Dernière restitution :

Quelle place pour le doute?

L'âne de Buridan. Estampe

                                                                                 L’âne de Buridan . Estampe.

Restitution du café-philo de Chevilly-Larue du 3 juin 2023

Animation: Thibaut Simoné.  Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : « Le premier pas vers la philosophie est l’incrédulité »  (Diderot) Ce mot est tout autant chez lui, le refus de la croyance religieuse, que le refus des choses a priori, ce que l’on nomme aussi le scepticisme (j’y reviendrai).Le mot Doute vient du latin « Dubitare » balancer..
Balancer peut être entre deux possibilités. C’est,  être certain qu’une de ces deux propositions est bonne. Cela ne semble pas correspondre à l’esprit français qu’on dit « cartésien ».
Dans certaines langues, certaines cultures, le doute n’est qu’affaire d’analyse et d’expérience, dans notre approche française, le doute n’est pas toujours dépassable. C’est oui, nous savons, mais !
Mais !  Parce que nous savons que dans bien des domaines, des certitudes inoxydables (expression de Jankélévitch), des vérités scientifiques ont été renversées par des connaissances nouvelles.
Toutefois le doute ne doit pas nous empêcher d’agir, ou alors nous nous retrouvons dans la situation de notre ami l’âne ; l’âne de Buridan qui hésitait entre manger de l’avoine dans le sac devant lui, ou boire dans le seau à côté du sac d’avoine, il a tant hésité, nous dit l’histoire qu’au 107ème jour il est mort.
Donc, le doute parfois ne peut pas empêcher d’agir, on ne pas toujours rester dans la suspension de jugement des sceptiques (l’époché).
Le mot sceptique vient du grec SKEPSIS, soit ; recherche critique, examen, il est refus d’admettre une chose sans un examen critique. Les sceptiques pèsent les  raisons et finalement optent pour ce qui leur paraît le plus sage, ils dépassent le doute, et agissent. D’autres sceptiques que sont les pyrrhoniens, eux, doutent de tout, et suspendent leur jugement, et ne peuvent se prononcer.
Pour certaines personnes le doute les met dans l’embarras, dans l’embarras à ce point que cela empêche toute action, comme pour l’âne, alors ils vont prendre l’option d’agir comme le plus grand nombre, opter pour ces vérités inoxydables; ils ne peuvent pas vivre dans l’incertitude, le doute est tel le sol qui se déroberait sous leurs pieds. Alors ils vont se rabattre sur les jugements a priori, se conformer au « tout le monde pense comme ça,»  « tout le monde fait comme ça ».
Mais, vivre, c’est en raison, dépasser le doute.
Si je doute de moi, du moins si je doute trop de moi, je me ferme l’avenir, je me prive d’entrée, de tous les possibles. Et c’est justement parce, oser vivre, en conscience du doute, c’est se donner des chances, des chances de surprises agréables, de découvertes, de rencontres, que je pourrai me réaliser.

 

: Débat: Il existe plusieurs sortes de doutes. Où situer le doute ? nous voyons :
Le doute en général, le doute comme incertitude sur la réalité d’un fait ; le doute sceptique (déjà cité) ; Le doute cartésien, où comment douter raisonnablement en analysant, le doute qui suscite réflexion ; le doute et la philosophie, celui qui libère des dogmatismes, car : « l’ennui dans ce monde » nous dit Bertrand Russel « c’est que les imbéciles sont sûrs d’eux, et que les gens sensés  plein de doute ». Le doute traverse toute la société, lequel est nécessaire pour l’évolution de cette société. Mais le doute systématique peut engendrer la suspicion, qui va jusqu’au complotisme, aux fake news comme nous l’avons vu lors de la crise de la Covid 19.
Aujourd’hui le doute s’inscrit dans des nouvelles technologies, tel ChatGBT, où le faux se déguise en « vrai », où des avatars se substituent au réel.

⇒ Il existe au moins deux sortes de doute, il est comme le sérum et son poison ; le doute utile et le doute malsain. Le doute utile qui permet l’analyse,  les bons choix, celui qui évite les catastrophes. Puis le poison ; celui  qui est instillé par un tiers. Celui qui vous empoisonne, qui vous met dans l’embarras, qui va à l’encontre de mon raisonnement, qui peut vous culpabiliser…
Sortir du doute, peut être, écouter d’autres avis, pour retrouver la confiance

⇒  Il y a un mot que j’ai entendu, c’est le mot confiance, j’aime bien ce mot ; actuellement nous vivons dans une époque de diverses informations, dans un flux permanent, flux dans lequel on ne peut pas tout vérifier. Par conséquent, quand une information nous intéresse, il nous réfléchir si nous pouvons faire confiance à la personne qui en est la source. Par exemple, si j’entends un cosmologiste qui nous explique que l’univers observable a 10 milliards d’années, bien sûr je lui fais confiance.

⇒  Le doute c’est le contraire de la certitude. Entre les certitudes, la croyance, et la foi, le chemin est très court. Le doute me fait penser que ce que l’on tient pour vérité n’est que vérité visible, et toute vérité doit pouvoir être réfutable ; c’est le  rincipe même de la science. La science n’avance que, parce qu’à un moment donné un collectif se trouve d’accord sur certains points, puis un autre collectif viendra qui va démontrer que ce n’est pas ça, ou que c’est  plus du cela ;
Je suis assez d’accord qu’il faut dépasser le doute pour avancer,  mais ne pas avancer des choses bêtement, car il faut que l’on doute du doute.
Mais le doute du doute a déclenché le complotisme, et il se trouve des gens qui ne vivent que dans le complotisme permanent. Donc il faut douter de ce qui voudrait qu’on soit manipuléComplotismes, que tout soit complot. Il faut faire confiance à un certain nombre de spécialistes, mais aussi garder notre jugement quant à ces spécialistes, car une information peut  avoir aussi ses charlatans. Donc il faut être confiant et vigilant à la fois, le doute nous y oblige.

⇒  Etienne Klein différencie le doute et le soupçon. Le soupçon est pour lui le négatif ; le doute se posant lui à priori face à une affirmation, là où le soupçon est le refus de ce qui se passe, et le complotisme étant lui un refus sans aucun questionnement de l’intelligence, de la raison.
Donc il y a différence entre doute et soupçon, ce que reprend la philosophe Eléna Pasquinelli, qui elle, travaille sur la conscience, sous les différents positionnements de la conscience en lien avec la société, individuelle ou collective, et l’unicité du doute.
Elle questionne notre rôle, et celui dans la société qui n’a pas confiance dans ses institutions. Donc pour moi, la question est : comment se prémunir du soupçon, et passer à un doute raisonné ; à titre individuel et aussi à titre collectif ? Comment favoriser un doute qui ne crée pas des sociétés complotistes ? Et à l’inverse comment créer une société de la confiance, quand cette confiance est basée sur une  confiance à  diffuser et à partager.
Ce n’est pas le cas dans nos institutions scolaires d’apprentissage de la confiance, et de la compréhension ; ceci dans le sens que ce qui donne la confiance n’a pas lieu et donc la présence du doute est très présente chez les jeunes.

⇒  Quand on parle de doute, on parle parfois de doute métaphysique ; y a t-il quelque chose là-haut de suprême, y a-t-il vraiment quelque chose après la mort ? Ce doute est astucieusement exploité par un dénommé Blaise Pascal, qui propose rien de moins qu’un pari, pari dans lequel il dit : Vous pariez sur l’existence de Dieu ; vous n’avez pas investi grand-chose, et voilà qu’il existe, vous ramassez le pactole, la vie éternelle …,  vous refusez de parier, et voilà qu’il existe, vous perdez non seulement gros mais vous voilà condamné à la damnation éternelle.
Et vivre sans la confiance n’est pas concevable pour certaine personnes, il faut une croyance en quelque chose, quelque chose qu’ils ne remettront jamais en question, ainsi à l’extrême on parle de la foi du charbonnier :

« Le diable un jour demanda à un malheureux charbonnier
-Que crois-tu ?
Le pauvre hère répondit :
– Toujours je crois ce que l’Église croit.
Le diable insista :
– Mais à quoi l’Église croit-elle ?
L’homme répondit :
-Elle croit ce que je crois»Le diable eu beau insister ; il n’en tira guère plus et se retira confus devant l’entêtement du charbonnier. (Fleury de Belligen. Grammairien du XVIIème s)

⇒  Clément Victorovitch a été présenté dans une émission qui avait pour titre «  Eloge du doute » dans laquelle il nous parle de la différence entre les valeurs d’un auteur qui peut nous affirmer  des faits de manière scientifique, ou, affirmer avec des arguments, lesquels sont parfois biaisés. Et l’on parlait alors de doute quant à la chloroquine ; lors de la crise de la Covid 21 avec une personnalité scientifique qui proposait de soigner les effets de cette maladie, laquelle était en opposition totale avec des scientifiques de ceux qui osaient même dire, « – je ne sais pas » ; Donc le doute s’est répandu sur les réseaux sociaux, et les algorithmes  ramenaient toujours sur des publications qui affirmaient l’efficacité de ce traitement, c’était le billet de confirmation.
Ce billet de confirmation en fait était augmenté par toutes les recherches qu’on peut faire sur Internet, et par des articles, lesquels avec le fonctionnement des algorithmes nous ramenait toujours vers des articles allant dans le même sens ; donc, des articles où le doute est effacé, supprimé, puisqu’on va toujours dans le sens de ses certitudes antérieures.
Et je me suis replongée dans un ouvrage de Gerald Bronner «  Apocalypse cognitive » qui nous dit que le déferlement de l’information a entraîné une concurrence généralisée  de toutes les idées. En fait il n’y avait pas de hiérarchie entre les informations provenant de scientifiques aguerris, et d’information provenant de « margoulins », qui énonçaient des informations à l’emporte pièce.
De toutes ces lectures j’en ai tiré un petit texte.
Le doute fait que l’Être humain  ne se contente pas d’être au monde, mais de penser le monde et de l’interroger, et aussi se faire violence en ne s’appuyant pas sur des certitudes, comme de ces fameuses certitudes qu’on nous a assénées lors de la pandémie.
C’est inconfortable, alors maintenant comme dans les siècles passés il est difficile de dire « je ne sais pas » ou, « je ne suis pas sûr ».
Avoir des doutes doit donner le temps de comprendre, de réfléchir. Dans une époque où tout va très vite, où il faut prendre des décisions rapidement, le doute est mal perçu, il n’a pas sa place.

⇒   La peur n’a pas sa place avec le doute, on a besoin de certitudes ; et certains scientifiques parlent avec éloquence, tel un certain professeur lors de la crise de la Covid 21. C’est problématique, car l’éloquence de la parole ne correspond pas à la justesse de la pensée.
On a vu que la recherche et la science ce n’est pas la même chose, que la recherche est chronophage, et que si sur un plateau de télé, si vous dites « je ne sais pas », vous n’êtes plus invité.
Une la société est parcourue par deux courants : conséquence de cela, c’est que cela crée le doute envers la communauté scientifique.
Etienne Klein cite un philosophe anglais, Bernard Williams, lequel dans son ouvrage «  Vérité et véracité » explique que la société est parcourue par deux courants de pensée qui normalement devraient s’annihiler mutuellement, mais au contraire, ils se renforcent. Il dit : la terre est parcourue, et par la recherche de la véracité, et par le refus d’être dupe, donc la tradition du doute, c’est qu’il est complètement légitime en démocratie, mais cette permission de douter va se muer, en hyperthrophilie. Et cette hyperthrophilie va en venir jusqu’à nier le fait qu’il puisse exister des énoncés fiables, et des énoncés dont il est compliqué de mettre en doute ; c’est un vrai danger démocratique. C’est ce que dénonce Pascal Bronner dans « La démocratie des crédules » .

⇒  Il nous faut toujours bien définir ces deux mots, certitude et conviction. La conviction est une « vérité admise » qui ne clôt pas la recherche de vérité, c’est ce qui me paraît en toute honnêteté comme étant vérité, ce qui me paraît plausible, ce à quoi on pourrait s’en tenir. Politiquement et socialement il me faut des convictions, mais je ne les considère pas comme « vérité en soi ». Avec l’âge, les événements, mes convictions ont changé. La conviction n’est pas la sortie du doute, elle ne s’apparente nullement à une certitude, car dans la conviction la part du doute n’est jamais réellement éliminée. Les certitudes sont des prisons.

⇒ Le doute mène à une petite inquiétude, et le professeur qui lors de la Covid 21 aurait dit « je ne sais » pas nous aurait encore plus inquiété. Il y a quelque chose d’intéressant dans ce rapport : autorité, doute. L’autorité qui doute cela crée la crainte, mais aussi à la recherche de discernement.
J’ai bien aimé cette idée que le doute fait naître l’inquiétude.

⇒  Dans nos sociétés occidentales, nous ne sommes plus éduqués à une société de certitudes, en opposé, je pense à une population qui vit dans une incertitude complète (exemple Haïti) liée aux différents événements climatiques, géologiques…, cette société là, a un rapport au doute et à la certitude, de pensée très différente à la nôtre. Là, j’ai entendu dans ce débat quatre expressions importantes : le doute pose problème parce qu’il génère émotions, peur, de la douleur, que ça nécessite d’affronter la complexité. Mais finalement le fait qu’il n’y ait pas de réponse unique, ça régénère des émotions, ce qui n’est pas pour autant « bêbête ». Le doute est une notion qui est fondamentalement du ressenti par l’individu, et si l’on n’a pas ça en soi, je me demande d’où cela peut venir ; de l’éducation ? Mais quel est le véritable fondateur du doute en nous ? Difficile à expliquer, c’est quelque chose qui jaillit, c’est comme une source ?

⇒  Il a la place du doute sur certaines thématiques et pas d’autres. Je pense que, de par notre éducation, nos expériences, notre environnement, on peut avoir des doutes sur certains thèmes, et des certitudes sur d’autres, et ce n’est pas la même chose pour chacun d’entre nous.
Il y a un terme anglais « Working progress » qui nous dit que nous sommes toujours en progression, et le doute lui-même nous permet de progresser, cela sur certains thèmes, et d’autres un peu moins, voire pas du tout.
Pour finir je voudrais cité jacques Audiard  pour qui :  les cons ça ne doute jamais et c’est même à cela qu’on les reconnait.

⇒  Alors pour réponde à une question entendue ; comment le doute s’installe en nous ? et bien, c’est parce que ce monde est plein de pièges, rempli de gens qui peuvent vous mentir. Si l’on vivait dans un monde bisounours, nous ne connaîtrions pas le doute, mais nous ne sommes pas Candide. Le doute s’installe avec le vécu, le doute est un élément de survie.

⇒ Oui on peut penser que dans les temps lointains celui qui na jamais douté, et bien, il est mort. De ce fait il n’a pas laissé de descendance. Le doute a ainsi participé à la sélection naturelle.

⇒  Je reprends la question : qu’est-ce qui permet de douter ? On a dit c’est volontaire, c’est ressenti, on a ajouté, c’est expérientiel, je rajouterai deux éléments : ça nécessite la curiosité, et la curiosité on l’a chez l’enfant avec la confrontation au monde. Après effectivement, vient l’édu cation, le rapport à la volonté d’aller affronter la douleur, c’est cette curiosité qui fait continuer à douter, même si parfois ça peut être douloureux.

⇒ Il y a ressenti, et puis il y a un peu d’insti nct. Vous avez un ami, un conjoint, vous sentez quelque chose qui ne va pas, et vite le doute s’installe.

⇒ Est-ce que le doute ne ferait pas partie de notre part animale

⇒ Quelqu’un dit:
– Tiens ? Un ange passe !
alors que l’ange, il ne l’a pas vu passer !
S’il avait le courage, comme moi, d’observer le silence en face, l’ange il le verrait !
Parce que, mesdames et messieurs, lorsqu’un ange passe, je le vois !
Je suis le seul, mais je le vois !
Evidemment que je ne dis pas que je vois passer un ange,
parce qu’aussitôt, dans la salle, il y a un
doute qui plane !
Je le vois planer, le doute !…
Evidemment que je ne dis pas que je vois planer
un doute parce qu’aussitôt, les questions:
– Comment ça plane un doute ?
– Comme ça ! (geste de la main qui oscille)
– Comment pouvez-vous identifiez un doute avec certitude ?
A son ombre !
L’ombre d’un doute, c’est bien connu… !
Si le doute fait de l’ombre, c’est que le doute existe… !
Il n’y a pas l’ombre d’un doute !
Et l’on sait le nombre de doutes au nombre d’ombres !
S’il y a cent ombres, il y a cent doutes.
Je ne sais pas comment vous convaincre ? !
Je vous donnerais bien ma parole, mais vous allez la mettre en doute !
(Raymond Devos)

 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin?

Pablo Picasso. Le coq; 1938

Pablo Picasso; Le coq. 1938

Restitution du café-philo du 25 avril 2023 à Chevilly-Larue

Animation: Thibaut Simoné. Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : A cette question Chat GBT répondrait sûrement « l’envie du café et du pain grillé…. » Au coin Chat GBT avec le bonnet d’âne. On va essayer de penser au-delà, et par nous mêmes
Ce qui m’a donné l’idée de ce débat est une réplique dans un film espagnol, Entrevias, (je cite) : «  …on a besoin d’une chose pour laquelle lutter, une chose qui nous aide à nous lever chaque jour et nous rendre heureux… »
Pour Aristote, le bonheur est dans l’action, il nous dit par là que dans l’action nous nous réaliserons, To be, is to do,     nos amis Anglais, reprenant cette idée, donc se lever pour être vivant.
Un autre conseil  nous est donné par le Sénèque, pour se lever et ne pas oublier de vivre ce jour inscrit dans le compte de nos jours, il nous dit « Il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier »
Cette question sous-entend aussi, qu’est-ce qui nous tient debout dans la vie, qu’est-ce qui nous donne le plus, le goût de la vie ?
Qu’est-ce qui nous donne l’impulsion nécessaire ?
Autrement dit, qu’est-ce qui nous motive ? Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?

 

⇒ Débat : Après des années de travail, je peux ressentir ce que je considère comme un privilège : ne pas avoir de contrainte, et c’est ce bonheur qui participe à l’envie de se lever.
Puis je fais une courte gymnastique matinale, mentale, pour voir comment je vais vivre au mieux cette journée.

⇒:Lorsque je me lève le martin, j’ai déjà ressenti aussi un privilège, celui « d’être vivant » et de pouvoir vivre au mieux cette journée, comme si c’était la dernière (pour le dire comme Sénèque). Aller vers cette journée avec ses possibles aléas, mon esprit est disponible, je suis pour découvrir, dans ce désir « puissance d’exister » de Spinoza.

⇒ Qu’est-ce qui me fait lever le matin ? En fait, qu’est-ce qui me motive ? Alors, comme cela a déjà été dit, c’est le réveil, e café, le pain grillé…., et l’envie d’entreprendre. Donc ce qui me fait lever le matin, c’est le plaisir de vivre, tel que nous l’enseigne Epicure, (les plaisirs simples, boire et langer avec tempérance , et dormir) et réfléchir, parce que le travail pour moi, retraitée mais pas en retrait, a toujours été un travail libre et non contraint. Autre élément nécessaire pour bien me lever le matin, une santé physique permanente, et enfin être dans des projets, des projets sans cesse réactivés, pour exister et non seulement vivre (Sartre)

⇒ Se lever le matin, est d’abord une obligation pour subvenir à des contraintes matérielles.
Se lever est aussi un rituel, une mécanique bien huilée pour affronter le quotidien, à ce moment, le cerveau est encore en pilotage automatique. Le retard de la mise en route nous protège des angoissantes questions existentielles, de les éluder.
Mais plus que tout, se lever le matin c’est se projeter dans l’existence. Ne pas se lever c’est faire corps avec l’insignifiance du monde, c’est faire face au réel dans toute sa pesanteur.
Je me lève, donc j’existe ! Se lever le matin est la condition de la liberté, car être libre, on y accède par une activité utile, signifiante, que nous réalisons par nous-mêmes. Se lever le matin permet de devenir soi. Nous lever, nous aide en quelque sorte, à, devenir.

⇒ Très concrètement, ce qui me fait lever  le matin, c’est le projet d’être utile aux autres. Je suis retraitée depuis peu, et ce qui me motive, c’est d’être un petit grain qui peut apporter aux autres ; et tous les matins, je me dis que tant que j’ai suffisamment d’allant, eh bien, je peux être utile à des personnes diverses, être utile à ma famille.

J’avais préparé ma check-list des diverses réponses possibles à cette question, de ce qui fait  se lever le matin, et certaines ont déjà été évoquées.
Je me lève parce qu’un projet trotte dans ma tête, comme défendre des idées politiques. Je n’irais pas jusqu’à dire, refaire le monde, car là, il faut se lever  tôt, voire encore plus tôt.
Je me lève facilement parce que j’ai la chance de faire une activité qui me plait, et là je pense à ceux pour qui la perspective chaque d’aller vers un travail sans désir, serait plutôt démotivante.
Je ne suis pas victime de la tyrannie du réveil, je me lève spontanément sans réfléchir au pourquoi du comment, ce qui est sûrement le cas la plupart du temps, action où la raison est non profonde, non consciente.  « Il est vrai » nous dit le philosophe Maine de Biran «  qu’il y a en nous une force propre qui se donne  à elle-même sa direction..  »
Je ne vais pas faire un examen de conscience tous les matins au réveil, c’est trop fatiguant, c’est presque à se remettre sous la couette.
Je me lève pour sortir du monde du rêve,  pour aller voir le monde réel. Il y a des jours, des aubes qui sont des promesses.
Enfant je me levais tôt, avide de connaître la vie, pour grandir. J’ai « grandi» et avec beaucoup d’années, ce qui me fait lever tôt c’est pour vivre le plus possible, « « le premier des derniers jours de ma vie ». Le fait de se lever chaque matin,  chose banale, serait-il  un acte de survie ?
Je me lève tôt, parce que l’acte de se lever tôt est rassurant. Rester encore un peu au lit, cela peut amener à se poser des questions quand à la nécessité de se lever, se poser des questions existentielles,  avec le risque, après plein de pendiculations, (étirements matinaux)  de faire de la dysanie,  (Difficulté à sortir du lit), ou pire, de la clinomanie, ou, clinophilie, (soit le refus catégorique de se lever).
Allez ! zou ! on se lève !

⇒ Ce doit être terrible de se lever sans aucun projet. Se lever en se disant que la journée sera en tout point identique à celle de la veille, et qu’il en sera ainsi demain, et tous les jours à venir, cela doit être ce que ressentent ceux qui sont privés de liberté, savoir, avec certitude que ce jour sera pareil aux jours passés et qu’il y a encore des centaines de jours terriblement identiques à venir.

⇒ Je suis aussi à la retraite depuis peu, medecin retraitée, et pour moi me lever avant c’était pour soigner. Puis ce fut se lever le matin pour faire plein de chose pour la maison, puis prendre soin devenir,  de soignante,  aidante d’une mère souffrant d’Alzheimer. Et puis, tout à coup je suis repartie avec des projets. Des projets qui vont dans le sens d’aller vers les autres de nouveau. Je suis bénévole dans une épicerie solidaire, et je vais faire des cours à des personnes hébergées. J’ai retrouvé ce plus d’énergie pour me lever le matin.
Et puis parfois, je me dis, être dans un bon lit, avoir un toit, c’est avoir de la chance….

⇒ Au réveil, je suis simplement content d’être vivant, ce monde m’intéresse. Nous sommes malgré nous celui ou celle qui écrit sa vie, tout n’est pas écrit d’avance. Il y a toujours quelque chose à découvrir, à apprendre, ça ne viendra pas me surprendre dans mon lit, il faut que j’aille au devant
Si au réveil je suis un peu paresseux, alors,  c’est un combat contre moi-même, un combat que par fierté je veux gagner, c’est presque un acte de liberté  (dirait un philosophe un peu éveillé)

⇒Qu’est-ce qui me fait lever le matin, pose aussi la question : qu’est-ce qui fait que je ne peux pas me lever le matin ? Quand je serai malade, quand je vais souffrir, que les douleurs seront fortes, qu’est-ce qui m’aidera à me lever? Est-ce que je pourrai me lever malgré tout ça ? Comment arriver à l’acception de soi au moment présent où je suis vivant malgré mon handicap, où est la résilience ? . La première possibilité est comportementale, agir pour pouvoir se remettre en mouvement…… Et comment on fait, par exemple, pour avoir la motivation  pour se lever le matin quand on a perdu celui qui vous a accompagné toute une vie ? quand on a perdu ce qui donnait sens à votre existence. ?
On ne se lève pas tous les matins pour la même raison, et en fonction des différents moments de sa vie. Et parfois, ca peut être ces petites « madeleines » de Proust dont on a parlé : l’odeur du café, du pain grillé, ou parfois ce peut-être de grandes causes, et là on a la force, l’énergie pour agir, et c’est alors ce qui nous porte.

⇒Je suis enseignant : ce qui me fait lever le matin, c’est parce que je pense que le savoir est un trésor, et que ce grand trésor acquis au cours des siècles, ce trésor doit être partagé, voire, enseigné. Et ça c’est extrêmement puissant pour ma part ; puissant pour partir au travail chaque matin, et transmettre des connaissances. C’est ce qui me met dans l’action, c’est presque un but en soi, ça me porte.

⇒ « Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt », dit l’adage. Sauf que la plupart de ceux qui se lèvent tôt : femmes de ménage dès 5 heures du matin, éboueurs, etc. partent travailler pour gagner quelque argent, alors que ceux qui se lèvent tard, ont parfois leur argent qui travaille pour eux.

⇒ Qu’est-ce qui me fait lever le matin, et bien, oui c’est mon réveil, mais c’est aussi parce que je n’ai plus sommeil, parce que c’est mon corps qui m’a réveillé. Et jusqu’à présent on a surtout répondu à la question : qu’est-ce qui me fait vivre, rester debout ? Face à ces trois grandes catégories évoquées : Idéal – Travail – à chaque instant de notre vie, on est confronté à cela d’une manière un petit peu différente. Pour le travail on peut se lever un peu contrarié, mais on peut aussi y aller avec joie.
En fait tous les humains ont en eux, ce que j’appellerai, la pulsion de vie, laquelle me fait rester debout alors que je pourrais être accablé par des événements.
Que l’on soit actif ou retraité, c’est un peu la même question, et au final, c’est la vie ; la vie en conformité avec ce que je pense, idéal, travail, projet, tout cela me tient debout et même au point que dans cette idée si je continue à y penser jusqu’au soir, à un moment cela peut m’empêcher de m’endormir. Mais ce qui me rend heureux, me fait lever le matin, cela peut –être aussi d’être bien dans une routine inévitable,  et aussi en conformité avec soi.

⇒  Cela me fait penser à Matthew Crawford qui était directeur d’une think tank, et qui a constaté que son activité ne lui donnait plus le courage de se lever le matin. Il a tout plaqué pour ouvrir un garage de réparation de motos. Il raconte cela dans un livre qu’il a écrit : « Eloge du carburateur » ; il a retrouvé le goût de la vie, le tonus pour se lever le matin.

⇒ Pour avoir une motivation pour se lever le matin, il faut, être en activité ; quelle qu’elle soit, même en retraite ; « Je veux » écrit Montaigne « que la mort me trouve plantant mes choux, nonchalant d’elle, (Sans me soucier d’elle) et de mon jardin inachevé ». Si devenu vieux, je pense à ce que j’ai en route, à tout ce que je ne pourrai peut-être pas  finir, parce que demain je ne serai plus là, alors je me dis : à quoi bon !  Et bien, surtout pas, il faut continuer à aller de l’avant chaque jour,  chaque matin, c’est dire oui à la vie.

⇒ La radio, une aide pour me lever.  La radio me dit le monde, le monde comme il va, bien et pas bien, mais c’est comme un appel à l’extérieur, le monde il n’est pas dans ton lit.
Si les journées précédentes ont apporté quelque chose d’intéressant, si elles ont été animées, bien remplies, cela me donne envie de découvrir la suite. Autrement dit, en remplissant bien mes journées, en les rendant utiles, en vivant le plus possible le présent, je travaille à me donner l’envie de découvrir le futur, et à me donner de ce fait l’impulsion pour me lever chaque matin.
Se lever est un besoin d’existence. Si je reste indéfiniment au lit, je suis coupé du monde, c’est avec les autres que j’existe. Donc : je me lève, donc je suis.

 

 

 

 

La bêtise a t-elle un avenir?

Bécassine

Restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue, le 25 mars 2023

Animateurs : Guy Pannetier. Edith Deléage-Perstunski.
Modérateur ; Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Cette question a surgit suite  à l’écoute de quelques propos entendus récemment sur une chaîne de télévision. Propos évoquant un recul chez les plus jeunes dans la  croyance dans les sciences, et d’un refus de nombre de vérités scientifiques.
Etait évoqué, une possible responsabilité de ce « grand progrès de la communication »  que sont les réseaux sociaux, lesquels amènent un nombre non négligeable de personnes, personnes jeunes surtout, à faire leurs, des propos parfois délirants de croyances de toute sorte, d’a priori, qui deviennent des vecteurs imprégnants de la bêtise.
J ai voulu voir par exemple, les contenus de vues regardées par un jeune public (et parfois moins jeune) sur TikTok.  Le peu que j’ai vu,  était aberrant de bêtise, cela semble vraiment être des programmes à décerveler. qui confirme la plaisanterie qui dit que Tik Tok rendrait toc. Mais c’est chez les adultes que la bêtise est  à redouter. Ces réseaux sont pour des ados, où étions-nous à cet âge ?
Le constat serait que la bêtise progresse, pour le moins elle s’expose plus, donc cela pourrait nous rassurer quant à son avenir
Le philosophe nous a dit que bon sens serait la chose la mieux partagée, mais il ne s’est pas prononcé sur la bêtise, bêtise humaine, trop humaine, car la bête ne peut être bête.
Au-delà de cela, se pose la question comment lutter contre la bêtise, laquelle pourrait engendrer une société régressive, une société s’installant dans une certaine idiocratie, où, dominé par les intelligences artificielles, l’humain ne serait plus qu’un utilisateur de technologies
Alors, qu’est-ce qui serait la cause réelle de cette prétendue progression de la bêtise ?
Etaient également invoquées dans le reportage : l’éducation scolaire, l’éducation parentale, les nouvelles technologies,  l’accélération de notre rythme de vie, voire les perturbateurs endocriniens, comme l’affirment des chercheurs. Etait-ce une inculture qui progresse ? une déficience liée  à l’usage de produits chez les ados ?
Même si nous  sommes assurés qu’elle ait un avenir, elle a aussi un passé comme nous le rappelle si judicieusement Michel Serres dans son  ouvrage « C’était mieux avant ». Il nous rappelle qu’il y  tout juste un siècle (je le cite) : « Avant, »  sans crainte de procès, nous pouvions caricaturer les juifs et les injurier bassement dans les magazines antisémites librement répandus; montrer quasi scientifiquement que les Africains, les Aborigènes australiens, que les noirs en général, incultes et proches des primates,  dataient d’avant le néolithique, […..] que les Allemands n’étaient que des brutes sanguinaires,  comme les communistes et socialistes au couteau entre les dents, sans oublier les francs-maçons, les ouvriers, les banlieusards… »
  Alors,  on déplore dame bêtise, «  on s’en moque, «  on voudrait la combattre, «  on la dénonce comme dangereuse, mais quand on a dit cela,  l’a-t-on fait reculer d’un pouce ?
Il y a de très beaux textes,  textes très intelligents sur la bêtise, je ne vais pas vous les lire maintenant, car je ne veux pas court-circuiter des réflexions qui murissent chez vous.
La littérature, le théâtre, le cinéma,  nous ont fournit de beaux modèles de la bêtise,  des héros de la bêtise,   et une héroïne, car la bêtise alors, n’était pas genrée.
Si je voulais analyser le concept bêtise, pour autant qu’on puisse conceptualiser la bêtise, je le déclinerai en trois approches spécifiques :
Un Etat, tel l’essence de la bêtise, son fondement, une faiblesse,  une défectuosité psychique qui est le terme soft pour une tare (Peut-être trouvera t- on le gène de la bêtise).
Un comportement, des façons  d’agir, de réagir,  dont l’ingénuité, ou une génération du click,  où quand l’instantanéité, où la parole va plus vite que la réflexion ?
Un jugement appréciatif, un jugement  qui peut, être en effet miroir, soit « voir la paille dans l’œil de son voisin », voire utiliser tous les poncifs.
Donc en résumé trois éléments : un état – un comportement –des jugements appréciatifs.
Et enfin j’en termine. Vouloir débattre philosophiquement de la bêtise, comporte un grand paradoxe. Car, comme nous l’explique un philosophe (Robert Musil dans, De la bêtise)  pour tenir des propos sur la bêtise, cela présuppose que je ne suis pas bête,  ce qui signifie,  que je me considère comme intelligent, alors qu’un tel aveu,  (dit-il)  serait signe de bêtise.

 

⇒ Peut-on opposer la bêtise et l’intelligence ? non, car quelques fois sous le couvert d’une culture supposée intelligente, des bêtises peuvent être faites ou dites, par manque de discernement, de compétence, d’objectivité, d’ouverture d’esprit, ou découlant d’une idéologie. Le supposé intelligent à son lot de bêtise, et, si il a du pouvoir ou de la notoriété, cela amener à des catastrophes…. Méfions-nous des certitudes.., des réseaux sociaux, des publications au détriment de la réflexion, et de la raison.
La crédulité est exploitée sur les réseaux sociaux, des slogans racoleurs trouvent des victimes , des personnes faibles ; des gourous vous proposent par exemple des régimes tout légumes pouvant tout guérir, les sectes repèrent les individus qui peuvent être en difficulté dans leur vie, des charlatans de toutes sorte sont sur le Net.
L’éducation doit apprendre à se méfier contre ses tentatives de manipuler, contre la propagation de fausses informations qui peuvent prises comme vérités par de personnes, personnes jeunes souvent. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, je dirai : « on ne nait pas bête, on  le devient ».

⇒ Est-ce que des personnes faibles et fragiles, manipulées peuvent être considérées comme des personnes bêtes ?

⇒ La bêtise peut se propager sans qu’on y prenne garde, elle n’est pas forcément détectable de suite, de ce fait elle est dangereuse.

⇒ Dans l’introduction à ce débat des exemples donnés nous mettent sur un champ : bêtise, intelligence, mauvaise foi. Il faut qu’on fasse un peu le tri. Il y a des gens de mauvaise foi quoi disent des choses idiotes, alors qu’ils savent très bien qu’elles sont idiotes, c’est la mauvaise foi, ceux-là ne sont ni bêtes ni intelligents
On assimile la bêtise à une certaine inintelligence, mais demande de définir l’intelligence ; laquelle serait pour moi savoir s’adapter à des situations nouvelles, ne pas en rester sur des schémas, ne reprendre que les idées toutes faites, etc…
Donc celui qui serait bête serait celui qui est dépourvu de ce « bon sens » qui fait sait toujours s’adapter. Et si on ne sait le faire, alors on s’enferre dans es certitudes, celles qui rassurent.

⇒ La bêtise a deux aspects, une double face, une face « agréable » disons excusable, et une face nuisible. Donc, elle est excusable ou détestable, elle peut être amène, ou perverse et malveillante, et tout ceci n’a aucun lien avec l’intelligence.

⇒ Est-ce qu’il n’y a pas la possibilité de développer, et l’esprit critique et la capacité d’analyse chez des enfants afin d’envisager d’éradiquer la bêtise. ?

⇒ «  La bêtise c’est un type qui vit et qui dit ça me suffit, je vais bien,  ça me suffit. Il se botte pas le cul tous les matins en disant c’est pas assez ! Tu ne vois pas assez de choses, tu ne fais pas assez de choses, c’est de la paresse. La bêtise c’est de la graisse autour du cœur, de la graisse autour du cerveau »      (Jacques Brel)

⇒ Il y des personnages de film de roman, qui sont les modèles mêmes de la bêtise. Il y a deux personnages incontournables d’une nouvelle de Flaubert, qui sont Bouvard et Pécuchet
Bouvard et Pécuchet sont les héros de la bêtise instruite
« Aujourd’hui », dit Pécuchet à Bouvard «  les grandes aventures sont évidemment celles de l’esprit » Bien sûr au départ les deux protagonistes vont échanger des banalités, qui sont semblables à bien des propos qu’on entend tous les jours. Ils sont moqués alors qu’ils sont bien peu différents de ceux qui les raillent.
Peut-être a-t-on faire rire un certain public en lui montrant sa propre bêtise.
Mais les deux personnages s’enrichissent au-delà de leur contact, ils deviennent des curieux naïfs, des utopistes, ayant toutefois le courage de rompre avec leur routine. Et ils vont s’instruire et plus ils apprennent plus ils vont perdre ce goût formidable de la vie lorsqu’ils étaient des « imbéciles heureux »
Ils finissent par décider de relever et copier toutes les bêtises, les stupidités, les jugements péremptoires qu’ils ont pu entendre. Et Ajoute Pécuchet « sans oublier les nôtres ».

⇒ Dans d’autres langues européennes c’est le mot stupide qui est d’usage, estupiditez, etustidity, estubibidita, on parle plus d’imbécilité. Ce mot qui nous en dit plus, si l’on reprend une étymologie donnée d’imbécile, « in bacillus » (en latin, qui n’a pas de bâton) ; soit celui qui n’a pas les codes, qui ne connait pas les règles, pas eu l’éducation  nécessaire. Donc une bêtise qui peut être excusable, car elle peut être combattue. Rien  à voir avec la bêtise qui se complait dans sa bêtise, une bêtise qui s’admire.

⇒ L’enfant qui n’a pas encore appris les codes, qui n’a pas l’âge de raisonner ne peut être dit bête, on ne dira jamais d’un enfant qu’il est bête comme on le dirait d’un adulte.

⇒ Est-ce que la bêtise ce n’est pas, aller toujours à la facilité, une grande paresse intellectuelle ?

⇒  J’ai entendu qu’on peut faire « fondre la graisse autour du cerveau »,  c’est-à-dire que si l’on considère la bêtise comme manque d’intelligence, et bien, on peut et je l’espère, agir par l’éducation, par une pédagogie individuelle ou collective, la démocratie sociale, tout ce qui va pouvoir éliminer cette « graisse autour du cerveau », pour pouvoir éliminer les opinions racistes, antisémites…

⇒ On dit que la bêtise peut être combattue, je n’en suis pas absolument certain. La connaissance, c’est du savoir, et ce savoir ne donne pas forcément l’intelligence, j’en ai eu un exemple. J’ai eu l’occasion et la chance, de rencontrer un grand physicien de renom, mais dès qu’on parlait d’autre chose que de physique, c’était le vide, il n’avait de compétence que dans son domaine, en dehors de cela il tombait très vite dans les lieux communs.

⇒ En dehors de deux personnages, « héros » de  la bêtise, que sont ; Bouvard et Pécuchet, nous en connaissons d’autres : François Pignon, Le bourgeois gentilhomme. Mr Homais (Emma Bovary).  Laurel et Hardy.  Le clown « l’Auguste », etc..
La bêtise n’est pas genrée, la parité n’y est pas  respectée ; nous connaissons, le beurdin, le demeuré, le benêt, le lourdaud, le nigaud, l’idiot du village, etc…
Imaginez aujourd’hui, que si le fameux personnage de François Pignon, (du dîner de cons, entre autres) était joué par une femme, Madame Françoise Pignon, et bien, je ne sais pas si ça passerait ; parce que la bêtise finalement elle est genrée. Nous avons Messieurs ce grand privilège que la bêtise est réservée au genre masculin. (mérité? pas mérité?)

⇒ On peut faire des reproches à l’éducation, scolaire ou parentale. Notons toutefois, qu’on a créé il y a une soixantaine d’année, des Maisons de la culture, pour offrir un accès à la culture à tous. Alors bien sûr la question reste : est-ce que la culture peut à elle seule combattre la bêtise ?
Je pense que la bêtise recule globalement, les gens sont moins bêtes, moins stupides, moins faciles à manipuler, à embrigader qu’ils ne l’étaient il encore un siècle.

⇒  On a beaucoup accusé Internet et les réseaux sociaux  de propager la bêtise, Mais de gens jeunes ou moins jeunes se cultivent sur Internet. On peut accéder à des visites de châteaux, à des expos, visiter des musées, c’est extraordinaire le savoir qu’on peut y trouver.

⇒  Bien sûr qu’Internet est,  ou peut être utile pour lutter contre la bêtise. Mais ce qui importe le plus pour lutter contre la bêtise, ce n’est pas qu’apprendre à consulter, c’est aussi apprendre à raisonner, ne pas se contenter de systèmes qui ont « raisonné » pour moi, qui ne m’obligent pas à « penser par moi-même ».

⇒ « La bêtise a t–elle un avenir ? La bêtise est à l’aise dans ce qui ne change pas ; elle est conservatrice par nature, elle voudrait arrêter la durée et l’existence, aussi déteste t-elle tout ce qui fait échec à la stabilité des choses et des êtres : la contradiction, le hasard, l’aventure, la complexité. Elle agit comme une force d’inertie, et n’offre aucune prise à ses adversaires…..
  Elle est principe de régression : la bêtise est involutive. (Ce que je traduirais par, repliée sur elle-même, auto suffisante). Ses formes d’expression sont stéréotypées (proverbes, lieux communs, clichés, préjugés, rumeurs…. Les étiquettes remplacent les mots, et les opinions toutes faites, la pensée.
La bêtise est doxocentrique. Elle se sent chez soi et elle y reste…
La bêtise a des idées, mais de travers. Comme on avale de travers, elle pense de travers. Elle fait usage des idées générales qui sont au concept, ce que le bruit est à la musique….
La bêtise qui ne se sait pas bête et qui se croit même intelligente rit volontiers de la bêtise imaginée d’Autre stéréotypé en catégorie fatale. Les blagues sur les blondes, les belges
(Par exemple)
La bêtise ne veut rien savoir des autres et du monde, car elle croit tout connaître (proposition du non-dupe). Dans son essai « la bêtise s’améliore » Belinda Cannone montre quelles inflexions la bêtise connaît dans la société présente. On n’est as bête sur un plateau de télévision ou dans un studio de radio comme on était bête à la cour de Versailles, même si le sot d’aujourd’hui est l’héritier parfait du fat de jadis (un mot justement tombé en désuétude.
 L’individualisme est passé par là, avec ses deux pathologies grandissantes : l’égocentrisme et le narcissisme.
Ne plus s’intéresser à autre chose qu’à soi même, ne plus pouvoir avoir d’autre objet d’amour que soi-même : voilà assurément le cadre psychique à l’intérieur duquel la bêtise actuelle peut se déployer à son aise. Ainsi le « Soyez-vous mêle » qui, pendant un temps, fut une injonction libératrice à l’égard des puissances qui entravaient le moi est, sous couvert d’authenticité, devenu un impératif catégorique pour la bêtise…
La bêtise exerce toujours un certain pouvoir, parfois elle l’a, suprême. Précisons que c’est le pouvoir du mal et c’est la raison pour laquelle on ne saurait réduire la bêtise à un problème d’esthète. La plupart des intellectuels qui ont écrit sur la bêtise – Flaubert, Léon Bloy, Robert Musil – ont eu sur elle une position d’esthète. Somme toute, ce qu’ils reprochaient avant tout à la bêtise, c’est son absence de goût et de style.
Ce n’est pas par hasard si Flaubert fut doublement obsédé par la bêtise et le style ; Mais la bêtise fait davantage que des fautes de goût, et si elle nous rend honteux d’être des hommes, c’est parce que les guerres et les génocides en sont le splus abominables expressions.
Dans une société individualiste de masse comme l’est la nôtre, tentée à la fois par l’éparpillement des idées et des esprits et par le consensus, les lieux communs sont un moyen de faire ou de refaire du lien. Avec le lieu commun, je ne suis plus seul. La bêtise tient chaud, et donne du cœur à l’ouvrage. Le nombre n’est pas un critère de certitude ? Le vieil argument du consensus traîne toujours implicitement : ce que je pense est vrai puisque tout le monde le pense !
  (Christian Godin. La bêtise existe-t-elle)

 

 

Kant, un tournant décisif de la philosophie

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Restitution de la réunion du  25 mars  2023 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage. Danielle Pommier Vautrin. Thibaut Simoné. Guy  Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon

Biographie (Danielle)

Emmanuel Kant naît en 1724 à Königsberg en Prusse-Orientale, dans un milieu modeste : son père, d’origine écossaise, est sellier, et sa mère, qu’il qualifie de très intelligente, est foncièrement piétiste. Il est le quatrième d’une famille de onze enfants.    Emmanuel Kant est l’un des plus grands philosophes allemands, fondateur de la philosophie critique. Grâce à un oncle cordonnier aisé, il peut suivre des études complètes de théologie, de philosophie et de sciences (mathématiques). A la sortie de l’université, il passe quelques années hors de sa ville natale comme précepteur. En 1740, il entre à l’université de Königsberg pour étudier la théologie. Il suit les cours de Martin Knutzen, professeur de mathématiques et de philosophie ; ce professeur, lui aussi piétiste et disciple de Wolff, combat le dualisme et en revient à la pure doctrine de Leibniz, suivant laquelle la force représentative et la force motrice participent l’une de l’autre et se supposent réciproquement. C’est là qu’il découvre Newton et la physique, preuve, selon lui, qu’une science a priori de la nature est possible (c’est-à-dire les mathématiques et la physique). Plus tard, il créditera aussi l’astronomie de nous avoir « appris bien des choses étonnantes », dont la plus importante est qu’elle nous a « découvert l’abîme de l’ignorance, dont la raison humaine, sans [cette connaissance], n’aurait jamais pu se représenter qu’il était aussi profond ; et la réflexion sur cet abîme doit produire un grand changement dans la détermination des fins ultimes à assigner à notre usage de la raison ». En 1746, la mort de son père l’oblige à interrompre ses études pour donner des cours : il est engagé comme précepteur par des familles aisées et il accomplit cette tâche durant neuf ans. C’est également cette année-là qu’il publie sa première dissertation : Pensées sur la véritable évaluation des forces vives. En 1755, il obtient une promotion universitaire et une habilitation grâce à une dissertation sur les principes premiers de la connaissance métaphysique. Il commence à enseigner à l’université de Königsberg avec le titre de Privatdozent (enseignant payé par ses élèves).

