Restitution du café-philo de Chevilly-Larue
24 mars 2010
Animateurs : Edith Pertunski-Deléage, philosophe.Pascale Coutard –
Danielle Vautrin – Lionel Graffin – Guy Pannetier
Modérateur : Marc Ellenberger
Introduction : Guy Pannetier
Introduction : Epicure nait en 341 avant notre ère dans l’île de Samos (Asie mineure). Son père est « instituteur » grammairien, maître de lecture. Tout jeune, dès 14 ans, il est déjà intéressé par la philosophie. Sa mère, Chérestrate, était magicienne ; elle se rendait chez les gens pour dire des prières propitiatoires, (c’est-à-dire pour chasser les démons ou appeler la protection de dieux) et, là, il voit toutes les superstitions chez ces gens. Il réagit devant cela, jugeant que les gens s’enferment dans leurs croyance et que c’est surtout cela qui les empêche d’être heureux.
Il s’instruira de la philosophie auprès de différents maîtres, d’un Platonicien, Porphyre, puis auprès d’un disciple de Démocrite, dont il développera les principes sur l’atomisme. Il enseignera quelque temps à la palestre d’Athènes (lieu d’entraînement physique annexe du gymnase) et il sera accusé de corrompre la jeunesse avec son enseignement ; il devra quitter la ville. Il reviendra plus tard à Athènes et fondera en 306 une école, « le jardin », six ans après que Zénon le Stoïcien ait ouvert l’école du Portique ; c’était une période créatrice.
Epicure va enseigner à des personnes qui s’initient à la philosophie, dont des femmes : Themista, Mammarion, Hédéia, Erotion et Léontion, laquelle, dit-on, était d’une grande beauté et fut aussi sa maîtresse ; il aura même pour élèves des hétaïres (courtisanes) et des esclaves. Epicure est là, une fois de plus, en rupture avec Platon, en ce qui concerne les esclaves, les femmes, la composante pédérastique, et en rupture avec Aristote, rupture de fait, car il ne se positionne pas du tout en regard de ces deux philosophes.
Epicure n’est pas dans la lignée des grands penseurs tels Platon et Aristote. Si l’Académie de Platon et le Lycée s’adressent à une élite et forment les futurs gouvernants, le Jardin serait plus ce que nous appelons aujourd’hui une université populaire ou, en l’occurrence, un « Jardin-philo ». Le « Jardin » sera aussi décrit comme communauté intellectuelle, amicale, et aussi d’entraide matérielle ; certains parleront de confrérie.
Cette philosophie qui fut décriée par les Stoïciens, puis par ce qui fut « la secte » des premiers Chrétiens de Rome, semble être la rupture entre la philosophie antique et la philosophie moderne. Il y a là, toutes les bases de notre philosophie actuelle ; elle donne des règles de vie simples. Epicure se dit lui-même autodidacte, il ne s’encombre pas d’un vocabulaire savant, il passe outre les règles dialectiques du langage et enseigne peut-être une philosophie impie parce que populaire et peu axée sur la métaphysique, plus pratique et comportementale qu’en parole. Il se méfie de la dialectique: « La première chose nécessaire », dit-il dans la lettre à Hérodote, « est d’avoir compris ce qui est sous les mots ». Ce courant philosophique s’étale sur près de huit siècles, la période la plus connue va d’Epicure en passant par Lucrèce, jusqu’à Ovide. Outre cette « médecine de l’âme » contenue dans « les quatre remèdes », le tétrapharmakon, que nous développerons. Cette philosophie dans son approche de la physique reste d’actualité.
Nous avons souhaité présenter le corpus de cette philosophie autour de six thèmes, comme socle au débat. Les quatre animateurs aborderons tout à tour : 1° Tempérance et éthique – 2° La mort, les dieux, les croyances – 3° Désir, bonheur et Carpe diem – 4° Théorie atomique et matérialisme – 5° Epicurisme et religion, connotation – 6° Contexte politique et social, l’influence sur la philosophie.
Edith interviendra lorsqu’elle le souhaitera, et chacun à son tour pourra prendre la parole.
Maintenant, nous poussons la porte du « Jardin » et nous allons rencontrer Epicure, ses disciples, et ouvrir le débat.
Débat : G Doctrine – Ethique.
