Peut-on être authentique en société?

 

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Restitution du Café-philo du 26 novembre 2022 à Chevilly-Larue

Animation:  Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Je défendrai d’abord l’idée qu’il faut être authentique en société.
1° Celui qui est naturel, qui ne se fait pas une personnalité autre, donne confiance, et nous savons que la confiance des autres nous donne confiance en nous.  Être authentique en toute circonstance, c’est déjà croire en soi.
2° Celui qui est faux, qui se forge une personnalité qui n’est ni lui, ni elle, s’enferme dans un personnage, qu’il ou elle doit ensuite assumer.
3° Je me dois de pas me déguiser car je souhaite rencontrer des gens qui ne se déguisent pas.
4° Comme je suis pour les autres, ou un autre, à mon tour un élément de « la société », j’ai plaisir à rencontrer des personnes vraies avec leurs différences, leurs particularités, leur approche différente de choses.
5° La société, enfin disons,  les autres, ceux que l’on fréquente, peut-être qu’ils nous donnent en miroir une image de nous : « Quant à ceux (nous dit Aristote dans l’Ethique à Nicomaque) Qui aspirent être honorés par les gens honnêtes, et bien au courant de leur situation, ils visent à confirmer l’opinion intime qu’ils ont d’eux-mêmes »
Et il ajoute  » Ils se réjouissent donc de constater qu’ils sont hommes de bien sur la foi du jugement de ceux qui le déclarent »
Et enfin, et cela viendra dans le débat,  il est des milieux, des univers sociaux, milieu des affaires,  du spectacle, où les gens affichent un personnage de vie publique, je pense par exemple à ce que furent les cours royales, et d’autres milieux dans la société actuelle
C’est ainsi que Rousseau, peut-être en réaction devant les mœurs bourgeoises, de son époque,  écrira ces lignes : « Sans cesse […..], la bienséance ordonne : sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce que l’on est; et dans cette contrainte perpétuelle [….] on ne saura donc jamais bien à qui on a affaire [….]…»  (Discours sur les sciences et les arts)

: Débat, G: Je me demande
1° qu’est-ce qu’être authentique ?
2° et, qu’est-ce qu’une société dans ce cas ?
Être authentique avec soi? oui ! à moins d’être dans un faux self. Mais dans une petite société d’amis, c’est pas la même chose que d’être dans un débat public, par exemple. Dans un débat public, on est amené à jouer un personnage public, on est dans un rôle social, rôle attendu de la part des autres. Être authentique dépend alors de la situation.
On ne peut pas être tout le temps soi, ni vrai, ni naturel.

⇒  Être ou ne pas être authentique ai-je entendu, ça dépend de la société dans laquelle on se trouve, et j’ajouterais ça dépend  de soi et du projet qu’on peut avoir vis-à-vis de la société.
Je suis encline à penser de cette façon, et je me pose la question : comment, moi, je peux être authentique en société ?
Et, seconde question, qui,  peut être authentique en société ? Ce mot « authentique » est « un composé de « auto » et de « heuter » « qui réalise » (terme indo européen » (Dictionnaire  historique de la langue française d’Alain Rey), et j’ai regardé du côté des synonymes, cela va de : vrai, véritable, conforme à la réalité, sincère, naturel, conforme à moi-même… Alors, une personne authentique, c’est une personne conforme à sa nature, à son vrai moi.
Et bien oui : mais le vrai moi, c’est quoi ?
Donc, je me suis rappelé que Sartre dans « L Être et le néant » dit que ce qui caractérise l’Être humain, c’est sa capacité d’exister, c’est-à-dire, de sortir de soi, de se projeter vers quelque chose, vers un horizon idéal.
Donc le vrai moi, le moi naturel, le moi essentiel, le moi authentique, c’est, ce que je veux être. Et, ajoute Sartre, en situation, d’où sa conception de la liberté ; l’homme est libre, mais, en situation.
Donc, pour être authentique, pour avoir un projet, non pas pour être conforme à ce que je suis, mais, pour être conforme à ce que je veux être, et bien : soit on refuse, soit on compose avec la situation.
Alors, Sartre prend exemple sur le garçon de café. Il dit, le garçon de café joue un rôle. Pourquoi ? Parce qu’il veut continuer à être employé, continuer à avoir des pourboires..
Aujourd’hui pour moi, avec la crise sanitaire, la crise politique, la crise sociale, et avec la catastrophe climatique, et bien, il y a beaucoup de difficulté à avoir un projet, pour exister, pour être authentique.

⇒ Dans bien des domaines, dont la politique, on ne laisse que peu de place au parler vrai.  Et je reviens l’exemple de Sartre. Dans ce cas, l’expression, « jouer un rôle » me gêne, ce serait se montrer dans un personnage qu’on n’est pas. Cela me semble être le propos d’un intellectuel bourgeois. Je pense que le garçon de café se réalise dans son travail, qu’il est lui, et pas, inauthentique.
Et toujours de Sartre dans l’ouvrage déjà cité, dit : «  L’apparence ne cache pas l’essence elle la révèle » ; cela me dirait que je suis, que je ne suis, que par mon apparence, par ce que je donne à voir de moi, ou, encore comment les autres me voient. L’être authentique, ou, les Êtres authentiques que je suis me semble plus complexe. Quelle distance parfois entre ce paraît une personne, et ce qu’elle révèle être.

⇒ Pour Sartre, le garçon de café n’est pas inauthentique, il joue son rôle social, un rôle dans lequel il existe, comme peuvent l’être d’autres, dans leurs  professions. Cet exemple chez Sartre est à prendre comme une parabole. Il a fait ce choix du personnage parce que tout le monde connaît le garçon de café.
Il est impossible à un homme, une femme, de faire un travail, sans être soumis (se) aux contraintes de ce qu’il fait.
Dans ce sujet de l’authenticité, il y a plusieurs choses : il y a la pensée, et, il y a le comportement, de là être authentique dans son comportement, dans sa pensée. On peut toujours être authentique dans sa pensée, mais les circonstances nous amènent à avoir un comportement différent malgré nous, comportement qui va à l’encontre de ce que l’on peut penser. C’est vrai pour les homme et femmes politiques, c’est vrai pour le commun des mortels, et  cela, justement, parce qu’il y a la pression de la société.
Prenons un exemple presque binaire : quelqu’un qui est écolo, jusqu’au boutiste, et qui voudrait vivre presque en autarcie, c’est absolument impossible, il va être obligé de faire des concessions. Il ne peut pas mettre sa pensée authentique en phase avec son comportement, c’est impossible.

⇒  Déjà au départ, dès l’enfance, puis l’adolescence, l’environnement familial, contraint notre nature, nous contraint dans des comportements spécifiques, liés à un milieu. Puis peu à peu la pensée se construit dans un enseignement, dans un milieu professionnel, alors, au final, où est notre propre nature, notre authentique moi ?

⇒  Nous sommes revenus à Rousseau, pour qui, l’homme naît, naturellement bon, il est ensuite perverti par la société. Tel son « homme pur » il se montrera souvent naturel, et sera marginalisé.
Justement les premières diatribes contre la fausse apparence, le soi déguisé en société, l’ inauthenticité, se trouve chez Rousseau, il fustige la fausse identité, qui pour lui est non seulement mentir à la société, mais surtout se mentir à soi-même.
Rousseau veut un peu comme l’Alceste de Molière, toujours la franchise, qu’on soit sincère, en concordance avec soi-même, que l’on s’attache, nous dira Nietzsche, à devenir ce que nous sommes, autrement dit : être en phase avec nous.
Être authentique en société cela peut être, affirmer sa différence, par exemple refuser le mode de vie donné comme modèle, et s’en aller vivre ailleurs, autrement, se libérer de certaines règles de cette société, et, vivre pour être soi. Vouloir absolument épouser les règles d’une société qui ne nous va pas, est comme aliénation.
Nous retrouvons dans les mouvements contestataires ces identités différentes ; je refuse ce modèle dans lequel je ne suis pas moi.
L’authenticité des êtres serait-elle, incompatible avec certains de nos rapports sociaux ?         L’instinct grégaire qui nous pousse à se rassembler et s’imiter, serait-il en opposition avec l’affichage de son être authentique ?
Je vois des milieux professionnels où tout le monde s’habille pareil, d’autres milieux où par imprégnation tout le monde pense pareil, aurions-nous affaire à des identités éponges ?

⇒ Un individu peut être authentique, plusieurs fois. Il y a des périodes de la vie, avec leurs changements qui font qu’on peut être authentique et différemment plusieurs fois. Il y a certains engagements où l’on est tellement investi, qu’on fini par être sous emprise, et qu’on peut finir par avoir un discours dogmatique.
Il faut faire attention à ce que le projet ne dépasse pas l’individu ; que le projet ne prenne pas la place du « moi » et que le discours ne se trouve plus réellement personnel, alors qu’on croit être quand même à ce moment authentique.
J’ai eu plusieurs engagements, j’ai été plusieurs fois authentique, ce qui a fait des « moi » successifs. Je ne renie pas ces « moi » antérieurs, je pensais ce que je disais.