       Kant est le premier grand philosophe moderne à donner un enseignement universitaire régulier. Ses cours, tout comme ses publications à cette période, sont très diversifiés : mathématiques et physique apprises chez Newton, morale inspirée de Rousseau, Shaftesbury, Hutcheson et Hume, pyrotechnie, théorie des fortifications. A partir de 1755, Kant enseigne la logique, la métaphysique et les sciences à l’université de Königsberg où il s’installe définitivement. Après 1794, il se consacre entièrement à ses recherches philosophiques. Toute sa vie, empreinte d’austérité et d’une extrême régularité, est tournée vers la méditation, l’étude et l’enseignement. Kant est un admirateur enthousiaste de la Révolution Française et heureux de voir les idées de Rousseau se concrétiser. À partir de 1760, ses cours ont pour nouveaux objets la théologie naturelle, l’anthropologie, et surtout la critique des « preuves de l’existence de Dieu » ainsi que la doctrine du beau et du sublime. En 1766, Kant demande et obtient le poste de sous-bibliothécaire, à la Bibliothèque de la Cour, fonction qu’il occupe jusqu’en avril 1772. C’est la seule démarche qu’il ait jamais faite pour obtenir une faveur. En 1770, il est nommé professeur titulaire, après avoir écrit une dissertation intitulée De la Forme des principes du monde sensible et du monde intelligible. En 1781 paraît la première édition de la Critique de la raison pure. Cet ouvrage, fruit de onze années de travail, ne rencontre pas le succès espéré par son auteur. Une seconde édition voit le jour en 1787. On distingue généralement deux périodes dans la philosophie de Kant. Dans la première, dite pré-critique, il expose une métaphysique proche de celles de Leibnitz et de Wolf pour tenter de répondre à la question de l’origine du monde. Mais à partir de 1770, sa pensée vit un tournant décisif, début de la période dite « critique » (examen des pouvoirs de la raison), où il va construire la philosophie qui lui est propre. Kant y aborde notamment la question de l’origine et des limites de la connaissance (raison théorique) et les possibilités de l’action (raison pratique). Dans son ouvrage le plus célèbre, « Critique de la raison pure » (1781), Kant réalise ce qu’il dénomme « une révolution copernicienne » (la Terre tourne sur elle-même et non le ciel autour de la Terre), considérant dans une vision idéaliste que c’est le sujet qui construit l’objet de sa connaissance et non les objets qui définissent la connaissance. Il définit la « raison pure » comme la faculté de connaître a priori (sans recours à l’expérience) la nature des objets, par la sensibilité et l’entendement.

     Kant démontre en particulier l’impossibilité pour la métaphysique d’être une science en raison de l’absence d’objet réel pouvant lui apporter du contenu. Pour lui, l’homme ne connaît pas les choses « en soi », mais « telles qu’elles lui apparaissent d’après les principes de son organisation comme être sentant et pensant ». Dit autrement, les connaissances de l’homme sont celles des phénomènes et il ne lui est donc pas possible, à partir de la « raison pure » de connaître Dieu, l’immortalité de l’âme, le monde, la liberté, le moi… qui ne sont que des concepts et n’appartiennent pas au domaine sensible. La métaphysique, qui en fait des objets, est donc une illusion. C’est dans la partie « idéal » (traitant de Dieu) de la « Critique de la raison pure » que Kant réfute les trois « preuves » métaphysiciennes de l’existence de Dieu : · la preuve ontologique (à partir de l’idée de Dieu); · la preuve cosmologique (nécessité d’un être suprême pour expliquer toute existence); · la preuve physico-téléologique (sur la finalité du monde). Dieu, aussi indémontrable qu’irréfutable, est considéré par l’auteur comme un idéal exempt de défauts. Quelques années plus tard, Kant publie « Critique de la raison pratique » (1788), où il soutient qu’une action est moralement bonne si elle s’accomplit par pur respect du devoir sans considération pour un intérêt ou une satisfaction espérée. La moralité se mesure donc dans l’intention qui conduit à l’action et non sur son aspect extérieur. La loi morale s’exprime sous forme d’un devoir impératif (« tu dois ») tel qu’il puisse être érigé en règle universelle. Dieu, la liberté de la volonté et l’immortalité de l’âme ne sont pas du domaine de la connaissance, mais des postulats nécessaires à la raison pratique en tant qu’exigence rationnelle de la morale…
En 1786, il devient membre de l’Académie royale des sciences et des lettres de Berlin. En 1788 est publiée la Critique de la raison pratique et, en 1790, la Critique de la faculté de juger. Toutes ses autres œuvres majeures (Fondation de la métaphysique des mœurs et Vers la paix perpétuelle notamment) sont écrites durant cette période. Kant n’a jamais quitté sa région natale mais il fut très attentif aux mouvements du monde, comme en témoignent de nombreuses publications qui traitent de sujets variés et contemporains de son époque. Il recevait également très souvent de nombreux amis à dîner et déjeunait chaque jour avec un inconnu. La tradition rapporte que Kant ne modifia son emploi du temps immuable et la trajectoire de sa promenade quotidienne que deux fois : la première en 1762 pour se procurer le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, la seconde en 1789 afin d’acheter la gazette après l’annonce de la Révolution française. Cette image apparaît sujette à caution à certains universitaires qui y voient une exagération et un transfert des habitudes de ponctualité de son ami à partir de 1764, Joseph Green, célèbre pour son rigorisme au point d’avoir été en son temps le sujet du livre satirique L’homme d’après l’horloge de Theodor Gottlieb Hippel (un autre ami de Kant). Favorable à la révolution française, il affirme, après Thermidor, que « les méfaits des Jacobins ne sont rien comparés à ceux des tyrans du passé ». D’après le récit biographique de Thomas de Quincey, les capacités mentales du philosophe s’affaiblirent de manière importante vers la fin de sa vie : l’un des signes « du déclin de ses facultés fut que désormais il perdit tout sens précis du temps ». Selon Harald Weinrich, les « symptômes » décrits par le narrateur Wasianski dans l’ouvrage de Quincey, notamment les pertes de mémoire de Kant, pourraient faire penser à la maladie d’Alzheimer. Désormais célèbre, bien qu’incomplètement compris par ses contemporains, Emmanuel Kant meurt en 1804 à Königsberg. Ses derniers mots furent : « Es ist gut » (« c’est bien » ou « c’est suffisant »). Son tombeau est situé à l’extérieur nord-est de la Cathédrale de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad). Son influence sur la philosophie, qu’il exerce tant par son enseignement que par ses écrits, est immense en Europe en particulier sur l’idéalisme allemand (Johann Gottlieb Fichte, Friedrich Schelling, Friedrich Hegel) dont il peut être considéré comme le fondateur.

Kant, et le tribunal de la raison (Guy)

Tous les philosophes post kantiens, font le constat que la philosophie de Kant ouvre un tout nouveau champ  de réflexion philosophique. Il met l’homme face à ses responsabilités, face à ses choix, face à ses actions, évacuant toute providence, toute volonté divine.   « Toute l’œuvre de Kant » écrit le philosophe Fernando Savater  « est centrée autour d’un pressentiment lié à son siècle, celui de l’autonomie rationnelle ».
La loi morale kantienne implique tout d’abord que l’homme est libre, « autonome » mais cette liberté lui rappelle que, s’il est libre, alors il devient ipso facto, responsable de ses choix, de sa vie, de tous ses comportements avec ses semblables.
Avec Kant, l’homme ne peut plus invoquer des règles qui lui seraient données par des textes théologiques, lesquelles  (pour reprendre une des ses expressions) posaient un toit, sans la maison. C’est alors, la rupture de la connaissance des choses en soi, l’homme n’a pas de savoir qui dépasse les limites de l’expérience. Avec Kant disent des philosophes, c’est : « La sortie de l’homme de sa minorité ».  Sa philosophie nous demande de nous fier à nos seuls jugements. Il nous faut nous interroger sur ce « que puis-je savoir ? », questionner sans cesse  ce savoir dont ce contente la raison, ce sera l’ouvrage la « Critique de la raison pure ».  Et de là, seconde question tout aussi fondamentale : « que dois-je faire ?», ce qu’il va développer en deux ouvrages : « Critique de la raison pratique », et « Critique de la façon de juger »
Il est,  dira Deleuze, « l’enquêteur » sur l’entendement humain, celui qui va le convoquer au tribunal de la raison. De l’interroger sur toute connaissance a priori, « des connaissances que l’on possède sans savoir comment »  (dit Kant), de l’interroger sur ce qui lui permet d’affirmer ce qu’elle prétend connaître, et le cas échéant qu’elle est (suivant une expression utilisée par Kant) « la pierre de touche de l’expérience » sur laquelle s’appuie son raisonnement ? La raison ne doit pas se laisser conduire écrit-il par des « jugements arrêtés », à cet effet il cite Galilée, Torricelli, la raison dit-il, « ne doit pas s’en tenir à une raison rigide», elle « doit prendre les devants », laisser sa place à une raison spéculative.
Kant est, avec tous les philosophes des Lumières, une rupture de plus avec les philosophes que Diderot nommait « les méthodistes », ceux qui avant proposaient des concepts de certitude, concepts inattaquables, car la chaîne des causes se tenait toujours par une cause première, Dieu.
Kant, (c’est encore Gilles Deleuze qui  parle), propose: « un système de jugement qui n’a plus besoin de Dieu ».
Il nous montre les bornes de notre domaine de connaissances, mais sans nous enfermer dans ces limites, au contraire, il nous invite par la réflexion approfondie à découvrir que ce que nous connaissons a priori. On parlera de cette méthode, cette enquête sur nos facultés de connaître, comme d’une « révolution copernicienne ». « Toute connaissance » nous dit-il (dans la critique de la raison pure) « commence par les sens » (on retrouve là l’influence de Hume, philosophe anglais qu’il a beaucoup lu) puis  (toute connaissance)  « passe de là, à l’entendement, et s’achève dans la raison ».
Son enquête sur le raisonnement fait appel au jugement dit « disjonctif », soit un jugement qui pose une alternative, telle de deux propositions l’une est vraie l’autre est fausse, il faut donc aller découvrir la fausse pour valider la vraie.
Mais, Kant, ne présente pas la raison comme maîtresse en sa maison, ainsi écrit-il  (Dans la préface à « La critique de la raison pure » 1ère édition 1781) : «  La raison humaine a cette destinée singulière {….] d’être accablée de questions qu’elle ne saurait éviter {….] mais auxquelles elle ne peut répondre, parce qu’elles dépassent totalement le pouvoir de la raison humaine »
    Il nous montre que nous connaissons  nombre de choses, non pas par une expérience une analyse personnelle. Ainsi par exemple, une personne, me nomme,  ou m’explique, me définit telle chose, je lui demande, – qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que telle chose est ainsi ? , – mais c’est parce que tout le monde le dit, et j’ai toujours entendu dire ça » c’est que Kant nomme « le sens commun »; et là, il ajoute dans « la critique de la raison pure » : « ce n’est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Elle part des principes dont l’usage est inévitable ». Bien sûr, nombre de nos jugements sont copie du jugement « en général », nous agissons, nous pensons comme le commun. Et, à cette personne qui pourrait aussi être moi, Kant sûrement, conseillerait, une fois de plus, mais: « Ose penser par toi-même »

Kant et les Lumières (Thibaut)

« Mehr Licht ! » (Plus de lumière !) » furent, d’après la légende, les dernières paroles du grand poète Goethe. Mais que voulait-il dire par ces mots ? Déclaration pragmatique ou dernier baroud d’honneur philosophique ? Souhaitait-il que l’on remédiât par quelques bougies à l’obscurcissement de la pièce où il se trouvait et de ce monde qu’il ne tarderait pas à quitter ou bien ces deux mots, entourés d’un halo symbolique certain, avaient-ils un sens plus profond ? Goethe pensait-il que le feu brillant des Lumières s’était éteint de ne pas avoir été suffisamment alimenté car, nous parlons bien ici des Lumières, courant philosophique, art de vivre et de se conduire et non de la lumière, objet physique en lui-même, dont la propagation ne bénéficie d’aucun support. L’indépendance physique de la lumière ne doit pas occulter la fragilité de la transmission des Lumières car comme le rappelle le philo-physicien Etienne Klein : « sommes-nous encore à l’intérieur des Lumières ou sommes-nous en train de rompre avec elles si tant est que nous ne les ayons jamais épousées ».
Mais qu’est-ce que les Lumières ?
C’est en 1784, à la fin des Lumières allemandes, que Kant accepte, dans la Berlinische Monatsschrift de son ami Biester, de répondre à cette question. Le titre complet est « Réponse à la question : qu’est-ce que l’Aufklärung ? » (Beantwortung der Frage : Was ist Aufklärung?).
Et Kant de répondre au début de ce court opuscule : « Les lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s‘en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. »
Les Lumières ainsi promeuvent l’autonomie de l’entendement, la recherche de la vérité et la primauté de l’esprit scientifique. […..]
Malheureusement, un danger sournois prend un malin plaisir à sourdre de nombre de courants de pensée qui viennent fragiliser l’idée même qu’il y aurait des vérités sûres.
La vérité ne doit pas dicter le bien ou l’éthique mais elle ne doit pas, non plus, leur être soumise. Les vérités de science n’ont pas vocation à nous rassurer et plutôt que d’aimer ce qui est vrai, nous avons tendance à tenir pour vrai ce que nous aimons et tout ce qui confirme ce en quoi nous croyons. Kant admet qu’il n’est pas aisé pour un individu de sortir de sa minorité car, dit-il , « la paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, après que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, restent cependant volontiers, leur vie durant, mineurs, et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs. Il est si commode d’être mineur. » Mais il est possible d’atteindre sa majorité collectivement par l’usage public du raisonnement. L’éducation, la transmission des connaissances et la liberté d’expression et de publication deviennent alors des conditions fondamentales. Or, les médias d’aujourd’hui fabriquent de l’éphémère et de la fugacité. La vérité du jour s’oppose à la vérité du lendemain.
Soyons alors courageux et sortons de notre zone de confort ! Ne croyons pas tout mais ne doutons pas de tout. Ne nous laissons pas non plus encercler, comme le dit Bourdieu, par « un fétichisme de la raison et un fanatisme de l’Universel » car « la lumière projette toujours quelque part des ombres ». C’est bien difficile que d’être intellectuellement autonome. N’en aurons-nous jamais fini de le devenir ?

Vers la paix perpétuelle (Edith)

Cet ouvrage a été écrit par kant en 1795. Dans le préambule, il dit, que le titre de cet ouvrage lui est venu parce qu’il est passé devant une auberge qui avait pour nom  « A la paix perpétuelle ». C’était une enseigne ironique, satyrique, car la formule « A la paix perpétuelle » était imagée par un cimetière.
Donc, Kant est d’abord l’anti Machiavel. Il explique que, entre les souverains toujours insatiables de guerres, et les philosophes qui se livrent au doux rêve de la paix, il y a des philosophes qui donnent de mauvais conseils aux tyrans, insatiables de guerres de trahisons, de mensonges, de violence.
Ce fut le cas de Machiavel dans « Le Prince », œuvre destinée à chasser les Médicis  dans l’espoir d’un poste, d’une place, d’un privilège d’un titre, et peut-être d’un passeport diplomatique.
Kant lui, explique qu’il encourage les hommes à la paix. Est-ce un rêve ? Mais dit-il, rêver n’est pas sans effet, rêver est utile. Et en effet, Kant a fait avancer la diplomatie en inventant de nouveaux concepts politiques et juridiques : l’idée d’un droit international, l’idée du fédéralisme des nations, Société des nations. L’idée de la nécessité d’une gestion de l’équilibre des puissances, avec l’impératif catégorique appliqué aux Nations, aux Nations à venir, l’idée de l’accueil de l’autre, ou le droit cosmopolitique qui doit se borner aux conditions d’une hospitalité universelle. Ce droit d’hospitalité universelle qui vient d’être inscrit dans notre Constitution en 2018, suite au combat de Cédric Herrou qui a accueilli des migrants dans la vallée du Roya.
Le principe fondamental sur lequel s’appuie Kant pour énoncer « Vers la paix perpétuelle », c’est le principe de reconnaissance de l’Etat comme une personne morale. Or, l’impératif catégorique c’est le fait de considérer tout être humain toute personne à la fois comme un moyen et comme une fin. Ce qui vaut pour les individus, ce qui vaut à la fois pour les Etats, car l’Etat est une personne morale.
Donc, les principes, il en a six :
1° Ne pas confondre traité de paix et armistice, ni si le traité de paix contient partiellement quelque sujet de recommencer la guerre.
2° Aucun Etat indépendant, petit ou grand, ne peut être acquis par un autre : soit par voie d’héritage, soit par voie d’échange, soit par achat, soit par donation. Donc, plus de dynasties, ni de monarchies de droit divin, ni de colonisation, parce qu’un Etat est une personne morale, et donc ne peut être acquis par un autre Etat. Les armées permanentes doivent disparaître avec le temps. Kant va contre le proverbe qui « si tu veux la paix, prépare la guerre », ce n’est pas pour autant : baisse ton arme, et puis on verra ce qui se passe,  il n’est pas naïf à l’égard de la nature des humaine, mais il dit qu’il faut qu’il y ait une armée de défense. Donc, il faut une réforme radicale de toutes les armées du monde à une condition qui est le pacte entre les nations, d’une contrainte internationale.
Et il dit, ce que voulait Jean-Jacques Rousseau, lequel avait élaboré le « contrat social » qui stipule : je renonce à l’exercice de mon pouvoir, ou de ma liberté naturelle sur toi, sur tout être, à la condition expresse, tu en fasses autant. Et bien, il faut un contrat social entre les nations et les Etats. Je renonce à la guerre à condition que tu y renonces au même instant.
3° Reste la critique de la guerre, laquelle repose sur plusieurs constats : une nation armée, dit-il, c’est une nation prête à faire la guerre, une menace permanente qui ne favorise pas l’esprit de paix. Autrement dit, Kant n’aurait pas adhéré à l’argument de l’arme nucléaire, arme dissuasive et préventive. Il remarque aussi qu’il y a toujours une course à l’armement une surenchère sans borne. Il explique que la guerre, ou la course à l’armement coûte très cher, et prend des moyens à la paix.
4° Enfin la guerre consiste à payer des hommes pour tuer, ou se faire tuer, ce qui fortement incompatible avec l’exigence de considérer autrui comme une fin et pas seulement comme un moyen.
5° Donc, dit-il, la paix s’organise : si tu veux la paix, prépare la paix. Reste une question : qu’est-ce qui distingue l’armement de conquête, de l’armement de défense nécessaire en attendant la paix.
6° Autre règle, on ne doit pas contracter de dette nationale en vue d’intérêts extérieurs à l’Etat. Donc on condamne tout système de prêt en vue d’une guerre.
De plus, aucun Etat ne doit s’immiscer de force dans la Constitution et le gouvernement  d’un autre Etat; pas d’occupation militaire d’un pays…
Alors, Kant va à l’encontre de ce que Raymond Aron dans « Paix et guerre entre les nations » appelait, et que l’on appelle encore ; la paix est impossible, la guerre est probable, il nous faut donc un paix armée, ou une guerre indirecte, autrement dit, pour Kant se serait, non ! pas de guerre froide. Il ne peut y avoir de paix sans confiance mutuelle entre les Etats ; parce que toute guerre se poursuit, et se termine en guerre d’extermination, chacun voulant retirer à l’autre, ses moyens d’attaque et de défense. Et ne dîtes pas que la meilleure défense c’est l’attaque.
Donc il faut se poser la question  de savoir comment faire en sorte qu’on mette en place un contrat international de paix.

Débat

Acrostiche- La liberté de penser. (Hervé)

La pensée par soi-même, Kant s’attache à démontrer que la philosophie a pour but la connaissance de l’homme.
Alors il se pose les questions « que puis-je savoir » « que dois-je faire » « ce qui lui est permis d’espérer »

Lesquelles prônant la réflexion de chaque individu, il délimite comment l’objectif de la raison aboutit à un savoir.
Il lui faut donc lier le divers des sensations tel est le rôle de l’esprit, qui constitue la connaissance selon lui.
Brillant professeur de logique, de métaphysique, sa vie est consacrée à l’étude, à l’enseignement et la méditation
Engendrée par ce qu’il ne faut plus faire tourner l’esprit autour des choses, mais les choses autour de l’esprit.
Raisonnement copernicien de Kant constatant que l’esprit étant fixe l’expérience gravite autour
Thème cher à Kant se préoccupant davantage de l’effort de l’homme que de l’aide divine
Éprouvé et analysé par les différentes médiations personnelles par ses écrits et de les appliquer.

D’où la critique de la raison pure avec l’analyse de la structure interne à l’esprit le criticisme
En limitant les connaissances empiriques et scientifiques au niveau de l’apriori transcendantal cher à Kant et

Propre à ses ouvrages tels que « Les postulats de la raison pratique » « anthropologie du point de vue »
Ensuite « les fondements de la métaphysique des mœurs » « observation sur les sentiments »
Nombreux autres ouvrages tels que « Vers la paix perpétuelle » « La critique de la faculté de juger »
Sur « La religion dans les limites prolégomènes à toute métaphysique » « La réflexion sur l’éducation »
Enfin « la critique de la raison pure » et « qu’est-ce que les lumières »’éloge du courage de se servir de sa pensée,
Réflexion inspirée par la maxime « aie le courage de savoir » du poète Horace invitant à penser par soi-même.

Les impératifs catégoriques (Guy)

La plupart des élèves des pays occidentaux ont tous appris les célèbres et incontournables impératifs catégoriques. Par « catégorique » précise Kant, celà veut dire « universels ». L’impératif moral universalisable, se retrouve dans une expression courante « et si tout le monde faisait comme cela »
Dans Fondation de la métaphysique des mœurs, Kant, évoquant l’impératif catégorique parle d’une morale qui soit, (je le cite) « le principe suprême de la morale »  Le premier impératif catégorique est particulièrement d’ordre moral  « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle » (Fondation de la métaphysique des mœurs)
Ou
« Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature » (Idem).  C’est pourquoi il insistera, (voire même trop) sur le principe de véracité, car le mensonge ne saurait être universalisable. Que serait un monde où tout le monde mentirait ?  Dans ces deux commandements Kant nous parle autant du devoir envers nous-mêmes, qu’envers les autres, tous les autres, au-delà de notre environnement ; au-delà même de l’amour de soi. Il nous fixe une règle incontournable qui est que le singulier ne peut s’affranchir de l’universel. Mais ça, c’était avant la vague d’individualisme.
Ce qui peut imager ce principe moral est : si j’ai besoin d’argent, que je demande à un ami un prêt que je sais ne pouvoir rembourser, je fais une fausse promesse. Et si ma façon d’agir devient un procédé universel, si tout le monde fait de même, alors toute confiance dans les échanges est rompue, l’économie s’écroule.
« Dire que la morale existe c’est penser avec Kant que l’homme est capable de vouloir le bien d’une façon pure : désintéressée et autonome. Agir moralement ne peut être simplement appliqué les préceptes d’une bonne éducation, comme un chien dressé qui appliquerait ce qu’on lui a appris…  La morale ne serait que le déguisement de l’intérêt bien compris, ou le joli nom, hypocrite dont l’homme rebaptise le souci de son image ». (Philosophie magazine. Hors série Juin 2008. Page 70. La morale)
« Car la représentation du devoir et, en général, de la loi morale, si elle est pure et ne se mêle d’aucun ajout étranger…, au lieu de quoi une éthique où tout vient se mêler, et qui se compose à la fois de mobiles empruntés, aux sentiments ou aux inclinations…ne peut que rendre l’esprit hésitant…». (Fondation de la métaphysique des mœurs).
La morale pour certains a une connotation de terrorisme. Lorsque la morale est ressentie comme oppression, alors l’individualisme devient une riposte, un moyen de se soustraire aux règles morales.  « Le dépassement de l’égoïsme est un des fondements de la morale, c’est une rupture avec une éthique trop centrée sur le bonheur, comme seule fin ».

Le second impératif se réfère à la dignité de l’humain :
« Agis de façon telle que tu traites, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme fin, jamais simplement comme moyen »
Alors ce précepte pourrait être traduit par,  je ne m’occupe pas des affaires des autres, je ne fais rien qui pourrait nuire à autrui, et que le monde aille comme il veut. L’impératif s’adresse à « ta personne », et ta personne peut-elle rester en paix en se désintéressant des autres ?

Le troisième impératif catégorique est également basé sur la dignité.
« Dans le règne des fins, tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. A la place de ce qui a un prix on peut mettre aussi quelque chose d’autre en le considérant comme son équivalent ; ce qui en revanche est au-dessus de tout prix, et par conséquent n’admet un équivalent, c’est ce qui possède une dignité ». (Fondation de la métaphysique des mœurs)

Pour Kant la morale de l’impératif catégorique est, non seulement la dignité de l’individu mise en avant, mais c’est toujours plus qu’un simple calcul, c’est même faire abstraction de ses propres intérêts.
« L’homme est sans doute assez peu saint, mais l’humanité dans sa personne doit être sainte pour lui ». Kant avec cette phrase dénonce d’abord l’ennemi en nous, et puis nous rappelle notre dignité dans notre regard. Cela nous dit : respecter l’humanité, votre humanité vous oblige.
« Il (l’homme) souhaite une loi qui limite la liberté de tous. Son penchant animal à l’égoïsme l’incite toutefois à se réserver dans la mesure du possible, un régime d’exception pour lui-même » (Opuscule sur l’histoire)
Kant est sous divers aspects le philosophes des universaux ; Ainsi de ses impératifs qui partent du singulier le rapportant à l’universel ; on retrouve les préceptes Kantiens dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, lesquels établis lors de la Révolution française de 1789, ont été adaptés par un grand nombre de pays démocrates par ce monde ;
Les impératifs catégoriques, qui évacuent toute morale relativiste, sont un legs essentiel à la philosophie. Kant donne une structure qui manquait jusque là à la morale. Le bien et le mal ne sont plus des entités dans un ciel platonicien, mais nous en avons une conscience intime.
Il utilise là une formule poétique : « deux choses remplissent mon esprit d’admiration.., le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi. Ces deux chose ne sont pas situées dans une région transcendantale.., je les vois et je les rattache à la conscience mon existence »
Ses prescriptions, ces impératifs, sont comme des nouveaux commandements. Et ceci dans une formulation accessible à tout un chacun. Un vade me cum qu’il nous faut toujours avoir présent à l’esprit. Pour peser chacune de nos actions qui comporte une dimension morale. Chaque fois la question, mon action est-elle conforme, à ce gabarit de l’acte juste ?

⇒ Je voudrais évoquer le paradoxe chez Kant quant à la notion de dignité. Celui-ci fait une approche fondamentale de la dignité humaine. Etymologiquement le mot vient du latin « dignitas »  soit (ce qui mérite, estime, considération, honorabilité)   et du grec « axios » soit, (ce qui est convenable, ce qui vaut, ce qui mérite), ce à quoi on doit un certain, respect. L’interprétation, d’ailleurs, a entraîné deux visions différentes, c’est-à-dire, la notion de dignité qui serait liée à l’homme, sa qualité d’Être, et donc, rattachée à l’humanité toute entière. Et cela amène à la dignité institutionnalisée, c’est-à-dire, une signification qui serait profondément liée  à l’idée de société, à une hiérarchie de classe, on dit bien, il y a  « des dignités » dans une société donnée, ce qui correspond à une fonction, à une titre, ou encore à une attitude emprunte de noblesse et de gravité, donc incluant une différence entre les hommes.
Donc, il y a, à la fois, unité et différence, il y en  a qui seraient plus dignes que d’autres.
Alors Kant définit la dignité, en s’intéressant à la dignité de l’humanité, il estime que la dignité a plus d’une valeur, elle est, centrique….. La dignité dépend de la loi morale, parce qu’elle est, agent de moralité. Lequel consiste à ne pas à agir selon son penchant naturel, mais à contraindre nos actes, et qu’ils deviennent universalisables. Ce point est « le tribunal de raison » (déjà cité dans ce débat). J’ajouterai que lorsqu’il, parle d’universalisation possible, c’est l’homme entier qui y est soumis, c’est-à-dire, sa vie, vie professionnelle, vie sociale, vie intime

⇒ Je vais revenir sur « Qu’est-ce que les Lumières ? » Il faut rappeler que ce texte est un article qui répond à une question, et c’est un article de journal. Ce n’est pas un véritable ouvrage. C’est important de le dire parce que je le trouve fort incomplet. Je lui trouve des qualités énormes, mais je lui trouve aussi un certain nombre de défauts. Il va paraître en 1784, et en 1784 c’est la mort de Diderot qu’il avait connu. Rousseau est déjà mort, il l’a également connu et on a vu sa référence à Rousseau par rapport au contrat social que lui amène au niveau des nations.
Et Condorcet qui fait partie des Lumières françaises, lui pour l’action plus que la théorie est toujours vivant parce qu’il va mourir en 1794.
Dans ce texte, tout ce qui a été écrit a été cité : penser par soi-même, se libérer des tuteurs, etc. Il présente en quelques lignes son point de vue, puis après il fait un long développement, et parfois il va très loin, il va même à un moment donné dire des choses qu’on pourrait presque, attribuer à Marx. (Je le cite) : «  La plupart des hommes et parmi eux, le sexe faible tout entier finit par considérer comme dangereux, le pas, en soi pénible, qui conduit à la majorité. C’est que, sans quoi une telle conception, leurs bienveillants tuteurs, ceux-là même qui se chargent de les surveiller ; après avoir rendu stupide le bétail domestique, et soigneusement pris garde que ces paisibles créatures ne puissent faire pas, hors du parc où elles sont enfermées ; il leur montre ensuite le danger qu’il aurait à marcher seul ». ça va très loin.
L’inconvénient de vouloir juger de ce texte, c’est qu’il est basé sur la religion, et là-dedans il parle très peu du social, il parle surtout d’exemples religieux, mais peu de ce qui, apparemment lui est cher, c’est-à-dire les Lumières, ce qui amené à la Révolution française.
On a déjà évoqué ses références au contrat social, mais j’ai lu une réponse à une question où on l’interrogeait sur les assassinats de 1793, où il répond clairement que tout cela comparé aux morts qu’on fait les despotes jadis, c’est rien du tout. Mais dans ce texte, et c’est dommage il n’aborde que très peu le contrat social, et c’est dommage ; mais ce n’est qu’un article de journal. Et ce qui est dommage aussi, c’est qu’il ne semble pas trop rentrer dans la critique de ceux qu’il appelle, les despotes éclairés puisqu’il fait une petite allusion à Fréderic II de Prusse pour qui c’est, les Lumières en marche. Mais à un moment donné, il dit carrément : «  de ce point de vue, cette époque, était celle des Lumières  ou le siècle de Fréderic II ». Le despotisme de Fréderic II c’était les Lumières en marche.
Donc, là, je dirais, si je trouve une contradiction dans sa pensée, là j’en trouve une, c’est-à-dire que d’un  côté il semble favorable à la Révolution, et que de l’autre côte, il dit, et bien Fréderic  II, le despote éclairé, c’est : les Lumières en marche
Ce texte, donc, est audacieux  sur certains aspects, et en retrait sur d’autres, pour ne pas, peut-être,  se mettre à dos le pouvoir.

⇒  Malgré la profondeur et la portée de son œuvre, et qui résonne encore, c’est aussi un homme de son époque, c’est-à-dire qu’il ne peut pas complètement s’en émanciper, Autrement dit il parle beaucoup de la religion, mais au XVIIIème siècle la religion est encore très puissante, le texte était alors, théorie ; et quand on parle de s’émanciper par cette automie de l’entendement, cela reste religieux même si avec ce qu’il écrit, avec son quotidien en tant qu’homme, cela se télescope. Il n’y a pas, forcément de contradiction entre sa vie et ce texte qui est paru dans le Berlinische Monatsschrift en 1783

⇒  Il y a un point qui dans l’œuvre de Kant fait polémique, c’est ce qu’on parfois résume par « son » devoir de vérité, lequel  a créé opposition entre lui et Benjamin Constant. Kant évoque dans « Sur un prétendu droit de mentir par humanité » le fait que si ’une personne poursuivie par quelqu’un voulant le tuer, se réfugie chez lui, et que celui qui le poursuit (pour le tuer) lui demande s’il est chez lui, il ne peut mentir. Il se doit de dire la vérité sans avoir à juger de la suite, sinon c’est une vérité conditionnée, …. Benjamin Constant s’opposera vivement à ce devoir de vérité. On a retenu de ce dernier cette phrase  «  La vérité n’est due qu’à celui qui mérite la vérité ».

⇒ Kant a été un des premiers à faire l’hypothèse des univers divers, ce qu’on nomme aujourd’hui les galaxies, ces galaxies qui renferment de milliards d’étoiles.
Ce qui peut-être l’inspirer pour cette épitaphe qu’il a voulu sur sa tombe : « Deux choses remplissent mon âme avec émerveillement et une admiration et une admiration toujours croissante ; surtout à penser à elles : le ciel étoilé au dessus de moi et la loi morale qui est en moi »

⇒ En 1978 Soljenitsyne a prononcé un discours à l’université d’Harvard, discours qu’il avait nommé : « Le déclin du courage » où (en gros) il dit : qu’à partir des Lumières et depuis la pensée de Kant on n’a pas visé assez haut, qu’on n’a pas su imposer le progrès moral.
Et cela peut amener  à se  poser cette question : est-ce que le progrès et la fausse paix mercantile d’un marché mondialisé, est-ce que ce dernier, n’aurait pas été le fossoyeur de la paix ?

Principales Œuvres de Kant

Histoire universelle de la nature et théorie du ciel (1755),
De la forme et des principes du monde sensible et intelligible (1770)
Critique de la raison pure(1781),
Prolégomènes à toute métaphysique future (1783),
Réponse à la question « Qu’est-ce que les Lumières ? » (1784),
Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolite (1784),
Fondements de la métaphysique des mœurs (1785),
Critique de la raison pratique (1788),
De l’usage des principes téléologiques en philosophie (1788)
Critique de la faculté de juger (1790),
La Religion dans les limites de la simple raison (1793),
Projet de paix perpétuelle (1795)
Du prétendu droit de mentir par humanité (1797)

 

Peut-on être authentique en société?

 

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Le dieu Janus (Bifrons: aux deux visages. Musée du Vatican. Rome

Restitution du Café-philo du 26 novembre 2022 à Chevilly-Larue

Animation:  Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Je défendrai d’abord l’idée qu’il faut être authentique en société.
1° Celui qui est naturel, qui ne se fait pas une personnalité autre, donne confiance, et nous savons que la confiance des autres nous donne confiance en nous.  Être authentique en toute circonstance, c’est déjà croire en soi.
2° Celui qui est faux, qui se forge une personnalité qui n’est ni lui, ni elle, s’enferme dans un personnage, qu’il ou elle doit ensuite assumer.
3° Je me dois de pas me déguiser car je souhaite rencontrer des gens qui ne se déguisent pas.
4° Comme je suis pour les autres, ou un autre, à mon tour un élément de « la société », j’ai plaisir à rencontrer des personnes vraies avec leurs différences, leurs particularités, leur approche différente de choses.
5° La société, enfin disons,  les autres, ceux que l’on fréquente, peut-être qu’ils nous donnent en miroir une image de nous : « Quant à ceux (nous dit Aristote dans l’Ethique à Nicomaque) Qui aspirent être honorés par les gens honnêtes, et bien au courant de leur situation, ils visent à confirmer l’opinion intime qu’ils ont d’eux-mêmes »
Et il ajoute  » Ils se réjouissent donc de constater qu’ils sont hommes de bien sur la foi du jugement de ceux qui le déclarent »
Et enfin, et cela viendra dans le débat,  il est des milieux, des univers sociaux, milieu des affaires,  du spectacle, où les gens affichent un personnage de vie publique, je pense par exemple à ce que furent les cours royales, et d’autres milieux dans la société actuelle
C’est ainsi que Rousseau, peut-être en réaction devant les mœurs bourgeoises, de son époque,  écrira ces lignes : « Sans cesse […..], la bienséance ordonne : sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce que l’on est; et dans cette contrainte perpétuelle [….] on ne saura donc jamais bien à qui on a affaire [….]…»  (Discours sur les sciences et les arts)

: Débat, G: Je me demande
1° qu’est-ce qu’être authentique ?
2° et, qu’est-ce qu’une société dans ce cas ?
Être authentique avec soi? oui ! à moins d’être dans un faux self. Mais dans une petite société d’amis, c’est pas la même chose que d’être dans un débat public, par exemple. Dans un débat public, on est amené à jouer un personnage public, on est dans un rôle social, rôle attendu de la part des autres. Être authentique dépend alors de la situation.
On ne peut pas être tout le temps soi, ni vrai, ni naturel.

⇒  Être ou ne pas être authentique ai-je entendu, ça dépend de la société dans laquelle on se trouve, et j’ajouterais ça dépend  de soi et du projet qu’on peut avoir vis-à-vis de la société.
Je suis encline à penser de cette façon, et je me pose la question : comment, moi, je peux être authentique en société ?
Et, seconde question, qui,  peut être authentique en société ? Ce mot « authentique » est « un composé de « auto » et de « heuter » « qui réalise » (terme indo européen » (Dictionnaire  historique de la langue française d’Alain Rey), et j’ai regardé du côté des synonymes, cela va de : vrai, véritable, conforme à la réalité, sincère, naturel, conforme à moi-même… Alors, une personne authentique, c’est une personne conforme à sa nature, à son vrai moi.
Et bien oui : mais le vrai moi, c’est quoi ?
Donc, je me suis rappelé que Sartre dans « L Être et le néant » dit que ce qui caractérise l’Être humain, c’est sa capacité d’exister, c’est-à-dire, de sortir de soi, de se projeter vers quelque chose, vers un horizon idéal.
Donc le vrai moi, le moi naturel, le moi essentiel, le moi authentique, c’est, ce que je veux être. Et, ajoute Sartre, en situation, d’où sa conception de la liberté ; l’homme est libre, mais, en situation.
Donc, pour être authentique, pour avoir un projet, non pas pour être conforme à ce que je suis, mais, pour être conforme à ce que je veux être, et bien : soit on refuse, soit on compose avec la situation.
Alors, Sartre prend exemple sur le garçon de café. Il dit, le garçon de café joue un rôle. Pourquoi ? Parce qu’il veut continuer à être employé, continuer à avoir des pourboires..
Aujourd’hui pour moi, avec la crise sanitaire, la crise politique, la crise sociale, et avec la catastrophe climatique, et bien, il y a beaucoup de difficulté à avoir un projet, pour exister, pour être authentique.

⇒ Dans bien des domaines, dont la politique, on ne laisse que peu de place au parler vrai.  Et je reviens l’exemple de Sartre. Dans ce cas, l’expression, « jouer un rôle » me gêne, ce serait se montrer dans un personnage qu’on n’est pas. Cela me semble être le propos d’un intellectuel bourgeois. Je pense que le garçon de café se réalise dans son travail, qu’il est lui, et pas, inauthentique.
Et toujours de Sartre dans l’ouvrage déjà cité, dit : «  L’apparence ne cache pas l’essence elle la révèle » ; cela me dirait que je suis, que je ne suis, que par mon apparence, par ce que je donne à voir de moi, ou, encore comment les autres me voient. L’être authentique, ou, les Êtres authentiques que je suis me semble plus complexe. Quelle distance parfois entre ce paraît une personne, et ce qu’elle révèle être.

⇒ Pour Sartre, le garçon de café n’est pas inauthentique, il joue son rôle social, un rôle dans lequel il existe, comme peuvent l’être d’autres, dans leurs  professions. Cet exemple chez Sartre est à prendre comme une parabole. Il a fait ce choix du personnage parce que tout le monde connaît le garçon de café.
Il est impossible à un homme, une femme, de faire un travail, sans être soumis (se) aux contraintes de ce qu’il fait.
Dans ce sujet de l’authenticité, il y a plusieurs choses : il y a la pensée, et, il y a le comportement, de là être authentique dans son comportement, dans sa pensée. On peut toujours être authentique dans sa pensée, mais les circonstances nous amènent à avoir un comportement différent malgré nous, comportement qui va à l’encontre de ce que l’on peut penser. C’est vrai pour les homme et femmes politiques, c’est vrai pour le commun des mortels, et  cela, justement, parce qu’il y a la pression de la société.
Prenons un exemple presque binaire : quelqu’un qui est écolo, jusqu’au boutiste, et qui voudrait vivre presque en autarcie, c’est absolument impossible, il va être obligé de faire des concessions. Il ne peut pas mettre sa pensée authentique en phase avec son comportement, c’est impossible.

⇒  Déjà au départ, dès l’enfance, puis l’adolescence, l’environnement familial, contraint notre nature, nous contraint dans des comportements spécifiques, liés à un milieu. Puis peu à peu la pensée se construit dans un enseignement, dans un milieu professionnel, alors, au final, où est notre propre nature, notre authentique moi ?

⇒  Nous sommes revenus à Rousseau, pour qui, l’homme naît, naturellement bon, il est ensuite perverti par la société. Tel son « homme pur » il se montrera souvent naturel, et sera marginalisé.
Justement les premières diatribes contre la fausse apparence, le soi déguisé en société, l’ inauthenticité, se trouve chez Rousseau, il fustige la fausse identité, qui pour lui est non seulement mentir à la société, mais surtout se mentir à soi-même.
Rousseau veut un peu comme l’Alceste de Molière, toujours la franchise, qu’on soit sincère, en concordance avec soi-même, que l’on s’attache, nous dira Nietzsche, à devenir ce que nous sommes, autrement dit : être en phase avec nous.
Être authentique en société cela peut être, affirmer sa différence, par exemple refuser le mode de vie donné comme modèle, et s’en aller vivre ailleurs, autrement, se libérer de certaines règles de cette société, et, vivre pour être soi. Vouloir absolument épouser les règles d’une société qui ne nous va pas, est comme aliénation.
Nous retrouvons dans les mouvements contestataires ces identités différentes ; je refuse ce modèle dans lequel je ne suis pas moi.
L’authenticité des êtres serait-elle, incompatible avec certains de nos rapports sociaux ?         L’instinct grégaire qui nous pousse à se rassembler et s’imiter, serait-il en opposition avec l’affichage de son être authentique ?
Je vois des milieux professionnels où tout le monde s’habille pareil, d’autres milieux où par imprégnation tout le monde pense pareil, aurions-nous affaire à des identités éponges ?

