Restitution du café-philo du 23 mai 2018 à Chevilly-Larue
Animateurs: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Danielle Pommier Vautrin
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Edith
Introduction : J’ai proposé ce sujet de discussion parce que je travaille bénévolement (depuis 9 ans) dans un cercle de lecture à la prison de Fleury-Mérogis ; ce, au sein de l’association « Lire c’est vivre », créée en 1987, dans le cadre d’un protocole d’accord entre le Ministère de la Culture et le Ministère de la Justice, pour développer la lecture en milieu carcéral (par la mise en place de bibliothèques dans chaque département et d’activités culturelles diverses en lien avec le livre)….
Robert Badinter ne pensait pas qu’il faille supprimer la prison, l’incarcération, mais qu’il fallait réformer la prison -qui est privation légitime de liberté-, non seulement pour en finir avec la promiscuité et la corruption de la vie carcérale, mais aussi pour y instituer le respect de la personne humaine et de ses droits : éduquer à l’humanité et prévenir la récidive. Ma 1ère question est : comment punir ? D’abord donc, comment la prison punit-elle ?
Cette question est oubliée quand, avec les détenus, (ils sont volontaires) on lit un texte, on discute sur une notion, un concept, une théorie, mais elle resurgit quand on apprend qu’un détenu avec lequel on a eu des échanges intéressants et agréables va passer en jugement, ou qu’un autre est interdit de venir en bibliothèque pour une raison inconnue, ou que certains sont à l’isolement … Et cette question a été posée il y a deux ans lorsqu’il y eut des recommandations du Ministère de la justice pour chercher quelles mesures prendre vis-à-vis des « radicalisés ». Enfin cette question je me la suis posée récemment lorsque j’ai connu un détenu, condamné à la prison pour 12 ans (pour crime donc) qui a passé baccalauréat, licence, masters, et soutenu une thèse en sociologie (sur l’engagement relationnel et le bénévolat en milieu carcéral) et libéré en septembre 2017 est maintenant sociologue consultant… Et, cas opposé, le cas du meurtre sexuel d’Angélique (13 ans) par un père de famille, marié, avec deux enfants, qui a récidivé à Quesnoy sur Deule (Nord) en 2018 après avoir été condamné en 1996 pour un viol commis sur une mineure en 1994. Et, le cas ordinaire des policiers agressés et blessés dans le quartier Nord à Marseille, des CRS à Grenoble, hier mardi 22 mai, par des individus armés de kalachnikovs et qui ont piqué cartes bleues, téléphones portables…
Et celui du lynchage à mort d’un vieux monsieur noir par des « jeunes » dans une cité de Pau, lundi 21 mai dernier.
Comment punir ? La question des finalités et des moyens de la punition est une question pour tout éducateur, parent, enseignant, surveillant, éducateur de rue, animateur de centre de loisir, policier, mais c’est d’abord une question de droit, d’ordre juridique qui a été explicitement posée de ce point de vue dés la Révolution Française de 1789. Et les politiques pénales en France, de la Révolution de 1789 à nos jours, s’interrogent sur : comment effectuer le droit de punir (différemment) la faute, le délit, l’infraction, le crime tout en respectant l’être humain en chaque individu ?
D’abord toutes les réformes pénales dans les sociétés démocratiques se réfèrent à la théorie de « La juste peine » de l’avocat italien du 18ème siècle Césaré marquis de Beccaria qui publia, en 1764, Des delitti et delle pene, traduit en français par l’abbé Morellet en 1766 (Des délits et des peines)… Son ouvrage fut vanté par les Encyclopédistes, commenté par Voltaire, apprécié des jurisconsultes, Il emprunte à Jean-Jacques Rousseau les concepts de volonté générale et de contrat social. Sa théorie de la juste peine comporte six principes : Le principe de publicité Nul n’est censé ignorer la loi dans un Etat de droit. Le principe de promptitude : il n’est pas juste de juger et de punir un coupable longtemps après les faits. Le principe de nécessité : Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus sûrement les crimes, mais la certitude du châtiment. Le principe d’humanité, qui affirme à la fois la barbarie et l’inutilité de la cruauté en matière de châtiment. La justice n’est pas l’accomplissement de l’instinct de vengeance mais sa sublimation. Le principe de légalité : Beccaria fut le premier à avoir voulu fonder le droit pénal sur la loi et rien que sur la loi. Le principe de la non-rétroactivité de la loi (dont on admet aujourd’hui une seule exception: les crimes contre l’humanité définis en 1945 par le tribunal de Nuremberg à l’encontre des responsables nazis) : au cours de l’histoire, la loi criminalise des comportements d’abord admis, tolérés, voire approuvés (comme le viol, l’infanticide, la polygamie). La loi (la punition légale) ne fait pas que châtier le crime ; elle l’institue comme tel.
