Morale et politique

Restitution du débat du  25 octobre  2017 à Chevilly-Larue

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Animateurs : Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: « La morale est une question de conscience personnelle » dit François Bayrou, au journal télévisé le 1er juin 2017 lors de la présentation de la loi initialement nommée « Loi sur la moralisation de la vie publique »
Alors qu’il va présenter cette loi de moralisation, voilà qu’un ministre de ce tout nouveau gouvernement qui promettait de laver « plus blanc que blanc » se trouve pris dans un conflit d’intérêt. Affaire qui n’est pas a priori considérée comme illégale, mais reconnue par tous les observateurs, comme relevant de la morale. Légal dira t-on ! Soit ! Mais,  immoral.
Ainsi, le Ministre se voit dans l’obligation de changer le nom de la loi, laquelle devient : « Loi pour la confiance dans la vie démocratique ». (On passe de la morale à la confiance, on descend d’un cran).
Donc le Ministre nous dit que la morale, c’est finalement, chacun la sienne, ce qui sous-entend, qu’on ne peut se référer à des règles de valeurs morales collectives.
Sur ce, je suis parti trois semaines à l’étranger où je n’ai lu que le journal local. Au retour (fin juin), j’ai acheté sur la route, le Canard enchaîné, et là, surprise, trois exclusions, dont celle du ministre qui voulait nettoyer « les écuries d’Augias », et on en pressentait  d’autres. Ce qui ne remet pas en question les qualités morales dudit Ministre, mais j’ai de suite pensé à la situation de l’arroseur arrosé, ou encore au risque boomerang. Le journal titrait : « Trois ministres au tapis en un mois » (Canard enchaîné du 21 juin 2017)
Nous avons là ce qui pourrait être un sujet de philo au bac :
Un homme politique doit-il être irréprochable ? Comme le préconisait le candidat Fillon lors de la primaire à droite,  « doit-il être un modèle d’intégrité ? »
« Est-ce une illusion de vouloir faire cohabiter morale et politique ? »
Finalement la loi sera édictée le 15 septembre 2017. Les journalistes, comme dans le Figaro, entre autres, continuent à parler de loi sur la moralisation de la vie politique alors que son intitulé reste : « Loi pour la confiance dans la vie politique ».
Pour des raisons que nous allons sûrement évoquer, la société française est en demande de plus de moralisation dans la vie publique, de plus d’exemplarité chez les hommes politiques, comme chez tous ceux qui détiennent de grands pouvoirs de décision.
Depuis 1988, nous avons eu 8 lois tendant à moraliser le monde politique, plus 12 décrets et c’est en cette année 2017 que cette demande a été relancée, alimentée par le chevalier blanc « Républicain », puis reprise à souhait par un nouveau mouvement politique, qui en a fait, qui en avait fait, un de ses grands chantier du quinquennat.
Je précise qu’il n’est nullement question dans mon propos de valider le « tous pourris » (Surtout pas).
Maintenant, et brièvement, pour s’assurer que nous que nous mettions bien la même chose sur les mêmes mots, voilà  les définitions et acceptions du mot, morale, et du mot conscience que je retiens particulièrement.
Celle d’André Comte-Sponville, pour morale: « Ensemble de nos devoirs, autrement dit des obligations ou des interdits que nous imposons à nous-mêmes, indépendamment de toute récompense ou sanction attendue, et même de toute espérance… » Des interdits que nous nous imposons, pas des interdits de lois, d’usage, de coutume.
Et la classique, mais si simple définition de Socrate : « Tout homme porte en soi les vérités morales, il n’a pas à les apprendre du dehors, il les découvre en réfléchissant sur la nature humaine ».
Quant à la conscience, je retiens cette partie de la définition du Grand Robert de la langue française: « …Connaissance intuitive par l’être humain de ce qui est le bien, de ce qui est le mal et qui le poussent à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes ».