Nous devons à Diogène Laërce (IIIème siècle après JC), dans le dixième et dernier livre d’une compilation sur la vie et les doctrines des philosophes de la Grèce classique, la conservation de trois lettres d’Epicure à ses disciples : La lettre à Hérodote sur sa théorie physique, la lettre à Ménécée sur son éthique et la lettre à Pythoclès sur les questions astronomiques et météorologiques. Puisqu’il n’y a rien au-delà de la mort pour Epicure, c’est sur la Terre que le bonheur doit être recherché. Une satisfaction raisonnable des plaisirs, une vie sage, tempérée, contemplative, et vertueuse permettent d’y accéder. L’épicurien respecte les vrais besoins de la nature et refuse ce qui en dépasse les limites; la modération est une vertu importante. Le choix de vivre sans trouble (ataraxie) implique le respect des lois pour éviter les sanctions de la société qui veut protéger ce qui est utile. Le droit est basé sur l’intérêt mutuel et la réciprocité. Parmi les thèmes majeurs de la doctrine d’Epicure, on peut relever que :
– Il n’y a pas d’âge pour faire de la philosophie, car la philosophie est un art d’être heureux
– Philosophe matérialiste inspiré de l’atomisme de Démocrite, Epicure s’oppose à l’idéalisme de Platon. Pour Epicure, tout est matériel, y compris l’âme, et la sensation est seul guide de la connaissance et de la morale.
– La sensation de plaisir est signe du bien, la sensation de douleur est signe du mal. Pour atteindre le bonheur, il faut maximiser le plaisir. Mais satisfaire tous ses désirs n’est pas la bonne façon d’atteindre cet objectif; car certains désirs non naturels comportent à long terme, dans leur satisfaction, plus de douleur que de plaisir.
– Ainsi, la morale d’Epicure est eudémoniste (morale du bonheur) et hédoniste (morale du plaisir) mais l’épicurisme n’est pas la débauche.
– Il ne faut pas craindre la mort. La mort nous est indifférente, puisqu’elle est la fin de toute sensation.
C’est en effet par la pieuse fidélité gardée par ses disciples pour le maître et sa doctrine que se distingue l’école épicurienne. C’est une chose merveilleuse, dit Plutarque, de voir comme ses frères étaient affectionnés avec lui! Les épicuriens aiment leur maître, ils le respectent, bien plus, ils l’adorent à l’égal d’un dieu. Il était à peine mort que déjà on l’honorait de statues et d’amulettes. Les disciples célébraient chaque année l’anniversaire de sa naissance. Tous les mois, ils rappelaient son souvenir par une cérémonie solennelle. Et ils s’entouraient de son effigie.
Pour ses disciples, Epicure est le libérateur. Il apporte un immense soulagement à leurs âmes courbées depuis si longtemps sous le joug de tristes superstitions. Il est le défenseur des droits de la liberté et de l’indépendance personnelle contre toute tradition religieuse. Aussi Lucien de Samosate parle-t-il d’Epicure comme d’ « un homme saint, divin qui seul a connu la vérité et qui en la transmettant à ses disciples est devenu leur libérateur ». Les disciples ont un égal respect pour la doctrine d’Epicure. Ils ne lisent que ses écrits et ceux de Métrodore, en rejetant les autres. Le succès de l’épicurisme tenait dans l’unité de cette « petite république », où l’accord était complet entre les membres d’une même famille de pensée.
Cicéron, qui était un adversaire de sa pensé, disait : « Beaucoup d’épicuriens furent et sont encore fidèles en amitié ». Lucrèce était enthousiaste et salue son maître comme le libérateur des âmes, le sauveur de l’humanité, l’inventeur d’une science nouvelle, l’homme courageux qui osa toucher à l’antique superstition.
G Ethique :
Dans la tradition des philosophes grecs, Epicure s’est proposé comme but de ses recherches ce qui est le plus désirable, autrement dit le Souverain Bien. Or, ce Souverain Bien ne peut être que le bonheur, « puisque lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir » (Lettre à Ménécée, p. 11). L’éthique épicurienne se veut donc une théorie raisonnée des désirs, dans le but de répondre à la question : « Comment puis-je atteindre le bonheur ? ».
G Edith : Dans la lettre qu’Epicure écrit à son ami Ménécée, il s’agit d’une éthique et non d’une morale. C’est-à-dire une éthique comme ensemble de règles pour bien vivre, et non d’une morale qui est un ensemble de normes. Ethique a pour étymologie « èthos », ce qui est en Grec « mœurs », et morale a pour origine « moralis, mores » ce qui en latin est aussi « mœurs ». Mais l’étymologie grecque n’a pas le même sens que l’étymologie romaine. Alors que la culture grecque est une culture de l’épanouissement de soi, la culture romaine, elle, est une culture de la normativité. Donc la lettre à Ménécée est une éthique, et j’essaierai de montrer que cette éthique, cet art de bien vivre, peut être d’une certaine façon lue comme l’éthique « écosophique » *, c’est-à-dire l’éthique à laquelle se rattache aujourd’hui les divers courants de l’écologie.
