Penser ou agir, faut-il choisir?

Restitution du débat du Café-philo du 11 février 2015 à Chevilly-Larue

Le penseur. Auguste Rodin. 1902. Musée Rodin à Paris.

Le penseur. Auguste Rodin. 1902. Musée Rodin à Paris.

Animateur : Guy Pannetier.

Modératrice : France Laruelle
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Si nous retrouvons dans cette question la même formulation que « boire ou conduire », il n’y a pas injonction de choisir. Penser et agir ne semblent pas dissociables à priori. Ce qui ne va pas nous empêcher de réfléchir à toutes les situations possibles, à celles où l’on va se consacrer plus à la réflexion qu’à l’action et à celles où va primer l’action. Nous devons envisager dans cette question ce qui va déterminer qu’on privilégie la réflexion ou l’action. Cela peut être propre à l’individu, dépendant de son tempérament, voire d’une certaine force de caractère. Comme l’a dit Gustave Le Bon : « Les volontés faibles se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes. » Mais on sait aussi que ce sont très souvent les situations qui vont déterminer si l’on privilégie l’action à la réflexion. Bien  malins ceux qui pérorent après sur ce qu’il aurait fallu faire au moment des choix.
Dans ce domaine, ceux qui nous exaspèrent le plus sont les discoureurs. Le discours souvent n’engage en rien ou il meuble l’incapacité d’agir, car c’est à partir d’actes, et non seulement de réflexions, que se construit un monde. « Le charpentier », écrit le stoïcien Epictète, « ne vient pas vous dire : « Ecoutez-moi disserter sur l’art des charpentes », mais il fait son contrat pour une maison, la construit et montre par là qu’il est charpentier. »
Puis nous avons les indécis, ceux qui, voulant si bien faire, recherchent tant la perfection et ceux qui ont si peur de ne pas faire le bon choix qu’ils n’arrivent pas à se décider. Cela est imagé avec l’histoire de l’âne de Buridan qui déjà se posait la question : penser ou agir, faut-il choisir ? Choisir entre la bassine d’eau ou le picotin d’avoine ? Et finalement l’âne mourrait de faim et soif, non par faute d’avoir réfléchi, mais faute d’avoir pu choisir.
Un autre philosophe stoïcien, Sénèque, nous disait qu’il fallait parfois oser prendre le risque de l’échec : « Nous ne pouvons attendre pour agir que nous ayons la compréhension absolument certaine de toute la situation. Nous allons seulement par le chemin dans lequel nous conduit la vraisemblance. Tout devoir [officium] doit aller par ce chemin : c’est comme cela que nous semons, que nous naviguons, que nous nous marions, que nous avons des enfants. En tout cela, le résultat est incertain, mais nous décidons néanmoins à entreprendre ces actions au sujet desquelles, nous le croyons, on peut fonder quelque espoir…Nous allons là où de bonnes raisons, et non la vérité assurée, nous entraînent. »
Si nous réfléchissons un instant sur les grandes décisions que nous avons dû prendre au cours de notre vie, nous pouvons être amenés à penser que, parfois, un peu plus de réflexion aurait peut-être changé totalement le cours des choses. Mais on peut aussi admettre que certaines actions, certains choix qui ne seraient pas spontanés, qui ne ressortiraient que de la seule raison et non de sentiments, de certaines de nos émotions, feraient une vie sans aucune fantaisie.

Débat : G Il faut peut-être définir ce qu’on entend réellement par « penser ». Les spécialistes sont d’accord pour dire que les animaux pensent. Si je prends une meute de chiens qui suivent une proie, il y en a qui suivent la bête et d’autres qui coupent, en anticipant. Donc, cela nous pose une autre question : est-ce qu’on peut penser sans agir ? Pour cela, il faut vraiment définir ce verbe agir. Comme autre exemple, je prends l’astrophysicien paraplégique Stephen Hawking, qui, depuis les années 2000, communique et pilote un ordinateur grâce à un système mesurant les frémissements du muscle de la joue. Il a écrit plein de bouquins et fait des découvertes sur les trous noirs dans l’espace. Il arrive à sortir sur l’ordinateur cinq mots à la minute. Alors, est-ce que cela s’appelle agir ? Il produit de la connaissance, mais il ne fait que penser. La notion d’action dans son cas n’existe pas et on ne peut pas tout à la fois dire qu’il n’agit pas.