Robert Badinter, en tant que premier garde des Sceaux de Mitterrand, dès juillet 1981, abolit la loi « Sécurité et Liberté » qui limitait les permissions de sortie et la libération conditionnelle. Abolition de la peine de mort, suppression des QHS, généralisation des parloirs libres, (sans grille ni hygiaphone), généralisation du droit de correspondance, autorisation de téléphoner à la famille une fois par mois, d’aménager et de décorer la cellule, extinction plus tardive des lumières, suppression du costume pénitentiaire. Autorisation de créer des associations dans tous les établissements pénitentiaires pour promouvoir les activités sportives, l’organisation de concerts dans la cour des « maisons centrales » (prisons où sont enfermées les personnes définitivement condamnées à de longues peines de réclusion criminelle)… Casser le monde clos de la prison, pas seulement avec les permissions de sortie mais avec l’entrée d’intervenants extérieurs…le cinéma, le théâtre, la musique, la lecture, les arts plastiques afin de donner au détenu sa dimension culturelle propre à favoriser son épanouissement personnel. Et la prison ne peut pas être une zone de non-droit : pour faire passer le milieu carcéral à une zone de droit, Badinter fait rédiger un guide du droit des détenus distribué à chaque arrivant, « nous avons considéré qu’il allait de soi que celui qui entre en prison, comme il reçoit une brosse à dents, reçoive le guide de ses droits . Il est usager, il faut qu’il sache exactement ce à quoi il a droit, à qui il doit s’adresser, comment il doit faire telle démarche administrative… Les détenus sont avant tout des êtres humains : ils ont, à cet égard, des droits qui ne peuvent être limités qu’à la mesure de la faute qui a justifié leur détention, mais pas davantage ». Badinter a écrit, en 2007 : «ma priorité était de transformer radicalement la justice française pour en faire un modèle de liberté » et que la Justice ne peut contribuer qu’indirectement au maintien de la sécurité ; c’est d’abord aux autorités de police à garantir l’ordre public, c’est au système éducatif de prévenir la survenance de la délinquance. La fuite dans la répression permet d’escamoter les vrais problèmes : celui des causes de la criminalité, celui du traitement des criminels.