* L’écosophie est un concept forgé par le philosophe Arne Naess à l’Université d’Oslo en 1960. C’était au début du mouvement de l’ écologie profonde qui invite à un renversement de la perspective anthropocentriste : l’homme ne se situe pas au sommet de la hiérarchie du vivant, mais s’inscrit au contraire dans l’écosphère comme une partie qui s’insère dans le tout[]. C’est autour de ce constat que va se développer l’écosophie comme un courant de pensée du mouvement écologiste depuis les années 1960.
G La naissance d’Epicure à Samos n’est pas sûre à 100%. Ce qui est sûr c’est qu’une famille athénienne de colons a vécu à Samos.
G On a soulevé l’opposition et la différence entre la morale ou le normalisme et une recherche personnelle de plaisir, et c’est intéressant de voir qu’on a déjà une culture qui a vécu avec à l’origine des liens essentiels pour des personnes qui recherchaient le bonheur personnel. Bonheur personnel opposé plus tard à un besoin normatif de vivre mieux en société, ensemble.
G La mort, les dieux, les croyances :
Dans l’atmosphère religieuse en Grèce à cette époque, les dieux sont multiples, immanents à toutes choses, le soleil est un dieu, la lune est un dieu, les astres sont des dieux, les villes donnent des dieux ou déesses éponymes, ainsi Athéna pour Athènes. Les rois, les reines sont des divinités. Il suffit qu’un bout de bois taillé représente quelque chose d’un homme pour qu’il devienne une divinité. Il y a les dieux, les demi-dieux, des dieux spécialisés, des dieux de circonstance. Les sacrifices sont incessants, ils visent à apitoyer les dieux et à les gagner à des causes partisanes. Il y a dans les pièces de théâtre, les tragédies, qu’on joue à Athènes un épilogue qui va faire intervenir les dieux. L’épilogue de la tragédie offre une situation insoluble et un dieu, par des artifices mécaniques, va résoudre le problème, d’où l’expression « deus ex machina » (dieu issu de la machine).
Aussi longtemps qu’on rapportait aux dieux tout gouvernement des choses terrestres, on ne pouvait que vivre dans une perpétuelle inquiétude. Epicure dit avec ironie: « La Terre entière vit dans la peine, c’est pour la peine qu’elle a le plus de capacité ». Théophraste, lui aussi de l’école du Jardin, donne un bon exemple dans le portrait à peine forcé qu’il fait de son « déisidaïmôn », non pas « le superstitieux », ce qu’on donne comme traduction habituellement, mais l’homme qui est perpétuellement dans la crainte des puissances divines. Ces déisidaïmôn, en effet, se retrouvent par milliers à Athènes. On mesure, le fossé, le précipice séparant les idées épicuriennes des croyances religieuses en vigueur trois siècles avant notre ère. Les épicuriens réfutent l’idée que les dieux s’intéressent aux affaires humaines, c’est un point clé ; de plus, ils ne craignent pas le jugement dernier, n’attendent aucune résurrection, réfutent l’idée d’existence, d’entité dans l’au-delà, pas d’enfer (l’Hadès) ou de paradis, et ils ne font aucun cas d’un enseignement révélé. Epicure éprouve de l’aversion pour les croyances, les superstitions des Athéniens. Il reproche aux croyances de ne pas être fondées sur la manifestation des sens et d’être une extravagance de l’imaginaire. La religion, dit-il, est une source d’angoisse que la science est capable de dissiper. Sa position se retrouve dans le fameux dilemme d’Epicure, qui lui valu d’être diabolisé :
Le dilemme d’Epicure débute par une assertion : « Le mal existe !». Donc de deux choses l’une : ou : Dieu le sait, proposition A, – ou : il l’ignore, proposition B.
Proposition A : il sait que le mal existe, il peut le supprimer, mais il ne veut pas ; alors un tel dieu serait cruel et pervers ! Donc inadmissible ! Dans cette même proposition, il sait que le mal existe, il veut le supprimer, mais il ne peut pas le faire, alors un tel dieu serait impuissant ! Donc inadmissible !
Proposition B : Dieu ne sait pas que le mal existe, alors ; un tel dieu serait aveugle et ignorant ! Donc inadmissible !