⇒ On a le droit de changer une idée dans la pensée tout en restant authentique. C’est-à-dire, qu’à partir du moment où l’on dépendait d’idées que l’on défendait, et qu’on aurait changé dans ce domaine, les gens vont penser parfois qu’on n’est pas authentique. On peut rester authentique, si notre authenticité, c’est justement d’être ouvert à son siècle, ouvert aux autres, ouvert au monde. On a le droit de changer d’idée, on n’est pas pour autant faux, pas un « masqué ».
Et il faut encore définir l’authenticité ; elle est en référence à une morale, et aussi à des droits. Exemple : un garçon de 17 ans est amoureux d’une personne  de 27 ans, les deux personnes sont authentiques dans leurs sentiments. Soit ! Mais la société va leur dire: non ! Au nom de la morale, au nom d’un droit ; d’un droit qui interdit au nom de la protection des autres.
On ne peut pas permettre à tout le monde d’être dans son authenticité, car cela pourrait nuire à la société, à la vie des autres.
D’un autre côté ça nous protège de bien des choses, entre autres, ça nous protège des sectes.

⇒ On nous montre ces derniers temps des personnes jeunes ayant fait des études universitaires, ou, de grandes écoles, et qui tout à coup décident de partir s’installer à la campagne, pour faire :  l’un des produits bio, l’autre pour être boulanger dans un village. Ils ont un projet qui diffère tout à coup des études qu’ils font, ils ont un idéal de vie, un besoin d’authenticité, ils gagnent moins bien leur vie, mais ils disent  qu’ils sont heureux parce que ça correspond à leur « vrai moi ».

⇒ Je pense qu’il faut beaucoup d’énergie pour lutter et garder son authenticité, se « conserver soi » selon les événements, selon la société d’alors. Et là, il faut choisir : être assimilé à cette société ou pas. C’est, soit assimilation, soit, dissimulation.

⇒ Ce qui fait évoluer ce questionnement, c’est la distinction entre pensée et comportement. On peut être en pensée conforme à son projet, et puis en situation, s’adapter. Et puis, il y a ceux qui refusent, ce sont : les marginaux, les contestataires, ceux qui se suicident parce qu’ils ne peuvent pas réaliser leur projet. Et puis il y a ceux qui tombent dans « la servitude volontaire ».
Et je suis d’accord quand on dit, qu’il faut beaucoup d’énergie, mais je fais la différence entre ceux qui sont dans un projet purement individuel, et ceux qui ont un projet universaliste. Et je fais la différence, entre, projet et désir.

⇒ Il faut revenir sur ce « moi » individualiste, ou, plus collectif, vers une authenticité partagée, celle des révolutionnaires de 1793, et ces trois mots : Liberté – Egalité – Fraternité. Liberté ça peut être « individualiste », mais l’authenticité citoyenne se crée, existe, que si la liberté existe dans l’Egalité, et en plus dans la Fraternité, c’est à dire pour tout le monde. Finalement ils avaient tout dit par cette  formule magnifique.

⇒ On est plus soi, on est plus libéré lorsqu’on s’exprime  dans un débat, en fonction de regard des autres. Dans leurs expressions ils nous délivrent un message qui nous encourage, on y va alors franchement, on se libère. Pendant longtemps je n’ai pas osé parler en réunion, je trouvais que ma pensée était trop banale, ou trop audacieuse. Il m’a fallu longtemps pour me dire que ce n’est pas si bête, ni plus bête que d’autres propos. Il y a une barrière à franchir qui est parfois énorme.

⇒ On doit revendiquer sa place. Une femme dans différents domaines, ce n’est pas un problème quand on sait qui on est, quand on sait ce qu’on fait, comme femme on a une place à part entière dans la société.

⇒ Au nom de leur authenticité nous voyons ceux qui refusent le rôle social, qui se veulent toujours dans la franchise, le vrai. Cela est illustré dans le Misanthrope de Molière par le personnage d’Alceste en dialogue avec Philinte, lequel Alceste, pour être authentique, ne veut laisser place à aucune hypocrisie, parler en toute franchise, sans se soucier de ce qui pourrait blesser ou pas.

-Alceste :                «  Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
                                    On lâche aucun mot qui ne vienne du cœur »
 – Philinte :                Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende,
                                    Quelques dehors civils, que l’usage demande »
                                                              …….
– Philinte :              Il est bien des endroits, ou la pleine franchise
                                 Deviendrait ridicule, et serait peu permise
                                 Et, parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
                                Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.
                                Serait-il à propos, et de la bienséance,
                                De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?
                               Et quand on a quelqu’un qu’on hait, ou qui déplait,
                               Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? »
                                                     (Acte 1, scène 1)

⇒  Alceste est un de ces jusqu’au boutistes, un de ces empêcheurs de tourner en rond, un de ces enquiquineurs, qui sont mal vus dans la société

⇒ Quand on étudie l’état psychique des grands paranoïaques, des grands délirants (et là, je pense à Poutine) que penser de l’authenticité de ces grands délirants ? Ils sont persuadés qu’ils sont persécutés, et,  presque du fait, honnêtes avec eux-mêmes. L’authenticité ; jusqu’où elle va ?

⇒  « Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris » (Oscar Wilde)

 

 

 

 

 

 

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