G Dans le cas de Stephen Hawking, l’action n’est pas physique, mais il y a, par l’analyse des frémissements de la joue, une interprétation qui génère un effet agissant.

G Le dictionnaire Larousse donne comme définition du mot  « agir » : « C’est un fait, une faculté d’agir qui exprime sa volonté en accomplissant quelque chose par opposition à la pensée ou à la réflexion. Se mettre en action, c’est réaliser un acte et être conscient de ce que l’on fait. » Donc, pour l’exemple de cet astrophysicien paraplégique, de par son niveau d’intelligence, il est conscient d’agir.

G Nous avons des pensées passagères, fugaces, puis il y a la pensée réfléchie, la réflexion dans un but précis. La première (la pensée passagère) est très près de la rêverie ; elle mobilise parfois l’esprit et il faut en sortir. Mais à partir du moment où l’on dirige sa pensée, on récupère la maîtrise. Alors, nous avons, par exemple, ce cas d’une personne qui tombe ; nous avons tout de suite (pour la plupart d’entre-nous) le réflexe d’aller vers cette personne pour l’aider. Mais si la chute est grave, alors peut-être ne faut-il pas tenter de relever la personne, pour ne pas aggraver son cas.
Donc nous avons une pensée/action immédiate, puis nous avons une pensée/action réfléchie.

G Parler, c’est l’action de la pensée ; encore faut-il avoir les outils nécessaires pour exprimer cette pensée.

G Réfléchir, c’est analyser une situation, peser le pour et le contre en vue de faire quelque chose au mieux.
Revenant à l’aide spontanée à une personne qui tombe, c’est une pensée réactive. C’est comme si on était tombé soi-même ; on porte secours à cet autre moi, c’est instinctif, c’est un réflexe empathique.

G Dans la plupart des cas, on se dit qu’il vaut mieux penser avant d’agir, mais les deux sont complémentaires. Parfois, le temps de la réflexion n’est pas donné ; il faut agir dans l’urgence. Par exemple, dans le cas d’une personne qui se noie sous nos yeux ou d’un incendie, on est dans la pulsion ; on y va carrément ! Mais si on attend ne serait-ce qu’un peu, si on réfléchit un instant, on n’y va pas !
Dans un tout autre domaine, moins rationnel, l’amour, la réflexion n’a pas sa place, mais parfois il faut pourtant choisir entre deux options. L’amour entre un homme et une femme est souvent irrationnel, non raisonné ; on ne réfléchit pas pour tomber amoureux (ou amoureuse). On ne se dit pas : « Tiens ! Il serait bien pour moi ! » Les sentiments, l’impulsion, priment sur la réflexion, sur la pensée raisonnée, et là, on y va, même si on doit faire taire une petite voix qui nous dit qu’on fait peut-être une bêtise.

G Je reviens sur le passage de la pensée à l’action pour aider quelqu’un en péril. Il y a chez les personnes des tempéraments différents. A partir d’une même saisie de la situation, d’une pensé identique quant au constat, l’égocentrique n’agira pas comme celui qui est animé par un sentiment d’altruisme et qui est plus prompt à l’empathie.
Mais si toutes nos actions, n’étaient qu’actions mûrement réfléchies, la vie serait tristounette. Le risque d’erreur, cela donne aussi du piquant.

