Thème: La télévision est-elle le reflet de la société ?

Essai de restitution du débat. Café-philo de l’Haÿ-les-Roses
10 octobre 2007

Max Ernst. 1930

Introduction de Guy Louis : Nous sommes dans une société miroir où de plus en plus chacun se juge, s’évalue, se réévalue  dans le regard des autres. La télé est souvent ce miroir, mais elle peut être une drogue. Quand l’individu lambda rentre fatigué de sa journée de travail, il a envie de se vider la tête, alors là télé est là, elle trône dans le séjour, elle occupe la position stratégique dans la maison, la télé attire son regard comme la lumière attire le moustique. La fatigue de la journée aidant, l’esprit est libre, le cerveau humain est disponible, « Or » nous disait il y a peu le PDG de Tf1 « Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…).Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise ». (Patrice Lelay. Pdg de TF). Le télé a un peu plus d’un demi siècle ce qui donne un peu de recul pour juger. Quel est à ce jour son apport, à l’évolution de la société, à l’évolution des esprits, à l’éducation populaire,  son apport à la culture ; au bilan quelle est la part du positif, du négatif ? Et quelle est la part de responsabilité, de ceux qui  la font, de ceux qui la regardent ? Et dernière question, la télé est-elle appelée à être notre seule conscience collective ?

Débat :    – Oui la télé est le reflet de notre société, car les fictions sont souvent basées sur des faits réels, pris dans la société, et non, car parfois l’image qui nous envoyée, renvoyée peut n’être que celle que l’on souhaite nous donner à voir, peut-être en pensant que c’est celle que l’on veut voir. 
– Pour voir un reportage, par exemple sur les emplois précaires des femmes, (un reflet de la société) il faut parfois attendre deux heures du matin.
– Un téléfilm récent nous montre un notable accusé (présumé coupable) qui est sous les feux des médias, donc des télés, puis il est jugé innocent, et c’est alors à la télé de détricoter ce qu’elle avait monté en scoop. Elle peut donner une image fausse, mais elle peut aussi rectifier…
– Lors des évènements où l’on montrait des voitures brûlées dans les banlieues, ceci vu de  l’étranger  prenait une telle proportion dans les informations à la télé que des étrangers ont annulé leur voyage vers la France, la télé peut ignorer un évènement, elle peut le grossir.
– Des émissions nous permettent de nous évader, elles nous vendent du bonheur, du rêve, c’est lénifiant…
– Le cerveau est noyé par les infos, submergé, saturé.., mais si vous regardez ces infos à plusieurs, les réactions sont différentes, chacun a sa grille de lecture, on compare, il y a alors, plusieurs reflets…
– Est-ce l’objectif de la télé d’être le reflet de la société ? Ou est-elle plus destinée à distraire, même à faire rêver…
– Nous savons que l’information ne dit pas tout, il y a autocensure… L’émission arrêt sur image qui décryptait les images et les infos a été supprimée malgré la pétition signée par des milliers de personnes.
– La télé peut être utilisée comme outil politique, pour amener les gens à penser comme on le souhaite, ceci se fait avec la massification de l’info, comme par exemple la même info en boucle toute la journée sur LCI.., ça ne reflète jamais l’esprit de « la rue » !
– Comme tout outil elle n’est que l’usage qu’on en fait.., elle accroche avec le fait divers puis nous vend des produits, elle nous entraîne, nous conditionne pour consommer, mais nous restons libre de regarder ou pas, et même libre de l’éteindre !
– C’est lors de l’exposition de 1900 que fut prononcé pour la première fois le mot de télévision: « Que reste t-il à désirer, sinon voir à distance.., mais si complaisante que soit l’électricité, il y aura sans doute indiscrétion à lui demander ce miracle ». Le besoin s’est installé de voir au-delà de notre simple regard. De plus cette technique intéresse toutes les formes de pouvoir…
– On pensait au début de la télé qu’elle aurait un but pédagogique…….Par contre elle est bien le reflet de la société quand elle met en avant l’individualisme ambiant, avec les « success stories », les histoires personnelles…
– Témoignage : Enfant, j’ai vu l’Odyssée avec Irène Papas, j’ai voulu connaître mieux  l’histoire de la Grèce antique, ce fut un entraînement vers la lecture…
– La télé reflète quelque chose de partialisé, c’est dû au fait politique, ou lié à l’audimat. L’info reste une petite lucarne où seule l’image de l’évènement prime, le sensationnel…, il y a environ 500 chaînes, alors c’est la course au scoop…
– L’information devrait être un dialogue accompagné d’images, et nous avons souvent des images « dialoguées » ; de plus ceux qui la font, qui la présente, qu’on y voit,  ne sont pas un reflet représentatif de la société avec ses variances….
– Il a aussi des dramatiques, des concerts, des opéras…Il y a des chaînes spécialisées où chacun fait son choix dans son domaine d’intérêt, c’est un des côtés positifs. D’ailleurs l’aspect positif est confirmé quand les dictatures interdisent les paraboles, afin qu’on ne puisse avoir accès à des informations contraire à la propagande du pays…Là le reflet est interdit !
– La télé n’est pas toujours un outil efficace de propagande, et peut ne pas être du tout reflet de la société; c’est le cas au Venezuela où la télé appartient à 95% à un groupe opposé au gouvernement en place..,  alors plus de citoyenneté  pourrait modifier la situation ? Il nous faut peut être assumer, il ne peut y avoir influence sans une certaine passivité…En 1995 La télé était en totale contradiction avec « la rue ». En 2005 elle avait dit oui d’avance à un référendum qui fut rejeté par les Français, donc on accepte ou l’on refuse d’être miroir ou caisse de résonance.
– On a évoqué la recherche de rêve, de bonheur, ce que dit, nous chante Alain Souchon : « De l’intérieur du téléviseur, on entend les gens chanter leur chant désenchanté. Nous les ci-devant, nous le parterre, nous les assis devant, nous les damnés de la Terre, on voudrait un monde meilleur….. » (En collant l’oreille sur l’appareil)!
– Quand la télé était publique elle n’avait pas encore cet aspect marchand.., une émission le matin sur une radio parle de l’audimat de la veille, et là nous apprenons que nous sommes « des parts de marché », cela renvoie une curieuse image de nous !
– Même s’il est un peu déformé, pour ceux qui pour des raisons de santé ne peuvent aller voir ce monde la télé est utile, elle joue aussi parfois la baby sitter.
– Pendant longtemps je n’ai pas voulu que mes enfants regardent la télé, de ce fait je ne la voyais pas non plus, et mes collègues de travail me disaient « Tu vis hors de la société.., il y a plein de choses que tu ne sais pas »…

Poème de Florence.
Miroir, mon doux miroir, dis moi comment je vis
Sur les Champs Elysées à 20 heures pétantes
J’ai posée la question au champion, le devis
Fut clair, combien ça coûte ? 30 millions d’amis.
Reste chez toi, regarde-moi et soit contente.

Miroir, mon doux miroir, je suis seule, je m’ennuie
Une récrée à deux, sur l’île des tentations
Tourne la roue de la fortune, sensations
Et la croisière s’amuse en chantant sous la pluie
Regarde-moi, je sais de quoi tu as envie

Miroir, mon doux miroir, berce mes insomnies
Attention à la marche ! Oui, je suis un enfant
De la télé, zapping ! je ne suis pas plus grand
Qu’un môme de 10 ans. Plus de cacophonies !
Je t’éteins et je sors, sans autres cérémonies

Bonne nuit nounours ! Tu es le maillon faible !
Je vais passer une sacrée soirée !

– Nous sommes devenus, d’abord des consommateurs. La télé fut par le passé plus pédagogique, aujourd’hui nous sommes dans le concept, concepts souvent importés, le rythme s’est modifié, cela va plus vite, on n’a plus le temps d’analyser ou peut-être n’y a t-il pas à analyser. Quant aux enfants, ils sont très demandeurs ; leur environnement est façonné, influencé par la télé, c’est presque un signe d’appartenance au groupe. Il nous reste à les éduquer pour bien gérer le temps télé.
– Regarder la télé s’il n’y a pas d’éducation c’est voir sans apprendre.., la télé est en concurrence avec d’autres médias et  la compétition n’élève pas le niveau.., « La télévision est un danger pour la démocratie » (Karl Popper), ce dernier met en garde sur : « les effets sur le subconscient des enfants et des adultes ».
Dans les années 30 la Générale Electrique travaillait sur la télé, leur slogan d’alors était : « Savez-vous ce que nous réserve la télévision, c’est la contribution du monde d’aujourd’hui au meilleur des mondes de demain ». Récemment des études à l’Université de Toronto ont constaté qu’en image réfléchie, avec la télé, (en opposition à l’image directe, le cinéma) nous devenons nous-mêmes écran ; c’est l’hémisphère droit du cerveau qui enregistre images et émotions ; c’est lui qui est le plus sollicité, il perçoit plus qu’il n’analyse la charge émotionnelle contenue dans les images. L’hémisphère gauche où résident l’esprit d’analyse et l’esprit critique se trouve au repos, il n’est plus vraiment réceptif. Cette étude avait déjà été menée pour des groupes publicitaires. C’est, disaient-ils, non sans ironie, la possibilité,  en regard de la puissance d’impact de l’image  de transformer le cerveau humain en éponge. Dans un reportage une personne disait : « Quand je suis devant la télé, je suis comme un légume ! »
Nous pouvons bien sûr renverser la question initiale : la société est-elle le reflet de la télévision ? Si c’est oui et si l’on s’en plaint, on n’est pas obligé de se laisser influencer, manipuler ; à nous de prendre ce qui est bon, car nous y trouvons le pire comme le meilleur. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas de télé à la maison ; un Papa enseignant,  réfractaire à la télé « acculturation ! », « ça donne le cancer ! ». Ailleurs en cachette, j’ai vu enfin la télé « Le chien des Basquerville »…, c’est vrai qu’on a une vue sur le monde entier, mais on ne sait pas ce qui se passe en bas de chez soi.., et puis il y a toujours ce message, presque comme un fil rouge, la mise en avant de la réussite individuelle, cette idéologie prônant l’individualisme, qui culpabilise ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder au bonheur suprême de la consommation ..Revenant aux enfants, actuellement on développe, on montre dans les écoles aux enfants l’esprit fair-play du rugby (Coupe du Monde oblige), mais « effet miroir » pendant les récrés les enfants font des mêlées, se plaquent…
– La question se posait déjà « au bon temps de l’ORTF », comme avec cette chanson :

On m’appelle la télé, la montreuse à tout va ;
Avant d’ faire le trottoir, j’me les caille sur les toits.
J’suis pas grand-chose de bien, c’est sûr, mais c’qui gêne
C’est leurs jeux interlopes qui me luxent les antennes……

On m’appelle la télé, la photo cavaleuse,
sur mon trottoir là-haut, je me sens transisteuse……
Un Ministre de l’année que l’trottoir indispose
entre deux cabinets fréquente ma téléclose,

pour les yeux affamés qui vont chercher fortune,
dans mon lit à colonnes, j’peux leur montrer ma une !
………

On m’appelle la télé, la montreuse électrique,
Je suis comme une morphine qu’endort la République…

Léo Ferré. On m’appelle la télé.

