Thème: La part du rêve

Karl Briullov. Rêve d’une jeune femme au lever du soleil. 1883. Musée Pouchkine. Moscou.

Restitution du débat du Café-philo du 20 novembre 2012 à Chevilly-Larue
en partenariat avec la Maison du conte de Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe, Guy Pannetier.
Conteur : Marien Tillet.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier.

Isabelle Aucagne, administratrice de la Maison du conte nous accueille, nous souhaite la bienvenue et nous présente le conteur Marien Tillet qui va partager cette soirée avec nous et participer à l’animation.

Introduction : Dans le rêve, quelque chose est en moi, quelque chose qui pense, et moi je ne suis pas là. Un autre moi divague, un autre moi qui mène une autre vie. Dans ma tête, il échafaude des histoires pas possibles se servant de mon vécu, avec parfois des gens que je connais ou avec ceux qui me sont proches.
Dans un film documentaire-fiction d’Yves Coppens, L’odyssée de l’espèce, un homme préhistorique rêve d’un ami qu’il vient de perdre dans la journée. Il le voit dans son rêve et, lorsqu’il s’éveille, le voilà persuadé que la mort n’est pas une absence totale. Cette situation est alors hors de tout entendement ; de là, nombre de croyances pourront venir aux hommes. Le rêve peut être un beau mensonge.
Quand j’ai rêvé, au matin, j’ai le sentiment de revenir d’un autre monde, où l’espace et le temps ne sont plus ; le rêve est tout à la fois l’indicatif présent et l’indicatif absent.
Autrement dit, je suis en deux endroits ; ici, est mon corps ; mon esprit s’échappe, incontrôlable ; mon corps, comme mon esprit, s’en vont ailleurs. Le rêve est comme un dédoublement ; je suis acteur et spectateur. Qu’y a t-il de plus vrai que le rêve quand on est dedans ?
Un jour, dit le conte, Tchouang-Tseu, le fondateur du taoïsme (qui vivait en Chine quatre siècles avant notre ère), fit un rêve. Il rêva qu’il était un papillon qui voletait de-ci de-là dans un jardin. Au bout d’un moment, fatigué de voler, le papillon se pose sur une fleur de jasmin et s’endort. Il rêve qu’il est Tchouang-Tseu. Soudain, Tchouang-Tseu s’éveille. Il était Tchouang-Tseu, sans erreur possible, mais il ne sait plus s’il est le Tchouang-Tseu qui rêve qu’il est un papillon ou s’il est le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu.
« Qui est le rêveur dans le rêve ? », nous dit Jean-Claude Ameisen dans une série d’émissions sur le rêve, Sur les épaules de Darwin. « Le rêveur dit « je » dans le rêve, même s’il ne sait pas qui est le « je ». »
Nous allons sûrement évoquer les sens qu’on a voulu donner au rêve, comme, par exemple,  la prémonition ; le professeur Jacques Montangero, dans son œuvre Comprendre ses rêves pour mieux se connaître, nous dit que « c’est la plus vieille superstition qui persiste encore de nos jours. »
L’interprétation des rêves est aussi devenue le fonds de commerce de devins, de gourous et de toutes sortes de sciences occultes.
A ce sujet, des chercheurs et philosophes nous mettent en garde contre toute sorte d’interprétation des rêves, car, pour eux, dans le rêve, pour paraphraser le poète Rimbaud, « Je est un autre ».

Débat : G Intervention d’Edith : Je partirai de la phrase : « Qui parle dans le rêve ? ». Je me suis rappelé ce que Freud m’avait enseigné dans ces trois ouvrages : L’interprétation des rêves, Essais de psychanalyse appliquée et Cinq leçons sur la psychanalyse. Dans la troisième leçon, justement, on retrouve l’analyse que Freud nous propose du rêve. Quelle est la part du rêve dans la vie singulière d’un individu ? Je vais essayer de résumer ce que Freud nous expose. Le rêve, dit-il, me protège, nous protège, le rêve veille sur nous. D’abord, parce que « le rêve, c’est le gardien du sommeil » ; en ce sens, le rêve veille sur mon bien-être, sur ma santé physique. D’autre part, selon la définition exacte qu’il donne du rêve : « Le rêve est la réalisation déguisée de désirs refoulés », désirs refoulés par la conscience, donc désirs inconscients, réalisations déguisées. Il s’agit du rêve d’adulte et non du rêve d’enfant. Le rêve d’enfant, c’est tout simplement la réalisation en images. Il analyse les mécanismes par lesquels justement ces désirs inconscients, refoulés, se réalisent en images.
Je prends l’exemple que Freud nous propose,  le rêve d’une patiente qu’il a analysé avec celle-ci, selon la fameuse méthode des associations d’idées : « Le rêve de la dame au chapeau noir ». Dans son rêve, cette dame se promène à Vienne dans la 5ème avenue (équivalent de l’avenue de l’Opéra, à Paris), avenue où se manifestent les richesses, avec des magasins très chers et très chics ; la dame fait du lèche-vitrine ; soudain, elle s’arrête devant un magasin de chapeaux ; elle entre, hésite, puis achète un chapeau noir. Son rêve s’arrête là. Freud propose alors à cette patiente, qui lui raconte ce rêve, d’essayer de lui donner les idées associées à chaque élément du rêve. La dame répond : « Eh bien ! La 5ème avenue, c’est un endroit où j’aime bien me promener, parce qu’il y a des magasins, tant de richesses, et puis j’aimerais pouvoir rentrer dans un magasin et m’acheter tout ce qu’il y a dans le magasin ». Freud lui demande alors quelle idée elle associe au chapeau. La dame répond : « C’est la richesse, c’est le luxe. » Effectivement, à l’époque, les dames se promenaient avec des chapeaux très décorés (du moins, celles qui avaient de l’argent). Quant au chapeau noir, « c’est un chapeau de deuil ! », tout simplement. Donc, au fur et à mesure de l’analyse et des associations d’idées que la patiente énonce, il apparaît que finalement ce rêve réalise deux désirs : le désir de luxe et de richesse, désir que cette dame refoulait ; et puis, second désir, le désir de mort, de la mort de son mari, tout simplement, mais évidemment désir qu’elle refoulait, dont elle avait honte, mais qu’elle s’avouait dans son rêve.
Freud met en évidence, à la suite de nombreuses analyses de rêves, qu’il y a dans le passage des désirs refoulés au rêve, au contenu manifeste du rêve, dans le passage des idées latentes, deux mécanismes : le mécanisme du déplacement, le désir le plus important est déplacé, relativisé ; c’est simplement la couleur d’un chapeau ; et puis, il y a en compensation le désir le moins important, relativement à l’autre, c’est le désir de richesse. Il y a deux lois dans la fabrication du rêve : la loi du déplacement et la loi de la compensation. Dans la foulée, Freud met en évidence le fait que, quand il y a cauchemar, c’est que tout simplement le déguisement n’est pas suffisant ; donc, la conscience se panique à voir directement et sans déguisement les désirs qu’elle refoule ; il y a alors réveil brutal.
Ainsi, le rêve, d’après Freud, veille sur moi, me protège en réalisant des désirs, protège mon sommeil, ma vie physique, psychique, me permettant de continuer à vivre, tout simplement.
Cette analyse de Freud me semble extrêmement pertinente ; jusqu’à présent, je crois qu’il n’y a pas d’analyse aussi pertinente, c’est-à-dire, aussi vérifiable. Il y a un philosophe qui analyse également le rêve, c’est Gaston Bachelard, épistémologue. Il a écrit toute une série d’ouvrages sur la rêverie, qu’il distingue du rêve.

