Thème : « La parole vaut-elle un acte ? »
Essai de restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue.
6 juin 2011
Animateur : Guy Philippon. Modérateur : Muriel Desmet.
L’animateur ouvre la séance en indiquant que 2 choses semblent opposer la parole et l’acte. La parole est utilisée pour préparer l’action, pour prendre le pouvoir comme pour partager une chose ou une autre. Avec la parole on séduit, on convainc, on dissuade, on conteste…L’acte vient ensuite.
– Le thème est-il une critique de la parole ou une mise en opposition avec l’action ? Doit-on différencier parole et langage ? Peut-on dissocier les deux ? interrogent plusieurs participants.
– Il y a un élément de réponse dans ces assertions, répond une intervenante. La parole a un côté parfois très magistral et elle sert à tout. On n’a rien trouvé de mieux pour communiquer.
Débat : – « Le plus beau des poèmes d’amour c’est je t’aime, le reste c’est du remplissage ». J. Brel.
– « Cela va sans dire » est une expression qu’il faudrait bannir de notre vocabulaire car les choses vont presque toujours mieux en les disant. Si des paroles blessent, les non-dits font des ravages beaucoup plus graves. Il est souhaitable au décès d’un proche de ne jamais avoir à se poser la question : pourquoi ne lui ai-je pas dit ceci ou cela ?
– Le fait de parler reste donc fondamental à bien des égards et la violence des jeunes est souvent liée au manque de parole ou à sa non-reconnaissance, affirme.
– Les nouveaux langages quelque peu codés sont l’expression de cette révolte et de l’opposition à la tradition. Un manque de vocabulaire semble être un handicap à la prise de parole et c’est le fait d’une partie importante mais certainement pas général des jeunes.
– La violence verbale est très souvent remplacée par la violence tout court. « Il est plus facile de se servir de ses poings que de son cerveau » .
– Certains de ces jeunes créent de nouveaux langages. Autrefois, entre 12 et 14 ans, nous avions 2 langues : celle de la famille et celle des copains, mais on ne mélangeait rien. G Aujourd’hui leur langage est unique. Ils l’imposent quel que soit le lieu.
– On dit souvent : « assez de paroles et de discours, des actes ».
– Quels actes sont possibles sans la réflexion, quelle valeur auront-ils sans le soutien de la pensée ?
– Hier encore on parlait de paroles d’honneur, qu’en est-il aujourd’hui par exemple vis à vis de son banquier ou même de ses proches ? Notre parole est-elle garante de quelque chose et pour qui ?
– La tradition écrite a supplanté la tradition orale, on ne peut que constater une nette dévaluation de cette fameuse parole.
– Plus que la parole ce n’est peut être que la nature de l’homme qui n’est pas fiable, car comme Pascal le disait déjà en son temps « On n’apprend pas aux hommes à être honnêtes, on leur apprend tout le reste ».
– Il y a un langage corporel que l’on maîtrise moins que l’oral et qui est souvent plus vrai.
– Le sentiment d’authenticité d’un discours est souvent lié aux mimiques des orateurs. Il évoque un proverbe créole qui serait à l’origine du thème débattu aujourd’hui : « La parole en bouche n’est pas maître. Elle est Lucifer ».
– La parole n’est pas le passage à l’acte. « Il y a une gamme entre murmure et colère. C’est ce que l’on apprend en faisant du théâtre. » disait Cocteau.
– L’envoûtement que procurent certains orateurs notables (Hitler dans les années 30, Castro aujourd’hui, chacun sur leur registre) montre bien le poids de la parole. L’emprise des gourous des sectes montre également les mirages que la parole provoque.
– Le rapport entre parole et acte est souvent une nécessité pour la crédibilité de son auteur, mais en politique tout particulièrement il vaut mieux avoir à faire avec un homme d’action plutôt qu’à un tribun de qualité aux paroles sans lendemain, exprime un autre. Le cas Tapie qui refait surface est la preuve de cette fascination.
– Louise Labbé « Le plus grand plaisir c’est de parler d’amour avant et après ».
– C’est de moins en parler et de le pratiquer davantage.
– Le plaisir de l’amour c’est de profiter des silences qu’il nous apporte. Mais le problème, c’est que la prise de parole n’est pas toujours aussi claire dans ses objectifs que pour une déclaration d’amour. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la parole engage. Prendre la parole nécessite du courage, mais également des acquis, et demande parfois des préalables afin de décrypter les messages. Ne pas oublier qu’entre celui qui parle et celui qui écoute les filtres de la compréhension sont parfois bien différents, puisqu’ils sont élaborés par le vécu de chacun.
– En quoi l’acte est-il meilleur que la parole ? Quand j’agis est-ce plus important que lorsque je parle ? Ceci nous renvoie à nous-même à nos petites ou grandes lâchetés.
– Pourquoi certains hommes d’action excluent, exploitent ou tuent ? On a supprimé Salvadore Allende pour ses idées. Pinochet a agi sur un plan de Kissinger, que des étudiants américains ont établi, à leur insu, comme un exercice de style à l’Université.
– On tente de redonner de l’importance à la parole, dans des émissions télévisuelles, comme « çà se discute » ou « c’est mon choix ». Cependant les discussions sur les conditions de vie de chacun paraissent très manipulées par les animateurs. Il y a un élargissement du discutable mais souvent accompagné d’un appauvrissement des arguments. Le spectaculaire est préféré au fondamental. Il y a une volonté de donner la parole aux gens concernés, mais trop souvent dans des cadres régis par ceux qui détiennent les vrais pouvoirs.
Conclusion : Prendre la parole de façon claire ou non c’est vouloir convaincre, partager avec les autres ses expériences de vie. Prendre la parole c’est communiquer un savoir acquis pour le faire partager. L’importance de la parole c’est de croire que l’on va donner du sens aux choses. « Le tout est de tout dire, je manque de mots, je manque d’audace, je manque de sens » Paul Eluard.
place aux actes