Thème : « Etre libre, est-ce ne rencontrer aucun obstacle ? »
Essai de restitution du débat du Café philo de Chevilly-Larue
le 26 octobre 2005
Modérateur : Chantal Deluchat
Animateurs : Guy Philippon, Michel Perrin
Introduction au débat : Guy Philippon
Introduction : Affirmer d’être libre c’est d’abord s’interroger sur la multiplicité des sortes de libertés (naturelle, matérielle, civile, politique, psychologique ou morale). Parlons de ce que nous comprenons. C’est une idée qui s’impose à nous sans examen. On peut y voir un double enracinement : la pensée grecque et la pensée judéo-chrétienne. Cette provenance nous indique le rapprochement par rapport à l’usage que nous nous en faisons. Elle vient sous un mode divisé en deux : la vie, les hasards de la vie et la destinée collective d’une communauté. La situation est différente selon qu’on est maître ou esclave. Finalement la liberté c’est tout homme et tout de l’homme qui est concerné. C’est le triomphe de la culture sur la nature. C’est la décision de se détacher du monde matériel : faire émerger la forme humaine, la liberté comme forme affirmative. La liberté selon les Grecs suppose un statut, une capacité, une autorité. La liberté a ses limites. Elle n’existe pas hors du champ de la cité. La loi est la limite préalable qui se conforme à l’éthique (éthos). Elle reste une partition chez les Grecs. Selon les lois de la guerre, un être libre peut devenir esclave. Un esclave rejoint la pensée des hommes libres. Les esclaves ce sont des non-hommes. Le maître est celui dont la parole fait des maîtres qui parlent vrai. L’arrivée de Socrate ébranle les positions dominantes : « Celui qui est véritablement libre est celui qui peut se revendiquer d’idées qui ne sont pas de ce monde ». Mais « L’homme est né libre et partout il est dans les fers» ( J J Rousseau) « Vivre et désirer est ce que personne ne peut faire à ma place » (Heidegger) « Nul n’est méchant volontairement » (Socrate).
Débat: Il s’agit là de l’exégèse d’une période antérieure. Platon a montré ces différences : il envisage une liberté différente selon les groupes sociaux qui interviennent dans la République (le groupe de tête, le groupe de cœur, le groupe du quotidien). On peut voir sous un autre angle, cette notion de liberté par la psychologie ou par la sociologie : la Liberté naturelle, la liberté civile, la liberté politique. Il y a différentes entraves, tabous, non-dits interdits qui sont autant d’obstacles à la liberté. « Si je connaissais toujours ce qui est vrai et bon je serai entièrement libre sans être indifférent » (Descartes)
– Etre libre c’est la première chose que l’homme peut demander. Un prisonnier peut être libre. Sa liberté, c’est son esprit, « Diégo est libre dans sa tête ».
– La liberté est-elle une contrainte ? Pour vivre librement il faut diriger sa vie. Il n’y a pas d’amour il n’y a que des preuves d’amour. Il n’y a pas de liberté il n’y a que des preuves de liberté.
– La liberté est-elle donnée ou est-elle conquête ? Quel est dans tout cela ce que l’on veut.
– On peut rappeler qu’il y a cinq façons de franchir un obstacle : l’affrontement par la violence, l’agression ; la régression, la soumission ; la sublimation ; trouver une autre raison de se bouger comme obstacle plus accessible ; l’envolvement (entourer, encercler, phagocyter)
– La liberté c’est le résultat d’une prise de conscience, d’une révolte conduisant à une libération. C’est une conquête sur soi-même, sur les autres, sur le corps, sur l’ensemble de l’être humain. Platon a vécu sous un tyran qui aurait pu lui retirer sa liberté d’expression. Acquise par la force, la liberté sera conservée par la force. Résister c’est commettre ou poser des actes conscients utiles à la liberté ; elle est toujours à construire, mais la faculté d’adaptation des êtres humains peut contrarier l’avancée globale de la libération. L’acte libre permet de distinguer entre le fatalisme et le libre arbitre. Le déterminisme pose problème. « Dieu commande à Abraham un véritable crime » ; comme Œdipe n’est pas libre quand il tue son père et épouse sa mère. L’homme n’a pas besoin de miracle : il doit transformer les obstacles en moyens, comme le fait le varappeur ou l’escaladeur sur son rocher. Il transforme les conditions défavorables en conditions favorables.
– L’homme n’est-il pas obstacle de ses techniques, à la fois victime et complice du progrès ? Avons-nous assez de nos connaissances dans le domaine économique, politique, technique ? Est-on libre de n’agir que dans le domaine de la science ? Parler ou écrire au nom de tout un peuple déforme l’humain. Un homme qui parle au nom des autres et au nom de tout un peuple pratique la manipulation. Les pensées collectives pourtant libératrices sont-elles inhumaines ? Cette pensée commune se termine par une négation des différences. Ce n’est pas toujours le cas mais cela se rencontre. Beethoven qui était musicien et sourd produisait du sens et était condamné à s’écouter lui-même. L’humanité est un cortège de sourds. La liberté est à choisir mais pas forcément à imposer. Il est vil de décréter qu’on sera toujours libre. Il y a toujours des maîtres et des esclaves et il y aura toujours des gens pour agir.
– Certes ce schéma est théorique et nous vivons tout et son inverse.
– Le libéralisme c’est l’affaire de quelques uns : le renard dans un poulailler qui choisit les meilleures poules. Le libertaire c’est le compagnon du libéral.
– On nous propose un aphorisme : « Savoir partager 2 oeufs le matin en 3 parts égales, un souci en 2 parts fraternelles, et la liberté en nulle part »
– « Quand la presse est libre, cela peut être bon ou mauvais, mais assurément, sans la liberté, la presse en peut être que mauvaise. Pour la presse comme pour l’homme, la liberté n’offre qu’une chance d’être meilleur, la servitude n’est que la certitude de devenir pire » (Albert Camus)
– La liberté avec ou sans obstacle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.