G En regard de ce thème, je ne pense pas forcement à l’activité onirique ; je pense à l’activité diurne, qui, pour moi, prime, suivant la personnalité. Par contre, dans des temps qui ont précédé Freud, le rêve, à travers les temps et dans l’Antiquité, a aussi été interprété, d’abord comme un dialogue venant du divin pour transmettre aux humains un certain nombre de messages, d’où les rêves prémonitoires.
Revenant au rêve diurne, il me semble avoir une importance énorme, capitale dans nos vies, dans la mesure où, chez chacun, c’est une activité consciente au départ ; ensuite, on peut se laisser entraîner dans son rêve. On travaille à la fois avec sa raison, sa logique, ses sentiments, son ressenti. Il y a un mot qui est lié à cette activité nocturne ou diurne, c’est le mot désir. Ce sont, la nuit, des désirs refoulés et, dans la journée, des désirs conscients : « je rêve d’être » ; il arrive que ce soit des fantasmes, avec le danger de sortir de la réalité sociale. Mais la part du rêve me paraît importante, parce qu’elle peut donner un sens à la vie, donner un idéal ou la créativité, donc développer en nous un potentiel qui permet de mieux vivre. D’ailleurs, y a-t-il un humain sur terre, qui vit vraiment la réalité telle qu’elle est ? Pour moi, non ; nous rêvons tous nos vies. Il n’y a qu’à discuter d’un sujet quel qu’il soit ; chacun va injecter dans ce sujet sa propre vision des choses qui participe en partie du rêve. Il y a des gens célèbres qui ont réalisé un rêve : « I have a dream », disait Martin Luther King, qui voulait combattre alors le racisme. Là, on touche à un idéal intense.
Par ailleurs, je me pose la question du danger du virtuel qui est proposé aux jeunes générations. Les jeux électroniques violents les amènent dans un rêve éveillé.

G On a évoqué les rêves en tant que manifestations du désir, mais il y a toute une catégorie de rêves, où l’on ne voit aucun rapport avec le désir, comme, par exemple, le sentiment de tomber dans son rêve.

G Je ne crois pas du tout aux prémonitions dans les rêves, même si certains sont étranges et nous interrogent.

G Je parlerai plutôt du rêve éveillé que du rêve endormi. Le second est inconscient et l’on peut, dit-on, plus ou moins le contrôler, ce que je n’ai jamais pu faire, alors que le rêve éveillé a besoin d’être contrôlé, parce que si on ne le contrôle pas, il va prendre le dessus sur nous et nous mener à la folie (la schizophrénie).

G Comme nous sommes ce soir à la Maison du conte, je dirai : « Il était une fois, » un homme savant, un chercheur, qui avait choisi de passer quelque temps dans un petit village de montagne. A cause de son comportement énigmatique, de son regard interrogateur et de sa curiosité pour l’environnement, il est catalogué comme un être spécial, un penseur, un rêveur, un homme éloigné des réalités, c’est à dire : « pas dans le coup ». Et voilà qu’une nuit se produit dans une bergerie proche un phénomène, un grand tumulte. Les moutons s’agitent et bêlent de façon étrange. Le berger n’ose pas ouvrir la porte de peur qu’ils se dispersent dans la nuit. Personne ne sait que faire, alors on fait appel à lui. Il va demander calmement : 1°) que l’on éclaire avec tout ce qu’on va trouver le devant de la bergerie, 2°) qu’on dispose des barrières à une certaine distance pour former un enclos. Tout cela fut fait, tout se passa bien, et l’on vit que la cause du tumulte était un chat qui était enfermé avec les moutons. Cette histoire démontre que celui qui est habitué à laisser se libérer ses pensées peut imaginer des solutions pour aborder autrement les évènements.
Le rêveur n’est pas un utopiste sans logique. Dans cette histoire, notre rêveur à su mettre à profit sa pratique du raisonnement imaginatif pour agir. Et la morale est que, grâce aux escapades conscientes de sa pensée, grâce à cette imagination, le rêveur ouvre la voie à des possibles et à des évolutions des mentalités, des idées. Et, a contrario, dans cette histoire, les villageois s’étaient laissé enfermer  dans l’étau de leur angoisse ; ils n’ont pas pu inventer, imaginer, car ils ne savaient pas rêver. Ils ignoraient que le rêve est un espace de liberté qui ouvre sur le futur, le nouveau, sur autre chose, sur autrement.

