Peut-on s’exprimer par le silence ?

«Peut-on s’exprimer par le silence ? »
Essai de restitution du café-philo de Chevilly-Larue
22 octobre 2003

Introduction au débat : Guy Pérez                                        
Animateur : Guy Philippon
Modérateur : Michel Perrin                                                              

Deux citations pour introduire ce débat : l’une de Pablo Neruda « La parole est une aile du silence » et l’autre de Rémy de Gourmont « Nous n’avons aucun moyen sûr, que peut-être le silence, pour exprimer nos pensées ».

Pour le suivant le silence serait un non-dit, pesant ou léger exprimant un secret pour mieux le dissimuler, le taire.  On se sent mieux  en silence. « Si ta parole n’est pas plus importante que le silence, tais-toi » conclut-il.
– L’animateur cite Albert Camus « nous ne ne nous connaissons pas assez pour nous taire ensemble ».
Pour un participant, le silence est vécu comme une complicité en couple, en groupe, en communauté.
– Mais il y a différentes sortes de silence. Il y a le proverbe « qui ne dit mot consent ». Et puis, dans certains pays quand quelqu’un se tait, c’est qu’il n’approuve pas sinon il parle. L’intervenant va rappeler l’anecdote de son mariage en Allemagne, dans une langue qu’il ne comprenait pas et où il fallait dire « ya ». A ce moment là mon silence était interprété tel un refus.  Le silence peut revêtir différents aspects de rejets : une violence (exemple de la femme battue ou  violée), un refus, un rejet, un non-dialogue en prolongement de la peur, l’inacceptable, l’incompréhensible, l’horreur insurmontable. Le fait de ne pas répondre à quelqu’un, il n’y a rien de plus déstabilisant.  Là on s’exprime par le silence. Bienfait ou méfait du silence qui apparaît finalement comme une sorte d’instinct de survie, une hibernation, un retrait.
Il est aussi l’expression du corps tout entier, d’une énergie, par exemple à propos du conflit israélo-palestinien. Nous sommes nécessairement liés à cette bulle énergétique. On parle comme Maurice Blanchot « d’une explosion de silence ». En politique « le silence assourdissant » existe quand les mots pour exprimer ce qu’on voit, ce qu’on vit, ne viennent pas. (Rappel de Boileau « Ce que l’on conçoit bien s’exprime clairement et les mots pour le dire arrivent aisément »)
Le silence apparaît comme une frustration du dialogue, une réprobation ou une force  après l’assassinat de Malik Oussekine ou une fin par un dialogue entre soi et soi.
– J’ai été marqué, dit l’animateur, par « le silence de la mer » où Vercors donne à l’acte de silence des femmes, une force. Le silence est–il le contraire de la parole ? Si l’on ne s’en sert pas pour exprimer des idées.  Le silence peut être réprobateur ou une peur ou le contraire de la parole soit pour ne rien dire et ne pas prendre position qui est une forme de lâcheté.
– Ainsi dans les groupes en psychiatrie, le silence fait partie du langage comme en musique l’expression criée, hurlée fait partie de la cure. La foule en silence marque la réprobation comme si l’expression dégradait l’homme, la société, le fonctionnement de la démocratie.
-Le langage ne permet pas de tout exprimer. Pourtant la fin des mots est aussi la fin de la relation. Du reste le deuil indique comme si « on copiait le silence du mort ».
Un autre intervenant tire partie de la langue anglaise (I can : je peux et I may : je dois) pour avancer deux interrogations : 1) peut-on faire rentrer la qualité de la pensée dans le  silence ? 2) a-t-on le pouvoir de s’exprimer par le silence ? L’homme étant le seul être à pouvoir parler avons-nous le droit de choisir le silence ? N’y a t il pas une trahison ? Le silence en lui-même est déjà un langage, dit un autre.  Personne peut avoir de grands espaces de silences que certains ne comprennent plus.  Le silence en musique se sont des soupirs, des pauses. Il y a une diversité de silences, ajoute le suivant, : le silence mépris, complice, communicatif, réprobateur, respectueux…. des moments de silence sources de réflexion.
– Un participant reprend l’idée du deuil. En Afrique les visites rendues au défunt n’ont qu’une raison d’être : faire s’exprimer la douleur, la tristesse  afin que la mort devienne acceptable. La communauté prend ainsi à son compte le deuil de l’autre en le faisant parler. (Rappel : la maïeutique, le catharsis chers aux auteurs anciens). Mais toutes les cultures (ou les personnes) n’apprécient pas cette forme d’expression. Dans les sociétés occidentales, c’est le retrait, la solitude, le silence qui ont aussi leur valeur. « Seul le silence est grand tout le reste est faiblesse » Alfred de Vigny.
– L’animateur cite Diderot  «le silence c’est la meilleure production qu’on puisse faire, parce qu’il se propage : on ne l’estime pas et tout le monde en profite ».

Poème de Florence: Silence

Silence…des assourdiddants silences
des anathèmes débridés
Par les empathies désabusée qui
déclinent un silence

Par les larmes avalées, trébuchées
sur le perron des illusions
J’ai emprunté la porte dérobée
au cours d’une razzia organisée

par le consistoire d’une histoire
réécrite par des vaincus
Elle m’a transporté loin des vérités
premières, au-delà des rassurants et

confortables pupitres où s’étale la
craie des zéros pointés et des bons points
jamais distribués.
Peut mieux faire ! Pourquoi ? Comment ?

La culpabilité est flagrante pour ne pas
avoir appris des mensonges si réels, si parfaits
Le tableau noir a explosé, les fautes les
plus graves n’étaient pas d’orthographe.

8Le silence c’est autre chose, dit-il. Léo Ferré à la fin de la chanson « Tout s’en va » avait demandé de ne pas l’applaudir. Là le silence représente quelque chose de fort.
– Finalement le silence serait « beaucoup de bruit pour rien ». Dans la culture africaine la solidarité dans le deuil exprime « qu’on n’est pas seul dans son malheur ». Rompre le silence, faire parler le souffrant rend la douleur moins lourde. Il paraît estimable, pour un autre, de connaître la valeur du silence selon l’interprétation qui nous est donnée de la publicité télévisuelle en coupant le son. Le langage des sourds et muets se situerait-il dans cette interprétation des paroles et du silence ? Cette idée est prolongée par la notion d’écoute. Le silence peut être constructif ou destructif.
-On touche au conflit entre les hommes par le silence, rétorque l’animateur. Face à chaque parole émise, le silence est une arme pour celui qui possède la patience. Si le but est d’obtenir  un résultat, le récepteur se tait. Le silence est une réaction. René Char disait  « Il y a ceux qui acceptent les yeux ouverts quant les autres l’acceptent les yeux fermés ». (Rappel : Mirabeau « le silence des peuples est la leçon des rois »). Un exemple est pris dans l’étude des Jumeaux qui « tiennent les mêmes propos mais les expriment différemment » Puis un prolongement est ajouté à propos du « silence destructeur dans les familles », les haines sympathiques qui durent et qui perdurent et que rien, ni personne, ne peut réconcilier. Refus de l’autre, rejet, « le silence peut tuer ». Pourtant « si la parole est d’argent le silence est d’or » même s’il y a un lien avec la solitude de l’être. Il faut l’apprécier ou le solder.
– Un poème de Baudelaire est évoqué «amis de la science et de la volupté, ils aiment le silence et la science » et un rapprochement est proposé entre science et silence.
– Un intervenant expose deux histoires de familles. : celle de son père cancéreux et de sa mère acariâtre et celle de sa sœur dont elle aurait la même maladie génétique. Des secrets demeurent pour qu’on se taise. Le silence dans ces cas n’est-il pas sauvegarde d’équilibre, d’harmonie, de normalité ? Mais à quel prix ? La vie n’étant que ce qu’elle est, ne devrait-on pas se limiter aux besoins primaires de la pyramide de Masselot ? Et puis pour cet autre il ne faut pas confondre isolement (silence volontaire)  et solitude (silence contraint).
« Celui qui sait et se tait, montre » Mais que peut-on reconnaître par le silence ? L’expression par les mots et pas seulement, les gestes, les grimaces, les mimiques, favorisent le dialogue et peut-être la compréhension, voire la solidarité. Ils permettent éventuellement l’écoute de l’autre.
– Que peut-on reconnaître dans ces silences et son propre silence ? Mettre en relation des silences ? Il est bon de partager les silences avant les paroles et il existe des silences de lâcheté.
– L’animateur fait partager un proverbe persan « Si un mot te brûle la langue laisse-le faire » La parole est une demande. Bertold Bretch disait « parler d’arbre est presque un crime puisque çà implique le silence sur tant de méfaits ». Dans la vie nous sommes obligés de choisir continuellement.  Ceux qui sont illettrés analphabètes ont plus de mal à s’exprimer. La parole et/ou le silence ce n’est pas rien. Le silence entre amis c’est un luxe.
-Il y a ce silence caché qui se réfugie derrière les citations. Silence courage. Parole courage.
– L’alpha et l’oméga sont silences : avant, après, silence. (Rappel : Roland Barthe « Il y a deux actes essentiels : la naissance et la mort ; tout le reste est langage »).
– On rappelle enfin la phrase à l’origine du thème «  peut-on s’exprimer par le silence ? » en conclusion : « quand on s’exprime on peut ne pas être entendu mais quand on ne s’exprime pas on est sûr de ne pas l’être ».  Mais le langage introduit une incompréhension, celle des mots qui peut être parfois poésie mais sans doute un autre débat.

« Il y avait le silence, il y eut le cri,
Au-dessus du cri vint le chant
Au-dessus du chant vint la musique
Au-dessus de la musique vint le langage
Au-dessus du langage, la poésie,
Au-dessus de la poésie, quoi ?
Le silence ? » (Théodore Monod)

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