⇒ Un individu peut être authentique, plusieurs fois. Il y a des périodes de la vie, avec leurs changements qui font qu’on peut être authentique et différemment plusieurs fois. Il y a certains engagements où l’on est tellement investi, qu’on fini par être sous emprise, et qu’on peut finir par avoir un discours dogmatique.
Il faut faire attention à ce que le projet ne dépasse pas l’individu ; que le projet ne prenne pas la place du « moi » et que le discours ne se trouve plus réellement personnel, alors qu’on croit être quand même à ce moment authentique.
J’ai eu plusieurs engagements, j’ai été plusieurs fois authentique, ce qui a fait des « moi » successifs. Je ne renie pas ces « moi » antérieurs, je pensais ce que je disais.

⇒ On a le droit de changer une idée dans la pensée tout en restant authentique. C’est-à-dire, qu’à partir du moment où l’on dépendait d’idées que l’on défendait, et qu’on aurait changé dans ce domaine, les gens vont penser parfois qu’on n’est pas authentique. On peut rester authentique, si notre authenticité, c’est justement d’être ouvert à son siècle, ouvert aux autres, ouvert au monde. On a le droit de changer d’idée, on n’est pas pour autant faux, pas un « masqué ».
Et il faut encore définir l’authenticité ; elle est en référence à une morale, et aussi à des droits. Exemple : un garçon de 17 ans est amoureux d’une personne  de 27 ans, les deux personnes sont authentiques dans leurs sentiments. Soit ! Mais la société va leur dire: non ! Au nom de la morale, au nom d’un droit ; d’un droit qui interdit au nom de la protection des autres.
On ne peut pas permettre à tout le monde d’être dans son authenticité, car cela pourrait nuire à la société, à la vie des autres.
D’un autre côté ça nous protège de bien des choses, entre autres, ça nous protège des sectes.

⇒ On nous montre ces derniers temps des personnes jeunes ayant fait des études universitaires, ou, de grandes écoles, et qui tout à coup décident de partir s’installer à la campagne, pour faire :  l’un des produits bio, l’autre pour être boulanger dans un village. Ils ont un projet qui diffère tout à coup des études qu’ils font, ils ont un idéal de vie, un besoin d’authenticité, ils gagnent moins bien leur vie, mais ils disent  qu’ils sont heureux parce que ça correspond à leur « vrai moi ».

⇒ Je pense qu’il faut beaucoup d’énergie pour lutter et garder son authenticité, se « conserver soi » selon les événements, selon la société d’alors. Et là, il faut choisir : être assimilé à cette société ou pas. C’est, soit assimilation, soit, dissimulation.

⇒ Ce qui fait évoluer ce questionnement, c’est la distinction entre pensée et comportement. On peut être en pensée conforme à son projet, et puis en situation, s’adapter. Et puis, il y a ceux qui refusent, ce sont : les marginaux, les contestataires, ceux qui se suicident parce qu’ils ne peuvent pas réaliser leur projet. Et puis il y a ceux qui tombent dans « la servitude volontaire ».
Et je suis d’accord quand on dit, qu’il faut beaucoup d’énergie, mais je fais la différence entre ceux qui sont dans un projet purement individuel, et ceux qui ont un projet universaliste. Et je fais la différence, entre, projet et désir.

⇒ Il faut revenir sur ce « moi » individualiste, ou, plus collectif, vers une authenticité partagée, celle des révolutionnaires de 1793, et ces trois mots : Liberté – Egalité – Fraternité. Liberté ça peut être « individualiste », mais l’authenticité citoyenne se crée, existe, que si la liberté existe dans l’Egalité, et en plus dans la Fraternité, c’est à dire pour tout le monde. Finalement ils avaient tout dit par cette  formule magnifique.

⇒ On est plus soi, on est plus libéré lorsqu’on s’exprime  dans un débat, en fonction de regard des autres. Dans leurs expressions ils nous délivrent un message qui nous encourage, on y va alors franchement, on se libère. Pendant longtemps je n’ai pas osé parler en réunion, je trouvais que ma pensée était trop banale, ou trop audacieuse. Il m’a fallu longtemps pour me dire que ce n’est pas si bête, ni plus bête que d’autres propos. Il y a une barrière à franchir qui est parfois énorme.

⇒ On doit revendiquer sa place. Une femme dans différents domaines, ce n’est pas un problème quand on sait qui on est, quand on sait ce qu’on fait, comme femme on a une place à part entière dans la société.

⇒ Au nom de leur authenticité nous voyons ceux qui refusent le rôle social, qui se veulent toujours dans la franchise, le vrai. Cela est illustré dans le Misanthrope de Molière par le personnage d’Alceste en dialogue avec Philinte, lequel Alceste, pour être authentique, ne veut laisser place à aucune hypocrisie, parler en toute franchise, sans se soucier de ce qui pourrait blesser ou pas.

-Alceste :                «  Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
                                    On lâche aucun mot qui ne vienne du cœur »
 – Philinte :                Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende,
                                    Quelques dehors civils, que l’usage demande »
                                                              …….
– Philinte :              Il est bien des endroits, ou la pleine franchise
                                 Deviendrait ridicule, et serait peu permise
                                 Et, parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
                                Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.
                                Serait-il à propos, et de la bienséance,
                                De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?
                               Et quand on a quelqu’un qu’on hait, ou qui déplait,
                               Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? »
                                                     (Acte 1, scène 1)

⇒  Alceste est un de ces jusqu’au boutistes, un de ces empêcheurs de tourner en rond, un de ces enquiquineurs, qui sont mal vus dans la société

⇒ Quand on étudie l’état psychique des grands paranoïaques, des grands délirants (et là, je pense à Poutine) que penser de l’authenticité de ces grands délirants ? Ils sont persuadés qu’ils sont persécutés, et,  presque du fait, honnêtes avec eux-mêmes. L’authenticité ; jusqu’où elle va ?

⇒  « Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris » (Oscar Wilde)

 

 

 

 

 

 

La vie vaut-elle qu’on meure pour elle?

Arnold Boekling. Auto portrait. 1872. Alte nationalgalerie. Berlin

Adolph Boekling. Self portrait. 1872

Alte nationalgalerie. Berlin.

Restitution du café-philo du 24 novembre 2021 à Chevilly-Larue

Animation: Thibaut Simone. Edith Deléage-Perstunski. Guy Pannetier.

Modératrice : France Laruelle.

Introductions : Guy Pannetier

Introduction : Voilà bien un sujet qui exclut que je juge quant aux autres. Je ne puis évaluer (puisqu’on parle d’un jugement de valeur) que ma propre vie, même si comme nous le dit Montaigne on ne peut juger de sa vie qu’au terme, ou autrement dit qu’au dernier jour de sa vie. Mais au dernier jour, le jugement m’aura été enlevé, alors je déroule le ruban du passé, je regarde, je juge, j’apprécie. Aurais-je préféré ne pas naître ? Idiotie ! Monsieur Cioran puisque cela ne dépend pas d’un choix mien.

En fait, la seule et vraie question qui vaille est : serais-je prêt, à revivre cette vie ? Ce vécu jusqu’à ce jour ? (Question nietzschéenne) Et là, se trouve, se retrouve la question

Qu’est-ce qui fait que la vie vaut, (je dirais même, vaut la peine)  d’être vécue ?

Les thèmes ont souvent une source d’inspiration

Pour l’expression que la vie vaudrait qu’on meurt pour elle je l’ai trouvée chez Naguib Mahfouz (écrivain égyptien) dans son roman  « Miramar » : « Quelque chose cristallisait au fond de son cœur, un petit grain de vrai courage, un diamant. Il découvrait sans savoir comment le dire autrement que par paradoxe, que la vie méritait qu’on meurt pour elle, car sans elle, nous sommes des morts qui n’ont jamais été que des morts »                                                                         

Et puis je l’ai trouvée aussi dans le beau poème d’Aragon : « La vie en vaut la peine » Jean d’Ormesson s’inspirant justement du poème, donnera pour titre à un de ses derniers livres « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle »

Hélas, ceux qui se sont ôtés la vie, ont déjà, hélas répondu à la question.                                        Alors on peut se poser la question à soi-même ; à savoir si au-delà des bonheurs et parfois d’immenses chagrins, on rejoue la partie, si l’on passe le pacte avec le diable ou le bon Dieu, si l’on refait le chemin.

Je fais partie de ceux pour qui au-delà des difficultés, il me semble qu’une force vitale  tendrait à nous pousser vers l’avant ; nous aider à supporter, à dépasser finalement les grandes souffrances, à nous relever, nous donner la force de ne pas se laisser abattre, de résister ; et se dire oui, le chanteur a raison : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie»,

Et enfin récemment j’entendais une interview d’archive de l’écrivain Jean Giono, dans laquelle il répondait d’une certaine façon  cette question ; je vous lirai le texte plus avant dans le débat,  car maintenant c’est à vous de nous dire si : la vie vaut qu’on meurt pour elle ?

 

: Débat, ⇒: Je me rappelle d’une réplique de l’acteur Philippe Noiret : «  Si un homme est venu au monde que pour observer une pâquerette, alors il n’aura pas perdu son temps » (Film, Uranus, de Claude Berry) Je pense que dans la vie que nous vivons il n’y a que ça. De ce fait on n’échappe pas au tragique, parce, quoi qu’on fasse, on n’a rien à attendre,  et on doit faire avec.

⇒   Ce problème c’est le problème des valeurs de la vie. Alors « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle » amène pour moi deux questions : s’agit-il de la vie biologique, s’agit-il de la vie humaine ?          D’abord je vais traiter de la vie humaine. Il me semble qu’il faut distinguer en ce qui concerne la vie humaine : vivre, et, exister, et cela j’ai appris de Sartre  dans « L’existentialisme est un humanisme » en trois points :

1° l’existence précède l’essence, c’est-à-dire (pour exemple),que le coupe papier a pour essence de couper le papier, il ne peut devenir par lui-même un coupe ongle, un couteau, etc.., à la différence de l’homme qui est sujet , et qui lui, peut  devenir un coupeur, de viande, de papier, d’autrui, etc..      Autrement dit, exister signifie se projeter  hors de soi ; donc l’homme est condamné à être libre, la liberté c’est aussi le pouvoir de néantiser l’autre, mais il y a une limite à cette liberté, c’est ce qui s’appelle la facticité, (le caractère d’un fait contingent) et il y en a six : le fait de naître dans une société donnée, dans une époque donnée ; le fait d’avoir un corps, le fait d’avoir un passé, le fait d’exister dans un monde qui nous préexiste, et le fait d’exister par les autres, et enfin, le fait de mourir.

2° Donc, si l’existence précède l’essence, il faut donc distinguer « vivre et exister » ….. Et donc Sartre développe que la mort c’est, ce qui fait pour l’homme, qu’il doit, pendant sa vie, se projeter, vers une idée, un idéal, une femme, un homme, une manière de vivre, avoir un projet. Donc, la vie ne vaut pas qu’on meurt pour elle,  quand on décide d’être un homme, c’est-à-dire, pas seulement un être vivant, mais, un être existant.

La vie, vaut, qu’on existe pour elle.

Dernière conséquence de cette philosophie de l’existence humaine, et bien, c’est qu’il n’est pas question de mourir pour une cause, il s’agit de la faire exister : djihadistes ou autres qui donnent la mort pour une cause qu’ils ne font pas vivre, ils tuent, ils donnent comme modèle, de tuer ou de se tuer. Ils ne font pas vivre leur cause, ils ne font pas exister la cause pour laquelle ils ont décidé de vivre.

Donc, je pense que ce n’est pas la vie qui vaut qu’on meurt pour elle, mais la vie qui vaut qu’on existe pour elle, et qu’on se donne des projets pour la faire exister.

⇒ J’entends avec l’exemple de Sartre une vision qui est plutôt optimiste, mais où la mort n’est pas vraiment abordée face à la vie plus forte que tout, ceci bien sûr à condition qu’on puisse avoir des buts, qu’on soit en mesure de faire des projets.

Mais de toute façon c’est mieux que ce nous propose Cioran, pour qui le choix de vie, c’est le suicide, la mort.

Cette question de fait, est une question qui se pose à tout le monde : « Est-ce que ça valait la peine ? ». On ne va pas faire de la psychanalyse, mais je pense que chacun à un moment donné, a pu se poser cette question ; devant : un abattement, un grand chagrin qui vous anéanti, – fallait-il que je vienne au monde pour vivre ça ? Pour vivre une vie qui tout à coup a perdu tout son sens… ?  Et puis, une force, que certain nommeront « force vitale » « instinct de vie » fait qu’on guérit,  plus ou moins, qu’on repart.

Et ce devoir poursuivre, c’est notre grande responsabilité, qu’au delà des vicissitudes, il nous faut choisir, choisir la vie, retracer une route, c’est la contrepartie de notre liberté nous dirait Kant.

Et, en rapport précisément avec notre sujet, j’ai relevé un texte d’Adèle van Reith, qui cite Nietzsche : «  La possibilité que le provisoire devienne définitif, n‘est-ce pas ce qui nous glace ? Nietzsche en a fait un fragment devenu célèbre (le Gai savoir) dans laquelle il imagine un démon lui proposer de revivre sa vie à l’infini sans y changer le moindre détail : Voudrais-tu de ceci encore une fois et d’innombrables fois ?», semble nous susurrer ce démon [….] La question est loin d’être une coquetterie. Pour le philosophe, elle est une manière d’interroger le rapport que nous entretenons à notre existence. Comment vivre de manière à être prêt de revivre chaque seconde ? [….] Seriez-vous prêt ? Sinon, que voudriez-vous changer ?  (Adèle van Reeth. Vivre et revivre encore. Editions l’Aube. 2021)

Et enfin, je pensais aux terroristes, pour qui, paradoxalement, à un moment donné, la mort sera une raison de vivre.  On connaît cet « aphorisme » « Donnez-nous une raison de mourir, ce sera notre raison de vivre ».

⇒  On peut mourir pour donner une part de soi, pour une greffe, pour un enfant, un proche. C’est alors pour nous, une vie plus importante que la nôtre. C’est prendre le risque de mourir pour une vie. C’est le plus beau cadeau. La vie est un cadeau.

⇒  Pour moi la vie est une capacité, c’est exister, c’est une capacité émergente du vivant. C’est une capacité de l’humain d’exister, et on ne peut exclure, que des espèces, non humaines, aient quelque chose de proche, je pense à certains cétacés, aux calamars, aux éléphants, aux primates, jusqu’à tous les organismes constitués.

Le fait d’être une propriété émergente, le fait de se projeter dans le monde réel, c’est, exister, et cela ne peut se concevoir que dans le vivant.

Je pense qu’être vivant et exister, ne doivent pas s’opposer, au contraire.

Et c’est là que je pense que Sartre agit seulement en philosophe, c’est-à-dire qu’il va focaliser essentiellement sur l’humain, alors que le monde est plus vaste.

Alors, même si on ne peut connaître « le dernier jour », on peut quand on regarde en arrière, on peut se dire, j’ai vécu, j’ai apporté quelque chose, comme le dit le poète anglais, Walt Whitman dans son poème « Feuilles d’herbe », « J’ai contribué à apporter ma rime, au grand poème de l’univers ».

Et je pense, bien sûr, à la possibilité, à la volonté, de mettre fin à cette vie, ce qui nous fait penser à Camus et la première phrase terrible du « Mythe de Sisyphe » : « La seule vraie question en philosophie, c’est le suicide ». Camus a beaucoup plus existé que Sartre

 ⇒ A cette question : « La vie vaut-elle qu’on meurepour elle ? », la distinction que fait Sartre, entre vivre et exister, me permet, lui a permis de comprendre, qu’effectivement, la vie est un cadeau, c’est-à-dire, qu’à partir du moment où je réfléchis, sur ce que c’est que vivre ; et bien, la vie m’apparaît comme un cadeau, parce qu’elle m’apparaît comme, ce que je peux en faire, comment exister, avoirs des projets, des buts.  M’apparaît aussi, ce dont j’ai la nostalgie, non pas que j’ai peur de mourir, mais parce qu’effectivement, j’ai aimé, j’ai enfanté, j’ai connu, x, y, z, et que j’aimerais bien que ça continue. C’est à dire que j’aimerais bien être celle qui reste en relation avec, x, y, z, pour partager, et ne pas faire mourir la vie….

Et quand je pense à cette question : «  La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » Et bien je considère l’homme, comme l’être qui existe, je dis, je répète, oui, la vie vaut qu’on existe pour elle.

⇒ On a évoqué cette force vitale (ou quelque soit le nom donné) qui nous fait repartir dans les situations de crises extrêmes.  Cette aptitude, cette force semble inégalement répartie, puisqu’il y a ceux qui subissent la vie, ceux qui affrontent la vie, qui contre les mauvais coups de la vie, continuent à orienter leur vie.

Alors, en regard de cette question, au-delà de tant d’événements, oui, je veux rejouer la partie, je voudrais renaître, renaître pour connaître tout ce qui sera demain dans cet univers en pleine mutation technologique, moi, ça me fait envie.

Si j’ai une nostalgie, ce n’est pas la nostalgie du passé, c’est, la nostalgie du futur, tout ce que je ne verrai pas, ça me chagrine terriblement.

⇒  Si on est croyant, qu’on croit dans un au-delà, alors la vie et sa fin, vaut qu’on meurt pour cet au-delà, qui ouvre sur quelque chose de plus beau. A moins que, on ne soit pas totalement persuadé, qu’il reste un sérieux doute. J’ai constaté que les croyants ont comme beaucoup, peur de la mort ; ça me questionne !

⇒ Ce thème de « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle » a inspiré un auteur, Jean d’Ormesson, avec un de ses derniers  romans « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle », titre en écho au poème de Louis Aragon

« Que la vie en vaut la peine »

C’est une chose étrange à la fin que ce monde.

Un jour je m‘en irai sans avoir tout dit ;

Ces moments de bonheur, ce midi d’incendie,

La nuit immense et noire, aux déchirures blondes,

 

Rien n’est plus précieux peut-être qu’on le croît,

D’autres viennent. Ils ont le cœur que j’ai moi-même

Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime

Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix

 

Il y aura toujours un couple frémissant

Pour qui ce matin là sera l’aube première

Il y aura toujours, l’eau, le vent, la lumière,

Rien ne passe après tout, si ce n’est le passant.

 

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont en eux,

Comme si ce n’était pas assez merveilleux

Que le ciel un instant nous ait paru si tendre

 

Mais pourtant, malgré tout, malgré les temps farouches,

Le sac lourd à l’échine et le cœur dévasté

Cet impossible choix d’être et d’avoir été

Et la douleur qui laisse une ride à la bouche

Malgré tout, je vous dis, que cette vie fut belle.

(Aragon. Extrait du poème, La vie en vaut la peine)

         

⇒ Tout finit par tomber dans l’oubli, tout ce que nous faisons, tout ce à quoi nous avons pensé, tout ce que nous avons bâti; tout ça finit par tomber dans le vide, le soleil finira, on dit « tout passe ». Et souvent je me dis, que tout ce qui a pu se passer, tout ce que a eu lieu, est de toute éternité, mais qui s’en rappellera ? Est-ce qu’il y a quelque chose inscrit dans l’univers qui fait que ce sera marqué comme avec un poinçon, je ne sais pas. Tout est destiné à s’achever, peut-être même l’individu lui-même.

Bien sûr, que tout n’est que transformation, mais, est-ce qu’un atome de Jules César, c’est toujours Jules César ? non !

 Et je reviens sur l’existence, où je distingue ; existence individuelle, et, existence collective ; Il est arrivé à maintes reprises dans notre Histoire, que des existences individuelles se sacrifient  au nom du bien commun, de la survie collective, voire les cas de guerre…

L’individu peut donner sa vie au nom de quelque chose de plus grand que lui, pour permettre à l’existence, d’être libre,  de perdurer. En faisant cela, je trouve que c’est échapper au tragique ; et l’existence, d’insignifiante peut-être, là, prend tout son sens.

⇒  Même Sisyphe, au-delà de la peine du rocher, doit être imaginé, comme « Sisyphe heureux ». Lorsqu’il a, enfin, remonté le rocher, que celui est retombé dans la plaine, il va redescendre, et ce parcours c’est la rencontre de zones plus verdoyantes, d’une nature accueillante, de retrouver des villages de retrouver  des habitants,  des contacts, de retrouver la vie ; d’être le Sisyphe heureux, comme cela peut l’être pour ceux qui ont affronté tant de difficultés et qui trouvent un peu de réconfort, de repos de la part dure de la vie. C’est ce qui lui donnera le courage, au delà de l’absurde camusien, et la foi dans la vie, pour lui faire pour une énième fois remonter le rocher.

⇒  Il y a des personnes qui sont animées, non pas par leur simple vie, mis par la valeur de la vie, de la vie des autres. Ce sont ceux qui vont chercher des personnes en danger, en montagne, en mer. Ils ne pensent pas qu’ils vont mourir, ils ne pensent pas à leur vie qu’ils mettent si souvent en danger ; ils pensent à « la vie », ils pensent aux vies qu’il faut sauver. Ils risquent leurs vies pour des vies de personnes qu’ils ne connaissent pas.

⇒ Je reviens sur cette notion de force vitale évoquée, force qu’on peut avoir parfois, force qui peut nous abandonner parfois.

Ceux qui ont pour projet, le suicide, parce qu’ils ne trouvent pas de sens à leur vie, parce qu’on ne reconnaît ce que je suis, on ne reconnaît pas mon existence. C’est le courage de dire aux autres, vous ne m’avez pas aimé (e), vous ne m’avez pas reconnu (e). Ils ont perdu cette force vitale, parce que cette non reconnaissance, ne me fait plus exister pour les autres.

⇒ J’ai entendu récemment une réplique dans une série « Better than us » : « L’humain a besoin d’humain ». Cela me semble la plus belle définition de l’altruisme. Cette question de « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » est une question qui s’adresse à moi,  qui s’adresse à vous, elle s’adresse à tous, et elle nous dit, que notre vie d’hommes, de femmes, en regard de ce cadeau de la vie, que d’y participer avec altruisme, fera qu’elle vaut la peine,   c’est participer à la rendre meilleure ; et bien plus qu’on meurt pour elle, cela implique qu’on apporte à la vie, qu’on apporte sa pierre,  ou « sa rime », qu’on apporte de l’amour de l’autre, pour que ça les aide à vivre.

Ce n’est pas  faire du grandiose ; un sourire par exemple, c’est gratuit, moi ça  me donne la pêche, c’est ça que doit nous enseigner la philosophie, considérer l’autre « comme un autre soi-même » : « Qui ne vit aucunement à  autruy, ne vit guère à soi ». (Montaigne) Le bonheur des autres,  celui que j’ai pu donner, celui auquel j’ai pu participer, donne du sens à ma vie.

⇒  J’ai souvent pensé à ceux qui étaient dans les tranchées, quel sens aurait eu cette question pour eux ?  Quel était leur état d’esprit ? Presque tous allaient être tués, leurs vies, leurs existences n’avaient plus de valeur, on ne saura jamais à quoi ils pensaient alors.

⇒ Ce thème « La vie vaut-elle qu’on meurt pour elle ? » est bien illustré dans un film de science fiction, « L’homme bicentenaire ». Un robot techniquement très développé, (entre machine et humain), est un robot domestique affecté à une famille. Au cours des années il voit tous les membres de la famille, grandir, vieillir, mourir. Ses mises à jour font que peu à peu il se  rapproche de l’humain, découvre l’empathie, l’affectivité. Et, passent quelques générations où il voit mourir tous ceux à qui il s’était attaché. Il fait une requête auprès d’une instance suprême, pour avoir à son tour le droit de mourir. S’adressant aux jurés du tribunal qui doivent statuer sur son cas, il leur demande ; de faire preuve d’humanité en lui accordant la mort.

⇒  Dans une interview d’archive de Jean Giono (RTF 1946)  celui disait : « Si la mort n’existait pas, la vie n’existerait pas » (on pourrait même ajouter, et inversement)

Il poursuit : «  Imaginez par exemple que ce que nous sommes va durer éternellement, c’est terrifint l’enfer!                                                                                                                                           

Alors, comme nous sommes assurés qu’elle va finir, que le moment dans lequel nous sommes maintenant aura sa fin naturelle.                                                                                                           

Alors ! tout devient intéressant, c’est un apport considérable, nous n’aurions, aucune curiosité, si nous n’avions pas la mort à côté de nous ;                 

D’abord, nous évitons l’ennui, et nous nous approvisionnons d’une curiosité inlassable ».

⇒ Dans une chanson de Michel Sardou : Les chemins de Rome, il dit : «  Nous sommes des passants illusoires / sur des chemins qui vont nulle part / revenus par des lieux des lieux obscurs / à des éternité futures……

Œuvres citées.

Livres

Miramar. Naguib Mahfouz. Folio. 1993

Le mythe de Sisyphe. Albert Camus. Poche 2013

Vivre et revivre. Adèle van Reith. Editions de l’Aube. 2021-12-22

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Jean d’Ormesson. Gallimard. 2016.

Films

Uranus, de Claude Berry. 1990.

La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatillez.  1988.

L’homme bicentenaire, de Chris Colombus. 1999.

 

 

 

 

La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain?

La ronde

Matisse. La ronde. 1909. Musée de l’Ermitage, Saint Pétersbourg

Restitution du débat du Café-philo (en visioconférence) de Chevilly-Larue, le 2 juin 2021

Animation : Thibaut Simone, Edith Perstunski-Deléage, philosophe, Pascal de Oliveira, Guy Pannetier.

Introduction : Thibaut

Introduction : Ce sujet : « La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ? » a été donné cette année au baccalauréat dans la section scientifique.
D’un côté, on a la pluralité des cultures qui renvoie à la diversité humaine, diversité des époques, des mentalités, des coutumes, des lois, des arts, des façons de vivre, et, d’un autre côté, se pose aussi la question de l’unité du genre humain, lequel unissant l’homme comme un tout harmonieux. J’ai choisi ce sujet, bien que je n’aime pas les dichotomies, les oppositions, tel, nature/culture. La pluralité et une unité, je trouve que c’est beaucoup plus compatible ; et c’est peut-être par esprit de contradiction que j’ai choisi ce sujet.

 

 Débat : ⇒   Dans un premier temps je répondrais spontanément à la question, non !  En aucun cas elle ne fait obstacle à l’unité du genre humain, ne le menace, bien au contraire elle le protège.
Je m’explique.  Déjà, en dehors des dictionnaires chacun met dans ce mot culture ce qu’il y entend, au sens social, d’appartenance, d’héritage, au sens philosophique, voire au sens spirituel. C’est socialement l’ensemble  des relations, des valeurs, d’un héritage, d’Histoire, de récits, de patrimoine artistique ; tout ce qui unit, réunit les individus au sein d’un même groupe.
Et je confirme, non ! Elle ne fait ni obstacle, ni ne le menace, mais elle garantit à l’individu sa spécificité, elle garantit son identité constructive.
Autrement dit : Ce sont justement : la diversité, la richesse et la différence de nos propres cultures, qui est garante du genre humain.
Dans la seconde moitié du 18ème siècle, le mot culture nous vient de l’allemand « kultur », qui comprend l’écrit, la poésie, la langue, la musique, tous les arts propres à un peuple, sa mémoire, depuis ses origines. Elle est en ce sens un lien social et elle est aussi un lien identitaire ; on va rapprocher ce terme « kultur » (avec un « k ») du mot « civilisation ».
Les Français lui donneront un sens plus large, qui, sans exclure le patrimoine national, va l’élargir à l’ensemble des richesses culturelles, jusqu’à un patrimoine virtuel sans frontières.
Je ne suis pas universaliste, du moins, pas en ce qui concerne la culture. Chaque jour des langues disparaissent,  avec, hélas, un patrimoine culturel, même s’il n’est que celui d’un petit groupe. La culture n’a de réelle existence que si elle est l’héritage d’un peuple, d’une ethnie.
La fusion, l’amalgame des cultures en une seule culture, culture de masse, culture  entonnoir me paraît plutôt être de nature à déshumaniser ce monde.
Nulle culture ne se crée ex nihilo, sauf à ce que nous voyions émerger une culture Google.
S’opposer à une culture de masse, ce n’est pas pour autant s’enfermer à double tour dans sa propre culture, comme l’exprime si bien Gandhi : « Je ne veux pas que ma maison soit entourée de murs, ni que mes fenêtres soient calfeutrées. Je veux pouvoir sentir le souffle des cultures du monde entier. Mais je ne veux pas être dévoré par une bourrasque culturelle, d’où qu’elle vienne».

 La semaine dernière, dans l’émission «  Les chemins de la philosophie » (sur France culture) le sujet était : « La nature est-elle une illusion ? », et a un moment donné il a été question, de ce qu’il y avait de naturel en l’homme ; et un intervenant a dit : « Les hommes font a peu près tous la même, chose, mais ils le font différemment ». Quand on examine une culture, il y a toujours a peu près les mêmes choses: il y a les cérémonies liées aux naissances, le mariage, le deuil, les cérémonies accompagnant la mort, enterrement, crémations, etc.
Et donc, en fait, c’est ça que je trouve intéressant ; on sait que ce genre de culture existe aussi chez certains singes, mais en fait, c’est très différent et à la fois pareil. C’est ce qui fait qu’on peut aller partout dans le monde ; on va avoir des repères, et si vous êtes là depuis suffisamment longtemps : ah bien ! tu viens, il y a un mariage !  Après, le mariage peut être très différent. Il y a des mariages dans la plupart des cultures du monde.
Donc, je ne crois pas du tout que la pluralité des cultures soit un obstacle à la pluralité du genre humain, puisqu’en fait, cette pluralité, je ne dirais pas qu’elle n’est qu’apparente, parce que malgré tout les différences sont significatives. Ce n’est pas juste un décorum qui est différent, mais en même temps où qu’on aille on est accueilli, et bien, malgré tout, on se sent à sa place.
Donc c’est vrai, qu’après cette question de la culture universelle, je pense aussi que, en fait, ce qui caractérise l’humain, c’est qu’il peut avoir plusieurs cultures. On connaît ça par exemple, quand on a des origines différentes, quand on est transclasse. Depuis sa culture d’origine petit à  petit on acquiert la culture d’une autre classe.
Donc j’aime cette idée d’avoir plusieurs cultures. Je vais prendre un exemple qui me touche. Moi, j’aime le foot, et je peux aller dans n’importe quel café, et discuter de foot avec plein de gens. Par ailleurs, j’aime la philo, ça va me permettre d’établir des relations avec d’autres personnes ; et à chaque fois, il s’agit de cultures différentes. Parce que, quand je parle de foot, je n’utilise pas du tout le même langage. Donc à une autre culture, une autre façon de parler.
Je pense que la pluralité des cultures on l’a déjà en soi, et après, elle s’étend au monde entier.

⇒  Dans l’introduction était posée cette question : qu’est-ce que l’humanité ? Si elle est particulière ? Ou si elle est universelle ? Et il a été répondu, que l’humanité est « plusieurs », et que, en ce sens, il y a effectivement plusieurs cultures en soi, en chacun de nous, et autour de nous.
Donc, la pluralité des cultures n’est pas contradictoire avec l’unité de la nature humaine, de l’espèce humaine.
La première intervention est plutôt un vœu. Le vœu que les cultures soient un patrimoine divers et « sans fenêtre » comme l’a dit Gandhi. Et donc les trois premières interventions font réponse à cette question en disant : que non, la pluralité des cultures ne menace pas le genre humain. Or ce sujet, qui a été donné au bac cette année, me semble d’une actualité brûlante, brûlante au sens où l’on se brûle les ailes, et où, se brûlent les voix, où se brûlent les mots.
Ok pour le genre humain, mais c’est quoi le genre humain ? Le genre, c’est un ensemble de traits communs, des êtres, des objets. Donc, vous êtes tous sur le fait, que tous les hommes ont des traits communs.
Ensuite, qu’est-ce qu’on entend par culture ? Hannah Arendt dans « La crise de la culture », dit : «  Nous entendons par culture, le mode de relation de l’homme avec les choses du monde » le mot culture dérive du latin « colère »  qui signifie, cultiver, prendre soin, entretenir, préserver.
Donc, le mot renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature, au sens d’entretien avec la nature, en vue de la rendre propre à l’habitation humaine.
Donc, la culture c’est en vue d’un monde commun, et puis dans « La condition de l’homme moderne », Hannah Arendt ajoute : « Notre siècle a transformé totalement le statut de l’homme, celui-ci est désormais un membre dans un ensemble qui le dépasse, et dont il ne peut s’échapper. Il vit dans un monde où la technique prend de plus en plus d’importance, et où, le politique s’impose sans possibilité d’écart, ou de fuite ; la politique de la barbarie, de la sauvagerie »
   Autrement dit : Hannah Arendt nous dit : faites attention!  « Si la culture c’est en vue d’un monde commun, aujourd’hui au 21 ème siècle, dominé par la technique et le politique, qui va vers le totalitarisme, et bien, le problème est posé ». La pluralité des cultures menace-t-elle le genre humain ? Elle pose la question ; comment l’éviter ? Comment éviter cette menace ? Comment éviter les dérapages ? Comment faire pour que la culture soit à la hauteur de ce qu’elle est ? c’est à dire en vue d’un monde commun.
Et je me situe dans cette problématique, en disant que, objectivement aujourd’hui, en 2021, je vis cela. Des cultures menacent de dérapage le genre humain, vers la violence aveugle, vers la barbarie, la sauvagerie. Et je peux faire des références : un article de Simone Schwartz Bart à l’occasion de la journée de la célébration de l’esclavage, (écrivaine de 82 ans, épouse d’André Schwartz Bart) qui écrit : « Epouser quelqu’un hors de sa culture, ça décille votre regard ». Elle écrit dans ce sens avec son mari dans cet élan de : comment mettre en place une culture qui n’esclavage pas, qui ne barbarise pas le genre humain ?
Elle a écrit avec son mari : « La mulâtresse solitude » où elle explique que : « …le flagrant problème de cette deuxième moitié de 20ème siècle, c’est la symbiose des races et des religions. Le problème du métissage se pose avec la résurrection de la négritude, de la résurrection de la judéité, et de l’arabité. Je suis sûre que cette symbiose est nécessaire à la civilisation universelle. Heureusement que ce monde a un but, une fin. Un jour les étoiles refroidiront, l’obscurité même ne sera plus, il n’y aura plus personne pour se souvenir de cette planète, tout sera effacé. Tout sera innocent comme avant la création, tout comme si rien n’avait été ».
   Mais quand nous avons écrit cet ouvrage : « La mulâtresse négritude », les Antillais ont prétendu qu’un homme blanc, mon mari, ne pouvait honnêtement écrire sur les noirs. Des intellectuels, proches des indépendantistes, dénonçaient que le livre de résistance à l’esclavage soit écrit par un juif. ….André en a été meurtri et moi je me suis sentie trahie par les miens. On avait affaire à des rapetisseurs de têtes, des cuiseurs de cervelles ; alors, que mon mari et moi, on visait l’universel » ….
   Donc, la pluralité des cultures ne menace pas le genre humain, à condition, qu’il n’y ait pas cette pluralité des violences identitaires.

⇒  C’est que ça dépend par ce qu’on entend par, menacer le genre humain, et, d’universel. Pour l’exemple, une anecdote : ma fille habite à Aubagne, c’est la ville de Marcel Pagnol, il  y a un musée Marcel Pagnol, et donc, en fait, dans ce musée, il y a forcément un petit documentaire, et à un moment donné, il y a quelqu’un qui dit : « Tous les films de Pagnol  se déroulent dans un périmètre de 10 kms autour d’Aubagne, et c’est, parce que Pagnol a parlé de ce petit coin de Provence, que ses romans, ses films, sont devenus universels ».
En fait, l’universel, c’est peut-être pas ce qui serait partagé par tout le monde,  mais quelque chose de très spécifique dans lequel le monde entier peut se reconnaître. Alors que si on essaie de faire un être humain universel, comme, l’horloge de Verlaine,  son : « gosier de métal parle toutes les langues » et bien, là, on parle de personne en fait, et personne ne se reconnaît dans quelque chose qui serait totalement international.

⇒  Je partage le fait qu’avoir plusieurs cultures est une richesse. Par exemple, lorsque je me retrouve avec des amis espagnols (en Espagne) et que je peux plaisanter avec eux, voire, faire des jeux de mots, prendre des références culturelles qui leur sont propres, il se crée un lien différent, il y a quelque chose qui passe.
Par ailleurs, quant à l’universel, inévitablement dans bien des cultures il y a des évolutions, celles-ci connaissent des migrations, ce qui peut être enrichissement culturel.
Quant à une menace, comme évoqué dans le titre du thème du débat, nous voyons une culture qui se sent menacée par la culture occidentale, par son mode de vie. Et nombreux sont des habitants du Moyen-Orient qui ne veulent pas voir leur culture (dans lequel le religieux occupe une place prédominante), être supplantée ; cela peut parfois prendre la forme d’un choc des cultures.

⇒  Le partage des cultures est une richesse, encore faut-il qu’il y ait volonté politique, et là, nous voyons comme l’Europe s’est montée inopérante quant au partage à l’intérieur de la Communauté européenne. Nous ne connaissons pas le théâtre italien, la littérature espagnole, Etc…  Il n’y a pas cette promotion qui pourrait créer du lien entre les peuples. Et que je défende les cultures, ou la culture de mon pays, c’est la même démarche humaniste.

⇒ J’ai l’impression que la notion de culture nationale ou de culture partagée devient de plus en plus floue dans nos pays occidentaux ; c’est-à-dire que chacun picore dans les cultures, en fait. Si par exemple, on aime le jazz, c’est pas vraiment de la culture française. Ou encore on va aimer la cuisine japonaise, ou on va aimer le cinéma espagnol ; je me demande si il n’y a pas une sorte d’éclatement des cultures ?

⇒  Je me posais la question par ce qu’on entend par, unité du genre humain ? De quel genre parle t-on ?  En biologie c’est un groupe taxonomique, le genre homme, le genre homo, espèce sapiens. Pour les biologistes les espèces n’existent pas en tant que telles dans la nature puisque nous avons un flux généalogique continu. Les espèces ne sont que des régularités transitoires ; et la définition biologique de l’espèce, c’est une fonction, il s’agit d’individus qui sont interféconds entre eux.
Et se pose la question : le genre humain a-t-il toujours existé ? Si nous pouvions nous transporter à, il y a, 50.000 ans, il y avait plusieurs humanités. Le genre humain n’a pas toujours été, « un ». Des espèces humaines, une seule a perduré, homo sapiens, et durant toute cette évolution, la sélection naturelle a inscrit sur nos cordes biologiques, et il y a des choses que certaines populations savent faire, et que ne savent pas faire d’autres populations.
Et toutes ces variations, se retrouvent au niveau biologique, au niveau culturel, au niveau politique, même si il y a des structures qui se répètent, ce qui rend les choses complexes. C’est pour ça que je n’aime pas trop les dichotomies : unité/diversité, nature/culture. Dans la nature il y a beaucoup plus un continuum que des cases artificielles que nous créons parce qu’il faut bien communiquer. Autrement dit, c’est le langage qui vient bloquer le réel, et si nous voulons communiquer entre nous, nous attribuons des catégories aux choses, alors que le monde est beaucoup plus nuancé que cela. Il y a 50.000 ans l’humanité était réellement plurielle, ce qui est un peu moins le cas aujourd’hui, même si la diversité a pris d’autres chemins.

⇒  Je veux revenir sur ce qu’on entend par, universel.  Quand j’entends dire que l’universel ce n’est pas l’homme abstrait, c’est le particulier, où chacun se reconnaît, effectivement. J’ai écouté la même émission sur Pagnol, et j’ai apprécié que cet écrivain ait parlé de sa région, de son village. Il faut peut-être entendre, non pas que de sa région, car cela finit par concerner un homme ou une femme, qui habite à Jérusalem, ou en Tunisie. Et c’est ça l’universel.
Donc en ce sens je ne suis pas d’accord sur le fait que l’universel, sera l’international. Ce n’est pas ce que dit Simone Schwartz Bart. Elle dit, évoquant l’esclavage aux USA qu’il y a de l’universel qui a été déshumanisé. Et donc, les idéologies identitaires, celles de ceux qui affirment leur identité contre d’autres identités, ce ne sont pas des idéologies qui veulent l’universel.
Ensuite, moi aussi j’ai plusieurs cultures, d’autres identités, mais je ne me réfugie pas dans une seule culture que j’affirmerais supérieure à une autre culture.
Puis je ne pense pas qu’on picore dans : la cuisine japonaise, la chanson Klezzmer, les poèmes de Garcia Lorca, ou, les romans de Marcel Pagnol. Là ce n’est pas que picorer dans diverses cultures. La culture c’est (en regard de son étymologie) « prendre soin de ce qui met en relation avec le monde » (Hannah Arendt).
Et je rejoins l’idée, que l’humanité, les cultures, sont plurielles, et que, si l’évolution, elle, va vers une unification culturelle, elle est contradictoire avec la multiplicité des humanités. Je donnerai cet exemple donné par Patrick Chamoiseau dans la préface du livre « Jazz suprême » (de Raphaël Imbert) : « …les cultures se métissent, se créolisent, et ce qui caractérise justement le jazz, la spiritualité jazz, c’est cette volonté, désir chez certains jazzmen de créolisation, de métissage, et non pas d’unification »

⇒  La culture participe fortement à l’individuation et, pour cela, nous devons toujours avoir présent à l’esprit que la culture peut aussi être utilisée comme moyen politique.
Ainsi, en Europe, nous avons accepté, au milieu du siècle précédent, un formatage, une emprise commerciale sur notre culture cinématographique. L’Europe qui s’est ensuite construite n’a rien fait, bien au contraire, pour valoriser ses propres cultures, celles des différentes Nations qui la composent.
Il y a là un déficit de lien culturel et social. Que connaissons-nous réellement du cinéma allemand ou espagnol, des différentes musiques européennes qui ne sont pas tombées dans le bouillon anglo-américain ?
Faire régresser des cultures au profit d’une culture de masse, vouloir effacer la richesse des différences, aller vers une culture entonnoir, une culture de consommation, cela ne crée pas réellement du lien culturel ; nous sommes plus près parfois de l’aliénation.
Nombreux sont ceux qui pensent que la globalisation à laquelle on assiste,  présente le risque majeur de génocide culturel.

⇒  J’ai découvert, même auprès de moi, ce phénomène d’éclatement. Mes enfants commandent des plats différents, ils mangent ensemble, mais pas la même cuisine. Ce phénomène d’éclatement, ce n’est plus une culture propre, comme chez Pagnol où tout le monde mange la même cuisine. Ce n’est ni imiter ou diversifier, c’est l’éclatement. C’est-à-dire qu’il n’y a plus vraiment de culture française. Un jour, un sondage nous apprenait que le plat préféré des français, c’est le couscous. Aujourd’hui cela a peut-être évolué.
Donc il devient difficile de définir une culture au sens traditionnel puisqu’en fait, chacun aime, n’aime pas.
Ce serait universel au cas où les Français et les Japonais auraient les goûts communs, par exemple, la pizza.

⇒  Vouloir une société humaniste, tolérante est un vœu pieux, même si cela a été souligné, chez les plus jeunes, il a cette espèce de picorage, on prend un peu de ceci, un peu de cela, et, est-ce que c’est vraiment de la culture.
Je pense que les êtres humains parce qu’ils sont différents se tiennent aussi à distance, comme les hérissons dans l’exemple donné par Schopenhauer ; texte réaliste, même si on voudrait que les êtres humains s’entendent au-delà  de leurs différences sociales, religieuses.

⇒  Oui, bien sûr, l’individualisme est un frein pour cette unité, puis nos désaccords peuvent provenir de repli sur soi. Repli de plus en plus sur les traditions, les revendications, les ressentiments, avec les mouvements décolonialisés, les indigènes de la République, avec la culture woke, tout cela de façon exacerbée. Nous sommes en train de nous autodétruire, de détruire la culture. Il serait bien plus important de s’engager réellement quand au réchauffement climatique, qui menace toutes les civilisations, là où tout le genre humain est concerné. On a fait quelques progrès au niveau des droits humains, un grand pas pour l’universalité du genre humain, et je ne vois pas comment la menace d’autodestruction totale ne serait pas  le moyen d’unifier davantage.

⇒  De tous les temps il y a eu imprégnations étrangères. Souvent mêmes les occupants ont adopté des éléments culturels du pays occupé. Le plus bel exemple est Rome, Rome qui avait conquis tout le Moyen orient dont la Grèce.  Au final, c’est la culture grecque qui aura colonisé Rome. Et tout le monde occidental conserve en grande partie ce lien d’une culture  originelle. Elle y a cette part unifiante à partir de quoi se sont développées des cultures propres.

⇒  Je reviens sur le sens du mot quand on parle de culture, dont j’ai déjà dit que c’était cultiver sa relation à l’autre, aux autres, au monde. Je crois que dans l’humanité des arts, et là je reviens sur la préface du livre sur les jazz (déjà cité) il est dit que « loin de l’universel, le jazz a un principe diversiel ». C’est-à-dire que le jazz c’est cette expérience musicale d’improvisation sur la base des blessures des esclaves noirs, et d’autres blessures…
Donc, il ne s’agit pas d’universalité abstraite. Il s’agit justement de recueillir ce qui est propre à ceux qui ont été blessés, mais pas pour autant, de valoriser chacun sa blessure, et chacun sa culture.
Le problème reste, quel agir ? Que pouvons-nous faire si l’on admet que la pluralité des cultures identitaires menace l’unité du genre humain ?
Et je reviens sur cette culture, ou plus précisément courant woke importé des États-Unis qui prône l’éveil (les militants éveillés) en faveur de la protection des minorités. Ce mouvement propose de démasquer les coupables, de déconstruire les stéréotypes et les alibis des dominants, de réveiller leurs pulsions au nom des souffrances qui ont été infligées à des individus, et a blessé leur identité.

⇒  Sous couvert de défendre des minorité, le courant woke, c’est en réalité, je pense, une idéologie totalitaire extrêmement dangereuse pour l’unité du genre humain.

⇒  Ce monde risque de devenir un archipel.

⇒  On peut aimer la culture française sans en faire une identité au sens exclusif, au sens de nationalisme. Toute approche identitaire est une instrumentalisation à des fins politiques qui divise au lieu d’unifier.

⇒ Je reviens sur ce mot « éclatement » des cultures. Je me disais à la réflexion qu’il y a peut-être quelque chose qui va nous faire revenir à un concept de plus en plus régional, c’est la lutte contre le réchauffement climatique qui devrait limiter le déplacement des produits.

⇒  Je rejoins ce qui a  été dit, que l’essence même du genre humain c’est la diversité des cultures, celle qui nous met le plus en relation avec les autres, une pluralité enrichissante.
J’ai toutefois noté cette idée d’un éclatement de la  culture française. Nous voyons qu’elle décline, qu’elle n’est plus ce qu’elle était.

De l’inné à l’acquis

Dernière restitution

Brin d'ADN au microscope électronique

Brins d’ADN au microscope électronique

Restitution du débat du 22 janvier 2020

Animatrice/ animateurs: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaut

Introduction : Attention ! sujet hautement inflammable et saturé, je dirais même plus, pollué, de biais tant cognitifs qu’idéologiques. En effet, nous n’avons eu de cesse, depuis l’Antiquité, d’opposé l’inné à l’acquis. Dans cette optique, les dualistes se sont depuis longtemps opposés aux matérialistes. Pour les premiers, il faut considérer le monde des idées d’une part et le monde matériel d’autre part. Ainsi, l’âme, issue du monde idées est insufflée dans le corps à la naissance et en constitue donc une composante innée ayant pour but, une essence. L’innéisme et l’essentialisme se rejoignent alors et nous « devons » nous conformer à l’essence des choses, porte ouverte à tous les conservatismes. Le christianisme reprendra à son compte au cours des siècles, notamment Saint Augustin, l’idée selon laquelle, la finalité de l’âme, est de se conformer à la volonté divine. Mais « L’âme et le corps souvent discors » pour reprendre le proverbe de Charles de Bovelles. Les matérialistes quant à eux, considèrent qu’en dehors de la matière, point de salut, si j’ose dire. L’âme est une émanation du corps, une expérience vécue, acquise. Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette vielle dichotomie ?
Les idées meurent mais le vocabulaire, lui a bien changé. En effet, depuis longtemps maintenant, nous ne cessons de voir, d’entendre, de lire, que ce soit à la télévision, à la radio, dans la presse, ou sur Internet, les expressions « c’est dans les gènes », qui d’ailleurs a largement remplacé, le « je l’ai dans le sang ». Les « gènes » et le « sang » ont pris la place de « l’âme ». Glissement sémantique pour une même idée. Il faut bien « être de son temps ». On eut donc lire ou entendre que tel ou tel individu, ou tel ou tel parti politique adopte telle ou telle ligne idéologique car « c’est dans son ADN ».
Ceux qui sont plus attirés par l’informatique auront tendance à dire, qu’il faut changer de logiciel ». Le débat est ainsi très orienté comme en témoigne le fameux échange entre les deux grands « philosophes » que sont Michel Onfray et Nicolas Sarkozy, lors de la présidentielle de 2007. Le premier, défenseur de l’acquis  et donc d’une certaine forme de liberté avait affirmé qu’ « on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile », et dit, penser que « nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement ». Le second, thuriféraire de l’inné, avait indiqué qu’il inclinait pour sa part à penser qu’ « on naît pédophile » et d’expliquer, que des jeunes qui se suicidaient  non parce leurs parents s’étaient mal occupés d’eux, « mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable ». Chacun prônant en fin de compte une forme de déterminisme. Comme si, l’un et l’autre, n’avait pas pour habitude de gloser sur des sujets qu’ils ne connaissent manifestement pas.  Au-delà de cet échange plutôt anodin, l’opposition entre l’inné et l’acquis, poussée à son paroxysme a eu pour conséquence la genèse des deux utopies totalitaires du XX ème siècle : le nazisme et le communisme, partageant la volonté de se donner un grand dessein en ce qui concerne la prise en main de l’avenir de l’humanité vers son amélioration.
Ainsi à l’ouest, la croyance dans l’inné a fait de la génétique la base de l’eugénisme (1). Combien de personnes en Allemagne ont-elles été stérilisées de force, mais aussi aux USA et dans d’autres nations européennes ? je pense en particulier à l’histoire édifiante de Carrie Buck, (2) stérilisée contre son gré, car jugée imbécile et inapte par conséquent à transmettre ses gènes par la cour de Virginie en 1927. A cela s’ajoute le commentaire inique et cynique du juge Olivier Wendel Holmes qui entérina cette décision :  » trois générations d’imbéciles, cela suffit !  »
(1) Dont le plus célèbre promoteur est François Galton, le cousin de Charles Darwin.
(2) Voir Stephen Jay Gould : Le sourire du flamant rose.

   A l’est maintenant, dans la Russie soviétique, la croyance appliquée à la génétique a été promue et imposée par Lyssenko, théoricien de l’idée de Engels «  qu’il n’y a aucune différence  entre humains à la naissance et que c’est uniquement la société qui les transforme». Il en a résulté l’arrestation, la déportation et la mort de généticiens soviétiques et la ruine de l’agriculture en URSS. Quand la politique trouve une justification dans la science au nom du bien, le pire est souvent à craindre, car c’est toujours au nom du bien  qu’on fait le mal. Hitler souhaitait une société idéale, utopique, c’est-à-dire une société sans juifs. Donc, il a décidé de les éliminer car ils représentaient aux yeux du führer, le mal inné.
Avons nous oublié les leçons d’Einstein qui déclare lors d’une conférence en 1939 : «  Il est indéniable que des convictions peuvent trouver de confirmation plus sûre que l’expérience est une pensée consciente claire. On ne peut sur ce point que donner raison aux rationalistes extrêmes. Mais le point faible de cette conception est que les convictions indispensables pour agir et porter des jugements ,ne peuvent en aucun cas être obtenues par cette seule voie scientifique avérée. La méthode scientifique ne peut, en effet rien nous apprendre d’autre qu’à saisir conceptuellement les faits dans leurs déterminations réciproques. Le désir d’atteindre à une connaissance objective, fait partie des choses les plus sublimes  dont l’homme est capable ; mais il est d’autre part évident qu’il n’existe aucun chemin qui conduise de la connaissance de ce qui est à celle de ce qui doit être ».
    Autrement dit, les connaissances scientifiques, ici génétiques, nous disent que les choses sur le réel, mais elles ne nous donnent aucune prescription sur ce que nous devons en penser.
Mais aujourd’hui, quelles sont les « découvertes philosophiques négatives » en génétique pour citer le philosophe Merleau-Ponty ? C’est-à-dire des découvertes scientifiques qui « peuvent modifier les termes en lesquels certaines questions philosophiques se posent » (3). Que nous disent les sciences du vivant sur nos corps biologiques ?
Ainsi, le mot « inné » désigne un trait qui serait très fortement déterminé par les gènes, entités abstraites, héritées de nos parents, qui pourraient sembler idéal  mais pourtant objet matériel et tout ce qui est matière est soumis à l’altération et au changement fortuit et non dirigé. Faire appel au concept de gène ne suffit pas à dire ce que nous sommes. Les circonstances non plus. La question est bien souvent plus complexe que cela. Ainsi nous l’explique le grand théoricien de l’évolution, Stephen Jay Gould, les objets biologiques que nous sommes, « ne sont pas le produit des effets additifs de gènes individuellement optimisés. Via le développement, l’organisme est le produit d’interactions non linéaires et non additives entre les gènes et leur environnement, et il y a donc des propriétés et des capacités émergentes, c’est-à-dire non prescriptibles par la seule action de chaque gène pris individuellement » (4)

Les gènes sont pourtant une composante inextricable de notre développement. Ils sont transmis de génération en génération à la mutation prés, et sont façonnés depuis des millions d’années par des processus sélectifs. De plus, les travaux des vingt dernières années ont montré que l’expression des gènes est souvent aléatoire, car pour un même gène, elle varie d’une cellule à l’autre dans le temps et l’espace, du fait de la disponibilité  même des facteurs de transcription au niveau cellulaire et de l’organisation de l’ADN. Le hasard a été réhabilité au coeur même de la cellule. De plus, l’expression des gènes est également régulée par des facteurs dits, épigénétiques qui ne modifient pas en eux-mêmes la séquence des gènes mais leur état de lecture par la cellule. Ici, l’environnement (stress, pollution, alimentation…) est à l’origine de ces modifications dont certaines sont transmises à la descendance.
(3) Etienne Klein http://iramis.cea.fr/Phocea/Vie des labos/Ast/ast groupe.php?id groupe-748
(4) Stephen Jay Gould : La structure de la théorie de l’évolution.

    Pourtant les régularités que nous observons dans la  nature sont souvent expliquées par de vieux relents essentialistes et innéistes polluant le vocabulaire de la biologie, comme par exemple, le concept d’espèce, qui, dans la nature, n’existe pas (5) de manière permanente ou bien par l’expression « Le programme génétique »  dont on voit bien actuellement qu’il ne prend pas compte du fonctionnement des organismes. Depuis quelques années, le gène est passé du statut  de notaire tout puissant, régissant ce qui se passe dans le corps et ce qui sera transmis à la descendance, à celui du partenaire.
Mais alors, d’où viennent ces irrégularités ? Le propre du mécanisme est bien connu et documenté de « sélection naturelle » est de produire des régularités qui peuvent apparaître par le hasard et la contingence comme les solutions les mieux adaptées dans un lieu donné et à moment donné. La variation propose, le milieu dispose! Le vivant relève du provisoire car si l’environnement vient à changer, ce qu’il ne manque jamais de faire, alors d’autres régularités pourront être observées.
Dans cette nouvelle « vision de la vie » (6) , l’inné et l’acquis s’entremêlent.
Pour illustrer ceci, le philosophe Patrick Tort (7) en donne une représentation visuelle et métaphorique originale sous la forme d’une bande de Moebius. Cette bande a ceci de particulier qu’elle ne possède qu’un seul côté tout en déployant un « retournement ». Ainsi s’illustre la continuité de la nature et de la culture, entre l’inné et l’acquis comme le matérialise cette figure géométrique.
Walt Whitman qui reviendrait d’entre les morts  ne pourrait pas  en ce sens nous contredire, car en fin de compte, inné ou bien acquis, quelle importance !
« – O moi ! O la vie ! les questions sur ces sujets me hantent (…)
– La question, ö moi ! si triste et qui me hante – qui a t-il de bon dans tout cela (Jay Gould : La structure de la théorie de l’évolution. , ô moi, ô l vie ?
– Réponse,
– Que tu es ici –que la vie existe, et l’identité,
– Que le puissant spectacle se poursuit
– Et que peut-être tu y contribueras un poème »
(5) Pour les besoins évidents de pouvoir communiquer, la langue en vient à bloquer  le réel. Le terme espèce est difficile à définir. Voir les travaux de Guillaume Lecointre.
(6) Termes utilisés par Darwin à la fin de « l’origine des espèces ».
(7)  Patrick Tort. « L’effet Darwin » Point sciences

 

Débat : ⇒ Même en étant philosophiquement plutôt matérialiste, je ne puis défendre l’idée que l’acquis existerait seul, en dehors de l’inné. Et plus j’y pense plus je ne peux les dissocier.
Nous serions porteurs dès la naissance, de marqueurs biologiques, psychologiques disent les tenants de l’inné. En revanche des penseurs comme John Locke, nous disent : « L’esprit humain est une feuille blanche, une « tabula rasa » (table vide) tant que l’expérience n’intervient pas pour y graver ses propres signes ».
Alors entre la tabula rasa, et les marqueurs qui font de « tel père tel fils » ou « bon sang ne saurait mentir », comment définir l’individu, entre sa part innée, et sa part acquise ? Après avoir consulté les définitions de divers dictionnaires, et l’étymologie qui nous dit qu’inné vient du latin « natus » (né, de naissance) je retiens (en résumé) que : l’inné, serait : des marqueurs biologiques, psychologiques que l’être vivant possède à sa naissance. Caractéristiques individuelles, antérieures à toutes expériences Qui, pour certains psychologues,  dépendent du code génétique ; on utilise aussi par analogie, des termes, comme: originel – infus –héréditaire – atavique  – instinctif – dans le sang.
Je retiens pour ce qui est de  l‘acquis, qu’il serait : des caractéristiques postnatals dépendant de l’environnement, de l’éducation
 Rousseau, comme John Locke dit qu’ « Il n’y a point de notions innées, l’homme vient au monde comme une table rase sur laquelle les objets de la nature se gravent avec le temps »
Ils s’opposent en cela à un courant dit innéiste, dont Platon fut longtemps la référence :
L’innéisme est une conception selon laquelle l’homme porte en lui (donc avant toute expérience) certaines idées précises, des principes cognitifs ou des aptitudes comportementales. Pour lui l’âme avait comme une pré connaissance des formes intelligibles. L’âme aurait connaissance de tout ce qui est beau, ce qui est bon, et ne perdrait ce savoir qu’en venant dans une enveloppe charnelle, le « prison corporelle ». Que l’homme rencontrait des connaissances non acquises par réminiscences
Ce qui amenait à des propos qui nous interpellent, qui nous choquent.
« Dès l’heure de leur naissance, certains sont marqués pour être assujettis et d’autres pour gouverner ». (Platon. La République) Nous passons là en plus au déterminisme.
Anti platonicien, Nietzsche n’en vante pas moins l’innéisme lorsqu’il écrit dans « Par delà le bien et le mal » «  On n’est pas impunément l’enfant de son père », «  il est impossible qu’un homme, même en dépit des apparences, n’ait pas  les qualités et les goûts de ses parents, de ses aïeux. C’est le problème de la race ; ce qu’on sait des parents permet de tirer des conclusions au sujet de l’enfant »
C’est un peu « tel père tel fils », et la notion de race qui ne choquait pas au 19ème  siècle
Le philosophe Spencer aura une autre approche en nous disant que « Les caractères qui semblent innés chez les individus  constituent en réalité le fruit évolutif  des expériences de l’espèce ». Ce qui crée un lien a priori entre l’inné et l’acquis, ou inné comme l’héritage d’acquis sur toutes les générations nous précédent, du règne humain, au règne animal, et peut-être au règne végétal.
Ce qui plaide fortement sur tout un héritage génétique, c’est l’instinct animal, de toute la connaissance animale qui n’est pas apprise ni par le groupe ni par les parents.
L’hirondelle n’apprend pas à bâtir, l’araignée n’apprend pas à tisser une toile.

⇒ Je pense  qu’il  faut battre en brèche toutes les théories qui disent que l’inné pourrait exister. Je ne vois pas de différences entre l’inné et l’acquis dans la mesure où quand on voit la vie intra-utérine, je ne vois pas comment on peut quantifier ce qui peut paraître comme une prédisposition alors qu’il est plus facile de mesurer ce qui est acquis. Parce que cela se passe après, c’est visible. Tout ce qui est inné pour moi est instinctif, ce n’est pas visible, ce n’est pas quantifiable.  Nous sommes dans une société dynamique et nous devrions mettre l’accent sur tout ce qui peut être acquis. Car même les préjugés sont dictés par un environnement, pas la famille, la communauté. Un enfant ne nait pas avec des préjugés. On dit que la vie utérine est riche en sensations, par le son de la voix de sa mère, par son environnement, le bruit. Mais tout cela n’est pas valable. Je ne vois pas comment un fœtus peut percevoir tout cela. Je conçois la vie dés que l’on sort de la vie intra-utérine et à partir de ce moment-là tout se construit. Je ne vois pas comme on peut dire que « je suis né chanceux ». Comment la chance aurait pu être « fabriquée » ? Il n’y a pas de gènes de ceci ou cela. On ne peut pas quantifier tout ce qui peut être inné.

⇒  Dans les années 1970-80-90, (après la révolution – de mœurs ? – de 1968) ont été nombreuses les discussions théoriques et politiques sur le pourcentage de l’inné (gênes, origines,  nature) et de l’acquis (milieu, environnement) en l’individu humain.
Les intellectuels – de gauche- analysaient le rôle et l’impact de l’environnement (familial, social, historique) sur le développement personnel de l’enfant, pour insister sur la possibilité de « transformer  le monde » (selon l’expression de Marx dans la 11° thèse sur Feuerbach – Idéologie allemande 1850) c’est-à-dire de prendre des mesures sociales, pédagogiques, médicales pour que l’égalité ne soit pas seulement formelle (un droit) mais réelle (une situation) . Philosophiquement c’était le thème Sartrien «  l’existence précède l’essence » ; je ne peux être définie. (Comme un homme lâche – Garcin, comme une femme ambitieuse – Inès, comme une femme – coquette Estelle) Huis Clos 1943,  qu’une fois mort, par les autres vivants. Tant que j’existe (et c’est ce qui me distingue de tout autre vivant) je peux toujours choisir un autre mode d’existence, faire d’autres choix .La nature humaine (l’inné) ne détermine pas mes choix existentiels, mes comportements individuels et mes engagements collectifs C ’est en ce sens aussi qu’ a été lu Le Deuxième sexe ( 1949) de Simone de Beauvoir qui expose et analyse l’histoire des préjugés sur la relation Homme-Femme et en conclut : «  on ne nait pas femme, on le devient ». Il n’y a pas de nature humaine déterminée. Il y a des situations, des conditions d’existence qui sont des déterminations mais non un destin : elles n’excluent pas la liberté individuelle de choix et donc la responsabilité d’engagement en faveur de telle ou telle orientation d’existence.
Les années 2000 sont marquées par la « révolution numérique ». Et l’étude du cerveau est maintenant l’objet de neurosciences multiples. Je ne suis pas spécialiste experte en la matière mais je viens d’assister à une conférence à l’ENS (département physique) le vendredi 17 janvier de Hervé Schneiweiss, neurobiologiste, directeur de recherches à l’INSERM, Président du comité d’éthique de l’Inserm et auteur d’un ouvrage Notre cerveau, un voyage scientifique et artistique : des cellules aux émotions. Ouvrage sur l’histoire et les inventions des représentations du cerveau humain.  Le fil directeur de cette recherche est que les neurosciences contemporaines (et notamment depuis les mesures cérébrales de Benjamin  Libet (1970)) montrent que l’activité du cerveau est constante (même «  en pause » ou quand on dort) et que le cerveau sait ce que je fais bien avant que je le décide (entre 500 millisecondes et 200 millisecondes avant la prise de décision) Nous avons là une horloge interne qui prépare la prise de décision. Tout le contraire de l’idée de liberté absolue de penser et d’agir. D’autre part notre cerveau est aussi inconscient (désirs refoulés –Freud), a des émotions (Spinoza) et est donc, en permanence en interaction avec l’environnement affectif, social, historique. Il n’y a pas d’opposition entre l’inné et l’acquis. Il y a une évolution permanente du cerveau. (Yuval Noah Harari : nous naissons homo sapiens et nous devenons humain. Henri Atlan parle de l’épigénèse, et Jean Pierre Changeux aussi. Et nous devons reconnaitre le rôle du hasard (Mallarmé : « jamais un coup de dés n’abolira le hasard ». Il faut connaitre le rôle du déterminisme du cerveau sans savoir ni donc prévoir ce qui va arriver. Et reconnaitre aussi notre ignorance en particulier l’incertitude sur le rôle du hasard et nos idées fausses sur les déterminismes subliminaux (Propaganda – Bernays ; publicité clandestine –télé). Et donc les scientifiques doivent intervenir lors des journées sur les lois bioéthiques dans les comités préparatoires au Conseil consultatif national d’éthique. Et aussi sur les techniques d’exploration pour modifier le cerveau , de l’activité cérébrale sur le cerveau et sur les procédés techniques: implants pour soigner Alzheimer (modifier le cerveau non) ; électrodes sur cerveau et exosquelette pour soigner les capacités endommagées (yeux aveugles, paraplégie..) : oui. Tout dépend de l’usage de ces techniques comme l’usage du silex.
Aujourd’hui se développent de nouveaux modes de penser (préjugés) non pas innés mais acquis (en famille, à l’école, liés aux choix politiques) .Ce sont des idéologies dominantes ou en voie de domination : le mouvement dé-colonial, l’obsession de la diversité et de l’appartenance à une minorité opprimée, et à partir de ces idéologies la revendication de la convergence des luttes des opprimés contre la domination colonisatrice de l’homme blanc hétérosexuel .Ce, sous la pression de groupes d’intérêt particulier ( « brigues »  Rousseau) et multiculturalismes ( « contre » l’Idée d’une histoire universelle de l’humanité et le projet de paix perpétuelle » Kant et Bernardin de Saint Pierre).Que faire ?
Conclusion :
1° Olympe de Gouges (1789) revendiquait d’acquérir l’égalité des droits (homme-femme) au nom d’une Idée (un idéal), celle de la communauté humaine, et non au nom des femmes. Rosa Parks (2004) demandait le droit – pour les noirs- de s’asseoir à l’avant des autobus avec les blancs, et non de vivre entre noirs. Revendications d’acquis humanistes au nom de la nature humaine universelle.
2° Les enfants sentent ce qui est le  bien – pour tous- et ce qui est le mal. Mobilisons-nous contre ceux qui leur enseignent la haine (qu’ils soient sous emprise ou qu’ils se vengent des blessures subies) en leur proposant des fictions, des activités artistiques et artisanales, des lectures (philosophiques aussi) en même temps que des lois interdictrices. Toujours pour et jamais seulement anti. (Michel Serres).

⇒ C’est souvent en observant l’évolution des enfants qu’on étudie l’acquis et l’inné. Comment par exemple, modifier des tendances égoïstes, des tendances au mensonge, etc. Et si « bon sang ne saurait mentir », l’enfant d’homme mauvais dans l’approche populaire sera mauvais, « bien le fils de son père ».
Cela nous remet en mémoire le film : « La vie est un long fleuve tranquille » où le petit garçon Momo (à la naissance Duquesnoy   bien qu’enfant de la famille Duquesnoy, celui-ci conserve toutes les caractéristiques Groseille. Ce n’est plus tel père, tel fils. Il est irrémédiablement Groseille. L’acquis semble pouvoir effacer tout ce qui serait  l’inné, mais pas complètement (le haussement d’un épaule, comme le père)   Et autre point curieux. On a vu que des enfants élevés par une nourrice, comme une mère de substitution,  et pendant toute une partie de l’enfance, cette mère  peut  transmettre des marqueurs génétiques ces enfants; ça complique la question!

⇒ Moi, je crois beaucoup à l’inné et dés le départ. Regarder un bébé, sa première heure de vie, il sait marcher. On le tient bien pour ne pas qu’il tombe mais il avance. Il sait nager. Mais il oublie vite. Vous mettez plusieurs femmes dans la pièce, vous mettez le bébé là et il sait reconnaître sa mère par son odeur. C’est sa part animale. On n’a pas perdu tous ces instincts. Je veux ce que tu as. Il y a des guerres car nous sommes toujours des animaux.
Supposez une famille qui fuit depuis des siècles. Elle porte avec elle ses maladies. C’est l’inné médical. Cela s’explique car il s’est passé des choses avant. Notre partie animale est toujours là. Nous sommes de l’inné et de l’acquis. Mais ce dernier n’est pas toujours là.

⇒ Quand on nous parle de ces questions, il est toujours fait mention de gènes et de chromosomes, comme si le côté biologique impliquait souvent de l’inné alors que même là-dedans, il y a de l’acquis. Si on se rappelle de Darwin, même ce qui est génétique, c’est déjà de l’acquis. Cela a évolué très lentement au niveau des masses et quand on regarde l’individu c’est souvent l’acquis culturel qui finit par dominer. Homo sapiens n’est rien d’autre qu’un acquis biologique parce que nous sommes une chimère du fait de la présence de gènes de Neandertal dans notre ADN. Alors, où est l’inné ? Je ne peux pas dire ce que c’est que l’inné. En neurosciences, on peut lire que notre cerveau fabrique notre pensée avant même que nous en ayons conscience. Nous ne serions donc pas même libres de notre pensée ? Mais ce n’est pas ce que je comprends. Or certains l’utilisent comme un argument en faveur de l’inné. Nous n’obéissons pas à un « programme ». Nous ne sommes pas une « machine » biologique où tout serait inné.

⇒ Juste une réflexion. Dans ce que Jean-Marie a dit, il pense, que l’enfant ne peut ressentir ce qui se passe à l’extérieur. Or dans mon expérience de maman, je me suis souvent rendu compte que je recevais des coups de pied quand il se passait des choses à l’extérieur. La musique semble pouvoir aussi influencer le bébé.
J’ai lu un livre qui se nomme « l’enfant frigo », l’histoire d’un enfant qui évolue dans une famille où on ne s’occupe pas de lui. Un jour à l’école, la maîtresse demande aux enfants d’apporter quelque chose à planter et l’enfant apporte un marron. La graine a germé et l’enfant a obtenu un petit marronnier. Dans le fond, l’enfant se dit à lui-même, « quand on me demande de faire quelque chose, je ne suis pas si nul que cela car je suis capable de faire des choses par moi-même et il suffit que je me donne les moyens de le faire. » Donc qui influence l’humain ? Est-ce l’action qui influence l’inné ou l’inné qui influence l’action ?

⇒  Il y a quand même un profil « génétique » car je suis d’une famille où l’on retrouve des maladies dites orphelines chez des cousins notamment depuis plusieurs générations. Mais cela est complexe et c’est un sujet où l’on tourne en rond. On ne peut pas dire que l’inné n’existe pas puisque nous « traînons » des traits « acquis » des générations antérieures.

⇒  Quand mon épouse était enceinte, elle écoutait le « boléro de Ravel ». A la naissance de l’enfant, ce dernier rappliquait dès qu’il entendait ce morceau de musique qui lui paraissait familier. Etait-ce un hasard ? Mais le « hasard » en question s’est reproduit à maintes reprises.  De plus, j’ai toujours écouté Léo Ferré et aujourd’hui mon fils aime beaucoup Léo Ferré. L’acquis est peut-être là aussi.

⇒  Le babille des enfants est également influencé par les accents lors de la vie intra-utérine. Dans les années 70, il était conseillé de faire écouter de la musique au fœtus. En particulier les gynécologues de gauche, favorables à l’avortement. Cette vie intra-utérine n’est pas indépendante de l’environnement.

⇒  Si on revient à la GPA, les éléments nutritionnels que reçoit le fœtus vont lui donner des caractéristiques qu’il va conserver. Dans ce cas, entre la mère porteuse, le don d’ovocyte, les parents, quelle source d’interrogation pour l’enfant qui sera malgré tout façonné par son milieu familial ! Ses vrais parents ne seront-ils pas, comme dans le cas d’une adoption, les parents qui l’auront élevé. En parlant d’éthique, dans quelle mesure l’inné ne peut pas être manipulé en permettant de choisir les caractéristiques de l’enfant ou les paillettes de sperme d’un grand musicien ou d’un grand savant ? Est-ce déjà de l’eugénisme ?

⇒ D’autant plus que dans le cas de l’élevage animal, en particulier le cas des taureaux de combat en Espagne, la sélection se fait par la mère. On voit bien à quel point les choses peuvent se compliquer. Il semble que ce soit l’inverse chez les chevaux.

⇒  Tout à l’heure en citant Einstein, je rappelais que les résultats des sciences nous disent des choses sur le réel mais pas sur ce que l’on doit en penser. En particulier, on a pu entendre dans les médias il y a quelques années des gens nous dire que le racisme ne se justifiait pas au motif qu’il avait été montré que la génétique moderne avait mis en évidence la subtilité et la complexité de la diversité humaine, ne pouvant être ramenée à quelques races bien définies. Soit. Mais si je prends le problème à l’envers. S’il avait été montré la pertinence du concept de race tel qu’il était utilisé en particulier au XIXe siècle, le racisme se justifierait-il pour autant ? Je ne le crois pas. Il me semble dangereux de faire appel à des résultats scientifiques, en tant qu’arguments d’autorité, pour résoudre des questions éthiques qui restent toujours des compromis ou pour mettre de l’eau au moulin d’idéologies parfois douteuses. Sans doute faisons-nous cela le jour où cela arrivera ? Il aura sans doute peur. L’étrange, la différence, le nouveau quand nous n’avons pas de vrais arguments.

⇒ A propos des préjugés chez l’enfant qui seraient innés, je me pose cette question. Un enfant noir ou un enfant blanc qui n’a jamais vu d’autres couleurs de peau que la sienne, quelle sera sa réaction fait peur. Cela dépendra également de l’environnement. Un enfant placé très tôt à la crèche, entouré d’enfants différents, n’aura évidemment pas ce genre de comportement.

⇒ Je voulais justement faire la différence entre la peur et la haine. Un enfant blanc qui n’a jamais vu une personne noire en a peur et c’est normal. Mais le préjugé ce n’est pas la peur, c’est la haine et ça c’est acquis. Maintenant, sur la différence entre la science et la morale, la science c’est la recherche du réel et elle ne se pose pas la question de comment le monde doit être. « La science ne pense pas » comme le disait Heidegger.  Et n’oublions pas que la peur est un trait conservé au cours de l’évolution pour garantir la survie face au « danger ». Tous ceux qui ne fuyaient pas sont morts. La survie a pu être garantie chez ceux qui présentaient ces comportements là, de méfiance et de peur.

Références :

Biologie : Eloge de la différence, la génétique et les hommes. Albert Jacquard. 1978 ; hématologie : De la biologie à la culture  Jacques Ruffié. 1977.
Ethnologie Musée de l’Homme : Tous semblables et tous différents 1980.
Sociologie Les Héritiers- les étudiants et la culture .1964. Pierre Bourdieu.
Psychologie : Clinique de La Borde (Jean Oury psychiatrie , Fernand Deligny éducation des enfants « arriérés », délinquants,  autistes ; Félix Guattari psychanalyste).
Philosophie l’Anti Œdipe 1972 ; Gilles Deleuze.
Philosophie: Homo sapiens. Yuval Noah Harari.
Sémiologie Nous et les autres 1982 Tzvetan Todorov.
Pédagogie : Freinet, Montessori…
Antipsychiatrie David Cooper – Ronald Laing Angleterre, Franco Basaglia Italie.
Cinéma Fous à délier ( Mario Tomasini – Parme, Marco Bellochio)
Cinéma : La vie est un long fleuve tranquille. Etienne Chatiliez. 1988.
Pédiatrie Lorsque l’enfant paraît ( Radio 1975) Françoise Dolto.
Neurologie: Notre cerveau, un voyage scientifique et artistique: des cellules aux émotions. Hervé Schneiveiss.

 

 

Le monde change

 

La fée électricité. Raoul Dufy. 1937. Musée des Arts modernes de Paris

La fée électricité. Raoul Dufy. 1937. Musée des Arts modernes de la ville de Paris

Restitution du débat du café-philo
de Chevilly-Larue,  le 27 novembre 2019

Animatrice/ Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Guy

Introduction : Ce thème du « monde change » fait suite, non pas à la chanson d’Alain Souchon qui nous  dit « le monde change de peau, sera-t-il laid, sera-t-il beau ? », mais  à une phrase que j’ai souvent eu l’occasion de prononcer : à savoir : lors de ces 30 dernières années, les évolutions technologiques ont beaucoup plus changé notre société, que n’ont pu les faire les choix politiques.
Et de nombreux slogans publicitaires reprennent ce thème « le monde change ». Sur une récente  affiche d’Europe 1, au coin de ma rue, je lisais «  Ecoutez le monde changer ».
Alors oui, le monde dans le siècle passé, avec ses guerres, ses idéologies, ses dictatures, a beaucoup changé. Bien sûr c’est une banalité, un poncif, que de dire « le monde change », ce fait est évoqué de tout temps, «  Le monde » écrivait déjà Montaigne « est un branloir prenne. Toute chose y branle sans cesse ».
   Mais pour beaucoup, aujourd’hui, nous faisons le constat que nous sommes entrés dans une  ère nouvelle. Que nous avons initié une révolution. Révolution au sens copernicien, passés dans un basculement anthropologique qui restera sûrement, pour les siècles à venir, comme l’époque post-industrielle, comme l’avènement  de « l’ère numérique ».
«  Nous  allons » écrit Michel Serres «  vers une époque nouvelle, comparable à la Renaissance, nous allons vers une rupture de culture, vers un homme nouveau ».
Je retiendrai pour ce qu’on peut considérer comme, grands changements, trois facteurs essentiels, à considérer chacun, également dans leurs conséquences :
1° L’évolution fulgurante des technologies.
2° La chute d’un mur idéologique,
3°La globalisation,
Edgar Morin s’exprime également dans cette forme en écrivant : « Le vaisseau spatial terre est propulsé par trois moteurs couplés : Science – technique – Économie, mais », ajoute t-il, « dépourvu de pilote ».
Ces trois facteurs me semblent, être à la base de ces changements de paradigme pour aller, vers une nouvelle société.
1° Les nouvelles technologies : Ces dernières ont changé catégoriquement nos façon de faire nombre de choses. Mais surtout, elles ont contribué à modifier nos comportements, nos rapports les uns aux autres. En quelques années, au-delà de frontières, politiques, géographiques, de langue, une majorité des hommes et femmes sont connectés les uns aux autres 24 heures sur 24, et  peuvent communiquer, accéder à une gigantesque bibliothèque (le plus souvent) sans filtre. Cette nouvelle société de la connaissance, c’est un mur qui tombe, un mur qui sera dans l’avenir, sûrement considéré comme plus déterminant,  que celui de Berlin.
Conséquemment, les réseaux sociaux, cette nouvelle Agora, ouvrent un univers social peu contrôlable. La connexion de tous avec tous modifie profondément notre « vivre ensemble ». Le flux de l’information crée une dislocation des rythmes; des rythmes multitâches, une propension au zapping, qui ôte du temps de réflexion.  Tout cela entraîne une mutation profonde de nos façons de penser découlant de nos façons de communiquer. Cela crée parfois des mondes différents. Mondes différents  entre les plus âgés, et les générations « digital natifs » (ceux qui sont nés avec la télécommande à la main) : «  La science » dit Michel Serres:  « c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie c’est que le fils enseigne à son père »
Tout cela me fait dire qu’il y a basculement anthropologique.
2° La chute d’un mur d’idéologie : Une idéologie, ou, une utopie, qui avait pu susciter un formidable enthousiasme, qui se voulait le « nouveau genre humain », celle-ci a implosé à la suite de la chute d’un mur. (9 novembre 1989)   Une autre idéologie semble se nourrir de la dépouille de son adversaire. C’est là un basculement, c’est alors qu’une seule voie politique s’impose  sur la plus grande partie des pays du monde. De là, on est face à de sérieux bouleversements sociaux, avec par exemple le transfert de la richesse publique vers le privé, la montée en puissance des multinationales, et nombreux points de mouvements civils, de révoltes  de par le monde.
  3° La globalisation : « La mondialisation » écrit en 2006 Joseph Stieglitz, dans son livre, Un autre monde,   «  comporte de nombreux aspects : les flux internationaux, d’idées et de connaissance, le partage des cultures, la société civile mondiale, le mouvement écologique planétaire »
La démocratie, conquête dont le monde occidental est fier, celle-ci s’étiole sous la gouvernance. La globalisation nous promettait d’apporter le bonheur pour tous, un bonheur sans précédent, apporter beaucoup de bénéfice (sans préciser pour qui).
A ce jour, pour ce qui est de l’Europe, par exemple, le constat est d’abord les délocalisations, les externalisations, la montée du chômage, la montée des inégalités, et surtout perte de confiance dans la capacité du politique à répondre à ces nouveaux défis. 70% des citoyens de la planète n’auraient plus confiance dans leurs dirigeants, de même pour les médias.
Cette globalisation a également, entraîné la création de nouvelles structures institutionnelles mondiales, réduisant la souveraineté des peuples. Et, de nouveaux maîtres du monde, le plus souvent anonymes,  fixent des règles, des limitations quant aux choix du vivre ensemble.
Alors, ces trois facteurs entraînent,  ce qu’on peut considérer comme une nouvelle société. Cette nouvelle voie politique, a entraîné la chute de nombre de barrières, ce sera la dérégulation, modification de nombre de normes, comme par exemple dans le domaine alimentaire, avec l’arrivée de produits génétiquement modifiés.
Sur le plan sociétal, des bouleversements qui, peut-être étaient inscrits dans un cours de l’Histoire sont survenus, puisque « le présent »  dit le philosophe Cournot: « est gros de l’avenir ».
Je pense, aux bouleversements sociétaux,  à la montée du féminisme, avec ses acquis : la pilule, l’I.V.G., une progression vers plus d’égalité homme/femme.
Et l’on peut également ; penser aux nouvelles applications d’ordre médical qui soulèvent de nombreuses questions éthiques
On peut aussi citer le mariage pour tous. (J’en oublie sûrement)
Il s’agit ici de jugements de faits, pas de jugements de valeur.  Tous ces bouleversements semblent, même peu à peu distordre nos références culturelles.
Dans son ouvrage « L’archipel français » l’auteur, Jérôme Fourquet, écrit qu’ « il y a » dans nos sociétés européennes « une évolution culturelle, politique, anthropologique. Et, paradoxe de la globalisation, des sociétés de plus en plus fragmentées, une montée de l’individualisme.., une structure de pensée en voie de dislocation ». J’ajouterais une rupture avec les Histoires des peuples.  Les historiens qui découpent en tranches notre histoire, vont-ils ajouter aux strates : Galilée, Darwin : une époque Turing ? Ou Bill Gates ?  Bien sûr, je ne veux pas tomber dans le « c’était mieux avant » ni dans un réjouissent béat d’un « vieux monde qui meurt ».
Mais nous sommes bien conscients que nous sommes face à une évolution inégalée, une évolution exponentielle. Par exemple : il a fallu :
1400 générations   pour accéder au langage
200   générations   pour l’écriture
20 générations        pour l’imprimerie
5 générations           pour la photo, le cinéma
3 générations           pour la télé
2 générations           pour l’ordinateur
1 génération              pour Internet
Alors ces tout récents changements, peuvent,  par leur rapidité, nous mettre pour beaucoup en difficulté pour suivre, s’adapter.
S’ajoute : le problème incontournable  des désordres biologiques, écologiques.
S’ajoute la robotisation des emplois, «  Le mode de production de la vie matérielle, (écrivait Karl Marx) conditionne la vie sociale, politique et intellectuelle ».
S’ajoute, entre autres, un phénomène de concentration de la population dans des mégapoles,
S’ajoute le vieillissement des populations.
S’ajoute une perte du temps d’attention, une étude évoque une forte régression de l’attention chez les plus jeunes, une attention qui se rapprocherait des 12 secondes. Soit, le temps d’attention du poisson rouge.
Alors, et pour conclure du point de vue philosophique, en tant que spectateurs et acteurs, n’étant pour la plupart, ni technolâtres, ni technophobes, mais en résonance avec cette époque, se pose  la question : face à ces bouleversements : comment réagissons-nous ?
Et se pose aussi la question, en ce monde nouveau qui advient:
que gagnons-nous ?
Que perdons –nous ?  Et, pour reprendre la chanson de Souchon :
Ce monde qui « change de peau…. sera t-il beau, sera t-il, laid ? »

Débat : Lorsque l’on avance en âge, nous avons tendance à revenir sur les années antérieures que nous avons vécues. Est-ce de la nostalgie ou la réalité constatée ?
Pourtant, il faut se rendre à l’évidence, aujourd’hui par la force des avancées de la technologie, nous sommes obligés de nous y soumettre à savoir :
Une imposition évolutive pour les besoins de la vie courante; exemples : obligation d’utiliser la technologie dite numérique, sans qu’on le veuille, mais par la force des choses, c’est inéluctable, nous sommes obligés de subir.
Prenons un rendez-vous médical, un automate nous répond souvent que les lignes sont occupées et qu’il nous faut rappeler. Nous sommes soumis non à un interlocuteur humain mais à une technologie qui sera de plus en plus sophistiquée. Nous subissons des ordres et les acceptons par obligation : faites ceci, faites cela, etc. Nous faisons nos courses,  nous avons toutes et tous, chacun une carte numérique, nos paiements se font aujourd’hui par code, ou sans contact, demain avec votre i Phone vous passerez en caisse, le paiement sera automatique.
Actuellement, vous pouvez rentrer chez vous et grâce à ce i Phone, vous pouvez allumer l’éclairage ainsi que d’accéder à d’autres fonctions. C’est la domotique.
Pour établir notre déclaration d’impôts, aujourd’hui, sans Internet, vous êtes obligés de vous déplacer car, au téléphone c’est un robot qui vous répond et cela devient de plus en plus inhumain. L’utilisation du formulaire papier va devenir inadéquate.
je monte dans ma voiture, le GPS m’indique ma route, la voiture me parle et m’indique sur écran : porte ouverte, frein à main non débloqué, ceinture de sécurité non mise, pneu dégonflé, etc. etc…
Je veux prendre un billet de train en gare, je suis confronté à un automate qui pose des questions qui ne sont pas toujours très claires pour le client lambda.
Je vais à la billetterie bancaire chercher de l’argent en espèce, nous sommes interrogés  pour pouvoir effectuer certaines opérations.
Les compteurs EDF, GDF et Eau sont installés pour l’interrogation à distance, sans nous avoir au préalable demandé notre avis d’ailleurs.
Les i Phone, les tablettes, les ordinateurs portables sont devenus courants, les appareils photos sont devenus obsolètes (la Société Kodak  a disparu). Pourtant nous avons besoin de les utiliser et évidemment sur le plan financier cela a un coût.
Aujourd’hui la technologie industrielle et médicale est en pleine évolution. L’intelligence artificielle devient de plus en plus sophistiquée et, malgré nous, notre cerveau traite des informations; exemple : nous ne savons si l’environnement est éclairé ou pas, mais une robe sur fond noir rayée bleue devient dorée sur un fond arrière éclairé. C’est une perception subliminale.
La voix est de plus en plus étudiée, par exemple la maladie d’Alzheimer sera détectée 5 ans avant son apparition.
Les cancers seront détectés plus rapidement que le radiologue.
Dans les hôpitaux, les infirmières disposeront de téléphones spécifiques qui leur permettront de dispatcher les patients vers des services concernés.
La robotique sera de plus en plus évoluée, des voitures seront construites sans main-d’œuvre, juste une supervision.
Les navires, les avions, sont construits grâce à la technologie laser et robotique.
Le métro circulera, comme c’est le cas pour 2 lignes actuellement, en conduite automatique.
Toute cette énumération hélas n’est que les prémices de ce que l’on veut changer.
Sur le plan humain, nous subissons toute cette mise en place technologique, nous sommes tributaires de cette nouvelle ère numérique et c’est avec beaucoup d’appréhension que je pense aux générations futures, certes déjà familiarisées à cet avènement mais jusqu’où ira-t-on ?

  Quelles significations des termes changer,  et monde ? Si on se réfère au dictionnaire historique de la langue française (Alain Rey). Changer: se dit «  changer en »  c’est-à-dire devenir différent, se transformer. Seconde signification : «changer de » c’est-à-dire remplacer une chose par une autre (changer d’avis ….). Le monde n’est pas l’univers comme le rappelle Leibniz pour qui l’univers est une pluralité de mondes. Aujourd’hui,  François Forget astrophysicien nous explique à la lumière des découvertes récentes, que l’univers c’est bien  des dizaines  de milliers de mondes (les exoplanètes…). Parmi les mondes étudiés par les sciences de la vie et de la terre (le monde vivant) et par les sciences de l’Homme (le monde humain), et par les sciences de la société (le monde social), je prends comme objet de réflexion pour la question posée, le monde humain. Et mon problème est : le monde humain dont nous sommes contemporains change-t-il en un monde a-humain ou devient-il inhumain ?
En effet la réalité du monde humain change, se transforme de manière accélérée pour moi en ce qui concerne les catégories, le temps et l’espace comme nous le rappelle Kant. Il n’y a plus de saisons ! Je pense au changement climatique et ses effets en particulier.  L’espace  n’a plus le même sens, nous pouvons voyager et communiquer avec tous les terriens de n’importe où vers n’importe où.  Du point de vue social, les métiers sont remplacés par des emplois. L’organisation de la société, les classes sociales des « temps modernes » (Chaplin) sont remplacées par des inégalités et la hiérarchie de l’argent. Les guerres ne sont plus des guerres d’Etat à Etat ennemi ou de colonisation, mais des « guerres asymétriques ». Mon corps et mon esprit peuvent être augmentés … Alors C’était mieux avant ? (Michel Serres 2018). Ce n’est pas le problème dit la petite Poucette à son grand papa ronchon; le problème est que le monde humain  change radicalement mais vers quoi ? Vers quel à-venir ?
Les recherches technoscientifiques peuvent nous conduire à ce que le monde humain soit remplacé par un autre, a-humain. (Cf. Sciences Magazine de juin 2019 : Les 20 inventions qui ont changé le monde ; Sciences et Univers       de  septembre 2019 : Les 26 défis scientifiques du 21° siècle de novembre 2019. Ce que la science sait de la mort). Et je cite Yuval Noah Harari en 21 leçons pour le 21° siècle « le futur de l’humanité peut se décider sans nous » Après Sapiens, après Homo deus, voulonsnous le transhumanisme ou voulons nous simplement continuer à étudier qui nous sommes vraiment ?  De même, Claudie Haigneré  la première femme française dans l’espace qui, dans une émission télé (C dans l’air) du lundi 25 novembre 2019 défend le point de vue que l’exploration du Ciel va peut-être permettre de connaître les moyens de mieux vivre sur terre contrairement au physicien qui pense que cela va permettre de fuir la terre qui va devenir inhabitable. Encore Michel Serres qui écrit en 1990 Le Contrat Naturel pour souligner la nécessité et « l’urgence » (qu’il ajoute dans sa préface à la réédition de son livre en 2018) de tisser ensemble le Contrat social (1ère loi : « aimez- vous les uns les autres »)  et l alliance avec la nature (la 2° loi : «  aimez le monde »). peut nous conduire à ce que l’humain devienne inhumain. Les idéologies qui conduisent à «  la guerre de chacun contre chacun » comme nous le rappelle Hobbes et l’intérêt général qui est le fondement de toute société est annulé par les intérêts particuliers.
Les communautarismes (chacun dans sa communauté de genre, d’ethnie, de confession religieuse, de terroir, d’origine sociale..) sont contraires à la recherche du bien commun. A fortiori les identitarismes qui valorisent les identités autochtones, essentielles (et non existentielles) et qui, avec le mouvement culturel de « décolonisation »  des arts, des savoirs, de l’écologie…conduisent au refus de « l’appropriation culturelle ». Ces idéologies s’opposent à l’universalité humaine.  Le droit à la différence devient l’éloge des différences et le refus de la recherche d’un universalisme considéré comme formel, abstrait et complice de toutes les colonisations. Ainsi,  « Touche pas à mon pote » (le slogan du concert de SOS Racisme 1985) devient «  touche pas à mon hijab ». Ce qui était « unissons-nous sur ce qui nous rassemble est devenu « unissons-nous sur ce qui me ressemble.  La tolérance,  sous prétexte de respecter la liberté d’expression, des idéologies totalitaires (régime qui « fonctionne à l’idéologie et à la terreur » soit le totalitarisme selon Hannah Arendt) ou  des «fanatiques » (les garants du temple et les clercs intermédiaires entre les hommes et les dieux). Le pardon de ceux qui ont commis des «  crimes contre l’humanité » et qui «  ne demandent pas pardon ». L’individualisme qui s’exprime en termes de droits, par exemple «  mon désir d’enfant, est mon droit à l’enfant »,  d’où PMA pour toutes et GPA pour tous. L’idéologie de la magie du marché  qui conduit à «  mon corps m’appartient » à « je peux le vendre ».
Enfin les mots …
Confondre le Bien et le Mal (universels) avec le Bon et le Mauvais (pour moi). Confondre le juste (pour tous) et l’équitable (selon les circonstances). Confondre la justice et la charité. Confondre discrimination (raciste)  et inégalité (sociale). Confondre élite et caste, comme dans le cas des « gilets jaunes ».  Confondre l’individu et son œuvre (Polanski, Heidegger, Céline). Confondre  « balance ton porc » et «  me two »  ou «  nous toutes » et «  On ne nait pas femme, on le devient ». Confondre culpabilité (vous les vieux c’est de votre faute si la planète va mourir) et responsabilité «  la maison brûle et nous regardons ailleurs ». De plus, les « vegans » ne s’en prennent pas au système productiviste des abattoirs mais aux bouchers et à ceux qui, selon eux, consomment trop de viandes.
Donc,  non pas s’indigner mais s’engager pour changer de logiciel et vouloir un changement humaniste du monde.

Quand on dit que les évolutions technologiques ont changé le monde plus que la politique, le problème est que c’est la faute de la politique. La politique laisse faire. Toutes les évolutions que l’on peut juger néfastes, c’est bien que la politique ne fait rien pour les contrôler. Le monde politique est un monde néolibéral et tout ce qui se passe vient de cela. Le monde a-t-il vraiment changé ? Je n’en suis pas certain. Il s’accélère. Quand on dit par exemple que le numérique est une révolution que l’on peut comparer à une révolution copernicienne, je ne suis pas d’accord avec ça. La révolution copernicienne est une nouvelle idée scientifique qui a mis du temps à s’instaurer et qui a changé notre vision du monde. Le numérique s’est installé comme un outil technique de stockage qui n’a pas changé notre vision du monde au moment où il s’est installé. Il a mis longtemps à le changer, à supposer même qu’il l’ait fait. Ces nouvelles technologies font que nous avons de plus en plus de possibilités qui s’ouvrent ou qui s’ouvriraient à nous. Le contraste de cette société ne change peut-être pas tant que cela,  mais c’est le fait que nous avons de plus en plus de possibilités qui s’offrent à nous mais on a de moins en moins de possibilités de les utiliser, et, je pense en disant cela aux médecins, hôpitaux, urgences. Ainsi, l’accélération de notre technologie nous met sous le nez un certain nombre de choses qui sont prodigieusement intéressantes parfois mais qui deviennent inaccessibles pour certains. Je ne pense pas que l’on ait remplacé quoi que ce soit par autre chose dans ce monde. La technologie a évolué. On s’éclaire différemment mais on continue d’être éclairé. Donc méfions nous quand une technologie évolue, d’y mettre autre chose que ce qu’il y a derrière. Car quand on a une technologie à disposition, on pense que les choses ont changé, non ! Les choses n’ont pas changé, elles ont changé de technologie pas forcément de sens. Nous étions jadis, dans une évolution technologique et industrielle, que l’on a eu l’occasion d’appeler un « darwinisme » industriel, c’est-à-dire que les technologies qui s’imposent sont celles qui arrivent à point et elles s’imposent car nous en avons besoin. Et aujourd’hui, dans cette société où le libéralisme et la concurrence sont poussés à leurs extrêmes, on balance tout sur le marché, et on ne peut plus parler de « darwinisme » car on balance même les choses les plus absurdes qui finissent par nous submerger. Ainsi, quand l’humanité met quelque chose en place, elle se fait elle-même dépasser par sa propre création et cela devient incontrôlable et c’est malheureusement un petit peu ce qui nous arrive. Nous ne sommes plus capables de dominer les évolutions car elles vont trop vite.  Et, cela car nous sommes dans des sociétés qui sont gérées par des gens qui ne veulent pas mettre des garde-fous pour essayer de maîtriser  un peu cette tendance là. Le monde n’a en fin de compte pas tellement changé que ça, il s’est emballé !

⇒ Moi je dirais le monde change et c’est tant mieux. Mais le fait est de savoir si tous les changements sont positifs et apportent une amélioration conséquente à l’être humain. Mais effectivement, je trouve qu’il va un peu vite dans son évolution. Nous n’avons pas le temps de nous adapter à une nouveauté que l’on nous en balance une autre ! Plutôt que d’ingurgiter, il faut déguster !

⇒ J’essaye de penser au garçon de 14 ans que j’étais. Et s’il pouvait voir le monde d’aujourd’hui, il serait totalement déboussolé ! Par contre, cela m’amène à une autre réflexion. C’est que, quand j’avais 14 ans, le monde changeait déjà mais il ne changeait pas pour moi car quand on est jeune le monde change avec nous. Appréhender le fait que le mode change ne se fait pas de la même manière pour tous les âges.

⇒ Un certain nombre d’exemples nous montrent qu’il y a plein de choses qui n’ont pas changé. Ces nouvelles technologies que l’on appelle le numérique nous ont amené une chose, c’est-à-dire des pertes d’emplois du fait de l’automatisation grâce à la numérisation. On parle des réseaux sociaux, c’est un exemple de l’emballement ! On en a eu moult exemples ces derniers temps.  La médisance a toujours existé, La Fontaine a écrit des fables sur le sujet, mais qu’à apporté le numérique, l’emballement de cette médisance.  L’Ubérisation, pour moi aussi c’est un emballement. Tout cela existait quand j’étais enfant, nous n’avons rien inventé mais cela s’est multiplié car il y a plein de gens qui perdent leur emploi.
Mais il  y a aussi des choses très positives, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt des choses néfastes.
Tu as parlé d’Amazon, mais le pouvoir politique ne veut pas l’arrêter, car c’est une telle puissance commerciale et économique que l’on ne veut pas se dresser devant ces puissants-là que sont les « GAFA » et qui font beaucoup de mal à l’humanité. Ils sont les représentants types de l’économie libérale incontrôlable poussée à son maximum. Si on voulait on pourrait faire quelque chose et arriver à les maîtriser.
Ils sont devenus incontrôlables mais on refuse de les contrôler…

⇒ A ce propos, le Président des USA est intervenu violement en faveur des « GAFA » et il a menacé l’Europe de rétorsions si cette dernière en venait fiscaliser ces « GAFA » qui finalement échappent à tous ces impôts en établissant des filiales un peu partout. Les pays où ils produisent ne sont pas les pays où sont envoyés les bénéfices.
De plus, il n’y a qu’à voir le monde de la consommation qui s’individualise. On peut par Internet, par une application, manger tout seul chez soi. Et on peut aussi travailler tout seul chez soi par le télétravail. Et on voit le gouvernement actuel conseiller aux entreprises à favoriser le télétravail à l’occasion des grèves liées aux transports qui sont prévues en décembre. Et quand je vois le monde associatif avec des personnes qui sont vieillissantes et les difficultés de création d’associations par les jeunes. Il n’y a pas de jeunes pour nous remplacer. Parce qu’il n’y  a pas l’esprit, pas l’intérêt commun.      On se plaignait, il y a 30 ans que la télévision était un agent de séparation entre les parents et les enfants mais à l’heure actuelle, peut-on dire que ceux qui lancent la numérisation et l’automatisation dans les entreprises ou ailleurs, peut-on dire que l’Homme a voulu ça ? Lorsqu’un médicament est interdit, lorsque des pesticides sont interdits, dans ce monde néolibéral, le politique s’avise de faire quelque chose quand les dégâts sont déjà très grands.

⇒ Je voulais prendre la parole à propos du côté humain et à propos de l’évolution de la technologie. J’ai commencé à travailler en 1953, j’avais 14 ans, j’étais apprentis et j’étais dans une entreprise de télécom. J’ai connu les standards à fiches, j’ai connu les câbles et puis j’ai évolué dans mon métier et j’ai subi quatre recyclages complets c’est-à-dire que la technologie a changé quatre fois pendant ma carrière. Et puis j’ai terminé avec la fibre optique et personne n’imagine aujourd’hui ce qu’à été cette évolution. Pour les jeunes, se mettre avec un écran, un clavier, c’est bien mais quelle va être leur évolution ? On travaille de chez soi mais il y a de moins en moins d’ouvriers, de nombreuses professions ont disparu. Je prends l’exemple de ma petite fille qui, avec un master de géologie, vient d’aller à Pôle Emploi. On lui répond qu’avec cela elle peut faire le tri dans les poubelles jaunes ou mettre des tracts dans des enveloppes. On ne sait plus où on en est…

⇒ On a parlé d’Amazon, et Amazon a mis en place des algorithmes qui remplacent les DRH. On a parlé aussi du travail à domicile, aux Pays –Bas, une personne sur cinq travaille chez elle sur Internet. L’avantage c’est qu’elle ne pollue pas avec sa voiture pour aller travailler !
Je reviens aussi sur les technologies. Je ne suis pas obligé d’acheté un ordinateur mais à partir du moment où cela se répand, quelque part nous sommes obligés de l’utiliser et on ne peut plus s’en passer ne serait-ce pour avoir une vie sociale. Maintenant une vie sociale sans téléphone c’est compliqué. On est plus ou moins entraîné dans un mouvement. Regardez l’essor du téléphone portable ?  mais les circonstances peuvent les rendre indispensables. Et que dire de la domotique ? Tous les objets deviennent connectés dans les maisons. Le fait de prendre de l’âge, nous faire prendre conscience plus facilement que le monde change et nous changeons avec lui.

⇒ Je pense au film de Louis de Funès, « Hibernatus », le jeune homme qui a été congelé et qui passe de 1905 à 1970. Finalement, il s’adapte très bien. Peut-être y a-t-il un différentiel entre les générations quant à l’adaptation au changement. Moi, je ne suis pas d’accord avec cela. Cela veut-il dire que nous sommes trop vieux pour le monde que l’on est en train de nous préparer ? Il n’y a qu’à nous piquer. Et il y a des gens qui le pensent, cela se nomme les « survivalistes ». Ils expliquent que ce monde technologique n’est pas fait pour les vieux et pour ceux qui ne s’adaptent pas. N’est-ce pas une forme de totalitarisme technoscientifique ?
Parier sur l’Homme, cela ne me suffit plus. Je suis d’accord avec Hans Jonas, le premier philosophe de l’écologie qui disait qu’il faut une dictature du « principe de responsabilité » et Miche Serres, qui, dans « le contrat naturel » en 2018 dans sa nouvelle préface où il dit que c’est urgent d’éduquer les enfants, à non seulement « aimez-vous les uns, les autres »  mais aussi « aimez le monde » et soyez responsable de cette Terre habitée par l’humanité. Mais qui va proposer cette éducation ? Les bonnes âmes ? Ou bien que le politique impose que dans les écoles il y ait une éducation aux deux lois.
L’évolution technoscientifique qui fait que le monde humain change de manière accélérée est acceptée et voulu par les politiques. Einstein en 1939, écrit un livre qui se nomme « Comment je vois le monde » et il dit « le mal dans le monde ne vient pas de ceux qui le font mais de ceux qui regardent et laissent faire ». Les politiques doivent donc prendre leurs responsabilités par rapport aux laboratoires, à Amazon, à la Silicon Valley, etc.
L’idéologie du bien commun et de la mobilisation collective est une idéologie en voie de disparition. « Balance ton porc » c’est vraiment la vengeance individuelle, la délation. Le fondement de ces révoltes, légitimes, et de cette libération de la parole féminine et féministe, le fondement est quand même l’individualisme et l’égocentrisme.
Que faut-il donc faire ? Parier sur l’Homme ? Cela ne suffit pas. Il faut changer de logiciel !

⇒ Le grand changement dans le monde que je trouve c’est le laisser aller, c’est l’organisation de sa propre fragilité. On dit que le monde est de plus en plus technologique, c’est vrai. On nous y oblige parfois, par exemple, nous parlions des Smartphone mais bientôt on nous obligera à avoir un Smartphone pour prendre le métro. On veut supprimer les tickets. Et on explique que c’est pour limiter le papier car « c’est bon pour la planète ». Ce sont arguments fallacieux. Imaginez la fragilité vers laquelle on nous amène car tout devient numérisé et que se passe-t-il dans notre monde le jour où il n’y a plus d’électricité ? A l’heure actuelle, on vous supprime le courant électrique et le monde s’arrête.
Avec le chômage, n’allons-nous pas vers une classe « inutile ». C’est une idée que l’on retrouve chez d’anciennes civilisations. Chez les indiens d’Amérique, quand une personne se considérait trop vieille, elle partait dans la montagne et se laissait mourir. Au nom d’une vieille idée, on en fabrique une nouvelle dans un monde qui a changé où ça ne serait plus nécessaire car nous avons des moyens. A ce titre, les retraités sont-ils inutiles ?

⇒ Je ne serais pas du côté des technolâtres, mais Schumpeter disait qu’à chaque fois que l’on a détruit des emplois, il s’en ait forgé d’autres qui les ont remplacé. Mais je ne suis pas certain que cela soit encore valable aujourd’hui. Le politique dans tout ça est complice, coupable et otage car en fait il y a un couplage entre l’économie et les nouvelles technologies. Cette économie c’est « une nouvelle loi de la gravité ». Dans des pays comme ceux du sud-est asiatique, ce sont développées des intelligences en informatique et qui font que ces pays sont très performants en ayant pris une avance sur d’autres. Si on ne fait pas la même chose, on risque de se faire dépasser par les autres. Mais cette imprégnation de cette nouvelle technologie, c’est l’individualisme, chacun est un consommateur et on laisse faire. Faire des associations, ce n’est plus trop dans les esprits d’aujourd’hui je pense.
Et la transmission, il faut du temps entre deux jeux électroniques et puis, on peut aller sur Wikipedia…

J’ai lu récemment que l’anesthésique du couloir de la mort des prisons américaines, on peut se le procurer sur Internet, dans le « darknet » ou autre chose et les gendarmes ont frappé à plusieurs portes au cas où certains voudraient se donner la mort. Il y a l’euthanasie, que l’on peut comprendre et le « droit » de se commander une dose pour mourir seul. Il y a cette obligation à mourir si il on devient « vieux », si on devient « nuisible ». Dans un de ses livres, Harari, il parle du Bangladesh et de ces milliers de « nuisibles » qui mangeront et ils entreront en compétition du fait des problèmes environnementaux lié au changement climatique. Sans doute cela sera une lutte à mort et ces milliers « d’invisibles » devront disparaître. Plutôt que de les faire mourir, on peut aussi les culpabiliser. On culpabilise beaucoup les vieillards, les pauvres, car cela « coûte cher », sécurité sociale, urgences, etc. Cette culpabilité, on la retrouve dans ce merveilleux film de 1983 « La balade de Nayarama », où on a cette grand-mère dans le Japon du XVIIIe-XIXe siècle, les ressources sont très rares, et dans les villages, les anciens doivent aller mourir discrètement. Et cette grand-mère, elle a des dents superbes, elle a envie de vivre, elle a une facilité de communication, mot aujourd’hui galvaudé, mais elle voit dans le regard des autres sa mort car ils réprouvent en quelque sorte cette vitalité. Elle finit par se casser les dents, signe de sa vitalité, et par se laisser mourir de froid dans la neige.
En 1938, il y avait une fascination pour Hitler, celui qui a redressé l’Allemagne et certains avaient proposé de déplacer les juifs à Madagascar. Alors, peut-on faire confiance aux hommes ?

Je reprends avec le numérique, si on fait référence aux années 30 en Allemagne, cette révolution numérique, si tant est que l’on puisse parler de révolution, ne serait-ce pas un nouveau totalitarisme auquel on se soumet. Cela peut-être inquiétant et compte tenu de l’allongement de la vie, compte tenu des changements climatiques et autres problèmes environnementaux, compte tenu d’un manque de nourriture à terme pour la population, les chinois qui achètent des terres un peu partout, tout cela peut finir dans la barbarie.
Pourtant, on voit bien que l’Europe, a, pour la première fois de son histoire, passé 75 années sans conflits, ou pratiquement pas. Il y a l’émerveillement mais aussi l’inquiétude. Le monde sera-t-il beau, le monde sera-t-il lait. Là est la grande question !

⇒ Moi je me pose juste une question, que vont faire nos jeunes ? Ils passent le Bac et après ? Je dois dire que je m’inquiète.

⇒ Tu posais la question si le numérique n’allait pas devenir un nouveau totalitarisme ? Il y a un gars qui se nomme Wilhelm Reich,  élève de Freud, qui a écrit un livre, «  La psychologie de masse du fascisme ». Dans cet ouvrage, il montre comment on se sert des masses pour instaurer un certain fascisme, et comment les masses deviennent manipulées et par là responsables et manipulatrices en même temps. Tous ces mécanismes là avec le numérique sont accélérés. Les masses deviennent à la fois victimes mais aussi acteurs d’un certain fascisme par la manipulation psychologique et c’est ça qui est grave. Et pour revenir à une époque où les classes « inutiles » face aux ressources qui s’épuisent, on peut imaginer une guerre de  l’eau, etc. Tout cela n’est pas impossible.

⇒ Pour moi, suite aux questionnements écologiques, ma réflexion va au-delà, car, avant que d’être des humains, nous sommes des êtres biologiques qui dépendent d’un ensemble de lois qui sont apparues avec l’Univers. Ce que je veux montrer, c’est d’avoir une autre façon de penser afin de faire avancer les choses. Le savoir est important, un savoir qui part du Big Bang, jusqu’à aujourd’hui.
L’anthropocentrisme est récent. L’univers à passé le plus clair de son temps sans nous…

 

 

Est-il plus heureux l’homme qui pas dépassé la haie de son jardin?

 

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

Frédéric Bazille. Le petit jardinier. (1866-1869). Musée de Houston.USA.

       Restitution de la réunion du 30 10 2019 à Chevilly-Larue

Animatrice/ animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaut

En ouverture du débat, Thibaut nous fait écouter la chanson de Michel Sardou : « S’enfuir et après » 1997, extrait de l’album « Salut »: S’enfuir et après / Revivre à peu près /Les mêmes choses qu’on fui / S’en aller ailleurs / Passer l’équateur / et se croire à l’abri. Le monde est sans but / Le centre est partout/  Notre ombre nous suit / S’enfuir et toujours, les chagrins d’amour / durent toute une vie /Partir en courant : Echapper au temps / Découvrir un ciel / Aller sans valise / sans idée précise / seul’ment se faire la belle / s’enfuir et alors / c’est l’aéroport / l’achat d’un billet / Aussi loin que l’in va  / on part avec soi / on ne s’oublie jamais / se mettre à l’écart / Ne plus rien savoir / du monde où l’on est / laisser en arrière : Les idées amères, / les projets… »

 Introduction : (Thibaut); Dans son célèbre essai « Tristes tropiques », le grand ethnologue Claude Lévi-Strauss commence par ces mots, plus que paradoxaux pour le fin connaisseur des civilisations mondiales qu’il était : « Je hais les voyages et les explorateurs. » Il précise d’ailleurs que « ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité. »
Ainsi, le voyage existe-t-il encore ?
On peut en douter, comme aime à nous le rappeler Stephan Zweig dans la préface de sa biographie de Magellan. Le grand écrivain se croit obligé de nous livrer une justification à la naissance de son livre :« En ce qui concerne ce livre, je sais parfaitement pourquoi je l’ai écrit : il est né d’un sentiment peu courant, mais très énergique : la honte. »
Et Zweig de nous expliquer la genèse de son émotion alors qu’il effectuait la traversée de l’océan Atlantique à bord d’un grand navire moderne :
« J’étais fatigué de voir les mêmes visages et la monotonie du service de bord, avec sa calme précision, me devint intolérable. Avance ! Avance ! Plus vite ! Plus vite ! Vraiment ce beau et confortable navire fendant les flots avec rapidité me paraissait aller trop doucement ! »
L’obsession de la vitesse et de la rentabilité est devenue un sentiment caractéristique de nos sociétés modernes tant le monde s’est vu diminué au fil des décennies, du fait de cette mondialisation commencée au XVIe siècle et de l’avancée technique des moyens de transport. Il est vrai qu’à peine sommes-nous partis que nous souhaiterions être déjà arrivé. Pourtant, nous pouvons rallier n’importe quel point du globe en quelques jours tout au plus, et dans des conditions la plupart du temps agréables et sécurisantes. Voilà ce qui provoque ce sentiment de honte dont nous fait part Zweig. La honte de se plaindre de tant de confort, tel un enfant capricieux, et d’avoir ainsi oublié comment les hommes du XVIème siècle se déplaçaient autrefois sur les mers, bravant l’inconnu, la peur au ventre face à ce désert d’eau salée, la faim tiraillant les entrailles, le froid transperçant la peau comme autant de petits poignards sans compter cette profonde déréliction, seule compagne pendant des mois, faisant oublier parfois jusqu’à la conscience de soi-même. Le confort moderne nous rend souvent amnésique…
Pourtant, nous n’avons jamais autant « voyagé ». Des milliers d’appareils sont en vol à chaque instant, transportant vers toutes les destinations des millions d’individus. Mais est-ce humainement, économiquement, écologiquement universalisable ? Le voyage n’est-il pas l’apanage que de quelques-uns malgré une démocratisation certaine ? Dans ses fameux essais, Montaigne répond « ordinairement à ceux qui […] demandent raison de mes voyages que je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche. » Voyager est-il alors une fuite ? Un renoncement à trouver le bonheur là où nous vivons ? Un besoin de ne reconnaître le bonheur qu’à la condition de s’en éloigner. Dans ses propos sur le bonheur, le philosophe Alain nous renseigne à ce sujet : « si vous le cherchez dans le monde, hors de vous-même, jamais rien n’aura l’aspect du bonheur. » S’enfuir n’est-il pas revivre tout ce que l’on fuit ? Ne passons-nous pas une partie de notre existence à nous chercher nous-mêmes et ainsi à nous fuir, pour finalement revenir au point de départ ? Mais le bonheur est-il aussi une obligation ? Nous sommes entourés d’injonctions de toutes sortes : « Soyez heureux ! », « carpe diem ! ». D’ailleurs, il est piquant de constater que l’anagramme de « carpe diem » est « ça déprime »[1].     En effet, le bonheur n’est-il pas toujours gâché par la peur de le perdre ? Le bonheur pour être durable se doit, peut-être, d’être modeste. Ne pas changer ses habitudes, « cultiver son jardin » c’est peut-être avoir trouvé quelque chose d’essentiel, mener une vie paisible et méditer sans s’inquiéter des autres et de ce que pensent les autres. Ne pas s’inquiéter des problèmes insolubles et ne s’occuper que de ceux que l’on est en mesure de résoudre.
Mais « cultiver son jardin » n’est-ce pas aussi le prototype de l’égocentrisme, de l’individualiste peut enclin à s’intéresser à autrui et à considérer son mode de vie comme le parangon de l’humanité ?
N’est-ce pas aussi une lâcheté, ne pas lutter contre le sentiment de végéter. Mais alors, à quoi bon fuir ? Pourquoi ne pas se battre ?
Le bonheur est-il donc dans la sédentarité ou l’éloignement, le mouvement ? On peut être libre de fuir, ce qui n’est pas toujours à connotation négative, ou bien de rester et que le bien commun puisse alors récolter les fruits de notre labeur. C’est tout le paradoxe, la complexité et pourquoi pas, l’essence même de la nature des hommes. En fin de compte, la philosophie n’est-elle pas en elle-même un voyage immobile ?

 

Débat : Ma première réflexion, fut : c’est quoi cette haie ? Elle est physique : des troènes, des thuyas.., elle est géographique ou elle est une barrière psychologique ? Ou idéologique ? Un retranchement ? Une peur ? Ou, le clos de ses certitudes ? Ne pas oser ? Craindre ce que l’on ne connaît pas ?
Et, m’est venu de suite à l’esprit les vers de Joaquim du Bellay : «  heureux qui comme Ulysse, a fait un long voyage / ou comme cestuy-là qui conquit la toison. Et puis est retourné, plein d’usage et de raison. Vivre entre ses parents le reste de son âge… »
Et également me revient une conversation récente avec un voisin, lequel a visité le monde entier, a séjourné dans les grandes capitales : Melbourne, Moscou, New-York, etc. Et ma question, fut : maintenant que tu vis ici, où te sens tu le mieux ? Spontanément sa réponse fut : ici bien sûr, chez moi, en Andalousie, c’est : ma lange, mes racines, ma culture…
C’est là un thème qu’on retrouve en littérature, comme dans le roman de Paolo Coelho, comme une allégorie. « L’Alchimiste » où le personnage, couché sous un arbre, fait le rêve d’un trésor caché qu’il faut qu’il découvre. Il fera un large périple de par le monde, et finalement il trouvera le trésor, qui était enfoui au pied de l’arbre, où il avait fait le rêve.
Cette histoire,  image le fait que souvent nous allons chercher très loin, ce que nous avons sous auprès de mon arbrela main, et que notre aveuglement nous empêche de voir. « Après de mon arbre, je vivais heureux, j’aurais jamais dû le quitter, mon arbre » (Brassens)

⇒ Quand j’ai épluché cette phrase du thème, il y a trois mots qui m’ont interpellé ; Les mots : jamais  – franchir – heureux. C’est quand même bizarre, parce que quelqu’un qui s’enferme, peut-il être heureux ?
J’ai cherché sur Internet, si un tel sujet avait déjà été proposé en café philo. Et bingo ! J’ai trouvé « Que faire si un voisin ne taille pas sa haie » autrement dit s’il ne souhaite pas converser avec vous.
Et cela m’a rendu un peu triste car cette haie peut-elle nous empêcher d’aller vers les autres ? Cela peut être fait volontairement ou involontairement. Dans ce dernier cas (maladie, solitude, handicap), là nous sommes collectivement responsable, nous qui sommes à côté.        Mais si la personne le fait volontairement en raison de peu d’appétence pour la société  alors je suis triste. Cette phrase, je dois le dire, me met mal à l’aise.

 La phrase traite apparemment des conditions du bonheur et comment être heureux ou plus heureux. Mais pour moi, cette phrase est « que signifie franchir la haie de son jardin ? »
C’est par les questions de l’existence et du développement des communautarismes dans notre société et aussi d’un totalitarisme islamique qui m’inquiète  que je vais traiter cette question pour dire que je suis heureuse de pouvoir, et jusqu’à la mort, franchir les haies de mon jardin.
Certains pensent qu’ils seront heureux ceux qui retrouverons le jardin et les haies  d’où ils ont été éjectés. C’est la définition du communautarisme, idéologie selon laquelle, hors de ma communauté d’origine, de race, d’ethnie, de religion, de genre, de terroir, de culture, je perds mon identité, par soumission à la communauté dominante.
Et donc les victimes de cette «oppression » aujourd’hui, affirment leur identité qui a été annulée en exigeant de leurs oppresseurs qu’ils décolonisent leurs propos et leurs actes.
Ainsi, ils s’affirment victimes de l’universalisme occidental qui prétend pour maintenir  sa domination que, au-delà des jardins secrets de chacun peut exister une communauté diverse mais unie, qui a le projet de réaliser le bien commun, la « res publiqua » et non pas de répondre aux désirs individuels de chacun. Ainsi, il y a un mouvement culturel qui aujourd’hui se développe, le mouvement décolonial et qui veut s’imposer en accompagnant toutes les victimes. De nombreux ouvrages ont été consacrés à la question : décolonisons les arts, le féminisme décolonial…
Ce mouvement s’impose avec force et violence par rapport à ceux qui sont considérés comme des oppresseurs, en particulier les colonisateurs occidentaux blancs.
Dans les arts par exemple, il y a eu deux événements auxquels j’ai assisté, en particulier à la Cartoucherie, au Théâtre du Soleil, Ariane Mouchkine a repris un spectacle « Kanata » qui signifie le « village » en Iroquois, spectacle canadien sur l’histoire des colonisations au Canada. Ce spectacle a été joué par de nombreux acteurs français, anglais, japonais, etc. En mai 2019, ce spectacle a été interdis au Canada du fait que certains que cette œuvre ne devait être jouée que par des iroquois. En soutient au Canadiens, Ariane Mouchkine a donc repris ce spectacle en France en septembre dernier et qui a été empêché avec force par la présidente de « décolonisons les arts », Françoise Vergés, et d’autres, mais le spectacle a quand même eu lieu sous le nom « Kanata la controverse ». L’actrice principale du spectacle pose d’ailleurs le problème en posant la question : « faut-il être juif pour jouer un juif, faut-il être noir pour jouer un noir ? »
Par ailleurs, à la Sorbonne, le spectacle les « suppliantes » d’Eurydice, fait montre d’acteurs qui ont joué avec des masques noirs. De nombreuses associations se sont mobilisées (les « indigènes de la République »…) et ont fait interdire le spectacle. Dans certaines universités (Lyon 2), des étudiants français se voient refuser leur master au motif qu’ils traitent de ces questions des peuples opprimés.
Voilà pour les arts. A la F C P E, la fédération des parents d’élèves, suite à l’histoire de la maman voilée, est affichée maintenant « je peux accompagner mes enfants avec l’habit que je veux ». Des personnes ont réagi et ont été violentées physiquement.
Cette idéologie décoloniale, le décolonialisme, considère que la colonisation a toujours imposé avec force, violence, viols que des individus ne cultivent plus leur jardin et que donc, ils ont été spoliés, et que donc, ils ont raison de réclamer ce dont ils ont été spoliés c’est à dire leur jardin et leur haie. J’aimerai également évoquer le livre «  Rencontres radicales pour des dialogues féministes et décoloniaux » ; Les auteures expliquent que le capitalisme est un capitalisme racial et dont les victimes ont le droit et le devoir de condamner et d’attaquer tous ceux, qui, sans le vouloir sont complices de cette spoliation du jardin intérieur. Et donc, certains considères que le jardin intérieur doit être réapproprié avec sa haie tout autour. Un second courant qui considère que le bonheur passe par le maintient de son jardin privé avec les haies qui l’entourent, ce sont ceux qui se mobilisent pour une laïcité ouverte contre une laïcité radicale. La laïcité c’est simplement le fait de tolérer l’autre afin de vivre ensemble ; Rappelons que la tolérance ce n’est pas le respect. Il y a ceux qui pensent que seront heureux au ciel, au paradis, ceux qui auront éliminé les mécréants blasphémateurs, ceux dont le jardin intérieur n’est pas le jardin voulu par eux. Ensuite seront plus heureux, vivrons mieux, ceux et celles victimes d’une laïcité fermée, intolérante, radicale qui demande à tous les citoyens et citoyennes de France de ne pas distinguer espace public et service public.
Ainsi la maman voilée, lors d’une sortie scolaire qui pleure sur la vie brisée de son enfant car elle a vécu une humiliation violente, elle sera moins malheureuse quand enfin la société française reconnaîtra enfin aux musulmans de porter le voile islamiste car comme chacun le sait, et comme l’expliquent de nombreux imams modérés, le voile n’est pas une obligation religieuse mais qu’il est simplement un drapeau. Que la société française permette aux musulmans de vivre leur jardin intérieur privé et  religieux mais à l’extérieur.
Il y a des raisons à cela. De nombreux philosophes expliquent que ce mouvement décolonial et ce mouvement anti-laïcité entrent dans une idéologie libérale qui consiste en la liberté de choix individuelle et qui va, de fait, à l’encontre d’un état républicain et de la mise en place d’un contrat social juste et bon pour tous. Cette conception de la liberté renvoie à une idéologie libérale qui promet le bonheur individuel et qui considère que chacun a le droit de mettre les haies autour de son jardin privé et de la cultiver en refusant l’ouverture vers l’autre et à ce qu’il y ait des actes et des idées qui permettent que l’on vivent ensemble. Pour ma part, je ne suis pas heureuse comme ces gens qui veulent le communautarisme décolonial ou la laïcité ouverte, bien  au contraire.  Je suis heureuse car je franchis sans arrêt, et jusqu’à la mort, la haie de mon jardin. Je m’y oblige et m’associer en pensée et en acte avec ceux qui ont un autre jardin privé. Et je suis heureuse quand je peux continuer à m’interroger avec impertinence sur le monde et je ne saurais trop conseiller la lecture du livre de Michel Serres « De l’impertinence aujourd’hui».

 Je vais faire une remarque sur ce qui vient d’être dit et en particulier sur le décolonialisme qui, il me semble, se contredit lui-même quand il affirme aux autres cultures « vous devez reprendre votre culture » car ils font alors du colonialisme à l’envers en pensant à la place de ceux qu’ils ont l’ambition de « défendre ».
Quant à la phrase du sujet qui nous occupe, c’est une phrase qui me plait beaucoup car elle est poétique et dans son rythme (c’est un alexandrin) et dans son sens rhétorique, car « est-il plus heureux l’homme qui n’a pas dépassé la haie de son jardin ? » amène à penser qu’il est malheureux celui qui ne le fait pas. Il y a en quelque sorte une réponse dans la question. On peut très bien franchir la haie physique et c’est une invitation au voyage mais on peut aussi franchir sa haie mentale et culturelle tout en restant chez soi et en lisant un bon bouquin. Ne pas franchir sa haie peut entraîner le repli sur soi et le communautarisme qui peut même aller vers une scission plus grave encore que le communautarisme, celui d’un égoïsme absolu. Il faut donc repousser tout au long de sa vie les limites de notre haie afin que notre jardin soit de plus en plus grand.

 J e vais rebondir sur ce qui vient d’être dit à propos du mouvement décolonial. J’irai même plus loin car je pense que c’est un authentique intégrisme par la violence verbale et/ou physique dont il fait preuve. Il prône en réalité la dictature des identités donc quid de la liberté d’expression, et il  prône des revendications à la fois sectorielles et communautaires. Cela entraîne la pulvérisation même de la notion d’égalité et donc de la République.
Franchir la haie de son jardin c’est aussi faire preuve d’esprit critique car c’est franchir sa haie intellectuelle. Comme le disait Bachelard, « penser contre son cerveau. »
De plus, par rapport à ce qui a été dit au début, j’ai repensé au film « Les évadés » avec Morgan Freeman. Cela se passe dans une prison et un des personnages est libéré au bout de 50 années de détention et plutôt que de profiter de la liberté qui a permis à la haie de son jardin de « s’envoler », il décide de se suicider car il ne reconnaît pas ce monde dans lequel il n’est rien alors qu’il était un monsieur  connu et respecté au sein du pénitencier où il a purger sa longue peine.

⇒ Après ce qui a été dit, il faut tenir compte aussi des gens qui n’osent pas franchir la haie de leur jardin, par timidité, par peur ou par le souvenir de mauvaises expériences, cela n’est pas donné à tout le monde. Cela m’a rappelé la Bible où sortir de son jardin est une damnation.  Abel qui cultivait sa terre, c’était le sédentaire et Caïn, c’était le berger, le voyageur,  le nomade et dans l’inconscient populaire, le voyageur est toujours plus heureux que le nomade.
Le voyageur est toujours plus heureux que le sédentaire car ce dernier rêve de voyages. Etre dans son jardin c’est donc être attaché à quelque chose que l’on ne peut quitter du jour au lendemain. Et puis, je me suis fais une autre réflexion, est-il plus heureux le mari qui n’est jamais allé voir si l’herbe était plus tendre ailleurs ?

 En parlant de décolonisation, je me suis rappelé d’un livre dont le titre est « décoloniser l’enfant ». On sait bien que l’enfant ne peut s’affranchir de l’adulte, du moins pour ce qui est du cadre, des valeurs, etc. Mais l’enfant a aussi sa propre dynamique.
J’ai eu des élèves et ils étaient noirs, c’était la seule couleur. Ils voyaient des différences que je ne voyais pas et parfois ils se heurtaient violemment. Il y a beaucoup de différences dans les pays, les familles, les relations humaines ne sont pas les mêmes.
Un autre livre « l’enfant noir », merveilleux ouvrage qui donne une idée de ce monde très complexe où le serpent et autres peuvent avoir une dimension symbolique ou être vécus tels que. Mais d’abords, qu’est-ce que c’est qu’une identité noire ? Parlons-nous de celle du 15e, du 16e du 17e   siècle ? Cela reflète une grande complexité au même titre que la peau blanche.

 Je vais envisager l’évasion par l’esprit. Deux textes par Hervé pour élargir son jardin par la poésie :

L’ÉVASION DU POÈTE
(En acrostiche : Les mots proposés)

Livrer un message et souhaiter son avènement,
E ncore immaculée, la page doit faire rêver,
S éduire, pour enfin révéler tout le talent.
M arier des mots, espérer publier, imaginer,
O euvrer, pouvoir proposer aisément
T out son savoir, le  poète sans douter,
S oigne le texte pour l’aimer tout simplement.
P ourquoi cette pensée poétique est à dévoiler ?
R elater, croire sans ignorer, ce questionnement
O blige à devoir l’éditer puis enfin l’aider à s’évader
P urement du livre pour se souvenir absolument.
O uverture d’esprit, nuances verbales, enfin méditer
S ur toutes les idées bienvenues, précisément
É crites, élaborées, contées, aimées, détester errer
S ans but, l’auteur est messager de ses sentiments.

L’ŒUVRE IMMORTALISÉE
ou l’évasion du peintre
(avec les mots proposés)

Souhaiter laisser un message pertinent,
cette toile immaculée va faire rêver.
De ses pinceaux, espérer avec talent
refléter toute l’harmonie, imaginer
comme le poète pouvoir, avec enchantement
proposer tout son savoir, sans douter
quelle symphonie sera dévoilée précisément.
Aimer, se souvenir, immortaliser
ce tableau, ne pas ignorer ses pigments,
tout cet art oblige de devoir étudier
ce que l’artiste a voulu absolument.
Détaillée, tout en nuance, pourquoi détester,
comme certains, cette œuvre non contents
de croire qu’elle n’est pas à louanger,
ignorants que vous êtes manifestement.

