Restitution du débat du Café-philo
du 9 janvier 2013 à L’Haÿ-les-Roses.
Introduction : Lionel Graffin
Il faut distinguer tout de suite faiblesse et fragilité. Nous sommes tous fragiles et nous le restons jusqu’à notre mort. La faiblesse, elle, n’est que provisoire.
La faiblesse est un terme générique employé au quotidien. Qui n’a pas entendu les termes suivants : la faiblesse parentale, la faiblesse de l’économie, la faiblesse du Président, etc.
Je commencerai par traiter d’une faiblesse particulière : la faiblesse du statut social de chaque personne. Pourquoi ? Parce qu’il suffit d’un attribut négatif pour qu’une personne ne soit plus conforme à l’identité sociale. L’attribut négatif, ce qui va s’appeler, pour d’autres, un stigmate, peut tous nous toucher. L’homme qui a perdu son travail devient un chômeur ; ainsi du cancéreux, de l’alcoolique, de l’homosexuel, de l’aveugle, etc.
D’autre part, il y a des paroles et des regards qui tuent la personne dans son appellation administrative et qui la ravalent à un attribut médiatique ; ne parlons pas des chômeurs, avec les neufs catégories de chômeurs et tous les termes qui vont avec, entre autres : « le chômeur est un fainéant », « le chômeur travaille au noir ».
La personne cataloguée de cette façon perd tous ses autres attributs, qui eux sont positifs : amabilité, courtoisie, etc. Maintenant, si nous en restons à ce niveau, on peut dire que dans la faiblesse pointe en filigrane la notion de force, et, cette fois, ce n’est pas que l’apanage des gens dits « normaux » et des forts parmi les « normaux ».
La force peut se trouver chez les dits « faibles », ceci dans une relation quasi dialectique. La force, c’est l’apanage de tous. Dans son livre La raison du plus faible, le professeur de biologie Jean-Marie Pelt laisse poindre une problématique dans la typologie du fort et du faible. Il l’établit ainsi : « Le faible « galère » et accumule les épreuves. La souffrance est sa compagne. Il ne s’y accoutume pas, car elle reste toujours douloureuse ; mais il s’en fait une raison et il l’apprivoise comme une part incontournable de lui-même. Comme le roseau, il plie et c’est aussi ce qui fait sa force. Le fort, au contraire, est sûr de lui. Il s’impose sans complexe et se durcit au fur et à mesure de ses « expériences » […] Comme le chêne, son modèle, il se blinde. Mais le temps joue contre lui. Cette force qui ne l’a jamais quittée, il la sent insidieusement se dérober, elle semble lui échapper. […] Mais où se niche la faiblesse du fort ? Peut-être dans le fameux adage : Quand on veut, on peut ». Donc, il s’épuise, « Mais confronté à une épreuve soudaine et sévère, le fort s’effondre, se casse comme le chêne déraciné par la tempête. »
Pour compléter, j’ai choisi deux autres points de vue. Dans Le cœur conscient, Bruno Bettelheim nous raconte le procédé qui lui a permis de survivre dans un camp de concentration. Avec une vingtaine de prisonniers, il est allé se faire soigner au dispensaire du camp, pour des engelures. C’était une question de vie ou de mort ; les engelures étaient synonymes d’amputation et de mort prochaine si le mal n’était pas stoppé. Ses compagnons décidèrent d’une stratégie particulière. Pour eux, les SS se ressemblaient et étaient également haineux et stupides. La seule tactique valable consistait à les émouvoir en faisant état de leur participation avec l’Allemagne à la Première guerre mondiale ou en soulignant que leurs blessures étaient graves ou en essayant de bluffer. Cette façon de procéder déclencha la colère du SS responsable du dispensaire et il refusa de les soigner, sans exception. Bettelheim, sous les regards courroucés du SS, invoqua le travail qu’il ne pouvait réaliser à causes de ses chairs mortes. Séance tenante le SS essaya de les lui arracher, mais n’y parvint pas. Il s’adressa au premier infirmier qui les coupa. Bettelheim s’en alla, mais fut rappelé par le SS qui lui demanda pourquoi il ne se faisait pas soigner. Bettelheim lui répondit qu’il avait demandé un service et il lui avait été rendu. Le SS, surpris par cette réponse, le fit soigner. Décidemment, Bettelheim ne rentrait dans son stéréotype du juif et il lui accorda une carte de soins permanents. Bettelheim pu survivre, car il avait tenu compte de l’éducation du SS, de son stéréotype du juif rusé et de tout ce qui était distillé par la propagande nazie. En outre, le statut du SS faisait référence à l’obligation de réfréner ses émotions, à l’obligation d’être un homme fort, un dur, un vrai. La stratégie des prisonniers était vouée à l’échec, car elle était susceptible de provoquer un conflit de conscience du SS, d’où sa colère et sa méfiance. Seule, celle qui consistait à se référer aux faits, aux engelures, à l’impossibilité de travailler, et à rien d’autre, était susceptible de connaître un déroulement meilleur.
Le second point de vue est donné par le philosophe Alexandre Jollien avec son livre Eloge de la faiblesse. Il reprend un peu les points développés par Erving Goffman concernant les stigmates en se servant de sa propre expérience. Infirme moteur cérébral (IMC) à la suite d’un accident de naissance, Alexandre Jollien ne pouvait pas marcher normalement ; en fait, il était lourdement handicapé. En dehors de tous les pronostics et avec une énorme volonté, il a réussi à marcher et même à faire du vélo, puis à faire des études, à rentrer à l’université. Il fait preuve dans ses écrits non seulement d’intelligence, mais aussi d’humour, en démontant les stéréotypes. Il dit que c’est du fond de cette faiblesse du handicap qu’on peut analyser les attitudes et les réactions d’autrui. Il parle de ce besoin d’être reconnu qui n’est jamais assouvi, et, en référence à Jean-Paul Sartre et son œuvre Huis-clos, il parle du risque d’être réifié, c’est-à-dire chosifié ; cette réification réduit l’autre à un attribut, ne voit en lui qu’une qualité ou un défaut et pétrifie en bloquant toute évolution. « Il faut accueillir », dit-il, « son handicap comme un cinquième membre », cette partie incontournable de soi-même, qui, si on ne veut pas en entendre parler, si on veut la fuir, fait qu’on est comme amputé de soi. C’est du fond de ce handicap qu’il peut puiser cette force qui va l’amener à s’intégrer dans ce monde des « normaux ».
Débat : G La faiblesse existe sous différentes formes. Elle peut être d’ordre physique, elle peut être d’ordre psychologique, elle peut être d’ordre économique, ou politique, ou encore social. Il y a faiblesse de caractère, faiblesse d’esprit, faiblesse de cœur. On ne va pas oublier cette expression qui dit que : « La chair est faible » et vous nous direz peut-être s’il faut craindre cette faiblesse. Plus sérieusement, on considère que la faiblesse est une part de notre humanité, de notre condition d’homme ou de femme. Je crois que je me méfierais d’une personne qui pourrait affirmer n’avoir jamais ressenti la faiblesse.
Montrer sa faiblesse peut mettre en danger. Lorsque j’étais enfant, j’ai été élevé un peu « à la dure », avec des expressions comme par exemple : « un garçon, ça ne pleure pas », il faut être fort. Alors, on cache ses faiblesses, on est fort, mais, au fond de soi, restent des faiblesses et des chagrins ravalés. Suivant notre tempérament, on va dépasser, vaincre sa faiblesse pour se sauvegarder, ou alors, de maintes façons, on va être rattrapé, victime de cette faiblesse ; on ne va pas la dépasser et l’évacuer.
D’autre part, la faiblesse est d’ordre économique et social. Autrement dit, celui qui ne peut pas décider de ses choix de vie dans certains domaines, parce qu’il est économiquement totalement dépendant, est dans un grand état de faiblesse. Cette faiblesse va l’obliger à obéir à des ordres parfois ineptes, accepter des compromis et des situations qui ne lui plaisent pas, avec le risque d’une propre dépréciation de soi.
Revenant au philosophe Alexandre Jollien, il nous donne une approche de la faiblesse pleine d’enseignement avec son livre Eloge de la faiblesse. Après avoir vécu 17 ans en centre spécialisé, il a surmonté une grande partie de ses handicaps pour accéder aux études supérieures, entrer à l’université, devenir un philosophe helléniste reconnu. Il est aujourd’hui marié et père de famille. Dans son livre, il dit à la page 53 : « Il ne faut pas fuir le handicap. Regarde le mien, il faudrait que je sorte dans la rue emballé dans un sac poubelle ! Très vite, j’eus l’intuition qu’en fuyant le handicap, on s’isole. […] Pour ce faire, la connaissance de ses faiblesses me semble primordiale… » Alexandre Jollien nous dit que n’avons pas l’obligation d’être des héros, d’être des champions : « J’ai abandonné l’idée d’être Maradona. »
Par ailleurs, la faiblesse peut être transformée en force. Dans La filiation de l’homme, Darwin nous dit que, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas toujours les plus forts qui se perpétuent. La faiblesse fut un avantage, car la société des plus faibles aiguisait l’instinct de sympathie et la nécessité de s’entraider, et de là résister et procréer. Il se peut que Neandertal n’ait pas eu cette aptitude à la sympathie, à la solidarité, et que c’est Homo sapiens qui, moins individualiste et avec sa faiblesse, a gagné la « bataille » biologique. (Message politique ?)
G La faiblesse peut être une force ! Oui, j’y adhère. Je pense aux enfants handicapés (moteurs ou cérébraux) qui naissent dans une famille de plusieurs enfants. Dans ce cas, c’est l’enfant handicapé qui est le plus choyé parce que c’est le plus fragile.
Dès qu’on voit un enfant en danger, toutes les mères se précipitent ; c’est un reflexe naturel de protéger le plus faible.
On a utilisé l’expression « un garçon ça ne pleure pas » ; moi, on me disait : « une fille, ça na fait pas ça, ça ne fait pas ça non plus ! » J’ai ressenti alors la faiblesse d’être une fille et j’aurais aimé être un garçon. Au final, ça a été une force ; à un moment donné, je me suis dit que j’aurai autant de droits qu’un garçon, ce qui m’a amenée à être féministe.
G Craindre la faiblesse, dit la question ; mais, si c’est génétique, doit-on craindre cette faiblesse ? Au niveau de la force physique, on ne choisit pas. Quand au plan moral, ça je n’en sais trop rien ; c’est plus nuancé.
On a aussi des personnes qui confondent la force avec ce que j’appelle la vitalité.
Par ailleurs, toujours à cause d’une éducation, je garde de mes origines corses une certaine force de résistance, où tout ce qui est obstacle peut être à l’origine d’une force, une force qui se crée et qui, là, peut développer une imagination incroyable pour sortir de contextes qui ne sont pas favorables, et il va falloir trouver des tas de réponses, et même se coltiner à la réalité, ce qui peut donner de la force.
Enfin, pour moi, on peut être faible, au sens non plus de la vitalité, mais faible par passivité ; passivité qui va parfois jusqu’à se taire. Je n’en peux plus « d’ouvrir ma bouche » quand les gens vous bousculent sans s’excuser. On ne lutte plus et j’assimile cette faiblesse à de la lâcheté, du renoncement.
G Revenant à la question initiale, je dirai que ça dépend beaucoup de quelle faiblesse on parle. Je pense que, parfois, on doit d’autant moins la craindre qu’elle peut nous faire avancer, et c’est ce qui a fait l’homme. Le fait qu’il n’ait pas eu la force physique nécessaire, lui a permis de trouver des expédients et il a développé des stratégies de survie. Quand on est dans un contexte difficile, dans un environnement hostile, on est en position de faiblesse, alors on imagine, on imagine des moyens de s’en sortir. Bien sûr, il y a des faiblesses qu’on peut craindre, par exemple la faiblesse envers soi-même, telle la crise de flémingite aigüe ; là, on a plus de se difficulté à se battre contre soi-même. Enfin, s’il est une faiblesse qu’on peut craindre, c’est quand on se laisse manipuler, quand d’autres vous culpabilisent.
G On a parlé de l’attitude des parents vis-à-vis des enfants handicapés, sujets des plus importants. Alexandre Jollien sur ce sujet parlent des mères qui couvent avec excès leur enfant, et même des mères qui vont jusqu’à nier le handicap. Par contre, il évoque ces mères qui sentent lorsque l’enfant est prêt pour un progrès ; elles le laissent prendre des risques, même sous les regards désapprobateurs. Les enfants handicapés qui progressent ont souvent des parents admirables, sinon ils n’auraient pas pu.
Quant à l’aspect génétique ou inné, cela fait des années que l’on se « crêpe le chignon » là-dessus avec des expériences comme séparer des jumeaux dès la naissance pour faire des études de personnalité.
G Force et faiblesse, pour moi, ne sont pas des ennemies. Je les compare à des sœurs jumelles très proches l’une de l’autre, qui jouent parfois à interchanger leur identité en fonction des situations ; pour ça, je prends le savoir et le pouvoir, et, là, je parle de la faiblesse morale, de la faiblesse comportementale ou intellectuelle, pas de la faiblesse physique. Ne pas savoir s’opposer à l’autre ou aux autres alors qu’on estime que c’est nécessaire, c’est une faiblesse. C’est le plus souvent la marque d’une indulgence excessive, d’un manque de pouvoir décisionnaire, manque d’assurance de soi. Ne pas vouloir s’opposer dans une discussion, dans un conflit, ce n’est pas toujours de la faiblesse, cela peut être du bon sens, parfois même une force de conscience ; on s’abstient pour ne pas mettre de l’huile sur le feu et, par là, aggraver la situation. Bref, le plus souvent, c’est une marque d’indulgence excessive, mais, ne pas vouloir s’opposer dans une discussion, un conflit, ce n’est pas de la faiblesse, c’est du bon sens ou de la sagesse.
G On a évoqué le comportement de mères face à la faiblesse de leurs enfants. Je recommande le magnifique film Vas, vis et deviens de Radu Mihaileanu (2005). En regard d’une très grande faiblesse économique et sociale, c’est le sacrifice de la mère qui envoie son enfant dans la vie.
G On ne peut pas, bien sûr, éliminer la faiblesse en tant que ruse ou encore la faiblesse feinte. Ce peut être pour abuser de la bonté, de la naïveté d’une personne, et, par là, essayer de la duper. Ce peut être aussi une arme pour se défendre. Ce qui est illustré par cette fable de Jean de La Fontaine :
Quand la perdrix
Voit ses petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l’aile,
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;
Et puis quand le chasseur croit que son chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit.
La ruse comme stratégie pour échapper au danger a été observée chez d’autres animaux. On a souvent attribué aux femmes, au sexe dit faible, cette aptitude à transformer la faiblesse en arme, puisque n’ayant pas la force physique, pas toujours les moyens décisionnaires, elles se trouvent mises en état de faiblesse par rapport aux hommes et elles doivent alors inventer et développer des parades, des stratégies compensatrices.
G Revenant à Alexandre Jollien, vaincre la faiblesse, c’était, pour lui, parvenir à l’intégration, et aussi agir contre les regards condescendants de ses camarades d’école. Un jour le professeur pose la question : « Est-ce que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets ? » Alexandre Jollien répond le premier : « Non ! Car, si je tombe dans l’escalier, je peux me casser un tibia ou je peux m’en casser deux », et il ajoute : « Je parle en connaissance de cause.» Là, toute la classe se met à rire. A partir de là, les attitudes, les regards changent, c’est parfois par l’humour, dit-il, que j’ai pu compenser ma faiblesse.
Le poème de Florence : Doit-on craindre la faiblesse ?
Je n’ai plus peur de la faiblesse
Depuis que je fais du judo
J’ai pris la voie de la souplesse
En me prenant pour un roseau
Depuis que je fais du judo
Ma défaillance est une richesse
En me prenant pour un roseau
Je cultive ma petitesse
Ma défaillance est une richesse
Parce que la ruse est mon credo
Je cultive ma petitesse
Je suis le roi d’Eldorado
Parce que la ruse est mon credo
J’ai mis les plus puissants en laisse
Je suis le roi d’Eldorado
Je n’ai plus peur de la faiblesse
Je n’ai pas de crocs
Mais j’ai le mot qui chante
Je suis en grand escroc
J’ai la vanité trébuchante
Mais dans le grand capharnaüm
De la création que le rêve enchante
Ma faiblesse m’a fait homme.
G Quelquefois, la faiblesse, chez certaines personnes, peut se traduire par de la méchanceté. Il ne faut pas s’imaginer que tous les faibles sont gentils et que tous les forts sont des méchants. On a tous ses faiblesses ; par exemple, il y a des individus qui sont bagarreurs, d’autres qui ne veulent pas aller au conflit inutilement et cela peut être interprété comme faiblesse de caractère. Donc, parfois, les autres vous obligent à vous battre contre votre propre faiblesse, car « qui ne dit mot consent », et il faut réagir, se faire violence, pour ne pas se laisser enfermer dans quelque chose qu’on ne veut pas.
Nous voyons parfois des adolescents qui deviennent de plus en plus violents, agressifs lorsqu’ils se trouvent en bande. Individuellement, ils sont faibles ; ils ne se sentent forts qu’au sein d’un groupe.
G Je trouve que la définition de « la faiblesse » n’a pas été très bien précisée, limitée, bornée, et, de ce fait, on dérive parfois. D’autre part, on a évoqué la faiblesse qui devient méchanceté ; ce peut être une manifestation de la souffrance. La faiblesse peut être très subtile et on ne peut absolument pas l’assimiler au handicap. Par ailleurs, ce n’est pas forcement de la faiblesse que de ne pas se rebeller. Face à une société de mépris, cela peut être prendre un peu de hauteur.
G Beaucoup de gens sont faibles. Certains le sont par défaut, les autres de par leur situation sociale. Le faible n’existe que par défaut ; il lui manque toujours quelque chose. Incapable de donner forme à sa propre vie et de rayonner alentour, il a besoin de suivre le mouvement, de poursuivre quelque chose ou d’imiter quelqu’un. Il pourra très bien prendre à l’occasion le ton du commandement, crier très fort pour faire illusion. Il endossera avec empressement l’uniforme. Les faibles ont toujours un goût naturel pour la discipline militaire, pour celle des couvents, où ils imaginent à tort que la pratique de la vertu d’obéissance les dispense de la vertu de force. Ils ignorent que la vertu de force est l’âme, l’esprit de toutes les autres vertus.
Tout ce qui est fait dans la faiblesse échoue, hélas ! Hélas, pour les plus malheureux, pour les plus pauvres, pour ceux qui sont souvent isolés. Souvenez-vous de cette phrase de Van Gogh à la fin de sa vie : « On perd toujours quand on est isolé ».
G On n’est pas forcement responsable de sa faiblesse et on n’est pas maître de ses faiblesses. On a ses points faibles. Un jour, je me suis retrouvée dans une manifestation ; devant nous, il n’y avait que des « uniformes bleus » ; j’avais peur, je me sentais faible. Puis, on s’est donné le bras et je suis restée ; j’ai dominé ma crainte. On ne peut pas éviter ses faiblesses, il faut faire avec, s’en accommoder.
G Tant qu’on peut s’accommoder de la faiblesse ou faire avec, on n’est pas vraiment dans la faiblesse. Pour moi, la faiblesse, c’est quand on n’arrive plus à la dominer, à la contrôler. Sinon, c’est qu’on a trouvé une force en soi.
Dans le cas d’une dépression nerveuse, par exemple, tout à coup, c’est la chute ; et là, on ne se reconnaît pas. Pour entreprendre quelque chose tout devient compliqué ; on n’a plus de certitude ou on ne sait plus si on a bien fait de s’engager dans telle ou telle cause. La faiblesse, c’est quand on n’a plus en soi les réponses, les solutions. Il faut alors aller les chercher ailleurs ; c’est une situation de faiblesse qui peut durer un certain temps. Il restera pour le moins cette force, qui est de savoir qu’on peut être faible, une force qui permet de dire, à un moment donné : si je suis faible, ce n’est pas grave ; en m’orientant autrement, en faisant autre chose, je peux passer à autre chose, sans être calé sur une idée moniste.
Mais, c’est l’histoire du homard qui, entre deux mues de sa carapace, est nu et vulnérable.
G On l’a souvent rappelé, nul n’échappe à la faiblesse ; pour cela, je la crains, je la redoute.
Je redoute la faiblesse qu’apporte la vieillesse, la dépendance qui fait que nombre de décisions pour nous-mêmes nous échappent (je ne me voile pas la face) et que l’on peut être la victime « d’abus de faiblesse ». Bien sûr, avec la vieillesse, nous retournons à un état de faiblesse et de dépendance que nous avons déjà vécu en bas âge, mais le bébé n’est pas faible, car il est protégé par la présence, la force, l’amour des parents.
J’ai longtemps redouté la faiblesse de ma timidité. Combien d’années faut-il à un timide pour oser s’exprimer devant un groupe qu’il ne connaît pas ou dont il craint le jugement. Cette timidité est un redoutable handicap. Combien de fois une idée que je n’osais pas, par timidité, exposer en réunion, fut reprise au profit de celui à qui je m’en étais ouvert. Je redoute la faiblesse des hommes qui par un désintérêt de l’autre, par individualisme, vont accepter d’être soumis, gouvernés contre leur volonté, contre leur intérêt commun. Ceux-là même, en « moutons de Panurge », peuvent épouser l’idée dominante jusque dans des folies inhumaines. La « faiblesse » de l’humanité, c’est l’humanisme, c’est la compassion, c’est l’amour des autres.
Je redoute la faiblesse dans lesquels nous entraînent les accidents de la vie. Si la philosophie, disons-nous souvent, c’est « construire son projet de vie », comment le faire lorsque la vie vous a donné des grandes claques, qu’elle vous a tellement démoli qu’on n’arrive plus à se reconstruire soi-même ?
Et enfin, pour anecdote, la faiblesse est presque parfois marquée du sceau de la honte, ridiculisée. Nous avons tous vu au moins une fois cette émission qui s’appelait Le maillon faible*, cette compétition où celui qui était éliminé avait droit à des commentaires les plus désobligeants, redoutables, comme : « Qui a le cerveau de Rintintin et néglige de s’en servir ? » * (Jeu télévisé sur TF 1 de 2001 à 2007)
G Nous avons tous vu ces émissions animalières où les lions ou les tigres qui chassent observent un troupeau et, très vite, repèrent l’individu plus faible, celui qui s’éloigne du groupe ; celui-là sera la première victime. De notre état de nature à nos jours, celui qui est isolé, celui qui fuit la solidarité, reste une victime choisie.
G Le faible n’est pas forcement responsable ou coupable de sa faiblesse, de même que le fort qui le soumet n’est pas irresponsable ou innocent de sa violence. C’est-à-dire que dans une situation bourreau/victime, la victime est toujours la victime, le bourreau est toujours le bourreau. Il ne s’agit pas de dire que la victime a une attitude qui fait d’elle une victime. Il faut détruire cette relation perverse entre bourreau et victime et savoir replacer les torts à leur place.
G Dans les contes de tous les pays, on retrouve l’histoire du petit qui bat le plus grand, du faible qui va vaincre le plus grand. C’est David et Goliath, c’est Kirikou, ce sont les petits qui par la ruse, par le nombre, gagnent sur les plus forts, comme les Lilliputiens dans Gulliver.
Quelques citations entendues lors du débat :
« C’est la force et la liberté qui font les excellents hommes. La faiblesse et l’esclavage n’ont fait jamais que des méchants. » (Jean-Jacques Rousseau. Rêveries du promeneur solitaire)
« La menace du plus fort me fait toujours passer du côté du plus faible. » (Chateaubriand)
« La force de ceux qui gouvernent n’est réellement que la faiblesse de ceux qui se laissent gouverner. » (Paul Raynal)
« Tu seras aimé, le jour où tu pourras montrer ta faiblesse sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. » (Cesare Pavese)
Œuvres citées :
Livres :
La raison du plus faible. Jean-Marie Pelt. Fayard.
Le cœur conscient. Bruno Bettelheim. Hachette littérature.
Eloge de la faiblesse. Alexandre Jollien. Marabout.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe. Charles Darwin (1871).
Editions Syllepse. 1999.
Film :
Vas, vis et deviens. Radu Mihaileanu (2005).
(DVD disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
En outre, roman recommandé par un participant :
Rue des voleurs. Mathias Enard. Actes sud.
(De Tanger à Barcelone, l’aventure du jeune Lakhdar confronté à tous les soubresauts de notre société et en plein dans notre actualité. De ces œuvres qui vous laissent leur trace.)
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)