Thème : « La liberté d’autrui étend la mienne à l’infini » (2)
Essai de restitution. Café philo de Chevilly-larue. 26 janvier 2000
Débat : Bien que la notion de « l’infini » semble ne pas se définir avec aisance, la métaphore de l’oiseau libre et seul dans la grandeur de l’espace est d’emblée développée. Belle image qui s’évapore pour laisser sans équivoque un constat précis, coupé au fer blanc de la réalité : la liberté ne se conçoit pas par décret : elle se conquiert !de plus, la liberté ne suppose pas qu’elle débride les individus qui seraient libres de tout faire sans règles édictées, comme les Déclarations des Droit de l’Homme (1789 OU 1948) le proclamait en filigrane : la société ne peut tolérer un excès de liberté qui entacherait son devenir collectif, le contrat social qui unit chaque citoyen d’un Etat à l’autre.
Les rapports contractuels sont évoqués, principalement le lien de subordination qui lie un employé et un salarié, et vive vers. Le travail, lieu où devrait s’exprimer le fondement de l’émancipation de l’homme (cf. K. Marx), échappe au règne des libertés parce que la subordination opère une aliénation.
Avant d’aller plus loin dans le débat, il est d’abord précisé qu’il ne faut pas confondre la notion « infini » en tant que substantif (Dieu, l’Eternel..) d’avec l’adjectif (sans borne, sans limite..) ; par ailleurs, par liberté il nous faut entendre une notion qui se meut au regard des rapports sociaux. Elle ne saurait rester sur le terrain de la seule métaphysique.
Un (e) participant (e) relie le débat précédent sur Spinoza avec celui-ci pour ne pas perdre de vue que la liberté s’oppose notionnellement aux libertés, c’est-à-dire que les libertés (souvent dites « publiques » en droit) échappent à la liberté fondamentale des êtres.
Pour un (e) intervenant (e), la liberté suppose une approche éminemment pragmatique. Pourquoi ? Elle s’apprécie du point de vue de l’individu et du point de vue de la société. Est libre celui qui ne suit pas les contingences (d’où qu’elles viennent d’ailleurs) du pouvoir. Une société est libre selon le point de vue de celui qui l’apprécie comme telle ou pas. Ainsi, nous devons nous garder de tout anthropomorphisme qui nous ferait jauger la liberté à l’aune de nos considérations françaises. Par exemple, en Afrique, la notion de liberté se distingue de la nôtre au regard des croyances d’une part, et des réalités socio-économiques d’autre part. Souvent, pour les Africains, la liberté signifie « libertinage ».
De retour sur une préconception, l’un (e) de nous part du postulat que la liberté est innée, et qu’elle se conquiert d’abord socialement. Ainsi, dans les textes relevant des Droits et Libertés publiques, le « droit du travail » suggère que chacun a droit à la liberté d’exister pour soi et en soi (par le fruit de son travail, par son revenu..). A partir du moment où le chômage massif existe, la liberté ne peut demeurer une réalité concrète, vécue par tous.
« La liberté d’autrui étend la mienne à l’infini.. » suggère que permettre de développer/ ou de permettre à autrui de devenir est ponctué d’un premier vœu : l’altruisme, à savoir s’occuper des autres, ce qui pour Voltaire revient à se battre pour soi puisque la liberté favorable à autrui est toujours un combat. Et bien que les Déclarations des Droits soient de beaux et grands textes qui semblent quasi-utopiques, ils forgent un espoir doublé d’un appel à bâtir une société juste et libre.
Un (e) participant (e) porte devant l’auditoire une réflexion générale et utile, qui prend pour appui sa conception de ce qu’est ou peut devenir la philosophie. La pensée philosophique reflète le plein épanouissement de l’individu qui s’y adonne par le travail de la lecture des textes, par exemple, et qui étend son empire sur tous à la suite. D’abord soumise à discerner le rapport qu’entretient l’homme avec la nature, puis mode et méthodes de poser des problématiques et des raisonnements, la philosophie s’appuie à la fois sur une tradition forte de plusieurs centaines d’années et de penseurs différents, opposés ou complémentaires les uns avec les autres. Cette méthode, cette pensée ne s’apprécie qu’à la lumière du mouvement de l’histoire. Ceci étant dit, apprécier la liberté revient à inaugurer la confrontation entre la contrainte (la loi) la domination (le pouvoir et le droit) et la liberté (l’aspiration supposée des individus). Après seulement, il nous sera possible de montrer quelles sont les fondations qu’il nous bâtir pour imposer un règne minimal de la liberté.
Surenchérissant ce point de vue, un débatteur propose de cerner la discursive représentative des lois, leur rapport à la conscience et enfin de juger ces aspects en observant la réalité du pouvoir que chacun a de disposer ou non d’une bribe de liberté. En effet, celle-ci s’évalue de manière tout aussi différente que l’on appartienne à telle ou telle culture, que l’on subisse telle ou telle loi précise. En somme, la liberté est une dynamique, un mouvement infini.
Nonobstant le poids de la décision (la liberté de choix, l’inflation libertarienne, l’angoisse surtout…), une discussion sur la liberté ne peut que procéder de la mise à plat d’une idée géniale véhiculée par le philosophe allemand GWF Hegel ( 1770/1831) : il s’agit de la dialectique du maître et de l’esclave.
Pour aller vite l’esclave ne connaît cet état d’asservissement que s’il a un maître, et le maître, que s’il règne sur une cohorte d’esclaves. Très simple. Qui a le plus besoin de l’autre. Le maître de l’esclave ou l’esclave du maître ? L’histoire nous montre que le maître ne s’en sort que s’il dispose d’esclaves. Il est asservi lui-même par un besoin irrépressible d’esclaves pour accomplir une tâche productive. Le renversement dialectique : c’est la Révolution, toutes les révolutions.
La liberté est concept, sentiment, volonté, principe politique, idéal-type d’une sortie de cure psychanalytique, notion philosophique et épreuve, fin pragmatique et corps de pensée… La liberté est tout sauf une fin ; elle est un moyen de réinterroger l’humaine condition, et l’homme dans sa perfectibilité, sa fiabilité, sa dimension autant physique qu’intellectuelle, sa grandeur et aujourd’hui sa décadence accomplie.
Deux débats de quatre vingt dix minutes c’est peut-être trop sur on thème