Voilà en bref pour les définitions.
C’est vrai que « le mot morale fait peur ». (Plutôt Athènes que Sparte). La morale inclut une exigence qui ne souffre pas des compromis ou arrangements, lesquels seraient parfois machiavéliques, où la finalité permet qu’on s’écarte de la morale, ou, suivant l’expression nécessaire à la conduite politique des affaires, nous passons dans le camp réducteur de sa pensée « la fin justifie les moyens ».
Tout à fait opposé aux théories machiavélistes, Rousseau nous dit que (L’Emile §4) (je cite) « …ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n’entendront jamais rien à aucune des deux »
Pour lui pas d’édifice social sans la morale.
Pour Rousseau « la morale découle de lois naturelles », de même que la légalité, qui, dit-il  n’est nullement garante de la morale. Un proverbe espagnol illustre bien ceci : « Echo la ley, echo la trampa », ou : à peine la loi édictée, le moyen de la contourner existe déjà.
Alors la question de fond reste : morale et politique sont-elles compatibles ?
A cette question les philosophes nous ont dit, chacun à leur façon, que la cohabitation de la morale et la politique était difficile, qu’il était difficile de les associer dans un même précepte, mais : « que les deux doivent absolument être réunies, et que l’idée du contraire serait absurde » (Kant)
Mais si la politique ne peut s’affranchir de la morale, elle n’est pas pour autant du domaine des purs idéalistes, elle le serait plutôt,  des réalistes.
C’est ce que nous disait Luc Ferry récemment dans une émission sur France-Culture : « Un très grand politique n’est pas forcément quelqu’un dont la morale est la boussole. Ce qu’on peut demander à un politique c’est la légalité, pas la morale ». L’homme politique se fixe un but, et pour y parvenir la route n’est pas forcément toute droite, la latitude lui est donnée (suivant le point de vue de Luc Ferry) d’adapter, soit entre pragmatisme et utilitarisme.
Ce point de vue validerait en quelque sorte l’idée que : La morale s’attache aux intentions, et que la politique s’attache aux résultats.
C’est aussi, parfois la real politik, terme employé aujourd’hui pour souligner l’abandon des principes éthiques, au profit de réalités économiques.
Dans le  film  de Frank Capra (Mrs Smith au Sénat),  un jeune sénateur pur, se retrouve dans un univers politique où les fils sont tenus par un magnat de la presse. Un sénateur, son aîné, voyant qu’il va dénoncer tout un circuit de corruption, lui tient ce propos : «  Ce monde est un monde brutal d’hommes, ce n’est pas votre place… C’est dur d’affronter la réalité, mais on contrôle ses idéaux avant d’entrer en politique comme on contrôle ses bretelles », et il poursuit : « Il y a trente ans j’avais vos idéaux…, j’ai choisi le compromis afin de servir le Sénat et le peuple de façon honnête. C’est ainsi que les états et les empires se sont faits depuis la nuit des temps »
Alors, si l’on ne retient du mot politique, que l’art de diriger, de parvenir au pouvoir et de le conserver, alors oui, la morale n’y a pas sa place, et l’on pourra se contenter des recommandations de Machiavel : « être habiles comme des serpents » tout en étant « aussi innocents qu’une colombe »
L’ex-ministre de la justice n’aurait pas eu à faire cette reculade, si la loi avait été initialement nommée « loi d’éthique en politique » ou quelque chose d’approchant.
Deleuze reprenait souvent cette formule : la morale c’est le bien et le mal, l’éthique, c’est le bon et le mauvais.
Quand je respecte  les règles d’usage, les lois de mon pays, je respecte les règles d’éthique.
Quand je respecte les règles de ma conscience, de la conscience collective d’un peuple, je respecte les règles morales.

 Débat

Débat :  ⇒ Ma première réflexion est dans ce « et » morale, et le « et » politique. Autrement dit, quels sont les liens entre morale et politique. En ce sens, je ne suis pas d’accord avec le ministre (François Bayrou) qui dit que « la morale est une question de conscience personnelle », et s’il nous faut connaître les liens entre morale et politique, il nous aussi connaître les liens entre morale et confiance.
Puis mes réflexions suivantes seront : comment distinguer éthique et morale ? Et aussi, comment distinguer, l’action politique de l’action politicienne ? Et, en ce sens je reprends ce qui a été dit en introduction, soit, la question de savoir s’il peut y avoir une politique morale ?
Déjà quant aux liens entre morale et politique, me vient en mémoire, « La controverse de Valladolid » en 1655, entre le dominicain Bartholomé de las casas et le théologien Juan Ginés Sepúlveda, pour savoir si les Amérindiens avaient une âme. C’est-à-dire, pour savoir s’il était moral de conquérir leurs terres et de les « esclavagiser ».
Et me reviennent en mémoire, des formules devenues langue courante de différents philosophes de l’action politique, comme Machiavel au 16ème siècle, « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais, entre le pire et le moindre mal ». Et puis la formule que tout le monde connaît : « La fin justifie les moyens » soit l’absence de scrupules moraux, l’éloge du  cynisme ; Oui ! Parce que son célèbre ouvrage, « Le Prince » est un manuel de conseil aux politiques pour prendre le pouvoir, et pour le conserver. Et donc par exemple, jusqu’à l’exécution brutale, cruelle et publique, pour décourager la contestation de l’autorité du prince ; la fin justifiant le moyen. Ce à quoi s’oppose Rousseau qui lui, avait un autre projet ; non pas, comment prendre et garder le pouvoir, mais comment élaborer un contrat social, qui élimine les inégalités entre les hommes, et c’est dans « L’Emile » qu’il écrit : « Ceux qui voudront traiter séparément morale et politique, n’entendrons jamais rien ni à l’une, ni à l’autre ».
Donc, toute théorie selon laquelle les moralistes abstraits, seraient au-dessus de la lutte des classes, ne prend pas en compte la réalité. « Le mensonge est immoral » a argumenté Kant. Parce que le mensonge n’est pas universalisable. Si tous les humains mentent, le mensonge n’a plus de sens. « Le mensonge est inhumain » nous dit Trotski, mais de même que la violence, le mensonge peut être nécessaire ; Que dirait-on d’un soldat qui ne cacherait rien à l’ennemi…
Enfin, autre référence, Sartre dans « Cahiers pour une morale » écrit qu’il veut une morale concrète, « Il n’y a pas de morale possible dans une situation immorale » écrit-il, et « Les moyens indiquent la fin ». Formule qui nous met face à un dilemme, et difficulté supplémentaire, la question étant de savoir qui décide, non seulement des moyens, mais aussi des fins de nos actions. S’agit-il d’individus charismatiques ? S’agit-il de partis ? S’agit-il de groupes d’influence ? Cela a été l’objet d’interrogations dans les débats de « nuit debout » en 2016. Et un film « L’assemblée » de Mariana Otero fait état de cela.
Donc la question des liens entre morale et politique est une question qui reçoit finalement plein de réponses. Je retiens particulièrement la réponse marxienne et sartrienne : « Les moyens indiquent la fin ».

⇒  Récemment, dans un débat sur ce même sujet, un philosophe exprimait l’idée que, selon lui, il ne devait y avoir aucun lien entre morale et politique. J’ai objecté que j’étais d’accord sur la forme, mais pas sur le fond. Sur la forme, il est évident que la morale est une action qui se dirige plutôt vers l’individu, la personne humaine. Et que la politique, au contraire concerne le groupe, les groupes sociaux.
C’est évident que la morale est universelle « Tu ne tueras point », ce qui peut se concevoir comme valeur universelle.
La politique au contraire est particulièrement concrète, ça dépend des conditions de la société. C’est une politique différente d’un pays africain à celle d’un pays européen, asiatique, ou, latino-américain. Ce sont des politiques concrètes qui répondent à de situations concrètes.
La morale fixe des limites morales, la politique concerne plutôt les moyens, les moyens pour une vision, un objectif social bien sûr.
Mais je reviens au fond. On ne peut séparer les deux concepts, au-delà des discours que l’on fera sur l’un et sur l’autre, car la vie réelle est riche, plus complexe que toute théorie.
Je reviens sur une décision politique, celle du gouvernement américain en 1945 ; alors que le Japon est à genoux, la décision est prise de lancer la bombe atomique, non pas sur des lieux qui étaient des centres militaires stratégiques, mais sur une population, en violation des règles, violation morale le plus atroce, un crime ! Lequel rejoint la shoah.
Donc je résume, la politique sans morale est, corruption, c’est dictature, c’est égoïsme, ou le mépris de toute règle morale.

⇒  Sans entrer dans les arcanes philosophiques sur ce sujet qui appelle au pragmatisme, je vois que nous sommes chaque jour confrontés à la morale dans la vie politique. Je crois que la morale peut être utilisée par la politique, comme une espèce de  paravent. Si la politique est un art, ce sont tout de même des hommes qui sont à l’exercice ; je prendrais comme exemple, les canons moraux comparés de l’Afrique ou de l’Europe. Les hommes qui viennent en politique en Afrique, y viennent pour faire de l’argent, pour acquérir une notoriété. A partir de là, la morale disparaît totalement de la vision politique. Dans mon pays, le Congo, une partie de la population est sous le joug d’un pouvoir absolu. Le vivre ensemble est déjà entaché d’immoralité, les moyens pour la fin ne visent pas qu’à gérer des hommes, ou lutter contre la faim, mais à se faire du « pognon ».
Et ici en France, le gouvernement a mis en place une loi de moralisation de la vie publique, mais ça reste un leurre.

⇒  A ce sujet morale et politique, j’aurais préféré : morale et capitalisme, ou, politique et capitalisme, car c’est ce dernier qui dicte la politique.
Nous en avons un exemple d’actualité, avec les cas Monsanto qui arrive à « acheter » des gens ayant pouvoir de décision. Il y a de nombreuses décisions qui tiennent d’abord du gain, tant pis pour l’avenir.

⇒  Moi, je suis plutôt de l’avis de Machiavel dans le sens où, quand il écrit « Le Prince », il fait une différence entre moralité et politique, car sa vision était comment construire un État. Il mettait en exergue que pour être un bon prince, il fallait à la fois, être bon, et être mauvais. Il rattachait la morale à la religion, en disant (en gros) que le prince devait faire semblant d’être assez pieux, de le laisser croire à ses sujets pour que ces derniers le suivent. Il se servait de la morale religieuse.
De la religion découle la morale, de la politique ne découle pas la morale.
Si l’on regarde nos sociétés d’aujourd’hui, ce qui les a amenées là, on se rend compte que la plupart de ceux qui font de la politique, se sont détachés de la morale, sinon on n’aurait pas notre civilisation telle qu’elle est. En gros l’État n’a pas besoin de morale pour exister, et à partir de là, on peut l’en détacher.
Aujourd’hui, on parle de morale dans la politique, parce qu’il y a des gens qui fraudent… Mais si l’on regarde bien la morale, elle a été abandonnée. En laissant la morale de côté, on obtient certains progrès, je pense. Et aujourd’hui, même dans le domaine juridique par exemple, on se rend compte que les juges vont faire extrêmement attention, entre la morale et la loi, et ne pas tomber dans cette moralité qui pourrait biaiser le jugement. De même que cela pourrait biaiser une politique à mettre en place.

⇒  Je voudrais comprendre comment la morale peut être uniquement une affaire individuelle. Je ne vois pas comment on peut être dans une société sans se poser la question sur les valeurs morales de cette société. On est bien obligés de respecter les règles morales de la société, on ne peut pas se comporter en être asocial. Je veux bien qu’on dise qu’on puisse s’affranchir de la morale ; moi, je ne sais pas faire ça. S’affranchir de la morale, ça donne peut-être ce qu’on voit aujourd’hui, et je ne suis pas sûre qu’on y ait gagné en liberté. Je vois plutôt une société en train de se dégrader.

⇒  Je m’interroge quant à l’origine de la morale et peut–on la dater ? Je pense qu’elle vient des religions monothéistes qui avaient un message universaliste, et une volonté de définir des règles. Ceci dit, le système actuel, que nous subissons, a toujours existé, que ce soit sous les monarchies ou tout autre système. Depuis le néolithique, il y a toujours des divisions de classe, des exploitations immorales de l’individu.

