Sommes-nous fâchés avec le progrès?

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

        Restitution du  22 mai 2019 à Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage. Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaud Simoné.

Introduction : Lors d’une de ses nombreuses interventions, le philosophe des sciences, Etienne Klein, a souligné la disparition du mot « progrès » dans les discours publics des hommes et femmes politiques. Cette « extinction » sémantique semble avoir eu lieu entre 2007 et 2012. En effet, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, tous les candidats font référence, dans des contextes ou situations souvent différents, au mot « progrès ». En 2012, plus personne. Et Etienne Klein de préciser que le terme « progrès » en tant que : «  déplacement au cours du temps vers un meilleur » a été remplacé par le mot « innovation ». Mais qu’est-ce à dire ? Ces deux termes ne sont-ils pas synonymes ? N’arrêtons-nous pas le progrès parce que, précisément, nous innovons ? Pourtant, progrès et innovation, plutôt que de marcher la main dans la main, s’opposent.
Tout d’abord, l’idée même de progrès nécessite la possession d’une philosophie de l’Histoire impliquant un projet collectif, ce que refusent l’individualisme de notre société, le culte du « moi d’abord », la sectorisation des revendications de tous ordres.
Pour faire sens, le progrès doit également s’accompagner de la configuration du futur qui se doit d’être, désirable et porté par un « temps bâtisseur ». Au lieu de cela, une logorrhée catastrophiste a remplacé l’espérance d’un avenir plein de promesses. Le futur se laisse coloniser par nos peurs, car on nous promet : « une collision sans précédent entre, d’une part, une maîtrise technologique et scientifique inégalée, la raréfaction des ressources, des menaces inédites concernant l’avenir de la planète, et la capacité des êtes humains à y assurer, sur le long terme, leur survie ».
Le temps n’est plus « bâtisseur », il devient « corrupteur » et nous entraîne dans l’agitation brownienne permanente de l’innovation qui rend l’idée de progrès impensable. L’innovation a trahi l’espoir en l’idée de progrès. On n’innove pas pour que le cours des choses s’améliore, on innove pour ne pas sombrer. On innove et nous avons cessé de prendre des risques, à une époque où vivre est beaucoup moins risqué que jadis.
Mais tout va-t-il si mal que ça ? Devons-nous céder aux sirènes envoûtantes des déclinistes ? Faut-il réhabiliter l’idée de progrès ?
L’idée même du progrès est fille des lumières et tel Prométhée, elle a de multiples avatars : progrès scientifique, social humain. Dans son livre : « Le triomphe des Lumières », Steven Pinker montre que l’humanité n’a jamais été collectivement aussi paisible et heureuse. Pour en arriver là, l’histoire des siècles passés fut animée par des moteurs extrêmement puissants, tels le rationalisme, les sciences et l’humanisme. La démarche scientifique nous a permis d’établir des connaissances qui ne peuvent être accessibles par une autre voie.
La science nous oblige « à penser contre notre cerveau » pour citer Bachelard et à nous débarrasser des préjugés et des croyances. Les grandes guerres, les épidémies de masse, et les terribles famines ne sont que des lointains souvenirs. L’humanité (et pas tout le monde, et pas partout) en a profité et on observe un recul à l’échelle mondiale de la grande misère. On constate que l’espérance de vie augmente, tandis que l’alphabétisme régresse partout sur la planète. Mais ces éclatantes victoires cachent sans doute un aspect paradoxal plus sombre. La diffusion du progrès demeure extrêmement inégale nonobstant l’idéal des lumières pour qui le progrès se doit de profiter au genre humain tout entier. L’accès à l’énergie nécessaire pour se nourrir, se soigner, s’éduquer demeure très disparate selon les populations.
Quand Descartes déclare en son temps que l’homme doit : «  être comme maître et possesseur de la nature », il ne se rendait pas compte que le progrès malgré ses multiples succès, pouvait être également son propre fossoyeur.
Les progrès techniques et l’avènement des démocraties libérales ont certes été, à ce titre émancipateur pour Homo sapiens, mais ils s’accompagnent de leur lot de pollutions, de marchandisation, d’individualismes, et de frustration, alors même qu’ils ne sont pas universalisables car la nature ne nous a pas donné son autorisation,  et que notre planète ne le supporterait pas.
Pour Etienne Klein : « L’idée de progrès est à la fois consolante et sacrificielle. Elle nous permet de rendre l’Histoire «  humainement supportable ». Mais pour voir un advenir un futur désirable, il faut travailler et par conséquent, il nous faut être courageux ». Cela implique quelques sacrifices. La société actuelle en est-elle capable ? Peut-elle réactiver l’idée de progrès?
Dans son ouvrage : « De la démocratie en Amérique » Tocqueville déclare que : « l’individualisme  est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables, et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis, de telle sorte que, après s’être créé une petite société à son image, il abandonne volontiers la grande société à elle-même […] il est comme étranger à la destinée de tous les autres ». Narcisse a envahi la société comme écho à la précédente séance. Tout cela est-il compatible avec l’idée de progrès ? Le progrès n’a-t-il pas été cloué au pilori de l’individualisme ?
Méditons, pour terminer, cette phrase du philosophe Luc Ferry : « mettre en oeuvre l’idée de progrès, c’est accepter de sacrifier du présent  personnel au nom d’un futur collectif ». Nous ne devons plus jouir, ici et maintenant,  et ainsi, refuser « la vie de bohême ».
Nous nous sommes rendus amnésiques aux devoirs qui sont les nôtres et nous avons, au contraire, plébiscité le « j’ai le droit de ». Il est maintenant urgent de réhabiliter  les premiers, d’avoir confiance en nous et en les autres, afin de rétablir une véritable philosophie collective de l’Histoire.

 

 Débat   Débat : ⇒ On peut dire aujourd’hui que nous ne sommes pas vraiment fâchés avec le progrès, mais, pour certaines personnes, dont les personnes les plus âgées, ce progrès, j’entends progrès technologique va un peu vite. Si au bout de cinq ans je change mon téléphone qui est devenu un smartphone, il va me falloir galérer quelques semaines avant de tout remettre en place ; télécharger des programmes, en me méfiant des pièges qui veulent me faire passer par divers abonnements, et là parfois je ne suis pas loin de me fâcher.
On n’est pas fâché avec le progrès, on serait même très adaptable si l’on se réfère aux violentes réactions de rejet qu’on pu susciter des inventions de nouveautés dans les siècles passés.
Quelqu’un citait un exemple qui m’est resté : dans les années 1900 il y avait de plus en plus de voitures à cheval dans Paris, de plus en plus d’omnibus tirés par des chevaux, les gens s’inquiétaient vivement, Paris n’allait-il pas  disparaître sous tout ce crottin de cheval ? Aujourd’hui c’est haro sur la voiture, le diesel, un problème chasse l’autre
Le dictionnaire du Grand Robert de la langue française donne pour définition du progrès : « L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal) », et là, c’est une autre histoire. Nous allons de progressions en régressions, comme si on ne pouvait n’acquérir, accéder à des choses plus agréables, plus pratiques, plus efficaces, qu’en perdant certains aspects qui étaient pour certains, qualité de vie.
Le progrès technologique ne s’établit pas sur des considérations morales, il est du domaine de l’offre, bien en phase avec nos modèles politiques actuels. Dans son dernier ouvrage, «  21 leçons pour le 21ème siècle » Yuri Noah Hariri, écrit « Les philosophes ont des trésors de patience, les ingénieurs beaucoup moins, et les investisseurs sont les moins patients de tous »

⇒ Sans m’interroger sur les sens et les usages variés du mot « progrès » je peux tout de suite dire que je suis hostile (plus que réfractaire- qui signifie communément selon le petit Larousse, « qui résiste » qui refuse de se soumettre), à des innovations et des inventions techniques actuelles qui sont présentées (et sans doute voulues par leurs promoteurs) comme faisant progresser l’être humain vers l’autonomie, ou, une plus grande liberté d’action ou réduisant la dépendance.
En vrac: l’installation (innovante) de magasins entièrement automatisés, ouverts jour et nuit , présentée comme, permettant à chacun d’acheter quand il veut, sans contraintes d’horaires, et qui prétend donc, à égaliser (progrès sociétal de mode de vie) les situations des consommateurs.
Aujourd’hui 23 mai j’apprends que deux employés de la grande surface CORA sont licenciés, parce qu’ils refusent de travailler le dimanche: progrès sociétal, en conflit avec progrès social des conditions de travail.
Dans le même registre le développement des restaurants avec robots serveurs, et robots cuisiniers: ils n’augmentent pas mon plaisir de manger en étant servie par des machines, même si elles sont parlantes et souriantes.
Puis, l’invention de la GPA (gestation pour autrui) qui va être généralisée (progrès sociétal) pour tous (femmes célibataires, couples homosexuels genrés, et de tous les âges, après avoir été réservée aux couples stériles)
Puis l’invention à venir de l’utérus artificiel, qui fait progresser encore la possibilité d’enfanter, en la donnant et aux hommes et aux femmes m’apparaît, comme une déshumanisation de la relation d’enfantement.  Mais cette impression est peut-être liée à un manque d’habitude.
Puis l’utilisation innovante de robots pour permettre à des personnes âgées et solitaires, à parler à un « visage » de leur angoisse existentielle, et de leur peur de mourir, ne m’attire pas non plus mais peut-être est-ce par suffisance : croire qu’on ne sera jamais vraiment seul ?
Puis, dans le même registre et pour les mêmes raisons, l’existence des robots sexuels.
Et aussi l’enregistrement systématiquement numérisé de mes rencontres, de mes échanges, de mes déplacements,  fait pour augmenter la mémoire de ma vie privée…c’est aussi pourquoi je suis, dans un premier temps, réfractaire à toutes les nouvelles applications proposées chaque jour sur mon téléphone portable. Lequel contrôle à qui j’écris, ce que je fais,  et où je vais.
Je suis réfractaire par peur du Big Brother numérique. Aujourd’hui même j’apprends que les applications « qui n’ont pas été utilisées » vont m’être retirées !
Alors hostilité, résistance et peur aujourd’hui, face au progrès ? Malgré la reconnaissance de certains avantages dans la vie quotidienne – rapidité des messages à autrui, accroissement des savoirs et des savoir-faire, sensation du dépassement possible de la solitude ?
– Oui ! Parce que le mot « progrès » a deux significations.
1) Le mot « progrès « qui vient du latin progressus désigne tout simplement,  l’action d’avancer (le progrès d’une armée sur le champ de bataille, les progrès de la maladie dans le corps du malade = la progression).
2) Ce n’est qu’au 18ème siècle, avec la philosophie des Lumières, que le terme va acquérir la signification philosophique, d’évolution vers un état supérieur…..
Un des textes les plus représentatifs de la notion moderne du progrès est,  « l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1795) de Condorcet, encyclopédiste. Il passe en revue l’évolution de l’espèce humaine depuis les peuples pasteurs jusqu’à la République française, et arrive à la conclusion que la perfectibilité de l’être humain est infinie : « Le progrès des sciences et des techniques et le perfectionnement des lois et des institutions publiques sont inévitables, et l’avenir appartient à une espèce humaine affranchie de toutes les chaînes, marchant d’un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur »
Le mythe du progrès est-il dépassé aujourd’hui ?
Le contraire du progrès est le régrès (régression est contraire de progression). En langage politique depuis la Révolution française, avec le pamphlet contre-révolutionnaire du philosophe Burke « Considérations sur la Révolution française », s’opposent les « progressistes » et les « réactionnaires » (la réaction étant l’action en retour d’une force sur une autre force agissante). C’est le débat violent entre Voltaire et les Encyclopédistes majoritairement progressistes, et Rousseau, interrogatif sur les bienfaits des progrès techniques.
Aujourd’hui encore et au-delà de l’opposition gauche – droite (héritée encore de la Révolution française), s’opposent les progressistes et les réactionnaires ou conservateurs ou techno-sceptiques et il y a aussi les interrogatifs ou techno agnostiques …
Les progressistes soutiennent l’idéologie du progrès social lié au progrès des sciences et des techniques. C’est l’idéologie du « nouveau monde », libérale des Saint Simoniens : le progrès social grâce à l’administration rationnelle de l’organisation du travail reposant sur les techniques, ou, sur la richesse créée par la productivité des machines.
Ainsi la question posée « sommes- nous réfractaires au progrès ? » devient pour moi, la question de savoir quels progrès technoscientifiques et quels progrès quant à l’administration de la société, sont effectivement pour les individus, pour moi, des moyens d’agir sur notre propre devenir ?
On peut en discuter ensemble : experts, chercheurs, techniciens et usagers ou consommateurs et candidats aux élections … Hier, en France, c’était un philosophe des techniques Gilbert Simondon, qui soulignait, que l’action pour être progressiste dans tous les domaines et donc y compris dans celui des techniques, doit se soucier des critères de sa propre évaluation.    Aujourd’hui Cynthia Fleury, une philosophe, exerce aussi à l’Hôpital Sainte-Anne dans une chaire de philosophie pour chercher avec eux comment appliquer aux patients les plus vulnérables (les patients âgés, patients avec un handicap) les innovations techniques et technoscientifiques. Elle appelle cela «l’ingénierie du malheur ».
Et bien sûr il y a,  et il y a eu, les lanceurs d’alerte parmi les scientifiques chercheurs, et techniciens inventeurs, innovateurs… Et des comités de « sciences citoyen » »

