Thème: Peut-on vieillir sans être adulte ?

Restitution du débat. Café-philo de L’Haÿ-les-Roses
12 décembre 2007

Girodet. 1797.

Introduction de Florence: A partir de quelques textes de Jacques Brel quelle définition peut-on donner de l’enfance, d’être adulte, de vieillir? Par rapport à la conception de l’adulte définie par Brel, peut-on vraiment vieillir sans être adulte? Sans mûrir? Est-ce que être adulte est forcément négatif?

 

Fils de …
Fils de bourgeois ou fils d’apôtre
Tous les enfants sont comme les vôtres
Fils de l’amour ou fils d’amourette
Tous les enfants sont des poètes
Fils de César ou fils de rien
Tous les enfants sont comme les tiens
Ce n’est qu’après, longtemps après…


Les vieux amants ..
Finalement finalement
Il nous fallu bien du talent
Pour être vieux sans être adultes…

Mon enfance passa…
Pourtant déjà certain
Que mes oncles repus
M’avaient volé le Far West

Vieillir…
Mourir la belle affaire
Mais vieillir

Quand je s’rais vieux…
Quand je s’rais vieux, je s’rais insupportable
Sauf pour mon lit et mon maigre passé
Mon chien s’ra mort, ma barbe sera minable
Toutes mes morues m’auront laissé tomber…

Les adultes volent l’enfance, la vision dela vieillesse est insupportable, et la mort est l’issue fatale à la vie, l’enfance, l’adulte, le vieil homme. Aujourd’hui les frontières entre les différents âges sont mouvantes et on assiste à un refus de la vieillesse. Les retraités restent assez dynamiques.
Dans certains rites de passage initiatiques l’âge adulte est vécu comme un progrès et pas comme une défaite.
Peut-on trouver un juste milieu entre une société qui fait du jeunisme et une société où les vieux  sont automatiquement sages?

Débat :    – Le mot vieillir est connoté négativement. Ne peut-on pas dire plutôt mûrir? Vieillir est péjoratif. Aujourd’hui on vit des vieillesses satisfaisantes et on vieillit mieux.
– « L’âge mûr est trop près de l’âge pourri » Desporges
– Vieillir sans être adulte : être adulte est alors vécu comme négatif. On parle des jeunes, des vieux mais on dit peu de choses sur l’adulte. Mais il existe des vieux qui sont jeunes et des jeunes qui sont vieux.
– L’adulte a été un enfant et garde en lui une part de son enfance jusqu’à la fin.
– Nous ne sommes l’adulte que nous sommes que parce qu’a été notre enfance. Il peut nous rester des rêves ou des séquelles.
– Le vieillissement n’est pas seulement physique ou dans les apparences. Mais il est l’acquisition d’une certaine sagesse.
– Un adulte peut garder une certaine innocence et une part d’enfance et de virginité face à certains problèmes.
– La vieillesse psychique est d’une autre nature que la vieillesse physique. Il existe un vieillissement passif : celui dont la vie se charge et on endosse des responsabilités en fonction de son âge par nécessité. Et un vieillissement actif : qui consiste à s’approprier les choses, les connaissances vers une maturation permanente.
– On voit des enfants qui sont adultes très jeunes, notamment des aînés qui aident dans le cas de familles monoparentales par exemple. C’est le cas des enfants parentalisés déjà responsables très jeunes et qui n’ont pas leur part de rêve. Car l’enfant a une grande part de rêve et d’idéal mais l’adulte est confronté à la réalité.
– Etre adulte c’est faire le passage entre l’enfance et la vieillesse. On ne veut pas être vieux ni être jeune. On est adulte.
– Est-on adulte que lorsque l’on a tué l’enfant qui est en nous?
– Nous citons le cas de ceux qui ont dû travailler très tôt et qui gardent toujours la nostalgie de l’enfance.
– « Ah qu’c’est bon d’être vieux merde alors »… Un intervenant n’a pas peur d’être dépassé. Il n’a pas besoin de jeunisme et trouve dans la vieillesse une certaine liberté.
– Il existe des enfants qui souffrent de devenir adultes et qui souhaitent rester des enfants. Cela peut être une chance de devoir prendre des responsabilités et l’enfant peut garder sa part de rêve même en étant responsable dans la vie. Pour des enfants qui ont eu une enfance délicate, être adulte peut être une libération. On peut continuer à rêver ou à avoir un idéal tout en étant responsable.
– Devenir adulte peut permettre de relativiser et de ne pas renoncer à son idéal. On a besoin de rêver pour vivre. Quelqu’un peut souffrir mais ce n’est pas une plaie vivante et un être vivant rêve malgré sa souffrance. Quand les parents meurent les aînés pensent parfois qu’ils seront les prochains et ils font leur changement de génération. L’adulte dépend de l’enfance et aussi de la place dans la fratrie. S’il y a de l’amour au départ présent au niveau de l’enfance, il y aura plus tard une démarche de transmission.
– Il existe différentes étapes de mûrissement et des sauts successifs à franchir, des interdits à lever de plus en plus. Quand on ne respecte pas les frontières générationnelles, cela pose des problèmes pour passer par toutes les étapes du mûrissement (Cf Françoise Dolto : le complexe du homard, où la personne qui vit des mues successives en changeant de carapace à chaque fois pour une plus grande).. Celui qui d’une enfance brisée fait une vie d’adulte réussie est un grand résilient. Mais ces adultes résilients qui sont des personnages à la vie réussie sont parfois très fragiles et très infantiles dans l’intimité.
– Il existe des personnes qui ne veulent pas, ne peuvent pas être adultes. Cette incapacité psychique peut présenter un risque de suicide.
– Une personne donne son témoignage d’une enfance où elle a beaucoup souffert et qui a gardé son rêve en restant une femme enfant. Avoir une enfance volée peut donner des adultes dans le dévouement et le don de soi.
– Brel a eu une enfance volée dans une famille chrétienne stricte où on l’a marié jeune et il a eu trois filles. Puis il a décidé de vivre ses rêves et est venu à Paris chanter. Il a vécu son enfance à l’âge adulte.

Mon enfance passa, ce fut l’adolescence
le mur du silence , un matin se brisa
ce fût la première fleur, la première fille
la première gentille, la première peur
Je volais je le jure, je jure que je volais
Mon coeur ouvrait les bras, je n’étais plus barbare
Et la guerre arriva, et nous voilà ce soir
Brel « Mon enfance »

(Enfance).
Je cours derrière un enfant qui se retourne en riant,
est-ce celui que je fus ?
Un ruisseau de ma mémoire
reflétant un ciel confus…
Camarades de fortune,
ô figurants de la route,
savez-vous où nous allons,
loin de l’humaine saison ?
Je cours derrière un enfant qui se retourne en riant,
Derrière un enfant qui joue,
à tirer du cœur de l’homme,
ciel et Terre, jour et nuit.
Compagnons d’un autre monde,
pris vivants dans votre rêve,
je vous regarde au travers
d’une mémoire mouillée,
mais douce encore à porter.
Je vais clandestinement,
du passé à l’avenir.
Jules Supervielle.

– L’un d’entre nous dit qu’il n’a pas le temps de vieillir. « Laissez-nous délirer, l’âge n’a pas de sens »… La jeunesse n’est pas dans la peau mais dans le cerveau.
– La vieillesse ou l’éternelle jeunesse est un thème récurrent en littérature et en philosophie. Beaucoup de poètes ont parlé aussi de ce thème. Les Romantiques et les philosophes ont gardé une part de rêve dans l’adulte et ils ont réinventé les sociétés.
– Queneau « veillir peut-être, croître, oui « . 
–  Après adulte il existe le mot adultère. Quand on  pénètrait dans l’adultère, jusqu’en 1974, c’était un délit pour une femme et pas pour l’homme. Si l’on supprimait la relation entre la femme et son amant, il y avait peu de châtiment pour l’homme. Être victime d’adultère était un déshonneur pour le mari trompé. Être adulte pour un homme et une femme, cela est différent. L’adultère était puni il y a récemment de 1 mois à trois ans de réclusion. Et il existait des maris trompés qui allaient jusqu’à réclamer  en plus un constat d’adultère!
– Etre adulte et être adultère dialoguent. L’adulte n’est-il pas celui qui a vécu sa sexualité et a fait l’expérience de l’amour?  Aujoud’hui l’adultère est dépénalisé. Le mot adultage rend peut-être mieux compte du processus de croissance et des étapes successives qu’induit l’adultère. Mais est-on innocent avant et coupable après??? Les rites initatiques des sociétés traditionnelles sont des rites qui comportent une forte connotation sexuelle. On n’est pas forcément coupable parce que l’on pose un acte d’amour mais on subit le poids de la morale sociale. On grandit dans la vie en franchissant des virginités successives, et l’on est toujours vierge à quelque chose… C’est peut-être cela la part d’enfance : l’aptitude à la découverte d’horizons nouveaux.
– L’innocence est employée ici au sens d’abscence de culpabilité mais c’est aussi la découverte d’une nouveauté. L’acquisition du langage par l’enfance n’est-telle pas une première perte d’innocence et la possibilité pour l’enfant de commencer à manipuler le réel avec des mots.
– Il existe une innocence qui ne dure pas… Où avoir encore une part d’innocence en étant adulte?
– Les adultes savent??? Ils savent certaines choses et pas d’autres et ont toujours à découvrir. Il faut essayer d’écouter sans préjugés, dans l’ouverture à l’autre.
– Dans un groupe de communication non-violent, un intervenant a assisté à des échanges on ne peut plus violents. Sous couvert d’innocence, d’écoute de l’autre, on est parfois dans la prise de pouvoir sur l’autre. Cela se passe comme si dans l’enfance on avait été manipulé et que l’on cherchait à maîtriser quelque chose à son tour en étant adulte. Une personne très ouverte peut être un être manipulateur.
– En vieillissant on fait le constat de ne pas savoir et on a envie de savoir plus.
–  « Je remercie l’Eglise d’avoir fait de l’adultère un péché, cela le rend nettement meilleur »…
– Celui qui ne devient jamais adulte peut-être vécu comme une charge pour la société, et être dépendant toute sa vie des autres.
– Qu’est-ce qu’être adulte?
–  Il y a une différence entre majorité et maturité. Les femmes étaient adultes il y a peu mais pas majeures. Si on parle de l’innocence de l’enfant, est-ce être coupable qu’être adulte???
– Etre adulte, est-ce par rapport à un degré de maturité?
– Perdre son innocence peut signifier perdre sa  naïveté  et pas être coupable; apprendre à manipuler certaines armes et à tirer des leçons de l’expérience
– Être adulte n’est-ce pas prendre conscience de l’existence du Mal, prendre ses responsabilités et les assumer et poser des actes, avoir l’expérience de l’acte d’amour véritable et s’être laissé entamer par l’autre, se connaître assez pour aller vers l’autre sans avoir peur de la différence.
– Être adulte c’est se poser des questions en ne se contentant pas des réponses à la différence de l’enfant.
– Être adulte c’est penser par soi-même, accéder à la pensée.
– Il y a dialogue permanent entre enfance, adulte et vieillard… Cela fonctionne comme une trinité.
– Le contraire de l’innocence n’est pas nécessairement la culpabilité. La culpabilité est imposée par ceux qui règnent sur la loi morale (7 péchés capitaux? Décalogue?). Être adulte c’est connaître sa propre morale. Le langage ne doit pas être imposé par d’autres.
– L’enfant et le vieillard n’ont pas de masque social. Il y a beaucoup d’obligations pour l’adulte. Il doit savoir vivre avec un masque social.
-Pour ce qui concerne la  culpabilité et l’innocence, être adulte c’est la prise de conscience du Mal et de là naît le sentiment de culpabilité face à ce mal qui existe et non pas en étant nécessairement coupable d’une faute.
– Selon l’âge on aborde différemment la question de la culpabilité.
– Innocence? Culpabilité? On est amené à transgresser des interdits successifs pour grandir. Il faut être conscient à chaque instant des choix entre le positif et le négatif et poser ses actes en conséquence. Il n’y a pas d’innocence, pas plus chez l’enfant que chez l’adulte pour des êtres conscients.
– Il est difficile de quantifier la complexité du réel. Il faut savoir se positionner par rapport à ce que l’on subit et à ce qui se passe autour de soi en société pour discerner l’importance des choses.
– Les sociétés les plus strictes doivent parfois lâcher la soupape à l’enfant qui est enfermé dans l’individu sociabilisé : Ce sont les excès d’extravagance parfois chez les Anglais, ce qui n’est pas « chocking », c’est le carnaval dans d’autres sociétés comme les Allemands où la licence, jusqu’à l’adultère, est autorisé, toléré durant ce temps où les règles sautent, une pause qui leur permet peut-être de supporter  d’être adultes face à toutes les contraintes d’une société?
– L’âge de l’innocence est aussi l’âge des bêtises, l’âge où l’on a le droit de ne pas savoir encore. On flirte avec les interdits. On se forme grâce à l’attitude des adultes. A l’adolescence on voudrait être adulte mais sans lâcher l’enfance.
– L’âge de l’innocence c’est passer d’une vie d’enfant à une vie d’adulte.
– Les adultes sont parfois coupables de faire culpabiliser les enfants.
– Il n’y a pas d’innocence de l’enfance selon Freud. On se construit sur des interdits à transgresser, des sceaux à faire sauter ( voir  le 7ème sceau de Bergman). Il n’y a pas coupable et innocent mais en chacun une part de fautes et de virginités, et  d’autres découvertes à faire.
– Être adulte c’est être responsable de ses choix.
– Être adulte c’est être un Homme révolté
– Pouvoir quantifier la complexité du réel c’est garder sa part de rêve donc sa part de liberté.
– Mais pour entrer dans une société il faut aussi en connaître les règles et les respecter.

