Est-il plus heureux l’homme qui pas dépassé la haie de son jardin?

 

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

       Restitution de la réunion du 30 10 2019 à Chevilly-Larue

Animatrice/ animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaut

En ouverture du débat, Thibaut nous fait écouter la chanson de Michel Sardou : « S’enfuir et après » 1997, extrait de l’album « Salut »: S’enfuir et après / Revivre à peu près /Les mêmes choses qu’on fui / S’en aller ailleurs / Passer l’équateur / et se croire à l’abri. Le monde est sans but / Le centre est partout/  Notre ombre nous suit / S’enfuir et toujours, les chagrins d’amour / durent toute une vie /Partir en courant : Echapper au temps / Découvrir un ciel / Aller sans valise / sans idée précise / seul’ment se faire la belle / s’enfuir et alors / c’est l’aéroport / l’achat d’un billet / Aussi loin que l’in va  / on part avec soi / on ne s’oublie jamais / se mettre à l’écart / Ne plus rien savoir / du monde où l’on est / laisser en arrière : Les idées amères, / les projets… »

 Introduction : (Thibaut); Dans son célèbre essai « Tristes tropiques », le grand ethnologue Claude Lévi-Strauss commence par ces mots, plus que paradoxaux pour le fin connaisseur des civilisations mondiales qu’il était : « Je hais les voyages et les explorateurs. » Il précise d’ailleurs que « ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. »
Ainsi, le voyage existe-t-il encore ?
On peut en douter, comme aime à nous le rappeler Stephan Zweig dans la préface de sa biographie de Magellan. Le grand écrivain se croit obligé de nous livrer une justification à la naissance de son livre :« En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrit : il est né d’un sentiment peu courant, mais très énergique : la honte. »
Et Zweig de nous expliquer la genèse de son émotion alors qu’il effectuait la traversée de l’océan Atlantique à bord d’un grand navire moderne :
« J’étais fatigué de voir les mêmes visages et la monotonie du service de bord, avec sa calme précision, me devint intolérable. Avance ! Avance ! Plus vite ! Plus vite ! Vraiment ce beau et confortable navire fendant les flots avec rapidité me paraissait aller trop doucement ! »
L’obsession de la vitesse et de la rentabilité est devenue un sentiment caractéristique de nos sociétés modernes tant le monde s’est vu diminué au fil des décennies, du fait de cette mondialisation commencée au XVIe siècle et de l’avancée technique des moyens de transport. Il est vrai qu’à peine sommes-nous partis que nous souhaiterions être déjà arrivé. Pourtant, nous pouvons rallier n’importe quel point du globe en quelques jours tout au plus, et dans des conditions la plupart du temps agréables et sécurisantes. Voilà ce qui provoque ce sentiment de honte dont nous fait part Zweig. La honte de se plaindre de tant de confort, tel un enfant capricieux, et d’avoir ainsi oublié comment les hommes du XVIème siècle se déplaçaient autrefois sur les mers, bravant l’inconnu, la peur au ventre face à ce désert d’eau salée, la faim tiraillant les entrailles, le froid transperçant la peau comme autant de petits poignards sans compter cette profonde déréliction, seule compagne pendant des mois, faisant oublier parfois jusqu’à la conscience de soi-même. Le confort moderne nous rend souvent amnésique…
Pourtant, nous n’avons jamais autant « voyagé ». Des milliers d’appareils sont en vol à chaque instant, transportant vers toutes les destinations des millions d’individus. Mais est-ce humainement, économiquement, écologiquement universalisable ? Le voyage n’est-il pas l’apanage que de quelques-uns malgré une démocratisation certaine ? Dans ses fameux essais, Montaigne répond « ordinairement à ceux qui […] demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche. » Voyager est-il alors une fuite ? Un renoncement à trouver le bonheur là où nous vivons ? Un besoin de ne reconnaître le bonheur qu’à la condition de s’en éloigner. Dans ses propos sur le bonheur, le philosophe Alain nous renseigne à ce sujet : « si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n’aura l’aspect du bonheur. » S’enfuir n’est-il pas revivre tout ce que l’on fuit ? Ne passons-nous pas une partie de notre existence à nous chercher nous-mêmes et ainsi à nous fuir, pour finalement revenir au point de départ ? Mais le bonheur est-il aussi une obligation ? Nous sommes entourés d’injonctions de toutes sortes : « Soyez heureux ! », « carpe diem ! ». D’ailleurs, il est piquant de constater que l’anagramme de « carpe diem » est « ça déprime »[1].     En effet, le bonheur n’est-il pas toujours gâché par la peur de le perdre ? Le bonheur pour être durable se doit, peut-être, d’être modeste. Ne pas changer ses habitudes, « cultiver son jardin » c’est peut-être avoir trouvé quelque chose d’essentiel, mener une vie paisible et méditer sans s’inquiéter des autres et de ce que pensent les autres. Ne pas s’inquiéter des problèmes insolubles et ne s’occuper que de ceux que l’on est en mesure de résoudre.
Mais « cultiver son jardin » n’est-ce pas aussi le prototype de l’égocentrisme, de l’individualiste peut enclin à s’intéresser à autrui et à considérer son mode de vie comme le parangon de l’humanité ?
N’est-ce pas aussi une lâcheté, ne pas lutter contre le sentiment de végéter. Mais alors, à quoi bon fuir ? Pourquoi ne pas se battre ?
Le bonheur est-il donc dans la sédentarité ou l’éloignement, le mouvement ? On peut être libre de fuir, ce qui n’est pas toujours à connotation négative, ou bien de rester et que le bien commun puisse alors récolter les fruits de notre labeur. C’est tout le paradoxe, la complexité et pourquoi pas, l’essence même de la nature des hommes. En fin de compte, la philosophie n’est-elle pas en elle-même un voyage immobile ?

 

Débat : Ma première réflexion, fut : c’est quoi cette haie ? Elle est physique : des troènes, des thuyas.., elle est géographique ou elle est une barrière psychologique ? Ou idéologique ? Un retranchement ? Une peur ? Ou, le clos de ses certitudes ? Ne pas oser ? Craindre ce que l’on ne connaît pas ?
Et, m’est venu de suite à l’esprit les vers de Joaquim du Bellay : «  heureux qui comme Ulysse, a fait un long voyage / ou comme cestuy-là qui conquit la toison. Et puis est retourné, plein d’usage et de raison. Vivre entre ses parents le reste de son âge… »
Et également me revient une conversation récente avec un voisin, lequel a visité le monde entier, a séjourné dans les grandes capitales : Melbourne, Moscou, New-York, etc. Et ma question, fut : maintenant que tu vis ici, où te sens tu le mieux ? Spontanément sa réponse fut : ici bien sûr, chez moi, en Andalousie, c’est : ma lange, mes racines, ma culture…
C’est là un thème qu’on retrouve en littérature, comme dans le roman de Paolo Coelho, comme une allégorie. « L’Alchimiste » où le personnage, couché sous un arbre, fait le rêve d’un trésor caché qu’il faut qu’il découvre. Il fera un large périple de par le monde, et finalement il trouvera le trésor, qui était enfoui au pied de l’arbre, où il avait fait le rêve.
Cette histoire,  image le fait que souvent nous allons chercher très loin, ce que nous avons sous auprès de mon arbrela main, et que notre aveuglement nous empêche de voir. « Après de mon arbre, je vivais heureux, j’aurais jamais dû le quitter, mon arbre » (Brassens)

⇒ Quand j’ai épluché cette phrase du thème, il y a trois mots qui m’ont interpellé ; Les mots : jamais  – franchir – heureux. C’est quand même bizarre, parce que quelqu’un qui s’enferme, peut-il être heureux ?
J’ai cherché sur Internet, si un tel sujet avait déjà été proposé en café philo. Et bingo ! J’ai trouvé « Que faire si un voisin ne taille pas sa haie » autrement dit s’il ne souhaite pas converser avec vous.
Et cela m’a rendu un peu triste car cette haie peut-elle nous empêcher d’aller vers les autres ? Cela peut être fait volontairement ou involontairement. Dans ce dernier cas (maladie, solitude, handicap), là nous sommes collectivement responsable, nous qui sommes à côté.        Mais si la personne le fait volontairement en raison de peu d’appétence pour la société  alors je suis triste. Cette phrase, je dois le dire, me met mal à l’aise.

 La phrase traite apparemment des conditions du bonheur et comment être heureux ou plus heureux. Mais pour moi, cette phrase est « que signifie franchir la haie de son jardin ? »
C’est par les questions de l’existence et du développement des communautarismes dans notre société et aussi d’un totalitarisme islamique qui m’inquiète  que je vais traiter cette question pour dire que je suis heureuse de pouvoir, et jusqu’à la mort, franchir les haies de mon jardin.
Certains pensent qu’ils seront heureux ceux qui retrouverons le jardin et les haies  d’où ils ont été éjectés. C’est la définition du communautarisme, idéologie selon laquelle, hors de ma communauté d’origine, de race, d’ethnie, de religion, de genre, de terroir, de culture, je perds mon identité, par soumission à la communauté dominante.
Et donc les victimes de cette «oppression » aujourd’hui, affirment leur identité qui a été annulée en exigeant de leurs oppresseurs qu’ils décolonisent leurs propos et leurs actes.
Ainsi, ils s’affirment victimes de l’universalisme occidental qui prétend pour maintenir  sa domination que, au-delà des jardins secrets de chacun peut exister une communauté diverse mais unie, qui a le projet de réaliser le bien commun, la « res publiqua » et non pas de répondre aux désirs individuels de chacun. Ainsi, il y a un mouvement culturel qui aujourd’hui se développe, le mouvement décolonial et qui veut s’imposer en accompagnant toutes les victimes. De nombreux ouvrages ont été consacrés à la question : décolonisons les arts, le féminisme décolonial…
Ce mouvement s’impose avec force et violence par rapport à ceux qui sont considérés comme des oppresseurs, en particulier les colonisateurs occidentaux blancs.
Dans les arts par exemple, il y a eu deux événements auxquels j’ai assisté, en particulier à la Cartoucherie, au Théâtre du Soleil, Ariane Mouchkine a repris un spectacle « Kanata » qui signifie le « village » en Iroquois, spectacle canadien sur l’histoire des colonisations au Canada. Ce spectacle a été joué par de nombreux acteurs français, anglais, japonais, etc. En mai 2019, ce spectacle a été interdis au Canada du fait que certains que cette œuvre ne devait être jouée que par des iroquois. En soutient au Canadiens, Ariane Mouchkine a donc repris ce spectacle en France en septembre dernier et qui a été empêché avec force par la présidente de « décolonisons les arts », Françoise Vergés, et d’autres, mais le spectacle a quand même eu lieu sous le nom « Kanata la controverse ». L’actrice principale du spectacle pose d’ailleurs le problème en posant la question : « faut-il être juif pour jouer un juif, faut-il être noir pour jouer un noir ? »
Par ailleurs, à la Sorbonne, le spectacle les « suppliantes » d’Eurydice, fait montre d’acteurs qui ont joué avec des masques noirs. De nombreuses associations se sont mobilisées (les « indigènes de la République »…) et ont fait interdire le spectacle. Dans certaines universités (Lyon 2), des étudiants français se voient refuser leur master au motif qu’ils traitent de ces questions des peuples opprimés.
Voilà pour les arts. A la F C P E, la fédération des parents d’élèves, suite à l’histoire de la maman voilée, est affichée maintenant « je peux accompagner mes enfants avec l’habit que je veux ». Des personnes ont réagi et ont été violentées physiquement.
Cette idéologie décoloniale, le décolonialisme, considère que la colonisation a toujours imposé avec force, violence, viols que des individus ne cultivent plus leur jardin et que donc, ils ont été spoliés, et que donc, ils ont raison de réclamer ce dont ils ont été spoliés c’est à dire leur jardin et leur haie. J’aimerai également évoquer le livre «  Rencontres radicales pour des dialogues féministes et décoloniaux » ; Les auteures expliquent que le capitalisme est un capitalisme racial et dont les victimes ont le droit et le devoir de condamner et d’attaquer tous ceux, qui, sans le vouloir sont complices de cette spoliation du jardin intérieur. Et donc, certains considères que le jardin intérieur doit être réapproprié avec sa haie tout autour. Un second courant qui considère que le bonheur passe par le maintient de son jardin privé avec les haies qui l’entourent, ce sont ceux qui se mobilisent pour une laïcité ouverte contre une laïcité radicale. La laïcité c’est simplement le fait de tolérer l’autre afin de vivre ensemble ; Rappelons que la tolérance ce n’est pas le respect. Il y a ceux qui pensent que seront heureux au ciel, au paradis, ceux qui auront éliminé les mécréants blasphémateurs, ceux dont le jardin intérieur n’est pas le jardin voulu par eux. Ensuite seront plus heureux, vivrons mieux, ceux et celles victimes d’une laïcité fermée, intolérante, radicale qui demande à tous les citoyens et citoyennes de France de ne pas distinguer espace public et service public.
Ainsi la maman voilée, lors d’une sortie scolaire qui pleure sur la vie brisée de son enfant car elle a vécu une humiliation violente, elle sera moins malheureuse quand enfin la société française reconnaîtra enfin aux musulmans de porter le voile islamiste car comme chacun le sait, et comme l’expliquent de nombreux imams modérés, le voile n’est pas une obligation religieuse mais qu’il est simplement un drapeau. Que la société française permette aux musulmans de vivre leur jardin intérieur privé et  religieux mais à l’extérieur.
Il y a des raisons à cela. De nombreux philosophes expliquent que ce mouvement décolonial et ce mouvement anti-laïcité entrent dans une idéologie libérale qui consiste en la liberté de choix individuelle et qui va, de fait, à l’encontre d’un état républicain et de la mise en place d’un contrat social juste et bon pour tous. Cette conception de la liberté renvoie à une idéologie libérale qui promet le bonheur individuel et qui considère que chacun a le droit de mettre les haies autour de son jardin privé et de la cultiver en refusant l’ouverture vers l’autre et à ce qu’il y ait des actes et des idées qui permettent que l’on vivent ensemble. Pour ma part, je ne suis pas heureuse comme ces gens qui veulent le communautarisme décolonial ou la laïcité ouverte, bien  au contraire.  Je suis heureuse car je franchis sans arrêt, et jusqu’à la mort, la haie de mon jardin. Je m’y oblige et m’associer en pensée et en acte avec ceux qui ont un autre jardin privé. Et je suis heureuse quand je peux continuer à m’interroger avec impertinence sur le monde et je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de Michel Serres « De l’impertinence aujourd’hui».

