Bécassine
Restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue, le 25 mars 2023
Animateurs : Guy Pannetier. Edith Deléage-Perstunski.
Modérateur ; Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier
Introduction : Cette question a surgit suite à l’écoute de quelques propos entendus récemment sur une chaîne de télévision. Propos évoquant un recul chez les plus jeunes dans la croyance dans les sciences, et d’un refus de nombre de vérités scientifiques.
Etait évoqué, une possible responsabilité de ce « grand progrès de la communication » que sont les réseaux sociaux, lesquels amènent un nombre non négligeable de personnes, personnes jeunes surtout, à faire leurs, des propos parfois délirants de croyances de toute sorte, d’a priori, qui deviennent des vecteurs imprégnants de la bêtise.
J ai voulu voir par exemple, les contenus de vues regardées par un jeune public (et parfois moins jeune) sur TikTok. Le peu que j’ai vu, était aberrant de bêtise, cela semble vraiment être des programmes à décerveler. qui confirme la plaisanterie qui dit que Tik Tok rendrait toc. Mais c’est chez les adultes que la bêtise est à redouter. Ces réseaux sont pour des ados, où étions-nous à cet âge ?
Le constat serait que la bêtise progresse, pour le moins elle s’expose plus, donc cela pourrait nous rassurer quant à son avenir
Le philosophe nous a dit que bon sens serait la chose la mieux partagée, mais il ne s’est pas prononcé sur la bêtise, bêtise humaine, trop humaine, car la bête ne peut être bête.
Au-delà de cela, se pose la question comment lutter contre la bêtise, laquelle pourrait engendrer une société régressive, une société s’installant dans une certaine idiocratie, où, dominé par les intelligences artificielles, l’humain ne serait plus qu’un utilisateur de technologies
Alors, qu’est-ce qui serait la cause réelle de cette prétendue progression de la bêtise ?
Etaient également invoquées dans le reportage : l’éducation scolaire, l’éducation parentale, les nouvelles technologies, l’accélération de notre rythme de vie, voire les perturbateurs endocriniens, comme l’affirment des chercheurs. Etait-ce une inculture qui progresse ? une déficience liée à l’usage de produits chez les ados ?
Même si nous sommes assurés qu’elle ait un avenir, elle a aussi un passé comme nous le rappelle si judicieusement Michel Serres dans son ouvrage « C’était mieux avant ». Il nous rappelle qu’il y tout juste un siècle (je le cite) : « Avant, » sans crainte de procès, nous pouvions caricaturer les juifs et les injurier bassement dans les magazines antisémites librement répandus; montrer quasi scientifiquement que les Africains, les Aborigènes australiens, que les noirs en général, incultes et proches des primates, dataient d’avant le néolithique, […..] que les Allemands n’étaient que des brutes sanguinaires, comme les communistes et socialistes au couteau entre les dents, sans oublier les francs-maçons, les ouvriers, les banlieusards… »
Alors, on déplore dame bêtise, « on s’en moque, « on voudrait la combattre, « on la dénonce comme dangereuse, mais quand on a dit cela, l’a-t-on fait reculer d’un pouce ?
Il y a de très beaux textes, textes très intelligents sur la bêtise, je ne vais pas vous les lire maintenant, car je ne veux pas court-circuiter des réflexions qui murissent chez vous.
La littérature, le théâtre, le cinéma, nous ont fournit de beaux modèles de la bêtise, des héros de la bêtise, et une héroïne, car la bêtise alors, n’était pas genrée.
Si je voulais analyser le concept bêtise, pour autant qu’on puisse conceptualiser la bêtise, je le déclinerai en trois approches spécifiques :
1° Un Etat, tel l’essence de la bêtise, son fondement, une faiblesse, une défectuosité psychique qui est le terme soft pour une tare (Peut-être trouvera t- on le gène de la bêtise).
2° Un comportement, des façons d’agir, de réagir, dont l’ingénuité, ou une génération du click, où quand l’instantanéité, où la parole va plus vite que la réflexion ?