Être adulte c’est ne plus rêver,
C’est se dire que le voyage est terminé,
Qu’il faut poser ses bagages.
Être adulte c’est se résigner,
C’est ne plus désirer et se faire une raison.
J’aimerais bien ne jamais devenir adulte,
Continuer à croire que la vie est devant moi,
Que tout est encore possible.
Je voudrais ne jamais m’arrêter,
être au début des choses, comme à l’aube du jour.
Croire que tout peut recommencer. Demain
Que la vie sera belle et innovante !
L’enfant rêve à la vie qu’il aura.
L’adulte pleure sur la vie qu’il n’a pas eue
Peut-on jamais devenir adulte ?
Faut-il mourir avant qu’il ne soit trop tard ?
Martine de Lambert (1747)

– S’il existe une opposition homme/femme, il existe aussi une opposition vieux/jeune. Il n’y a pas de respect de l’âge ou du grand âge et il est plus dur pour les femmes d’êtres âgées. Les adultes encore jeunes ont du mal à accepter d’être vieux. Et il y a ceux qui ne quittent pas leurs responsabilités, qui s’accrochent à leur poste et à leurs prérogatives en refusant d’entendre la montée des idées nouvelles. C’est le cas des gérontocraties. On assiste aussi à une maltraitance de la vieillesse. On connote péjorativement pour enfermer. Et on encense le jeune pour en faire ce que l’on souhaite. Le jeune est le plus sollicité dans nos sociétés et le plus vulnérable.
– Le problème du vieillissement mal vécu est un problème occidental. En Afrique tant que l’on n’est pas mort il est encore temps d’être jeune.
– L’adulte devrait faire appel plus souvent à l’humour pour ne pas être trop sérieux quand on est adulte.

Conclusion : Le thème de ce soir correspondait bien à l’esprit des cafés philos : assez  provocateur, et faisant appel à notre capacité à sortir des ornières de la pensée traditionnelle. Bien sûr la plupart d’entre-nous sommes adultes, mais à la fois vigilants de vieillir en gardant en nous l’essentiel d’avant d’être adulte, c’est-à-dire « sauvegarder l’enfant ».  Nous fréquentons les cafés philos pas seulement pour trouver cette sagesse d’adulte, mais parce que pour certains d’entre-nous, même « avec le masque social de l’adulte »  nous sommes toujours  dans cette disposition de nous poser des questions ; état qui dénote des individus en quête d’eux-mêmes, donc toujours des adultes en devenir. Alors peut-on vieillir sans être adultes ? Laissons passer encore un certain nombre  d’années, et nous essaierons d’y répondre !

Cette entrée a été publiée dans Saison 2007/2008, avec comme mot(s)-clef(s) , , , , , , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Thème: Peut-on vieillir sans être adulte ?

  1. DEGREVE dit :

    je pense que vieillir fais du bien à l’âme,la veillesse lui donne l’occasion de grandir,de comprendre, d’apprendre en profondeur les êtres qui nous entourent,de moins se tromper sur ces choix,d’oser les assumer.Vieillir c’est aussi s’accepter sans fard,sans bijoux et devenir simple en appréciant la nature.
    Avoir 48 ans pour moi et bien mieux que 28,j’anticipe les problèmes relationnel
    avec autrui et les rèsoud de ce fait très vite, c’est bien pratique à vivre; le seul petit inconvénient d’ avoir bien vécu rencontré et aidés beaucoup de personnes c’ est un petite fatigue de temps à autre qui s’installe.
    AMICALEMENT. lydie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *