Thème : « Morale et politique ?»
Essai de restitution du café-philo de L’Haÿ-les-Roses
15 septembre 2004
Introduction: Guy Pannetier: Nous souhaiterions tous que la politique soit morale, qu’elle se réfère aux valeurs de la morale universelle, celle qui recherche le bonheur pour chacun, compatible avec le bonheur de tous. Nous pouvons imaginer l’engagement politique tel que le définit le philosophe stoïcien Panétius, « réalisation de soi dans l’engagement pour le bonheur de tous ». Ce que les philosophes nommeront aussi « Eudaimonia », le bonheur des hommes comme but suprême de la politique. Mais dans notre engagement politique, lorsque nous faisons nos choix pour voter, quelles sont nos références morales ? S’agit-il de cette morale universelle, le meilleur possible pour tous ? Ou de Morale hédoniste : le maximum de bonheur matériel pour moi et les miens ? Ou est-ce la morale religieuse, celle qui obéit à un dogme, à une idéologie ?
Nous avons vu dans le passé, la morale idéologique du bloc soviétique obéissant à un dogme qui voulait faire le bonheur de l’humanité. Aujourd’hui, nous voyons le président d’un grand pays démocratique, déclarer qu’il est investi, guidé par Dieu dans sa guerre qu’il dénomme « lutte contre l’axe du Mal ».
Avons-nous ou avons-nous eu des hommes politiques ayant su allier morale et politique, et, question sous-jacente à ce sujet, Morale et Politique sont-elles compatibles ?
– Débat : – Dans nos démocraties la morale a force de loi ; aujourd’hui racisme, xénophobie, homophobie, et toutes les discriminations deviennent des « lois politiques ». Est-ce que la politique doit se mêler des questions de morale et légiférer à ce sujet ?
– En politique, il y a, et elles sont les plus nombreuses, des personnes honnêtes. Il y a souvent un acharnement à montrer les mauvais exemples. Sur 500 000 élus en France il n’y a pas 500 000 voyous. Il y a des élus proches des citoyens qui essaient de ne pas être dans une stratégie de parti, et des petits partis qui ne sont pas représentés dans le bipartisme ; mais il y a plus de différences parfois entre deux membres d’un même partie qu’entre deux membres de partis différents. Il est important d’être au plus proche des concitoyens et de ne pas être carriériste en politique. Il faudrait respecter les gens qui ont des convictions quels qu’ils soient et se mettre tous ensemble une fois les élections passées pour travailler. Pour ce qui est de la moralité la question des communications se pose.
– Les hommes politiques ne sont pas les seuls concernés par la morale, ainsi tous les citoyens à leur niveau sont concernés par une morale politique et doivent d’abord avoir leur exigence morale avant de se plaindre des hommes politiques. Le comportements des hommes politiques nous renvoie à nous-mêmes et à ce que nous tolérons. Les tyrans arrivent généralement au Pouvoir par des élections démocratiques…
– Pour parler d’abord de la morale il faut se demander : les politiques ont-ils des principes dans ce domaine et quelle est leur légitimité ? Si les gens sont capables de s’exprimer et de penser d’une part, cela pose d’autre part la question de l’égalité universelle : y a t il égalité scolaire ? égalité des origines ? il y a inégalité des origines par rapport à la culture, sur la fortune, sur l’accès à l’information et à la recherche de vérité… Sur quoi repose la morale ? Sur quoi les citoyens sont-ils interpellés ? L’humanitaire ? Les solidarités ? Sont-elles encore les sujets de préoccupation des médias et des politiques ? Les hommes sont faits pour changer, évoluer, comment rester moral et concilier la nécessité du fait de penser et la morale sans se figer dans un chemin vers la tyrannie ? La morale a peu de place dans un milieu conflictuel, de rapport de force permanent…
– On a évoqué l’action politique sous l’aspect de la « réalisation de soi pour le bien de tous » d’une part et d’autre part sous l’aspect de cadres, de règles, de lois qui cadrent le bien être de tous. Si les citoyens participent à la gestion de la cité et s’ils votent démocratiquement : la politique est morale. Il existe un problème d’éducation du citoyen : à l’école, dans les médias… Il est important que la politique serve un projet et pas des personnes. Nombreux sont les citoyens qui ne participent pas à la vie politique de leur ville ou de leur pays, et les déviances de l’information ne sont pas les seules responsables. Nous ne sommes pas toujours suffisamment éduqués à la base et cela repose le problème de l’éducation des populations.
– Un homme politique doit au minimum pour être moral : respecter ses engagements et sa parole ou s’en expliquer en cas d’impossibilité, rendre compte à ceux qui l’ont élu de ses actions, ne pas tirer de bénéfices substantiels de ses fonctions, et agir dans la légalité, ainsi que viser à la répartition équitable des biens notamment collectifs.
– Nous signalons la différence entre morale et moralité : la morale est une règle de conduite et la moralité est un principe. Morale et moralité doivent être en adéquation, ce qui peut ouvrir la porte au changement.
– Telle que la morale nous est présentée depuis le début du débat, nous y voyons surtout un idéalisme, et l’idée d’une possible politique idéale ? Est-ce réaliste ?
– Mais peut-ont faire du réalisme sans idéalisme . George Sand disait : « l’homme réel marche à côté de l’homme idéal ». – Entre l’idéal comme objectif, et l’exigence suprême de morale, le danger est de tomber dans l’extrême ; ainsi Robespierre voulait une France propre et vertueuse, quoi qu’il en coûte.
– Les politiques, la politique ouvrent souvent la voie au progrès technique et social. Nous étions encore il y a quelques siècles dans un système féodal de seigneurs et serfs.
– Pour d’autres, ce sont les peuples par leurs luttes qui permettent les avancées sociales.
– La discrimination positive pose aussi la question d’une certaine morale politique : en effet devait-on mettre en vedette médiatique un préfet particulier sous prétexte qu’il était maghrébin ; la question est de savoir si c’est un bon ou mauvais préfet et pas un maghrébin ou un « français ».
– Nous souhaitons de la morale dans la politique mais l’éducation morale n’est pas faite au niveau des enfants et il n’y a pas d’adéquation entre nos idéaux et nos modes de vie…Nous voyons chez les jeunes le désir de porter des « marques » qui supplante la condition de fabrication de vêtements ou des objets. Nous ne savons pas nous imposer et respecter une éthique de la consommation.
– La morale de ce que l’on consomme par rapport aux conditions des producteurs pose la question du commerce équitable.
Le poème de Florence : Morale et politique
Matérialisme,
Opérateur de l’être,
Rédige et peaufine
A foison des ordonnances,
Lois décrets et prescriptions.
Et L’inspiration
Provient d’un autre univers.
Onirique, il est
La sève qui rempli les
Interstices entre les mondes.
Tu sera donc l’œuf
Il sera alors la poule
Qui dicte sa loi ?
Un débat sempiternel
Entre l’élève et le maître.
– Nous abordons toute la différence entre la morale et l’éthique. « Tout homme porte en soi les vérités morales qu’il n’a pas besoin d’apprendre du dehors » nous dit Socrate. Alors que l’éthique est une application de la morale, en fait une police des mœurs, définie et appliquée dans un contexte. L’usage du terme éthique pour morale est un glissement sémantique souvent utilisé. L’éthique étant évolutive, elle est adaptable. Le mot éthique est souvent repris par le libéralisme. Nous ne sommes plus alors dans la morale dite universelle.
– Qu’est-ce qui est vraiment moral et qu’est-ce qui sert un intérêt particulier ? Un supplément d’humanité est moral donc celui qui ne supporte pas ce que l’on fait de mal aux autres. L’honnêteté scrupuleuse est insuffisante et normale. Mais celui qui a la conscience qu’one peut pas oublier qu’il existe ceux qui souffrent, de quoi que ce soit, à côté de lui à une approche morale.
– Un intervenant évoque la morale et le nécessaire pragmatisme, les aspects pratiques, les nécessités, qui utilise l’expression de gouvernance.
– Nous avons avec ce terme de gouvernance, le même glissement sémantique qu’entre morale et éthique. Un gouvernement oriente une politique définie et votée par les élus du Peuple. La gouvernance est l’administration d’un état, d’une province, ou encore la gestion d’une grande entreprise. On ne peut ni ne doit considérer et gérer un état comme on gère une multinationale. La finalité et les buts sont moralement différents.
– Hors le projet politique nous sommes confrontés aujourd’hui (nous élus) à l’aspect gestion et à la nécessité de quantifier tout projet. Ce qui est raisonnable devient aussi moral.
– Oui mais tous les projets des élus sont désormais appréciés, mesurés en fonction de leur coût et non de leur finalité : là aussi, souvent, l’économie prime sur le projet politique et la raison parfois contre la morale.
– La moralité de la politique peut être liée à la transparence mais la transparence peut être source de vulnérabilité.
– Comment vais-je voter si je n’y crois pas ? Si les hommes et leurs projets ne me paraissent pas crédibles ? Si je doute de leur engagement ? Nous voyons beaucoup la politique présentée comme un spectacle, parfois feuilleton, et l’on nous demande plus de voter pour un homme que pour son éventuel projet…Alors où est la morale ?
– Le progrès technologique n’est pas une garantie de mieux être, ni d’amélioration de la vie pour l’homme : exemple les manipulations génétiques, l’énergie nucléaire, ingénierie, la pollution qui ne sont pas « morales ». Quelle moralité dans les productions humaines ? Malgré les lois antiracistes, cela peut donner un dirigeant crapuleux qui se base sur le mensonge, la haine et les discriminations et fait voter des lois iniques. Aucune loi ne remplace l’amour qui empêche l’immoralité.
– Face aux graves problèmes de populations, comme au Darfour, et du peu d’intérêt que l’on y porte, nous voyons l’ONU muette et inefficace ; c’est la communauté internationale qui semble se désintéresser de leurs souffrances…
– Quelle est la morale politique au niveau international ? Au sommet de Kyoto sur l’environnement par exemple ? Les états n’ont pas tous la même vision de l’avenir de la planète. La décision des USA de faire la guerre à l’Irak a plombé les négociations internationales et mis l’ONU hors jeu pour longtemps.
– Quelques citations et le débat s’arrête alors que les conversations par groupes s’animent… « Les promesses électorales n’engagent que ceux qui les écoutent » ! Charles Pasqua ; « Le vouloir est infini et l’exécution restreinte. Le désir est sans borne et l’acte esclave de la limite » ; Enfin pour tous ceux qui ont du pouvoir : « si tu es responsable c’est après avoir douté de ceux qui te précèdent ; permets donc aux autres de douter de toi ».