⇒ Le jardin est quelque chose de spécifique à l’espèce humaine or sachant que l’Homme est un animal et si on se penche sur les autres espèces, les animaux n’ont pas de jardins, ils ont un environnement, un territoire. Aujourd’hui, avec tous les mouvements de pensé, ne pourrions-nous pas rassembler les jardins  pour en faire un jardin partagé mais comment ? Elle est là la question, que l’histoire nous ramène un peu à l’écologie des choses. Ne pourrions-nous pas y inclure les problématiques écologiques, politiques et sociales et montrer qu’il y a un intérêt car le monde scientifique nous montre que nos jardins risquent fort de se détériorer avec la pollution et les bouleversements climatiques.
Je n’ai pas trop aimé le titre car cela nous enferme dans une individualité, une forme de communautarisme et je préfère que l’on parle de jardin partagé.

 Plusieurs remarques. La première, j’ai eu l’occasion de fréquenter pendant plusieurs années des voyageurs, des gitans et il y avait une famille qui avait sa caravane. Cette famille était souvent en voyage dans toute l’Europe mais ils avaient quand même une maison. Et dans la cours de cette maison, il y a ait un camping et les parents y vivaient car ils n’ont jamais voulu rentrer dans la maison. Un gitan disait : «  Je suis né dans une caravane en 1950 et j’ai passé ma vie à voyager pour échapper à ces horizons bouchés pour ouvrir ma porte sur la liberté. Le nomadisme n’est pas une vie facile mais c’est peut-être la seule qui vaille la peine d’être vécue. »
C’est une façon de voir, ce sont des gens qui n’ont pas de jardin car leur jardin est partout.
Deuxièmement, les barrières idéologiques totales comme en URSS ou dans les pays de l’est et certains d’entre vous ont peut-être vu le film « Good Bye Lénine » Il raconte son histoire de cette femme qui tombe dans le coma pendant la dictature et se réveille après la chute du mur et l’avènement du libéralisme économique. Comme elle était une militante ardente du communisme, elle ne doit pas voir cela, sa famille met donc des haies tout autour d’elle alors que finalement, c’était son rêve que cela tombe enfin.
Troisièmement, on a évoqué Voltaire et inévitablement, on pense à Candide et dans ses pérégrinations, il a été malheureux, il a rencontré moult problèmes. Finalement, le bonheur il le retrouve avec son jardin, il faut savoir « cultiver son jardin ».

 Je vais revenir sur l’imagination créatrice qui « fait voir l’invisible » comme disait Klee mais cela l’est aussi de l’imagination scientifique qui révèle un monde nouveau comme le fait de savoir que la Terre n’est pas plate et que les espèces évoluent.
De plus, la catastrophe écologique qui semble advenir nous incite à faire que la Terre soit un jardin partagé et c’est une belle expression je trouve. La catastrophe écologique a détérioré le jardin et l’agriculture industrielle a éliminé les bocages.

 C’est vrai qu’avec la crise écologique majeure et les inquiétudes légitimes qui en découlent, certains proposent, plutôt que d’arranger le jardin, de le quitter et de s’en affranchir totalement. Mais pour aller où et y faire quoi ? Cette idée me parait totalement irréaliste. Cela me fait penser au philosophe E. Husserl qui écrit dans les années 30 un petit texte qui s’appelle « La Terre ne se meut pas ». Ce que l’on peut en retenir me semble-t-il est qu’avant d’être des humains, nous sommes des terriens et nous sommes profondément ancrés dans ce qui est notre berceau, notre jardin. Et ne peut-on pas étendre cela à l’endroit où nous vivons, la terre, nos racines, la famille. Nous pouvons franchir la haie de notre jardin de multiples façons, mais, en fin de compte, ne finissons pas par y retourner ?  Et ce retour aux origines n’empêche pas de franchir quand bon nous semble notre haie et de s’entendre les uns les autres pour soigner ce jardin qui est le nôtre et qui quand même agréable !

 Je disais, que j’étais triste de penser que la personne qui reste enfermée, même si elle satisfait son besoin et son savoir en restant chez elle, si ce n’est pas pour les partager avec quelqu’un ça sert à quoi ? Tandis que sortir, participer à des associations comme par exemple ce café-philo où j’ai vraiment appris à mieux écouter et je me rends compte que certaines personnes s’écoutent quand elles parlent, n’écoutent pas ce que les autres disent et quand elles ont besoin de dire quelque chose, elles ne voient pas si les autres ont besoin de parler. Ce besoin de partage est pour moi très important et on apprend toujours des idées des uns et des autres, on s’enrichit. Alors que rester chez soi et s’instruire tout seul, pour moi, c’est égoïste.

On pourrait se poser la question de la manière suivante : « Est-elle heureuse la société qui n’a jamais franchi sa haie ? »
Parce que, qu’on le veuille ou non, l’humanité serait absolument restée à l’âge de pierre si jamais personne n’était allé voir ailleurs comme dans le roman « La guerre du feu ». De tous temps, les sociétés ont évolué car des individus sont allés au-delà de leur propre jardin sociétal ou même scientifique. Il est aujourd’hui impossible de faire de la recherche de haut niveau sans une collaboration internationale. Pour la découverte du boson de Higgs, le Prix Nobel de physique n’a pas été attribué uniquement à Monsieur Higgs. La découverte eu lieu au LHC à Genève où des centaines de physiciens travaillent en étroite collaboration. Cela fait partie d’un partage qui nous permet d’être quelqu’un d’autre mais sans se perdre. On peut être quelqu’un d’autre sans cesser d’être soi. C’est s’être simplement enrichi.

 Je suis originaire du centre de la France et j’ai rencontré des personnes qui n’avaient jamais dépassé leur canton ou leur département. Ils n’étaient pas malheureux pour autant.
Mais qu’est-ce qu’être heureux ? Est-ce faire la queue pendant deux heures pour visiter Dubrovnik ? Est-ce aller se mettre dans cette foule à Barcelone ? Est-ce aller sur ces grands bateaux où l’on est 5 000 personnes ? Est-ce aller dépenser des tonnes et des tonnes de gasoil pour aller voir trois baleines sauter dans le golf de l’Hudson où aller voir les glaciers fondre au Pôle Nord ? Je trouve cela un peu idiot mais c’est un jugement personnel.
Je pense aux gens qui ont fait le choix de vivre dans un monastère. Ils sont dans un jardin clos, c’est leur choix et j’espère pour eux qu’ils sont heureux. On peut fermer son jardin mais cela ferme-t-il l’accès au bonheur ?

 En effet, les sociétés évoluent car elles vont voir ailleurs, les scientifiques assurent un progrès de la connaissance et en ce sens, il n’y a pas de progrès sans partage. Sauf, pour les scientifiques qui sont assujettis au lobbys et qui sont asservis à la rentabilité sur un objet de recherche qui n’est pas forcément bon pour tous. Donc, là il y a une limite et peut-être qu’aujourd’hui cette question est plus vive qu’au XXe siècle et peut-être avec la révolution numérique.
Et, par rapport à ce qui a été dit, que signifie être heureux finalement ? Le bonheur, serait, « un idéal de l’imagination ». Cela dépend de l’imagination que l’on a pour franchir notre jardin.
En outre, sur ce qui a été dit précédemment, sur le fait que les intellectuels doivent participer à la résistance face à la barbarie capitaliste du profit. Oui, mais pour cela, il leur faut un logiciel de compréhension mais lequel ? Peut-être qu’il faut changer de logiciel, de mode de pensée,  en fonction des résistances à mener.

⇒  Tu parlais sur ce qu’est le bonheur pour les uns ou les autres, puis tu as cité les moines. Je pense qu’il n’y a pas de contradiction. Chacun cultive son jardin avec la manière dont il entend pouvoir le faire. Et, il peut très bien y avoir une démarche monastique qui consiste à dire, moi, pour avancer, pour aller plus loin que moi-même, d’être seul, de réfléchir, de me confronter à des livres et je ne veux pas être perturbé par le bruit de la société. Après, on peut parler de l’utilité collective de cela mais du point de vue de la démarche personnelle, il n’y a pas forcément de contradiction entre l’isolement et franchir son propre jardin.

 Pour revenir à l’aspect créatif de la pensée scientifique qui a été évoqué, je ne suis pas certain qu’ aujourd’hui, une personne comme Einstein, aurait pu devenir Einstein. En effet, en 1915, il sort un article dans lequel il propose une nouvelle théorie de la gravitation, on ne sait rien sur l’Univers. On ne connaît pas le fonctionnement des étoiles, on ne connaît pas le statu des galaxies, on ne connaît pas les trous noirs, etc…Or, lui va proposer une nouvelle façon de penser le monde sans n’avoir à sa disposition aucune données. Il a posé les bonnes questions puis il a répondu de la plus belle manière qui soit.  Mais l’inverse est-il vrai ? Aujourd’hui, nous avons en cosmologie une moisson de données « astronomiques » mais ce n’est pas pour cela que nous sommes capables d’avoir de nouvelles pensées. Et cet impératif de publier, cela empêche sans doute la liberté créatrice de beaucoup de chercheurs de s’exprimer.
Et puisque l’on parle de jardin, dans un jardin physique où l’on cultive diverses plantes, c’est un espace ouvert sur le monde car les tomates viennent d’Amérique du Sud, les pommes, du Caucase, les poires de Chine, etc…Puisse l’esprit en être de même. 

⇒ D’après ce qui a été dit, je ne comprends pas pourquoi il faudrait changer de logiciel. Pour quelle raison, avec quel but ? La seule manière de résister c’est la fraternité. C’est appliquer l’amour à l’humanité. Et Marx, quand on lui demande quelle est ton idée du bonheur, il répond « la lutte » et quelle est ton idée du malheur, « la résignation ».

 Quand on vient au monde, on fait partie d’un jardin et on y prend racine, avec une culture et tout un ensemble de choses. Cela nous permet de devenir autonome et de penser autrement. Un jardin est fait d’un ensemble de végétaux qui se côtoient sans être de la même espèce et qui nourrissent un sol d’une manière homogène. Ce jardin là c’est aussi l’individu, ce n’est pas quelque chose qui est clôturé dans une haie sauf si on nous y enferme dedans. C’est la diversité de ce jardin là qui permet d’en sortir des intérêts communs. On forme tous en tant que « plantes » un jardin comme notre planète est un jardin. Quand on s’enferme dans un certain nombre d’idéologie c’est parce que nous avons été conditionnés par les systèmes qui font qu’aujourd’hui les gens veulent en sortir et en disant cela je pense aux gilets jaunes. Ils ne veulent plus appartenir à un jardin mais à un territoire le plus large possible avec le moins de haies possibles.

 Je vais parler d’un voyage,  d’Odysée homérique : « la balade de l’esprit […] dévoilée par le récit et les mots de la pensée, alors agit la magie, le talent est déployé, les exploits sont narrés en faveur de la poésie. Poème légendaire, féerie universelle, voyage extraordinaire où le héros conseille, sa ruse fit merveille, sur la ville endormie, elle est devenue éternelle, […] aventure romanesque, expédition, épreuve épiques et pittoresques, l’histoire en est la preuve. Voyageur de l’Odysée, ces chants ont démontré la preuve en faveur de la poésie. »

 Il serait dommage de finir ce café-philo sans parler des gens qui ont été chassés de leur jardin. Je pense aux exilés des guerres actuelles.
Deuxième point, j’ai deux jardins, dans deux pays différents, dans deux cultures différentes, avec des modes de vie différents. Lorsque je vais de l’un à l’autre, lorsque je reviens sur un de ces deux points, c’est le bonheur d’aller vers un de ces jardins. Et en espagnol, il y a un terme qui se nomme la « querencia », le nid, c’est quelque chose que l’on a acquis, un chez soi. Ce mot est aussi l’abri du taureau dans l’arène dans le glossaire de la tauromachie, le lieu où il se sent bien et où on ne peut l’attaquer.

 Cela est vrai aussi dans un même pays, où notre jardin peut-être dans différentes régions.

 Des médias, on n’arrête pas d’entendre que pour être heureux, il faut manger mieux, bio, local, fait à la maison, cuisine de ma grand-mère… Cela n’est-il pas cette idéologie identitariste ? Et on ajoute que de cette façon, non seulement on va être heureux mais on va en plus sauver la planète. Ce sont des injonctions pour cultiver son moi, moi je…et ainsi barricader sa haie.

[1]             Merci à Etienne Klein

Choisir sa vie

 

Jeune homme tenant un crâne; Vanité. Hall Franz. 1626. National Galery Londre

Jeune homme tenant un crâne. Vanité. hall Franz. 1826. National Galery. Londre

Restitution du débat du 25 09  2019 à Chevilly-Larue

Animateurs: Guy Pannetier. Thibaut Simoné.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Cette question qui semble si banale est pourtant essentielle en philosophie, elle nous concerne tous. Elle n’est pas qu’un regard dans le rétroviseur, elle concerne demain. Nous retrouvons ce thème dans le roman, le théâtre, la poésie et aussi dans la chanson. Sans tomber dans les angoisses existentielles, nous pouvons parfois nous poser ces questions : Qu’est-ce qui m’a réellement construit ?  Quels furent mes choix personnels, choix qui ont fait à ce jour mon parcours de vie ? Quelle est la part des contingences ?
Autrement dit, quand ai-je pu exercer ma volonté, mon « vouloir être moi », quand faisons-nous seuls notre « chemin de vie » ? A quel moment se font les choix cruciaux ? Et jusqu’à quel âge pouvons-nous infléchir le cours de notre vie ? Entre ce que je voulais être et ce que je suis, avais-je les atouts,  ne suis-je pas qu’un compromis ? Nous allons rencontrer dans ce débat l’existentialisme : « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait…Chaque personne est un choix absolu de soi » (Jean-Paul Sartre), ou, rencontre entre fatalisme et contingence, ou, non choix comme nous le dit la chanson : « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger, pour apprendre à marcher ». (Maxime le Forestier : Être né quelque part).
Par ailleurs, doit-on penser que ceux qui n’assument pas leurs choix de vie sont ceux qui ont échoué?  Doit-on penser que ceux qui assument, voire même qui revendiquent leurs choix, seraient, ceux qui ont réussi ? Quelle est la part de notre force ou de notre faiblesse ?
Doit-on penser que nous n’agissons qu’à la marge sur le cours de notre vie, comme l’exprime une autre  chanson : « C’est ma vie, c’est ma vie, je n’y peux rien, c’est elle qui m’a choisi » (Adamo : C’est ma vie). Alors ne serions-nous que des nomades de la vie ?
Et également, quel argumentation rationnelle opposer, par exemple à cette formule de José Luis Borgès, (l’écrivain argentin)  lorsque, concernant les choix de le vie, il écrit : « c’est la porte qui choisi »
Autrement dit, quand est-ce que le choix c’est fait sans moi.
Est-ce que les circonstances dictent les choix, ou, est-ce que le choix qui dictent les circonstances ?
«  Quand le bus du destin passe, la direction n’est pas indiquée. Il y a ceux qui n’ont pas fait signe au bus de s’arrêter ; ceux qui ont regardé le bus passer »  (Peter May. L’île aux chasseurs d’oiseaux)
Mais, toujours la question insidieuse reste : derrière ces portes que je ne n’ai ouvertes et franchies, il y avait ces vies que je ne vivrai pas, ces voyages que je n’ai pas fait, ces visages que je n’ai pas croisé. « Ai-je choisis le bon sentier ? / J’en suis encore à me le demander », chantait Michel Polnareff (dans sa chanson  Sous quelle étoile suis-je né ?)
Et enfin, ce qui détermine nos choix de vie, est-ce : La raison ? L’intérêt ? L’affection? L’amour ? Ou est-ce le hasard seul qui seul agit ? Est-on plus libre de choisir quand on est seul, ou, fait-on des meilleurs choix à deux, à plusieurs ? Et si nous avions toutes les  possibilités de choix, seriez-vous là, serions-nous là ce soir, au café-philo de Chevilly-Larue ? La multiplicité infinie des choix ne pose-t-elle pas d’autres problèmes ?
C’est à vous d’y répondre ! C’est à vous de choisir !

Débat : ⇒ Y a t-il quelqu’un parmi nous qui peut nous dire qu’il a choisi sa vie?

⇒ Je me demande si réellement il y a des gens qui ont choisi leur vie ? Je n’ai pas choisi de naître, pas choisi mes parents, ni le lieu de ma naissance. Je suis née, c’est un hasard. Et même la rencontre de mes parents est un hasard. Tout n’est que hasard. Est-ce que j’ai choisi mon mari ? oui ! ça je le crois ; mais globalement choisir sa vie ça me semble carrément impossible.

⇒ Se marier, faire sa vie avec quelqu’un dépasse le choix, le plus souvent la part d’irrationnel l’emporte, et l’on est embarqués.

⇒ Dans la tête de chaque vieillard il y a un jeune homme qui dit : – qu’est-ce que je fait là ? Ce jeune homme avait, toutes les possibilités devant lui, plein de projets. Et, là, il constate tout ce que le vieil homme n’a pas réalisé.

⇒ Je voudrais faire une réponse au jeune homme. –Tiens ! on repart à zéro, c’est toi qui prends les rênes, et on verra si tu fais mieux ou plus mal. Si on redistribue les cartes, qu’est-ce qu’on fait, (sujet de philo par excellence)

⇒  On se marie, on a des enfants, un boulot avec des responsabilités, alors on n’est plus aussi libre, des choix s’imposent, on prend moins de risques, on n’a plus le culot.

⇒ Je trouve ces premières interventions un peu fatalistes. Je veux bien qu’on « jetés » dans la vie, mais après qu’est-ce qu’on en fait ? Il y a toujours dans ces croisements du chemin, et là il faut choisir, et ce choix détermine votre vie.
Par exemple, on accepte d’avoir des enfants ou non, on accepte tel ou tel boulot, ou, on le plaque pour choisir ce qu’on a vraiment envie de faire ; Je crois qu’en grande parie on peut choisir sa vie ;

⇒ On pense inévitablement au film « Sur la route de Madison » et à cette réplique de l’actrice Meryl Streep : « Nous sommes les choix que nous avons fait», tout à fait dans le droit fil de la philosophie sartrienne.

⇒ A quel moment ai-je été en capacité de choisir ma vie ? Suis-je capable de faire et d’assumer des choix ?il faut qu’on ait la force de caractère, voire, la maturité pour faire certains choix. Beaucoup de choix décisifs qui orienteront notre vie, sont fait trop tôt, faits avant qu’on ait un minimum d’expérience. Alors, la première réaction va vers des choix prédéfinis, c’est dire s’intégrer à la société.
Et puis il y a le manque de confiance en soi, ou timidité, on n’ose pas.

⇒ Adolescente j’avais du mal à faire des choix, je voulais faire totalement comme les autres. C’est plus tard que j’ai été en capacité de faire mes propres choix, me prendre en mains. Mais maintenant, adulte je me pose encore la question, c’est quoi choisir, comment juger en toute raison, et choisir ?

⇒ Du fait que nous ne sommes pas tous égaux, nous ne sommes pas tous à égalité dans notre capacité à choisir. Choisir en fonction d’un environnement, d’une éducation reçue, d’une culture acquise.
Et, on ne peut écarter que : quelque soit nos choix, à chaque fois qu’on s’engage on engage d’autre s personnes, on ne choisi que pour soi. Dans le mariage, on s’engage avec un, ou, une partenaire, avec la responsabilité de parent ; Même en dehors de cette situation, on ne vit pas seul, on ne s’engage jamais tout seul.
Il y a des gens qui disent : -moi je contrôle. Mais on ne contrôle pas la maladie, le comportement des autres, les évènements. On contrôle pas plus le passé que l’avenir, et bien peu le présent.
Actuellement, on parle beaucoup du changement climatique. Et là nous sommes face à des choix ; Nous pouvons nous exprimer par le vote, et au-delà.
A terme ,et aujourd’hui déjà, nous savons, nous voyons que nombre de nos décisions, avec l’intelligence artificielle, nous échappent. Nos choix parfois nous sont dictés, on peut se laisser guider pour le choix, d’un, ou, d’une partenaire, c’est mieux ciblé, c’est plus facile.
On voit aujourd’hui des jeunes qui sont en quête de sens. Ils font des études, des études supérieures, intègrent une entreprise, et, au bout de quelques années, ils se disent : – qu’est-ce que je fais devant tous ces tableaux Excel, avec toutes ces contraintes d’objectifs. Alors, certains font faire un choix, celui de prendre une autre activité, quitte à gagner moins.

⇒ Qu’est-ce qui nous motive : le confort, le bien-être ?

⇒ Je ne pense pas qu’on puisse définir une fois pour toutes, ce qui définis nos choix, il y a tellement de variables. Il y a les pulsions, les obligations de choisir, les choix où on n’avait pas le choix, etc… Peut-être que sur une situation précise je pourrais dire que j’ai fait un choix libre, car faire le choix, c’est faire un choix libre de toute contrainte extérieure, ce qui est rare.
Et après ce que je viens d’entendre, je me pose la question de savoir si l’éventail de choix ne se rétréci pas arrivé à l’âge adulte, pour s’élargir à nouveau vers l’âge de la retraite.
Beaucoup de nous on fait l’expérience que certains choix, « notre choix » et pas ce qu’on plus ou moins choisi pour vous, ça coûte cher, il faut « renverser la table ».
Et puis, je me demande si pouvoir choisir sa vie, ce n’est pas une chance, un luxe, ou question d’audace,
Et enfin, philosophie oblige, nous pouvons toujours nous référer aux stoïciens quand il faut faire des choix. Ils nous disent, nous rappellent ; que nous ne devons pas nous user quant aux problèmes qui ne dépendent pas de nous, et donc, conserver toute notre énergie pour intervenir, agir  quant aux problèmes qui , eux, dépendent de nous.

⇒ Est-ce que choisir sa vie n’est pas une finalement assez récente. Je veux dire par là, qu’il y a un siècle je ne suis pas certain qu’on pouvait se posait la même question. Est-ce que ce n’est pas venu avec l’amélioration du niveau de vie.
Et quand on dit « je choisi » sommes-nous toujours en mesure de savoir si c’est réellement un choix. Par exemple, on sait qu’au niveau du cerveau il y a des phénomènes aléatoires. Des études depuis quelques années remettent en cause des thèses philosophiques et Merleau Ponti disait que la science n’a pas à répondre à des questions philosophiques.
Par ailleurs,  à la question initial : choisir sa vie, est-ce une chance, est-ce que ce ne serait pas que du hasard ?
Et dans notre société actuelle, il y a beaucoup d’injonctions, « faites ceci », « soyez heureux », voire le rayon du développement personnel, avec l’injonction au carpe diem (dont l’anagramme est : ça déprime).
Finalement, j’aurais tendance à penser que, face à la complexité du monde, de la vie : pouvoir choisir sa vie ? ça dépend !

⇒ Il y a des moments où l’on croit faire des choix, parce qu’entre choisir et liberté il y a une dialectique entre les  deux, et que l’homme a envie d’être libre, et s’il ne fait pas ses propres choix, il n’est pas libre. On préfère dire qu’on a choisi plutôt que d’admettre que c’est un choix conditionné, presque un non choix.

⇒ On ne peut exclure cette part du hasard, bien sûr ! le milieu, l’école, et arrivés à l’adolescence il faut se définir, on choisi tant bien que mal, on va vers son avenir, son destin.

⇒ Je pense à tous ceux qui ne peuvent pas choisir. Je pense à ceux qui naissent handicapés. Je pense aux femmes qui naissent dans des pays où elles doivent porter un « linceul », des pays où les maris ont tous les droits sur les femmes, même le droit de la battre. Quel est le choix de ces femmes ?
Je pense aux émigrés, émigrés alimentaires, aux exilés. Il y a plein de cas comme cela….

⇒  Pour moi, choisir sa vie, c’est d’abord de l’audace, parce qu’en faisant certains choix on fait des sacrifices, et il faut assumer. D’autre part, je reviens sur l’idée que dans le passé nous n’avions pas tant le choix. Mais, nous avons évolué, nous avons progressé. Il n’y a plus d’esclaves, nous avons accédé à la démocratie, à  la liberté pour les femmes, d’avoir « un enfant si je veux ».
Simone de Beauvoir nous aurait dit, oui, nous pouvons choisir notre vie, et pour cela il faut sortir du conformisme. Même si vous avez eu une éducation très libre, il y a des imprégnations, mais  des imprégnations desquelles vous pouvez vous libérer.
Pour moi, choisir sa vie, c’est pas « ça dépend », j’ai lutté pour pouvoir faire mes choix, et je n’ai jamais regretté mes choix. Je sais que mon propos est audacieux. Et je reviens sur les injonctions de la société, là, nous pouvons développer notre esprit critique (c’est ce qu’on fait au café-philo). On a la possibilité d’examiner, et de dire parfois, je ne veux pas de ça pour moi. On peut sortir de ce Noam Chomsky appelle, « La fabrique du consentement ».
Ce qui compte, c’est d’être en harmonie avec nos aspirations les plus profondes, et ne pas vivre en soumission.

⇒ Les exilés n’ont fait que des choix forcés, obligés de fuir leur terre, leurs maisons, c’était,  l’exil ou la mort.

⇒ Cette question bateau de la philosophie, « Choisir sa vie » est devenue sur Google le terrain de chasse des marchands de psychologie positive, des coachs de développement personnel. Les Premières pages sont saturées de sites qui proposent : «  101 expériences pour saisir sa chance », « Trois kifs par jour », « apprendre à être heureux », « Il est temps d choisir sa vie » « deviens qui tu veux être ».
Mais s’ils sont si présent sur ce moteur de recherche, c’est aussi et d’abord parce qu’ils sont beaucoup consultés. Alors cela nous dit que cette question reste, restera toujours une question primordiale.
En vérité, si nous prenons cette question au premier degré, elle a quelque chose d’incongrue, car déjà, nous n’avons pas choisi de venir au monde: première occurrence, première contingence.
Autrement dit, quand est-ce que le choix c’est fait sans moi.
Nous avons diverses approches sur ce sujet du choix de notre vie : celle qui nous affirme qu’elle résulte de nos choix (Sartre), celle qui dit que nous n’accomplissons rien d’autre qu’un destin de vie, ce qui était écrit de tout temps, le « mektoub » , ou le « fatum » des philosophes stoïciens.
Puis il a ceux qui seraient les « déçus de la vie », ceux qui nous disent que nous n’avions pas de réels choix,  comme on le retrouve dans cette phrase issue du roman policier « Vendetta » de Roger Jon Ellory : « J’ai vécu une vie que je n’ai pas choisie, les événements ont conspué contre moi », et il poursuit, « Il semblerait donc que nous vivons nous pour l’instant, et que nous basons nos décisions sur les informations dont nous disposons. Mais la moitié des ces informations sont incorrectes, voire, fausses, ou, fondées sur l’opinion de quelqu’un d’autre. La vie ne nous fourni pas de manuel nous expliquant comment la vivre »
Puis, il y a l’incontournable enveloppe intellectuelle de l’influence parentale : «  Pour des parents croyants, qu’ils soient juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes ou autres » écrit l’écrivain Abdenour  Bidar *« la réponse est parfois automatique : « Ma fille sera chrétienne comme moi. Mon fils sera musulman comme on l’a toujours été….Mais de nombreux parents comprennent que l’autonomie de leur enfant est en jeu. Ils cherchent alors à leur transmettre un héritage sans pour autant les formater ni les prédéterminer. Comment faire ? Où est à  la limite entre transmettre et conditionner ». ( * Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui. 2016)

⇒ Faire ses choix en refusant l’influence de la société, c’est une forme d’anticonformisme. Ce conformisme est plus inscrit dans évolution ; Mais ceux qui ont fait des choix différents, qui ont transgressé, sont ceux qui parfois ont fait évoluer la société.

⇒  Il y a des gens qui semblent ne pas vouloir faire des choix. Ils sont résignés, découragés. Ils ont fait des choix qui les ont déçus, pénalisés, alors, ils démissionnent.

⇒ Nous avons évoqué le hasard. Oui il a le hasard, les contingences de la vie, mais face à celles-ci il reste toujours à faire des choix.

⇒ « Le hasard ne favorise que les esprit préparés». (Pasteur). Et un américain a écrit : « Éloge du carburateur ». Il bossait dans une entreprise, et un jour il en a eu raz le bol. Et maintenant, il répare des motos, il est très heureux.
Et par ailleurs, est-ce que la croyance dans le bonheur, ça ne limite pas les choix. Tiens ! on est heureux ! on reste là où l’on est. En fait on n’est peut-être pas si heureux que ça, mais c’est plus facile comme ça.

⇒ Je ne suis pas d’accord avec le fait qu’on peut faire des choix sans émotions, et pas qu’avec la tête, mais aussi avec le cœur, ou alors, autant s’en remettre à un algorithme. La part émotionnelle nous dit : – il faut y aller ! même si il y a des sacrifices à faire.

⇒ Je retiens : choix par raison, lié aux émotions, choix du cœur. De fait, beaucoup de nos choix découlent de nos émotions. Kant et le neurologue António Damàsio nous rappellent, que : « nos émotions précèdent nos sentiments », ce qui n’empêche pas parfois, la part rationnelle.
Cette rationalité je l’ai vue chez un proche. Ce jeune homme avait décidé  qu’il serait ingénieur information à 24 ans, (réalisé), qu’il achèterait son appartement à 28 ans (réalisé), qu’il se marierait à 32 ans (réalisé). Il en est à sa troisième femme… Moralité : on n’est pas des algorithmes.

⇒ Je me suis marié il y a bientôt cinquante ans, choix on ne peut plus irrationnel, et ça dure !  alors, la raison dans certains domaines n’est forcément, bonne conseillère.
Et par ailleurs, je pense aux gens pour qui faire un choix qui engage est un situation dramatique. Ceux là se retrouvent souvent dans des structures où l’on suit une règle établie.. Ce serait rejoindre l’armée, un couvent, une secte, etc. Ouf ! il n’y a plus le dilemme du choix, car suivant l’expression connue : « choisir c’est quitter ». Et là, il n’y a plus qu’à « mettre un pied devant l’autre ». .

⇒  Je ne résiste pas à reprendre en guise de conclusion (pour moi) , la réponse à cette question, réponse très philosophique  de Zezette (dans le père Noël est une ordure) « ça dépend ! »

 

Ciné-philo: Dépasser nos différences? d’après le film: Green book

 

Green book Image promotionnelle

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En partenariat avec le cinéma
du théâtre André Malraux
 Restitution du débat du 7 juin 2019

 Thème du débat :   « Dépasser nos différences ? »

 Ce film « Green book »  de Peter Farrelli, est sorti en 2018.
Il a obtenu des oscars en 2019 : oscar du meilleur film, et oscars pour les deux acteurs.

Les deux rôles principaux sont tenus par :
Pour Toni Vallelonga : Viggo Mortensen
Pour Doc. Don Shirley : Mahershala Ali

Débat : ⇒ Alors, c’est pas un petit chef d’œuvre, ça ?

⇒  Oui, un chef d’œuvre, et quelque chose qui nous bouleverse.

⇒  Lorsqu’on a choisi des films pour le café-philo, ce sont souvent des films de rapports entre deux personnes, de la complexité souvent de ces rapports humains, voire d’affrontements. Et c’est ce que nous retrouvons dans ce thème, où se rencontrent  deux personnage a priori si différents, si opposés, qui malgré tout finiront par s’accorder et même jusqu’à sympathiser au-delà de leurs différences.
Et après un très bon film, comme après tout bon spectacle, il y a l’envie d’en parler, de partager. De partager ce que nous avons le plus fortement ressenti.
Et avant de rendre la parole, il y a une question que j’aime poser toujours poser, à  ceux qui, comme moi, viennent de voir ce beau film : quelles sont les scènes, les répliques,  que là,  tout de suite, vous retenez ?  Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué ?

⇒  Il me revient tout de suite, une scène, celle où Toni jette à la poubelle les verres où ont bu deux ouvriers noirs qui sont venu faire une réparation chez lui. Cela nous montre bien avant sa rencontre avec Doc ses réactions racistes basiques ; de fait, il n’aime pas les noirs.

⇒  Oui, et parmi les personnages de cette scène, dans ce groupe d’Italiens,  il y a quelqu’un qui prononce le mot de « macaques », alors qu’on verra par la suite que ce groupe est très ouvert, mais c’est là, ce que nous nommons du « racisme ordinaire »

⇒  Je retiens les scènes liées à cette pierre verte que Toni ramasse. Et si l’on observe bien, lorsque Doc et Toni se trouvent dans une même chambre d’hôtel, la pierre est sur la porte- feuille de Toni, à la vue de Doc. Et l’on retrouve à la fin, la pierre, devenue porte-bonheur. Le film est plein de ces petits détails qui sont aussi le fond de l’histoire.

⇒  Il y a un moment, une scène que j’ai trouvée remarquable et je suis sûr que vous avez réagi de même : c’est lorsque la voiture tombe en panne en pleine campagne. Des ouvriers agricoles, tous noirs, qui ont cessé de travailler, regardent avec curiosité, ce noir qui a un chauffeur blanc. Et Doc à son tour regarde ces ouvriers qui donnent l’image des esclaves dans les champs de coton des Etats du sud des USA; le contenu de ces images est fort. Et cette scène se répète, même différemment : la voiture est arrêtée à un feu rouge, et dans une voiture à côté, une femme donne un coup de coude au chauffeur, et lui montre, ce blanc qui conduit un noir. Et, ce qui est paradoxal à cette époque : cette situation du blanc qui est le chauffeur d’un noir,  est dans la structure même de ce film.

⇒  Cette époque était quand même terrible, et en fait, cela était il n’y a un demi-siècle.

⇒ J’ai senti dans le regard des ouvriers (lors de la scène de la panne) de l’hostilité. Il rompt quelque chose, il est comme eux, et en même temps, il est différent ; eux, sont pratiquement restés esclaves, alors que lui il « s’en est sorti ». Cette scène est très forte.

⇒  Ces deux personnages sont beaux, ce sont de belles âmes, (si je peux employer ce terme devenu un peu grandiloquent). De fait, il est pur Toni : il refuse d’être augmenté, il est tellement franc, que lorsque dans l’entrevue d’embauche, Doc lui demande s’il a déjà conduit, il répond –  » oui ! J’ai conduit les camions poubelles. »  Ça devrait le desservir, mais c’est le contraire, ça montre sa franchise.

⇒  J’ai trouvé nombre de scènes émouvantes, où l’on voit le lien d’amitié se développer, comme dans la boîte de nuit, où Doc dit : « – Je vais jouer si tu me le demandes. » L’opposition du noir et du blanc est dépassée, il a là une forte expression d’humanité !
Et après la scène de la boîte de jazz: Doc se lâche « Je devrais faire ça plus souvent «  »
C’est Toni qui le révèle à lui-même.

⇒  La scène qui m’a le plus émue, c’est lorsque Doc dit, qu’il est à la fois rejeté par les blancs, et également rejeté par les noirs, il dit : « – je ne suis pas assez blanc, je ne suis pas assez noir ». Et cela me parle énormément en tant que métisse ! Ce sont des questions que l’on se pose souvent, et j’ai trouvé cela vu très justement, comme par exemple lorsq’ il va jouer dans la boîte de jazz, où il se trouve confronté à deux mondes. C’est un beau moment.

⇒  Lorsque Toni le récupère après une aventure, aventure homosexuelle, Toni ne porte pas de jugement, et a Doc qui veut le questionner sur ce qu’il pense alors, il répond, – j’ai travaillé dans les boîtes de nuit, je sais que la vie est difficile ! Et il n’ajoute rien. C’est le respect de l’autre dans ses différences.

⇒  Le moment que j’adore, c’est la scène du « fried chicken ». la pub du resto de route annonce : « c’est  meilleur avec les doigts » ce que fait Toni, mais lorsqu’il veut forcer Doc  à y goûter, celui dit mais, – je n’ai pas de couverts. Toni arrive à lui en faire manger, et avec les doigts, le personnage guindé se lâche, et il jettera même les os par la fenêtre imitant Toni.
En fait Doc fait évoluer Toni pour faire de cet homme un peu rustre, un être plus évolué. Et à son tour, Toni, va faire sortir Doc de sa tour d’ivoire, lui disant, – le monde c’est comme ça.
Il lui dit même ; qu’il y a un monde qu’il ne connaît pas, qu’il vit hors de ce monde,
 » – moi, je vis avec les gens, moi, je suis plus noir que vous ».

⇒ Chacun dit à l’autre, – vous avez des a priori, et tour à tour, ils vont faire tomber ces a priori, et peu à peu se crée ce lien d’amitié, qui se voit surtout dans une fin émouvante. La dernière scène est magnifique, ce fut pour moi, le plus grand moment d’émotion.

⇒ Le moment de leur rencontre est aussi une scène forte ; la surprise de découvrir des personnages si différents d’eux-mêmes. Il y a une justesse dans les propos, c’est le début de ce couple anachronique.

⇒ Tony a des finesses dans sa grossièreté.

⇒ Je ne connaissais pas l’existence du guide « green book », et je ne savais pas que c’était une histoire vraie.

⇒ Moi aussi, j’ai découvert cette horreur du guide pour les personnes de couleur.

⇒ Ce guide était un peu comme un « guide Michelin » bien particulier. Son nom complet était : «  The Negro Motorist Green Book » ; Mais aujourd’hui avec ce genre de film on découvre ce qu’était le ségrégationnisme aux USA il y a peu, et aussi,  on constate le silence de nos médias, alors, sur ce sujet. Toujours le modèle « American dream », mais on ne peut, on ne doit pas juger les Américains  des Etats-Unis, qu’à partir de cela.

⇒  Ce n’est que le 2 juillet 1964 qu’a été abolie la ségrégation raciale. Un peu plus d’un demi-siècle, c’était hier si on y pense ! Les lois ségrégationnistes étaient encore en vigueur dans certains Etats du sud, en 1964.

⇒ Si on regarde bien dans un contexte plus actuel on voit que lors de l’élection de Barack Obama, ce sont les Etats du sud, Alabama et autres Etats, qui n’ont pas voté pour Barack Obama. Ce sont surtout les grandes villes qui sont plus ouvertes au monde.

⇒  J’ai aimé le coup du verre sur le piano. Doc dit parlant des différents pianistes :  » – on n’imagine pas Arthur Rubinstein, jouant avec un verre sur le piano, »  et lorsqu’il se décide à aller au piano dans la boîte de jazz, la première chose qu’il fait, est de prendre le verre qui était sur le piano, et de le poser à terre. Il y a plein de scènes comme cela en clin d’œil.

⇒  On voit lorsqu’ils reviennent dans le nord le comportement très différent de la police, on a changé de mentalité.  La ségrégation c’était le sud, pas le nord, ce qui est à considérer dans notre jugement.

⇒ Le passage des lettres est succulent. Tony ne sait pas parler d’autre chose que de ses hamburgers, ou des pâtes qu’il mange. Et ses premières lettres sont pleines de ratures, pleines de fautes, l’horreur. Peu à peu sa femme voit arriver des lettres qui sont beaucoup plus romantiques, et Toni a compris la tournure des phrases pour ces lettres à sa femme. Dans la dernière scène lorsque Doc est accueilli chez Toni pour le réveillon, la femme de Toni lui glisse à l’oreille : –  » merci pour les lettres »

⇒ C’est un beau conte de Noël, finalement.

⇒  Oui, ce road moovie est un conte de Noël, et une leçon de morale, d’humanité. C’est en même temps, un voyage initiatique, pour, au-delà de leur différences,  connaître l’autre, pour se connaître, ils en reviennent eux-mêmes autres, différents  d’avant cette expérience.

The negro travelers Gren book

The negro travelers Gren book

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sommes-nous fâchés avec le progrès?

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

Photo ptomotionnelle du film: Les temps modernes

        Restitution du  22 mai 2019 à Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage. Guy Pannetier.
Modératrice : France Laruelle
Introduction : Thibaud Simoné.

Introduction : Lors d’une de ses nombreuses interventions, le philosophe des sciences, Etienne Klein, a souligné la disparition du mot « progrès » dans les discours publics des hommes et femmes politiques. Cette « extinction » sémantique semble avoir eu lieu entre 2007 et 2012. En effet, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2007, tous les candidats font référence, dans des contextes ou situations souvent différents, au mot « progrès ». En 2012, plus personne. Et Etienne Klein de préciser que le terme « progrès » en tant que : «  déplacement au cours du temps vers un meilleur » a été remplacé par le mot « innovation ». Mais qu’est-ce à dire ? Ces deux termes ne sont-ils pas synonymes ? N’arrêtons-nous pas le progrès parce que, précisément, nous innovons ? Pourtant, progrès et innovation, plutôt que de marcher la main dans la main, s’opposent.
Tout d’abord, l’idée même de progrès nécessite la possession d’une philosophie de l’Histoire impliquant un projet collectif, ce que refusent l’individualisme de notre société, le culte du « moi d’abord », la sectorisation des revendications de tous ordres.
Pour faire sens, le progrès doit également s’accompagner de la configuration du futur qui se doit d’être, désirable et porté par un « temps bâtisseur ». Au lieu de cela, une logorrhée catastrophiste a remplacé l’espérance d’un avenir plein de promesses. Le futur se laisse coloniser par nos peurs, car on nous promet : « une collision sans précédent entre, d’une part, une maîtrise technologique et scientifique inégalée, la raréfaction des ressources, des menaces inédites concernant l’avenir de la planète, et la capacité des êtes humains à y assurer, sur le long terme, leur survie ».
Le temps n’est plus « bâtisseur », il devient « corrupteur » et nous entraîne dans l’agitation brownienne permanente de l’innovation qui rend l’idée de progrès impensable. L’innovation a trahi l’espoir en l’idée de progrès. On n’innove pas pour que le cours des choses s’améliore, on innove pour ne pas sombrer. On innove et nous avons cessé de prendre des risques, à une époque où vivre est beaucoup moins risqué que jadis.
Mais tout va-t-il si mal que ça ? Devons-nous céder aux sirènes envoûtantes des déclinistes ? Faut-il réhabiliter l’idée de progrès ?
L’idée même du progrès est fille des lumières et tel Prométhée, elle a de multiples avatars : progrès scientifique, social humain. Dans son livre : « Le triomphe des Lumières », Steven Pinker montre que l’humanité n’a jamais été collectivement aussi paisible et heureuse. Pour en arriver là, l’histoire des siècles passés fut animée par des moteurs extrêmement puissants, tels le rationalisme, les sciences et l’humanisme. La démarche scientifique nous a permis d’établir des connaissances qui ne peuvent être accessibles par une autre voie.
La science nous oblige « à penser contre notre cerveau » pour citer Bachelard et à nous débarrasser des préjugés et des croyances. Les grandes guerres, les épidémies de masse, et les terribles famines ne sont que des lointains souvenirs. L’humanité (et pas tout le monde, et pas partout) en a profité et on observe un recul à l’échelle mondiale de la grande misère. On constate que l’espérance de vie augmente, tandis que l’alphabétisme régresse partout sur la planète. Mais ces éclatantes victoires cachent sans doute un aspect paradoxal plus sombre. La diffusion du progrès demeure extrêmement inégale nonobstant l’idéal des lumières pour qui le progrès se doit de profiter au genre humain tout entier. L’accès à l’énergie nécessaire pour se nourrir, se soigner, s’éduquer demeure très disparate selon les populations.
Quand Descartes déclare en son temps que l’homme doit : «  être comme maître et possesseur de la nature », il ne se rendait pas compte que le progrès malgré ses multiples succès, pouvait être également son propre fossoyeur.
Les progrès techniques et l’avènement des démocraties libérales ont certes été, à ce titre émancipateur pour Homo sapiens, mais ils s’accompagnent de leur lot de pollutions, de marchandisation, d’individualismes, et de frustration, alors même qu’ils ne sont pas universalisables car la nature ne nous a pas donné son autorisation,  et que notre planète ne le supporterait pas.
Pour Etienne Klein : « L’idée de progrès est à la fois consolante et sacrificielle. Elle nous permet de rendre l’Histoire «  humainement supportable ». Mais pour voir un advenir un futur désirable, il faut travailler et par conséquent, il nous faut être courageux ». Cela implique quelques sacrifices. La société actuelle en est-elle capable ? Peut-elle réactiver l’idée de progrès?
Dans son ouvrage : « De la démocratie en Amérique » Tocqueville déclare que : « l’individualisme  est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables, et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis, de telle sorte que, après s’être créé une petite société à son image, il abandonne volontiers la grande société à elle-même […] il est comme étranger à la destinée de tous les autres ». Narcisse a envahi la société comme écho à la précédente séance. Tout cela est-il compatible avec l’idée de progrès ? Le progrès n’a-t-il pas été cloué au pilori de l’individualisme ?
Méditons, pour terminer, cette phrase du philosophe Luc Ferry : « mettre en oeuvre l’idée de progrès, c’est accepter de sacrifier du présent  personnel au nom d’un futur collectif ». Nous ne devons plus jouir, ici et maintenant,  et ainsi, refuser « la vie de bohême ».
Nous nous sommes rendus amnésiques aux devoirs qui sont les nôtres et nous avons, au contraire, plébiscité le « j’ai le droit de ». Il est maintenant urgent de réhabiliter  les premiers, d’avoir confiance en nous et en les autres, afin de rétablir une véritable philosophie collective de l’Histoire.

 

 Débat   Débat : ⇒ On peut dire aujourd’hui que nous ne sommes pas vraiment fâchés avec le progrès, mais, pour certaines personnes, dont les personnes les plus âgées, ce progrès, j’entends progrès technologique va un peu vite. Si au bout de cinq ans je change mon téléphone qui est devenu un smartphone, il va me falloir galérer quelques semaines avant de tout remettre en place ; télécharger des programmes, en me méfiant des pièges qui veulent me faire passer par divers abonnements, et là parfois je ne suis pas loin de me fâcher.
On n’est pas fâché avec le progrès, on serait même très adaptable si l’on se réfère aux violentes réactions de rejet qu’on pu susciter des inventions de nouveautés dans les siècles passés.
Quelqu’un citait un exemple qui m’est resté : dans les années 1900 il y avait de plus en plus de voitures à cheval dans Paris, de plus en plus d’omnibus tirés par des chevaux, les gens s’inquiétaient vivement, Paris n’allait-il pas  disparaître sous tout ce crottin de cheval ? Aujourd’hui c’est haro sur la voiture, le diesel, un problème chasse l’autre
Le dictionnaire du Grand Robert de la langue française donne pour définition du progrès : « L’évolution de l’humanité, de la civilisation (vers un terme idéal) », et là, c’est une autre histoire. Nous allons de progressions en régressions, comme si on ne pouvait n’acquérir, accéder à des choses plus agréables, plus pratiques, plus efficaces, qu’en perdant certains aspects qui étaient pour certains, qualité de vie.
Le progrès technologique ne s’établit pas sur des considérations morales, il est du domaine de l’offre, bien en phase avec nos modèles politiques actuels. Dans son dernier ouvrage, «  21 leçons pour le 21ème siècle » Yuri Noah Hariri, écrit « Les philosophes ont des trésors de patience, les ingénieurs beaucoup moins, et les investisseurs sont les moins patients de tous »

⇒ Sans m’interroger sur les sens et les usages variés du mot « progrès » je peux tout de suite dire que je suis hostile (plus que réfractaire- qui signifie communément selon le petit Larousse, « qui résiste » qui refuse de se soumettre), à des innovations et des inventions techniques actuelles qui sont présentées (et sans doute voulues par leurs promoteurs) comme faisant progresser l’être humain vers l’autonomie, ou, une plus grande liberté d’action ou réduisant la dépendance.
En vrac: l’installation (innovante) de magasins entièrement automatisés, ouverts jour et nuit , présentée comme, permettant à chacun d’acheter quand il veut, sans contraintes d’horaires, et qui prétend donc, à égaliser (progrès sociétal de mode de vie) les situations des consommateurs.
Aujourd’hui 23 mai j’apprends que deux employés de la grande surface CORA sont licenciés, parce qu’ils refusent de travailler le dimanche: progrès sociétal, en conflit avec progrès social des conditions de travail.
Dans le même registre le développement des restaurants avec robots serveurs, et robots cuisiniers: ils n’augmentent pas mon plaisir de manger en étant servie par des machines, même si elles sont parlantes et souriantes.
Puis, l’invention de la GPA (gestation pour autrui) qui va être généralisée (progrès sociétal) pour tous (femmes célibataires, couples homosexuels genrés, et de tous les âges, après avoir été réservée aux couples stériles)
Puis l’invention à venir de l’utérus artificiel, qui fait progresser encore la possibilité d’enfanter, en la donnant et aux hommes et aux femmes m’apparaît, comme une déshumanisation de la relation d’enfantement.  Mais cette impression est peut-être liée à un manque d’habitude.
Puis l’utilisation innovante de robots pour permettre à des personnes âgées et solitaires, à parler à un « visage » de leur angoisse existentielle, et de leur peur de mourir, ne m’attire pas non plus mais peut-être est-ce par suffisance : croire qu’on ne sera jamais vraiment seul ?
Puis, dans le même registre et pour les mêmes raisons, l’existence des robots sexuels.
Et aussi l’enregistrement systématiquement numérisé de mes rencontres, de mes échanges, de mes déplacements,  fait pour augmenter la mémoire de ma vie privée…c’est aussi pourquoi je suis, dans un premier temps, réfractaire à toutes les nouvelles applications proposées chaque jour sur mon téléphone portable. Lequel contrôle à qui j’écris, ce que je fais,  et où je vais.
Je suis réfractaire par peur du Big Brother numérique. Aujourd’hui même j’apprends que les applications « qui n’ont pas été utilisées » vont m’être retirées !
Alors hostilité, résistance et peur aujourd’hui, face au progrès ? Malgré la reconnaissance de certains avantages dans la vie quotidienne – rapidité des messages à autrui, accroissement des savoirs et des savoir-faire, sensation du dépassement possible de la solitude ?
– Oui ! Parce que le mot « progrès » a deux significations.
1) Le mot « progrès « qui vient du latin progressus désigne tout simplement,  l’action d’avancer (le progrès d’une armée sur le champ de bataille, les progrès de la maladie dans le corps du malade = la progression).
2) Ce n’est qu’au 18ème siècle, avec la philosophie des Lumières, que le terme va acquérir la signification philosophique, d’évolution vers un état supérieur…..
Un des textes les plus représentatifs de la notion moderne du progrès est,  « l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain » (1795) de Condorcet, encyclopédiste. Il passe en revue l’évolution de l’espèce humaine depuis les peuples pasteurs jusqu’à la République française, et arrive à la conclusion que la perfectibilité de l’être humain est infinie : « Le progrès des sciences et des techniques et le perfectionnement des lois et des institutions publiques sont inévitables, et l’avenir appartient à une espèce humaine affranchie de toutes les chaînes, marchant d’un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur »
Le mythe du progrès est-il dépassé aujourd’hui ?
Le contraire du progrès est le régrès (régression est contraire de progression). En langage politique depuis la Révolution française, avec le pamphlet contre-révolutionnaire du philosophe Burke « Considérations sur la Révolution française », s’opposent les « progressistes » et les « réactionnaires » (la réaction étant l’action en retour d’une force sur une autre force agissante). C’est le débat violent entre Voltaire et les Encyclopédistes majoritairement progressistes, et Rousseau, interrogatif sur les bienfaits des progrès techniques.
Aujourd’hui encore et au-delà de l’opposition gauche – droite (héritée encore de la Révolution française), s’opposent les progressistes et les réactionnaires ou conservateurs ou techno-sceptiques et il y a aussi les interrogatifs ou techno agnostiques …
Les progressistes soutiennent l’idéologie du progrès social lié au progrès des sciences et des techniques. C’est l’idéologie du « nouveau monde », libérale des Saint Simoniens : le progrès social grâce à l’administration rationnelle de l’organisation du travail reposant sur les techniques, ou, sur la richesse créée par la productivité des machines.
Ainsi la question posée « sommes- nous réfractaires au progrès ? » devient pour moi, la question de savoir quels progrès technoscientifiques et quels progrès quant à l’administration de la société, sont effectivement pour les individus, pour moi, des moyens d’agir sur notre propre devenir ?
On peut en discuter ensemble : experts, chercheurs, techniciens et usagers ou consommateurs et candidats aux élections … Hier, en France, c’était un philosophe des techniques Gilbert Simondon, qui soulignait, que l’action pour être progressiste dans tous les domaines et donc y compris dans celui des techniques, doit se soucier des critères de sa propre évaluation.    Aujourd’hui Cynthia Fleury, une philosophe, exerce aussi à l’Hôpital Sainte-Anne dans une chaire de philosophie pour chercher avec eux comment appliquer aux patients les plus vulnérables (les patients âgés, patients avec un handicap) les innovations techniques et technoscientifiques. Elle appelle cela «l’ingénierie du malheur ».
Et bien sûr il y a,  et il y a eu, les lanceurs d’alerte parmi les scientifiques chercheurs, et techniciens inventeurs, innovateurs… Et des comités de « sciences citoyen » »

⇒  Dans une définition d’un dictionnaire philosophique, je vois que « progrès » évoque une façon d’avancer, une marche en avant, une progression. Mais la progression peut ne pas aller que vers le bien, il peut y avoir progression vers le moins bien, vers le mal, comme une maladie qui s’aggrave, alors, c‘est une régression.
En revanche la définition du Petit Littré, parle de : développement des connaissances, des capacités, d’une ou plusieurs personnes dans des domaines divers. Et c’est là, où je rejoins l’idée émise dans l’introduction, que le mot progrès n’est pas toujours le bon mot, et que le mot innovation souvent conviendrait mieux.
Originaire d’un milieu rural, j’ai partagé les conditions de vie de mes parents, pas d’électricité, pas d’eau courante, etc. Ce qui permet de mesurer tout le progrès de ces cinquante dernières années.
Ce mot progrès, je le vois, comme le verre à demi plein, comme le verre à demi vide.
Dans cette troisième partie de ma vie, je constate que j’ai profité d’énormes progrès. Je pense à tous les mieux être, de la vie courante aux soins médicaux.

⇒  L’erreur que nous devons éviter, c’est la discussion du concept de progrès qui serait séparé de la réalité sociale et politique ; parce que le progrès serait comme une sorte de dieu laïc. Parce que le monde est progressiste.  Le progrès est lié à notre humanité, depuis nos origines animales, et par étapes successives nous en sommes arrivés là. Aujourd’hui cette progression se fait aussi dans la séparation conceptuelle, parce que de la science et de la technique, on peut dire, qu’elles montent par l’ascenseur, et la sagesse humaine, à peine par l’escalier.
Donc, il y a rupture de rythme dans notre société. Je suis plutôt en gratitude avec le progrès, pour des raisons déjà évoquées, (commodités, progrès médicaux, etc). Mais si l’on prend l’exemple de l’énergie atomique, elle est la cause du crime le plus atroce, Hiroshima. Le progrès va avec son contraire.
Alors dans quelle direction va t-on avec le progrès actuel ? La Chine qui se dit communiste, exerce un contrôle, personne par personne, et là c’est un attentat à la liberté individuelle, pas un progrès. Et tous ces progrès techniques posent la question : demain qui va dominer, commander le monde ? La Chine ? Les USA ? Quels moyens vont-ils utiliser à cette fin ?
Donc, le progrès des sociétés doit toujours être examiné dans toute son amplitude.

⇒   Qu’on le veuille ou non, on est tous plus ou moins pris dans ce système d’évolution, sinon on vit en total décalage, et souvent on n’a même plus le choix. On est bien obligé aujourd’hui d’avoir un téléphone portable, d’utiliser Internet, etc. on ne reviendra pas en arrière.
Comme beaucoup, le progrès et ses nouveaux outils me compliquent un peu la vie, et, en même temps, je dois prendre en compte qu’il y a, disons, une vingtaine d’années j’avais déjà un téléphone portable, petite chose de forme arrondie qui s’est transformée en smartphone, ultra plat. J’avais aussi, alors, un lecteur MP3 (un baladeur), j’avais un appareil photo numérique, j’avais un enregistreur vocal, un lecteur de CD, des cartes routières dans la voiture, puis un Tom Tom, un agenda pour mes rendez-vous, pour noter les anniversaires, une calculatrice, j’avais une radio-cassette avec plein de cassettes, j’avais un enregistreur/lecteur vidéo, et des piles de vidéo cassettes, et j’en oublie peut-être.
Et là, j’ai tout ça dans deux appareils, un smartphone et une tablette. Donc force est de constater d’admettre, que ça ne peut que me réconcilier avec le progrès. Tout en un,  moins d’appareil à gérer, à acheter, à remplacer, et de la place gagnée… Et peu à peu je vide des tiroirs où dorment ces appareils devenus inutiles et encombrants.
Tiens ! Je vous prends votre smartphone, et vous devez vous doter de nouveau, de tous ces appareils.
Je serais plutôt, technophile, je regarde avec intérêt, les infos « Geek » même si je ne suis pas « geek » (en l’occurrence : accroc à toutes les nouveautés technologiques), et là je vois parfois des découvertes géniales mais totalement inutiles, sauf, que cela peut déboucher sur d’autres applications, comme dans le domaine médical ; cela s’est déjà vu. Ces recherches en tous sens s’apparentent d’une certaine façon à la recherche fondamentale.
Si je devais revenir totalement au mode de vie des années 90 j’aurais le sentiment de vivre dans un pays attardé, et je ne m’y sentirais pas bien. Nous progressons en tant qu’individus en s’adaptant sans cesse aux progrès, ou, alors on peut perdre une certaine indépendance, et on finira par vivre à côté de ce monde.

⇒ J e pense que Condorcet qui vient d’être cité quant à cette notion de progrès, en avait une conception un peu naïve. C’est à dire, qu’il pensait qu’il y avait un entraînement presque automatique entre le progrès scientifique, technique, et le progrès social. On se rend compte que ce n’est pas vrai du tout.
Et bien sûr, je suis d’accord sur le fait qu’il y a un demi siècle, la vie était beaucoup plus précaire ; on mourait à tous les âges, aujourd’hui, globalement, on meurt âgé, on a tendance à l’oublier. La société comporte de moins en moins de risques. Par exemple, je n’aurais pas aimé avoir vingt en 1914.
Et concernant les risques inhérents au progrès, dans le livre d’Etienne Klein (déjà cité) il évoque  une anecdote qui m’a un peu éclairé. Il raconte qu’en 1842, quand le chemin de fer en est à ses débuts, a eu lieu, sur la ligne Paris/Meudon, la première grande catastrophe ferroviaire : 55 personnes ont péri, carbonisées. Les anti-chemin de fer, sont de suite, montés au créneau, et le député Lamartine (le poète) est monté à la tribune, et dans son discours, il a déclaré : «  Plaignons-les, plaignons-nous, parce que nous sommes en deuil, mais marchons ! ».
  On ne pourra jamais éliminer les risques, ou alors, on arrête la vie. La vie, c’est aussi prendre des risques.  Et n’est-ce pas ce qui donne un peu de sel à la vie, d’aller vers l’inconnu ?

⇒ Je pense qu’on peut, qu’on doit envisager les risques possibles faces à de nouvelles technologies. Par exemple, à cet effet, dans le domaine environnemental, a déjà été établi en 1992 à Rio, le « Principe de précaution » qui dit : «  En cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue, ne doit servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ». Bien sûr, ce principe de précaution n’est pas toujours respecté, car comme nous l’a dit Youri Noah Hariri : « Les investisseurs sont plus pressés que les philosophes », lesquels investisseurs, préfèrent sans nul doute le principe de Gabor (dit aussi, Loi de Gabor), lequel dit : « Tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable ».

⇒ Je reviens sur un propos précédent : – le progrès on ne le choisit pas, on le subit. Non ! (je dis non !) je ne suis pas d’accord. Si on a un smartphone qui remplace divers appareils, c’est un choix. Certains s’adaptent, d’autres pas. Nul n’est contraint, c’est aussi un choix de vie.
Je ne suis pas fâchée par rapport au progrès, je suis, comme je l’ai déjà dit, hostile, et pas seulement réfractaire, c’est parce que je dis que je peux poser des questions à ceux qui orientent la progression des recherches, des techniques et des applications.
Exemple. Jacques Testard, qui a participé via la fécondation in vitro, à la naissance du premier bébé éprouvette (Amandine), s’est rendu compte que cette technique entraînait la possibilité de créer ce qu’il appelle : « le magasin des enfants », (titre d’un ouvrage sous sa direction) et des couples, hétérosexuels ou pas, pourront acheter des enfants, « aux yeux bleus », « aux cheveux crépus »  « avec un potentiel de QI élevé » etc. Du coup, il s’est retiré de ce domaine de recherche.
Alors, oui, toute invention comporte des risques, on n’y est pas opposé, mais on est capable, comme les inventeurs eux-mêmes, d’alerter sur les risques et proposer aux citoyens : vous le voulez, ou, vous ne le voulez pas ?
Ou alors on laisse les lobbies, les groupes industriels, des gouvernements non démocratiques décider pour nous ! Et, enfin, je précise, qu’il ne s’agit pas pour autant de dire : – c’était mieux avant.

⇒ «  L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il sait » dit Paul Valéry ? C’est-à-dire quand se fait quelque chose sait-on toujours pourquoi on l’a fait. Exemple : à la fin des années 80 les chercheurs, des physiciens,  travaillant au CERN à Genève, ont bricolé un système pour s’envoyer, partager plus facilement des données scientifiques. Eux savaient dans quel but ils avaient fait cela, mais ils ne pouvaient imaginer ce que cela allait engendrer. Ils ont été dépassés.
Alors, on se plaint de nombre de progrès, mais qui, par exemple est à l’origine de la demande de « fermes de 1000 vaches » ? C’est le consommateur qui exige des produits de moins en moins chers. Il en va de même pour l’énergie, nous en consommons de plus en plus, on est entrés dans un système, alors qu’on ne sait pas où l’on va.
Et maintenant, si je dois donner mon avis sur telle nouvelle technologie, je ne suis pas expert. Qu’est-ce que je vais pouvoir dire là-dessus ?
Quand on discute de tout ça, il y a beaucoup d’idéologie, et peu de rationalisme. Le progrès, avec les valeurs qu’on y met, on y est entraînés, on ne peut pas s’en émanciper totalement. Même celui qui part élever des chèvres dans le Larzac, il a un téléphone portable, ne serait-ce que pour appeler si ses enfants sont malades…

⇒  Je reviens sur le propos qui nous dit que ce sont les consommateurs qui sont demandeurs de « progrès » comme les « fermes de 1000 vaches », pour, dans ce cas, avoir du lait de moins en moins cher. Je n’ai pas vu, et je ne pense pas voir baisser le prix du lait pour autant. Nous sommes là devant une démarche commerciale, une démarche de l’agro-alimentaire, des grandes surfaces, pour augmenter les marges, les résultats, pour grandir, acheter des entreprises, pour aller vers des quasi-monopoles, elles , oui, elles progressent…
Alors, on a posé la question : quelles sont les valeurs qui orientent les recherches ? Souvent ces valeurs, ne sont que financières, que boursières, parce que toutes ces nouvelles technologies c’est un énorme pactole, un pactole extraordinaire ! Voyez les GAFAM (Google – Apple – Facebook -Amazon – Microsoft).
Distorsion terrible, quand par exemple une start up de la Silicon Valley  avec 50 employés fait un chiffre d’affaire égal à celui de Peugeot qui emploie des dizaines de milliers de personnes
Que cela nous fâche ou pas, force est de constater, qu’il y a une distorsion terrible dans cette course des technologies, c’est de plus (cela a déjà été évoqué) un enjeu stratégique, non seulement de groupes, mais des Etats. Demain qui possédera : le plus de capital « matière grise », le plus de « DATA », le plus de technologies, sera économiquement, le maître du monde. Alors nos discussions à cette échelle ne  semblent-elles pas  « peanuts » ?

⇒ On doit, on peut toujours en débattre. La philosophie, ce n’est pas la passivité !

Œuvres citées.

Sauvons le progrès. Etienne Klein. Champs sciences. Poche 2019.
Le triomphe des Lumières. Steven Pinker. Les Arènes. 2018.
De la démocratie en Amérique. Tocqueville. 1830.
21 leçons pour le 21ème siècle. Yuri Noah Hariri. Albin Michel. 2018.
Le magasin des enfants. Sous la direction de Jacques Testard. Folio.Actuel. 1994.

Le moi est-il haïssable?

Alenzo y Nieto. Suicide. 1839. Museo romantico. Madrid

Alenzo y Nieto. Suicide. 1839. Museo romantico. Madrid

Restitution de la réunion du 24 avril  2019 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Thibaud Simoné.

Introduction : Cette question, très pascalienne, a été tournée et retournée dans tous les sens depuis plusieurs siècles et ce, par les plus grands penseurs. Alors, le Moi est-il vraiment haïssable ? Cette question traduit-elle une obligation ou une possibilité ? Le Moi peut-il ou doit-il se haïr en lui-même ou dans son rapport à l’autre ?
Ainsi, comme nous le rappelle Paul Valery avec sa pertinence coutumière, « Le moi est haïssable mais il s’agit de celui des autres » Mais le Moi, qu’est-ce à dire ? Un cogito ? Autrement dit une conscience unique, multiple et pensante sur fond de subjectivité. Nonobstant, le Moi peut tout à la fois être individuel ou collectif sans pour autant concerner le « tout ». La singularité du Moi constitue ainsi une « denrée pléthorique » pour reprendre la belle expression de l’écrivain Matt Ridley. En outre, le Moi ne peut-être séparé de l’Autre, son alter ego, lui-même se définissant comme Moi à part entière. Et Pascal de nous rappeler que le Moi « est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il veut asservir ; car chaque Moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres » et la rencontre avec l’Autre est toujours inévitable, parfois violente et riche en préjugés, comme nous le rappelle l’essayiste Tzvetan Todorov : « La première réaction, spontanée, à l’égard [de l’Autre] est de l’imaginer inférieur, puisque différent de nous : ce n’est même pas un homme, ou s’il l’est, c’est un barbare inférieur […] » Il ajoute : « Peut-on vraiment aimer quelqu’un si on ignore son identité, si on voit, à la place de cette identité, une projection de soi [ou du Moi] ou de son idéal ? »
Notre thèse principale étant de considérer le Moi et son Autre pour eux-mêmes et non en vertu de propriétés qui, à la manière d’un chausse-pied, les font entrer de force dans des catégories préétablies et dont les valeurs sont jaugées à l’aune de nos propres références mentales ou autres biais cognitifs rassurants.
En outre, ne devons-nous pas définir le Moi par ce qu’il fait et non par ce qu’il est ? Ne dit-on pas, à l’instar de Sartre que « l’existence précède l’essence ? » Nous ne pouvons que faire la triste constatation que l’idée même d’essentialisme implique de verrouiller définitivement la porte à toute idée de variation, donnée pourtant fondamentale à qui veut comprendre la réalité du monde tel qu’il se présente à nous. Si essence il y a, le désordre en constitue la véritable incarnation et il préexiste à l’ « arrangement » socratique et au cosmos harmonieux et clos sur lui-même des penseurs grecs de l’antiquité. « Le monde est sans bout, le centre est partout », ce n’est qu’un gigantesque mouvement brownien sans dessein et l’évolution en constitue la substantifique moelle. Les régularités ne peuvent s’expliquer par des considérations transcendantes issues du monde platonicien des Idées. Nous souhaitons à n’importe quel prix projeter sur l’écran de nos inconscients (dont le mur de la caverne constitue à mon sens une analogie) des images parfaites, inaltérables et rassurantes, en lieu et place de ces flammèches qui naissent, se tortillent, et finissent par mourir comme pour nous rappeler toute la précarité de nos existences. Les publicitaires et les annonceurs l’ont bien compris en mettant en scène dans des spots pour gogos et avec pour espoir de vendre des crèmes de « beautés » qui ne servent à rien, des êtres déifiés et éternellement jeunes. Que penser également de ces gens, qui font appellent aux tous derniers résultats des neurosciences afin de s’introduire par effraction dans le cerveau du consommateur pour lui promettre monts et merveilles ? Consommez et vous serez heureux ! En réalité, ce sont les gens heureux qui ne consomment pas.
Que penser également de ces mises en scène pathétiques où l’on assène avec brutalité aux jeunes adolescent(e)s de ressembler à telle ou telle « star » décérébrée de la téléréalité qui devient, ipso facto, le modèle, l’icône, le moule ? Le Moi individuel à son acmé ! Peut-on vraiment se réaliser en tant qu’individu face à ce matraquage permanent ? Que devient alors notre unicité ? Le Moi n’est-il pas phagocyté par lui-même ? Le Moi devenant Narcisse n’est-il pas comme ce batracien se prenant pour un bœuf qui ne cesse d’enfler comme pour masquer sa petitesse, son imposture. Le Moi devient de fait sa propre idole, il se déguise derrière un pseudo et contamine les réseaux sociaux déclarant vrai ce qu’il aime plutôt que d’aimer ce qui est vrai.
Le Moi n’est-il alors pas haïssable du simple fait de se refuser à lui-même ? N’est-il pas plus commode de paraître que d’être ? N’est-il pas plus aisé et moins dispendieux d’être aveuglé que lucide ? Le Moi ne doit-il pas penser à rebours de lui-même, là où se cache la pensée critique ? Finalement, ne pêchons-nous pas par paresse ? Paresse psychologique et intellectuelle encouragée par la publicité et les médias et faisant de nous des êtres ne pouvant se réaliser qu’à travers la possession. Claude Lévi-Strauss, un de nos grands penseurs du XXème siècle, avait vu juste dans « La pensée sauvage » quand il affirme que « chaque civilisation [chaque individu] a tendance à surestimer l’orientation objective de sa pensée ».
En outre, comme il nous l’explique, l’humanisme le plus pertinent consiste à voir et à appréhender le monde dans son ensemble pour finir par se considérer soi-même et non l’inverse, travers que nous empruntons bien trop souvent.
Pourtant, nous devons tous être conscients que « l’observation des autres implique le décentrement de soi », comme Claude Lévi-Strauss, nous le rappelle encore, notamment dans son ouvrage essentiel « Race et histoire » que je me permets de citer : « Une première constatation s’impose : la diversité des cultures humaines est, en fait dans le présent, en fait et aussi en droit dans le passé, beaucoup plus grande et plus riche que tout ce que nous sommes destinés à en connaître jamais […] La notion de la diversité des cultures humaines ne doit pas être conçue d’une manière statique. […] » Ainsi, toute culture est le résultat de nombreuses hybridations faites d’emprunts, d’ajouts, de mélanges. Pourtant, bien que ces échanges, qu’ils soient culturels ou biologiques, soient constatés et avérés, nous tendons naturellement vers l’ethnocentrisme, piège gravitationnel déformant notre « espace-temps humain » qui nous pousse à déclarer presque d’une seule voix « le barbare c’est l’autre ! »
Ainsi certains peuples ont voulu imposer les lumières de leur civilisation aux autres peuples, ont voulu combattre « pour la perfection d’autrui, plutôt que de soi ». Comme le précisait Gaston Bachelard, « la lumière projette toujours des ombres » et c’est toujours au nom du bien que l’on fait le mal. Quand le « Moi collectif » et politique impose la liberté, n’y a-t-il pas contradiction dans les termes ?
Pour autant, malgré des heures sombres qui ponctuent notre histoire, il est utile voire indispensable de ne pas tomber dans une sorte « d’identité malheureuse ». Le devoir de mémoire, si tant est que la mémoire est un devoir, ne doit pas nous conduire à une auto flagellation permanente. Mais enfin, le Moi n’est-il pas un roi nu, invisible à lui-même, acteur principal d’une farce ubuesque et réclamant force bienveillance pour lui-même et envers lui-même ? Rappelez-vous la métaphore de la poutre et de la paille de l’évangile selon Matthieu. Pourtant « dans les rapports humains, la bienveillance a, bien évidemment sa place. Mais la bienveillance, érigée comme principe peut s’avérer extrêmement nuisible. Elle peut ainsi conduire à prendre en compte toutes les différences individuelles, les singularités de chacun et ainsi, par ce truchement, pulvériser les notions de communauté et d’égalité. A chacun alors, selon ses plaintes, ses besoins, ses victimisations. » , ainsi que le souligne le philosophe Yves Michaud. Elle est ainsi une manière de nous aveugler à la réalité du monde et d’acheter à un prix exorbitant la paix sociale en éloignant l’individu de ses responsabilités et en poussant la communauté à, systématiquement, réparer et assumer ses erreurs. Elle engendre des individus mués par un narcissisme exacerbé et ne supportant plus la frustration. Cette bienveillance totalitaire s’est muée en complaisance qui garantit la susceptibilité du Moi, devenu extrêmement chatouilleux à la moindre critique, et ne supportant plus le débat d’idées.
Enfin, si l’on en croit le physicien Albert Einstein « l’authentique valeur d’un homme [se mesure] d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son Moi ? »
Dans ces conditions, peut-être viendra le temps de la grande réconciliation… Celle des autres et du Moi et du Moi envers lui-même. Mais le penser n’est-ce pas là plutôt la grande utopie ?

Débat

 

 Débat : ⇒ Qui s’examine, qui consulte son moi profond, et y trouve une blanche colombe, à celui-là, à celle- là, je lui tends son auréole. Je connais la part noire qui est en moi, j’en connais la part de bonté, et d’amour des autres : « Être humain, c’est savoir pardonner aux hommes de n’être que ce qu’ils sont »  (Essais § 13). Depuis longtemps je fais mienne cette généreuse maxime. J’ai, avec les années appris à mieux me connaître, comme à connaître les autres, et cela m’amène tant à leur pardonner de ne pas être parfaits, que me pardonner d’être loin d’être parfait.
Vouloir l’homme, la femme, parfaits, est une démarche sans issue. C’est celle d’Alceste, le misanthrope, qui par trop d’exigence, par l’amour de l’être qu’il voudrait parfait, entité inaccessible, le punit,  en le montrant haïssable. Mais Alceste se déteste lui-même, ce qui nous rappelle que la haine des autres, entraîne, aussi, la haine de soi.
J’ai du mal à ressentir de la haine pour mon prochain, et charité bien ordonnée j’ai encore plus de mal à ressentir de la haine de moi-même. Il faut être un illuminé comme Pascal pour émettre cette idée.
Comment Pascal, croyant comme il l’était, pouvait-il à ce point haïr  la créature qui suivant sa religion est crée par son Dieu ?  Dans le propos du moi haïssable (cité dans l’introduction)  lequel est un dialogue,  Pascal parle du Moi qui n’est nécessairement lui (son Moi, en quelque sorte) et il parle du Moi de chacun, et ceci avant Freud et les trois instances du « Moi ».
Bien sûr qu’il se veut parfois être dominateur, ce « moi », et alors vouloir asservir les autres, en être le tyran,  alors oui, celui-là est haïssable.  Mais c’est bien là dans l’esprit de Pascal qui ne voit que l’homme mauvais. Pour un religieux illuminé, un croyant d’une religion qui prône l’amour de l’autre, Pascal est une sorte de terroriste de sa religion.
Et sur ce thème du « moi haïssable », on peut retenir (du même Pascal) quelques pensées toujours dans ce sens (pensées pour le moins haïssables) : « La vraie et unique vertu est de se haïr. » (Fragment 485/564) Ou : « Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi. » (Fragment 373) … Et enfin, cette autre pensée : « Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu, il est nécessaire que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste. » (Fragment 429/205).
Tous ces prêcheurs de vertu ont fait le malheur du monde.
La haine de soi pour être aimé d’un dieu, me semble être une grosse névrose. Cela nous a donné le port du cilice, ceinture autour des reins en poils de chèvre, ainsi que les flagellations, des actes d’auto-mutilation, les mortifications, mot qui vient du latin « mortificare » (faire mourir). « Si vous vivez suivant la chair, vous mourrez » dit saint Paul,  c’est pour lui, faites mourir les besoins, les désirs du corps et vous vivrez.
Je conclus cette première intervention avec cette formule : « Il n’est de pire haine que la haine de soi, car elle vous interdit d’aimer les autres » (Jean-Michel Goldberg)

⇒ La personne que je connais le mieux, c’est moi, et ce moi n’est que la somme de mes expériences, de mes lectures, des autres, etc… Il ne peut être haïssable, ceci dans le sens où je sais me mettre à la place des autres, par exemple quand ils ont fait une grosse bêtise. Ce sont les philosophes, comme Montaigne, Spinoza et Diderot, qui m’ont aidée à me forger ce « moi » tolérant et libre à la fois.

⇒ Freud nous dit qu’il y a trois instances de notre personnalité. Le « ça » qui manifeste ses pulsions, ses désirs directs dès l’enfance. Et c’est à l’éducation des parents qu’il revient de contenir, de contrôler ses pulsions, apprendre à l’enfant qu’il n’existe pas seul, c’est là que commence à se construire le « surmoi ». Et il se crée le « moi » médiateur entre ces deux instances, celui qui aussi définit les interdits.

⇒ Est-ce que ce serait ce « surmoi » ce « petit juge » qui peut amener la détestation de soi jusqu’à la haine de soi ? Et de là peut être amener jusqu’au suicide.
La question primordiale reste : comment quelqu’un peut-il en arriver à se haïr ? Se « désaimer « jusqu’à ce point ?

⇒ On est dans l’approche psychanalytique, on ramène tous ces concepts comme si c’était des outils. Le « surmoi » c’est le régulateur, le « moi » le médiateur, face au « ça » qui est enfoncé dans ses pulsions animales. Mais avec ces outils, on oublie l’identité. Les gens qui sont éducateurs dans des quartiers « difficiles » ne parlent jamais du « moi ». Au-delà des outils de psychanalyse, les gens qui s’aiment ou qui ne s’aiment pas, ça passe par : est-ce que je me reconnais une identité ?
Et le travail des ces éducateurs, ça consiste à essayer de faire comprendre à ceux qui ne s’aiment pas qu’ils ont une identité. Identité sur laquelle ils peuvent jouer bien sûr, pour, premièrement : la mieux voir ou la modifier, ce qui modifie le regard des autres, et là on rejoint l’aspect collectif. C’est que l’identité individuelle ne se forge pas que par rapport à soi-même, avec les outils de psychanalyse cités, mais elle se forme aussi par rapport au regard des autres.
Et quand on pose la question de, pourquoi y en a-t-il qui se haïssent, d’autres qui s’aiment, Je pense qu’il ne faut pas oublier la notion de : est-ce que je me reconnais une identité ? Est-ce que les autres me reconnaissent une identité ?
Freud a fait une analyse qui est de la mécanique du fonctionnement de l’Être, psychanalyse qui marche ou pas. La première analyse que Freud a faite, la « nana » s’est suicidée, s’était-elle haïe encore plus ?

⇒ Je me demande comment l’enfant qui a vécu dans un milieu protégé, lorsqu’il rencontre le monde avec ses prédateurs, va construire ce « moi », et comment vont s’arranger ces trois instances. Comme se construire, être réel ? Comment ne pas montrer un « faux-moi », et de là ne plus être très crédible à soi-même.

⇒ D’une certaine façon on est tous en représentation à des degrés différents. Mais qui peut se targuer de connaître vraiment le « moi » de l’autre ? Personne ! Même je pense qu’après des décennies de vie commune, il y a toujours des zones d’ombre. Zones qui ne sont pas forcément dissimulées à dessein. Et je pense que c’est tant mieux, parce que c’est un mécanisme de protection, je pense même que c’est un gage de survie de ce « vrai nous ».
Et je me demande si les gens qui traînent les coups reçus par les « prédateurs » ne sont pas aussi ceux qui n’ont pu se débarrasser du « moi » de l’enfance. On en revient à cette phrase (déjà citée) d’Einstein qui nous dit : « L’authentique valeur d’un homme se mesure d’après une seule règle : à quel degré et dans quel but l’homme s’est libéré de son moi ? »

⇒ J’ai retenu cette notion du « faux-moi ». Je pense que tricher avec soi-même, à moins d’avoir un énorme ego, ça peut générer à terme, la mésestime de soi. Mais ne pas tricher, obéir au « surmoi », cela a un prix, cela peut coûter cher, cela peut faire obstacle à ce qui aurait été une réussite financière. Mais « le petit juge » est là, il veille à ton intégrité, sinon, plus tard quand tu vas te rencontrer, tu vas changer de trottoir.
Et je reviens sur Pascal, lequel aurait pu être aujourd’hui un bon dialecticien de l’embrigadement terroriste.
Les recruteurs avec leur manipulation du langage, expliquent à des esprits simples comment en trahissant leur religion, ils doivent devenir purs, se racheter : « Ne vous étonnez pas » écrit Pascal dans les Pensées  « de voir des personnes simples croire sans raisonner. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes ». Trahissant leur religion, ils se trahissent eux-mêmes, ils trahissent leur famille (tous les musulmans), ceci en buvant de l’alcool, en fréquentant ; des filles « mécréantes », en se laissant européaniser. Il s’ensuit culpabilité, jusqu’à la haine de soi, qui appelle un rachat, (comme chez Pascal) jusqu’au rachat par le sacrifice. Vous trouverez toute cette sémantique dans des vidéos racoleuses sur YouTube.
La haine, haine de soi, passion triste est un bon filon à exploiter, pour amener des gens à des actions punitives pour satisfaire sa propre haine, car ses prédicateurs de malheur eux ne se font pas martyrs.

⇒ Dans le livre d’Einstein « Comment je vois le monde » celui-ci explique qu’il n’existe pas seulement en tant que créature individuelle, mais « je » se découvre membre d’une grande communauté humaine. Cela rejoint cette idée de la valeur du « moi » : «…à quel degré et dans quel but l’homme se libère de son moi ».Et c’est intéressant si nous regardons plus que le « moi » personnel, mais le « moi » social.

⇒ On parle d’un « surmoi » mais l’animal social vit dans un « surnous » que nous impose la société, avec ses interdits, avec ses tabous. C’est : je ne peux pas faire ceci, je ne peux faire cela, ce n’est plus que le « surmoi » qui nous interdit, c’est le « surnous ». C’est tellement ancré en nous qu’on ne se pose plus la question du pourquoi de l’interdit. On se construit d’une façon qui ne nous va pas toujours. Ainsi j’ai un ami homosexuel à qui on ne cesse de casser les pieds avec une notion de famille, cela finit par le traumatiser. L’interdit collectif peut entraîner une certaine mésestime de soi. On en revient à une identité reconnue et acceptée ; acceptée par soi et par la collectivité. Si on ne trouve pas comme se positionner, on peut en venir à haïr les autres, et à se haïr soi-même.

⇒ Dans le prolongement de ce propos, je pense aux adolescents, adolescentes, qui se découvrent homosexuels (les) et qui se suicident parce que la société impose ses normes, et ils se disent, je ne vais pas être accepté(e) par la société, dans ma famille, cette identité va m’être refusée. Cette haine du différent qui peut entraîner haine de soi, est parfois un drame.

⇒ Je me demande si chez le criminel qui trouve plaisir à tuer, ou comme chez certains  pédophiles qui jouissent de la souffrance de leurs victimes, il n’y a pas là dans  cette pulsion du mal, le vrai « moi haïssable » ?

⇒ Les personnes qui ne peuvent surmonter un viol, peuvent avoir ce sentiment de haine de soi. Sentiment d’avoir été salis (es), et de là ne plus pouvoir s’accepter.

⇒ La haine de soi peut découler d’un sentiment de ne pas être aimé. Si l’on ne m’aime pas, c’est parce que je ne mérite pas d’être aimé.
Et le chantre de la haine de soi s’appelle Cioran, philosophe d’origine roumaine mort à Paris en 1995.  La listes des ses principaux livres est révélatrice :
« De l’inconvénient d’être né »  – « La tentation d’exister »  –  « Sur les cimes du désespoir »
Si vous lisez les œuvres de Cioran, vous n’en sortirez pas forcément indemnes, les œuvres de Cioran devraient être vendues avec un tube de barbituriques. Quelques extraits pour illustrer :
« Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance… »
« … se suicider c’est le geste d’un optimiste »
« Déçus par tous, il est inévitable qu’on arrive à l’être par soi-même, à moins qu’on ait commencé par là ».  (Aveux et anathèmes. 1987)
« Plus nous avons le sentiment de notre insignifiance, plus nous méprisons les autres, et ils cessent même d’exister pour nous quand nous illumine l’évidence de notre rien. Nous n’attribuons quelque réalité à autrui que dans la mesure où nous n’en découvrons pas en nous-mêmes »  (La chute du temps. 1964)
Et je ne résiste pas à citer cette dernière : « Ma mission est de tuer le temps, et la sienne de me tuer à son tour. On est tout à fait à l’aise entre assassins » (Ecartèlement. 1979)

Diderot, l’esprit des Lumières

Denis Diderot, par L.M. Van Loo. 1767. Musée du Louvre.

Denis Diderot, par L.M. Van Loo. 1767. Musée du Louvre.

       Restitution de la réunion du  27 mars 2019 à Chevilly-Larue

Animateurs, animatrices : Edith Perstunski-Deléage, philosophe – Danielle Pommier Vautrin  – Serge Carbonnel – Thibaut Simoné – Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon

Biographie de Diderot (Danielle)
Premières années de bohême.
Denis Diderot naît le 5 octobre 1713 à Langres, au sein d’une famille de la bourgeoisie aisée. Son père coutelier le pousse à suivre des études auprès des Jésuites, convaincu qu’une carrière ecclésiastique conviendrait à son fils. Diderot, lui, n’y voit pas d’objection et pense lui-même être sur la bonne voie. Aussi, il se rend à Paris pour approfondir ses enseignements. Entre philosophie, théologie et droit, tout l’intéresse. Il obtient le titre de maître es art en 1732.
Au sortir des études, Diderot réalise finalement que la prêtrise ne lui convient pas. Il tente alors de gagner sa vie selon les opportunités, tantôt précepteur, tantôt employé d’un procureur. Avide de savoir, il apprend l’anglais, les mathématiques, les langues anciennes. C’est ainsi qu’au rythme d’une existence bohême, il croise la route de Rousseau, avec qui il se lie aussitôt d’amitié. Durant cette même période, il tombe sous le charme d’une jeune lingère, Antoinette Champion, qu’il épouse sans le consentement paternel et dont seule une fille survivra Marie-Angélique.

Premiers écrits : matérialisme et athéisme
Suite à sa rencontre avec Rousseau Diderot est bien décidé à prendre la plume. D’abord traducteur, il est aussi amené à rencontrer Condillac. Au fur et à mesure qu’il nourrit son esprit, ses pensées évoluent vers l’athéisme.. Déjà avec Pensées philosophiques, en 1746, il tend vers la notion de déisme et de religion naturelle. Ce premier ouvrage est aussitôt condamné. Lorsqu’il écrit Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, la dernière étape vers l’athéisme est franchie.
   Ainsi, Diderot y avoue sans réserve un matérialisme athée qui le conduit directement à la prison de Vincennes en 1749. Les quelques mois qu’il y passe s’avèrent une expérience douloureuse et dès sa sortie, il abandonne l’idée de publier la totalité des ouvrages qu’il écrira. Toutefois, il ne démord pas de ses positions philosophiques. Selon lui, le monde, la vie, la pensée appartiennent à la matière et évoluent seuls, par une sensibilité universelle et sans aucune intervention divine. Il se distingue alors du matérialisme mécaniste de La Mettrie, d’Holbach ou d’Helvétius.

Du drame au critique d’art
Denis Diderot ne peut concevoir l’existence sans écrire. Aussi s’adonne-t-il au théâtre avec le Fils naturel
, rédigé en 1757, mais joué seulement des années plus tard. S’ensuit dès 1758 le Père de famille. Dans ces nouvelles œuvres dramatiques, Diderot entend bien s’éloigner de la tragédie classique pour laisser place au drame domestique bourgeois. Pour lui, la prose naturelle doit supplanter le vers. Mais ses réalisations ne remportent pas un franc succès. Au cours de cette période, Diderot et Rousseau se fâchent définitivement.
    Tout en assumant la lourde tâche de l’Encyclopédie (qu’on lui a confiée en 1747), Diderot fréquente les milieux savants et artistiques. Il ne peut alors s’empêcher de mettre sur papier ses ressentis et analyses face aux œuvres et ouvrages qu’il découvre sur son chemin. Ainsi, dès 1759, il publie dans la Correspondance littéraire de Grimm son premier Salon, ce qui fait de lui l’un des fondateurs de la critique d’art. De plus, en parfait esthète, Diderot accorde une grande importance à l’art dans son Encyclopédie.