 Je vais faire une remarque sur ce qui vient d’être dit et en particulier sur le décolonialisme qui, il me semble, se contredit lui-même quand il affirme aux autres cultures « vous devez reprendre votre culture » car ils font alors du colonialisme à l’envers en pensant à la place de ceux qu’ils ont l’ambition de « défendre ».
Quant à la phrase du sujet qui nous occupe, c’est une phrase qui me plait beaucoup car elle est poétique et dans son rythme (c’est un alexandrin) et dans son sens rhétorique, car « est-il plus heureux l’homme qui n’a pas dépassé la haie de son jardin ? » amène à penser qu’il est malheureux celui qui ne le fait pas. Il y a en quelque sorte une réponse dans la question. On peut très bien franchir la haie physique et c’est une invitation au voyage mais on peut aussi franchir sa haie mentale et culturelle tout en restant chez soi et en lisant un bon bouquin. Ne pas franchir sa haie peut entraîner le repli sur soi et le communautarisme qui peut même aller vers une scission plus grave encore que le communautarisme, celui d’un égoïsme absolu. Il faut donc repousser tout au long de sa vie les limites de notre haie afin que notre jardin soit de plus en plus grand.

 J e vais rebondir sur ce qui vient d’être dit à propos du mouvement décolonial. J’irai même plus loin car je pense que c’est un authentique intégrisme par la violence verbale et/ou physique dont il fait preuve. Il prône en réalité la dictature des identités donc quid de la liberté d’expression, et il  prône des revendications à la fois sectorielles et communautaires. Cela entraîne la pulvérisation même de la notion d’égalité et donc de la République.
Franchir la haie de son jardin c’est aussi faire preuve d’esprit critique car c’est franchir sa haie intellectuelle. Comme le disait Bachelard, « penser contre son cerveau. »
De plus, par rapport à ce qui a été dit au début, j’ai repensé au film « Les évadés » avec Morgan Freeman. Cela se passe dans une prison et un des personnages est libéré au bout de 50 années de détention et plutôt que de profiter de la liberté qui a permis à la haie de son jardin de « s’envoler », il décide de se suicider car il ne reconnaît pas ce monde dans lequel il n’est rien alors qu’il était un monsieur  connu et respecté au sein du pénitencier où il a purger sa longue peine.