Le problème n’est plus : comment punir mais pourquoi punir? Car notre temps (depuis les années 1970-1980) est celui du « moment punitif ». Et la punition (par la prison) n’est plus la solution aux problèmes des manquements, des délits, des infractions, des crimes. La punition est devenue le problème. Car le nombre d’individus mis à l’écart augmente, le prix à payer pour les familles ou les communautés est plus lourd, le coût humain et économique pour la collectivité aussi, car il favorise la reproduction des inégalités et l’accroissement de la criminalité et celui de l’insécurité et enfin la perte de légitimité de son application discriminatoire ou arbitraire. Censé protéger la société du crime, la punition pénale apparaît de plus en plus comme ce qui la menace. Pour le sociologue, Didier Fassin, l’augmentation de l’incarcération est impressionnante : en plus de 60 ans après la 2ème guerre mondiale, la démographie carcérale a été multipliée par 3 et 1/2 ; 20000 en 1955, 66000 en 2015, 70000 en 2016, plus les personnes suivies en milieu ouvert dont les effectifs ont quadruplé en 30 ans : ¼ de million de personnes sont sous la main de justice ! Mais… cette augmentation n’est pas du tout l’augmentation de la criminalité. C’est le fait (un fait social total) que notre temps est celui du « moment punitif ». C’est un double phénomène : culturel et politique. Phénomène culturel de « l’intolérance sélective » : la société française est de plus en plus sensible aux illégalismes et aux déviances. Les individus sont de moins en moins tolérants à ce qui trouble leur existence: les conflits inter-personnels, les incivilités, les menaces proférées, les agressions verbales, les altercations au sein des couples passent désormais par le trio police justice et parfois prison. Phénomène politique de l’ « instrumentalisation des peurs » pour un bénéfice électoral. Le populisme pénal …
Pourquoi a-t-on toujours puni ? On a le sentiment qu’on doit punir. C’est un impératif. De quel ordre ? Est puni celui qui est jugé coupable d’avoir enfreint la Loi, laquelle varie suivant les groupes (la loi du milieu, la loi d’un groupe rebelle, la loi de l’Etat) mais, elle n’existe toujours que par la sanction. Et elles sont toutes brutales.
Le désir de punir semble inné, naturel. Car avant la raison il y a le désir. Et on peut constater que de tous temps le public raffole des crimes, des viols et des supplices. Tout se passe comme si la souffrance d’autrui flattait le sadisme qui rampe en nous. Et puis demander que celui qui a fait le mal encoure une peine qui fasse vraiment mal, cela autorise le plaisir, intense pour certains, de faire mal à leur tour en toute légitimité et en toute impunité. Le désir de punir est à l’origine de presque tous les crimes de sang non accidentels. Sombres histoires de jalousies ou de règlements de comptes. Et les châtiments ordonnés par voie de justice étaient hier égaux en cruauté des crimes les plus inhumains : faire couper des mains, condamner des hors-la-loi à mourir empalés, roués, brûlés vifs, écartelés, lynchés… Aujourd’hui, en France, depuis l’abolition de la peine de mort et les réformes successives des prisons, subsiste l’idée commune d’une Justice qui doit rendre le mal pour le mal, pour faire expier à quelqu’un sa faute. La douleur infligée au coupable est censée rétablir un équilibre : il faut contrebalancer le crime par une souffrance équivalente.
Donc le déplacement de la punition comme réparation à la punition comme souffrance devient centrale
La punition ne sert à rien, elle est pernicieuse :
A) Elle est inutile: elle ne permet pas de donner au puni l’estime de soi, elle ne répare pas ; elle n’intimide pas certes. La peur du gendarme influence certains comportements (sur la route par exemple), mais le châtiment ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui sur des rails ne risquent pas de s’écarter du bon chemin ; pour les voleurs, les escrocs, les faux-monnayeurs, la prison représente le risque professionnel et pour les voyous elle est un défi : on va me le payer ! Elle n’amende pas. Des naïfs semblent attendre de la prison que le détenu réfléchisse et regrette ce qu’il a fait. Sauf dans ces cas tout à fait exceptionnels, quand il y a mort d’enfant ou de l’être aimé par exemple, le remords est rarissime et l’on peut supposer qu’il serait identique si l’auteur d’un tel acte n’avait pas été arrêté. Le repentir est lié à une faute. Mais ce qui est faute à ses propres yeux n’a que très exceptionnellement à voir avec la Loi. Le regret qu’éprouve un détenu c’est le plus souvent celui de s’être fait prendre ou d’avoir manqué une affaire en or.
B) Elle est dangereuse: Elle consiste à faire souffrir, à rendre le mal pour un mal Ce serait juste mais cruel et imbécile. Il est aberrant de penser qu’un mal compense ou annule un autre mal. Il le multiplie. Il touche le coupable, mais aussi tous ses proches.
A la question Punir, comment ? Pourquoi ? Je pense qu’il faut substituer comment ne pas devenir dangereux pour soi et pour la société ? Ni violeur ni violé, ni assassin ni victime ? Ni djihadiste ni Charlie. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de sanction.