⇒  Malheureusement, l’actualité met trop en avant des hommes politiques qui ont failli, alors que la majorité est « dans les clous ». Ces élus, ce sont des gens qui ont adhéré à des idéaux, qui ont adhéré à un parti. Ce qu’ils veulent c’est servir la société pour le bien public. On voit qu’il y a une majorité de ceux-ci qui ont une moralité qu’ils mettent en pratique dans leurs mandats ; on en a des exemples dans nos communes.
Et on a évoqué moralité et légalité, on ne peut pas les opposer. La légalité ressort du politique puisqu’elle découle de la loi. La loi au départ est basée sur la 1ère Constitution de 1789 avec les idéaux de la Révolution, et avec les droits de l’homme et du citoyen. Donc, il y a un substrat de morale dans la politique par les espoirs qu’on avait mis dans la Révolution, peut-être des utopies pour certains. Une loi reste morale, même si elle est modifiée comme la récente loi sur le travail. Là c’est : tu ne dois pas dire, – tu dois, ou, – tu ne dois pas le faire. La politique, c’est, il faut faire, il faut agir.

⇒  La politique s’occupe des lois, donc de légalité, et là il ne peut pas y avoir de morale. Je prends un exemple, l’ISF, c’est moral, ou ce n’est pas moral qu’on le supprime ? Certains vous diront c’est absolument immoral. On ne peur pas parler de morale dès qu’on parle de la loi.
Et, je ne crois pas comme l’a dit François Bayrou, que la morale est quelque chose de totalement personnel, parce que la morale est issue d’un consensus sociétal. La morale a toujours existé, et bien avant les monothéistes. Toute société a un besoin de s’organiser, ceci avant le juridique. Donc s’est établi ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire, d’ailleurs dans les hiéroglyphes en Égypte, on trouve déjà des préceptes moraux comme dans les fables d’Ésope ; on y dit ce qui est bien, ce qui est mal.
A partir du moment où il y a une société, il y a une morale qui se met en place.
Et je reviens sur cette décision politique de lâcher la bombe atomique. Initialement, elle devait être lâchée sur Kyoto, mais « on ne va pas détruire un potentiel intellectuel » aurait dit le Président des USA, « bombardez Hiroshima, là-bas ce sont des paysans ». Décision politique immorale ; mais en temps de guerre, il n’y a pas de morale ; la fin justifie les moyens.

⇒  Je ne suis pas un idéologue, je ne défendrai pas un dogme, car en politique nous sommes d’abord devant une éthique de responsabilité. En politique, nous évoluons entre :
A) Éthique de conviction, où mes décisions se plient à mon idéal politique, à un dogme.
B) Éthique de responsabilité, où la finalité de mon action comme objectif, définit les moyens, les actions. Les conséquences sont imputables à ma propre action.
Ce sont des aspects incontournables pour tout homme politique.
De ce combat entre éthique de responsabilité, et éthique de conviction, nous avons un exemple dans l’Histoire. Dans les années 30 Hitler va envahir les Sudètes, l’Autriche. En France, les pacifistes au nom de la paix, valeur universelle et première, s’opposent à ce qu’on lui déclare la guerre. Pendant ce temps il arme son pays, puis envahit la Pologne, et là l’éthique de responsabilité s’impose enfin, on lui déclare la guerre (un peu tard).
Alors ne s’en tenir qu’à la morale ne me semble pas toujours possible, ce qui n’évacue pas pour autant toute morale dans la politique. Envisager toutes les conséquences, la finalité d’un acte politique est aussi une action morale.
Parfois on peut avoir raison avec Sartre.
Parfois on peut avoir raison avec Aron.
Et je reviens sur une intervention dans laquelle a été dit que les hommes politiques s’étaient détachés de la morale, et qu’on ne pouvait pas faire de la politique en s’en tenant à la morale. Soit ! Mais si ce soir si nous avons eu ce débat, c’est parce que des hommes politiques défendant ce même principe, ont eux-mêmes amené ce sujet dans l’actualité, l’on « mis sur le tapis » lors de la dernière campagne électorale. On en débat, mais « ce sont eux qui ont commencé ! »
Et je voudrais argumenter, en disant que je continue à penser que morale et politique sont intimement liées. Je ne me résigne pas à cette séparation. Et si morale et politique n’ont rien à voir, alors ! Pourquoi le « Pénélope gate » ? Pourquoi tout ce battage ? Pourquoi la démission de trois ministres en quelques semaines ? Et si il n’y a pas de conscience morale collective, alors on risque de tomber dans la banalité du bien et du mal, on risque d’avaliser les propos qui disaient que la shoah était « un détail de l’histoire ».
Et je dirais maintenant, qu’on en vienne à édicter une loi pour la confiance dans une représentation démocratiquement élue, m’interroge ! Ces élus ont fait campagne. Comme moi, vous avez pu les entendre lorsqu’ils présentaient ce que l’on nomme leur « profession de foi ». Leur élection est déjà un « contrat de confiance ». Et ça ne suffirait pas !
Il me semble voir dans cette démarche, un des signes d’une crise démocratique, démarche qui révèle un substitut devant une incapacité pour des élus au niveau national de mettre en œuvre les promesses qu’ils ont fait ; devant l’impuissance publique.
Et enfin, question subsidiaire : la confiance sans la morale, est-elle possible ?