⇒ Après ce qui a été dit, il faut tenir compte aussi des gens qui n’osent pas franchir la haie de leur jardin, par timidité, par peur ou par le souvenir de mauvaises expériences, cela n’est pas donné à tout le monde. Cela m’a rappelé la Bible où sortir de son jardin est une damnation.  Abel qui cultivait sa terre, c’était le sédentaire et Caïn, c’était le berger, le voyageur,  le nomade et dans l’inconscient populaire, le voyageur est toujours plus heureux que le nomade.
Le voyageur est toujours plus heureux que le sédentaire car ce dernier rêve de voyages. Etre dans son jardin c’est donc être attaché à quelque chose que l’on ne peut quitter du jour au lendemain. Et puis, je me suis fais une autre réflexion, est-il plus heureux le mari qui n’est jamais allé voir si l’herbe était plus tendre ailleurs ?

 En parlant de décolonisation, je me suis rappelé d’un livre dont le titre est « décoloniser l’enfant ». On sait bien que l’enfant ne peut s’affranchir de l’adulte, du moins pour ce qui est du cadre, des valeurs, etc. Mais l’enfant a aussi sa propre dynamique.
J’ai eu des élèves et ils étaient noirs, c’était la seule couleur. Ils voyaient des différences que je ne voyais pas et parfois ils se heurtaient violemment. Il y a beaucoup de différences dans les pays, les familles, les relations humaines ne sont pas les mêmes.
Un autre livre « l’enfant noir », merveilleux ouvrage qui donne une idée de ce monde très complexe où le serpent et autres peuvent avoir une dimension symbolique ou être vécus tels que. Mais d’abords, qu’est-ce que c’est qu’une identité noire ? Parlons-nous de celle du 15e, du 16e du 17e   siècle ? Cela reflète une grande complexité au même titre que la peau blanche.

 Je vais envisager l’évasion par l’esprit. Deux textes par Hervé pour élargir son jardin par la poésie :

L’ÉVASION DU POÈTE
(En acrostiche : Les mots proposés)

Livrer un message et souhaiter son avènement,
E ncore immaculée, la page doit faire rêver,
S éduire, pour enfin révéler tout le talent.
M arier des mots, espérer publier, imaginer,
O euvrer, pouvoir proposer aisément
T out son savoir, le  poète sans douter,
S oigne le texte pour l’aimer tout simplement.
P ourquoi cette pensée poétique est à dévoiler ?
R elater, croire sans ignorer, ce questionnement
O blige à devoir l’éditer puis enfin l’aider à s’évader
P urement du livre pour se souvenir absolument.
O uverture d’esprit, nuances verbales, enfin méditer
S ur toutes les idées bienvenues, précisément
É crites, élaborées, contées, aimées, détester errer
S ans but, l’auteur est messager de ses sentiments.

L’ŒUVRE IMMORTALISÉE
ou l’évasion du peintre
(avec les mots proposés)

Souhaiter laisser un message pertinent,
cette toile immaculée va faire rêver.
De ses pinceaux, espérer avec talent
refléter toute l’harmonie, imaginer
comme le poète pouvoir, avec enchantement
proposer tout son savoir, sans douter
quelle symphonie sera dévoilée précisément.
Aimer, se souvenir, immortaliser
ce tableau, ne pas ignorer ses pigments,
tout cet art oblige de devoir étudier
ce que l’artiste a voulu absolument.
Détaillée, tout en nuance, pourquoi détester,
comme certains, cette œuvre non contents
de croire qu’elle n’est pas à louanger,
ignorants que vous êtes manifestement.