– Dans la modification de ce qui fut service public que devient la démocratie, l’audimat est-il cette nouvelle démocratie ?
– La télé crée des images auxquelles on veut s’identifier (toujours le miroir), si quelqu’un passe à la télé ça va gonfler son ego… Les images trop déconnectées de la réalité troublent les esprits : quand des jeunes algériens viennent en France ils sont surpris que les filles ne leur tombent pas dans les bras comme dans les feuilletons ? La télé peut être modèle, elle peut être mensonge…
– Quelle est la part de responsabilité de ceux qui la font, de ceux qui la regardent. Nous entendons bien des critiques quant au niveau de la qualité, mais nous en sommes en grande partie responsables. Il n’est qu’à voir l’audience de certaines émissions qu’ensuite on décrie ; nous regardons la télé, la télé nous regarde, analyse, mesure, et pour mieux vendre elle abaisse le niveau pour, pense t-elle se mettre à notre niveau. 
–  Comment une télé où la violence est très présente ne ferait-elle pas une société violente ? En cela la société est peut-être le reflet de la télé Avez-vous observé certains enfants devant la télé? C’est effarant, les yeux sont fixes, parfois les paupières cessent de battre, il sont « scotchés », donc influençables, fragiles. Les adultes sont en mesure de faire la part du réel et du virtuel, les enfants beaucoup moins, sinon ils seraient des adultes ; alors faut-il s’étonner que des enfants de 12 à 14 ans soient parfois dangereux. La télé est parfois violente au point qu’un dessin animé de Pokemon  au Japon à créer chez des enfants des crises d’épilepsie, plus de 600 enfants ont été hospitalisés. Si nous refusons de voir et de dénoncer cette violence télévisuelle, nous devons accepter de payer le prix de notre hypocrisie, de notre laxisme, de notre impéritie.
– Lorsqu’on nous a montré des émeutes avec des voitures brûlées, cela a déclenché d’autres voitures brûlées (encore l’effet miroir ?), « il faut que nous aussi on passe à la télé », sauf à ce que ces images n’entraînent la prise de conscience d’un certain abandon, que ces mouvements traduisent déjà un mal être…

Poème de Florence

Eté 2001. Aujourd’hui 21 juin 2001
J’entends le loft qui chante au fond de la télé
Dans une ronde aux quatre coins de la raison
Jeudi musical ou dodo à la maison

Dans une heure c’est le deuxième jour de l’été
Je vois la tour Eiffel scintiller sur son pied
Dans un ciel sans étoile, sans nuage et sans nom
Il se dit estival, sans rime, ni saison

C’est le millénaire où se joue l’humanité

Zeus enchaîna le temps pour libérer ses frères
Et depuis il a installé l’enfer sur terre
L’homme s’est cru libre, mais il ne fait que nourrir
Des dieux avides des fumées de son sacrifice
Trente ou quarante heures ce n’est qu’un artifice
A se partager entre travail et loisir
Offrons en libation au Dieu économie
Le sang de la terre et la sève de la vie.

« Une société qui invente le jardin zoologique est une société prête pour la télévision. Dès qu’on pense qu’il est intéressant de regarder des animaux hors de leur contexte naturel, il devient pensable de la contempler depuis son salon » (Bernard Arcand)
Conclusion : Souvent nous ne connaissons de ce monde que ce qui nous est donné à voir, ou, à partir des seules informations qui nous parviennent. Même sans habiter des quartiers privilégiés,  bien des gens ne connaissent réellement leur pays, la vie de ceux qui y habitent qu’à travers le miroir déformant de la télé. Cela rappelle,  il y plus de deux siècles Marie-Antoinette qui, aux Parisiens qui réclamaient du pain, conseillait « s’il n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche ! ». Avec la télé nous sommes ou, immergés dans une situation, ou très loin des réels problèmes…, Nous restons béats devant «  le monde montré », « miroir aux alouettes » où se côtoient l’étalage du luxe et  la misère, « Cinq milliards de pauvres regardent avec la télé, comment vivent un milliard de riches » (Yann Arthus Bertrand) Plus la télé me montre ce monde, plus je suis désolé, je ne comprends pas ce monde, à moins que je ne comprenne que trop bien. Quelle est notre part de responsabilité, il n’est pas facile d’admettre que nous pourrions être manipulés et  que nous l’acceptions. Le reflet de la société est ailleurs, ceux qui le connaissent bien sont les acteurs du monde associatif, pour cela il faut rendre hommage au monde associatif, ils sont sur le terrain de la réalité. Au final,  Télé et réalité reste deux vocables bien différents.

 

 

 

 

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