G Dans une situation donnée, l’action va demander l’analyse des faits, des données, puis l’esprit va décider de l’action, sauf à ce qu’il soit programmé (éducation, milieu, croyances),  sauf à ce que la décision ne soit pas qu’une procédure, réflexe de Pavlov, où le résultat de nombres d’actions extérieures, le logiciel l’ayant conditionné pour réagir ainsi. Comme nous le rappelle Spinoza : « A quoi bon vouloir, si toute pensée est esclave.  Nous sommes conscients de nos désirs, mais nous en ignorons ordinairement les causes. »
Certains d’entre nous sont moins enclins à faire précéder leur action de la réflexion ; pour ces derniers, les usages, les coutumes, les principes  normatifs, les règles sociales ou religieuses, les préjugés, sont d’autant plus la voie qu’ils suivent, qui les guide, et cela les dispensera dans bien des domaines de devoir faire des choix qui les engageraient. On peut entendre alors : « On a toujours fait comme cela ! C’est l’usage ! Ma religion me le dit ! »
Dans Idées et Croyances, le philosophe espagnol Ortega y Gasset, nous dit : « … ils se sont retrouvés devant un choix proposé, une opinion toute faite qui passait devant eux et ils l’ont pris comme d’autres prennent un autobus. » Force est de constater que l’action ne naît pas toujours d’une réflexion, d’où parfois des actes conséquents à partir de choix inconséquents.

G Quand il y a nécessité d’agir vite et de réagir, là, on trouve deux sortes de personnes : celles qui réfléchissent tout le temps et puis celles que se disent : « Qu’est-ce qui est le plus efficace ? » Cela peut demander trois à cinq secondes, mais cela peut tout changer. Il y a des personnes pour qui l’urgence peut avoir une certaine élasticité.

G Quelle que soit la volonté d’action, nous savons que nous n’avons pas fait tous les choix. L’écrivain argentin José Luis Borgès écrivait : « C’est la porte qui choisit ! », autrement dit, le destin. C’est dans les voies qui nous sont offertes que nous nous engageons, ce qui revient à dire que des circonstances ont prédéfini les possibilités.
Au-delà de cet aspect, choisir, pour certains, pose vraiment problème. « Choisir, c’est quitter ! », ai-je souvent entendu ; c’est renier tout à coup tous les choix qui s’offraient à nous, c’est abandonner tout à coup toutes les options qu’on avait pour ne rester qu’avec notre choix.
Dans Les nourritures terrestres, André Gide écrit : « … l’incertitude de nos voies nous tourmente toute la vie. Que dirai-je ? Tout choix est effrayant quand on y songe, effrayante une liberté que ne guide plus un devoir. C’est une route à élire dans un pays de toutes parts inconnu, où chacun fait «  sa » découverte, et ne la fait que pour soi. De sorte que c’est la plus incertaine trace […]. Et tu seras pareil […] à qui suivrait pour se guider une lumière, que lui-même tiendrait en sa main. »

G Chez Descartes, le mot penser enferme tous les phénomènes de l’esprit : « c’est une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui veut ou qui ne veut pas, qui imagine, qui sent… »

G Dans la tragédie d’Eschyle Agamemnon, lorsque celui-ci rentre de la guerre de Troie, son épouse Clytemnestre, l’ayant remplacé en son absence, va le tuer, aidé dans cette tâche macabre par son amant Egisthe. Alors qu’elle est en train de tuer son mari, les vieillards (les sages de la cité) se concertent :
«  Quand ils entendent le roi crier sous les coups de hache de Clytemnestre, ils essaient de se concerter pour pouvoir lui porter secours ; mais il y a autant d’avis que de consultants :
– Allons, essayons de nous concerter entre-nous.
– Ce n’est pas le moment d’hésiter.
– Avant d’agir, il faut d’abord délibérer.
– Tel est mon sentiment.
– Il faut être bien renseignés avant d’agir.
–  Je me range à cet avis. […]
Les gestes héroïques ne sont plus de leur âge […]. »
Les sages ont tant délibéré que, bien sûr, Agamemnon est, irrémédiablement mort !

