Restitution du 28 novembre 2018 du café-philo de Chevilly-Larue
Animation: Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction: Thibaut Simoné
Introduction : Les connaissances produites de manière rationnelle et collective dans le monde chaque année, constituent un volume si vaste qu’il est devenu impossible pour l’honnête homme de se constituer une bonne culture sur des sujets aussi variés que la génétique, le climat ou la radioactivité alors que tout le monde en parle ou presque. Ne pouvant se targuer d’une connaissance universelle, l’individu devient un « croyant par délégation » comme l’avait bien compris Tocqueville en son temps quand il déclare « il n’y a de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. » En effet, à mesure que progresse la connaissance scientifique, « plus on sait de choses, moins je sais de choses ».
Pourtant, nous avons tous individuellement de nombreuses connaissances scientifiques : nous savons que la Terre est ronde, que les espèces évoluent et que l’atome existe. La difficulté réside dans notre rapport à la connaissance. Selon le philosophe des sciences Etienne Klein, «Nous savons que nous savons mais nous ne savons pas comment nous avons su ce que nous savons» et « cette mauvaise connaissance de nos connaissances nous empêche de dire en quoi elles se distinguent de simples croyances ».
Il a été montré également que plus les citoyens paraissent informés sur une question, plus ils doutent de la parole des scientifiques. Le besoin de véracité légitime en démocratie fait douter de la vérité elle-même comme le rappelle le philosophe Bernard Williams dans son livre «vérité et véracité». A cela s’ajoute, en particulier sur les réseaux sociaux tels Facebook, l’émergence d’une contre-culture, conséquence de la déliquescence des élites, et la diffusion massive de fausses informations et de « théories » alternatives aux théories scientifiquement acceptées par la communauté des chercheurs. De plus, outre la massification des données et la dérégulation de l’information sur Internet, nous observons la possibilité pour tous, quelque soit son degré d’expertise, d’intervenir via son clavier et de participer à un « relativisme » pas nécessairement de bon aloi au sein même de l’espace public. La mainmise par quelques-uns parmi les plus motivés du marché de l’information, constitue un risque majeur pour la démocratie.
Car au droit de douter, s’ajoute le devoir de douter avec méthode sans céder à la paresse intellectuelle, et aux nombreux biais cognitifs dont nous sommes tous les victimes. Comme le rappelle Francis Bacon dans Novum Organum: «L’entendement humain, une fois qu’il s’est plu à certaines opinions, entraîne tout le reste à les appuyer ou à les confirmer ».
Pourtant, « on ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire » comme nous le rappelle Gaston Bachelard. Plutôt que d’aimer le vrai et dire non à notre propre pensée qui souvent nous enchaîne dans une caverne de l’ignorance, nous avons tendance à tenir pour vrai ce que nous aimons. Nous affectionnons un certain confort intellectuel et nous privilégions les informations qui sont en conformité avec notre vision individuelle du monde. « Tout est relatif » argumentent alors certains. Pourtant, si cela était vrai, il serait relatif que tout est relatif. La phrase porte en elle-même une contradiction majeure qui la rend fausse. Einstein ne l’a d’ailleurs jamais prononcée.
En matière de vérité, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. « Quid de l’avenir de la connaissance ? » Nos sociétés actuelles sont les héritières de l’esprit des Lumières mais « les lumières projettent toujours des ombres ».