⇒ Le jardin est quelque chose de spécifique à l’espèce humaine or sachant que l’Homme est un animal et si on se penche sur les autres espèces, les animaux n’ont pas de jardins, ils ont un environnement, un territoire. Aujourd’hui, avec tous les mouvements de pensé, ne pourrions-nous pas rassembler les jardins  pour en faire un jardin partagé mais comment ? Elle est là la question, que l’histoire nous ramène un peu à l’écologie des choses. Ne pourrions-nous pas y inclure les problématiques écologiques, politiques et sociales et montrer qu’il y a un intérêt car le monde scientifique nous montre que nos jardins risquent fort de se détériorer avec la pollution et les bouleversements climatiques.
Je n’ai pas trop aimé le titre car cela nous enferme dans une individualité, une forme de communautarisme et je préfère que l’on parle de jardin partagé.

 Plusieurs remarques. La première, j’ai eu l’occasion de fréquenter pendant plusieurs années des voyageurs, des gitans et il y avait une famille qui avait sa caravane. Cette famille était souvent en voyage dans toute l’Europe mais ils avaient quand même une maison. Et dans la cours de cette maison, il y a ait un camping et les parents y vivaient car ils n’ont jamais voulu rentrer dans la maison. Un gitan disait : «  Je suis né dans une caravane en 1950 et j’ai passé ma vie à voyager pour échapper à ces horizons bouchés pour ouvrir ma porte sur la liberté. Le nomadisme n’est pas une vie facile mais c’est peut-être la seule qui vaille la peine d’être vécue. »
C’est une façon de voir, ce sont des gens qui n’ont pas de jardin car leur jardin est partout.
Deuxièmement, les barrières idéologiques totales comme en URSS ou dans les pays de l’est et certains d’entre vous ont peut-être vu le film « Good Bye Lénine » Il raconte son histoire de cette femme qui tombe dans le coma pendant la dictature et se réveille après la chute du mur et l’avènement du libéralisme économique. Comme elle était une militante ardente du communisme, elle ne doit pas voir cela, sa famille met donc des haies tout autour d’elle alors que finalement, c’était son rêve que cela tombe enfin.
Troisièmement, on a évoqué Voltaire et inévitablement, on pense à Candide et dans ses pérégrinations, il a été malheureux, il a rencontré moult problèmes. Finalement, le bonheur il le retrouve avec son jardin, il faut savoir « cultiver son jardin ».

 Je vais revenir sur l’imagination créatrice qui « fait voir l’invisible » comme disait Klee mais cela l’est aussi de l’imagination scientifique qui révèle un monde nouveau comme le fait de savoir que la Terre n’est pas plate et que les espèces évoluent.
De plus, la catastrophe écologique qui semble advenir nous incite à faire que la Terre soit un jardin partagé et c’est une belle expression je trouve. La catastrophe écologique a détérioré le jardin et l’agriculture industrielle a éliminé les bocages.

 C’est vrai qu’avec la crise écologique majeure et les inquiétudes légitimes qui en découlent, certains proposent, plutôt que d’arranger le jardin, de le quitter et de s’en affranchir totalement. Mais pour aller où et y faire quoi ? Cette idée me parait totalement irréaliste. Cela me fait penser au philosophe E. Husserl qui écrit dans les années 30 un petit texte qui s’appelle « La Terre ne se meut pas ». Ce que l’on peut en retenir me semble-t-il est qu’avant d’être des humains, nous sommes des terriens et nous sommes profondément ancrés dans ce qui est notre berceau, notre jardin. Et ne peut-on pas étendre cela à l’endroit où nous vivons, la terre, nos racines, la famille. Nous pouvons franchir la haie de notre jardin de multiples façons, mais, en fin de compte, ne finissons pas par y retourner ?  Et ce retour aux origines n’empêche pas de franchir quand bon nous semble notre haie et de s’entendre les uns les autres pour soigner ce jardin qui est le nôtre et qui quand même agréable !

 Je disais, que j’étais triste de penser que la personne qui reste enfermée, même si elle satisfait son besoin et son savoir en restant chez elle, si ce n’est pas pour les partager avec quelqu’un ça sert à quoi ? Tandis que sortir, participer à des associations comme par exemple ce café-philo où j’ai vraiment appris à mieux écouter et je me rends compte que certaines personnes s’écoutent quand elles parlent, n’écoutent pas ce que les autres disent et quand elles ont besoin de dire quelque chose, elles ne voient pas si les autres ont besoin de parler. Ce besoin de partage est pour moi très important et on apprend toujours des idées des uns et des autres, on s’enrichit. Alors que rester chez soi et s’instruire tout seul, pour moi, c’est égoïste.

On pourrait se poser la question de la manière suivante : « Est-elle heureuse la société qui n’a jamais franchi sa haie ? »
Parce que, qu’on le veuille ou non, l’humanité serait absolument restée à l’âge de pierre si jamais personne n’était allé voir ailleurs comme dans le roman « La guerre du feu ». De tous temps, les sociétés ont évolué car des individus sont allés au-delà de leur propre jardin sociétal ou même scientifique. Il est aujourd’hui impossible de faire de la recherche de haut niveau sans une collaboration internationale. Pour la découverte du boson de Higgs, le Prix Nobel de physique n’a pas été attribué uniquement à Monsieur Higgs. La découverte eu lieu au LHC à Genève où des centaines de physiciens travaillent en étroite collaboration. Cela fait partie d’un partage qui nous permet d’être quelqu’un d’autre mais sans se perdre. On peut être quelqu’un d’autre sans cesser d’être soi. C’est s’être simplement enrichi.

 Je suis originaire du centre de la France et j’ai rencontré des personnes qui n’avaient jamais dépassé leur canton ou leur département. Ils n’étaient pas malheureux pour autant.
Mais qu’est-ce qu’être heureux ? Est-ce faire la queue pendant deux heures pour visiter Dubrovnik ? Est-ce aller se mettre dans cette foule à Barcelone ? Est-ce aller sur ces grands bateaux où l’on est 5 000 personnes ? Est-ce aller dépenser des tonnes et des tonnes de gasoil pour aller voir trois baleines sauter dans le golf de l’Hudson où aller voir les glaciers fondre au Pôle Nord ? Je trouve cela un peu idiot mais c’est un jugement personnel.
Je pense aux gens qui ont fait le choix de vivre dans un monastère. Ils sont dans un jardin clos, c’est leur choix et j’espère pour eux qu’ils sont heureux. On peut fermer son jardin mais cela ferme-t-il l’accès au bonheur ?

 En effet, les sociétés évoluent car elles vont voir ailleurs, les scientifiques assurent un progrès de la connaissance et en ce sens, il n’y a pas de progrès sans partage. Sauf, pour les scientifiques qui sont assujettis au lobbys et qui sont asservis à la rentabilité sur un objet de recherche qui n’est pas forcément bon pour tous. Donc, là il y a une limite et peut-être qu’aujourd’hui cette question est plus vive qu’au XXe siècle et peut-être avec la révolution numérique.
Et, par rapport à ce qui a été dit, que signifie être heureux finalement ? Le bonheur, serait, « un idéal de l’imagination ». Cela dépend de l’imagination que l’on a pour franchir notre jardin.
En outre, sur ce qui a été dit précédemment, sur le fait que les intellectuels doivent participer à la résistance face à la barbarie capitaliste du profit. Oui, mais pour cela, il leur faut un logiciel de compréhension mais lequel ? Peut-être qu’il faut changer de logiciel, de mode de pensée,  en fonction des résistances à mener.

⇒  Tu parlais sur ce qu’est le bonheur pour les uns ou les autres, puis tu as cité les moines. Je pense qu’il n’y a pas de contradiction. Chacun cultive son jardin avec la manière dont il entend pouvoir le faire. Et, il peut très bien y avoir une démarche monastique qui consiste à dire, moi, pour avancer, pour aller plus loin que moi-même, d’être seul, de réfléchir, de me confronter à des livres et je ne veux pas être perturbé par le bruit de la société. Après, on peut parler de l’utilité collective de cela mais du point de vue de la démarche personnelle, il n’y a pas forcément de contradiction entre l’isolement et franchir son propre jardin.

