Un homme sans passion, ne saurait-il être l’auteur d’un acte volontaire,(2)

                               Animateur. Olivier Pascault.             Modérateur. Lyne Vogne                    
Débat :
Dans un même mouvement de toute l’assistance, la richesse intrinsèque du débat se poursuit ce jour, avec l’objectif de tenter d’épuiser le sujet dans son ensemble, principalement en reliant les deux versants de l’affirmation proposée par Baruch Spinoza : « passion et acte volontaire » faisant suite à une séance essentielle consacrée à l’effeuillage de tous les registres de la passion (Compte rendu précédent).
       D’emblée, deux formulations de la passion émergent : « la passion vertueuse »qui donne sens à la vie, source et cause de l’activité créatrice, volonté et volontarisme en acte d’un côté, et de la « passion vicieuse », en tant que séquence d’un trouble et consumant une possible dégénérescence de l’acte en soi, de l’action de chaque homme, de l’autre côté.
     En somme, deux positions tranchées se dégagent de là où il faudrait observer un jugement équitable entre les deux. Ainsi la passion est rendue extensible, avec une variante explicitement énoncée comme positive, et, à l’inverse, une variante résolument négative. Or un Etre sans passion ne peut pas vivre, ne peut être réputé doué pour comprendre les autres, la vie et les hommes. Pourtant, comme Aristote le soulignait de Diogène afin de mieux le critiquer, Diogène « ce clochard se voulait sans passion » se prive du champ des possibles. Un Etre qui vivrait sans passion serait un Etre inauthentique, Un Etre privé de la nourriture de sa propre vie. Cependant, la contradiction entre les prémisses de Spinoza peuvent, à l’instar du  Phèdre de Racine, être inversées pour retourner la proposition. Aussi, la passion se teint d’une colorie passive, de « laisser aller » à l’égard d’un sentiment ou d’un émoi dont l’Etre n’est plus le maître, devenu en quelque sorte irresponsable de ses actes. Ici intervient l’idée qu’un homme sans passion évolue vers l’amour, seule garantie présentée par l’auteur des propos pour se préserver d’une passion jugée telle une folie curieuse, même si elle reste douce.

D’autres énonciations complètent ou, au contraire, infirment l’évolution du débat, mais toutes sont résolues et accélèrent une réflexion active et participative pour que prenne forme petit à petit une solution « dépassionnée » de la problématique de la passion.
     La passion ne présente t-elle pas un danger, alors qu’elle est louable il s’agit d’exercer par elle un métier que l’on aime, ou pratiquer un sport que l’on apprécie, etc. Et bien que la passion puisse contenir, par acte volontaire, un extatique détachement du monde et de ses aliénations quotidiennes, est affichée l’idée selon laquelle apprendre de la vie et de soi élève avant tout d’une détermination affichée et concrète qui obère la pesanteur de la seule passion exercée pour elle-même. Ceci est un fait. Ainsi, la passion est plurielle. Pour la pratique d’un sport, le cyclisme, par exemple, elle demeure tout à la fois une confrontation avec soi (gagner une victoire en dépassant la douleur physique, geste bien plus éminent que de vaincre le peloton sur une longue distance), émulation par rapport à ses partenaires de sorties routières et s’identifie par là franchement par le cumul des tranches successives. Autre exemple, la passion amoureuse est, par essence, vertueuse, mais elle est susceptible de fermer l’Etre amoureux au monde, de le voir surpris et devenu étranger à la réalité ; ici, la passion devient illimitée et destructive. Or, elle se doit d’être maîtrisée ; elle renferme un danger potentiel si celui qui s’y adonne ne la jauge pas selon la (sa) raison, c’est-à-dire comme instance de contrôle. La forme copulaire souhaitable que nous discernons se livre d’elle-même : passion doit rimer avec raison (la Gemüt, déjà évoquée) si la première conserve sa juste place dans l’ordre le plus raisonnable qui soit (il s’agit de la modération). En cela, et nonobstant les points de vue contradictoires, la passion en tant que concept subjectif par excellence requiert la connaissance de son point limite, et par conséquent ne peut faire l’impasse d’un acte volontaire conscient et décisif pour ne pas franchir ledit point. L’autre aspect non négligeable que chacun de nous apprécie à ce moment du débat est la rythmique engendrée par la passion qu’on ne peut délaisser, la passion nous offre un enthousiasme généreux ; elle a une autre nature dans laquelle règne la multiplicité, et tout autant le désir et les affects. C’est dire l’éminence des actes volontaires qu’elle provoque à bon escient, ceux là même qui permettent de parvenir à une saine maîtrise de soi, et à adopter au sein du monde une posture réfléchie et lucide, et donc de voir en eux la chance de tout être, de conférer une joie de vivre sans excès autodestructeur, bien entendu.

A ce stade, surgit, une nouvelle question. Un acte volontaire n’est pas forcement issu de la passion. Cependant , il est possible d’assimiler la passion avec son ensemble d’items divers mais se recueillant en lieu de convergence, et ainsi concevoir l’acte volontaire comme réalisable si l’ensemble de l’être n’est pas coercitif ; à présent le rôle de la conscience active agit et détermine l’ouverture des bornes de l’acte volontaire. Inévitablement se pose dans l’assistance le problème de la vie, de la survie et du lien qu’entretient cette dernière avec l’idée réalisée en acte de l’acte volontaire stricto sensu. En effet, pour survivre et donc par passion de (et pour) de la vie, l’anthropophagie relève t-elle du registre de la viabilité humaine dans les circonstances extrêmes.

Les limites de la passion, en situation extrême, éclaire l’enjeu posé par la citation de Spinoza : « Un homme sans passion ne saurait être l’auteur d’un acte volontaire », certes, mais le contre-pied de cette assertion serait qu’un homme passionné est seul susceptible de concevoir un acte volontaire. Autrement dit, par la pleine appréhension des limites observables, la raison demeure malgré tout et s’ensuit un assèchement de l’acte volontaire dan le phénomène avancé de la coercition.. volontaire.

D’autres prises de parole examinent des corrélations entre passion et acte volontaire. >La passion aurait à voir avec l’émotion, laquelle est subie, ou surmontée. C’est-à-dire que la volonté n’est rien d’autre de la capacité à surmonter les émotions à un moment donné, si justement loisir est offert de connaître pleinement le juste milieu des conséquences immédiates d’un acte. Car l’acte volontaire éclaire le choix sans le dissoudre. De plus, il crée. Il libère en outre une puissance de sublimation par l’écriture, la peinture, la musique, etc. L’acte volontaire, en effet, révèle une prise de conscience, un dépassement de l’homme en ce qu’il est homme s’il pense et agit en conséquence. Ainsi sauver de la noyade des naufragés en mer comporte un risque encouru et accepté, et pour les naufragés et pour le sauveteur. Parfois la pulsion de vie de sauver autrui entraîne la mort du sauveteur. Là réside la suprématie de l’humanité qui siège en tout homme et qui le rend estimable, malgré ses folies : mourir est toujours un gémissement suivi d’un espoir ; mourir est un renouvellement, s’il s’agit de ne sauver qu’une vie.

Cette entrée a été publiée dans Non classé, Saison 1999/2000. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Un homme sans passion, ne saurait-il être l’auteur d’un acte volontaire,(2)

  1. cafes-philo dit :

    Il s’agit là du deuxième débat sur ce même thème
    le premier ne semble pas avoir été publié

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *