Parler de paysages infinis
Plutôt que de « milieux ou d’environnement »
Afin de souligner la place de la subjectivité.
Un paysage est ce qui se donne
D’un pays dans un coup d’œil d’ensemble,
Ce qui se découvre de lui sous le regard
Ce regard loin d’être neutre, interpelé
Celui qui regarde et fait de la rencontre
D’un paysage une expérience.
Un paysage, c’est d’abord un beau paysage,
Sinon il faudrait dire que tout fait paysage,
Et inclure dans la défense des paysages
Celle des sites industriels et des décharges.
Pourquoi un plaidoyer pour le paysage,
Pour les différentes valeurs qu’il supporte,
Esthétiques, écologiques, sentimentales,
Ce qui réjouit les sens ou ce qui élève l’esprit,
Ce qui met en circulation l’ensemble des facultés,
Dans l’expérience d’une finalité sans fin (Kant)
Ce qui se manifeste sous forme de symbole
Le contenu d’une idée (Hegel) indépendamment
Du paysage considéré, matériel, semi-naturel, aménagé
Un paysage est un lieu de mémoire,
Il conserve les traces d’un passé
Individuel, collectif, auquel il tient.
Certaines nous inspirent, nous ravissent, nous transportent.
Des solitudes désolées nous parlent de notre propre solitude.
Une mer embrasée de soleil
Nous parle de notre propre cœur
Par les moyens de sa symbolique propre.
Lignes et couleurs
Architectures de lumières,
Profondeurs étagées de l’espace,
Vibrations impalpables de l’air
Un paysage nous parle de nous-mêmes
Il en parle mieux que nous ne saurions le faire avec des mots.
Cette connivence qui nous éveille au paysage est d’ordre amoureux.
C’est elle qui forme le caractère et la sensibilité
Des peuples en même temps que le style de leur art.
Le paysage est toujours un événement fabuleux
Une merveille : on n’est plus seulement devant lui
Mais enveloppé par lui.
Le corps est soudain affranchi de ses limites
Car aussi loin que le regard plonge dans l’espace
Devant nous, une jubilante étendue d’air
Qui n’est ni loin, ni près
Mais notre propre corps développé
Dans toutes les directions de l’espace,
La montagne au loin, les nuages au-dessus de notre tête,
Pourraient se toucher de la main.
Ce peuplier qui se courbe au vent,
C’est notre propre corps plié en tous sens,
La fine pointe qui fouille l’air,
Nous en éprouvons l’effort
Comme nous en ressentons la caresse.
C’est oiseau qui s’élance vers la vie
Ou qui rase la vague,
C’est nous-mêmes, notre cœur bondissant,
L’orage qui s’approche,
La violente dramatisation de la Nature.
Après l’orage, au printemps,
Soudain une brèche ouverte sur l’autre monde,
Le pur climat du rêve,
Quand tout le paysage se dessine et s’absente à la fois
Nous savons d’un savoir certain
Que la matière est pensante,
Que l’esprit est à l’œuvre dans la Nature.
Ecrit et lu par Guy Philippon
lors du 13ème printemps des poètes à L’Haÿ-les-Roses le 9 mars 2011
Thème national: » D’infinis paysages »