⇒   Je reviens sur le propos qui nous dit que les hommes politiques se sont détachés de la morale, oui ! Parce que ce sont des politiciens, et il faut distinguer homme politique, et homme politicien.
Et en ce sens, effectivement on peut reprendre le propos de Machiavel précisant que pour conserver le pouvoir, la fin justifie les moyens, et que ceux qui veulent prendre et garder le pouvoir, ne se préoccupent ni du bien ni du mal. Cela oblige, comme déjà dit de distinguer éthique et morale, et aussi se poser la question de savoir si la morale a existé de tout temps dans les sociétés. Il y a là-dessus pas mal d’études, en particulier, celle de Durkheim, qui a mis en évidence le fait que dans toute société, et pas seulement dans des sociétés religieuses, mêmes dans les sociétés primitives, il y a eu des règles du vivre ensemble, c’est ce qu’on appelle, la morale.
On a dit : « la morale ce n’est pas la légalité ». Et bien oui ! Mais on peut se poser la question de savoir si toutes les lois qui aujourd’hui sont mises en place sont toutes morales. Si elles étaient morales sous Hitler, sous Pol Pot. Si les lois sont morales avec Trump, avec Macron.
Pour dire que c’est moral, il faut que ce soit valable pour tous.
Et je reviens sur morale et éthique. C’est le philosophe Paul Ricœur qui m’a enseigné de façon plus précise la distinction dans son ouvrage « Soi-même comme un autre » ; il y a bien une distinction entre morale et éthique, selon que l’on met l’accent sur ce qui est estimé bon, bon pour moi, ou ce qui s’impose comme obligatoirement, bon pour tous. Alors au-delà de cette distinction, on va dire, oui ! ça c’est de la philo, à quoi ça nous mène ? Et bien on le retrouve dans l’actualité des débats dits sociétaux. Je prends deux exemples : celui du droit à la PMA (procréation médicalement assisté), et la GPA, (gestation pour autrui)
Le 15 juin 2017, le Conseil Consultatif national d’Ethique avoue son inquiétude devant l’expansion rapide du marché des mères porteuses. Donc l’argument, c’est que le droit au respect de la vie privée, exige que chacun puisse établir les détails et la substance de son identité d’Etre humain, y compris sa filiation. Mais cela est contradictoire avec le fait d’un contrat financier qui fait de l’enfant une chose, un objet produit. Mais le 5 juillet, la Cour de cassation décide que les parents, hétérosexuels comme homosexuels, ayant recours aux mères porteuses, peuvent être parents d’enfants nés à l’étranger, enfants d’une femme qui l’a porté et qui a été payée pour cela. Donc la loi qui s’oppose à la réification, à la chosification de l’enfant et l’exploitation de la femme,  est contournée au profit de désirs de certains adultes.
Et bien, je trouve que nous sommes victimes consentantes de cet affaiblissement de la loi, parce que nous sommes individualistes, et que nous confondons le désir individuel et l’affirmation d’une éthique personnelle, au lieu de chercher une morale humaine.

⇒  Il n’y pas de société sans morale, et je ne crois pas que la morale soit une question de religion, c’est une affaire de vie en commun, de droits civils et politiques.
On a parlé de guerre et de morale. Ça n’a pas de sens ! C’est en temps de paix qu’il faut de la morale, et la référence reste la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui préconise plus de justice morale, humaine pour tous les humains. La morale est sociétale.

⇒  S’il n’y avait pas eu l’affaire Fillon, je ne crois pas qu’on aurait eu tout ce battage. Et l’affaire Fillon, ce sont les journaux, c’est nous, qui avons amené ce nouveau gouvernement à faire cette loi. Laquelle loi n’a rien changé, un élu ne peut plus employer sa femme, mais peut employer son neveu.., et on n’a rien enlevé sur l’influence des lobbies. Malgré tout, même si les politiques sont là pour se reproduire, et chercher comment durer, comme le préconisait Machiavel, (le prince qui ne dure pas est un mauvais prince), la responsabilité morale nous dit que le reste de la société peut avoir des influences, et il ne faut pas s’en priver.

⇒ La morale est propre à chaque pays. En France le « lancer de nains » a été interdit sur le principe de la dignité et non de la morale. Alors que si l’on compare avec les États-Unis, chez eux c’est autorisé. Il y a des principes reconnus par la loi, d’autres reconnus par la morale.
Dans des sociétés, quand les lois n’existaient pas encore, des règles de morale ont encadré ces sociétés, ce n’était le fait de la religion. Clovis chef barbare, n’avait pas de morale, il s’est converti à une religion dont il a adopté la morale. Mais s’il n’avait pas auparavant de morale, il était quand même le chef d’une société.
Je pense qu’il faut faire attention entre morale et loi. Et il convient de bien les distinguer, car on a vu des lois immorales sous le régime nazi.

⇒  La morale ne nous est pas donnée comme ça, c’est quelque chose qu’on acquiert en grandissant, en fonction d’un milieu, à partir de l’individualité. Il faut tenir compte de la diversité, des catégories sociales qui suivant leurs propres intérêts établissent leurs valeurs morales.

⇒  Il y a une conscience morale individuelle oui, mais il y a aussi une morale collective prise en charge par l’État, c’est l’enseignement du civisme et la morale à l’école.
Les hommes politiques nous demandent d’être moraux, alors pourquoi eux, ne le seraient-ils pas ?

⇒ Il y a eu des théories philosophiques et économiques à la fois, dont celles des Utilitaristes, comme Jeremy Bentham, pour qui la finalité en politique était le bonheur ; le bonheur pour le plus grand nombre  d’individus,  dût-on pour cela en sacrifier quelques-uns.
Là encore, la fin justifie les moyens. Celui-ci aujourd’hui vous dirait sûrement que la bombe atomique a été « un mal pour un bien », car c’est « grâce » à ce grand carnage qu’on a pris conscience du danger extrême d’une guerre nucléaire et que cela a écarté ce grand danger depuis Hiroshima.
Je reviens sur la représentation politique et les obligations morales qui y sont liées.
Je pense par exemple à l’ex-Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso qui comme d’autres est aller travailler dans le secteur de la banque, en l’occurrence pour Barroso,  dans une officine  qui juge et note les finances des pays d’Europe.
Qui imagine le général de Gaulle après ses mandats de Président de la République allant travailler dans un organisme financier ? Ou aller « pantoufler » dans une grande société, ou monter un cabinet conseil ? Et (pour la petite histoire) on se rappelle que ce dernier,  arrivant à l’Elysée, a aussitôt fait installer un compteur électrique afin de régler lui-même sa propre consommation d’électricité.
Ces dernières années nous avons vécu des évènements qui ont particulièrement terni l’image de nos représentants politiques, de situations impensables il y a un demi-siècle.
Je pense aux deux Présidents de la République mis en examen. Je pense à Mr Cahuzac se parjurant devant l’assemblée Nationale. Je pense aussi aux réactions des gouvernements démocratiques, dont le nôtre, face aux lanceurs d’alerte.
Par ailleurs, pour souligner que conscience collective et conscience personnelle ne peuvent être totalement dissociées, même au-delà des oppositions : les vives discussions en 1975, sur la loi Veil prouvent que la morale, même si chacun se l’aménage un tant soit peu, que cette dernière a place dans le débat public.
Simone Veil avait présenté son projet de loi « pour la santé publique » (Ceci dira-t-elle, par prudence). Elle abordait en fait un problème moral qui touchait tous les Français, toutes les Françaises en premier lieu, et ceci au-delà des catégories sociales. Alors, conscience collective et conscience des élus, (conscience personnelle) étaient interrogées tout à la fois ; alors, la morale n’était pas qu’affaire de conscience personnelle. Ce fut également le fait d’une conscience collective qui a fait évoluer la société dans d’autres domaines, je pense aux lois contre le racisme, je pense aux lois contre l’homophobie.

⇒  Des lois établissant la discrimination positive peuvent sembler sortir de la morale, mais c’est rétablir plus d’égalité pour des enfants défavorisés, leur permettre d’accéder à des études supérieures.cela ne constitue pas un privilège ; c’est dans le sens de plus de justice sociale.
Et je reviens sur une action politique et politicienne. Aujourd’hui on parle beaucoup d’islamophobie, et dans ce sens j’ai vu un spectacle de Charb, (dessinateur qui est mort dans la tuerie de Charlie-Hebdo). Le spectacle s’appelle : «  Lettre aux escrocs de l’Islamophobie qui font le jeu des racistes ». Il dit tout simplement que l’usage du mot islamophobie est maintenant utilisé pour stigmatiser comme raciste toute critique des islamistes. C’est là une escroquerie, qui fait passer une idéologie totalitaire, le wahhabisme pour la totalité de l’islam. Et pour interdire de la combattre, au nom de l’antiracisme, et pour induire que la laïcité de l’État peut être un racisme persécutant les musulmans.
Cette escroquerie a amené certaines forces traditionnelles de gauche jusqu’à accueillir dans leur rang des militants autoproclamés, « raisinés », prônant la haine des femmes libres, de la République, et de l’esprit des Lumières
L’action politique qui vise des idéaux, qui vise un projet de société morale, pour tous, est alors ramené tout simplement à des calculs politiciens, à des objectifs électoraux, locaux ou nationaux.
Donc l’action politicienne, illustrée dans ce cas, ne se pose pas la question : qu’est-ce qui est moral ? Qu’est-ce qui valable pour tous ?

⇒ Nous n’étions pas dans ce débat pour faire le procès de nos élus. Bien sûr ! Ni de
quelque parti que ce soit. Je voudrais résumer ma pensée, ma réflexion, avec une formule dans l’esprit de Rousseau : Si j’aliène ma liberté naturelle pour contracter avec les autres (c’est le contrat social), j’entends m’associer avec des personnes ayant comme moi des valeurs morales. J’aurais du mal à m’associer à des personnes ayant  des valeurs morales à dimension très variable, ou n’en ayant pas. Quand je dois faire mon devoir de citoyen, je prends cela en considération.
Et enfin, je dirai que : si nos valeurs n’ont pas de valeur morale, alors, elles n’ont aucune valeur.

⇒  Texte d’Hervé : La morale pure c’est la paix. Elle est la vertu de la philosophie. Mais il est inconcevable que la vertu, puisse naître, se maintenir, et porter ses fruits dans une âme obscure et troublée.
Il est inconcevable que la vertu porte le désordre dans le milieu où elle s’exerce.  La racine de la morale est dans la conscience. Toute conscience est implicitement morale. « Travaillons à bien penser » dit Pascal, voilà le principe de la morale.
La raison ayant pour rôle principal comme dit Descartes, qu’apprécier les biens et les maux donne nécessairement une règle à notre conduite. Jean-Jacques Rousseau, même, a pu soutenir que la conscience est juge infaillible du bien et du mal. Toute pensée est espoir de dialogue et d’accord.

N.B. Nous avons souvent abordé des sujets relevant tant de la loi, de l’éthique que de la morale. Dans ce sens on peut vous recommander l’ouvrage de Michael Sandel (Philosophe états-unien) « Justice » où il aborde, entre autre les thèmes de GPA, de discrimination positive, etc

Référence, ouvrages cités.

L’Emile. Jean-Jacques Rousseau. Poche
Le Prince. Machiavel. Poche
Soi-même comme un autre. Paul Ricœur. Poche
Justice. Michael Sandel. 2016. Albin Michel.

Journal : Le canard enchaîné. N° 5043. 21 juin 2017

Emission. La politique est-elle un métier ? (Les chemins de la philosophie) France-Culture.  5 juin 2017 (Encore en Podcast)

Film. Mister Smith au sénat. De Frank Capra 1938
Film. L’assemblée, de Mariana Otera. 2016

Spectacle, de Charb: Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes.
(Présenté au  théâtre d’Alep à Ivry S/Seine)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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