenir. Politiquement et socialement il me faut des convictions, mais je ne les considère pas comme « vérité en soi ». Avec l’âge, les événements, mes convictions ont changé. La conviction n’est pas la sortie du doute, elle ne s’apparente nullement à une certitude, car dans la conviction la part du doute n’est jamais réellement éliminée. Les certitudes sont des prisons.

⇒ Le doute mène à une petite inquiétude, et le professeur qui lors de la Covid 21 aurait dit « je ne sais » pas nous aurait encore plus inquiété. Il y a quelque chose d’intéressant dans ce rapport : autorité, doute. L’autorité qui doute cela crée la crainte, mais aussi à la recherche de discernement.
J’ai bien aimé cette idée que le doute fait naître l’inquiétude.

⇒  Dans nos sociétés occidentales, nous ne sommes plus éduqués à une société de certitudes, en opposé, je pense à une population qui vit dans une incertitude complète (exemple Haïti) liée aux différents événements climatiques, géologiques…, cette société là, a un rapport au doute et à la certitude, de pensée très différente à la nôtre. Là, j’ai entendu dans ce débat quatre expressions importantes : le doute pose problème parce qu’il génère émotions, peur, de la douleur, que ça nécessite d’affronter la complexité. Mais finalement le fait qu’il n’y ait pas de réponse unique, ça régénère des émotions, ce qui n’est pas pour autant « bêbête ». Le doute est une notion qui est fondamentalement du ressenti par l’individu, et si l’on n’a pas ça en soi, je me demande d’où cela peut venir ; de l’éducation ? Mais quel est le véritable fondateur du doute en nous ? Difficile à expliquer, c’est quelque chose qui jaillit, c’est comme une source ?

⇒  Il a la place du doute sur certaines thématiques et pas d’autres. Je pense que, de par notre éducation, nos expériences, notre environnement, on peut avoir des doutes sur certains thèmes, et des certitudes sur d’autres, et ce n’est pas la même chose pour chacun d’entre nous.
Il y a un terme anglais « Working progress » qui nous dit que nous sommes toujours en progression, et le doute lui-même nous permet de progresser, cela sur certains thèmes, et d’autres un peu moins, voire pas du tout.
Pour finir je voudrais cité jacques Audiard  pour qui :  les cons ça ne doute jamais et c’est même à cela qu’on les reconnait.

⇒  Alors pour réponde à une question entendue ; comment le doute s’installe en nous ? et bien, c’est parce que ce monde est plein de pièges, rempli de gens qui peuvent vous mentir. Si l’on vivait dans un monde bisounours, nous ne connaîtrions pas le doute, mais nous ne sommes pas Candide. Le doute s’installe avec le vécu, le doute est un élément de survie.

⇒ Oui on peut penser que dans les temps lointains celui qui na jamais douté, et bien, il est mort. De ce fait il n’a pas laissé de descendance. Le doute a ainsi participé à la sélection naturelle.

⇒  Je reprends la question : qu’est-ce qui permet de douter ? On a dit c’est volontaire, c’est ressenti, on a ajouté, c’est expérientiel, je rajouterai deux éléments : ça nécessite la curiosité, et la curiosité on l’a chez l’enfant avec la confrontation au monde. Après effectivement, vient l’édu cation, le rapport à la volonté d’aller affronter la douleur, c’est cette curiosité qui fait continuer à douter, même si parfois ça peut être douloureux.

⇒ Il y a ressenti, et puis il y a un peu d’insti nct. Vous avez un ami, un conjoint, vous sentez quelque chose qui ne va pas, et vite le doute s’installe.

⇒ Est-ce que le doute ne ferait pas partie de notre part animale

⇒ Quelqu’un dit:
– Tiens ? Un ange passe !
alors que l’ange, il ne l’a pas vu passer !
S’il avait le courage, comme moi, d’observer le silence en face, l’ange il le verrait !
Parce que, mesdames et messieurs, lorsqu’un ange passe, je le vois !
Je suis le seul, mais je le vois !
Evidemment que je ne dis pas que je vois passer un ange,
parce qu’aussitôt, dans la salle, il y a un
doute qui plane !
Je le vois planer, le doute !…
Evidemment que je ne dis pas que je vois planer
un doute parce qu’aussitôt, les questions:
– Comment ça plane un doute ?
– Comme ça ! (geste de la main qui oscille)
– Comment pouvez-vous identifiez un doute avec certitude ?
A son ombre !
L’ombre d’un doute, c’est bien connu… !
Si le doute fait de l’ombre, c’est que le doute existe… !
Il n’y a pas l’ombre d’un doute !
Et l’on sait le nombre de doutes au nombre d’ombres !
S’il y a cent ombres, il y a cent doutes.
Je ne sais pas comment vous convaincre ? !
Je vous donnerais bien ma parole, mais vous allez la mettre en doute !
(Raymond Devos)

 

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