G Il y a des personnes qui font ce qu’on appelle une régression ; dans un état de relaxation intense, l’imaginaire revoit des vies antérieures ; ce n’est pas du tout du concret et néanmoins cela existe.

G On a des témoignages de personnes en fin de vie qui ont vu défiler toute leur existence en une nuit (ou quelques minutes) ; est-ce l’ultime rêve ?

G J’ai déjà rêvé de choses qui devaient m’arriver. Je ne sais pas s’il s’agit de prémonitions, mais mon devenir m’a été annoncé en rêve comme quand mon père est mort ou chaque fois que j’ai été amoureuse ou à l’annonce de la naissance de mes enfants.
Je crois que le rêve peut être un révélateur de ce que nous avons à vivre ou une annonce de ce dans quoi nous devons nous engager. Le rêve nous permet de résoudre des problèmes ou d’accepter des situations ou d’énoncer des projets que nous ne pouvons pas envisager éveillés.

G La prémonition, c’est le fait, selon Freud, tout simplement du désir. On ne peut expliquer un rêve que par l’analyse et les associations d’idées.

G L’être humain, a-t-on dit, peut à partir de ce monde rêver d’autres mondes. Tous les poètes, les peintres, le font tous les jours ; ils nous font voir ce monde autrement. C’est en ce sens que Bachelard, dans La poétique de la rêverie, fait la différence entre le rêve, qui réalise les désirs, et la rêverie, qui anticipe d’autres réalités et les fait sentir, percevoir de fait. C’est en ce sens que la rêverie, effectivement, a une fonction d’ouvrir des possibilités que les utopistes proposent de réaliser ou que les artistes se proposent  de faire voir, sentir. La rêverie témoigne de ce désir d’évasion du réel, tout en témoignant que l’homme est capable de réaliser en image ce désir d’évasion, ce qui fait qu’il est libre. Bachelard nous dit que la rêverie s’appuie sut tous les matériaux, notamment sur les éléments du monde.

G On aimerait avoir l’explication de certains de nos rêves récurrents, ces rêves qui reviennent sans cesse, parfois des rêves totalement idiots.

G A ce jour, le rêve est encore très au-delà des frontières de la science. Si, il y a un siècle, Freud avançait sa théorie du  « pourquoi » du rêve, du sens du rêve, aujourd’hui, ceux qui travaillent sur le rêve cherchent le début de l’explication du « comment » on rêve, ceci  malgré un certain  nombre de démonstrations expérimentales
Il y a un siècle, Freud avait connaissance des études sur les neurones et les synapses du savant espagnol Ramón y Cajal, ainsi que de la théorie de l’allemand Robert qui présente le rêve comme un processus somatique qui est, dit-il, « l’élimination des pensées étouffées dans l’œuf ». Le rêve pour lui « joue le rôle de soupape de sécurité ». Freud, qui connaît sa théorie, l’adopte et en fera ce que nous connaissons. Il le cite dans son œuvre.
Quant à l’interprétation des rêves, il y a controverse. De nombreuses personnes (dont je suis) ne trouvent pas scientifiques ou pertinentes les théories freudiennes. Le philosophe Bergson qui a écrit sur le rêve, a une  approche très différente de Freud : « Dans le rêve, » nous dit Bergson, « nous devenons indifférent à la logique […]. Le rêve est un monde incohérent, illogique.» Nous sommes dans un monde sans relation de cause à effet ; pour lui, « le tort du rêveur est plutôt de raisonner trop. Il éviterait l’absurde s’il assistait en simple spectateur au défilé de ses visions. Mais, quand il veut à toute force en donner une explication, alors sa logique destinée à relier entre-elles des images incohérentes ne peut que parodier celle de la raison, et frôler l’absurdité. »*. Pour Freud, tous nos rêves découlent de refoulements, d’interdits. Mais, c’est là une approche très anthropomorphique ; on oublie que tous les mammifères rêvent. Par exemple, on sait depuis une vingtaine d’années que le rat a des érections nocturnes dues à des rêves, comme chez l’homme. Comment lui appliquer la même théorie, comment expliquer ses complexes œdipiens ou autres, et l’action de son subconscient ?
[* Citer n’est pas systématiquement souscrire en tous points.]
L’inconscient est aujourd’hui l’objet d’étude des neurosciences et de la biologie. Cela ne manquerait pas d’intéresser Freud, lui qui concluait, dans son ouvrage « Au delà du principe du plaisir » (1920) par ces lignes : « Le caractère incertain de nos spéculations a été grandement accru par la nécessité que nous avons de faire face à des emprunts à la science biologique. La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées. […] Nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses. ». On peut noter et apprécier la lucidité de Freud, qui n’était pas un intégriste de la psychanalyse. Un autre que lui, dirait cela aujourd’hui, il serait l’objet des pires attaques de gens plus freudiens que Freud lui-même.