Les dieux d’Epicure ne sont pas faciles à discerner. Ces dieux en tout cas, ne sont ni sournois, ni vindicatifs, ni cruels, ni dictatoriaux, ils sont « bonhommes », béats, pleinement satisfaits et immortels. Les hommes n’ont pas à s’occuper des dieux, les dieux ne s’occupent pas d’eux, si ce n’est pour participer à leur bonheur, c’est-à-dire que lorsqu’ils font des fêtes, les dieux sont associés à travers les fêtes rituelles et civiques de la cité. Et Epicure se permet d’ironiser en se moquant à la fois des hommes et des dieux : « Si un dieu obéissait aux prières des hommes, assez vite les hommes auraient péri. Car continuellement ils demandent des choses nuisibles les uns pour les autres ».
Son école enseigne également à ne pas craindre la mort, car la mort est également un argumentaire pour les croyants. La mort, disent-ils, n’est rien d’autre que la perte de sensibilité : « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous…. Car tout bien et tout mal réside dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capable de jouir cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir d’immortalité…» (Lettre à Ménécée). Dans ce domaine la plus célèbre citation est : « …Ainsi de tous les maux qui donnent le plus d’horreur, la mort n’est rien pour nous, puisque tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’existe pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus ; donc la mort n’existe, ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers et que les seconds ne sont plus » (Lettre à Ménécée).
En somme, nous dirait Epicure, nos jours nous sont comptés, donc sachons vivre et être heureux ensemble, nous sommes comptables de notre vie (existentialisme !). Apprécions les fêtes, le bonheur partagé, la beauté, en essayant de ressembler à des dieux. Epicure à sa mort laissera un testament dans lequel il laisse à Hermarque de Mithylènes, un de ses successeurs, le soin de veiller avec d’autres sur l’éducation du fils et de la fille de son disciple et plus proche ami, Métrodore, et du fils de Polieno. Il voulait qu’après sa mort on continua sa sollicitude auprès des pauvres. Il affranchit dans son testament un vieux serviteur, ainsi que trois esclaves, dont une femme. On devait, d’après le testament, garder l’usage des offrandes annuelles aux morts, ainsi que les fêtes aux jours anniversaires de sa naissance, et il léguait des biens pour le faire. Quant à la religion d’Epicure, puisqu’il en avait une quand même, c’était la religion du lien aux dieux qu’il invitait lorsqu’il festoyait, du moment qu’ils lui ressemblent, et aux hommes auxquels il était reconnaissant de l’avoir aidé à donner un sens à la vie. Il excluait ceux qui vivent dans le libertinage, et ceux qui vivent dans les troubles de l’âme.
G La science provient des sensations, nous dit Epicure. Et c’est par elles que sont possibles les anticipations, qui sont l’équivalent des idées générales.
G Ces propos comme ceux sur la mort nous semblent à la fois lointains et proches de nous. Ils nous disent que la mort ne nous atteint pas psychiquement ; de fait, elle atteint ceux qui nous entourent.
G Ces propos autour de la mort me font penser à la fameuse phrase de Lapalisse : « Un quart d’heure avant sa mort, il était encore en vie », même si la phrase, le propos ont été pervertis, (on trouve deux versions), c’est une idée totalement épicurienne.
G Edith : Cette lapalissade épicurienne montre bien qu’il y a, et c’est ce qu’Epicure indique dans la lettre à Ménécée, un désir que chacun cherche pour lui-même, et aussi avec les autres pour un art de bien vivre, une éthique qui est le bien vivre là où l’on se trouve, avec ceux avec qui l’on vit, dans son milieu, autrement dit, cette recherche épicurienne d’un art de bien vivre, peut être lue et adaptée à nos jours. En effet, nous vivons dans une époque, où les catastrophes, écologiques, économiques, et sociales sont probables, comme nous l’a dit le philosophe Jean Pierre Dupuy dans un ouvrage qui a pour titre : « Pour un catastrophisme éclairé ». Quand l’impossible est certain, nous avons effectivement avec le texte épicurien des éléments pour réfléchir à : Quel « bien être » ? Quelle éthique pour chacun de nous ? Quel art de bien vivre sur cette Terre que nous habitons ? En ce sens, l’éthique épicurienne est une éthique écologiste qui renvoie à l’écosophie écologiste.
