Thème « Le suicide : acte de courage ou de lâcheté ? »
Essai de restitution du café philo de Chevilly-Larue.
22 mars 2002
Modérateur : Michel Perrin
Introduction au débat : Guy Pannetier
Animateur : Guy Philippon
Le modérateur cite Albert Camus : “ Il n’y a qu’un problème sérieux dans la vie : le suicide ”.
Introduction : C’est un sujet délicat et ardu pour des esprits cartésiens, d’autant plus que divers types de suicide sont à explorer : ceux concernant les adolescents, les malades, les obsédés de la mort, les existentiels, ceux d’honneur, les rituels, les martyrs, les collectifs, les primitifs, ceux de courage et enfin où faut-il situer l’euthanasie ? Y a t il un déterminisme, une prédisposition ? Peut-on considérer le suicide comme un choix ?
Débat : – J’ai toujours considéré le suicide comme la première et la dernière des libertés. “ J’ai le droit de mettre fin à ma vie. Le suicide est ma liberté ultime ”. Le film de Camerone consacré au problème du suicide : “ plutôt la mort que l’esclavage et l’incertitude de l’avenir de leurs enfants ”. Le suicide est dérangeant et peut laisser une souffrance aux autres. Le suicide a une valeur quand il est l’aboutissement de quelque chose. Il y a autant de suicides de personnes âgées que d’adolescents.
– On peut générer aussi sa maladie et c’est une forme de suicide.
– Je pense à deux choses différentes. J’ai vu des personnes âgées se suicider et d’autres finir leur vie dans d’effroyables conditions. Je les ai toutes admirées. La notion de lâcheté me déplait car c’est un acte de courage dans tous les cas.
– Il y aussi la lâcheté de vouloir continuer à vivre à tout prix, indique un autre. Quelquefois l’Homme préfère la maladie.
– Je n’ai pas de jugement à porter sur l’acte de lâcheté. Croyez-vous que la famille et les amis d’un suicidé ne se sentent pas abandonnés ?
– Albert Camus s’interrogeait “ s’il y avait une logique jusqu’à la mort ”. “ Il est presque impossible d’être logique jusqu’au bout ”. La question pose un problème : les philosophes se prennent-ils pour Dieu ? A-t-on la possibilité de juger l’acte ? On ne peut qu’avoir des regrets ou des remords face au suicidé qui a réussi son acte.
– Le suicide est quelque chose de mystérieux. Je n’ai pas d’avis sur la lâcheté ou le courage. J’ai des exemples de suicides dans ma vie professionnelle. Le professeur Bonnefoy cherchait pourquoi certaines zones géographiques sont favorables au suicide.
– Je n’ai pas peur de la mort, car elle va avec la vie. Le suicide est un acte ultime.
– Le suicide est une réelle et profonde souffrance. Personne n’est à l’abri, soit la personne choisit de se faire aider, soit elle assume sa souffrance.
– Dans tout suicide, il y a une profonde détresse. Il y a l’acte volontaire et l’acte involontaire. Qui est responsable des personnes qui sont dans une dynamique d’autodestruction ? Les gens extérieurs ont-ils un rôle à jouer ?
– Personne n’est responsable d’une personne qui se suicide.
– Il faut différencier les adultes des enfants. La tentative de suicide d’un enfant, c’est souvent un appel au secours et chez un adulte, c’est un aboutissement raisonné.
– Les taux de suicide sont présentés au niveau géographique et selon certaines périodes. Les jeunes se suicident plus au printemps, les personnes âgées en novembre décembre et les personnes atteintes de maladies pendant les fêtes.
– Il y a différentes formes de suicide et motivations de se suicider en fonction des âges. Le suicide est réfléchi chez les malades qui refusent une souffrance. Pourquoi y a t il autant de suicides chez les policiers ? C’est parce qu’ils ont une arme. En général, les personnes sont submergées par leur subjectivité.
– Il faut apprendre à s’aimer soi-même. On est moins dans l’attente d’être aimé des autres.
– Le suicide est un acte égoïste, et une forme d’orgueil. L’orgueil on peut le retrouver dans les suicides rituels des samouraïs. C’est un suicide d’honneur.
– L’acte suicidaire est contradictoire. Il y a une raison insatisfaite de bonheur, de sens, d’esprit. Le suicide est une forme d’espoir pour échapper à l’absurde. C’est une histoire entre soi et les autres, entre soi et son passé et entre soi et soi.
– Le suicide des adolescents est une prise de conscience de la réalité du monde des ados, situation évoquée dans une chanson de Serge Gainsbourg “ Comment pardonner à ce monde de n’être pas ce qu’il est et non le miracle que l’on avait imaginé ”. Courage ou lâcheté ? Nous ne jugeons pas, nous nous questionnons et voyons surtout la désespérance.
– Dans les formes de suicide collectif (les sectes) les personnes ont-elles le choix ?
– Exemple d’un suicide réfléchi d’un couple où seule la femme qui a survécu clame “ qu’on lui a volé sa mort ”.
– Le suicide collectif remonte à Massada. Cet acte était l’ultime réponse à l’hégémonie de Rome. C’était un acte politique : la mort plutôt que la soumission à Rome. Un autre suicide, celui de Primo Lévi, qui, après avoir été déporté dans les camps de concentration s’est suicidé à 80 ans après avoir écrit un livre témoignage de cette époque. Ces suicides sont des choix réfléchis.
– Les Palestiniens « kamikazes », sont des suicides martyrs pour leur cause, pour leurs frères, par fanatisme. N’est-ce pas un acte de courage ?
– Le suicide, est le contraire de la révolte. C’est un arrêt définitif qui confine à l’absurde. Un “ suicide martyr ” n’a plus rien à regretter…
– La personne qui se révolte, se fait violence en se suicidant.
– Le suicide le plus actuel, c’est l’anorexie qui se termine par un suicide violent. C’est le suicide des adolescents aujourd’hui.
– Le long suicide de l’âme, c’est le viol (collectif ou individuel).
– Nous vivons dans un monde où le suicide est rejeté par l’église.
– Le suicide est un choix. Je veux pouvoir choisir ma vie comme ma mort. C’est moi seul qui détiens le pouvoir de choisir ma fin. Kant (métaphysique des mœurs) “ Choisir ma fin est un acte d’homme libre ”.
– Livre d’Alain Moreau “ Suicide mode d’emploi ” et sa lecture vous fait repousser le suicide.
– S’agissant de l’euthanasie, il existe une association pour le “ droit de mourir dans la liberté ” et un ouvrage d’Henri Caillavet. Dans un ouvrage intitulé “ Neuf petits lits au fond d’un couloir ” où l’on voit des jeunes condamnés au départ qui ont été guéris. Les idées ne sont pas très claires sur l’euthanasie. Je vous livre la parole d’un professeur qui me dit, s’agissant d’une personne gravement malade “ je l’aide à vivre ”. Le suicide chez les personnes handicapées malades est un acte de révolte.
– Sur le terrain de la morale, le suicide est-il un acte délibéré mûri ou un acte de dépression ?
– Pour étayer le suicide courage, des résistants qui se sont suicidés en cellule. C’était le courage de reconnaître que l’on peut être “ lâche ” sous la torture (exemple Pierre Brossolette).
– L’altruisme, l’amour de mon prochain, indique un autre, m’interdit l’indifférence. Pour cette raison, je me dois de refuser le droit au suicide. “ Nous n’existons que par notre rapport aux autres… Nous ne vivons pas que par nous, que pour nous ” (Albert Jacquart).
Conclusion : “ L’on sait que l’on n’arrivera jamais, pour les raisons qu’on avait avant, de partir. Jamais au fond ne s’interrompt le secret conciliabule entre la destinée et la liberté ” “ Chacun chaque jour, sauve sa cohérence ”. “On ne permet de dire qu’à celui qui ne peut rien ”. Denis Diderot