G Le conteur, Marien Tillet : Je suis rêveur et pourtant je ne fais jamais le même rêve. J’ai essayé d’écrire mes rêves, mais aussitôt que vous êtes dans l’écriture, quand vous voulez le formuler par l’écrit, le rêve s’en va. Ensuite, j’ai essayé l’enregistrement tout de suite au réveil. Mais, le problème, c’est que, quand vous racontez, c’est plutôt confus ; ça donne, par exemple : « Alors, euh ! Là, il y a un arbre. Waouh (bâillement) ! Après, je ne sais plus … Ah oui ! Il y a l’arbre… Il y a de l’herbe… Et, du coup, je suis dans l’arbre. .. Heu ! Non, ça, c’est longtemps après… Là, je suis en train de courir et il y a un loup-garou derrière… Et, euh !… Et puis, voilà… » Quand vous écoutez tout cela, vous vous dîtes, mais pourtant, c’était tellement clair au moment où je l’ai dicté. Du coup, quand j’écoute, je ne comprends plus rien à mon rêve, sauf s’il y a un mot déclencheur, et là, on revient en arrière. On a retrouvé le fil d’Ariane, tout se réorganise, le rêve revient.
Je prépare un spectacle sur le sommeil, sur les rêves et sur les cauchemars, mais aussi sur le manque de sommeil des gens qui sont convaincus qu’ils ne dorment pas et pourtant, souvent, ils dorment sans en être conscients. Entre autre, j’ai entendu dire ce truc hallucinant : c’est que quand une partie du cerveau est engagée dans le rêve, ce n’est pas la partie qui sait lire… Quand dans le rêve on se voit lire, on pense qu’on lit, mais en fait, on a juste l’information de la lecture. Ensuite, moi, ce qui m’intéresse, ce sont les rêves lucides. Il y a des rêveurs qui font toujours les mêmes rêves ; certains réalisent qu’ils font encore ce même rêve et pensent qu’ils peuvent agir sur ce rêve. De là à savoir s’il y a vraiment une action sur le rêve ou est-ce que c’est le cerveau du rêveur qui lui fait croire qu’il agit sur le rêve, alors que le scenario est écrit depuis le début, c’est compliqué ! Mais, il y a une théorie qui est assez courante et qui est intéressante, car elle nous montre à quel point notre cerveau est une chose incroyablement rapide et puissante qu’on n’utilise pas assez à l’état d’éveil, c’est l’idée que la raison du réveil enclenche le rêve.
Exemple : une porte qui bat ou le réveil-matin qui sonne, pendant que je suis entre la phase de sommeil et du réveil. Et là, en quelques fractions de secondes, le rêve commence : je suis en train de marcher dans la colline. Il y a des éléphants qui passent. Ah ! Ils ont des ailes ! Je saute sur un éléphant. C’est super ! Je commence à voler. Je me dis : Tiens, je vole ! C’est génial ! Et là, j’entends vraiment le réveil et je me dis : « Oh, c’est dommage quand même ! » S’il n’y avait pas eu le réveil, j’aurais continué mon rêve, mais s’il n’y avait pas eu le bruit du réveil, il n’y aurait pas eu de rêve.
[Le conteur Marien Tillet développe ensuite un autre exemple de rêve fulgurant raconté,joint en annexe.]

G Le rêve diurne correspond à un désir, de changer sa vie, de changer le monde.
A un moment, je mettais exprès mon réveil plus tôt pour pouvoir me rendormir et essayer de me souvenir de mes rêves, des rêves bizarres, compliqués, des rêves qui parfois correspondent à nos angoisses. On peut rêver d’une situation qui n’est pas un désir, mais au contraire parce qu’on ne souhaite pas cette situation qu’on sent venir. J’ai parfois voulu intervenir dans mes rêves, pour en changer le cours ; parfois aussi, je veux me réveiller dans un rêve que je trouve idiot et j’ai beau penser que je suis « consciente », je n’arrive pas à me réveiller, même pas à bouger ; quand on dort, on est figé ; parfois on voudrait crier, hurler, on ne le peut pas.

G Lors d’un voyage en Mongolie, ce qui m’a étonné, c’est que tous les matins, les Mongols se racontent leurs rêves. La notion du rêve a une autre dimension. En dehors des théories psychanalytiques du rêve, il y a des époques, des lieux, des civilisations, où le rêve est un partage de l’imaginaire.

G Le rêve qui est à la fois du domaine de l’inconscient, dans le sommeil, et domaine du « conscient », dans le rêve diurne, nous est commun à tous : nous sommes tous des rêveurs ; tout le monde rêve. Mais ce mot rêveur est parfois pris en mauvais sens, car il dérange ; le rêveur est celui qui transgresse, qui sort du monde réel, qui déstabilise les autres. C’est quelqu’un qui essaie de voir différent, d’imaginer l’avenir, un avenir différent, on le dit aussi « doux rêveur ». C’est aussi celui qui va faire rire. Mais finalement, s’il n’y avait pas de rêveur, tout serait figé. Heureusement qu’il y a des rêveurs, des utopistes, pour nous ouvrir des perspectives.

G Dans la création artistique, je suis entre le rêve et la réalité. Je peins et, à la fois, « ça peint en moi », comme la nuit, où « ça rêve en moi ». Dans les deux cas, on est libre. Dans la création, on peut repeindre le monde tel qu’on le rêve, tel qu’on le fantasme.

