L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’il est ?

Thème  « L’Homme est la seule créature qui refuse d’être
ce qu’il est »
dit A. Camus. Est-ce exact ?
Essai de Restitution du café-philo de l’Haÿ-les-Roses
8 octobre 2003

Introduction de Guy: En 1945 Camus après avoir écrit comme romancier dit « je ne suis pas un philosophe ». En 1949 il écrit « je ne suis pas un intellectuel »
Qui était-ce ? Un Penseur ? Un homme d’action ? Un romancier qui écrit avec philosophie ? Et nous est-ce qu’on philosophe ensemble ? Avant de débattre que signifie pour nous cette question ?

Débat :  On ne philosophe pas spécialement mais on discute ensemble car nous ne sommes pas vraiment des philosophes. Pour reprendre le thème de la soirée, qu’est-ce qu’une créature ? Est-ce que les autres créatures au contraire de l’homme acceptent d’être ce qu’elles sont ? Sommes-nous supérieurs ?
– L’homme a l’intelligence et la parole, mais les animaux ont des moyens autres de communication aussi. Mais toute la différence est entre la communication et le langage
– La créature est quelque chose qui est créée : ce que l’homme n’accepte pas c’est : soi-même ? ce que l’on est ou ce qui nous fait ? Ou le refus de la totalité de ce que l’on est ?
– On n’arrive jamais au bout de ce que l’on est. On est sans arrêt en devenir. Il n’y a pas de finitude
– Une créature qui refuserait d’être ce qu’elle est nierait du même coup l’existence des autres créatures.
– Ce que l’homme refuse c’est de n’être qu’un animal et il refuse en particulier la mort. Tout ce qu’il fait est pour lutter contre la mort. D’où la notion de vie éternelle dans certaines pensées. On assiste chez l’homme à un refus de la fin possible. L’homme se donne de l’importance en tant qu’humain (confréries, religions…) comme divertissement à sa condition de mortel.
– Le refus de sa condition par l’homme peut être justement un refus de tout conditionnement qui est à la base de sa liberté. Le refus du conditionnement suppose le refus des normes arbitraires. Qu’est-ce que l’Homme ? Qu’est-ce que l’humain ? Qu’est-ce qui le caractérise ? Dans « les animaux dénaturés »  de Vercors l’homme est défini par un des protagonistes comme ayant des gris-gris et enterrant ses morts. Pour Aristote c’est le rire, pour Sartre c’est la conscience de l’être, pour les philosophes des Lumières c’est la pensée, pour les humanistes c’est l’altruisme compassionnel, pour Kant c’est la loi et l’impératif catégorique, pour les hédonistes c’est le plaisir…Ce que l’homme refuse : c’est la contrainte et la soumission, l’aliénation et la privation de liberté, les conditions matérielles avilissantes, et la condition de l’humain de ne pas être un Dieu et d’avoir été chassé du paradis terrestre, pour l’homme pour travailler à la sueur de son front et pour la femme pour enfanter dans la douleur, symboliquement. Ce que pourrait vouloir l’homme : les libertés d’opinion, d’expression et de conscience (droits de l’Homme), l’amour (christianisme), la loi (judaïsme) et le profit (libéralisme), les richesses (quelle qu’en soient les formes différentes) et la justice de leur répartition (communisme) ainsi que le plaisir et l’économie de souffrance (freudisme). Ceci suppose de travailler au progrès de la civilisation : progrès économique, des connaissances et des sciences, progrès des techniques, progrès culturels et des arts et des lettres, progrès moraux et civilisationnels et progrès des « vertus » (amour, bonté, tolérance…).
– Les philosophies chrétiennes se sont positionnées face à l’épicurisme.
–  Camus était directeur du journal « Combat », il a participé à la Résistance dans le silence, il a été un homme de théâtre et un metteur en scène. Il a tout fait rapidement car il est mort jeune. Il a eu le prix Nobel pour son œuvre à 44 ans pour ses quatre livres : « l’étranger », « la peste », « le mythe de Sisyphe » et  « l’homme révolté ». A l’Express il ne faisait partie d’aucun parti, d’aucune idéologie, aucune religion et disait : « j’aimerais bien être du parti de ceux qui ne sont  pas sûrs d’avoir raison ».
– La phrase de ce soir n’est pas très bien formulée. Il existe des hommes qui se trouvent très bien dans leur condition. Et le refus de la mort est inutile puisque que la mort est inéluctable.