Débat : ⇒ Je voudrais élargir ce sujet de punir, à d’autres domaines de la vie. A ce sujet de vient lire le livre de Stefan Zweig : « Conscience contre violence ». Il y fait l’étude de la République de Genève au temps de Calvin, avec toutes les formes de totalitarisme de l’époque ; tout ce que Calvin imposait comme punitions, comme châtiments, jusqu’à la mort pour ceux qui ne pensaient pas comme lui. D’autres personnages de son époque, des humanistes comme Erasme et Sébastien Castellion ont essayé de s’opposer. Certains ont été obligés de fuir Genève ou ont perdu la vie.
Ce qui est très intéressant dans cette réflexion, c’est, justement, à quel moment on peut penser que la conscience est préférable à la violence. Et ça répond à Edith qui nous dit dans son introduction, que le système carcéral est violent, alors qu’aller dans le domaine de l’éducation, c’est demander la prise de conscience. Et tant qu’ils n’auront (les détenus) pas cette prise de conscience, c’est vain d’essayer d’obtenir un regret ou quoi que ce soit dans ce sens. Il faut qu’ils comprennent d’abord que leur acte est un délit, un crime. Donc, prise de conscience, plutôt que violence.
Et sur ce même sujet, je pense aussi à l’éducation des enfants, et à une tendance parfois à trop user de l’autorité. La punition me paraît humilier l’enfant, elle ne paraît pas être efficace. Je préfère l’explication. L’expérience autoritaire, ça ne fonctionne pas. Il faut faire autorité sans être autoritaire.
⇒ Je pense utile de préciser tout d’abord que si une société, un État sanctionne, condamne, c’est pour que les victimes, leurs proches, leurs parents, ne se fassent pas justice eux-mêmes, c’est éviter les vengeances. Et punir n’est pas rendre le mal par le mal: ça ! c’était la peine de mort.
A punir je préfère, le mot sanction, qui est le résultat, d’une faute, d’un délit, voire d’un crime, d’une transgression à une loi qu’on connait. Toute société constituée nécessite le respect des règles qu’elle s’est fixées pour faire société en paix. Dès lors que l’un de ses membres déroge aux règles, aux interdits, établis par le plus grand nombre, il s’expose à une sanction, une punition, à la hauteur, (logiquement) du manquement, du délit du crime.
Donc, nous avons plusieurs approches : le manquement, la faute grave, ou atteinte à un individu, ou le délit en regard du groupe, de la société.
Punir, condamner, délivre deux messages : l’un au délinquant, au criminel, en lui infligeant une punition dont on espère qu’elle le dissuadera de recommencer.
Le second message est à l’adresse de la société, la rassurant sur le fait que le crime ne reste pas sans réponse, que les règles qu’elle a édictées sont respectées, qu’on veille à sa sécurité ; vous voyez, on vous protège ! La condamnation, la sanction, s’adresse aussi aux victimes, elle se veut réparation.
Et le message s’adresse à tous, à tout ceux qui auraient à un moment donné l’intention de se livrer à un délit, à un crime. Donc, la sanction est un message préventif, qui se veut dissuasif, et qui fonctionne plus ou moins bien, nous le savons.
Et l’État a besoin de faire publicité des condamnations, montrer qu’il ne peut y avoir impunité
Longtemps les exécutions publiques en dehors du goût morbide (sûrement) ont eu ce rôle de montrer en exemple. La dernière exécution publique a eu lieu en 1938 à Versailles. Les gens y emmenaient les enfants ; ils y allaient pour certains comme au spectacle. Le Président du Conseil d’alors, les a supprimées disant « qu’elles stimulaient les bas instincts ».
Je rappelle cet exemple (que j’ai déjà eu l’occasion de citer). Au début du siècle précédent, encore, au pied d’une tour à Valence (Espagne), devant la foule assemblée, on pendait les criminels. Les pères où les oncles y menaient les garçons adolescents, et au moment où la trappe s’ouvrait sous les pieds du condamné, l’adolescent recevrait une paire de gifles, accompagnée de ce propos, « c’est ainsi que tu finiras si tu ne te comportes pas honnêtement ». L’idée était que le propos, lié dans sa mémoire à la gifle, resterait toujours à l’esprit du garçon. C’est pour reprendre une expression de Balzac « se servir de la douleur pour imprimer un durable souvenir ».
