Thème: La science sans conscience est-elle condamnable ?

Restitution du débat. Café philo de Chevilly
28 mai 2008

Bombe atomique 

Animateurs : Guy Pannetier. Guy Philippon
Introduction au débat : Guy  Pannetier

Introduction : La question renvoie directement à « l’éthique de la science ». « La science ne pense pas, elle cherche » (Heidegger), la science par principe est neutre. Cette neutralité est-elle bien respectée, cette neutralité n’est-elle pas utilisée parfois comme un paravent. En 1942 un chercheur  (Merkton) avait établi quatre règles d’éthique de la science :
« Universalisme : Critères de recherche sans préjugé, sans présupposé de théorie, croyance, de race, de classe sociale »
2° « Communalisme : C’est-à-dire une recherche exclusivement destinée au bien de la société, et la publicité des découvertes ouvertes à tous ».
3° « Scepticisme : Rejet d’argument d’autorité. En l’absence d’expérience probatoire, suspension de jugement, et recherche  jusqu’à la connaissance expérimentale ». C’est-à-dire possibilité de reproduire chaque fois une expérience à l’identique.
4° « Caractère désintéressé de la recherche…les efforts doivent tendrent à l’extension du savoir, pas à la promotion d’intérêts propres. La connaissance scientifique étant le bien de l’humanité ». Mais hors la recherche universitaire, la recherche fondamentale, nous sommes surtout dans la science économique…, qui met en œuvre des moyens en fonction des buts économiques, qui entre dans le champ de la concurrence, du profit, des brevets. C’est là que les désagréments peuvent s’inscrire en négatif au bilan du progrès obtenu par les sciences.  Intervention Café philo du 23 mars 2003 : « La science est-elle une religion ? », « La motivation des scientifiques pour rechercher dans quelle voie ils vont travailler n’est plus celle du temps de Pasteur…. Les scientifiques travaillent pour un laboratoire, une multinationale, etc. Des sommes importantes sont en jeu. Les chercheurs sont soucieux de la raison sociale de leur laboratoire, de leur compte en banque.. Ceux qui travaillent sur de nouveaux produits alimentaires sont mus par le fait de réussir ou d’être meilleurs que d’autres. Ils ont au-dessus d’eux, des hommes d’affaires, et des politiques, leur autonomie et leur indépendance sont restreintes »

Débat :    – Leader dans un domaine de recherche, la firme Monsanto créé en 1952 « l’agent orange » qui détruisait les cultures au Vietnam.., une arme biologique,  ce furent des cancers, des maladies…, il faudra attendre 1975 pour que le Président Ford renonce à l’emploi d’herbicide dans les guerres. En 1974 Monsanto met sur le marché le « rond up », puis en 1974 ce sera l’hormone de croissance bovine, avec les dégâts dans les cheptels français ; en 1994 le premier soja transgénique, premier OGM…peu après le Mexique a déjà perdu presque toutes ses variétés spécifique de maïs.., en Inde 3 ou 4 suicides par jour de paysans qui se sont laissés prendre dans les filets de Monsanto… « La loi Monsanto, c’est celle des brevets, par la génétique.., pour pouvoir ensuite encaisser les royalties. Contrôler la nourriture c’est plus puissant que les armes, plus puissant que les bombes, et cela permet de contrôler les populations du monde ». (Extrait du Livre, le Monde selon Monsanto)
–  Des désherbants s’avèrent nocifs pour ceux qui les utilisent, d’où un nombre croissant de ruraux devenus stériles…
– Alors ! C’est çà la promesse de Monsanto de régler le drame de la faim dans le monde : supprimer des naissances, donc supprimer des bouches pour supprimer la faim dans le monde.
– De quel type de conscience parlons-nous ? La conscience n’est pas forcement bonne conseillère : tel ce médecin qui refuse l’IVG ou qui tait les résultats d’une amniocentèse ; « laissons-les vivre » lui dit sa religion
– Rappelons qu’en France nous avons à côté de la recherche à but économique, la recherche fondamentale qui est malmenée par des réductions de budget, qui tend à disparaître.., la conscience est au-dessus d’eux, et c’est aussi nous….
– Des hommes de science ont été honorés, alors que leurs intentions étaient condamnables. En 1912 on a donné un Prix Nobel au docteur Alexis Carrel, auteur de l’ouvrage, « L’homme cet inconnu » ; plus tard il écrit ceci, et préconise: « Le conditionnement des criminels les moins dangereux par le fouet… Quant aux autres, ceux qui ont tué, qui ont volé à main armée…, un établissement euthanasique, pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer de façon humaine et économique». C’est l’époque où les nazis commencent à gazer les malades mentaux, les handicapés….Fritz Haber, Prix Nobel de chimie en 1818 a fabriqué pour l’armée allemande le gaz ypérite. En 1920 il va, toujours pour l’armée allemande fabriquer le Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz.(Fritz Haber était juif). Il était également l’ami d’Albert Einstein, qui lui va fuir les nazis ; mais on peut dire que entre le Zyklon B et la bombe atomique, ils sont les pères des armes de destruction massive. Plus près de nous, deux exemples récents : 2006 le Pr Italien Antinori évoquait dans une revue scientifique la possibilité d’un hybride homme singe qu pourrait (en grand nombre) constituer la main d’œuvre pour demain…Puis cette même année le Pr  sud coréen Huang Woo-suk annonce avec un grand battage médiatique le premier clonage humain, alors qu’il n’en était qu’à l’expérimentation… Il avouera plus tard : Etant trop concentré sur les développements de la science, je n’ai peut-être pas vu toutes les questions d’ordre éthique liées à mes recherches ».
Einstein et Oppenheimer, ont fait la bombe atomique pour ne pas être devancés par les Allemands. Si Hitler avait eu la bombe où en serions-nous aujourd’hui ?Un contre point à Hiroshima et Nagasaki, ce qui restera un cas de conscience pour Einstein….
– Celui qui en conscience a décidé d’Hiroshima est mort dans son lit, la responsabilité à ce niveau n’est jamais celle d’un seul homme.., les consciences politiques occidentales ont salué cet « évènement » qui mettait fin à la guerre…
– Un chercheur est un esprit scientifique de libre examen et d’indépendance intellectuelle qui ne reconnaît que raison et expérience, c’est l’esprit scientifique, c’est le contrôle et la mesure, esprit de prudence, qui connaît le doute, esprit critique, la plupart de nos scientifiques sont dans ce schéma. Même si la chanson de MC Solar dit : « Parce que la science nous balance sa science, science sans conscience est égale à science de l’inconscience ».
RAP du scientifique (France) : Toi le scientifique / t’es un mec fantastique ! / Tu découvres et inventes / des trucs et des machins qui font flipper le ventre./ Dans ton labo perso, tu testes et tu contrôles, / tu pratiques des essais, tu t’éclates et rigoles./ Mais le temps de crier « euréka ».., j’ai trouvé ! / qu’ta super invention est partie en fumée ! / C’est alors que t’entends la voix de ta conscience / qui te dis : « Eh mon pote !Ramène pas trop ta science/ avec une invention faut pas faire le con ! »/ Douter être prudent, c’est pas un abandon ! » / Alors, consciencieux dans ton labo perso, sur la paillasse blanche,/ tu reprends le boulot…et tu planches! /
Jusqu’à être certain que ton nouveau machin, / ne fera pas péter le monde de demain !/ Pour toi le scientifique, ce mec un peu magique ! / On va faire : hip, hip, hip ! / Si tu n’existais pas il faudrait t’inventer ! / T’es chouette par ton génie et ta moralité ; / Mais gaffe que ce mots-là soient jamais séparés ! / Car c’est tout l’univers mon pote qu’tu mettrais en danger !