G Nous voyons devant nous des personnes qui refusent de réagir devant des situations conflictuelles ; pour eux, suivant l’expression, « il est urgent d’attendre ! », « il est urgent de ne rien faire ! », autrement dit : « Attendons de voir comment le vent va tourner. » L’expression peut être utilisée lorsque la situation a besoin d’être décantée, qu’il faut plus d’éléments pour juger et agir. Puis, ce peut être une formule échappatoire lorsqu’on ne veut pas se prononcer, qu’on ne veut pas agir ou qu’on veut laisser pourrir une situation, une grève, un conflit social.

G Normalement, la pensée scientifique évolue à partir d’hypothèses qui vont ensuite se confirmer ou pas. Néanmoins, beaucoup de découvertes ont été le fruit du hasard, voire d’erreurs. Elles n’ont pas été précédées de la réflexion, une action sans pensée dirigée. Parfois, le hasard est acteur.

G En fait, je ne suis pas d’accord avec cette façon de voir la chose par ce hasard, cette erreur de manipulation. S’il n’y avait pas eu auparavant la pensée scientifique, elle n’aurait jamais pu être constatée et utilisée. Le scientifique se trouve alors devant une incise qui va amener la réflexion : qu’est-ce qui s’est passé ? Le hasard en science, c’est rare. Si on ne sait pas les causes d’un effet, on ne peut rien en tirer. Dans les découvertes, il y a aussi, le génie de l’intuition, mais, c’est là le résultat d’une pensée non consciente. Le cerveau parfois continue à réfléchir de son côté et un matin : « Euréka ! » J’ai trouvé ! Il y a une recherche classique, consciente, mais il y a la pensée qui flotte.

G Dans un film récent « I Origins » , une jeune chercheuse s’est engagée dans une tâche immense. Son chef de laboratoire lui dit : « On peut chercher comme ça toute une vie et ne rien trouver. » Ce à quoi, elle répond : « Déplacer des montagnes et ne rien trouver, c’est déjà un progrès. » Comme la réflexion scientifique, lever le doute fait avancer  la science.

G Hannah Arendt a écrit dans La vie de l’esprit que le simple fait de penser est en lui-même une entreprise dangereuse, mais que ne pas penser est encore plus dangereux.

G Dans une nouvelle d’Anatole France, l’auteur revoit un ami ancien ; ce dernier lui tend la main et, là, l’auteur relate avec force détails tous les souvenirs que sa mémoire réveille, tous les souvenirs qu’il a avec cette personne ; trois pages plus loin, il lui serre enfin la main.

G Lorsqu’ il nous faut mettre par écrit nos pensées, ces pensées qui surgissent parfois en cascades, ces pensées peuvent nous échapper avant que nous ayons pu les fixer. Ce qui nous montre que le temps de la pensée est bien différent du temps de l’action ; il faut bien plus de temps pour les transcrire.

G A priori, face à cette question, pour moi, penser et agir allaient ensemble, et puis, j’ai réalisé que, parfois, j’ai agi et pensé après.

G A « penser ou agir », je préfère : « penser et agir », parce qu’à trop tergiverser, on ne fait rien, et les indécis trouvent souvent des faux-fuyants, ce qui peut s’apparenter à de la lâcheté.

G Pour que penser sans agir soit de la lâcheté, il faut qu’il y ait intention et décision de ne rien faire. Mais, parfois, les gens qui décident de ne rien faire n’ont pas décidé, ni de faire, ni de ne pas faire : ils s’abstiennent ; c’est une sorte de démission, un évitement, une sorte d’aboulie ; on emploie aussi le terme moins courant de pusillanimité.

G Il est des hommes qui sont plus d’action que de pensée. Parfois, de grands hommes dans l’Histoire se sont appuyés sur des conseillers, ceux qu’on a nommés des éminences grises, qui analysent, qui préparent des discours, qui étudient des dossiers, mais qui ne pourraient sûrement pas mettre en action leurs pensées, prendre la parole en public, affronter la presse.

G Le poème de Florence :

Penser ou agir, faut-il choisir ?