– Le refus de la condition d’homme est la créature qui refuse d’être ce qu’elle est en tant que créature.
– Le refus de statut de créature suppose le refus du Créateur où il y aurait une dissymétrie de la relation et une forme de domination du Créateur et de soumission de la créature vis à vis du Créateur. Il y a refus du Pouvoir du Créateur sur la créature, ce qui est une façon de refuser sa condition pour l’homme.
– Etre : « je pense donc je suis ». Est-ce que quand on pense on est davantage ?
-La pensée est l’Essence même donc quand on pense on est.
– L’homme refuse la mort, mais ne refuse-t-il pas aussi la maladie et la souffrance. Peut-on accepter la souffrance, la maladie, le mal, ce qui dégrade, ce qui avilit ? Ce type de condition que l’homme subit…
– Camus parle de la maladie. Il souffrait d’une maladie pulmonaire à cause de laquelle il n’a pas pu passer l’agrégation de philosophie. La lutte contre la maladie lui a appris entre autres choses que le temps est compté et que l’homme est en devenir. L’homme a besoin des autres hommes pour vivre. L’homme est une créature nue à la naissance et il passe sa vie à vaincre sa faiblesse originelle. Il faut devenir plus fort que sa condition pour l’accepter, d’où l’importance du devenir.
– Le fait que l’homme par rapport à toutes les autres créatures soit la seule à refuser sa condition, qu’il n’admette pas la maladie, la souffrance (mais les animaux aussi parfois), qu’il n’y ait pas la même échelle entre les animaux et les humains nous amène à poser la question de la nature animale et la nature spécifiquement humaine de l’homme. Mais est-ce que l’homme dans sa façon de s’approprier le monde ne se sent pas un peu trop supérieur au reste de la Création ?
– L’homme aime bien battre des records ; il veut toujours repousser sa limite
– Le combat est nécessaire à la vie. On n’accepte pas de subir, on est à un moment donné et il faut faire face. Dans les combats animaux, les animaux ne se détruisent pas au sein d’une même espèce ce qui n’est pas le cas de l’homme qui arrive à des meurtres intraspecies.
L’homme refuse une part de soi-même en tuant l’autre.
– Il refuse sa part d’ombre, son image inconnue qu’il refuse de lui-même et dont il a peur car elle lui est étrangère. On ne tue jamais son semblable, son alter ego ou son compagnon. L’homme ne dit jamais qu’il tue un homme : c’est toujours un ennemi, une race inférieure, un chien, un chacal, un salaud, un juif, un communiste, un chrétien, … De même dans la torture on ne torture pas un être humain comme soi. Cela pose aussi la question de la peine de mort : y a t-il des crimes justifiés ?
– L’homme face à sa condition peut se suicider. Si l’homme ne se suicide pas c’est qu’il accepte sa condition pour vivre avant tout. Il sait que « le royaume est déjà de ce monde ». La vie est absurde mais c’est cette part d’absurdité contre laquelle l’homme se révolte (Camus dans l’  « homme révolté »). G L’homme révolté est celui qui est capable d’exprimer cette révolte vis à vis de l’absurdité de la vie et de la société.
– Dans « le mythe de Sisyphe » en 1942 Camus dit que les hommes secrètent de l’inhumain. Nous vivons sur l’avenir, demain tu comprendras… Camus refuse d’attendre demain. Il ne faut pas attendre demain pour donner du sens à la vie. Ce refus de l’absurde est une révolte qui se fait dans la chair.
– L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est car elle refuse de se laisser imposer, dominer. L’homme n’a pas tout depuis le départ, comme dans la nature. Il doit construire. Refuser ce que l’on est donne du piment à la vie. On doit refuser une société dans laquelle on vous impose des choses sur lesquelles on n’a pas prise. S’il ne se révolte pas, là l’homme devient un animal. Peut-on exister par soi-même et refuser que l’on nous impose quoi que ce soit ou au moins y tendre ?
– L’enfant humain à l’origine est dans l’animalité et équivalent à un jeune chimpanzé par exemple au niveau des capacités cognitives de départ. L’humain doit sorti de l’animalité par le langage et la parole nécessaires à la pensée conceptuelle.
– L’homme refuse sa condition animale pour s’humaniser de plus en plus.

