Savoir, est-ce savoir que l’on sait ou savoir que l’on ne sait pas ?

Thème  « Savoir, est-ce savoir que l’on sait
ou savoir que l’on ne sait pas

Essai de restitution du café philo de Chevilly-Larue
17 décembre 2003

Modérateurs/Animateurs : Michel Perrin, Guy  Pannetier

Introduction : Le savoir apparaît vaste, illimité, infini… C’est par lui que nous nous situons dans l’univers comme un point du savoir en perpétuel devenir. Parfois, nous limitons le savoir : au savoir-vivre comme un savoir ritualisé, civilisé, conventionnel ; au savoir-faire, quand l’apprentissage, la formation ont réussi ; au savoir être qui est une distance, noblesse ou rejet par rapport au vécu ; au savoir mourir avec l’application judicieuse des soins palliatifs. Le savoir est-il plus que l’expérience, à la fois formation et pratique.

Débat :   –  Le savoir par deux aspects : le minimum du « savoir vital » et le développement constant du savoir. (Propos par l’imagé par l’arbre de la connaissance). Le « minimum savoir » reçu des parents de l’école constituerait les racines de l’arbre. L’arborescence, branche, feuilles, fruits (de la connaissance) en serait le développement, poussé par la curiosité contrôlée par la lucidité. Mais il ne faut pas que ce savoir devienne faire-valoir mais plutôt partage de savoir, les échanges enrichissant…. Savoir que l’on sait est une tentation de l’orgueil. Il convient de rester modeste, car le savoir est une perpétuelle modification : le savoir acquis à un instant nous permet d’aller plus avant, jusqu’à aider à mener un deuil … Ainsi, « j’ai les bases pour de nouvelles sources : lecture, musique, voire, venir au café philo ». Elles servent toute la vie et sont une chance que l’on peut avoir dès l’enfance parce qu’elles ouvrent aux autres, à la culture, à la vie …
– Le risque fondamental « de savoir » demeure la présomption de détenir la vérité absolue alors qu’elle n’est que relative. Un exemple est cité d’une personne atteinte d’un cancer. Elle est infirmière et sait mieux que quiconque le processus et l’issue. Elle mène son combat comme une « bonne vie » et une « bonne mort ». (rappel : « La peste » d’Albert Camus). Par ailleurs, cela pose la problématique du savoir à venir car ce savoir est l’inconnu et beaucoup plus grand évidemment que celui acquis à ce jour.
– La philosophie sait que tout savoir est destiné à être dépassé. D’où le doute permanent du « Que sais-je » de Montaigne.  Deux propositions.  A l’appui de la première : savoir que l’on sait est le principe de l’humanité. C’est parce qu’homo sapiens est seul dans la nature à « savoir qu’il sait » que nous sommes devenus homme. Il savait par prémonition que la nature était son milieu protecteur et nourricier. Il la déifiait, il l’adorait, alors que ce que nous savons ne nous empêche pas de faire de cette même nature une « poubelle » (et nous continuons à l’appeler Primitif !).
– Le savoir nous aide à aller vers la vérité. Absolue, elle est foi. Dans le partage avec les autres, elle est relativité. On ne peut pas être heureux tout seul.
– La philosophie peut-elle s’enfermer dans une vérité absolue ? et l’intervenant de rappeler le « mythe de la caverne » : il existe un autre monde que celui de l’enfermement et de l’obscurité. Mais ses compagnons dans l’ombre sont plus nombreux et « ils savent » : la vérité ne saurait être que de leur côté. Nous devons sortir de la caverne, douter de ce que l’on sait. La famille, l’école, le milieu ambiant jouent un rôle important dans l’éveil de la curiosité, le besoin de savoir. Il y a des familles où l’on n’ouvre jamais un livre …
– Celui qui veut se construire, sachant qu’il ne sait pas, veut aussi construire son savoir.
– Mais tout est relatif car on apprend toujours depuis un certain point de vue, celui à partir duquel on se place.  Même si l’idée de relativisme peut présenter le risque de « l’axiome négatif », car, si tout se vaut, rien ne se vaut, ce qui vaut même pour cette théorie. Errer du scepticisme au sophisme peut conduire au totalitarisme, au fascisme pour qui la vérité est « pensée unique »  « vérité unique » laquelle existerait en elle-même en dehors de toute raison. Prenons nos bases de connaissance comme postulat.
–  Poser le problème ne le résout pas. On peut craindre du relatif, comme de l’absolu. La vérité relative est sujette à caution comme la vérité d’un tout. La vérité absolue est pire encore comme tout d’une partie.
– Alors, à quoi me serviraient mes lectures, mes connaissances acquises, puisque je dois mourir ?  « Si je dois mourir, peut m’importe d’apprendre. Mais si je ne peux pas savoir, peut m’importe de vivre » (A. Machado).Nos enfants apprendront plus par le cd-rom que par nous, les parents. La transmission du savoir n’est plus orale comme parfois en Afrique, on peut dire : « un vieil homme qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».
– La science bionique associe la puce au neurone. La première donne des informations au neurone, mais voilà que le neurone communique avec la puce !  Aurons-nous un savoir exponentiel stocké dans une mémoire artificielle, supplétive, que nous pouvons évaluer en méga-octets ? Serons-nous à tout jamais dans l’impossibilité de savoir qui nous sommes ? Finalement, « ce que je sais m’aide à vivre, à vivre bien, ici et maintenant ». Dans mon éternité d’athée, celui qui sait qu’il ne sait pas et qu’il ne croit pas.
– Mais le savoir peut-il répondre à ce problème de la vérité et de la vie ? Même avec une conscience très affûtée, un savoir infini, un environnement favorable, on ne peut demander une réponse au savoir des différentes questions de l’humanité. « Ce qu’on est ? D’où l’on vient ? Où l’on va ? ».
Rappel d’une discussion à la télévision avec Hubert Reeves qui expliquait les complexités de l’univers depuis le big-bang, l’évolution des galaxies, les perfectionnements de la terre (oxygène, hydrogène… permettant la vie). On lui pose une question : « c’est Dieu qui a fait tout cela ? » Et Reeves de répondre : « Cà c’est une question de foi, c’est une question personnelle. » Et la conclusion : « la philosophie et la foi sont en problème constant. » Mais « Ce qu’il y aurait de plus incompréhensible dans ce monde serait qu’il soit compréhensible » (A. Einstein)
– Un texte de Sully est proposé : « Penser savoir ce que l’on ne sait pas, c’est une sottise expresse ; vouloir faire le savant de ce que l’on connaît bien et que l’on ne sait pas, c’est une vanité insupportable ; pour moi, je ne voudrais pas faire le savant de ce que saurais comme au contraire je m’en voudrais comme non plus faire l’ignorant » D’où la complexité de savoir et de ne savoir pas.
Un autre texte pour apprécier le savoir-dire que l’on ne sait pas : (de Jean-François Regnard)
« L’amour ne vous déplaise, est un je ne sais quoi
Qui vous prend je ne sais, ni par où ni pourquoi
Qui va de je ne sais où, qui fait naître en notre âme
Je ne sais quelle ardeur que l’on prend pour la femme
Et ce je ne sais quoi, qui paraît si charmant
Sort enfin de nos cœurs, et je ne sais comment. »

– Rapprochement entre la maïeutique de Socrate et la psychanalyse de Freud pour nous faire comprendre l’effort que l’on peut avoir de se remémorer les faits du passé qui peuvent provoquer des troubles névrotiques …Le thérapeute joue le rôle d’accoucheur et le patient va savoir ce qu’il pensait ne pas savoir dans une résilience chère à Cérulnyck. (rappel : « Les vilains petits canards »)
Conclusion : L’homme serait à la naissance « une ardoise en blanc ». L’homme n’apprend qu’avec les hommes. Ce qu’il saurait sans l’avoir réellement appris aura été perçu dans les non-dits, les pseudo informations, transmises ainsi d’une génération à l’autre, un savoir proche de l’inné. « Savoir que nous savons est facteur de liberté, savoir que nous ne savons pas est moteur d’actions, de recherches, de perspectives ».

 

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