J’ai trop pensé, sur l’epsilon
J’ai trop gratté sur des idées en fraude
Ya plus de jus, je m’en tamponne
Et quand j’écris, c’est pour m’taper des laudes
Je reste assis en tour d’ivoire
Pour me bouger faudra beaucoup d’espoir
J’ai ma conscience dans le placard
Et le concret est une autre histoire

Quand ma raison griffonne
Quand les idées bourgeonnent
Quand la pensée fredonne, donne, donne
Quand elle ne bouge pas
Quand elle freine mes pas, quand elle freine mes pas

J’ai plus la foi, depuis longtemps
Et plus d’une fois, dans les moulins à vent
J’ai pris des claques et je chancelle
A trop rêver, j’ai gardé des séquelles
Du marketing, sur le parking
Un bon lifting, je passe pour un rebelle
En speakerine, dans la vitrine
Je vends du vent et des ritournelles

Quand ma raison griffonne
Quand les idées bourgeonnent
Quand la pensée fredonne, donne, donne
Quand elle ne bouge pas
Quand elle freine mes pas, quand elle freine mes pas

G Dans la vie, voire dans les couples, il y a deux catégories de personnes. Il y a les fonceurs qui privilégient l’action sans trop se préoccuper des conséquences et qui disent : « Allez ! On y va ! On verra bien ! » Et puis, il y a les penseurs, ceux qui à force de peser le pour et le contre risquent parfois de ne rien faire du tout, de peur des conséquences.
Donc, il faudrait pouvoir être la synthèse de deux, ce qui n’est pas facile. Entre penser et agir, il y a parfois, la peur qui s’installe.
Alors, concernant ceux qui agissent plus vite qu’ils ne pensent, on dit : «  il a agi dans la  précipitation », « il a agi sans réfléchir », « il ne pensait pas à mal ». Et puis, faut-il le rappeler, souvent la passion l’emporte sur la raison.

G Voici une anecdote pour illustrer le sujet :
Le philosophe Leibniz voyageait avec un autre philosophe dans une région un peu montagneuse. Le cocher arrêta la voiture : il y avait un  glissement de terrain, la route n’était pas large. Le cocher regardait, allait et venait, observait, réfléchissait. Les deux philosophes se mirent à calculer le poids de la calèche, la force de deux chevaux, la pente, le diamètre des roues, etc., et dirent au cocher : « Après avoir fait une étude [autrement dit, après avoir mûrement réfléchi], nous pensons que nous pouvons passer. » – « Je ne veux pas passer, on va y rester ! », répond le cocher. Les deux philosophes se mirent en discussion, puis déclarèrent au cocher : « Là où le cocher ne passe pas, le philosophe ne passe pas ! » Cela nous dit que toute notre réflexion ne vaut pas, parfois, face à l’expérience de l’homme d’action.

G La pensée peut parfois ne pas être en vue d’action ; on peut se laisser porter par une pensée, une pensée rêveuse.
Penser seulement pour le plaisir et non dans un but d’agir m’évoque métaphoriquement  l’image d’un ciel nocturne merveilleusement étoilé qui offre gratuitement sa beauté à contempler sans rien attendre en retour, juste un grand bonheur. La pensée rêveuse, de temps en temps, qu’est-ce que ça fait du bien ! Le tout reste d’en sortir, bien sûr.

G J’ai lu un article qui expliquait que certaines zones du cerveau s’activaient en fonction d’un mouvement, mais qu’elles s’activaient de manière quasiment identique quand on pensait faire le mouvement et qu’on ne le faisait pas. D’une certaine manière, notre cerveau fait une distinction très faible entre la pensée et l’action ; il pense l’action et les muscles se mettent en marche ou pas. Le fait de faire ou de ne pas faire l’action de penser n’est rien comme occupation dans le cerveau. Dans le même ordre de grandeur, et c’est très amusant, c’est que cette même zone de cerveau s’active également, à un degré moindre, quand vous voyez quelqu’un faire la même action. C’est ce qu’on appelle une partie des neurones miroir. C’est ce qui fait, d’après ce que je disais, que, quand vous voyez quelqu’un devant vous qui se comporte d’une certaine manière, vous avez une idée de ce qu’il pense, parce que le fait de voir ces gestes entraîne dans votre cerveau une résonance dans les mêmes neurones qui penseraient cette action si c’était vous.

G Cela me fait penser à une expression : « Un bon bailleur en fait bailler dix ! »

G C’est un réflexe social.

G Penser peut empêcher d’agir, comme vouloir soigner une plaie chez quelqu’un et ressentir soi-même la douleur, au point qu’on ne peut plus agir.

G En 2002, Kevin Warwick, professeur de cybernétique à l’université de Reading en Angleterre, se fait greffer une puce dans l’avant-bras. La puce reçoit les informations du cerveau et communique avec lui. Lorsqu’il ouvre ou ferme sa main, la puce envoie une information sur Internet, sur un site, lequel envoie l’information à une machine munie d’une main mécanique. Lorsqu’il ouvre et ferme sa main, la main de la machine fait le même geste.
Donc, là, notre approche philosophique de « penser et agir » est sérieusement bousculée.

G Voici un conte philosophique tiré d’une nouvelle d’Anatole France, dans « La vie littéraire » pour illustrer encore notre sujet :
Un jeune roi accédant au trône convoque les savants du royaume.
– On m’a enseigné, leur dit-il, qu’en étudiant les vies des peuples, en tirant l’expérience du passé, on peut régner en faisant le moins d’erreurs possibles. C’est pourquoi je veux étudier les annales des peuples, je vous ordonne de composer une histoire universelle et de ne rien négliger.
Les savants se mirent aussitôt à l’œuvre. Au bout de trente ans, ils se présentèrent devant le roi suivis d’une caravane de douze chameaux, portant chacun cinq cents volumes (soit 6000 volumes en tout).
–  Sire, voici l’histoire universelle des hommes et toutes les vicissitudes des empires.
Le roi répondit :
– Messieurs, je vous suis fort obligé du mal que vous vous êtes donnés. Mais je suis fort occupé par les affaires de gouvernement. J’ai passé, ce que les poètes nomment le milieu du chemin de la vie, et je ne puis espérer avoir le temps de lire une si longue histoire. Veuillez m’en faire un abrégé mieux proportionné à la brièveté de l’existence humaine.
Les académiciens travaillèrent alors vingt ans de plus, puis revinrent vers le roi accompagnés de trois chameaux portant chacun 500 volumes (soit 1500 volumes).
– Sire, dit le doyen déjà affaibli par l’âge, voici notre ouvrage. Nous croyons ne rien avoir omis d’essentiel.
– Je suis maintenant vieux, leur dit le roi ; les longues lectures ne sont plus à ma portée. Abrégez encore et ne tardez point.
Au bout de dix ans, on revit le doyen des savants, marchant avec des béquilles, accompagné d’un âne qui portait un gros livre sur son dos.
– Hâtez-vous !, lui dit un garde. Le roi est mourant.
Lorsqu’il fut au chevet du roi, ce dernier lui dit :
– Je mourrais donc sans savoir l’histoire des hommes.
– Sire, répondit le doyen presque aussi mourant que le roi, je vais vous la résumer en trois [duos de] mots : Ils naquirent – Ils souffrirent – Ils moururent !

G Voici une citation d’Oscar Wilde : «  Toute la matinée, j’ai corrigé un texte pour finalement ne supprimer qu’une virgule. L’après-midi, je l’ai rétablie. »

G Pour Hannah Arendt, penser [réfléchir], c’est agir.

Références:

Livres.

De la brièveté de la vie. Sénèque. Poche
Les nourritures terrestres. André Gide. Flammarion. 1972
(disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Agamemnon. Théâtre d’Eshyle. Garnier/Flammarion. 1964.
La vie littéraire, tome 1. Anatole France. Cercle du bibliophile. 1971.

Film.

I. Origins de Mike Cahill. 2014

 

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