 Pour revenir à l’aspect créatif de la pensée scientifique qui a été évoqué, je ne suis pas certain qu’ aujourd’hui, une personne comme Einstein, aurait pu devenir Einstein. En effet, en 1915, il sort un article dans lequel il propose une nouvelle théorie de la gravitation, on ne sait rien sur l’Univers. On ne connaît pas le fonctionnement des étoiles, on ne connaît pas le statu des galaxies, on ne connaît pas les trous noirs, etc…Or, lui va proposer une nouvelle façon de penser le monde sans n’avoir à sa disposition aucune données. Il a posé les bonnes questions puis il a répondu de la plus belle manière qui soit.  Mais l’inverse est-il vrai ? Aujourd’hui, nous avons en cosmologie une moisson de données « astronomiques » mais ce n’est pas pour cela que nous sommes capables d’avoir de nouvelles pensées. Et cet impératif de publier, cela empêche sans doute la liberté créatrice de beaucoup de chercheurs de s’exprimer.
Et puisque l’on parle de jardin, dans un jardin physique où l’on cultive diverses plantes, c’est un espace ouvert sur le monde car les tomates viennent d’Amérique du Sud, les pommes, du Caucase, les poires de Chine, etc…Puisse l’esprit en être de même. 

⇒ D’après ce qui a été dit, je ne comprends pas pourquoi il faudrait changer de logiciel. Pour quelle raison, avec quel but ? La seule manière de résister c’est la fraternité. C’est appliquer l’amour à l’humanité. Et Marx, quand on lui demande quelle est ton idée du bonheur, il répond « la lutte » et quelle est ton idée du malheur, « la résignation ».

 Quand on vient au monde, on fait partie d’un jardin et on y prend racine, avec une culture et tout un ensemble de choses. Cela nous permet de devenir autonome et de penser autrement. Un jardin est fait d’un ensemble de végétaux qui se côtoient sans être de la même espèce et qui nourrissent un sol d’une manière homogène. Ce jardin là c’est aussi l’individu, ce n’est pas quelque chose qui est clôturé dans une haie sauf si on nous y enferme dedans. C’est la diversité de ce jardin là qui permet d’en sortir des intérêts communs. On forme tous en tant que « plantes » un jardin comme notre planète est un jardin. Quand on s’enferme dans un certain nombre d’idéologie c’est parce que nous avons été conditionnés par les systèmes qui font qu’aujourd’hui les gens veulent en sortir et en disant cela je pense aux gilets jaunes. Ils ne veulent plus appartenir à un jardin mais à un territoire le plus large possible avec le moins de haies possibles.

 Je vais parler d’un voyage,  d’Odysée homérique : « la balade de l’esprit […] dévoilée par le récit et les mots de la pensée, alors agit la magie, le talent est déployé, les exploits sont narrés en faveur de la poésie. Poème légendaire, féerie universelle, voyage extraordinaire où le héros conseille, sa ruse fit merveille, sur la ville endormie, elle est devenue éternelle, […] aventure romanesque, expédition, épreuve épiques et pittoresques, l’histoire en est la preuve. Voyageur de l’Odysée, ces chants ont démontré la preuve en faveur de la poésie. »

 Il serait dommage de finir ce café-philo sans parler des gens qui ont été chassés de leur jardin. Je pense aux exilés des guerres actuelles.
Deuxième point, j’ai deux jardins, dans deux pays différents, dans deux cultures différentes, avec des modes de vie différents. Lorsque je vais de l’un à l’autre, lorsque je reviens sur un de ces deux points, c’est le bonheur d’aller vers un de ces jardins. Et en espagnol, il y a un terme qui se nomme la « querencia », le nid, c’est quelque chose que l’on a acquis, un chez soi. Ce mot est aussi l’abri du taureau dans l’arène dans le glossaire de la tauromachie, le lieu où il se sent bien et où on ne peut l’attaquer.

 Cela est vrai aussi dans un même pays, où notre jardin peut-être dans différentes régions.

 Des médias, on n’arrête pas d’entendre que pour être heureux, il faut manger mieux, bio, local, fait à la maison, cuisine de ma grand-mère… Cela n’est-il pas cette idéologie identitariste ? Et on ajoute que de cette façon, non seulement on va être heureux mais on va en plus sauver la planète. Ce sont des injonctions pour cultiver son moi, moi je…et ainsi barricader sa haie.

[1]             Merci à Etienne Klein

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