Les progrès des sciences et des techniques, conjugués à une augmentation toujours plus grande des flux énergétiques, ont entraînés une élévation générale du niveau de vie dans nos sociétés. Nous arrivons à une ligne de partage des eaux, où ce modèle de développement, entre en collision avec la raréfaction des ressources ce qui peut, à plus ou moins long terme, déstabiliser nos sociétés droguées au pétrole. Un ralentissement de la croissance, un chômage de masse et la colère populaire en sont les avatars les plus visibles. Les populismes de tous bords trouvent alors de plus en plus d’auditeurs séduits par leurs chants de sirènes car en effet « le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il voit les choses plus simples qu’elles ne sont, et par là en donne une idée plus compréhensible et plus convaincante. »
Comme le pense Nietzsche « on peut prédire presque avec certitude le cours ultérieur de l’évolution humaine : l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la fantaisie, reconquerront pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, leur territoire auparavant occupé : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie est la conséquence prochaine ; de nouveau l’humanité devra recommencer à tisser sa toile, après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui nous est garant qu’elle en retrouvera toujours la force ? »
Débat : ⇒ Il y a une croyance dans le Coran qui (suivant l’interprétation) dit que la terre est plate, et aujourd’hui encore il y a des gens qui s’en tiennent là, et aux Etats-Unis des croyances ont valeur de connaissances avec les théories des créationnistes. Il y a tout de même des personnes qui donnent à connaître, je pense par exemple à l’émission d’Elise Lucet, « Cash investigation » qui participe avec jusqu’à trois mille journalistes à des enquêtes d’investigation
⇒ Depuis des siècles l’homme augmente ses connaissances, par transmission de connaissances, par acquisition de nouvelles connaissances.
Mais la question se pose aujourd’hui, et sûrement que ce n’est pas la première fois qu’elle se pose : « Sommes-nous en train de perdre connaissances »
Autrement dit, aurions-nous perdus des savoirs? Des savoirs d’ordre : intellectuels, des savoirs artistiques, des savoirs artisanaux, ou des savoirs plus simples comme des savoir-faire de nos grands-mères, ou grands pères ?
Bien sûr, il y a nombre de savoirs qui ne seraient d’aucune utilité aujourd’hui. A quoi nous servirait de savoir attraper une truite avec la main, de poser un collet pour attraper un lapin, savoir disposer des lettres de plomb pour imprimer un texte, aiguiser une faux, la liste serait bien longue. Nous laissons derrière nous la mue de nos savoirs devenus inutiles.
Fort heureusement le mode de vie est évolutif, il nous astreint à apprendre sans cesse, on dirait aujourd’hui, que depuis la tablette d’argile, jusqu’à la tablette numérique, nous n’en finissons pas de « faire nos mises à jour ». Et l’expression image bien une des situations actuelles, se former sans cesse pour utiliser les moyens technologiques de plus en plus évolutifs, tels les smartphones, les ordinateurs, et toutes ces démarches administratives qui ne se font plus que sur Internet, et également tous ces automatismes où, il faut « converser » avec une machine, et ceci dans une logique qui est souvent, loin de correspondre à la nôtre.
Les aptitudes de mémorisation se sont amenuisées en passant à l’oralité, cette oralité qui nécessitait une prodigieuse mémoire. (On pense à Homère dont la totalité de l’œuvre était, ligne après ligne présente dans sa tête). En passant à l’imprimé, à l’imprimerie, puis à la connaissance externalisée numériquement, nous avons pu perdre encore certaines facultés, dont celle dans la lecture d’analyser un texte, celle de toute la subjectivité qui nous rend apte à lire entre les lignes, à découvrir le message caché, et découvrir occasionnellement un second degré.
Même avec des heures et des heures d’écran, allons-nous apprendre la grammaire, avec tous les accords, apprendre toute la subtilité de la syntaxe, et toutes les règles. Notre communication, notre langage ne va-t-il pas s’aligner sur une écriture d’algorithme, devenir plus une langue pratique, un peu comme la langue anglaise, langue informatique ; évacuant la langue de Shakespeare, comme la langue de Molière.
Nous sommes de plus en plus en voie de restreindre nos aptitudes, en se spécialisant dans une connaissance particulière, ceci au détriment des fameuses « connaissances générales » au détriment de connaissances pratiques : on dit souvent en forme de boutade qu’un ingénieur informaticien, a du mal à s’y retrouver face à un plan du métro parisien.
Est-ce que nous n’allons pas vers un monde de connaissances sans études ? Un univers qui nous fait sortir du projet des Lumières, et au soulagement de certains, ou au regret d’autres, de ne plus avoir à penser par soi-même. Alors Kant sera passé de mode.
Nous voyons également de plus en plus de tâches où l’individu, est pratiquement asservi à un process, un programme informatique ; programme qu’il ne connaît pas, il obéit au programme, il est dans une procédure dont il ne connaît pas précisément la finalité. Il y a bientôt trente ans, Jean-François Lyotard évoquait ce déplacement des connaissances : « Il est raisonnable de penser que la multiplication des machines informationnelles affecte et affectera la circulation des connaissances autant que l’a fait le développement des moyens de circulation, des hommes d’abord (transports), des sons, des images ensuite (médias). Dans cette transformation générale, la nature du savoir ne reste pas intacte »
Enfin, et pour finir, je dirai, que faire de plus en plus d’exécutants de process, serait qu’après les avoir supprimés, nous récréerions, par certains côtés « de nouveaux poinçonneurs du métro »
⇒ Est-ce qu’on doit prendre le mot, connaissances, dans le sens : savoir quelque chose de manière individuelle ; tel, je sais que la terre est ronde. Ou, si c’est : connaissance de choses qui ne sont que des informations, et donc pas forcément vraies, ou encore connaissances pour lesquelles on ne va chercher plus loin dans notre réflexion.
Alors, à la question : « Sommes-nous en train de perdre connaissances », est-ce comme cela a été évoqué, laisser certaines connaissances dernières nous, pour mettre en avant d’autres connaissances ? Pour l’instant je ne sais pas comment prendre ce sujet.
⇒ Le terme « connaissances » est polysémique, et on peut hésiter dans le sens à retenir.
⇒ Une information n’est pas une connaissance. De plus il ne peut s’agir de croyance qui est aussi un mot polysémique. Quand je dis : je crois, ça n’a pas forcément le même sens que ce à quoi je crois par ailleurs. Un exemple, si je dis : je crois que l’univers à 3,8 milliards d’années, ça veut dire que je fais confiance aux astrophysiciens qui nous le disent. Parce que moi, je n’ai pas les outils mathématiques pour vérifier par moi-même. Donc, j’y crois.
Ensuite : « Sommes-nous en train de perdre connaissances, » c’est dans le sens, où, avec justement, la déréglementation de l’information, via Internet, on assiste, je trouve à un rapt intellectuel de la part de gens qui, en fin de compte, sont assez minoritaires, mais qui n’ont que ça à faire. C’est-à-dire, que derrière ça, il y a presque un côté militantiste, et ils passent leurs journées sur les réseaux sociaux à inonder le web d’informations souvent fausses, voire simplistes. Et les gens qui pourraient éventuellement leur répondre, et bien, ils n’ont pas que ça à faire. Du coup on voit des théories comme la terre plate et si vous n’y êtes pas préparés vous vous trouvez face à des arguments que le quidam ne peut réfuter.
⇒ La connaissance, c’est le savoir, et c’est l’expérience, l’expérience de la chose qu’on connaît plus intimement. Chacun doit chercher la vérité plutôt que de la trouver ailleurs dans une opinion émise comme certitude.
⇒ Quand sur une connaissance, on dit : « Je crois », et ce n’est pas toujours affirmatif, c’est aussi « je pense que ».
Et il y a, aussi comme une défiance devant Internet, qui amène à ne pas l’utiliser pour défendre le mode de connaissances.
Est-ce que ce refus, cette opposition, ne va pas créer une séparation, créer deux clans ?
⇒ C’est déjà un peu le cas. Il y a des gens qui disent ça et qui se rendent compte qu’Internet en fait c’est un océan peuplé de vide, et sur ses îles vous avez des gens qui finalement restent entre eux, parce que c’est lié à un fonctionnement très ancien du cerveau, et très prompt à prendre ce qu’on appelle « le billet de confirmation ». C’est-à-dire, que nous avons tendance, à écouter, à accepter, ce qui va renforcer ce que nous croyons déjà ; et on est tous plus ou moins comme ça.
Je crois que, pour pouvoir accéder à une certaine connaissance, il faut se faire violence, c’est pas donné. Penser disait le philosophe Alain, c’est avoir un esprit critique, c’est dire non, dire non à sa propre pensée ; et ça, ça peut être très douloureux, et il y a des gens qui le vivent très mal. On est très vite embringué dans un confort intellectuel sur notre vision du monde, et on a tendance à rester dans un entre-soi intellectuel. Alors, que quelqu’un qui serait plutôt de droite devrai lire Libération et celui plutôt de gauche, devrait lire le Figaro. C’est-à-dire, se confronter à une autre pensée, de manière à apprendre et à juger.
⇒ Un certain négationnisme des connaissances peut constituer un risque de perdre par réfutation des connaissances. Je pense au comportement d’un climato-sceptique, Claude Alègre, réfutant les conclusions du G. I. E.C. et dans une émission, il disait : de toutes façons je sais de quoi je parle, j’ai écrit un livre sur ce sujet.
Mais, toutefois, si je mets en doute toutes mes connaissances, si je suspends indéfiniment mon jugement, je suis à l’arrêt. La société a progressé malgré certaines données fausses, des données scientifiques ont été invalidées, et on a avancé malgré tout
⇒ Je reviens sur connaissances et croyances. Il y a un endroit où l’on ne remet pas en question les connaissances, c’est l’école. On apprend l’Histoire, il s’est passé ça, à telle date, etc. Et du coup comme on est en face d’une certaine institution, on croit forcément. On acquiert toutes ces connaissances, mais on n’a pas forcément cet esprit critique qu’on devra nous enseigner à avoir. Ça va être au niveau universitaire où l’on va acquérir des connaissances beaucoup plus fiables. Le prof en collège travaille sur un programme, sur l’étude de quelqu’un qui a repris une étude… et l’on va croire celui qui a la fonction.
⇒ Ce que j’ai appris à l’école, je suis censé le savoir, ça ne veut pas dire que je le connais. Dans la connaissance je mets une étape supplémentaire, c’est réfléchir sur son savoir. Ensuite cette différence entre croyances et connaissances c’est tout le débat philosophico-scientifique. C’est-à-dire que ce qui est croyance, n’est pas réfutable. Il est impossible de prouver que Dieu existe, comme il est impossible de prouver qu’il n’existe pas. En revanche, toute connaissance est réfutable, et même les connaissances scientifiques, bien entendu ! A tout instant on peut amener un élément nouveau, qui fait, qui montre, que ce que tu avais un peu exploré, ce savoir personnel et collectif, ça peut s’avérer faux, ou pour le moins, discutable.
Tout ce qu’on évoque : connaissances et savoirs, on ne peut plus l’aborder comme on l’abordait du temps des Grecs, par exemple. Il est évident qu’on ne peut pas parler de Socrate, de Platon, comme on parlerait d’un savant, d’un philosophe à l’heure actuelle ; parce autour de ces derniers il n’y a pas le vide de connaissances comme il y en avait avant. C’est-à-dire, que tout individu, aussi peu instruit soit-il, a collectivement hérité des connaissances de la société, qui sont fausses ou pas ; comme celles de l’école, qu’on n’a pas remises en question, (déjà parce que l’Education Nationale, ne se remet pas en cause), mais elles existent, et elles amènent à la collectivité, à la fois du savoir, et parfois, des connaissances.
Ensuite, il y a bien sûr, toutes ces nouvelles technologies, qu’on a déjà évoquées, notamment, Internet. Je pense que toutes ces technologies nouvelles ne font que prolonger des techniques qui ont toujours existé, c’est-à-dire que ce l’on appelle, icônes, cela a toujours existé dans la pensée.
⇒ Dans un tout autre domaine, un sentiment, une crainte se développe depuis quelques dizaines d’années, à savoir que dans une société qui devient de plus en plus multiculturaliste, des connaissances ne soient plus transmises. Bien sûr, non transmises par les parents parce que ce n’est pas leur culture, mais non transmises par l’école parce que considérées comme de caractère trop culture nationale.
Et comme nous savons, que dans les décennies à venir, les vagues migratoires ne peuvent n’être que plus fortes : migration politiques, réfugiés de guerre, migrations économiques, migrations climatiques, les socles de connaissance actuels, vont inévitablement s’adapter à une nouvelle société, et là nombre de connaissances appartiendra définitivement au passé. Bien sûr elles resteront stockées, si toutefois les bibliothèques numériques sont à l’abri d’un énorme bug, si elles sont plus sûres que la bibliothèque d’Alexandrie. Et ça, ce n’est pas garanti !
⇒ Dès l’enfance on acquiert des connaissances dont on n’a pas connaissance, on adopte des connaissances, celles du milieu familial, environnemental, c’est tout un patrimoine dont on n’a pas a priori connaissance ; ce sont des habitudes, des méthodes, qui vont nous aider à entrer dans le monde des connaissances et d’apprendre.
⇒ Les connaissances réfutables ça dépend aussi des conditions d’utilisation. Par exemple Newton est vrai, mais la théorie de la lumière serait fausse
⇒ Quoique la relativité ait aussi des limites.
⇒ C’est pour ça que c’est de la science, c’est réfutable. Par contre, ce qu’il y a de formidable dans les connaissances scientifiques, est que même une erreur c’est en soi une connaissance. Puisque avoir démontré qu’on s’est trompé, cela participe à un progrès. On se trompe, et on a quand même appris. Mandela disait : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Et par ailleurs, je ne parlerai pas de théorie vraie, mais de théorie juste. On ne peut jamais démontrer qu’une théorie est vraie, elle ne peut l’être dans l’absolu. Par exemple, prenez la mécanique quantique, est-ce qu’elle est vraie ? Je n’en sais rien, mais quoi qu’il en soit, les ingénieurs utilisent les équations de la mécanique quantique.
⇒ Dans quelques années, disons vers 2050, la société actuelle sera tout à fait différente de par les migrations inévitables. Est-ce qu’il n’y a pas le risque d’une perte de connaissances liée à un héritage culturel ?
⇒ Je reprends cette projection dans 50 ans, que va-t-on perdre comme connaissances? Que va-t-on gagner ? C’est tout un débat, car là aussi, pourquoi la rencontre d’autres horizons nous ferait-elle perdre quelque chose ?
Je ne pense pas qu’on perde ou qu’on gagne, mais par contre on échange des connaissances. Je pense que l’échange peut être enrichissant, mais il peut être aussi néfaste. C’est à nous la société, de mesurer le poids du positif et du négatif.
⇒ En mathématique il y a un exemple qui dit qu’il y a trois entiers A, B, et C, et qu’il est impossible que A à la puissance n, + B à la puissance n, soit égal à C à la puissance n, sauf si n est égal à deux. C’est une théorie qui a demandé beaucoup d’essais sans résultats, et la démonstration a été faite des siècles plus tard.
⇒ Internet est devenu un socle de connaissances (même si il y a des connaissances fausses). Il est très important justement d’avoir l’esprit critique pour pouvoir discerner le vrai du faux. Les gens ont aujourd’hui accès à plus de connaissances, et cela demande de faire attention; c’est fantastique et dangereux à la fois.
⇒ Si tu n’as pas au préalable des connaissances, connaissances que tu as forgées par les livres, par l’étude, comment fais-tu un bon tri entre le bon grain et l’ivraie ? Par exemple en évolution biologique, quand on tape « Evolution » sur Google: qu’est-ce qui apparaît ? Une iconographie complètement fausse, c’est une image qui dit le contraire de ce qu’est l’évolution biologique.
⇒ Je reviens sur l’évolution des connaissances dans les années à venir ? Effectivement du fait de l’arrivée de toutes les nouvelles technologies, on devra faire faire des études différentes aux enfants pour pouvoir travailler avec les machines, converser avec les Intelligences Artificielles, parce que s’ils n’ont pas la formation nécessaire, c’est eux qui vont travailler sous les ordres, (du programme) de la machine.
Et globalement, culturellement, on a déjà perdu un peu de connaissances, de connaissances générales ; je repense à l’expression de Sarkozy, parlant du programme d’attaché d’administration, lequel disait que connaître un classique comme « La princesse de Clèves », ne pouvait pas intéresser une guichetière. Ce qui voulait dire que dans nos écoles, aux élèves (de ZEP, de province) on n’a pas besoin de leur enseigner les classiques. Ce n’est pas pour eux, on élague les connaissances de base, les classiques, le culturel ce sera pour des écoles d’élites…
Et je reviens sur cet incontournable sujet d’Internet. Il y a quand même une nouvelle encyclopédie, c’est Wikipédia (même si je ne mets pas Wikipédia sur un piédestal), c’est quand même la participation de milliers de personnes dont la plupart sont des spécialistes dans le domaine concerné. Je rappelle que c’est ainsi que s’est constituée L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au 18 ème siècle.
Regardez : combien de gens autour de vous ouvrent un dictionnaire pour connaître précisément un mot. Les dictionnaires le plus souvent restent sur leur étagère.
Pour ma part, le plus souvent je n’ouvre que des dictionnaires spécialisés, de la langue française, ou, de traduction de langues, car là pour certains sujets sur la toile ce n’est pas fiable à ce jour.
⇒ J’ai appris des choses à l’école, et j’ai eu un instituteur qui n’hésitait pas à me taper sur les doigts. Du coup, l’orthographe je connais bien, et je suis tout de même surprise quand je vois aujourd’hui, toutes les fautes d’orthographe que peuvent faire des gens qui ont fait des études supérieures. Pour moi c’est une perte.
⇒ Le savoir « sous le pouce » va libérer la mémoire. Il n’y aura plus le besoin d’apprendre par cœur, de mémoriser un tas de choses qui ne nous serviront peut-être jamais, ou que très peu ; alors qu’on aura à chaque instant la possibilité de consulter des milliers de banques de données, de stocker nos connaissances, notre mémoire sur des supports numériques, ou dans des « clouds »
Ce sera, diront les partisans de l’IA libérer de l’espace dans une « tête bien pleine », pour parfaire la « tête bien faite ».
Mais au rebours, si nous laissons l’immensité du champ des connaissances aux IA, celles-ci devenues omniscientes, nous risquons fortement d’être formatés par les systèmes, exploités.
Revenant à la connaissance externalisée, nous voyons ce début d’asservissement à ce savoir d’accès si facile. Si dans une conversation, nous hésitons sur un mot, un nom, une date, inévitablement quelqu’un dans la minute qui suit, lisant sur son smartphone, vous donne l’information précise. Et ceci me remet en mémoire, une phrase de Montaigne qui prolonge son propos de la tête bien faite et de la tête bien pleine, (je le cite) : « J’en connais à qui, quand je lui demande ce qu’il sait, il me demande un livre pour aller me le montrer. Et n’oserait me dire qu’il a le derrière galeux, s’il ne va sur le champ, estudier en son lexicon (le Wikipédia d’hier), ce que c’est que galeux, ce que c’est que derrière »
Un article sur Philosophie magazine n° 62 de septembre 2012, titré : « Pourquoi nous n’apprenons plus comme avant ?», débute l’article ainsi : « La révolution numérique n’est plus un slogan. Chaque jour, nous naviguons un peu plus, délaissons l’imprimé pour l’écran, stockons nos connaissances, vérifions sur Internet ce que nous dit un interlocuteur ou un enseignant. Comment apprendre, lire, nous souvenir, transmettre emportés par ce flux que nous maîtrisons encore mal. Le danger de perdre la concentration et la mémoire, de négliger l’étude, de ne plus pouvoir enseigner est réel. Mais le basculement de Gutenberg à Google porte aussi en lui l’espoir d’un esprit enfin libre – puisque les machines s’occupent de l’intendance – de se consacrer à l’essentiel ; la « pensée créatrice »
Consulter est une faible activité intellectuelle en regard de la lecture. Les spécialistes nous disent aussi que la télé est plus nocive qu’Internet, car avec la télé nous sommes totalement passifs, le cerveau éponge est pratiquement en roue libre. On est passager, on n’est plus conducteur.
Des chercheurs avancent que l’apprentissage de l’écriture crée des connexions, des synapses, et que cela ouvre des aptitudes plus grandes pour tous les apprentissages.
Pour Michel Serre la mémoire supplétive numérique, même si cela influe sur nos facultés de concentration et de mémorisation, ne crée pas du « cerveau vide, mais du « cerveau libre » ; On le rend libre pour d’autres usages, et cela s’est confirmé dans l’histoire. Après l’invention de l’écriture, de l’imprimerie, nos développements intellectuels sont marquants. Nous pouvons consacrer plus de cerveau à la créativité, à l’invention.
Un monde de l’information, soit un savoir extérieur à nous-mêmes, un savoir qu’on peut consulter à chaque instant où que l’on soit, ne risque t-il pas de tuer la curiosité, et à terme de tuer l’imagination.
Une étude montre que l’activité de consulter sur le Net, activait deux fois moins de connexions neuronales que la lecture d’un livre. Et l’on sait que c’est la gymnastique neuronale qui favorise la compensation des pertes neuronales au cours de la vie.
⇒ Est-ce qu’il a été établi un état des pertes de connaissances ? Est-ce qu’on peut les énumérer ? Dire globalement, à ce jour, on en a perdu tant dans tel ou tel domaine ?
⇒ On sait qu’on perd chaque année vingt cinq langues parlées au monde, peu à peu les derniers locuteurs d’une langue disparaissent.
⇒ Qu’il y ait des langues qui meurent ça m’attriste, parce qu’une langue c’est aussi une culture qui s’éteint. Il y a des choses qui sont exprimées dans une langue, et qui sont inexprimables dans une autre langue, intraduisibles. Au Moyen-Âge pour parler du poussin jusqu’au poulet, jusqu’au coq, il y avait une vingtaine de mots.
⇒ Le vocabulaire qui disparaît c’est aussi quelque chose qui meurt. Quand on utilise des supports numérisés, on va au plus simple au plus rapide. Et j’ai entendu dans l’introduction qu’on n’arriverait plus à englober toutes les connaissances, bien sûr !
Mais si je regarde ce qu’on peut appréhender comme connaissance en regard de Platon ça paraît ridicule. Ce qui fait le savoir, ne peut être tenu par un seul homme. Des Platon, ou des Aristote c’est inconcevable à l’heure actuelle parce que le savoir s’est tellement élargi. Le plus savant ne peut plus être un des meilleurs penseurs dans tous les domaines.
Le savoir, dans tous les domaines, s’est « taylorisé », on a des spécialistes. Et il faut aussi qu’on réfléchisse sur la spécialité du savoir.
⇒ Il existe des réseaux d’échange des savoirs, au niveau national comme au niveau mondial. Ce sont des échanges de connaissances, gratuits. Le slogan dit : « Le savoir est la seule chose qui ne s’achète pas, qui ne se vend pas »
⇒ La perte des langues, c’est l’équivalent au niveau mondial de la perte de diversité. Et si les mots disparaissent ce sont aussi des choses qui disparaissent. Plus personne ne va s’émouvoir de la disparition d’une espèce si auparavant on ne connaissait pas cette espèce.
Et pour reprendre la question du débat : Perdons–nous connaissances ? Oui, du point de vue où cela a été rappelé, que la connaissance a tellement évolué, qu’on ne peut plus comme Pic de la Mirandole, se targuer de tout savoir. Mais à l’inverse si vous prenez, par exemple : Rabelais, Galilée, et Descartes, pour leur faire faire un peu de tourisme 1ère classe, c’est-à-dire que vous les emmenez dans une école pendant un cours de maths, ils vont être abasourdis, ils vont constater que des gamins de 16 ans en savent plus qu’eux en mathématique, même s’ils n’auront pas leur génie. Et si vous les mettez devant une chaîne de télé commerciale, là, les bras leur en tombent. Car si d’un côté on a jamais été aussi éduqués, d’un autre on n’a jamais été aussi abrutis.
⇒ C’est bon d’avoir des connaissances, et c’est bon de les ordonner, d’avoir une compréhension globale. Quand Einstein a développé la théorie de la relativité, cela n’a pas été compris par tous, ce sont d’autres savants qui ont expliqué les principes espace/temps pour les rendre plus accessibles, plus compréhensibles.
⇒ Est-ce que nous perdons des connaissances ? Je dirais plutôt qu’il y a des choix. Par exemple est-ce qu’on choisit de parler de la Révolution, ou d’imposer certaines connaissances au détriment d’autres ? Et je trouve que le livre d’Orwell « 1984 » nous montre bien ce que serait la société si nous n’avions que des connaissances instrumentalisées. Par exemple, je décide que tel mot, n’a jamais existé, et je le remplace par un autre mot. Le fait que ce mot soit écrit dans un manuel, les gens vont avoir tendance à le croire.
⇒ Effectivement, une perte de connaissance peut être une perte de liberté. Diderot disait que « L’Encyclopédie a été faite pour que vous ayez des connaissances de chaque chose, et que vous puissiez ensuite réfléchir par vous-mêmes, et de là, vous affranchir, devenir plus libres ». « Knowledge is power » (Le savoir c’est le pouvoir) dit Francis Bacon, et ceux qui n’ont pas les connaissances sont à la merci de ceux qui ont les connaissances.
Par ailleurs, lorsqu’on entend que le niveau monte concernant l’école, il faut entendre le niveau de résultats au bac, par exemple. Mais ce niveau, plus de 80% de réussite, est-il le résultat d’un abaissement du niveau de connaissance ? Ainsi plusieurs tests nous ont montré que 80% de nos bacheliers échouent à un examen de certificat d’étude des années 1950. Alors est-ce que le niveau monte ? Est-ce que le niveau baisse ?
⇒ Je pense que les matières du certificat d’études primaire des années 1950, ça n’a plus rien à voir avec les matières d’aujourd’hui.
⇒ A l’échelle mondiale, le niveau d’éducation des jeunes monte, et c’est une très bonne nouvelle. Et c’est aussi vrai en France, avec un meilleur niveau pour les filles. Et dans 20 ou 30 ans ça peut nous donner des choses très intelligentes.
⇒ Entre 1990 et 2009, une étude sur des pays occidentaux dont des pays nordiques montre une baisse de QI de 4 à 8 points. Ce qui reste inquiétant. Des chercheurs ont découvert que les perturbateurs endocriniens, l’excès de lipides, l’obésité, la consommation de Haschich, de cannabis, sont à l’origine de cette baisse du QI.
Les perturbateurs endocriniens généreraient dans le monde entier une baisse de QI. Des molécules présentes dans : les aliments, les emballages, les textiles, (entre autres). Ces molécules migrantes, remettent en cause le développement cérébral du fœtus. Une autre étude dans l’armée suédoise montre que le QI des appelés a baissé de 2 points par décennie au cours de ces dernières années. Après une progression jusqu’aux années 90, il y a une inversion de la courbe de l’intelligence dans toute l’Europe. Nous devenons de plus en plus stupides dit un chercheur suédois dans le documentaire « Tous stupides »
Une spécialiste de perturbateurs endocriniens chercheuse au CNRS, Barbara Demeneix, disait dans une conférence : « Reverrons-nous un jour, un Bach, un Mozart ?
En Californie on relève entre 1991 et 2001, une augmentation de 600 % des enfants diagnostiqués à la naissance comme autistes. Dans ce même Etat on constate une forte dégradation des capacités d’apprentissage dans les régions où sont fortement utilisés les pesticides ; de même le nombre d’enfants doués diminue fortement.
Ceci a donné, dans le film américain, (de 2006) « Idiocratie », film parodie, une situation poussée à l’extrême, montrant, situant dans une centaine d’années, une société encore plus crétinisée que certaines de nos émissions télé.
Certains diront même que ce film anticipait l’élection de Donald Trump.
⇒ Dans notre société, en dehors de médias d’investigation comme « Cash investigation », il a les lanceurs d’alerte qui donnent à connaître des choses importantes, et ceux-là sont menacés de prison.
⇒ Ils sont d’autant plus menacés, qu’une récente loi sur le secret des affaires, va juguler, interdire encore plus la diffusion d’informations de la plus grande importance pour nous tous.
Les lanceurs d’alerte sont devenus les nouveaux « Prométhée ».
⇒ Il y a bientôt 30 ans Jean-François Lyotard, nous parlait déjà de ce nouveau concept, la société de la connaissance : « Le savoir est, et sera un enjeu majeur, peut-être le plus important dans la compétition mondiale pour le pouvoir. Le savoir en se transformant en système d’information est devenu mesurable, marchandisable… Voilà comment nos sociétés de parole, parole qui constitue depuis le début les fondements de la démocratie, tendent de plus en plus à se transformer en sociétés de l’information »
Le nouveau concept qu’est « l’économie de la connaissance » qu’on nomme aussi (abusivement à mon sens) l’économie des savoirs ; il se résume de fait à une immense banque des informations. Nos connaissances sont devenues la marchandise qui alimente l’économie de la connaissance, et font aussi la fortune des GAFAM (Google/Amazon/Facebook/Apple /Microsoft)