G On a l’impression d’une doctrine, d’une éthique assez individualiste. Epicure attache beaucoup d’importance à l’amitié, mais la recherche du bonheur semble être, personnelle ! Cet individualisme se retrouve par exemple dans son approche de la justice : Maxime XXXVI : « La justice n’est rien en soi. La société des hommes en a fait naître l’utilité dans les pays où les peuples ont convenu des certaines conditions pour vivre ensemble, sans offenser, sans être offensé ». Et maxime XXXVII : « L’injustice n’est point un mal en soi. Elle est seulement un mal en cela qu’elle nous tient dans une crainte continuelle par le remords dont la conscience est inquiétée, et qu’elle nous fait appréhender que nos crimes ne viennent à la connaissance de ceux qui ont droit de les punir »
En fait, ce qu’il nous dit, c’est que quand on commet une injustice, finalement ce n’est pas la crainte du remords qu’il faut redouter, mais la crainte de « se faire choper » et la punition ! Et c’est la maxime XXXVIII : « Il est impossible que celui qui a violé, à l’insu des hommes, les conventions qui ont été faites pour empêcher qu’on ne fasse du mal ou qu’on en reçoive, puisse s’assurer que son crime sera toujours caché; car, quoiqu’il n’ait point été découvert en mille occasions, il peut toujours douter que cela puisse durer jusqu’à la mort »
G Poème (acrostiches) épicurien, de Florence :
Au jardin des supplices, il n’est point de bonheur
Mon âme est aux abois, elle voit passer les heures
Illusion des excès, illusion des palaces
Tant de peurs, tant d’erreurs, horreur ! Mon sang se glace
Infinité de dieux, branlebas de combat !
Et j’invit’ la physique, à mon dernier repas
Au jardin des délices, ils n’est point de douleur
Mon âme ne craint plus l’ire d’un Dieu vengeur
Il est des besoins, des envies, qui passent, qui lassent
Tout peut naître de tout, nos atomes s’enlacent
Il est des chagrins qui nous suivent pas à pas
Et si la mort est là, c’est moi qui n’y suis pas
G Cette école du Jardin était contemporaine d’autres grandes écoles de philosophie et elles n’avaient pas du tout la même audience. Et si Epicure a été à ce point tant décrié, c’est peut-être que les autres étaient jaloux de son succès. On a d’autre part comparé Epicure à une sorte de Jésus païen s’entourant de disciples pour continuer son œuvre, la perpétuer, pour transmettre sa doctrine. Le Jardin sera présenté aussi parfois comme une sorte de communauté, un phalanstère.
G Dans certaines communautés, comme chez les Bénédictins, on y vit un peu comme les disciples d’Epicure et c’est assez frappant de retrouver dans un certain christianisme des origines cette façon de fonctionner.
G Le « carpe diem »
Le carpe diem (aspect essentiel de la philosophie d’Epicure) est une expression latine qui se traduit par « cueille le jour », profite de l’instant présent sans t’inquiéter de l’heure de ta mort
Donc, Epicure veut nous dire qu’il faut vivre et habiter chaque instant de notre vie, sans dérobade devant le réel, en vivant sa propre personnalité, avec ses émotions, son ressenti, et être nous-mêmes, avec notre mystère d’êtres humains. Le carpe diem va devenir ce beau poème au 16ème siècle avec Ronsard : « Vivez si m’en croyez, n’attendez à demain, cueillez, dès aujourd’hui les roses de la vie……., » (Les sonnets pour Hélène). Ces vers vont devenir une maxime, une métaphore canonique pour rappeler la brièveté de la vie.
Le bonheur n’est pas inséparable d’un certain art de vivre, où les désirs sont l’objet d’un calcul pour atteindre sa félicité. « …Le bonheur, sinon la béatitude, n’est pas au bout du chemin, mais dans la marche elle-même » (Epicure).
La recherche du désir, cette tension issue d’un sentiment de manque, doit être une recherche ordonnée, raisonnée, apaisée, qui doit éviter tout débordement et être dans l’idée que le futur est incertain et que tout est appelé à disparaître
En me faisant l’avocat du diable, je pose la question : Décidé à vivre l’instant présent, immédiat, n’engendre-t-on pas l’égoïsme et l’irresponsabilité ?
Est-on sûr de vivre le présent, comme on devrait le vivre et pourtant c’est en vivant le moment présent qu’on peut jouir de la vie. – Cela peut-être un autre débat. –
J’aime beaucoup ce quatrain d’Horace :
Bienheureux est celui qui possède le jour,
Qui, sûr de lui, peut dire :
Que m’importe demain, même si je dois mourir,
Aujourd’hui j’ai vécu, à fond et sans détour.
Voir le film « Le liseur » après avoir lu l’oeuvre, vous permet de l’apprécier encore plus, de voir et de ressentier encore plus
Excellente petite discussion. J’étais à la recherche d’une approche avec la règle de Saint -Benoît de Mursie et je ne suis pas déçu d’avoir épluché cette étude. Merci encore. H.M.