3° Un jugement appréciatif, un jugement qui peut, être en effet miroir, soit « voir la paille dans l’œil de son voisin », voire utiliser tous les poncifs.
Donc en résumé trois éléments : un état – un comportement –des jugements appréciatifs.
Et enfin j’en termine. Vouloir débattre philosophiquement de la bêtise, comporte un grand paradoxe. Car, comme nous l’explique un philosophe (Robert Musil dans, De la bêtise) pour tenir des propos sur la bêtise, cela présuppose que je ne suis pas bête, ce qui signifie, que je me considère comme intelligent, alors qu’un tel aveu, (dit-il) serait signe de bêtise.
⇒ Peut-on opposer la bêtise et l’intelligence ? non, car quelques fois sous le couvert d’une culture supposée intelligente, des bêtises peuvent être faites ou dites, par manque de discernement, de compétence, d’objectivité, d’ouverture d’esprit, ou découlant d’une idéologie. Le supposé intelligent à son lot de bêtise, et, si il a du pouvoir ou de la notoriété, cela amener à des catastrophes…. Méfions-nous des certitudes.., des réseaux sociaux, des publications au détriment de la réflexion, et de la raison.
La crédulité est exploitée sur les réseaux sociaux, des slogans racoleurs trouvent des victimes , des personnes faibles ; des gourous vous proposent par exemple des régimes tout légumes pouvant tout guérir, les sectes repèrent les individus qui peuvent être en difficulté dans leur vie, des charlatans de toutes sorte sont sur le Net.
L’éducation doit apprendre à se méfier contre ses tentatives de manipuler, contre la propagation de fausses informations qui peuvent prises comme vérités par de personnes, personnes jeunes souvent. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, je dirai : « on ne nait pas bête, on le devient ».
⇒ Est-ce que des personnes faibles et fragiles, manipulées peuvent être considérées comme des personnes bêtes ?
⇒ La bêtise peut se propager sans qu’on y prenne garde, elle n’est pas forcément détectable de suite, de ce fait elle est dangereuse.
⇒ Dans l’introduction à ce débat des exemples donnés nous mettent sur un champ : bêtise, intelligence, mauvaise foi. Il faut qu’on fasse un peu le tri. Il y a des gens de mauvaise foi quoi disent des choses idiotes, alors qu’ils savent très bien qu’elles sont idiotes, c’est la mauvaise foi, ceux-là ne sont ni bêtes ni intelligents
On assimile la bêtise à une certaine inintelligence, mais demande de définir l’intelligence ; laquelle serait pour moi savoir s’adapter à des situations nouvelles, ne pas en rester sur des schémas, ne reprendre que les idées toutes faites, etc…
Donc celui qui serait bête serait celui qui est dépourvu de ce « bon sens » qui fait sait toujours s’adapter. Et si on ne sait le faire, alors on s’enferre dans es certitudes, celles qui rassurent.
⇒ La bêtise a deux aspects, une double face, une face « agréable » disons excusable, et une face nuisible. Donc, elle est excusable ou détestable, elle peut être amène, ou perverse et malveillante, et tout ceci n’a aucun lien avec l’intelligence.
⇒ Est-ce qu’il n’y a pas la possibilité de développer, et l’esprit critique et la capacité d’analyse chez des enfants afin d’envisager d’éradiquer la bêtise. ?
⇒ « La bêtise c’est un type qui vit et qui dit ça me suffit, je vais bien, ça me suffit. Il se botte pas le cul tous les matins en disant c’est pas assez ! Tu ne vois pas assez de choses, tu ne fais pas assez de choses, c’est de la paresse. La bêtise c’est de la graisse autour du cœur, de la graisse autour du cerveau » (Jacques Brel)
⇒ Il y des personnages de film de roman, qui sont les modèles mêmes de la bêtise. Il y a deux personnages incontournables d’une nouvelle de Flaubert, qui sont Bouvard et Pécuchet
Bouvard et Pécuchet sont les héros de la bêtise instruite
« Aujourd’hui », dit Pécuchet à Bouvard « les grandes aventures sont évidemment celles de l’esprit » Bien sûr au départ les deux protagonistes vont échanger des banalités, qui sont semblables à bien des propos qu’on entend tous les jours. Ils sont moqués alors qu’ils sont bien peu différents de ceux qui les raillent.
Peut-être a-t-on faire rire un certain public en lui montrant sa propre bêtise.
Mais les deux personnages s’enrichissent au-delà de leur contact, ils deviennent des curieux naïfs, des utopistes, ayant toutefois le courage de rompre avec leur routine. Et ils vont s’instruire et plus ils apprennent plus ils vont perdre ce goût formidable de la vie lorsqu’ils étaient des « imbéciles heureux »
Ils finissent par décider de relever et copier toutes les bêtises, les stupidités, les jugements péremptoires qu’ils ont pu entendre. Et Ajoute Pécuchet « sans oublier les nôtres ».
⇒ Dans d’autres langues européennes c’est le mot stupide qui est d’usage, estupiditez, etustidity, estubibidita, on parle plus d’imbécilité. Ce mot qui nous en dit plus, si l’on reprend une étymologie donnée d’imbécile, « in bacillus » (en latin, qui n’a pas de bâton) ; soit celui qui n’a pas les codes, qui ne connait pas les règles, pas eu l’éducation nécessaire. Donc une bêtise qui peut être excusable, car elle peut être combattue. Rien à voir avec la bêtise qui se complait dans sa bêtise, une bêtise qui s’admire.
⇒ L’enfant qui n’a pas encore appris les codes, qui n’a pas l’âge de raisonner ne peut être dit bête, on ne dira jamais d’un enfant qu’il est bête comme on le dirait d’un adulte.
⇒ Est-ce que la bêtise ce n’est pas, aller toujours à la facilité, une grande paresse intellectuelle ?
⇒ J’ai entendu qu’on peut faire « fondre la graisse autour du cerveau », c’est-à-dire que si l’on considère la bêtise comme manque d’intelligence, et bien, on peut et je l’espère, agir par l’éducation, par une pédagogie individuelle ou collective, la démocratie sociale, tout ce qui va pouvoir éliminer cette « graisse autour du cerveau », pour pouvoir éliminer les opinions racistes, antisémites…
⇒ On dit que la bêtise peut être combattue, je n’en suis pas absolument certain. La connaissance, c’est du savoir, et ce savoir ne donne pas forcément l’intelligence, j’en ai eu un exemple. J’ai eu l’occasion et la chance, de rencontrer un grand physicien de renom, mais dès qu’on parlait d’autre chose que de physique, c’était le vide, il n’avait de compétence que dans son domaine, en dehors de cela il tombait très vite dans les lieux communs.
⇒ En dehors de deux personnages, « héros » de la bêtise, que sont ; Bouvard et Pécuchet, nous en connaissons d’autres : François Pignon, Le bourgeois gentilhomme. Mr Homais (Emma Bovary). Laurel et Hardy. Le clown « l’Auguste », etc..
La bêtise n’est pas genrée, la parité n’y est pas respectée ; nous connaissons, le beurdin, le demeuré, le benêt, le lourdaud, le nigaud, l’idiot du village, etc…
Imaginez aujourd’hui, que si le fameux personnage de François Pignon, (du dîner de cons, entre autres) était joué par une femme, Madame Françoise Pignon, et bien, je ne sais pas si ça passerait ; parce que la bêtise finalement elle est genrée. Nous avons Messieurs ce grand privilège que la bêtise est réservée au genre masculin. (mérité? pas mérité?)
⇒ On peut faire des reproches à l’éducation, scolaire ou parentale. Notons toutefois, qu’on a créé il y a une soixantaine d’année, des Maisons de la culture, pour offrir un accès à la culture à tous. Alors bien sûr la question reste : est-ce que la culture peut à elle seule combattre la bêtise ?
Je pense que la bêtise recule globalement, les gens sont moins bêtes, moins stupides, moins faciles à manipuler, à embrigader qu’ils ne l’étaient il encore un siècle.
⇒ On a beaucoup accusé Internet et les réseaux sociaux de propager la bêtise, Mais de gens jeunes ou moins jeunes se cultivent sur Internet. On peut accéder à des visites de châteaux, à des expos, visiter des musées, c’est extraordinaire le savoir qu’on peut y trouver.
⇒ Bien sûr qu’Internet est, ou peut être utile pour lutter contre la bêtise. Mais ce qui importe le plus pour lutter contre la bêtise, ce n’est pas qu’apprendre à consulter, c’est aussi apprendre à raisonner, ne pas se contenter de systèmes qui ont « raisonné » pour moi, qui ne m’obligent pas à « penser par moi-même ».
⇒ « La bêtise a t–elle un avenir ? La bêtise est à l’aise dans ce qui ne change pas ; elle est conservatrice par nature, elle voudrait arrêter la durée et l’existence, aussi déteste t-elle tout ce qui fait échec à la stabilité des choses et des êtres : la contradiction, le hasard, l’aventure, la complexité. Elle agit comme une force d’inertie, et n’offre aucune prise à ses adversaires…..
Elle est principe de régression : la bêtise est involutive. (Ce que je traduirais par, repliée sur elle-même, auto suffisante). Ses formes d’expression sont stéréotypées (proverbes, lieux communs, clichés, préjugés, rumeurs…. Les étiquettes remplacent les mots, et les opinions toutes faites, la pensée.
La bêtise est doxocentrique. Elle se sent chez soi et elle y reste…
La bêtise a des idées, mais de travers. Comme on avale de travers, elle pense de travers. Elle fait usage des idées générales qui sont au concept, ce que le bruit est à la musique….
La bêtise qui ne se sait pas bête et qui se croit même intelligente rit volontiers de la bêtise imaginée d’Autre stéréotypé en catégorie fatale. Les blagues sur les blondes, les belges (Par exemple)
La bêtise ne veut rien savoir des autres et du monde, car elle croit tout connaître (proposition du non-dupe). Dans son essai « la bêtise s’améliore » Belinda Cannone montre quelles inflexions la bêtise connaît dans la société présente. On n’est as bête sur un plateau de télévision ou dans un studio de radio comme on était bête à la cour de Versailles, même si le sot d’aujourd’hui est l’héritier parfait du fat de jadis (un mot justement tombé en désuétude.
L’individualisme est passé par là, avec ses deux pathologies grandissantes : l’égocentrisme et le narcissisme.
Ne plus s’intéresser à autre chose qu’à soi même, ne plus pouvoir avoir d’autre objet d’amour que soi-même : voilà assurément le cadre psychique à l’intérieur duquel la bêtise actuelle peut se déployer à son aise. Ainsi le « Soyez-vous mêle » qui, pendant un temps, fut une injonction libératrice à l’égard des puissances qui entravaient le moi est, sous couvert d’authenticité, devenu un impératif catégorique pour la bêtise…
La bêtise exerce toujours un certain pouvoir, parfois elle l’a, suprême. Précisons que c’est le pouvoir du mal et c’est la raison pour laquelle on ne saurait réduire la bêtise à un problème d’esthète. La plupart des intellectuels qui ont écrit sur la bêtise – Flaubert, Léon Bloy, Robert Musil – ont eu sur elle une position d’esthète. Somme toute, ce qu’ils reprochaient avant tout à la bêtise, c’est son absence de goût et de style.
Ce n’est pas par hasard si Flaubert fut doublement obsédé par la bêtise et le style ; Mais la bêtise fait davantage que des fautes de goût, et si elle nous rend honteux d’être des hommes, c’est parce que les guerres et les génocides en sont le splus abominables expressions.
Dans une société individualiste de masse comme l’est la nôtre, tentée à la fois par l’éparpillement des idées et des esprits et par le consensus, les lieux communs sont un moyen de faire ou de refaire du lien. Avec le lieu commun, je ne suis plus seul. La bêtise tient chaud, et donne du cœur à l’ouvrage. Le nombre n’est pas un critère de certitude ? Le vieil argument du consensus traîne toujours implicitement : ce que je pense est vrai puisque tout le monde le pense ! (Christian Godin. La bêtise existe-t-elle)