Restitution du débat du café-philo du 10 février 2016 à Chevilly-Larue
Introduction Danielle Vautrin : J’étais dans un café-philo à Montpellier il y a quelques années quand on nous a posé cette question : « Vaut-il mieux mentir ou être de mauvaise foi ? ». Je dois dire que les avis étaient très partagés.
Dans un premier temps examinons les deux propositions :
– Mentir : ne pas dire sciemment la vérité, ce qui consiste à tromper son interlocuteur et à l’induire en erreur.
Mentir c’est ce que fait Pinocchio qui voit en conséquence son nez s’allonger.
Mentir serait donc répréhensible et le menteur serait coupable de dire volontairement des choses fausses, de masquer la vérité et devrait être puni.
Le menteur cherche à cacher quelque chose, à dissimuler une action ou une pensée ou à falsifier une information (ex. journalistes qui veulent un scoop).
– Être de mauvaise foi : Là il en va tout autrement. Celui qui est de mauvaise foi peut croire en ce qu’il dit. Il a foi en sa parole. Il peut avoir des convictions et les défendre mais il se trompe ; il est dans l’erreur. (Ex. Politiques)
Peut-on dire alors qu’il est coupable ou juste abusé par une pensée erronée ?
On rencontre tous les jours des gens de mauvaise foi qui affirment avec conviction des choses inexactes.
Donc, avec qui a-t-on le plus de chances de connaître la vérité ? Avec un menteur ou avec une personne de mauvaise foi ? Lequel vous convaincra peut-être de sa pensée fallacieuse…
Dans un deuxième temps, cette question interroge notre rapport à la vérité.
Le menteur dit sciemment des choses différentes de la vérité. Il trompe, trahit l’autre. Il est sûr de lui et il affirme.
Celui de mauvaise foi trompe l’autre aussi mais ne s’assume pas. Il a besoin de reconstruire les faits, de chercher à convaincre l’autre quitte à le manipuler, il rejette sa faute sur l’extérieur, il cherche à dissimuler ses responsabilités, il peut d’ailleurs avoir peur d’être démasqué…
L’individu de mauvaise foi se protège narcissiquement. Il peut être un manipulateur narcissique pervers dans la toute-puissance infantile.
En philosophie :- Descartes soumet l’essence de l’être et sa vérité à l’exercice de sa pensée : « Je pense donc je suis ».
– Sartre délibère sur la nature de la mauvaise foi et sur la responsabilité de celui qui est de mauvaise foi.
– Onfray a sa vision des faits et ses idées propres ne se référant pas à ses pairs et ne citant pas de sources ; il est de mauvaise foi pour faire passer sa vérité et manipule les pensées. Est-il menteur pour autant ou juste un pervers narcissique ?
Mettre la faute sur les autres, nier ses responsabilités, ne pas reconnaître ses torts, empêche tout dialogue. Pour qu’un dialogue s’instaure il faut croire en l’honnêteté de l’autre, ce qui permet le lien social. Le dialogue suppose la bonne volonté et la bonne foi.
Un être humain adulte doit être capable de reconnaître ses actions bénéfiques et ses erreurs et d’accepter l’autre différent.
A la fin de cette introduction et de ce petit travail il me reste une question : La personne de mauvaise foi croit-elle ou pas à ce qu’elle dit ? En tout cas elle essaie d’en convaincre…
Pour finir je rappelle une petite histoire : « Demain, vous êtes devant deux portes : celle de l’Enfer et celle du Paradis. Devant ces deux portes se tiennent deux personnes indiscernables. L’une ment et l’autre dit la vérité. Vous avez le droit de poser une seule question pour savoir qu’elle est la porte du Paradis. Qu’allez-vous demander ? Quelle porte m’indiquera l’autre personne si je lui demande qu’elle est la porte une du Paradis ? »
Les deux répondront la porte qui sera celle de l’Enfer. Celui qui ment dira le contraire de celui qui dit la vérité et celui qui dit la vérité dira le mensonge de celui qui ment !
Il restera donc à prendre l’autre porte que celle indiquée pour entrer au Paradis !!! »
Donc, vaut-il mieux avoir à faire à un menteur ou à une personne de mauvaise foi ? Nous allons en débattre maintenant…
Débat : ⇒ Lorsqu’on ment à une personne malade sur son état, on ne peut pas être dans la mauvaise foi. Puis le mensonge c’est un élément de la littérature, des arts. Pour moi, la mauvaise foi c’est quand on veut tromper les autres, quand on veut leur faire gober des mensonges. Et je pense à un politicien, il sait qu’il ment, mais il poursuit un but.
⇒ Tout ce que je vais vous dire ce soir ne sera que des mensonges, et en cela je vous dit la vérité. Avec cette phrase, je suis dans la parodie du paradoxe du menteur, dit paradoxe dit du Crétois, ou paradoxe d’Épiménide et attribué à ce dernier vers le 6 ème siècle avant notre ère.
Épiménide qui était crétois dit : « Tous les crétois sont des menteurs ». Alors, lui-même étant Crétois, ment-il, ou dit-il le vrai ? Un menteur peut-il dire la vérité ? est-il de bonne foi, est-il de mauvaise foi ?
Mentir, et être en même temps, de bonne foi est tout à fait possible, mais là on est dans l’erreur, erreur de jugement, erreur d’appréciation, sans plus.
La mauvaise foi c’est mentir en sachant qu’on ment. La mauvaise foi c’est le piège qui se referme sur le menteur. La personne de mauvaise foi, s’enferre elle-même sur son mensonge. La mauvaise foi, et cela a souvent été dit, c’est plus que mentir aux autres, c’est se mentir à soi-même, le « mensonge à soi », cela peut aller jusqu’à l’auto persuasion. « Comment peut-on croire de mauvaise foi » dit Jean-Paul Sartre « aux concepts qu’on forge tout exprès pour se persuader ? »
La mauvaise foi consiste parfois à imputer aux autres ses propres mensonges, ses propres défauts ! oui, oui, c’est vrai ! répondra une personne de mauvaise foi. On est, comme devant le miroir ; ce n’est pas moi qui ment c’est le miroir ; c’est un déni de vérité.
J’ajouterai, (avec une formule à la Alphonse Allais) : la mauvaise foi a une constance géographique, elle est toujours chez l’autre.
Alors, il en résulte que c’est très dur de débattre avec une personne de mauvaise foi. Je pense que chez la personne de mauvaise foi il y a en dehors d’un côté infantile, cette surestimation de soi, laquelle fait que la personne ne saurait s’être trompée, ne saurait en aucune façon avoir tort, et cette attitude de mauvaise fois répétitive dénote d’un certain égocentrisme, voire de narcissisme.
Il y a plus que de la naïveté dans la mauvaise foi. Alors que très souvent la mauvaise foi, le mensonge, se voit comme le nez au milieu de la figure, le, ou la menteuse de mauvaise foi persiste dans son mensonge, s’entête à nier l’évidence, et argumente comme pour se prouver à elle-même qu’elle est dans le vrai, qu’elle a tout à fait raison.
Les personnes qui s’en tiennent ainsi à leur mauvaise foi, montrent par là un manque d’intelligence, et nous ne sommes près de la bêtise. La mauvaise foi souvent répétée limite le dialogue, et elle peut finir par isoler les personnes
(Je dois préciser, que toute ressemblance avec des personnes existantes, ou ayant existé et totalement fortuite).
⇒ Comme cela a été dit par Jean-Paul Sartre : « On ne ment pas sur ce qu’on ignore, on se trompe. L’idéal du menteur serait donc une conscience cynique affirmant en soi la vérité, la niant dans ses paroles »
Que dire sur le mensonge ?
Bien que préférant la vérité au mensonge, il m’arrive parfois de mentir, en trouvant alors de bonnes excuses pour le faire.
Qui peut dire, sans mentir, qu’il n’a jamais menti ?
Réponse – un fieffé menteur !
On peut définir différents types de mensonges en les catégorisant : Les mensonges pieux : c’est-à-dire, les mensonges salvateurs, salutaires, protecteurs, secourables, charitables. Ces types de mensonge ont pour but d’apporter du réconfort ou une forme de protection, un apaisement dans la souffrance, un soutien humain.
Les mensonges odieux : c’est à dire, les mensonges à objectif sordide, immonde, frauduleux, indigne, immoral… Ces types de mensonges sont de nature, malhonnête, combinarde, et toujours utilisés avec de mauvaises intentions.
Que dire de la flatterie ? La encore il y a deux catégories de flatterie. Quand la flatterie est exagérée, son but principal est souvent celui de chercher à plaire. Soit pour en tirer un profit quelconque, soit pour éviter d’être confronté à une situation que l’on juge dérangeante. Dans l’un et l’autre cas, la flatterie est une forme de mensonge.
En revanche, lorsque la flatterie reste « mesurée », elle peut être utile pour aider une personne à sortir d’une souffrance psychologique.
En effet des mots bien choisis et sans excès, peuvent redonner confiance à Être en détresse en relativisant ses phobies et ses craintes, en lui faisant percevoir un autre aspect de la situation
Tout ceci démontre que nous devons rester vigilants dans nos comportements mais aussi moins figés dans nos à priori, car ce qui peut paraître nocif dans le mensonger ou la flatterie peut parfois être bénéfique.
NB : Il existe bien d’autres domaines dans lesquels le mensonge est souvent « monnaie courante ». Je citerai celui relatif à la politique, mais aussi dans le monde du travail, dans celui de la mode, celui des arts, etc.
Maintenant, qui est de mauvaise foi ? Pour Sartre : « La mauvaise foi tient une place importante dans la philosophie, car elle est l’envers de la liberté, comme le mensonge est l’envers de la vérité ». Pour lui la mauvaise foi consiste à faire semblant de croire qu’en fonction des circonstances, nous ne sommes pas libres de nous présenter tel que nous sommes réellement, et que, de ce fait, nous devons abandonner notre « être » pour revêtir le « paraître » afin de nous conformer à l’image représentative de ce que nous pensons qu’on attend de nous ; ce qu’il illustre avec le texte du « garçon de café » …
Dans cet exemple, il démontre que pour paraître celui qu’on fait semblant d’être, il faut d’abord entrer dans le costume, entrer dans l’esprit du modèle.
Or nous ne pouvons nous débarrasser de notre « moi », même lorsque nous tentons de nous en éloigner, cela reste une mascarade, un jeu, car malgré le costume, nous ne pouvons nous libérer de notre « je ».
En conclusion : lorsque mentir ou être de mauvaise foi devient le mode de fonctionnement d’un individu ou d’un groupe d’individu, cela abouti souvent à des effets néfastes, voire, destructeurs, tant pour une personne, que pour un groupe.
⇒Poème d’Hervé : Les abus
(Acrostiche : La Confiance)
La commande, en toute bonne foi, a été conclue
Alors, le ou les signataires fixent une date précise
Confiants, confiantes, la livraison attendue n’est pas venue
Opaque la convention signée est illisible et imprécise.
Naïfs sont ceux ou celles qui n’ont pas vu l’abus.
Flairer cette indélicatesse et sentir venir la méprise,
Imposteurs, vous mentez, vous n’êtes pas bienvenus.
Assurons-nous de solides fondements à notre guise,
Ne négligeons pas les contrats convenablement conçus,
Chacun à ce moment évitera la mauvaise foi qui scandalise,
Engageant un intérêt réciproque voulu et reconnu.
⇒ A première approche, le mensonge concerne l’autre que moi; (je mens à l’autre); la mauvaise foi me concerne moi même (je me mens à moi -même). A première approche le mensonge m’est utile, si j’en use c’est qu’il m’est favorable, en ce sens: il vaut mieux pour moi que la mauvaise foi qui me met dans une position de porte à faux, de dédoublement de moi-même. Donc, d’un point de vue psychologique, égocentré, le mensonge a plus de valeur pour moi que la mauvaise foi. Mais, qu’en est il d’un point de vue moral – et cela je l’ai appris de Kant, dans la « Critique de la raison pratique », – Est moral un jugement qui peut être universalisé, c’est à dire qui peut être porté par tout être humain. Le mensonge est-il universalisable ? Non. Cela est contradictoire car si tous les hommes mentent il n’y a plus de menteur, le mensonge n’en est plus un. Donc d’un point de vue moral le mensonge n’a pas de valeur, ni pour moi ni pour autrui, il est immoral et donc condamnable.
La conduite de mauvaise foi (se mentir à soi-même) indique autre chose sur la nature humaine. Quand il ment il est évident que l’être humain a en lui deux dispositions: la tendance à faire le Bien (à faire ce qui est bon pour tous), à vouloir l’universel, et la tendance à faire le mal, à vouloir satisfaire son intérêt particulier, la tendance égoïste. Quand l’individu est de mauvaise foi ce qui se passe dans sa conscience est plus complexe. « Couramment, », écrit Sartre « on dit de mauvaise foi celui qui, par amour-propre ou par intérêt, s’obstine contre toute évidence à soutenir qu’il a raison, alors qu’il sait pertinemment qu’il a tort. Sourd à l’argumentation rationnelle, il échafaude de fausses bonnes raisons, s’enfermant dans un système de défense absurde. Dans ce jeu du vrai et du faux, l’homme de mauvaise foi ne trompe personne, surtout pas lui-même »
Sartre analyse la mauvaise foi d’abord comme une conduite accompagnée d’émotions, « une cohorte de désordres organiques : tremblements, pâleur, rougeur, cris, larmes, rires, évanouissement, autant de manifestations visibles de la « mauvaise foi » et par lesquelles la conscience réussit à s’obscurcir elle-même, où, à la fois mystificatrice et mystifiée, elle parvient à se rendre dupe de son propre mensonge », ceci dans « Esquisse d’une théorie des émotions ». Puis il argumente que la mauvaise foi est une conduite par laquelle l’individu se ment à lui même pour échapper à la liberté à laquelle, je cite, « nous sommes condamnés ». Le postulat sartrien est que l’être humain est une conscience libre, c’est à dire non déterminée par la facticité (son environnement, ses conditions d’existence). Et quand il se ment à lui même c’est qu’il veut échapper à sa liberté, c’est qu’il ne veut pas assumer sa liberté. D’abord Sartre récuse la thèse psychanalytique selon laquelle le psychise humain est constitué de la conscience et de l’inconscient qui expliquerait la mauvaise foi
Pour se tromper soi même il faut être deux, celui qui trompe, et celui qui est trompé
L’hystérique est un très bon exemple de ce mensonge qui se piège lui-même. Incapable d’accepter son désir, l’hystérique est malade pour ne pas reconnaître ce désir. Le symptôme vaut symboliquement pour le désir interdit. Ensuite Sartre présente trois exemples de conduite de mauvaise foi : le garçon de café, la jeune coquette, l’homosexuel.
Dans les deux premiers exemples, on voit l’effort mensonger de la conscience pour dépasser sa propre condition de conscience libre vivant avec des consciences libres La mauvaise foi consiste à ne pas assumer la liberté que nous sommes
Avec la description du troisième exemple, le comportement de l’homosexuel, celui-ci se ment à lui-même.
En ce sens la mauvaise foi est ontologiquement pire que le mensonge parce qu’elle est une façon de ne pas assumer sa liberté. Il vaut mieux mentir qu’être de mauvaise foi si on décide de se considérer comme un être libre.
⇒ J’ai l’impression que mensonge et mauvaise foi marchent ensemble. Je prends un exemple : un homme politique, il connaît grosso modo la situation du pays, il ne peut pas le dire. Il y a là un double secret, d’abord la situation telle qu’elle est qui découragerait tout le monde, et puis vers où il veut aller, et quels moyens il va utiliser. Il y a une grande part de secret et si on l’interroge, il va faire marcher sa mauvaise foi. Il a raison à sa façon.
Est-ce qu’entre mensonge et mauvaise foi, il y a dichotomie ? A ce niveau, s’ils croyaient ce qu’ils disent ils ne pourraient pas agir. Chez les individus le mensonge et la mauvaise foi sont d’une toute autre nature.
⇒ Je suis perplexe, je ne vois pas bien la différence entre mensonge et mauvaise foi. L’un entraîne l’autre.
Elevée dans la religion, je me confessais ; trois pater, trois avé, c’était bon ! sauf, qu’au fond de soi-même on ne se pardonne pas forcément.
Quant aux fameux mensonges charitables : ne pas dire la vérité à un grand malade ? de par mon expérience en milieu médical, je pense que c’est très nocif, il vaut mieux ne rien dire, entourer au mieux, on n’a pas besoin de mentir. Et je pense que le mensonge on le sent, comme on sent la mauvaise foi.
⇒ La question comporte « vaut-il mieux » donc cela implique une échelle de valeur. Difficile de choisir ; c’est comme si on vous demandait préférez-vous être tué avec un couteau, ou avec du poison ? La mauvaise foi étant intégrée au mensonge, pour moi, au « vaut-il mieux » c’est, ni l’un ni l’autre.
Dans la mauvaise foi on ment à autrui comme à soi-même, c’est toujours dans les relations. Peut-être qu’il y a plus de malhonnêteté dans la mauvaise foi.
⇒ Si vous avez beaucoup de faux témoins vous pouvez transformer un mensonge en vérité.
Je pense que mensonge et mauvaise foi, tournent autour du concept de vérité.
Il y a un écrivain péruvien, Vargas Llosa qui dit que pour construire un bon roman, il y a une certaine démarche qui va du mensonge à la vérité, et que si on part à l’envers on ôte le mystère, le suspense ; il faut combattre les choses obscures pour arriver à la clarté.
Dès le début de la cité chez les Grecs, la philosophie c’est la recherche de la vérité pour accéder à la réalité du monde. Aujourd’hui dans nos populations c’est la méfiance qui prévaut ; la politique est discréditée, on pense que les politiciens, soit, ils mentent, soit ils sont de mauvaise foi. L’écrivain américain, Arthur Miler disait que les politiciens sont des acteurs.
Par rapport à la vérité en politique, il y a tout de même des exceptions, même des exemples historiques. Salvador Allende devant tout le peuple déclarait : « ça vaut la peine de mourir pour des choses sans lesquelles ça ne vaudrait pas la peine de vivre », et le moment venu il a tenu parole.
⇒ Il y a un mensonge qui n’est pas du tout de la mauvaise foi, c’est le mensonge pour sauver sa vie. Je pense aux juifs pendant la guerre mondiale qui ont dû parfois changer leur nom sur leurs documents d’identité. Dans un pays où il n’y a pas de libertés individuelles, il faut savoir mentir pour survivre. Le danger c’est parfois de dire la vérité.
⇒ Mentir ou dire la vérité à une personne malade dépend avant tout de la personne à qui l’on s’adresse : certains veulent qu’on leur mente, d’autres veulent absolument la vérité et l’assume.
⇒ On peut être appelé à mentir pour respecter un serment, pour protéger une vérité encore plus importante. Donc, la, ça devient le mensonge par nécessité, et pas le mensonge trahison.
En fait l’idée pour moi dans la question est : vaut-il mieux avoir affaire à quelqu’un qui ment ou à quelqu’un de mauvaise foi ? Par exemple j’ai eu une expérience avec une personne de mauvaise foi, qui mentait, qui était dans la manipulation, dans la malveillance…, je me trouvais dans une spirale défensive, jusqu’à un moment où ça devient malsain parce que soi-même on est à bout d’argument et on risque de tordre sa pensée, et l’on risque soi-même de ne plus être dans une argumentation bien maîtrisée. Donc comment réagir face à une personne de mauvaise foi ?
⇒ Bien sûr comme l’a évoqué, la vérité peut faire plus mal que le mensonge. On est parfois devant un cas de conscience : mentir et se reprocher à soi-même, sa mauvaise foi, ou pour son petit confort moral, dire toute vérité ?
Il y a aussi un cas ou celui qui ment n’est pas dans la mauvaise foi ; c’est le cas des mythomanes. Celui-ci n’est que dans le mensonge à soi, sans le savoir, il croit à son mensonge, il est de bonne foi.
Il va de soi que cette question de mensonge et de mauvaise foi ne saurait s’adresser à nos hommes politiques, quoi que.., Quoi que, nous avons tous entendu ces équilibristes entre les promesses (qui n’engagent que ceux qui les écoutent, qui y croient) et les « nécessités » qui balaient les promesses.
Y a-t-il trahison, y a t-il trahison d’une idéologie dont on a utilisé l’étendard pour attirer à soi les électeurs, y a-t-il trahison des électeurs qui ont vibré lors de beaux discours, « that is the question », je me rappelle avoir entendu il y a trois ans « mon ennemi c’est la finance » Pourquoi (en un mot), ces revirements ? pour quoi (en deux mots), ces changements, pourquoi ces vestes qu’il faut retourner ? y a-t-il une part de cynisme ? Un homme politique, Edgar Faure, se moquant ouvertement des électeurs, se plaisait à répéter, « ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ».
Si je suis un élu qui défend sa place afin d’être en mesure de défendre les idées qui sont les miennes (et partagées par ceux qui m’ont élu) suis-je de mauvaise foi si je sors de mes engagements pour être élu ou réélu ? je peux toujours arguer qu’il faut que je sois dans la place pour défendre ces idées ; la fin ne justifie t-elle pas les moyens ? La politique disent certaines personnes nécessitent qu’on mette un peu les mains dans le cambouis.
Pour Kant le mensonge corrompt la société, il corrompt la capacité morale des hommes. Mentir pour lui remet en cause la dignité de l’homme.
Mais être actif, être acteur de la vie et ne jamais mentir, c’est être en dehors de ce monde, ce qui fait dire au poète Charles Péguy : « Le kantisme a les mains propres, mais il n’a pas de mains ». Mais, le même Kant dans l’essai, nommé : « D’un prétendu droit de mentir » dit : « Le principe moral de dire la vérité est un devoir. S’il était pris de manière absolue et isolée, il rendrait toute société impossible »
Autrement dit, il y a belle lurette que cette planète serait dépeuplée si la seule vérité y avait prévalu. Alors le mensonge est un outil social nécessaire ; ce sont les usages, la politesse parfois, et en toute bonne foi, nous nageons souvent dans une totale mauvaise foi.
⇒ Je suis d’accord avec ce qui a été dit, à savoir que le pragmatisme en politique inclut parfois le mensonge et la mauvaise foi. Mais il me semble que lorsque les hommes politiques sont de mauvaise foi, ça se voit ; alors que quand ils mentent, ça ne se voit pas.
Donc, vaut-il mieux le mensonge ou la mauvaise foi ? C’est une question qui a du sens. De quel point de vue se place t-on ? Si je me place du point de vue de l’individu qui est libre, et qui ne veut pas assumer sa liberté, alors c’est comme pour les personnages cités par Sartre dans « L’être et le néant » : le garçon de café, la jeune coquette, et l’homosexuel.
Je pense qu’on peut répondre à la question initiale, et je réponds très clairement que je préfère effectivement le mensonge à la mauvaise foi, parce que la mauvaise foi c’est un comportement qui consiste à ne pas vouloir être conscient de sa liberté.
⇒ Quand un enfant vous montre son premier dessin, on ne peut pas lui dire : c’est laid, c’est affreux ! Alors on lui ment, mais il continue à dessiner, sinon, il bloque, dans ce domaine et dans d’autres. Il vaut mieux le complimenter pour qu’il progresse, c’est là, où la mauvaise foi trouve son utilité.
⇒ On a en mémoire, les mensonges, les tromperies du laboratoire Servier et les effets désastreux du médicament « médiator ». Ils ont affirmé qu’ils étaient victimes d’une cabale contre eux. La mauvaise foi de Servier sera dénoncée par la pneumologue Irène Frachon avec son livre « Médiator, 150mg, combien de morts ? »
⇒ Un dicton espagnol dit : c’est plus facile à découvrir un menteur qu’un voleur. Je pense que celui qui est de mauvaise foi, il est conscient de sa mauvaise foi, c’est pour ça qu’il cache, et qu’il vaut se présenter aux autres comme étant de bonne foi. Je pense, par exemple, au cas Cahuzac, ou encore à « mon ennemi c’est la finance », et d’autres, même si le mensonge ne se découvre pas aujourd’hui, on va le découvrir demain.
⇒ Rappel de la mauvaise foi de Cahuzac: « Je n’ai jamais eu de compte à l’étranger », Déclaration le 5 décembre 2012 dans l’hémicycle devant les députés.
Et autour du mensonge, en politique, les gens préfèrent entendre quelque chose qui les rassure, et pas ce qui les angoisse.
⇒ Ce qui pourrait distinguer le mensonge et la mauvaise foi : c’est que le mensonge fausse la vérité, et que la mauvaise foi, nie la vérité.
Et, est-ce que chacun autour de cette table pourrait donner un exemple de mauvaise foi ?
Par exemple, quand Le Pen nie les chiffres des morts dans les chambres à gaz, c’est la mauvaise foi.
⇒ En toute bonne foi, comme je suis un homme, je ne sais pas mentir, pour le mensonge, je laisse la parole aux femmes. (Ceci pour donner un exemple de mauvaises foi)
(Quelques hou, hou ! dans la salle)
⇒ On peut penser que le comportement de la hiérarchie de la société générale dans l’affaire Kerviel semble aussi un exemple de mauvaise foi. Entre Kerviel et sa hiérarchie, quelque part il y a un menteur. Puis viennent les avocats, dont certains vont connaître la vérité, l’un deux sera dans la mauvaise foi. Puis on nous dira que les juges étaient manipulés, on a là un échantillon de menteurs, et de mauvaise foi.
