Essai de restitution du débat – Café philo L’Hay les roses
7 février 2007
Introduction Guy Pannetier : Nous avons des besoins affectifs, il arrive que les rencontres, les relations sociales donnent lieu à un échange de sentiments d’amitié, « La plus belle aventure humaine, c’est la relation avec les autres » Aristote. Des échanges entre les personnes, sont comme des mobiles avec des miroirs, qui tout à coup, vont se renvoyer la même lumière, la même image. Alors la réaction, les réactions de l’autre, sont tout comme celle que vous auriez eu, vous vous retrouvez un peu en cette personne ; il y a affinité, il peut s’engager parfois une relation où l’on va à la découverte de l’autre, avec bien sûr sa différence, mais dans un climat de confiance. Dans les images que renvoie souvent l’ami, se trouvent aussi des images qui ne nous ressemblent pas et qui néanmoins nous attirent quand même. On peut penser que cela correspond à un reflet de notre dualité. La découverte de cet autre, sa fréquentation sera un enrichissement. Comme toutes les relations, la relation amicale n’est pas inscrite dans le temps ; même si pour maintes raisons la fréquence de la relation se ralenti, si elle a cessé d’exister, elle garde toute sa valeur restituée dans le temps. Si Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, a voulu idéaliser l’amitié, faire de l’ami « un autre soi », faire de l’amitié une vertu, c’est que cela était peut-être une réalité dans son époque et dans son milieu, mais en d’autres temps, d’autres lieux, ce sentiment sera diversement apprécié. Montaigne va refuser cette notion de vertu, et relativiser l’amitié, pour lui : « Les amitiés ne sont qu’accointances, nouées par quelque occasion, ou commodité », et l’on cite souvent cette phrase également de lui : « Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela pourrait s’exprimer en répondant, parce c’était lui, parce que c’était moi ». Montaigne. (Essais). Nous parlerons sûrement ce soir d’altruisme, de sympathie, d’affection, d’humanisme, peut même, oserons-nous, utiliser le mot amour ? Aujourd’hui comme par le passé, nous sommes partagés entre réalisme et idéalisme, et peut-être besoin de croire, donc en toute raison, nous nous posons cette question : « l’amitié existe-t-elle »?
Débat : – L’amitié est-elle forcement exclusive, et dès lors n’est-elle pas en même temps son propre obstacle..
– L’amitié, tout comme l’amour, n’est pas un gâteau qu’il faut partager, ou un saucisson à tronçonner, l’amitié que l’on apporte à quelqu’un n’enlève rien à l’amitié portée à l’autre, cela s’additionne…
– Il est une amitié qui semble difficile, qui est très controversée, c’est l’amitié, Homme/Femme .Pour une participante, l’amitié Homme/Femme est plus facile si l’homme est marié, et si les rapports sont égaux envers la femme comme l’homme…
– On peut dépasser le rapport ou l’aspect sexuel, créer une complicité, une relation fraternelle…., c’est « « désérotiser » cette relation…
– Difficile pour certains d’utiliser le mot amitié s’il n’est pas accompagné du mot affection, pour cela j’ai peu d’amis…
– Le symbole du miroir est repris, de la dualité, l’amitié étant aussi complémentarité. L’amitié pourrait se comparer à la culture du ver à soie, qui a besoin d’un appui, (feuille, branche) qui fait un cocon (le lien, la complicité amicale) puis va se fabriquer le fil de soie (le lien amicale)…, ce qui nous ramène à l’expression « l’amitié, ça se cultive »…
– Nous ne donnons pas tous la même valeur au mot ami ; ou nous sommes assez exclusifs, exigeants, ou nous acceptons tous les divers niveaux d’amitié : du geste amicale, de la camaraderie, de la relation amicale, de réunion amicale, jusqu’aux amis intimes. La qualité de la relation avec l’ami intime n’excluant pas l’existence des autres formes d’amitié.
– L’ami véritable est celui à qui l’on peut téléphoner à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit..
– Quelles limites, quelles bornes mettons-nous à l’amitié ? Pour Cicéron, le devoir d’amitié prime sur le devoir citoyen, important sujet de morale. Cicéron, pratiquement seul contre tous, sera solidaire et va conserver son amitié à un ami sénateur exclu par tous ; ce qui plus près de nous nous rappelle, l’amitié, (ou autres liens) Mitterrand/Bousquet…
– Toute idéale que soit une amitié, il parfois savoir dire non, ceci pour préserver l’avenir, la qualité et la pérennité de la relation, et Kant nous rappelle que comme pour l’amour « on se maintienne à l’égard de l’autre à une distance raisonnable »
– L’amitié est une seconde famille, des liens qui eux aussi vont donner du sens à la vie…
– Nous pouvons avoir des amis très différents, à tel point qu’il est des amis qu’on ne mettra pas en rapport tant l’on sait qu’ils ne pourraient s’accorder, alors qu’individuellement nous sommes, nous en plein accord avec eux.
– Sommes-nous tous en mesure de donner, de recevoir de l’amitié ? Certains n’auraient-ils pas des prédispositions et d’autres des blocages. L’égoïste, l’égocentrique, aura plus de mal à se faire des amis, l’amitié étant un échange, un partage. L’individualiste n’est pas prédisposé aux relations amicales ; celui qui se défie trop des autres, les jugeant à l’aune de son propre caractère, n’accordera pas sa confiance et ne pourra alors lier de véritable amitié.
– Chaque personne est une approche différente, certains sont versatiles, la vie nous change, de mode de vie, de domicile, et même les amis eux aussi peuvent changer…
– Nous avons plus ou moins un besoin, ce besoin d’échanger dans un climat de confiance. Les moyens de communiquer entre amis évolue, nous ne sommes plus à l’époque où nous attentions la lettre de l’ami, de l’amie, parfois longue lettre…, mais comme il a été dit nous changeons, ou parfois nous avons puisé tout ce que nous cherchions dans l’autre, cruel constat, le lien se dissout, et nous pouvons rester avec, comme un sentiment de trahison.
– Je ne vois pas l’amitié dans cette image du miroir, l’ami est autre, différend, c’est pourquoi je suis peut-être attiré. L’ami est celui avec qui je peux partager un secret. Lorsque l’amitié est intime, elle n’a pas de loi, pas de règle, pas d’acquis.. , l’ami serait un besoin de découvrir ce qui nous manque (la complétude), une découverte permanente qui éveille notre curiosité. Mais des amis peuvent prendre de la distance : « Il n’y a point de marchands d’amis » (Saint Exupéry).
– Quels sont les circonstances qui peuvent distendre ou éteindre les liens d’amitiés ?
– Des épreuves parfois vont éclaircir le rang des amis, et en même temps mettre en valeur ceux qui sont sûrs. Ces épreuves sont : le chômage, la maladie, le divorce, le veuvage. Souvent lors d’un divorce les femmes font le ménage dans les ex relations du mari. Lors d’une maladie, d’un décès des personnes fuient le malheur. Les revers de fortune sont aussi le temps où tous les faux amis se dérobent : « En tiempo de higos hay amigos »(A l’époque des figues, il y a des amis).
– L’impudeur peut être une cause de rupture de l’amitié, l’intolérance tout aussi, ne pas aller trop loin , savoir garder la bonne distance, si l’on dit tout à ses amis , on risque de les perdre…l’amitié ne doit pas juger , elle doit entendre…
– Ceux qui sont faibles ont peut-être une propension à se chercher des amis ; il arrive souvent qu’ils déversent sur eux leurs soucis, leurs tracas, ils finissent par faire de leurs amis, « les poubelles de leurs sentiments »
– Le dicton : « Qui se ressemble s’assemble ». Les goûts, les loisirs, l’éducation, la culture, la coutume, les origines, peuvent créer des « communautés de pensée » favorables aux liens amicaux. Le dicton ne nous dit-il pas, également, que ce sentiment que nous portons à l’autre, aux autres, est un prolongement de l’amour de soi, puisque nous aimons en eux ce qui ressemble. Décidément l’égoïsme serait un moteur vital ! Lorsque nous parlé de l’égoïsme, nous avons dit que l’amour de soi étant indispensable à l’amour des autres, donc celui qui ne s’aime pas, n’aura pas de prédisposition à aimer les autres, et de lier des amitiés.
– La rupture de l’amitié peut s’avérer dans le temps plus difficile que la rupture amoureuse. On peut plus ou moins facilement revoir d’anciennes amours, mais plus difficilement d’anciens amis..
– L’amitié est tout à la fois, amour, affection, tendresse, et il n’y a pas forcement d’attente, l’amitié se construit surtout sur des idées partagées. La fréquence de la relation ne défini pas la qualité de l’amitié.
– L’amour demande à l’amitié « A quoi es-tu censé servir ? –je sèche les larmes que tu fais couler »
– Qui de nous n’a pas perdu un ou une amie chère, qui reste à tout jamais dans notre cœur : ils restent des amis au fond de nos cœur, cette amitié existera toujours (notre toujours).
Conclusion : Même si nous restons vigilants, parfois méfiants dans la relation amicale, il y a dans l’amitié comme une sorte de spiritualité, un besoin de croire en l’autre, besoin de croire qu’il existe des hommes et des femmes de cœur, des individus qui ne soient pas seulement motivés par leur intérêt. Ce besoin de croire en l’autre découle aussi d’un besoin de croire en nous. Parfois l’exigence que nous mettons dans l’amitié peut tuer l’amitié, il nous faut accepter les autres avec eux aussi leurs imperfections, ou alors nous serons associables, comme Alceste, le Misanthrope qui aime tant les autres qu’il ne supporte pas qu’ils ne soient pas parfaits et Molière lui fait dire : « J’entre, dans une humeur noire, et un chagrin profond, quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils le font ». L’amitié existe si nous sommes aptes à ce sentiment, tant pour donner, que pour recevoir. L’amitié est un besoin d’élargir le cercle de ceux qui vous sont proches, ce que certains ne trouvent pas dans leur famille, et ce que nous dit la chanson : « lLes amis c’est un peu la famille qu’on s’est choisi parmi les autres ». (Vida. Julio Iglesias)
Additif. Guy louis et Myriam, (En remerciements aux amis du café philo) : Des amis qui ne sont pas du cercle des intimes peuvent lorsque vous êtes touché par un grand malheur vous manifester spontanément leur affection. Ayant connu ces élans du cœur, et confortés par ces amitiés, comment pourrions-nous soutenir la thèse que l’amitié n’existe pas ?
Hors débat Danielle : Plus on aime les autres plus on peut s’aimer soi-même. (Ou l’inverse dans certains cas).