Thème : « Ne sommes-nous que notre mémoire ? »
Essai de restitution du Café philo de Chevilly-Larue
du 24 Novembre 2004.
Animateurs : Guy Pannetier, Guy Philippon.
Introduction au débat : Guy Pannetier.
Introduction : Dans la mythologie la Mémoire a nom Mnémosyne, fille d’Ouranos, et de Gaia, elle aura, après avoir passé neuf nuits avec son frère Zeus, neuf filles, Les Muses, déesses des arts et de la connaissance par lesquels nous accéderons à la culture, principe de notre humanité. L’accumulation des informations qui forment notre mémoire, influence fortement sur
Afin de donner quelques orientations au débat, six questions :
1. N’y a-t-il qu’une mémoire ou plusieurs mémoires ?
2. La mémoire est-elle vraiment « une ardoise vierge » à la naissance ?
3. Peut-on avoir une mémoire plus développée en fonction de l’intérêt ?
4. Est-ce que nous pouvons agir sur la mémoire, maîtriser le logiciel, lui imposer ce qu’elle doit enregistrer ou rejeter ?
5. Peut-on imaginer que la bio- ingénierie, par le numérique, l’intelligence artificielle, modifiera la mémoire des hommes ?
6. Pourrion- nous vivre sans mémoire ? Pourrions-nous vivre sans oublier ?
Débat – : Je me sens en infériorité face à des personnes qui ont une mémoire phénoménale, tel des acteurs qui enchaînent des milliers de vers, du texte…
– Ce n’est que mémoire professionnelle, pas la mémoire constitutive..
– La sélection de nos choix de mémorisation dépend de notre personnalité, nous garderons plus présent à la mémoire le bon que le mauvais, afin de nous préserver, peut-être
– La mémoire est bien sûr plus efficace en fonction du niveau d’intérêt….Quant à vivre sans mémoire, nous voyons les victimes d’amnésies, ou malades d’Alzheimer qui perdent le lien social, qui survivent sans mémoire, sans conscience de vivre
– La question du débat pose aussi la question : qui sommes-nous ? Et de cette mémoire que faisons-nous ? Savons-nous pour la valoriser y adjoindre la volonté d’action ?
– Pour cette intervenante nous avons trois mémoires: Mémoire reçue, mémoire passive, héritée, sur « l’ardoise» qui n’était donc pas blanche…
– Mémoire acquise, mémoire active, qui nous permet l’adaptation au milieu…
– Mémoire éteinte des sans mémoire, absents de leur mémoire : les amnésiques, les malades atteints d’Alzheimer. Elle conclut : « Ces mémoires reçues ou acquises sont un levain à faire fructifier, pour enrichir la mémoire future, et transmettre le patrimoine… »
– Cette notion de mémoire héritée n’est-elle pas celle que nous partageons avec les animaux : l’instinct ?
– En dépit des souvenirs que je voudrais évacuer, je m’efforce et je sais garder en mémoire les bons souvenirs, pour me faire pour plus tard un capital de souvenirs, un capital de mémoire.
– Ne serait-ce pas, l’épargne de mémoire ?
– Revenant sur les différentes mémoires, voit deux mémoires : Mémoire pratique, d’apprentissage qui va permettre l’Être dans la vie sociale. Puis, mémoire sensible, affective, en fonction de notre personnalité, élément principal de notre individuation, celle qui va nous aider à construire notre vie intérieure. Il poursuit, si nous pouvions dicter à notre mémoire tout ce qu’elle doit « enregistrer » ou « mettre à le corbeille », alors notre mémoire conserverait tant que nous serions autant, dans le passé que dans le présent, et que nous aurions une telle mémoire, et des faits, et mémoire de tous les sens, que nous ressentirions comme en l’instant vécu, la douleur, les chagrins insurmontables, indépassables, ce qui nous interdirait à tout jamais d’accéder à l’oubli, de retrouver, le bonheur. Ne pouvant agir en ce sens, nous ne sommes que les choix arbitraires qu’elle a fait. Le complément de notre mémoire, pour notre sauvegarde, est l’oubli ; « L’oubli est une vertu qui permet d’effacer des événements. L’oubli va permettre de réinitialiser le processus de quête de bonheur ». Nietzsche.
– Nous ne sommes qu’en fonction d’une mémoire, mais aussi en fonction de notre volonté. Gardons-nous de trop vivre dans «le passé qui n’est plus, l’avenir qui n’est pas». Utilisons tous les acquis de la mémoire pour «vivre le présent qui seul existe » (Epicure). J’ai du mal à définir ce qui pourrait être inné de ce qui est acquis, je vois surtout un outil qui stocke et qui me permet, à la demande de « ramener le passé au présent »…
– Nous ne pouvons nier cette mémoire héritée, notre mémoire génétique, de nos parents, de nos ancêtres..
– « La mémoire est l’avenir du passé ». Paul Valéry. Sans pour autant faire du passé «Table rase », effectivement ne négligeons pas notre présent, refusons ce qui est parfois dictature de la modernité, vivons, « Ici et maintenant ».
– Que deviendra toute ma mémoire acquise si je n’ai pas de descendant pour prolonger cette mémoire
– Enchaînement : « Un vieil homme qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle ». (Proverbe africain).Revenant sur les choix de la mémoire, la mémoire souvent obéis aux ordres du cœur, créant la mémoire affective.
– Je retrouve dans des rêves des souvenirs que je croyais perdus à tout jamais, alors ! Rien ne serait vraiment perdu ?
– Pour confirmer cette conservation inconsciente, un participant cite le cas d’un proche qui tout près de la mort a revu tout le film de sa vie, avec tous les personnages, parfois oubliés..
– La mémoire nous joue des tours, nous occulte des souvenirs, ( défaillance, traumatisme, injonction du surmoi), ou alors elle en fait resurgir d’autres inopinément, comme « La Madeleine » de Proust..
– Un chercheur américain, Farwell, peut à partir d’un casque muni de capteurs bio électriques relever chez un individu les empreintes mnésiques, dites aussi engrammes, et connaître sa mémoire immédiate. Des chercheurs nous disent que d’ici 2015 « On pourra lire dans le cerveau humain comme dans un livre ouvert ». N’y a-t-il pas le risque que pour améliorer les capacités de l’homme nous allions vers un homme bionique avec mémoire supplétive, mémoire numérique, dans laquelle nous le savons tout peut être programmé, sauf le plus important pour l’homme, l’Émotion !
Texte en prose Guy Louis :
Micro puce et mémoire, rien ne sera oublié.
Je pourrai revivre la vie dès son début.
Et recommencer jusqu’à laisser filer mon présent
Je serai dans mon présent passé,
Je serai dans mon présent présent, je serai dans mon présent futur.
Nous sommes notre mémoire, la mémoire d’une société.
Nous sommes la mémoire d’un peuple, de ceux qui nous ont précédé.
Nous sommes hérédité sociale que je ne peux, que je ne veux oublier.
Nous sommes la mémoire de nos enfants, des enfants de demain.
De « Mémoire vive » je serai « sauvegardé » en « Mémoire morte »
– Belle définition: « La mémoire est la nécessaire lueur du passé qui contribue au rayonnement de la lumière du futur ». France Laruelle.
– Ou, aussi d’un animateur : « La mémoire c’est une histoire dans laquelle nous sommes, un livre qui ne se ferme jamais ».
En conclusion : Débat riche, animé qui aurait pu se prolonger, tant le lien, individu et mémoire nous passionne. Un auteur nous donne cette réflexion qui résume bien nos approches, « l’être humain vit de mémoire, jusqu’à s’en faire d’une certaine façon sa vie intérieure. C’est l’identité même qui se précise à mesure que l’histoire vécue s’inscrit en silence au fond de la personne, récit de soi, récit unique ». Henri Pêna Ruiz, Leçons sur le bonheur. Editions Flammarion.