G A part prendre des substances, c’est à chacun son rêve, toujours différent et singulier ; il n’y a pas de rêves inconscients collectifs, pas de rêve-party. Par contre, si l’usage de stupéfiants peut amener aux rêves, le sevrage, lui, amène les plus horribles cauchemars (comme cela peut se produire après de lourdes opérations).
Par ailleurs, je pense que le rêve peut durer une fraction de seconde ; le temps et le temps du rêve sont différents.
Nous avons évoqué le lien entre rêveur, penseur, utopiste, celui qui transcende l’imagination vers des possibles, ce qu’on dit dangereux. Dans les dictatures, les régimes totalitaires, les imaginations sont parfois suspectes ; ainsi le KGB enfermait ses plus dangereux opposants dans des hôpitaux psychiatriques, leur faisait administrer des psychotropes qui avaient pour effet de supprimer le rêve pendant le sommeil. En peu de temps, ils devenaient dociles, manipulables à souhait.
La science étudie le rêve. Des chercheurs japonais travaillent actuellement sur un enregistreur décodeur qui va enregistrer nos rêves, à partir d’électrodes. Le but étant de pouvoir projeter ensuite nos rêves sur écran. Après avoir vu nos rêves, après que d’autres aient pu voir leurs rêves, allons-nous encore oser rêver ? Est-ce que nous n’aurons pas franchi une des barrières les plus intimes de notre individu, de notre part d’humain, un viol de notre conscience ?
Si la vie m’enlève ma part du rêve, alors j’arrête tout.

G Quand on est malheureux, on ne peut pas continuer à rêver.

G Si on passe sa vie à la rêver, on passe à côté de sa vie.

G Je ne pense pas que le rêve empêche de voir la réalité.

G De « rêver » à « rêvasser », nous avons différents niveaux. Il y a des gens totalement absorbés dans leurs pensées, dans leurs rêveries, évadés dans le conscient qui flirte avec l’inconscient, qui « sont dans la lune », ce qui peut faire des poètes qui nous donnent la part du rêve.

G Texte d’un participant :

Rêve et réalité – Dialogue en ma dualité.
La réalité : « Arrête de rêver ! » Reviens à la réalité ! Tu ne me sers à rien, tu es inutile.
Le rêve : Plus utile que tu crois, car tu ne peux vivre sans moi,  et ce que tu n’as pas, dis-toi  que c’est parce que tu m’as négligé,  parce que tu ne l’as pas assez rêvé.
– Tu n’es que l’illusion qui t’égare, tu n’es qu’une fugue temporelle de ton réel. Tu es comme un marcheur parti au hasard de rues qu’il ne connait pas, tu es un passant qui divague, un passant sans identité, un passant qui erre dans un monde qui se crée devant lui, un monde qui ne résistera pas à la lumière, un monde qui ne me résistera pas, à moi, la réalité.
– Si je suis, c’est justement pour te fuir, c’est pour aller « à la découverte de mon inconscient ». (C’est Sigmund qui l’a dit !)
– C’est bien ce que je disais, tu es un inconscient !
– L’inconsciente, c’est toi, toi qui me renies, toi qui veux m’expliquer, me disséquer ; et là, c’est toi qui rêves, car je n’appartiens qu’à moi, je me crée et je m’évanouis, sans aucune règle qui te soit accessible. Depuis toujours, tu veux m’interpréter. M’interpréter par la voix des mages, des sorcières, des chamanes et aujourd’hui des psychanalystes, tu me traques sans cesse, tu voudrais que je sois vraie, comme toi, « Mais ! Arrête de rêver ! ! »

[Les poèmes lus en séance se trouvent en annexe : trois de Florence, un de Michelle et un d’Antonio Machado.]

Œuvres citées :

Cinq leçons sur la psychanalyse. Sigmund Freud.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

L’interprétation des rêves. Sigmund Freud.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Au-delà du principe de plaisir. Sigmund Freud.

La poétique des rêves. Gaston Bachelard.

Comprendre ses rêves pour mieux se connaître. Jacques Montangero. Editions Odile Jacob. 2007. (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Le rêve. Henri Bergson. Conférence. 1901. Texte publié dans le recueil L’énergie spirituelle.

Emission radiophonique : Sur les épaules de Darwin, série 2012 : « Cette étoffe sur laquelle naissent nos rêves ». Jean-Claude Ameisen.
(Disponible sur France Inter en podcast)

L’odyssée de l’espèce. Film documentaire de Jacques Malaterre et Yves Coppens (2003).
(DVD disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Sélection de bandes dessinées :
Le vagabond des limbes, par Julio Ribera et Christian Godard.

Little Nemo in Slumberland, par Winsor McCay.
Philémon, par Fred.