⇒ Pour Le pen, nier les chiffres de la shoah, c’est plus que de la mauvaise foi, c’est du négationnisme ; c’est le fait de contester un fait non contestable.
La ruse est un mensonge qui n’a rien à voir avec la mauvaise foi. On connaît la ruse de la perdrix qui fait semblant d’être blessée pour sauver ses petits. L’homme sait faire cela aussi…
Et je reviens sur le thème de Sartre quant au garçon de café. Je ne goûte guère cette caricature qui me semble blessante pour les personnes exerçant cette profession. Je préférerais, comme nous sommes réunis dans une salle du nom de Simone de Beauvoir, que cette dernière puisse nous dire ce qu’elle pensait de la bonne, ou mauvaise foi de Jean-Paul Sartre.
Et ensuite, est-ce se trahir que de dire des chose auxquelles ont ne croit pas soi-même ? La mauvaise foi, a toujours raison, elle dit, alors : je suis ce que je pense, pas ce que je dis. Ou encore: « Qu’importe que je sois de bonne foi si la cause est juste, qu’importe que la cause soit juste, du moment que je suis de bonne foi »
Les menteurs, les baratineurs, les bonimenteurs ont des ces formules pour embrouiller, qu’on ne sait plus suivant l’expression : « si c’est du lard ou du cochon »
Toujours nous naviguons entre deux écueils : mentir ce qui peut faire que les autres s’éloignent de nous, nous enfermer dans nos mensonges, ou, dire toujours la vérité, ce qui est tout aussi mauvais, ce qui éloigne également les autres de nous. Par exemple, nous connaissons les conséquences désastreuses du jeu de la vérité. Nous sommes en équilibre sur ce fil entre vérité et mensonge.
Par ailleurs, celui qui dans la conscience collective personnifie le mieux l’individu de mauvaise foi, est le jésuite, lequel utilise les arguments les plus pernicieux pour convaincre d’une chose à laquelle il ne croit pas forcément lui-même.
Nous n’échapperons pas à cette vérité que notre société est plus ou moins basée sur la mauvaise foi, sur un peu d’hypocrisie, qui prend aussi le nom de règles, de politesse. Molière dans le misanthrope évoquait ce modèle impossible de la vérité en tout propos, avec son personnage du misanthrope :
Philinthe : – Il est bien des endroits, où la pleine franchise / deviendrait ridicule, et serait peu permise ; / et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur, ? il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur. / Serait-il à propos, et de la bienséance,/ De dire à mille gens tout ce d’eux on pense ? / Et quand on a quelqu’un qu’on hait, ou qui déplait, /Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? (Le misanthrope. Molière)
Actuellement sur les écrans passe un film qui pourrait illustrer par certains côtés notre débat, c’est « Les chevalier blancs » (film de Joachim Lafosse), film qui s’inspire des acteurs de l’ONG l’arche de Zoé, qui achetaient des enfants en Afrique pour les faire adopter en Europe. Alors, action humanitaire ? Bonne foi ? Mauvaise foi ? Un peu de tout cela ? Et enfin je vais faire encore un peu de provocation avec cette citation choisie en toute mauvaise foi : « La mauvaise foi est une spécialité féminine, d’ailleurs tous les hommes sont d’accords la dessus ».
Citations entendues lors du débat
« Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité » Jean Cocteau.
« C’est la forme la plus exquise du comportement politicien qui consiste à utiliser un fait vrai pour en faire un mensonge » René Barjavel.
« Sans mensonge, l’humanité périrait de désespoir et d’ennui » Anatole France.
« La vérité, comme la lumière aveugle. Au contraire, le mensonge est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur ». Albert Camus.
Livres. Oeuvres citées.
Critique de la raison pratique. Kant. 1788
Esquisse d’une théorie des émotions. Jean-Paul Sartre. 1939.
L’Etre et le Néant. 1ère partie. Jean-Paul Sartre. 1943.
Médiator, 150mg, combien de morts ? Irène Frachon. Editions Dialogue. 2010.
Film
Les chevaliers blancs. Film de Joachim Lafosse. 2015.
Merci pour la retranscription /transmission de ce débat et citations fort intéressants qui éclairent ma pensée
Catherine c’est