Et, enfin, je ne pense pas du tout que la prison, des condamnations, comme le port du bracelet électronique soit humiliant. Le comment ne peut occulter le pourquoi.
⇒ On peut reprendre le problème à l’envers. Si on ne punit pas, qu’est-ce qui se passe? « On n’est pas sorti de l’auberge ». Moi, la punition, la prison, humainement je ne suis pas pour.
Un jour j’ai vu un policier qui sortait d’un immeuble avec un jeune homme menotté ; ce n’est pas agréable à voir. Après, la question se pose : est-ce qu’on punit bien, ou pas bien ? Ou, plutôt, comment on sanctionne, car le mot, punir, reste brutal, même si celui qui est condamné, est passé devant la justice, confronté aux lois, son cas jugé en conscience par des juges, avec la prise en compte des circonstances.
Mais punir, peut être un choix idéologique, comme dans les procès staliniens, ou comme dans le livre d’Arthur Koestler, « Le zéro et l’infini » où le film « L’aveu » de Costa Gravas, où l’on voit comment une dictature contraint, punit les opposants.
Dans nos pays démocratiques, ceux qui sont sanctionnés savent pourquoi ils sont sanctionnés, ils savent qu’ils ont commis une faute, un délit, un crime. Et puis, parfois celui qui a commis un crime, qui l’avoue, qui en est conscient, lui-même demande d’expier ; il souhaite lui-même la sanction, comme le personnage de « Crime et châtiments » de Dostoïevski.
Depuis toujours, c’est à la société de faire justice. C’est la justice qui a mis un processus de vengeance des Atrides, dans la tragédie de « l’Orestie » d’Eschyle.
On a dépassé la loi du talion, le « œil pour œil » ; l’évolution humaine est lente, mais elle se fait, même avec les besoins de réparations après des crimes.
Ainsi, plus près de nous il fallait bien sanctionner les crimes nazis, ces horreurs, il fallait Nuremberg. Et l’on ne peut nier, rejeter l’exemplarité de la sanction, et montrer que la justice passe, sans sadisme, sans esprit de vengeance, sans vouloir humilier.
⇒ On doit préciser quant aux règles de la prison, qu’on a affaire à des adultes, pas à des enfants. Mais j’adhère à cette idée de prise de conscience, de possibilité de renouer avec la société qu’on croyait contre soi. Ce fut le cas de metteur en scène José Giovani, qui avait passé des années en prison, et avait fini par comprendre que ça venait de lui ; et il a fait un travail sur lui. La prise de conscience doit être aidée, ça vient toujours d’en haut pour aider à se reconstruire.
⇒ On a focalisé, sur le châtiment, sur l’individu, la personne. Je voudrais prendre un angle collectif, par exemple dans le journal « Le Monde » du dimanche 20 mai qui titre : « Le pape accable l’Eglise du Chili, à propos de la pédophilie », François dénonce la responsabilité collective des évêques chiliens, lesquels ont dû démissionner en bloc.
« Nous sommes très impliqués » a dit le pape, « moi, le premier » ; les victimes attendent des actions concrètes, pas que des paroles face aux abus sexuels sur des enfants. Et s’il n’y a pas décisions, comme la création d’un tribunal chargé de juger les évêques, de lever le secret, d’abolir la prescription, alors la démission des évêques ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, et cet exemple de sanction sera pour l’Eglise dans tout le monde.
⇒ Nous avons évoqué la justice, les peines, les sanctions dans notre société occidentale, et si l’on compare aux pays arabes ou d’autres pays, bien évidement, on voit l’écart. On peut se dire que dans les pays européens, dans les sociétés démocratiques, c’est là que nous pouvons réfléchir et débattre de cette question.
Le problème de la société par rapport à la violence est politique ; ne serait-ce que si l’on prend le problème des banlieues et tous ceux qui restent à l’écart. On voit des jeunes gens qui vont vers la délinquance, une violence pour se trouver une identité ; c’est comme ça qu’ils sont en majorité dans les prisons, en dehors des grands délinquants.
Et la radicalisation, ça rentre bien sûr dans ce sujet, parce que c’est aussi un modèle qui est offert à ces mêmes jeunes. Donc, nous avons là un problème politique et moral.
Et je pense que les médias ont une responsabilité très importante, et cela dans deux sens : à la fois parce qu’ils véhiculent par le buzz, les procès comme les jeux du cirque moderne, et, en même temps, si la télé savait montrer plus d’exemple de réinsertions après la prison, peut-être que cela donnerait un autre feeling à la question.
Et puis je reviens sur des sanctions exagérées parfois, comme pour la bande à Baader en Allemagne, où on a vu des punitions terribles, avec, par exemple : « La torture blanche » : on laissait la lumière allumée 24 heures sur 24, et il n’y avait aucun bruit ; les gens devenaient fous, déstructurés. C’était produire de la souffrance. On peut se demander pourquoi ?
⇒ Je préfère aussi le terme sanction à celui de punir. Punir c’est porter un jugement de valeur sur un comportement qu’on juge immoral, indigne de nature délictueuse, criminelle…Je pense que lorsque les gens sont en prison, il y a eu procès et jugement (en dehors des détentions préventives). Je pense qu’il est inconcevable que des actes qualifiés de graves, portant atteinte aux individus, puissent rester impunis.
l y a peu un agriculteur qui était ivre a tué deux enfants avec son tracteur. Alors comment lui faire prendre conscience, car même avec un bracelet électronique il pourra continuer à boire.
⇒ Nos sociétés occidentales (pour rester dans ce que je connais le mieux) ont grandement évolué dans ce domaine de la punition. Il n’y a pas si longtemps, qu’on écartelait, qu’on brûlait, qu’on pendait. Avec ses tâtonnements la société évolue tout de même ; on punit, sans ôter la vie, même à ceux qui sans état d’âme l’ont ôtée à des innocents, voire des enfants, ou des vieillards sans défense.
⇒ Est-ce que l’impunité totale pourrait faire disparaître la criminalité. Je ne le pense pas, ou alors qu’on essaie pendant cinq ans et l’on mesurera. Je ne pense pas non plus qu’on emprisonne volontairement de plus en plus, bien au contraire. Je rappelle les abaissements de seuils sous le ministère Taubira, et de plus on a créé des peines de substitution ; non réellement par laxisme, mais parce que nos prisons sont surpeuplées; plusieurs détenus parfois par cellule, une promiscuité qui est facteur de violence. Combien de fois vous entendez l’expression « bien connu des services de polices » pour des délinquants ayant plus de dix comparutions. Mais si vous mettez ces « petits délinquants », avec des longues peines, avec des radicalisés, on prend le risque de faire d’une « brebis égarée », un loup.
Je pense que le modèle politique et social d’une société, définit pour beaucoup le niveau de délinquance, et permet alors de faire des établissements pénitenciers plus corrects.
Le pays qui serait le meilleur exemple en ce sens est le Danemark. Une étude nous dit qu’il n’y a que 0,7 personne sur 10.000 habitants en prison. Aux USA c’est 6,5 personnes en prison pour 10.000 habitants. En Colombie, (c’est les champions !), il y a 60 personnes sur 10.000 habitants en prison (dans des prisons d’horreur). Donc, ce n’est pas la prison qui supprime la délinquance. Nous, les Français ne sommes pas si mal placés, c’est 1 personne en prison pour 10.000 habitants.
Et ce sujet amène la vraie question d’actualité, celle des djihadistes qui reviennent de Daesh, on sait pourquoi on les sanctionne, mais on ne sait pas bien comment on va les faire cohabiter en prison, comment protéger les autres prisonniers.
⇒ Bien sûr que l’impunité totale est impossible. Il faudrait toute une éducation en amont, et elle n’y est pas. L’impunité n’existerait que si les gens étaient plus civilisés, avec plus de conscience de groupe, plus de respect pour les autres.
Et maintenant on doit se demander aussi, est-ce que les victimes, leurs familles, ont une compensation du délit, du crime. Est-ce qu’on est vraiment trop laxistes ?
Je pense comme le proposait Lacan, que le procès d’un délinquant doit d’abord retracer toute son histoire, et cela rend important les circonstances atténuantes. Parce que le même délit n’est pas fait, alors, par le même individu ; ce n’est pas la même culpabilité, et ce n’est pas la même sanction qui s’impose. Il ne peut y avoir de sanction automatique. C’est le cas de la femme qui avait tué son mari, parce qu’il la battait, qu’il la maltraitait. Il y a eu une fois de trop. Et il y a le délicat problème de la légitime défense. Là je n’ai pas de réponse. Et le gros problème du risque de l’erreur judiciaire qui doit rendre prudent.
⇒ On a beaucoup parlé de justice dans nos sociétés démocratiques. Dès lors qu’il y a une institution, institution familiale, éducative.., avec un détenteur d’autorité, il y a consensus à accepter par ceux qui sont sous l’autorité, qui acceptent le règlement. Donc, cette société, si elle veut maintenir égalité, et légalité, il faut qu’elle institue des peines proportionnelles à la faute. Dans une entreprise il y a un règlement intérieur, les règles relatives à l’emploi, cela va du blâme au licenciement ; il y a des systèmes punitifs en dehors de la justice.
Il y a eu une époque barbare, avec le bagne, les travaux forcés. Des prisons, il y en a toujours eues, et dans des conditions indignes, on y mourrait assez vite.
Et j’avais commencé à réfléchir sur la différence entre punir et châtier. Punir, c’est bien la peine, à la fois la souffrance, la peine pour compenser ; ce n’est pas la loi du talion, et les jugements ne sont pas les abus d’autorité des dictatures. Déjà, il y a des procès publics, des jurés en pénal, et c’est pour eux une rude tâche.
⇒ Je pense que lorsque les lois sont iniques, on a le droit à l’objection de conscience. On ne doit pas être des « béni oui oui » devant toutes les lois. La révolte est nécessaire face aux lois qui nuisent à l’intérêt collectif. Il y a un devoir d’objection aux lois injustes. Il faut refuser les justices privées et mettre entre parenthèses les périodes de guerre ou de Terreur. Et il me paraît plus important de respecter l’esprit des lois que la lettre.
Je pense aussi aux lois iniques lors de la dernière guerre mondiale à l’encontre des Juifs.
⇒ Ne pas avoir peur de la prison, poserait quand même un sacré problème, il faut qu’il y ait la peur de la prison, la peur de perte de liberté, d’enfermement.
Par ailleurs, je me dis qui si demain, je suis juré dans un procès, sachant que mon vote pourra être déterminant quant à la peine infligée, si cela entraîne un jugement trop sévère, j’ôte au condamné la possibilité de se racheter. En le condamnant trop, c’est condamner l’humanité qui est en lui, c’est un peu une punition envers nous-mêmes. Il faut qu’une sanction soit la plus mesurée possible, sinon on sanctionne toute la société.
⇒ En fait il est question de réfléchir à un système de sanction qui ne soit pas un système de punition et de souffrance. Cela veut dire aussi, qu’il faut réfléchir par rapport à la victime. La victime est le centre du processus. Le criminel n’offense pas seulement la loi, il fait offense à quelqu’un, il tue, il brutalise, il vole… Donc la peine c’est la sanction aux dégâts produits…
Œuvres citées
Des délits et des peines. Abbé Morellet. 1776
Conscience contre violence. Stefan Zweig. 1936
Crimes et châtiments. Fédor Dostoïevski.1866
Le zéro et l’infini. Arthur Koestler. 1945.
Le joueur d’échecs. Stefan Zweig.
L’Orestie. Eschyle.