Annexes

Complément à la 2ème intervention du conteur, Marien Tillet : Rêve fulgurant raconté :
Autre exemple : une porte battante et puis un courant d’air. Toc ! Le rêveur commence à rêver. Il rêve que c’est dimanche après-midi, genre brocante à la campagne. En fait, ce n’est pas une brocante ; il s’aperçoit très vite que c’est une « croquante » : à la croquante, à la place de livres, de bibelots…, à la place des passants, hommes, femmes, il y a des ogres et ogresses qui vendent des enfants usagés ! Bon ! Il est au milieu de cette croquante et ça ne le dérange pas, parce que les ogres et les ogresses ne font pas attention à lui ; et, en plus, il n’est pas obligé d’acheter ! Il continue de marcher au milieu de tout cela. Mais, il lui arrive que, comme dans les rêves, on fait un bond. Pouf ! Et le bond d’après, il est ailleurs. En fait, il a les pieds nus, il est dans l’herbe fraîche, il y a devant lui un parc boisé ; il se rend compte alors qu’il a sept ans et il va s’élancer vers l’étendue du parc. Il trouve ça extraordinaire. Mais, juste avant de s’élancer, son dos voudrait savoir ce qui se passe derrière. Alors ! Il se retourne et il voit la croquante avec les ogres et les ogresses, sauf que quelque chose a changé. Où ? Ah, oui ! Là-bas ! Une ogresse est en train de le regarder et, là, un autre ogre. En fait, ils sont tous en train de le regarder. Pas de transition. L’image d’après, il est en train de courir dans l’étendue du parc boisé. Comme c’est son rêve, il court très vite, il n’est pas fatigué, il n’a pas mal aux jambes ; en plus, il fait des grands bonds démesurés. Hop ! Hop ! Il vole presque. Dans son rêve, il prend appui sur ses cuisses et, dès qu’il est en l’air, il met une grande distance entre lui et la croquante. Sauf que son dos veut savoir si la sensation est en adéquation avec la réalité. Oh ! Juste un regard en arrière ! Pouf ! Il atterrit. A trois pas de lui, les ogres : ils sont tournés vers lui, ils ne bougent pas, ils sont figés. Pas de transition. L’image d’après, il court dans un petit village et les portes des maisons sont toutes fermées (là, Freud ou Young ont une explication !), sauf au bout de l’avenue, où il y a un manoir ; ce n’est pas là où il aurait voulu aller, mais c’est le seul endroit où la porte est ouverte. Alors, il s’engouffre dans le manoir, il monte les marches ; au bout des marches, il y a un couloir ; il va au bout du couloir, il rentre dans une salle, il ferme la porte, il colle son oreille contre la porte, afin de savoir si les ogres sont arrivés à suivre. Visiblement, ils ne l’ont pas suivi ; il se rend compte alors qu’il est tout essoufflé ; ça, il ne savait pas qu’on pouvait s’entendre respirer dans un rêve ; c’est peut-être qu’il est en train de se réveiller ? Du coup, il se laisse se détendre, il se laisse se « dé-souffler », il se laisse glisser vers le réveil, tranquillement ; le cauchemar est terminé, tout va bien. Le réveil sonne alors. Juste avant qu’il se réveille, son dos voudrait savoir quelle est la composition exacte de la pièce dans laquelle il vient d’entrer ; c’est ça le regard en arrière. Et là, dans la pièce, les ogres remplissent la pièce, ils ont les yeux tournés vers lui, les pupilles tendues, ils avancent vers lui. C’est un rêveur lucide ; il sent qu’à partir du moment où ils vont commencer à le manger, il se réveillera, parce qu’on ne peut pas mourir dans un rêve ; et il attend que les ogres s’approchent, et il attend. Et là, il y a la porte qui fait : «  Pom-pom, pom-pom » ; il y a un courant d’air et cette porte continue : « Pom-pom, pom -pom… » Et là, il se réveille vraiment !

Conte raconté dans sa 3ème intervention par le conteur conteur, Marien Tillet
[Reprise de l’introduction ] Dans les contes, les contes merveilleux, particulièrement, ça commence souvent par un rêve qui va indiquer au personnage de sortir de la vie commune. C’est ce qu’on appelle une ouverture d’histoire, c’est la rupture qui va faire que cette personne va partir, voyager et trouver, une belle / un beau.
Et là, c’est juste un berger qui rêve qu’elle est là ; elle est magnifique, une princesse comme il n’en a jamais vue. Elle le prend par la main, ils vont dans les champs et elle l’embrasse, parce que ça fait mille fois qu’il a rêvé d’elle, mais quand il veut l’embrasser, il se réveille. Mais cette fois, il s’accroche à son rêve, il sent qu’il va se réveiller. Elle reste devant lui, elle l’embrasse, et il sent un liquide couler dans sa bouche, dans sa gorge, et… Il se réveille, et, oh !, tout à coup, il y a une note qui sort de sa bouche, lui qui n’avait jamais chanté. La note s’en va, rebondit contre un arbre, un autre, et pouf !, elle vient mourir ici. Puis une deuxième, une troisième. Ces dernières s’assemblent, ça fait une nouvelle note, ça rebondit contre un arbre, ça touche le plafond du ciel, ça redescend comme la foudre dans la terre, et ça s’étend ; il sent qu’il est train de chanter une chose merveilleuse dont il n’avait pas idée. C’est extraordinaire ! Et bien, le jour même, une princesse, dans tout son attirail de princesse, se déplace. Bien sûr, le garde dit : « Mademoiselle, il ne faut pas sortir de la carriole !» « Ah ! Si ! J’entends, c’est beau. » Elle sort, pouf ! Elle part dans la forêt, elle échappe complètement à la surveillance des gardes ; elle saute deux buissons, trois buissons, et elle voit le prince, qui n’est qu’un berger, mais, pour elle, c’est un prince, le prince dont elle a rêvé tant de fois. Il chante et c’est merveilleux. Elle lui dit : « Chante encore ! » et il chante pour elle, et elle dit : « Ah ! Quel dommage que tu sois un berger ! », et puis, elle s’en va ! (ça arrive à beaucoup de bergers). Bref ! Elle repart, puis elle revient de temps en temps, et, une nuit, il est réveillé par un rêve dont il ne souvient pas ; il entend comme un son incroyable, il ne peut pas dire si c’est la musique ou si c’est le vent. En tout cas, il voit bien que la lune dessine comme un chemin de lumière dans la forêt ; alors, il suit ce chemin, il arrive à un lac. Il y a quelque chose, il ne sait pas quoi, mais il y a quelque chose. Soudain, un rayon de lune vient taper sur un cheval. Il y a un cheval de l’autre côté du lac ; puis, un autre rayon de lune vient se poser sur le dos du cheval, et l’on voit, deux ailes. Il s’approche pour voir s’il ne rêve pas. Alors, à quatre pattes, il fait le tour du lac, tout doucement, sans faire de bruit avec son arc et ses flèches ; le cheval boit, ses ailes sont repliées. Mais, s’il s’approche plus, le cheval va s’envoler ; il s’approche encore et, tout à coup, il s’arrête, parce que dans les hautes herbes, il voit un lion. Le lion a les muscles bandés, prêt à bondir. Il voudrait crier, chanter, mais le son ne sort pas. Le lion saute sur le cheval, il s’ensuit une bataille ; le cheval essaie de s’envoler. Le lion lui arrache une aile, puis la seconde, le berger ne peut pas laisser faire, alors il tire des flèches, mais c’est trop tard, car si le lion est mort, le cheval, qui est une jument, est en train de mourir. Mais avant que ne s’éteigne la lumière dans l’œil de la jument, il lit ces mots : « aide-le ». Il regarde le ventre de la jument ; avec la pointe d’une flèche, il l’ouvre, et là, il sort un poulain, tout petit, et sur son dos, deux ailes. Alors, commence une nouvelle vie pour le berger et le poulain. Il lui apprend à faire plein de choses, ils sont amis. C’est son ami, son frère, et c’est presque son père. Et le poulain grandit, il est magnifique, il vole, il a apprivoisé le vent ; il lui apprend à s’appuyer sur le vent, et plein de choses avec le chant et les notes. Et puis un jour arrive la princesse de nouveau ; elle voit le cheval ; elle dit : « C’est extraordinaire ! Ecoute ! Je crois voir une solution. Mon père veut organiser une grande course pour me marier. Avec le cheval que tu as là, on pourrait se marier ». Et le berger s’approche du cheval, lui dit : « Cheval, mon ami, mon frère, mon presque fils, est-ce que tu acceptes ? ». Le cheval ne sait pas, il ne parle pas ; le cheval secoue ses ailes et le berger lui dit : « Si, tu verras, on aura une belle vie, viens, ne fais pas le compliqué ». Le cheval rabat ses ailes. Alors, il s’organise. Il y a une grande course, une grande arène, des gens partout. Sur la ligne de départ, il y a plein de chevaux, des princes et des princes, et aussi une espèce de pouilleux sur un cheval avec un plaid sur le dos du cheval. On démarre la course ; aussitôt le cheval avec le plaid va très vite. Aussitôt, il dépasse tout le monde. Il fait un tour, deux tours. Et du coup, le berger, un peu par fanfaronnade, enlève le plaid et dit : « Cheval, mon ami, mon frère, mon presque fils, nous avons gagné de toutes façons ; montre-leur comme tu es une merveille ». Le cheval déplie ses ailes et s’envole autour de la colline, vla, vla, vla. Puis, il se pose sur la ligne d’arrivée, le berger cherche sa belle des yeux dans la loge royale, il sourit, mais quand il voit la tête de la princesse, il s’arrête de sourire, parce qu’elle ne sourit pas du tout. Il regarde autour de lui, il y a des cordes qui sont tombées sur son cheval, des cordes accrochées à des piquets. Déjà, les hommes essayent de maîtriser le cheval. Déjà, des hommes jettent le berger à terre et lui enfoncent cent lames de couteaux dans le ventre.
La princesse, quand elle voit son homme dans une mare de sang, ne le supporte pas; elle va jusqu’à la falaise et se jette dans la mer. L’arène est désertée, le cheval est emmené, on lui a attaché les ailes et on le marque au fer rouge. Le cheval se dégarnit, le cheval vit dans un endroit exigu. Plus tard, il est apprivoisé, on le sort du box. Il s’est passé deux ans. Deux ans, c’est ce qu’il a fallu au berger pour se remettre de ses blessures ; il n’était pas mort, mais c’est trop tard pour la princesse. Deux ans, c’est le temps qu’il a fallu au berger pour retrouver son coin de forêt tranquille, deux ans pour arriver à se reconstituer. L’air peut à nouveau rentrer dans ses poumons et peut de nouveau sortir avec force. Il est au pied de son arbre, et il chante.
Le cheval, qui pour la première fois sort de son box, les ailes attachées, entend à nouveau le chant du berger. Il met le roi à terre. Le roi donne un ordre : « Qu’on tue le cheval ! », mais le cheval court vers la chanson, il court en direction des notes, en direction du berger. Il se débat ; il arrive à se libérer des cordes, à sortir une aile, puis la deuxième. Alors, il invoque le vent et le vent vient se glisser sous chaque plume, le soulève, les flèches le transpercent, mais le cheval continue quand même. Il arrive au cœur de la forêt, juste devant le berger, il s’allonge, le berger prend la tête du cheval dans ses mains : mon ami, mon frère, mon presque fils. Il retire les flèches et, là, voit dans l’œil du cheval : aide-le ! Et le cheval meurt. Aide-le ! Quoi ?
Il a fini par s’endormir ; et, dans son rêve, il a vu la princesse s’approcher ; et le cheval a rejoint la princesse dans le rêve ; elle lui a dit quelque chose à l’oreille et le cheval a fait oui de la tête. Au matin, il se réveille. Avec la pointe d’une flèche, il coupe la tête du cheval, il la dépose. Avec la pointe de la flèche, il ouvre le ventre du cheval, il en sort les boyaux qu’il fait sécher ; il coupe les crins du cheval. Avec un fémur, il accroche le crin du cheval d’une partie du fémur à l’autre. Il tend les boyaux qu’il a fait sécher, il presse le crin contre les boyaux. Musique ! Musique ! Musique !