⇒  Dans une définition d’un dictionnaire philosophique, je vois que « progrès » évoque une façon d’avancer, une marche en avant, une progression. Mais la progression peut ne pas aller que vers le bien, il peut y avoir progression vers le moins bien, vers le mal, comme une maladie qui s’aggrave, alors, c‘est une régression.
En revanche la définition du Petit Littré, parle de : développement des connaissances, des capacités, d’une ou plusieurs personnes dans des domaines divers. Et c’est là, où je rejoins l’idée émise dans l’introduction, que le mot progrès n’est pas toujours le bon mot, et que le mot innovation souvent conviendrait mieux.
Originaire d’un milieu rural, j’ai partagé les conditions de vie de mes parents, pas d’électricité, pas d’eau courante, etc. Ce qui permet de mesurer tout le progrès de ces cinquante dernières années.
Ce mot progrès, je le vois, comme le verre à demi plein, comme le verre à demi vide.
Dans cette troisième partie de ma vie, je constate que j’ai profité d’énormes progrès. Je pense à tous les mieux être, de la vie courante aux soins médicaux.

⇒  L’erreur que nous devons éviter, c’est la discussion du concept de progrès qui serait séparé de la réalité sociale et politique ; parce que le progrès serait comme une sorte de dieu laïc. Parce que le monde est progressiste.  Le progrès est lié à notre humanité, depuis nos origines animales, et par étapes successives nous en sommes arrivés là. Aujourd’hui cette progression se fait aussi dans la séparation conceptuelle, parce que de la science et de la technique, on peut dire, qu’elles montent par l’ascenseur, et la sagesse humaine, à peine par l’escalier.
Donc, il y a rupture de rythme dans notre société. Je suis plutôt en gratitude avec le progrès, pour des raisons déjà évoquées, (commodités, progrès médicaux, etc). Mais si l’on prend l’exemple de l’énergie atomique, elle est la cause du crime le plus atroce, Hiroshima. Le progrès va avec son contraire.
Alors dans quelle direction va t-on avec le progrès actuel ? La Chine qui se dit communiste, exerce un contrôle, personne par personne, et là c’est un attentat à la liberté individuelle, pas un progrès. Et tous ces progrès techniques posent la question : demain qui va dominer, commander le monde ? La Chine ? Les USA ? Quels moyens vont-ils utiliser à cette fin ?
Donc, le progrès des sociétés doit toujours être examiné dans toute son amplitude.

⇒   Qu’on le veuille ou non, on est tous plus ou moins pris dans ce système d’évolution, sinon on vit en total décalage, et souvent on n’a même plus le choix. On est bien obligé aujourd’hui d’avoir un téléphone portable, d’utiliser Internet, etc. on ne reviendra pas en arrière.
Comme beaucoup, le progrès et ses nouveaux outils me compliquent un peu la vie, et, en même temps, je dois prendre en compte qu’il y a, disons, une vingtaine d’années j’avais déjà un téléphone portable, petite chose de forme arrondie qui s’est transformée en smartphone, ultra plat. J’avais aussi, alors, un lecteur MP3 (un baladeur), j’avais un appareil photo numérique, j’avais un enregistreur vocal, un lecteur de CD, des cartes routières dans la voiture, puis un Tom Tom, un agenda pour mes rendez-vous, pour noter les anniversaires, une calculatrice, j’avais une radio-cassette avec plein de cassettes, j’avais un enregistreur/lecteur vidéo, et des piles de vidéo cassettes, et j’en oublie peut-être.
Et là, j’ai tout ça dans deux appareils, un smartphone et une tablette. Donc force est de constater d’admettre, que ça ne peut que me réconcilier avec le progrès. Tout en un,  moins d’appareil à gérer, à acheter, à remplacer, et de la place gagnée… Et peu à peu je vide des tiroirs où dorment ces appareils devenus inutiles et encombrants.
Tiens ! Je vous prends votre smartphone, et vous devez vous doter de nouveau, de tous ces appareils.
Je serais plutôt, technophile, je regarde avec intérêt, les infos « Geek » même si je ne suis pas « geek » (en l’occurrence : accroc à toutes les nouveautés technologiques), et là je vois parfois des découvertes géniales mais totalement inutiles, sauf, que cela peut déboucher sur d’autres applications, comme dans le domaine médical ; cela s’est déjà vu. Ces recherches en tous sens s’apparentent d’une certaine façon à la recherche fondamentale.
Si je devais revenir totalement au mode de vie des années 90 j’aurais le sentiment de vivre dans un pays attardé, et je ne m’y sentirais pas bien. Nous progressons en tant qu’individus en s’adaptant sans cesse aux progrès, ou, alors on peut perdre une certaine indépendance, et on finira par vivre à côté de ce monde.

⇒ J e pense que Condorcet qui vient d’être cité quant à cette notion de progrès, en avait une conception un peu naïve. C’est à dire, qu’il pensait qu’il y avait un entraînement presque automatique entre le progrès scientifique, technique, et le progrès social. On se rend compte que ce n’est pas vrai du tout.
Et bien sûr, je suis d’accord sur le fait qu’il y a un demi siècle, la vie était beaucoup plus précaire ; on mourait à tous les âges, aujourd’hui, globalement, on meurt âgé, on a tendance à l’oublier. La société comporte de moins en moins de risques. Par exemple, je n’aurais pas aimé avoir vingt en 1914.
Et concernant les risques inhérents au progrès, dans le livre d’Etienne Klein (déjà cité) il évoque  une anecdote qui m’a un peu éclairé. Il raconte qu’en 1842, quand le chemin de fer en est à ses débuts, a eu lieu, sur la ligne Paris/Meudon, la première grande catastrophe ferroviaire : 55 personnes ont péri, carbonisées. Les anti-chemin de fer, sont de suite, montés au créneau, et le député Lamartine (le poète) est monté à la tribune, et dans son discours, il a déclaré : «  Plaignons-les, plaignons-nous, parce que nous sommes en deuil, mais marchons ! ».
  On ne pourra jamais éliminer les risques, ou alors, on arrête la vie. La vie, c’est aussi prendre des risques.  Et n’est-ce pas ce qui donne un peu de sel à la vie, d’aller vers l’inconnu ?

⇒ Je pense qu’on peut, qu’on doit envisager les risques possibles faces à de nouvelles technologies. Par exemple, à cet effet, dans le domaine environnemental, a déjà été établi en 1992 à Rio, le « Principe de précaution » qui dit : «  En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue, ne doit servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Bien sûr, ce principe de précaution n’est pas toujours respecté, car comme nous l’a dit Youri Noah Hariri : « Les investisseurs sont plus pressés que les philosophes », lesquels investisseurs, préfèrent sans nul doute le principe de Gabor (dit aussi, Loi de Gabor), lequel dit : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable ».

⇒ Je reviens sur un propos précédent : – le progrès on ne le choisit pas, on le subit. Non ! (je dis non !) je ne suis pas d’accord. Si on a un smartphone qui remplace divers appareils, c’est un choix. Certains s’adaptent, d’autres pas. Nul n’est contraint, c’est aussi un choix de vie.
Je ne suis pas fâchée par rapport au progrès, je suis, comme je l’ai déjà dit, hostile, et pas seulement réfractaire, c’est parce que je dis que je peux poser des questions à ceux qui orientent la progression des recherches, des techniques et des applications.
Exemple. Jacques Testard, qui a participé via la fécondation in vitro, à la naissance du premier bébé éprouvette (Amandine), s’est rendu compte que cette technique entraînait la possibilité de créer ce qu’il appelle : « le magasin des enfants », (titre d’un ouvrage sous sa direction) et des couples, hétérosexuels ou pas, pourront acheter des enfants, « aux yeux bleus », « aux cheveux crépus »  « avec un potentiel de QI élevé » etc. Du coup, il s’est retiré de ce domaine de recherche.
Alors, oui, toute invention comporte des risques, on n’y est pas opposé, mais on est capable, comme les inventeurs eux-mêmes, d’alerter sur les risques et proposer aux citoyens : vous le voulez, ou, vous ne le voulez pas ?
Ou alors on laisse les lobbies, les groupes industriels, des gouvernements non démocratiques décider pour nous ! Et, enfin, je précise, qu’il ne s’agit pas pour autant de dire : – c’était mieux avant.

⇒ «  L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il sait » dit Paul Valéry ? C’est-à-dire quand se fait quelque chose sait-on toujours pourquoi on l’a fait. Exemple : à la fin des années 80 les chercheurs, des physiciens,  travaillant au CERN à Genève, ont bricolé un système pour s’envoyer, partager plus facilement des données scientifiques. Eux savaient dans quel but ils avaient fait cela, mais ils ne pouvaient imaginer ce que cela allait engendrer. Ils ont été dépassés.
Alors, on se plaint de nombre de progrès, mais qui, par exemple est à l’origine de la demande de « fermes de 1000 vaches » ? C’est le consommateur qui exige des produits de moins en moins chers. Il en va de même pour l’énergie, nous en consommons de plus en plus, on est entrés dans un système, alors qu’on ne sait pas où l’on va.
Et maintenant, si je dois donner mon avis sur telle nouvelle technologie, je ne suis pas expert. Qu’est-ce que je vais pouvoir dire là-dessus ?
Quand on discute de tout ça, il y a beaucoup d’idéologie, et peu de rationalisme. Le progrès, avec les valeurs qu’on y met, on y est entraînés, on ne peut pas s’en émanciper totalement. Même celui qui part élever des chèvres dans le Larzac, il a un téléphone portable, ne serait-ce que pour appeler si ses enfants sont malades…

⇒  Je reviens sur le propos qui nous dit que ce sont les consommateurs qui sont demandeurs de « progrès » comme les « fermes de 1000 vaches », pour, dans ce cas, avoir du lait de moins en moins cher. Je n’ai pas vu, et je ne pense pas voir baisser le prix du lait pour autant. Nous sommes là devant une démarche commerciale, une démarche de l’agro-alimentaire, des grandes surfaces, pour augmenter les marges, les résultats, pour grandir, acheter des entreprises, pour aller vers des quasi-monopoles, elles , oui, elles progressent…
Alors, on a posé la question : quelles sont les valeurs qui orientent les recherches ? Souvent ces valeurs, ne sont que financières, que boursières, parce que toutes ces nouvelles technologies c’est un énorme pactole, un pactole extraordinaire ! Voyez les GAFAM (Google – Apple – Facebook -Amazon – Microsoft).
Distorsion terrible, quand par exemple une start up de la Silicon Valley  avec 50 employés fait un chiffre d’affaire égal à celui de Peugeot qui emploie des dizaines de milliers de personnes
Que cela nous fâche ou pas, force est de constater, qu’il y a une distorsion terrible dans cette course des technologies, c’est de plus (cela a déjà été évoqué) un enjeu stratégique, non seulement de groupes, mais des Etats. Demain qui possédera : le plus de capital « matière grise », le plus de « DATA », le plus de technologies, sera économiquement, le maître du monde. Alors nos discussions à cette échelle ne  semblent-elles pas  « peanuts » ?

⇒ On doit, on peut toujours en débattre. La philosophie, ce n’est pas la passivité !

Œuvres citées.

Sauvons le progrès. Etienne Klein. Champs sciences. Poche 2019.
Le triomphe des Lumières. Steven Pinker. Les Arènes. 2018.
De la démocratie en Amérique. Tocqueville. 1830.
21 leçons pour le 21ème siècle. Yuri Noah Hariri. Albin Michel. 2018.
Le magasin des enfants. Sous la direction de Jacques Testard. Folio.Actuel. 1994.

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Une réponse à Sommes-nous fâchés avec le progrès?

  1. Pr S. Feye dit :

    Bonjour,
    Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser.
    https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ
    Cordialement

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