–  Un des dangers est le lien, science et idéologie : politique stalinienne, nazie, ultralibérale, ou idéologie religieuse.., on a demandé à des scientifiques de démontrer l’infériorité des noirs.., plus près de nous nous voyons des créationnistes qui en université ne dépassent pas Adam et Eve comme origine de la vie…
– Lorsque le Pr Jacques Testard voit que ses recherchent s’approchent du clonage, il cesse ses investigations.., pour d’autres leur conscience ne leur a pas mis cet obstacle… (Et on l’a surnommé le « vilain petit canard des sciences »…
–  Parfois, pour accélérer la mise sur le marché, des médicaments sont testés en Afrique, où la vie n’aurait pas le même prix….
– On aura du mal dans la recherche génétique d’empêcher les chercheurs d’aller jusqu’au bout de leur curiosité, pour cerner l’origine de la vie, et tenter de la recréer.., c’est fascinant !
– Cette question nous nous la posons depuis des siècles ; les premières autopsies ont scandalisé, des médecins ont été excommuniés.., l’idée de clonage humain scandalise, qui sait si, dans 50 ans, on ne dira pas : « voyez comme ils étaient attardés ». Nous avons évoqué la stérilité croissante, et là peut-être que  le clonage  sera l’issue pour la survivance de l’espèce ?
– Quand science, économie, et achat de consciences se rencontrent, c’est la vente d’organes comme en Chine.., un rein vendu pour survivre, une marchandise évaluée en fonction de la demande
–  Des médecins on travaillé sur des cadavres pour apprendre, pour comprendre.., on a gagné des années, parfois il « faut passer la ligne » ! La recherche ne peut se contenter d’une énigme, c’est son but de chercher à savoir, chercher à comprendre, mais ce mouvement naturel de la science peut chez le chercheur, le faire passer inconsciemment la frontière entre morale et progrès…
– La conscience indépassable pour la science ce fut longtemps l’Eglise : excommunication, mise à « l’Index », la contraception est toujours combattue par le Vatican…
« Croyez-vous que la science aurait pu se développer et grandir, si elle n’avait pas eu pour avant-garde, les magiciens, les alchimistes, les astrologues, et les sorcières dont les promesses, les mirages devaient d’abord inciter la soif, la faim, l’agréable avant-goût des puissances cachées et interdites ». (Nietzsche. Le gai savoir) ;
« Ce sont les passions qui utilisent la science.., la science ne conduit pas au racisme et la haine. C’est la haine qui en appelle à la science pour justifier le racisme ». (Aldous Huxley)
Parfois on inverse causes et effets, et souvent ça marche.. ! Quand le manque de conscience est d’usage, c’est par exemple la démonstration fallacieuse, assimiler nucléaire – en médecine – comme énergie – ou pour tuer.., la perversion est toujours possible.
« Plus nous innovons, plus nous gagnons de la vitesse, certes ! Mais… plus nous innovons, plus les chances de progrès semblent s’éloigner de nous car,  le progrès, ce n’est pas l’innovation, le progrès, c’est tout ce qui renforce la justice ; et la justice, c’est ce qui nous protège du pire et nous éloigne de la barbarie, de l’arbitraire ». …… A quoi bon vivre plus vieux, si on vit plus mal ? Insensiblement, sans en prendre suffisamment conscience, nous ouvrons toutes les portes qui mènent à l’aliénation». (Elisabeth Badinter. Le Monde 21 mars 2008)
– Le chercheur fait partie d’un groupe .., c’est donc au-delà d’une seule conscience, bien que le groupe peut œuvrer dans un but très mercantile.
– Le rôle  du chercheur est « : chercher pour trouver », être curieux de savoir, connaître, comprendre, jusqu’à ce qu’il découvre…quoi ? Quelque chose qui le dépasse ?
– Pour définir succinctement la conscience, c’est le respect des règles morales que l’on connaît nous dit Socrate sans les avoir expressément apprises, mais en découvrant en regardant les hommes comme ils vivent, intuitivement et très vite nous connaissons le bien , le mal. La conscience morale n’est pas adaptable. Si l’on doit compte tenu de l’époque, des nécessités, adapter la morale on est alors dans l’éthique, c’est pourquoi on parle d’éthique de la science, d’éthique médicale….

Conclusion : Serons-nous les otages de la science ? De notre propre curiosité ? Nous baillions d’admiration à chaque découverte, puis ensuite nous commençons à réfléchir ! Si l’on doit parler de conscience de la science, il a d’abord une conscience : la nôtre, nous validons ou ne validons pas les nouveautés L’éthique de la science n’appartient pas qu’aux scientifiques, ou à ceux qui les emploient, il nous appartient aussi de plus en plus, de juger des progrès scientifiques que nous sommes prêts à accepter : d’examiner – de peser – de débattre –  et s’il le faut, d’alerter. C’est aujourd’hui les manipulations génétiques, les OGM,  domination, presque dictature économique sur les besoins vitaux. Puis l’eau, l’alimentation, la brevetabilité du vivant, les nouveaux moyens de surveillance, la biométrie, les incursions dans le domaine de la vie privée….. La recherche scientifique se trouve parfois au-delà du bien et du mal. Il y aura toujours pour les chercheurs la tentation de dépasser l’éthique. L’éthique se forge au cœur d’une civilisation, c’est-à-dire nous-mêmes.

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