L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est »  dit Camus, est-ce exact ?
Le poème de Florence: La mouette rieuse

Une créature de rêve qui passait
Dans un vallon ombragé de pommiers en fleurs
Avait recueilli la promesse du bonheur.
Pourtant le cimetière des éléphants était

Déjà plein. Et depuis elle court après son ombre,
Elle aime trop la vie, elle ne veut pas la quitter
Elle n’a pas accompli le destin réputé
Que lui avaient promis des prophètes sans nombre

Publicitaires convaincants à la solde
de quelques prélats convaincus de leur mission.
En guise de conseil, pêchez sans rémission
L’indulgence à payer, un avenir en solde

A-t-on jamais connu, fourmi si laborieuse
Qui un jour de printemps ait décrété la grève ?
On ne pourra le dire car même au sein d’un rêve
On ne saura parler le mouette-rieuse.

– Pour sortir des situations de régression humaine : les combats, les conflits, les pulsions de haine, la révolte est nécessaire. Il semble qu’il n’y ait pas d’amélioration de l’humain en termes de civilisation et de morale, et ce malgré les évolutions technologiques. Le progrès des techniques ne semble pas avoir entraîné un progrès de la civilisation en termes de morale et d’humanité.
– Camus était de mère illettrée. Une rencontre avec son professeur lui a permis de sortir de sa condition. Il refuse sa propre condition et le refus de sa condition peut être inscrit dans son histoire singulière. Refuser sa propre condition, ou origine sociale ou culture personnelle peut amener à la refuser aussi à un niveau plus universel.
– Il existe des gens qui s’acceptent tels qu’ils sont et sans révolte comme des moutons ou des Dieux vivants pour certains. Il faut imaginer une nouvelle humanité.
– Dans le livre « les fourmis » il est question d’une « pensée » collective. Il s’agit de faire exister l’être depuis l’individu jusqu’à la société dans un but commun des individus au service de la société.
– « Le mieux que l’homme puisse faire de sa vie c’est de transformer en conscience, une expérience aussi vaste que possible » dit Camus. Camus dit aussi à propos de l’Art. « L’artiste se trouve toujours dans l’ambiguïté : incapable de nier le réel et éternellement voué à le contester » et « aucune œuvre de génie ne peut être inspirée par la haine ou le mépris ».
– Qu’est-ce que l’absurde ? Exemple dans le mythe de Sisyphe, le châtiment éternel auquel Sisyphe est condamné et « il faut imaginer Sisyphe heureux… ».
– Qu’est-ce qu’un intellectuel ? C’est quelqu’un qui se pose des questions et les pose à la société. Il fonctionne dans la pensée soit seul dans une érudition personnelle soit socialement, publiquement voire politiquement. L’intellectuel est différent du diplômé et de l’érudit. Pour Spinoza le « connatus » est un désir de l’homme d’ajouter toujours plus d’être à son être. De gagner de l’espace, économique, intellectuel culturel… C’est donc le refus d’être que ce qu’il est. La recherche du plaisir aussi est une composante de l’humain : la possession matérielle, Lucrèce et les épicuriens (aller vers des plaisirs insensés et vains). Enfin l’aspect moral a évolué au cours de l’humanité : Pour Paul de Tarse il y a « le bien que je veux faire et le mal que je suis amené à choisir ». Le progrès augmente mais pas dans la gestion des conflits. Puis la loi du Talion, œil pour œil et dent pour dent a été un progrès par rapport aux massacres. Enfin aujourd’hui on a une pierre contre une bombe A et une dissymétrie des moyens qui pose le problème de la violence. Est-ce un progrès ?
– Camus a répondu clairement sur la question de la bombe : il a condamné la bombe atomique dès le début dans son journal « Combat ». Cela a été une réponse immédiate en tant que journaliste, préparée par toute sa vie. La barbarie a progressé par rapport à l’humanisme au cours des siècles. Oui le monde est absurde quand on voit de telles décisions prises par des humains. Camus à 30 ans a donné une conférence aux USA : Les Américains posaient des questions pragmatiques sur « l’étranger » et lui a parlé de l’après-guerre  et de ce que les écrivains peuvent écrire après de tels événements, et ce qu’ils ont vécu, et comment ils peuvent continuer à témoigner. Nous lisons un extrait de la conférence de Camus qui donne quatre positions avec quatre exemples de barbarie.
– Les exemples de barbarie ne doivent pas empêcher d’écrire au contraire, mais pas nécessairement par les descriptions des actes barbares mais par des analyses et des propositions pour en sortir et transformer ces souffrances en des projets de plus en plus humains. C’est le rôle des intellectuels de donner du sens à la lutte contre les barbaries, notamment comme dans l’exemple de la nouvelle philosophie dans les années 70.
– Il faut continuer à écrire et sortir des pulsions de haine, pour écrire, réfléchir, analyser, aller vers quelque chose d’élaboré. « On est un assassin parce qu’on raisonne mal ».
– Un débat s’engage sur la technique : bonne ou mauvaise technique. La technique n’est pas mauvaise ou bonne ou morale ou immorale en soi, mais c’est l’usage que l’on en fait qui l’est. Il faut agir pour ne plus agir certains actes. (exp. :  la bombe née du détournement d’une technique).
– Nous sommes dans un mode de création de nouvelles icônes, de pensée guidée. Il nous faut développer la pensée individuelle pour raisonner collectivement sans être aliéné.
– On est constamment dans une référence au passé qui renvoie au manque. S’il n’y a pas de construction personnelle, il n’y a pas de création, pas de projet. Il existe des personnes vides intérieurement qui comblent par du matériel. Quand deux individus se retrouvent face à face et que l’un est vide que se passe-t-il ?
– L’élite doit donner l’exemple dans l’exercice de tous les pouvoirs pour que les collectivités se repèrent.
– Nous devons rejeter dans les pensées et dans les faits à la fois toutes conceptions fatalistes et aussi réalistes…

 

Cette entrée a été publiée dans Saison 2003/2004, avec comme mot(s)-clef(s) . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *