Ciné-philo: « Mon meilleur ami » Thème de débat « De l’amitié »

en partenariat avec le théâtre André Malraux, le 28 mai 2014

Mon meilleur ami. Image promotionnelle
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Projection du film de Patrice Leconte :
« Mon meilleur ami »
Avec : Daniel Auteuil, Dany Boon et Julie Gayet.µ
(Film sorti le 22 décembre 2006)

Thème du débat : « De  l’amitié… »
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: Autour de trois personnages: François, le marchand d’art, Bruno, le chauffeur de taxi, et Catherine, l’associée de François, ce film est au final un hymne à l’amitié. Il illustre à merveille cette ambiguïté qui peut résider dans les amitiés, entre amitié utile et amitié sincère ; il illustre ce besoin social du lien avec l’autre qu’est l’amitié. Le personnage François ne s’était pas jusqu’alors posé cette essentielle question de l’amitié. Quelques lignes issues de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote illustrent parfaitement cette situation : « Et tout à coup, il réalise qu’il est seul, seul en lui, avec lui seul, qu’il est incomplet, qu’il n’a pas d’ami. Il prend alors conscience qu’il est exclu, qu’il s’est exclu de cette plus belle aventure humaine, la relation avec les autres. »
François, le personnage joué par Daniel Auteuil, se retrouve à dîner dans un restaurant avec des connaissances, des collègues, dont son associée.
Voulant apporter un sujet de conversation, il dit :
–          Je suis allé aux obsèques d’un ami, vous savez combien on était ? En comptant la veuve,  on n’était que sept.
–          On ne sera pas plus à ton enterrement, parce que tu n’as pas d’ami.
–          Pourquoi tu dis ça ?
–          Parce que tu n’as pas d’ami.
–          Mais ! J’ai quinze rendez-vous par jour, pas un moment de libre pendant trois semaines, et il y a vous tous.
–          Un meilleur ami, ce n’est pas toute une bande, tu n’as pas d’ami, ou tu m’en cites un…
–          On ne parle pas de relations, mais de vrais amis sur qui on peut compter.
Un autre très bon film est à distinguer sur ce thème : 3 amis de Michel Boujenah, sorti en 2007. Le texte donné en guise de synopsis correspondait bien à notre débat de ce soir :
« Qu’est-ce qu’un ami ? Est-ce que j’en ai un ? Est-ce que j’en suis un (ou une) ?
C’est quoi cette relation étrange qu’on appelle l’amitié ?
Quels sont ces gens qu’on aime d’amour et avec qui on ne le fait pas?
………………….
Comment je peux faire du bien à mes amis ?
Est-ce que j’ai le droit d’intervenir dans leur vie sous couvert de l’amitié ? Et jusqu’à quel point ?
Et au fond, quel est ce sentiment étrange qui m’habite quand un ami a besoin de moi ? Un bonheur ou un besoin ? »
Nous trouvons déjà ce thème chez Sénèque, dans la lettre VI à Lucilius : « Je te citerais bien des gens qui ne manquent  pas d’amis, mais bien d’amitié. »

Débat J’ai souvent entendu dire que les femmes sont trop jalouses les unes des autres pour être vraiment amies. La vie m’a prouvé le contraire ; c’est parmi les femmes que j’ai trouvé le plus d’amitié. Alors, pourquoi cette rumeur ? De même, on dit aussi que l’amitié homme/femme était ambiguë, et j’ai beaucoup d’amis hommes depuis mon adolescence.

G Par deux fois, le personnage de Bruno dit qu’« il faut respecter les distances de freinage ! ». Il reprend là, en « langage taxi », la formule de Kant qui dit qu’il faut : « …..qu’on se maintienne l’un à l’égard de l’autre à une distance »; s’il utilise cette phrase concernant l’amour, c’est qu’elle est tout aussi valable pour l’amitié, rappelant par là qu’il ne faut pas vouloir aller trop vite, ni empiéter sur la vie d’autrui, sur son domaine strictement privé.
Dans un autre film, Les meilleurs amis du monde [de Julien Rambaldi, sorti en 2010],  un couple en voiture, se rendant pour le week-end chez leurs « meilleurs amis », les appellent au téléphone, mais l’autre couple fait une erreur « fatale » : ils oublient de couper la communication et leurs commentaires dévoilent toute l’hypocrisie de la relation ; il y aura une sérieuse « explication de gravure ».

G Pour moi, l’amitié, c’est basé sur la confiance, la sincérité, la simplicité, et c’est surtout laisser sa place à l’autre, ne pas l’envahir, être là quand l’ami en a le besoin, et c’est voir la récompense dans son regard. L’amitié intéressée ne peut pas durer.
L’amitié, c’est savoir écouter ; c’est aussi oser demander, montrer qu’on est en confiance.

G Dire toujours et exactement ce que l’on pense peut être dangereux, mauvais pour la relation amicale. J’ai eu cette expérience et j’ai failli fâcher un ami auteur d’une pièce de théâtre. Alors que tout le monde le félicitait, je lui ai dit quels étaient les défauts de la pièce. Le lendemain, il a lu la critique des  journaux et il m’a remerciée de ma franchise.

G Ce qui vient d’être évoqué illustre ce que Michel Foucault nomme la « parreshia », dans son œuvre Le courage de la vérité [cours au Collège de France en 1984]. C’est toujours très difficile de dire à un ami qui est emballé sur un projet, comme par exemple un livre, qu’il va à l’échec, que c’est nul. Et, dans ce cas, comment le dire pour ne pas perdre l’amitié, briser le lien ? Peut-on le laisser aller à l’échec ? Le laisser affronter la déception ? Et avoir peut-être à terme ses reproches pour ne pas lui avoir dit ce qu’on pensait.

G Le film montre bien que, dans l’amitié, il y a du don et du contre-don, de l’échange, et que c’est justement ce qui caractérise l’amitié, l’échange qui n’est pas marchand. Toutes les relations du personnage François, sont des relations qui relèvent d’un sentiment intéressé ou d’un intérêt sans sentiment.
Si François n’a pas d’amis, c’est qu’il n’a jamais eu une relation d’échange sans intérêt. Et ce film, en ce sens, est très profond. J’ai ressenti toute l’émotion dans cette quête, dans ce manque de l’amitié. Mais cela peut amener à se poser soi-même la question : Est-ce qu’on a vraiment des amis?  Des relations non intéressées avec quelqu’un ? C’est la question que nous pose le film.

G On a, ou on n’a pas, des affinités. Ce sont souvent, dit-on, des effets miroir, c’est-à-dire que, tout à coup, on voit en l’autre quelque chose qui nous correspond tout à fait, comme une lumière qui nous est renvoyée. Nous avons, dit-on, « des atomes crochus ». Cela peut être d’ordres différents, des affinités dans des domaines divers.
Dans le film, le personnage de François montre une totale inaptitude à se lier d’amitié ; son égoïsme le met à une distance infranchissable de cette relation. Ce n’est pas une situation uniquement de fiction. Heureusement, aujourd’hui, il y a Facebook qui permet d’avoir 3000 amis et plus, même si aucun ne franchira jamais la porte de votre salle de bains, même s’ils ne sont que virtuels, et même si nombre de ces personnes se retrouvent à dîner seules devant leur téléviseur.

G Je pense que l’amitié, cela rejoint un petit peu l’amour, et, à un moment donné, cela dépasse même l’amour. Plus qu’un problème de communication, c’est un problème de casting ; c’est-à-dire qu’on ne rencontre pas forcément les bonnes personnes, un peu comme en amour, quand on n’a pas « trouvé chaussure à son pied » ; on ne trouve pas la personne qui est dans le même canal que vous.

G Nous voyons dans ce film des relations guidées par l’intérêt, mais cela peut être le reflet d’une catégorie sociale. La bonne leçon, c’est cette relation avec le chauffeur de taxi, Bruno, qui nous montre, nous dit en quelque sorte qu’il est plus près du peuple, plus pur, qu’il a naturellement beaucoup plus le sens de l’humain.
Regardons autour de nous : dans ce monde économique, il y a beaucoup plus de tueurs que d’amis… Le film, à y regarder de plus près, est, dans un certain sens, une condamnation de notre mode de vie, de tout un système. Avec Bruno, le taxi, il nous remet les pieds sur terre, nous ramène à la réalité. Arrêtons de ne voir que le superficiel, regardons au fond de nous, voyons l’humain d’abord.
Cela n’empêche pas que nous ayons des hauts et des bas dans l’amitié. L’amitié peut à un moment donné être chahutée. Et enfin, je dirai que l’amitié a beaucoup de facettes ; peu connaissent l’amitié profonde. On ne peut être l’ami de beaucoup de gens.

G Les amitiés ne se créent pas du jour au lendemain ; cela se fait souvent au fil des années. Il faut aussi, pour que durent les amitiés, ne pas vivre trop loin, même si on ne se voit pas sans arrêt.

G Voici un extrait des Essais de Montaigne (L 1, § XVIII) sur l’amitié et particulièrement sur son amitié avec La Boétie : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Il y a trois sortes d’amitié selon Aristote : L’amitié en vue du plaisir – L’amitié en vue de l’intérêt – L’amitié des hommes de bien, par la vertu. En vue du plaisir est celle où l’on fait la fête, où l’on partage des loisirs. En vue de l’intérêt, sans connotation péjorative, il y a ces relations avec des personnes sur qui on peut compter en cas de problème, pour un coup de main. Et enfin, la troisième, celle des hommes de bien, par la vertu, elle est illustrée par Montaigne, c’est celle des âmes sœurs.

G Quelquefois lorsque la relation n’est pas bien équilibrée, cela peut être parce qu’on s’est trompé soi-même sur la nature de ce qui nous rapprochait.

G Alors que l’on parle de l’ami qui d’une certaine façon nous ressemble, parfois, nous pouvons nous lier d’amitié avec quelqu’un d’assez différent de nous. Serait-ce qu’on retrouve là un peu de notre dualité, l’ « alter ego » non pareil à moi, pareil à mon autre moi.
On peut se poser la question s’il existe sûrement quelqu’un qu’on ne rencontrera peut-être jamais et avec qui on se sentirait le mieux en amitié, incarnation-même de mon meilleur ami.
Enfin, on n’échappe pas à cette autre question : Est-ce qu’on peut être amis lorsque qu’il y a une grande différence dans la situation financière ? Et je ne parle pas de culture.

G L’amitié lorsqu’elle a disparu, parce qu’on vit trop loin, parce que les amis ne sont plus de ce monde, reste pleine et entière quand on la resitue dans l’instant des moments où elle a été.  Avec les années, nous avons perdu des amis, mais quel bonheur de les avoir eu pour amis.

G L’amitié ce sont des affinités, des centres d’intérêt communs, et puis, il peut survenir un clash ; et là, comment revenir vers l’autre ?

G Ce dernier propos illustre très précisément ce que nous voyons dans le film entre François et Bruno, la rupture de l’amitié qui fait deux malheureux. Et l’épreuve surmontée devient la véritable preuve d’amitié.

G Quand on arrive à surmonter une grosse brouille entre amis, cela veut dire que c’est fort. Se fâcher parfois, cela fait partie de l’amitié ; c’est comme en amour : si on ne « s’engueule » jamais, c’est qu’il y a un problème. Quelquefois, il faut des crises pour consolider une relation.

G Le poème de Florence :

Amitié

C’est un témoin que l’on ressent
Il est la voix de nos silences
Un miroir un peu indécent
Et on aime ses insolences
On joue au jeu des médisances
Un peu menteur, un peu gamin
On gratouille nos accointances
Comme les cinq doigts de la main

C’est le bâton compatissant
La garantie de l’assurance
Et quand le pas va fléchissant
L’adoucissant de l’existence
Un superman de circonstance
Qui nous guide sur le chemin
On chatouille nos influences
Comme les cinq doigts de la main

C’est un jumeau envahissant
Lorsque notre âme est doléance
Il est l’amant, le frère de sang
Et on pardonne ses absences
C’est la licence de l’innocence
Le privilège de naître humain
On caresse nos évidences
Comme les cinq doigts de la main

Ô toi l’ami de mes licences
La vie s’écrit sur parchemin
Même si on cafouille en cadence
Comme les cinq doigts de la main

G Je reviens sur l’amitié homme/femme ; je n’y crois pas trop, cela reste toujours ambigu.
Et cette notion de « mon meilleur ami » laisse entendre qu’il n’y en aurait pas hors cette classification de « meilleur ami », et alors les autres sont relégués au niveau de copains.
Donc, plutôt que ce terme de « meilleur ami », je préfère utiliser les mots « mon ami ».
Pour moi, un ami, c’est un apport ; on apprend de lui et il apprend de nous. Cela répond à un besoin, et, au moment où chacun répond à ce besoin, cela crée quelque chose d’exceptionnel, un lien particulier.

G Si on a un ami qui n’est rien d’autre que notre ressemblance, il n’y aura jamais de découverte réelle, jamais de surprise, alors je ne suis pas sûr que ce genre d’amitié puisse durer. Il faut la ressemblance et il faut le contraire. Puis, comme cela a déjà été évoqué, il y  des degrés. Tous ne sont pas au même niveau dans le groupe qu’on nomme « les amis ».
En fait, je ne crois pas qu’on puisse trouver une définition de l’amitié.

G Je me pose, et je pose cette question : Quel type de société permet que l’amitié existe entre les hommes, entre les humains, entre les hommes et les femmes.
Bruno, le chauffeur de taxi, lui, parce qu’il est d’un milieu modeste, a plus facilement cette relation non intéressée avec les gens qu’il rencontre.
On voit aujourd’hui, comme on l’a dit sur Facebook, « l’illusion d’amis » ; ceci est dû en grande partie à notre mode de vie, de la consommation, du tout jetable, de l’éphémère.

G Je vais vous faire part d’une émotion ressentie ce jour face à des images vues à la télévision. Aujourd’hui, environ 2000 immigrés africains ont réussi à passer le rideau de fer de Melilla (enclave espagnole au Maroc). Alors que tous couraient comme des fous pour accéder à la zone franche, perdant chaussures et vêtements, dans cette course du chacun pour soi, un homme passait in extremis la barrière portant sur son dos un autre homme.
C’est image, ce geste où un homme se met en danger pour sauver l’autre, symbolise l’amour de l’autre, l’amitié de tout le genre humain, c’est ce noble et beau sentiment que nous tâchons de protéger, et qu’on appelle la solidarité.

Références/

Livres :

Ethique à Nicomaque. Aristote.
Lettres à Lucilius. Sénèque.
Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours  au Collège de France. 1984. Michel Foucault. Gallimard. Seuil. Hautes études. 2009
Les Essais. Montaigne.

Films :

3 amis. Film de Michel Boujenah. 2007.
Les meilleurs amis du monde. Film de Julien Rambaldi. 2010.

 

 

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