Poèmes lus en séance :

Poème en prose de Florence :

Conseils au bon voyageur

Le voyageur de la vie a déposé ses bagages.
Si comme lui vous avez envie de vous lancer dans l’aventure, vous devrez vous alléger. Ne voyagez pas en touriste de l’existence, qui de peur de s’envoler, se leste à tout bout de champ de souvenirs frelatés, d’impérieuses nécessités, de priorités inventés ; tout ça ne fera pas joli sur votre buffet, d’ailleurs que feriez vous d’un buffet ? Vous pouvez très bien danser sans lui !
Vous ne garderez que les souvenirs qui sont plus légers que l’air, tout ce qui pèse, vous le brûlerez, impitoyablement ! La cendre s’envole et n’a besoin que d’un souffle de vent pour aller plus loin, toujours plus loin ! Et s’il reste quelques scories, surtout ne les enfouissez pas dans les trous de votre mémoire ; déposez-les sur le bord du chemin, en petits tas, comme un autel dédié au sacrifice des remords inutiles.
Pour les souvenirs qui vous suivent, pas à pas, et dont vous ne pouvez pas vous débarrasser, ceux qui se dérobent quand vous tentez de les saisir, soufflez-leur dessus en visant la faille de leur intégrité. Gonflés à l’air chaud, ils vous porteront.
Essuyez soigneusement les larmes des souvenirs tristes, elles pourraient geler au contact d’une réalité trop froide. N’hésitez pas à les déguiser, à les travestir, ils vous feront une véritable escorte de carnaval, bruyante et animée, elle tiendra à distance les démons des doutes et des hésitations.
Ainsi équipé, vous pourrez suivre votre guide ; choisissez le meilleur qui soit, un instinct impulsif, sans réflexion aucune, conduisant un attelage de rêves indomptés. Et si vous tombez parfois dans un fossé, ce qui ne manquera pas d’arriver, profitez-en pour manger les quelques mûres que vous trouverez là, jamais vous n’en goûterez de plus juteuses !

Poème de Florence (« fatras ») :

Farci d’alexandrin,
d’après le poème de Jules Supervielle extrait du recueil La Fable du Monde :

« J’aurai rêvé ma vie à l’instar des rivières
Vivant en même temps la source et l’océan »

Quelle est la part du rêve ?

J’aurai rêvé ma vie
Comme un fil de survie
Lorsque les jours sont fiers
Ils passent et je les suis
En berçant mes envies
La vie est routinière
Et les rêves auxiliaires
Mais
Si lourds soient nos soucis
Qu’ils soient changés en pierres
Un songe les ravit
A l’instar des rivières
J’aurai rêvé ma vie, à l’instar des rivières

Vivant au même instant,
La mort à bout portant
Sis entre deux néants
Eternel débutant
Dans ce lieu déroutant
Le rêve est mécréant
Mentir est bienséant
Mais
Mon rêve est un titan
Et le cas échéant
Il tiendra en même temps

La source et l’océan
Vivant au même instant, la source et l’océan

Poème de Florence :

Rêve

Rêve au lit
Révolution
Rêve ou lit, scions
Révolu, scions

C’est la chanson
Du drapeau rouge
C’est la chanson
Du cerisier

Quand les cerises
Deviendront grises
J’aurai du mal
Sous le talon

Quand les cerises
Deviendront rouges
J’aurai du poil
Sous le menton

Révolution
Rêvons encore
Je veux encore
Révolution

Même si alors
J’aurais c’est sûr
Plus un poil sur
Le caillou

Cailloux
Sur les genoux
Mon petit chou
Partons !

Et les cerises
Goutte à goutte
Du cerisier
*Sont dégoûtées

Et il s’égoutte
Du cerisier
Les larmes de sang
Des sacrifiés

Poème de Michèle :

Je suis un rêve.

Allongée dans les hautes herbes,
Non loin d’une rivière qui coule paisiblement.

Je ressens la brise sur ma peau qui se réchauffe au soleil.
Le ciel est bleu sur mes pensées si ternes.
C’est une flânerie enivrante
Chargée de parfums envoûtants.
C’est un rêve ou c’est réalité ?
Il ne tient qu’à un fil que ce soit réalité.
Allons faire un tour à la campagne et goûtons au charme de celle-ci.

Et un ultime poème sur le rêve, une œuvre du poète espagnol Antonio Machado (1875-1939) :

Parabole

C’était un enfant qui rêvait
D’un petit cheval de carton.
L’enfant ouvrit les yeux
Et ne vit pas le petit cheval.
Avec un petit cheval blanc
L’enfant repartit dans son rêve;
Il le prit par la crinière…
Maintenant, tu ne t’échapperas pas !
A peine l’avait-il attrapé
L’enfant se réveilla,
Il avait le poing fermé
Le cheval s’était envolé !

L’enfant devint sérieux,
Pensant que ce n’est pas vrai
Un cheval rêvé.
Et il ne voulut plus rêver
Mais l’enfant devint jeune homme,
Et jeune homme eut un amour.
Et à son aimée il disait :
« Toi, es-tu pour de vrai, ou pas ? »
Puis le jeune homme se fit vieux
et il pensait : tout est rêve;
et le cheval rêvé,
et le cheval pour de vrai,

Et lorsque vint la mort,
Le vieil homme à son cœur
Demandait : Toi, es-tu pour de vrai ?
Qui sait s’il se réveillât ?

Antonio Machado.

 

 

 

 

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