L’Encyclopédie
L’Encyclopédie, justement, vient d’être interdite suite à la publication de l’Esprit, essai philosophique d’Helvétius qui heurte considérablement l’Église. Diderot, travaillant à ses critiques d’art, n’entend pas abandonner un projet qu’il affectionne et pour lequel il se démène depuis 1747. D’Alembert ayant renoncé, il poursuit seul sa tâche. Selon lui, il est indispensable de diffuser le savoir à tous. C’est là le seul moyen de contrer l’intolérance et de promouvoir la raison, d’autant plus qu’il ne s’agit pas seulement de rassembler les connaissances mais aussi de leur apporter le souffle philosophique de l’époque. Ainsi, Diderot s’attelle à la rédaction des dix derniers tomes de l’ouvrage monumental. Publiés en 1766, ils laisseront un goût d’amertume à son principal auteur, trahi par son éditeur qui le censure à plusieurs reprises. Toutefois, l’ouvrage n’est pas tout à fait terminé. Diderot publiera encore un volume de planches en 1772 ainsi qu’un supplément à la fin des années 1770.

Œuvres narratives et dialogues philosophiques
   Le projet encyclopédique touchant à sa fin, Diderot peut se consacrer à d’autres formes d’écriture. Au cours des années précédentes, il avait déjà commencé la rédaction de quelques œuvres narratives importantes, sans pouvoir les achever. C’est le cas par exemple de la Religieuse, du Neveu de Rameau, ou de Jacques le Fataliste. Enfin, il a le temps de les remanier et de les terminer.
   Finalement, que ses œuvres soient publiées ou non, peu lui importe. Diderot est un philosophe pour qui l’écriture est un dialogue interne qui permet de façonner ses pensées. Ainsi, il retrouve ses préoccupations sur l’origine de la vie dans le Rêve de d’Alembert (1769) et sur la morale dans Supplément au voyage de Bougainville (1772, publié en 1796).

Voyages et vieillesse
   À partir de l’été 1773, Diderot se rend à La Haye avant de rejoindre l’impératrice russe Catherine II à Saint-Pétersbourg. Des années plus tôt, celle-ci lui avait acheté sa bibliothèque et lui en avait laissé le bénéfice. Il l’en remercie en apportant ses lumières sur l’éducation en Russie. Ses voyages finissent toutefois par le fragiliser et, de retour à Paris, il écrit de moins en moins.
   Parmi ses dernières œuvres figurent Paradoxe sur le comédien (1773-1778, publié en 1830), Entretien avec la maréchale (1776) et Essai sur les règnes de Claude et de Néron (1778). En 1781, il écrit sa dernière œuvre dramatique : Est-il bon ? Est-il méchant ? Vieux et malade, il abandonne l’idée de publier la totalité de ses ouvrages inconnus. Sophie Volland, sa maîtresse bien-aimée qu’il fréquente depuis 1756 et avec laquelle il a échangé une correspondance remarquable, meurt en février 1784. Diderot s’éteint le 31 juillet suivant, à l’âge de 70 ans.
   Mal connu de ses contemporains, tenu éloigné des polémiques de son temps, peu enclin à la vie des salons et mal reçu par la Révolution, Diderot devra attendre la fin du XIXe siècle pour recevoir enfin tout l’intérêt et la reconnaissance de la postérité dans laquelle il avait placé une partie de ses espoirs.
   Ainsi, cet homme destiné à la prêtrise a emprunté une toute autre voie, guidé par sa soif de savoir et ses convictions philosophiques. Cette voie a fait de lui l’un des plus grands représentants des Lumières et son œuvre, dans laquelle l’Encyclopédie ne peut se dissocier de ses autres productions, reste l’une des plus importantes de la littérature française.

Denis Diderot : quelques dates-clés

5 octobre 1713 : Naissance de Denis Diderot
1 septembre 1732 : Diderot est maître es art
1 janvier 1742 : Diderot rencontre Rousseau
6 novembre 1743 : Mariage avec Antoinette Champion
1 janvier 1746 : Les « Pensées philosophiques » sont brûlées
Le Parlement de Paris condamne l’œuvre de Diderot, intitulée « Pensées philosophiques », à être brûlée en public.
1 octobre 1747 : Le projet de « l’Encyclopédie » est lancé
24 juillet 1749 : Diderot est emprisonné à Vincennes
7 février 1752 : L’Encyclopédie est censurée
1 janvier 1756 : Rencontre avec Sophie Volland
1 janvier 1757 : Composition de la pièce « le Fils naturel »
1 janvier 1759 : Diderot participe à « la Correspondance » de Grimm
3 septembre 1759 : Le pape Clément XIII condamne l’Encyclopédie de Diderot
1 janvier 1760 : Diderot commence la Religieuse
1 janvier 1762 : Première ébauche du « Neveu de Rameau »
 janvier 1765 : Les premiers traits de « Jacques le Fataliste »
1 août 1769 : Diderot écrit « le Rêve de d’Alembert »
1 janvier 1772 : Parution du « Supplément au voyage de Bougainville »
11 juin 1773 : Diderot part pour la Russie
31 juillet 1784 : Mort de Diderot

        Contexte politique et social, et, Diderot le génie mal aimé (Guy)
 Diderot, agitateur d’idées de ce 18ème siècle, philosophe, romancier, dramaturge, conteur, critique d’art, maître d’œuvre de l’Encyclopédie, cette plume incomparable, parfois même au service de ses amis, est (dira Michelet) : « le Prométhée du siècle des lumières ».
Il est celui qui va apprendre inlassablement pour faire savoir, pour éclairer (sans jeu de mots particulier) les esprits de ses contemporains.
   Et ce n’est pas une mince affaire, ce n’est pas sans risque que de dire, d’oser dire, car la monarchie et tous ceux qui y sont attachés sentent que ce modèle vacille. Alors le pouvoir se fait plus dur, celui-ci tente de mettre le Parlement « au pas », et contrôle sévèrement tous les écrits.
   La censure est plus active que jamais, des mouchards sont infiltrés partout, on s’en méfie dans les lieux d’expression ; dans les salons, ou, comme au Procope où des hommes de lettres se réunissent souvent après les spectacles, des mouchards y ont leur table. C’est la chasse aux écrits, aux publications qui remettraient en cause les deux pouvoirs : du temporel à l’intemporel ; et qui attaque l’Eglise, alors, attaque le roi.
   A la Chancellerie, administration chargée de la censure, et donnant autorisation ou non de publier, une soixantaine de personnes contrôlent en permanence les écrits. Et il existe parallèlement un  cabinet du secret des postes, dit aussi « cabinet noir », lequel surveille tous les courriers ; ce qui fera dire à Voltaire,  toujours prêt à une flèche d’humour : «  Jamais le ministère qui a le département des postes n’a ouvert de lettres de particulier, excepté quand il a eu besoin de savoir ce qu’elles contenaient »
   Diderot comme le fait Voltaire, va parfois utiliser le récit, le conte philosophique pour contourner la censure. Il dit alors qu’il use d’ « une philosophie en habit d’Arlequin ».
Des individus pris en possession de livres interdits sont arrêtés, torturés, exilés, ou envoyés aux galères.
   Le régime est d’autant plus fragilisé qu’il s’est endetté pour faire la guerre ; les caisses sont vides, le royaume est en situation de faillite, un nouvel impôt est créé, impôt qui touche cette fois les nobles et le clergé.
   Les nombreux troubles, les émeutes qui éclatent dans le royaume sont dus à la subsistance ; nombreux sont les pauvres qui doivent dépenser 50% de leur revenu d’un travail pour acheter le pain. Turgot va autoriser la libre circulation du commerce des grains, ou, la concurrence déjà « libre et non faussée », laquelle va aboutir à la spéculation, rendant le prix du pain inaccessible pour beaucoup ; on parle alors des troubles « frumentaires » on parle de « la guerre des farines », les boulangeries sont gardées par des soldats. Quinze ans plus tard les femmes de Paris forceront les grilles de Versailles pour demander du pain.
   Diderot avec certains écrits, sème des idées révolutionnaires, par exemple: « La nature n’a fait ni maître ni serviteur », « Aucun homme n’a reçu de la nature, le droit de commander aux autres
   Diderot qui participe à cet éveil de son siècle, annonce la rupture avec les philosophes des siècles précédents, de Pascal à Descartes, et tout ceux qu’il nomme, les « méthodistes », il dénonce chez ces philosophes un « galimatias métaphysico-théologique »
  Diderot en son siècle est particulièrement connu par son engagement dans l’Encyclopédie, la plupart de ses œuvres seront posthumes; il n’ose publier, il craint la censure, il craint la prison, il craint d’être coupé d’un monde d’intellectuels, en fait il supporte mal la prison, souvenir peut-être de son enfermement au couvent. Il sera incarcéré à Vincennes pour ses écrits entre autres pour la « Lettre sur les aveugles pour ceux qui voient » ; tout d’abord il niera l’avoir écrit, puis il dira : « Ce n’est pas moi qui l’ai écrit, mais je vous promets de ne plus recommencer ». C’est paradoxalement à partir de ce séjour en prison qu’il acquiert une certaine notoriété.
    Diderot reste cet esprit opiniâtre qui veut éduquer le peuple pour qu’il se libère. Se libère des superstitions, des croyances, et c’est pour ça que, contre vents et marées il va passer plus de 20 ans attelé à ce monument de savoir qu’est l’Encyclopédie : « Le but de l’encyclopédie »  écrit-il, «  est de ramasser les connaissances éparses sur la terre […] afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles à venir, et que nos neveux, nos descendants devenant plus instruits deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux »
   Et enfin, je reviens sur les accusations quant aux responsabilités attribuées à Diderot dans les excès de la Révolution, et pourquoi il fut si longtemps, ce génie mal aimé.
  Alors que les œuvres de Voltaire et de Rousseau sont de leur temps et après eux, connues et diffusées, celles de Diderot seront « mises au placard ». Et même si elles ne sont publiées que bien après sa mort, (car de contenu trop dangereux), elles seront décriées, voire caricaturées  par ceux qui en auront connaissance.
   Trois choses seront reprochées à Diderot. En premier, son athéisme affiché, revendiqué ; ce qui sera même dénoncé sous la Révolution. Alors qu’on brûle des églises, qu’on tue des prêtres, Robespierre qui souhaite faire référence dans la Constitution à un « Être suprême »,  dit le premier exécrer Diderot et les encyclopédistes. « Longtemps l’athéisme fera peur ».
   En second, on lui reproche ces quelques vers dans le « Discours d’un philosophe à un roi »
«  C’est alors qu’un trône vacille;
Qu’effrayé, tremblant, éperdu,
D’un peuple furieux, le despote imbécile
Connaît la vanité du pacte prétendu »
Puis il ajoute à ce texte un propos repris au prêtre philosophe Jean Meslier :
« Et les mains ourdiraient les entrailles du prêtre ?
Au défaut d’un cordon pour étrangler les rois »
   Toujours dans cette accusation d’incitation au régicide, un texte où il utilise une métaphore liée à l’activité de son père, la coutellerie : « Je serai, (celui) qui dit que ce sont des couteaux à deux tranchants se disposant alternativement suivant leurs intérêts, ou, entre les mains du roi pour couper le peuple, ou, entre les mains du peuple pour couper les rois »
  Donc, pour ses détracteurs, il appelait à décapiter le roi, alors qu’on le découvre dans les diverses biographies, dont la très bonne de Jacques Attali, «  Diderot, ou le bonheur de penser », un homme pacifiste, ami des hommes, « Ce combattant du verbe était l’homme le plus doux de la terre » (écrit Jacques Attali), lequel homme n’aurait sûrement pas accompagné le côté sanguinaire de la révolution.
    Et enfin, troisièmement, il lui sera longtemps reproché d’avoir démoli cette valeur qu’est le mariage, ainsi il écrit (parmi d’autres textes contre le mariage) : Le mariage « Une notion excellente pour trois ou quatre têtes bien faites, mais funeste pour la généralité. Le vœu du mariage indissoluble fait et doit faire presque autant de malheureux que d’époux ». Il évoque même la possibilité pour une femme d’avoir un enfant sans se lier en aucune façon au géniteur.
   Aujourd’hui des féministes, telle Elisabeth de Fontenay dans son ouvrage : «  Diderot ou le matérialisme enchanté » voit même là, (avec ses lunettes d’un féminisme de combat) un des premier textes ébranlant la société patriarcale, et l’assujettissement de la femme par le mariage.
   Longtemps ostracisé par une philosophie universitaire, il  aura fallu presque un siècle pour que Diderot, soit reconnu, avec un hommage en 1850 par Pierre Larousse, et que tous les arguments réactionnaires soient balayés pour redonner la vraie dimension de génie, de cet ami du genre humain.
    On va nommer Voltaire et Rousseau comme responsables de la Révolution: « C’est la faute à voltaire, c’est la faute à Rousseau », mais, ce n’est pas la faute à Diderot. Et pourtant !  nombre de ses écrits, tout ce renversement  de la pensée auront participé à l’esprit de révolte qui donnera 1789.
   Diderot est un des premiers qui a compris qu’on ne renversera pas les tyrans, les rois de droit divin, sans remettre en cause, le « pouvoir divin ». Les nostalgiques du royalisme, les religieux intégristes ont bien fait cette analyse.
   La haine pour Diderot se retrouvera lors du bicentenaire de sa naissance en 1913. Les mouvements d’extrême-droite menés par Maurice Barrès, et les catholiques-ultra,  manifestent contre cette célébration. Cette haine est aussi alimentée par ses propos qui sont les principes de la laïcité avant la lettre.
 Le 21ème siècle remettra sur le podium, ce génie, cet esprit des Lumières.

Diderot et la science. (Thibaut)
   « Quel plaisir de raconter la vie d’un homme immensément intelligent, puits de science, totalement libre, follement amoureux, incroyablement créatif ». C’est par ces quelques mots que l’écrivain Jacques Attali débute la très érudite biographie qu’il consacre au grand philosophe des Lumières, Denis Diderot.
   C’est dans la très célèbre Encyclopédie que Diderot va examiner le statut de celui qu’il nomme le philosophe. Cette définition pourrait, à n’en pas douter, se rapporter avec beaucoup de justesse à lui-même, alors qu’il décrit, « ce philosophe qui foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l’ancienneté, le consentement universel, l’autorité, en un mot, tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de lui-même et n’admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de sa raison. »
    Quelle plus belle définition pourrions-nous espérer que celle tirée de l’article « éclectisme » de L’Encyclopédie, à l’endroit de celui qui ne cessera toute son existence de s’abreuver profondément à « la fontaine piérienne », pour citer un vers fameux du grand poète anglais Alexander Pope. Dans son œuvre, « Pensées philosophiques », Diderot déclara que « si ces pensées ne plaisent à personne, elles pourront n’être que mauvaises ; mais je les tiens pour détestables si elles plaisent à tout le monde ».
   Et des pensées il en eut de fulgurantes ! En effet, bien qu’il ne soit l’auteur d’aucune découverte scientifique importante comme Galilée ou d’aucune véritable théorie à l’instar de Newton, il eut de nombreuses intuitions, d’incroyables fulgurances en matière de science, qui rendent sa pensée si moderne et par le même fait, si proche de l’humain du XXIe siècle ! Moderne en effet par la pensée athéiste et matérialiste dont il ne se cache pas et qui lui vaudra un séjour en prison.
   Voyez plutôt ce qu’il déclare dans ses « Pensées philosophiques » à propos du fonctionnement et de la nature du monde : « Grâce aux travaux de [Newton], le monde n’est plus un Dieu : c’est une machine qui a ses roues, ses cordes, ses poulies, ses ressorts et ses poids. » N’est-il pas piquant de remarquer comment les métaphores technologiques s’adaptent aux progrès de chaque époque. Ne comparons-nous pas de nos jours l’Univers à un ordinateur, comme nous pouvons le lire dans certains articles de cosmologie ? De plus, se faisant l’infatigable promoteur de l’observation rigoureuse du monde, il déclare quelques lignes plus en amont que « Les méditations sublimes de Malebranche et de Descartes étaient moins propres à ébranler le matérialisme, qu’une observation de Malpighi. »
   Rappelons que ce dernier peut être considéré comme le fondateur de l’anatomie microscopique, à la suite de Van Leeuwenhoek, drapier à Delft, qui perfectionne les loupes pour observer les tissus et qui se targue d’avoir décrit le premier les spermatozoïdes, les protozoaires et les bactéries en plein cœur du XVIIe siècle. Et bien entendu, Diderot fera état de « la découverte des germes » dans la section suivante de ses « Pensées ».
   Des pensées, il semble oser en attribuer aux animaux, comme pour leur offrir une théorie de l’esprit ainsi en témoigne ce dialogue issu, lui aussi des « Pensées » : « Êtes-vous un être pensant ? Lui demandais-je… – En pourriez-vous douter, me répondit-il, d’un air satisfait…- Pourquoi non ? Qu’ai-je aperçu qui m’en convainque ? … des sons et des mouvements ?… Mais le philosophe en voit autant dans l’animal qu’il dépouille de la faculté de penser : pourquoi vous accorderais-je ce que Descartes refuse à la fourmi ? » Il ne vous aura pas échappé l’allusion que Diderot fait au concept de « l’animal machine » cher au philosophe cartésien. Ce dernier se sera souvent trompé mais comment pouvait-il savoir et admettre en son temps que les non-humains font, eux aussi, preuve de capacités cognitives surprenantes.         Regardez plutôt les derniers travaux concernant les poules, les poulpes, les éléphants, les abeilles. Gageons que Diderot, lui, n’aurait pas été plus étonné que cela.
   Mais il est un domaine où, Diderot s’est particulièrement illustré par sa prescience. Il s’agit de l’idée de transformisme. En son temps, il est clairement admis que les êtres organiques tels qu’ils se donnent à voir, sont le produit de la création du Très-Haut, les sciences biologiques à l’époque ne se sont pas, en effet, encore émancipées de leur dire théologique. Ce « fixisme », tel qu’on le nomme ne sera balayé qu’un siècle plus tard avec la parution en 1859, de l’ouvrage majeur de Charles Darwin, « L’origine des espèces ». Dans son opus de 1754, « Pensée sur l’interprétation de la nature », Diderot nous expose l’idée d’organes homologues entre espèces différentes, ces homologies étant interprétées comme le signe d’une ascendance commune : « Quand on considère le règne animal et qu’on s’aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions et les parties, surtout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croirait-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier animal, prototype de tous les animaux, dont la nature n’a fait qu’allonger, raccourcir, transformer, multiplier, oblitérer certains organes. » Texte véritablement précurseur ! Nous constatons de fait, que Diderot nous explique que les animaux auraient été précédés d’un « prototype » primitif, dont la plasticité organique serait à l’origine de la grande diversité des parties qui se donnent à voir sur les différentes espèces vivantes. Le fixisme passe un sale quart d’heure puisque les êtres seraient susceptibles de se modifier.
   Plus étonnant encore est le texte suivant : « N’est-il pas très remarquable que la main de l’homme faite pour saisir, la griffe de la taupe destinée à fouir la terre, la jambe du cheval, la nageoire du marsouin et l’aile de la chauve-souris, soient toutes construites sur le même modèle et renferment des os semblables, situés dans les mêmes positions relatives ? » Ces dernières lignes ne sont pas de Diderot mais de Darwin lui-même. Il est troublant de constater une ressemblance dans la pensée.
   Mais là où Diderot n’émet que supputations, le grand naturaliste anglais va patiemment construire pendant vingt ans une admirable théorie scientifique argumentée et confirmée à maintes reprises depuis. Dans « Le rêve de d’Alembert » de 1769, Diderot, enfonce le clou : «Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé, qui n’a que quatre pieds de hauteur, qu’on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas l’image d’une espèce qui passe ? Qui sait s’il n’en est pas ainsi de toutes les espèces animales ? » Ce texte datant du milieu du XVIIIe siècle est extrêmement téméraire.
   En écrivant de la sorte, Diderot sait que les êtres organiques passent et se transforment. L’espèce humaine elle-même ne fait pas exception à la règle. La matière est corruptible et ne saurait rester à jamais l’image fidèle d’elle-même. Ainsi, « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » affirmait Héraclite, pour qui la seule permanence est à chercher dans le changement lui-même. Le « bipède déformé » dont Diderot esquisse le portrait, ce sont les esquimaux, que l’on vient juste de « découvrir ». De ce texte, il en ressort des conséquences philosophiques et théologiques absolument considérables. Ne vaut-il pas mieux pour lui que les faire apparaître en songe et ainsi faire passer ses idées révolutionnaires sans pour autant risquer l’embastillement.
   Enfin, dans ses « Pensées philosophiques ». Diderot fustige l’esprit humain et son incapacité à se représenter les grands nombres, source de croyances et de mésinterprétation des probabilités. Il déclare : « Selon les lois de l’analyse des sorts, […] je ne dois pas être surpris qu’une chose arrive, lorsqu’elle est possible, et que la difficulté de l’événement est compensée par la quantité de jets. »
   L’encyclopédiste a alors tout dit. Ainsi, plutôt que d’expliquer la survenue d’un phénomène rare par le miracle, il mise sur ses très nombreuses occurrences faisant ainsi passer sa survenue de l’état « improbable » à l’état « certain ». Par le même fait, il contredit les bigots et autres thuriféraires de Lourdes, qui, par méconnaissance de la taille de l’échantillon, préfèrent voir dans les guérisons « miraculeuses » le geste divin d’un Démiurge plutôt que les conséquences naturelles de la loi des grands nombres. Diderot, ayant conscience de sa propre limitation mentale, se plaît à penser contre lui-même et se fait le pourfendeur de l’obscurantisme. Il mettra en pratique ce qui deviendra la devise des Lumières : « Sapere aude». Espérons ne jamais rompre d’avec elles si tant est que nous ne les ayons jamais épousées

Diderot ou la naissance de la critique d’art  (Serge)
Il existe une œuvre importante de Diderot : « Les Salons ». Ce sont des comptes rendus, rédigés lors des Expositions organisées tous les deux ans par l’Académie royale de peinture et de sculpture dans le Salon carré du Louvre entre 1759 et 1783. Beaucoup de critiques considèrent que ceci est la naissance de la critique d’art comme genre littéraire.
    Frédéric Melchior Grimm a l’idée de créer une revue manuscrite, la « Correspondance littéraire », recopiée à la main et expédiée en correspondance privée pour échapper à la censure. Les abonnés sont les princes des principales cours d’Europe de l’est et du nord, qui lisent parfaitement le français et sont friands de ce genre de nouveautés
   C’est Grimm qui rédige les premiers comptes rendus. En 1757, il s’attarde devant un tableau et fait parler Diderot sur ce qu’il en pense Il demande ensuite à Diderot de se charger des comptes rendu mais dans le même esprit que leur discussion devant le tableau en question.
  En 1759, Diderot se lance et propose son premier compte rendu.
  Diderot rédigera en tout neuf Salons de 1759 à 1781. De quelques pages en 1759, les Salons, avec leurs suppléments de réflexions occupent en 1765 et en 1767 plusieurs centaines de pages.  « À partir de 1769, les Salons sont plus brefs, Diderot y consacre moins de temps : Il est reconnu, l’Encyclopédie a été publiée, il va se consacrer à son œuvre proprement philosophique et politique, dont on trouve d’ailleurs souvent l’embryon dès les Salons » https://fr.wikipedia.org/wiki/Salons_(Diderot)
   En principe Diderot décrit chaque œuvre. Mais dans les Salons, les critiques n’ont pas de frontière nette entre description et le jugement qui lui-même mêle le propos sur l’art et la fantaisie comme dans bien des œuvres de Diderot.
   L’évocation que Diderot fait des toiles exposées par Vernet en 1759 fournit l’argument d’une rêverie musicale et d’une réflexion philosophique. « La tempête est un spectacle, elle est un concert où sonnent le grondement du tonnerre et les cris des victimes. La voix humaine est donc présente dans le concert de la nature, c’est elle qui souligne le désordre de la tempête et marque l’impossibilité soudain d’accorder la nature et l’histoire, les puissances de l’océan et le destin des hommes ».
Cette réflexion philosophique se retrouvera dans le « Supplément au Voyage de Bougainville » (écrit en 1772) lorsque le vieillard de Tahiti menace les Européens » (Michel Delon. « Diderot et Vernet dans la tempête »)
   Le Salon de 1761 (45 pages de descriptions et 5 de discussions) considère les problèmes de la composition et de la technique, sans oublier le rôle de l’idée et du moment. Si Joseph-Marie Vien est loué par Diderot, c’est que sa peinture montre « la vérité […] de tous les temps et de toutes les couleurs ». Il s’interroge sur le cas d’une peinture qui ne serait pas fondée sur l’imitation de la nature.
    À propos d’une toile de Deshays, il déclare : « il y a des passions bien difficiles à rendre. Presque jamais on ne les a vues dans la nature. Où donc en est le modèle ? Où le peintre les trouve-t-il ? Qu’est-ce qui me détermine, moi, à prononcer qu’il a trouvé la vérité ? »
  Il prolongera cette réflexion jusque dans l’Encyclopédie, où il se demande comment ont pu faire les « Anciens qui n’avaient pas d’antiques » à copier. Dans le Salon de 1763, (69 pages) Diderot fait une réflexion sur l’art du portrait qu’il estime devoir d’abord correspondre au modèle, mais aussi avoir un certain trait de beauté « pour la postérité » : « Il faut qu’un portrait soit ressemblant pour moi, et bien peint pour la postérité. » On voit ici l’évolution de Diderot maîtrisant la critique au point d’en faire une véritable philosophie de l’art. Son point de vue apparaît comme le passage vers une théorie du génie créateur.
   Dans le Salon de 1765, (227 pages) il prétend ne pas avoir vu le Corésus et Callirhoé de Fragonard, qui avait attiré les foules ; mais il dit avoir fait un rêve, dans lequel le film du Corésus était projeté sur le mur de la caverne de Platon à des gens enchaînés qui tournent le dos à l’entrée mais à qui l’on interdit de regarder ailleurs que vers l’écran.
   Ce Salon de 1765 marque un tournant décisif. Le compte rendu introduit une nouvelle tendance de l’histoire de l’esthétique : la théorie de l’imitation se teinte de certaines réserves et admet que si le vrai a toujours partie liée avec la nature, le vraisemblable, lui, s’oriente résolument vers l’art. Je la résume en un conseil que Diderot prodigue aux jeunes artistes : « Éclairez vos objets selon votre soleil, qui n’est pas celui de la nature ; soyez le disciple de l’arc-en-ciel, mais n’en soyez pas l’esclave « .
   L’activité artistique devient une création particulière et non plus seulement une reproduction aliénée à son modèle. C’est, enfin, reconnaître que si la nature est vraie, l’art peut et doit comporter l’artifice et le mensonge. L’artiste, en ce qui le concerne, se fait témoin affranchi, traducteur indépendant et libre interprète.
   Je résume le point de vue en disant : on peut créer ce que l’on voit dans la caverne même si l’on sait que ce n’est pas le réel.
  Ce salon comporte en annexe un essai sur la peinture de 75 pages. (Il y aborde le dessin, la couleur, le clair-obscur, l’expression, la composition et l’architecture). Dans le Salon de 1767 (367 pages), avant d’aborder la description des œuvres Diderot introduit par une réflexion sur le « sens ». Il rend compte des paysages de Vernet, sept  tableaux qu’il n’a pas vus… Il est allé à la campagne où, se promenant avec un abbé philosophe, il va de sites en sites, qui sont autant de tableaux de Vernet !
   Dans ce salon il introduit la critique sous forme de dialogue, cinq pages En annexe il traite de la Manière ainsi que des deux académies huit pages « La manière est un vice commun à tous les beaux-arts. Ses sources sont plus secrètes encore que celles de la beauté. Elle a je ne sais quoi d’original qui séduit les enfants, qui frappe la multitude, et qui corrompt quelquefois toute une nation ; mais elle est plus insupportable à l’homme de goût que la laideur ; car la laideur est naturelle, et n’annonce par elle-même aucune prétention, aucun ridicule, aucun travers d’esprit. Un sauvage maniéré, un paysan, un pâtre, un artisan maniérés, sont des espèces de monstres qu’on n’imagine pas en nature ; cependant ils peuvent l’être en imitation. La manière est dans les arts ce qu’est la corruption des mœurs chez un peuple. Il me semblerait donc premièrement que la manière, soit dans les mœurs, soit dans le discours, soit dans les arts, est un vice de société policée ».
   Salon de 1769 (76 pages). Les critiques du Salon font 76 pages, sous forme de 17 lettres séparées.  « Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune » est un essai rédigé par Denis Diderot en 1568 et inséré l’année suivante dans la  Correspondance littéraire. L’écrivain avait rendu un service signaléà Marie-Thérèse Geoffrin, fameuse par le salon littéraire qu’elle tint avec tant de distinction. Pour lui témoigner sa reconnaissance, elle fit un jour déménager tous les pauvres meubles du philosophe et les remplaça par d’autres qui, quoique plus beaux et meilleurs, ne méritaient pas un éloge. Ce texte, écrit sur un ton ironique, est prétexte à une réflexion douce-amère sur le destin des philosophes, comme des artistes, face à la prospérité et les compromis auxquels on peut, l’âge aidant, se laisser aller : Il lance une réflexion « allégorique » sur la valeur marchande de l’art en face de sa valeur artistique. « Mes amis, gardez vos vieux amis. Mes amis, craignez l’atteinte de la richesse. Que mon exemple vous instruise. La pauvreté a ses franchises ; l’opulence a sa gêne ».
   Diderot fait parfois preuve d’« athéisme pictural », en parlant de la beauté dans la nature, notamment dans les paysages de Vernet, et en affirmant une large préférence de la scène mythologique, ou des motifs plus triviaux ou sensuels par rapport aux sujets sacrés portés par une idéologie de l’Eglise.
    Défendre l’école moderne « N’est-ce pas une façon de juger bien étrange que de ne regarder les Anciens que par leurs beaux côtés, […] et que de fermer les yeux sur leurs défauts, et de n’avoir au contraire les yeux ouverts que sur les défauts des Modernes, et que de les tenir opiniâtrement fermés sur leurs beautés ?» (Van Loo).
   Mais l’héritage antique n’est pas nié. Il donne l’Antiquité comme âge d’or de la culture et des arts, où la concurrence stimulait l’artiste et faisait progresser l’art. Diderot reste attaché à l’éducation par les arts, aux bienfaits de la concurrence artistique. Cependant, une différence importante réside dans le sujet. Ce que relève et apprécie Diderot, c’est le mélange, ou plutôt l’abolition des classes sociales face à l’art. La démarche de Diderot au fil de ses salons c’est la genèse de la critique d’art. Elle sera poursuivie par Baudelaire (1821-1867) un siècle plus tard qui lui donne le virage de la modernité.
   Au Siècle des Lumières, on élabore une « philosophie des Beaux-Arts » qui se divise en arts mécaniques d’une part, en arts libéraux d’autre part.
   À la recherche du vrai, Diderot substituera celle du sens. Et il ira plus avant dans la réflexion qui mène au seuil de la création. Critiquant l’enseignement académique Diderot affirme une nette préférence pour les coloristes – en donnant la primauté de la couleur sur le dessin – et engage les artistes à aller chercher l’inspiration dans la rue où s’expriment le mieux, selon lui, les passions humaines. D’autres textes essentiels apportent un éclairage particulier à la critique de Diderot qui ne tient aucunement compte de la caution officielle et exerce son esprit critique en toute indépendance. Diderot se réclamera toujours de cette liberté souveraine. «  L’œuvre se doit aussi d’éveiller les sens et permettre au spectateur d’être affectivement touché. Selon Diderot, le mouvement et le détail extraordinaire et expressif font tout le piquant d’une toile et attirent l’attention […] La question de la vraisemblance reste toujours un argument de poids dans la critique de Diderot. Cette qualité qui rend possible le mensonge de l’art, dépend du choix que fait l’artiste dans la conception de son œuvre. L’expression, quant à elle, dépend essentiellement de l’inspiration, [….] Le philosophe exige enfin que conception et expression soient mises au service du vraisemblable ». (Olivier Deshayes. Diderot ou la naissance de la critique d’art)
   « Les systèmes de pensée sur « L’esthétique » n’apparaissent qu’au XVIIIe siècle. Diderot en est l’un des principaux initiateurs qui pose comme essentiels la relativité du goût et ses avatars » (Idem)
    En 1751 et 1755 avant les Salons il avait écrit « Recherche philosophiques sur l’origine et la nature du beau » puis « L’histoire et le secret de la peinture en cire ». Ainsi, avec ses réflexions préalables aux Salons puis avec les Salons, il a donné une orientation et une force nouvelles à des recherches sur l’esthétique qui à cette époque sont souvent des interprétations conventionnelles. « Je puis m’être trompé dans mes jugements, (écrit-il dans sa chronique De Salon 1763)  soit par défaut de connaissance, soit par défaut de goût ; mais je proteste que je ne connais aucun des artistes dont j’ai parlé, autrement que par leurs ouvrages, et qu’il n’y a pas un mot dans ces feuilles que la haine ou la flatterie ait dicté. J’ai senti, et j’ai dit comme je sentais. La seule partialité dont je ne me sois pas garanti, parce que franchement je ne sais pas comment on s’en garantirait, c’est celle qu’on a tout naturellement pour certains sujets, ou pour certains faire »

Pistes de réflexion en philosophie morale et politique chez Diderot
                                                                      (Edith)
   Les expressions précédentes ont montré un philosophe multiple, pluriel, interrogatif, et il en va de même sur les questions, philosophiques, morales, et sur les questions politiques. Mais avec un thème directeur, lequel est : comment réaliser le bonheur de vivre ? Le bonheur de vivre pour tous, et comment lutter contre les conventions et contre les préjugés ?
   Alors je me suis appuyée sur trois ouvrages ! L’Encyclopédie Universelle, l’Encyclopédie Universalis, et puis un ouvrage d’Yves Benot « Diderot de l’athéisme à l’anti-colonialisme »
   Si j’ai choisi cette approche, c’est parce que Diderot a été un philosophe engagé. Sa philosophie est un engagement où sa vie et son œuvre sont mêlées, (de son propre aveu).
   C’est, comme cela a été évoqué, le siècle de Louis XV, les guerres, les premières colonisations, la multiplicité des théories économiques, avec les luttes qui opposent le Parlement janséniste à la cour acquise aux Jésuites, et Diderot prend partie sans arrêt. Il prend d’abord partie pour le déisme, puis, pour la religion naturelle, puis, il évolue vers le scepticisme, et enfin il devient athée.
   Diderot reconnaît l’importance des intellectuels, et celle de « honnêtes gens » (comme il dit) avec lesquels il discute, soit sur les émeutes paysannes, soit sur Dieu.
  Il a été le seul, et c’est aussi une marque de son engagement, à suivre le convoi funèbre de Montesquieu (en 1748).
   Il s’intéresse, comme cela a été dit, à toutes les sciences. Il est en relation avec : Condillac, Montesquieu, La Mettrie, Helvétius, d’Alembert, et tous ceux qui interrogent la totalité du monde. Et donc, il est très sensible à ceux qui comme Rousseau et d’autres, s’inspirent de l’apport des sciences. Et en ce sens, il s’oppose à l’esprit de système du 17ème siècle, de Descartes, Pascal, Spinoza.. Donc, il veut que succède à l’esprit de système, l’esprit de l’Encyclopédie, c’est-à-dire un esprit qui cherche à établir l’inventaire de toutes nos connaissances, pour les exploiter, et pour mettre en place, une société heureuse.
   Donc, autre point, sa métaphysique ne peut plus se reconnaître comme, métaphysique dualiste qui oppose l’objet et le sujet, le monde matériel et le monde observable, et ce qui le transcende, dieu. Pour lui, comme pour les scientifiques avec lequel il est en relation, directement ou indirectement « de la pierre à l’homme, du ver de terre à l’étoile, l’univers reste « un », parce qu’il est un tout, formé d’organismes  vivants, différents»  (Encyclopédie)
   Et là, dit-il : il en va de même pour la société ; la société elle harmonise les tendances individuelles de chacun. Chacun cherche sa satisfaction, recherche le bonheur. Et bien, la société doit harmoniser toutes les tendances, et donc subordonner l’intérêt privé à l’intérêt général. Mais malheureusement, les hommes sont souvent ignorants, pleins de préjugés, esclaves des pensées qui les font se prétendre, supérieurs ; et donc, les hommes deviennent, fanatiques, dogmatiques, injustes. Donc, il faut une morale pour éduquer les hommes.
   Alors, dit-il : nous vivons tous, et nous avons tous vécu depuis l’aube de l’humanité avec une morale. La morale de l’espèce, la morale naturelle, la morale générale commune à toutes les nations, toutes les cultures, donc la morale respectable, qui refuse l’inceste…
Et puis il y a une autre morale, qui est propre à chaque nation, à chaque culte, voire, à chaque groupe social, voire, à chaque individu. Et par ailleurs chacun est naturellement égoïste, cruel et veut tuer l’autre.
   Alors que doit faire la société ? Et bien, pour Diderot, ce que la société doit faire et essaie de faire depuis toujours, c’est mettre en place une morale universelle, qui permet effectivement, de réguler l’égoïsme et la cruauté, dans chacun.
 Et donc la liberté de chacun consiste à connaître les lois de nature, les lois de notre propre nature, pour faire, réaliser, grâce à la science, et, à la politique, une société heureuse. C’est toute sa démarche.
   En 1773, Diderot invité par Catherine II de Russie, va, à sa demande, établir : «  Les plans et les statuts des différents établissements ordonnés par sa majesté Catherine II de Russie », pour l’éducation de la jeunesse, pour l’utilité générale de son empire.
Il en ressort quatre questions :
1° Quel est le meilleur gouvernement pour un grand empire ?
2° Y a-t-il un seul cas, où il est permis à un sujet de porter la main sur son roi ?
3° Faut-il sacrifier au hasard d’une révolution, le bonheur de la génération présente pour le bonheur de la génération à venir ?
4° L’état sauvage est-il préférable à l’état policé ?
  Et donc, il dit, qu’il y a trois problèmes politiques
Le problème constitutionnel (problème actuel) – La République, régime idéal est-il possible dans un grand pays ?
  Le problème des moyens d’action. Y a t-il un droit à l’insurrection ?
Et, comment organiser un régime rationnel pour tous. ?
Alors, les réponses, Diderot va les donner dans l’Encyclopédie, avec aussi des contributions de Rousseau, du baron d’Holbach.
Et, il écrit, avec Helvétius, un article (toujours dans l’Encyclopédie) sur l’espèce humaine, où il dit, que la traite des noirs est inhumaine, (pas a humaine).

Débat

 

 Débat : ⇒ J’ai découvert Diderot à treize ans, et j’ai toujours de l’admiration pour ce philosophe. J’ai trouvé que c’était facile, et là je comprenais tout, c’était extraordinaire. Et si je suis devenue athée, c’est aussi grâce à lui.
   Je pense que s’il revenait aujourd’hui, il serait tout à fait d’actualité, même s’il ne pourrait pas être universel, tant les sciences ont évolué, progressé, et se sont spécialisées.

  Je reprends cette expression de Diderot dans « Le rêve de d’Alembert » parlant de l’homme : du « bipède déformé » ; lorsqu’il dit qu’il y a peut-être, pour lui, encore d’autres développements à subir, et d’autres accroissements qui nous sont inconnus, que l’homme n’est qu’à une étape, qu’un instant de son évolution, il serait assez en phase avec certaines conceptions transhumanistes, qui nous parlent d’un nouvel homme du troisième millénaire.
   Et je reviens sur l’épisode d’emprisonnement, qui est due aussi à un petit ouvrage dont il dénie être l’auteur, lequel est « Les bijoux indiscrets » où il fait parler le sexe des dames, et où, les deux personnages principaux, ne sont autres que : le roi, et Madame de Pompadour.

⇒  Il y a deux textes où Diderot utilise le dialogue, dont l’un ; « Jacques le fataliste »  où, se réclamant de la philosophie matérialiste d’Epicure et de Lucrèce, il moque le déterminisme avec l’enchaînement de situations dues au hasard qui créent le réel, il dénonce un certain finalisme : (Extrait)
« D’où venait-il ? Du lieu le plus prochain.
Le maître ne disait rien, et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive, du bien, du mal, est écrit là-haut ».
Le maître – Dîtes moi où l’on va ?
Jacques – Est-ce que l’on ne sait jamais où l’on va ? Personne n’en sait jamais rien, personne !
Le maître – Alors conduisez-moi.
Jacques – Comment puis-je vous conduire, si je ne sais pas où l’on va ?
Le maître – oui, mais tu as oublié ce qui est écrit. C’est bien le maître qui donne les ordres. Mais c’est jacques qui choisit lequel ; alors j’attends
Jacques  – Bon ! Je veux donc que vous me conduisiez : en avant !
Le maître – (regarde autour de lui, embarrassé) Je veux bien, mais en avant c’est où ?
Jacques – Je vais vous révéler un grand secret, une astuce séculaire de l’humanité. En avant, c’est partout. Partout où que vous regardiez, partout c’est en avant.
Le maître – Mais c’est magnifique Jacques !
Jacques – Oui, moi aussi, je trouve cela très beau
Le maître – Et bien Jacques, en avant !
    De cet ouvrage, « Jacques le fataliste », d’un passage,  un très beau film a été réalisé : « Mademoiselle de Jonquières »

⇒  J’ai retenu différentes choses, et je retiens, par exemple, qu’il aura démoli, attaqué, la valeur du mariage, et dit qu’une femme puisse avoir un enfant sans épouser son géniteur, sans le besoin de reconnaissance paternelle, donc il était en avance de l’air du temps.
  Je retiens dans le domaine scientifique l’idée qu’il développe de la transformation de l’espèce.
  Et enfin son approche politique, de l’harmonisation des sociétés, de l’intérêt particulier qui doit être subordonné à l’intérêt général.., donc, des propos des années 1770 qui sont toujours d’actualité. 

⇒ Texte d’Hervé :

L’écrivain du 18ème siècle était un esprit brillant

Enfant, il étudie chez les Jésuites et monte à Paris
Nourri de philosophie, de mathématique et d’anatomie,
Celui-ci vit de traductions, de pamphlets, en vivotant.
Y sopet, ces recueils de fables sont de son époque.
C érébrales, ses « Pensées philosophiques », quel fait marquant !
L e pouvoir est indisposé par son audace qui provoque.
O piniâtre, il publie l’Encyclopédie, c’est un apôtre ardent.
P antophile (ami de toute chose), ainsi l’a appelé Voltaire.
É rudit, il a écrit de nombreux ouvrages et romans,
D iscours, la critique des « Salons » est suggestive et littéraire.
I mpératrice, Catherine II le reçoit en Russie, quel bilan !
E nthousiaste de la vertu, il a laissé une nombreuse correspondance

 ⇒ Diderot est le fils de son époque, une illustration. Illustration de la liberté de pensée qui se fait jour, laquelle était jusque là prisonnière de la religion, prisonnière de l’idéalisme. Diderot est un passeur de l’idéalisme au matérialisme. La preuve est, que les grands penseurs de cette époque : Rousseau, d’Alembert, Goethe, vont également penser comme lui, la condition de l’homme.
  Diderot introduit sa conception de la matière. Il introduit une compréhension de l’animal, et il voyait déjà dans l’homme un animal qui avait évolué.
Même dans le domaine psychologique, il dit que la pensée est la coordination de particules matérielles, et toujours partant du principe matérialiste qu’il n’existe rien dans la pensée qui n’existe déjà dans les sensations.
Diderot a également traité de problèmes sociaux. Il pense à l’effet  que produisent la technique et l’industrie dans le développement de la conscience humaine, ce qui est une nouveauté pour son époque.

 L’idée, le souhait de Diderot est, qu’avec plus de connaissances nous serions plus heureux. Est-ce que cela s’est réalisé ?

⇒  Diderot est considéré comme le précurseur des drames bourgeois au Théâtre, notamment avec « le fils naturel ». Il a abordé le roman, la critique d’art, et chaque fois avec un talent époustouflant. Et aussi, ce qui n’est assez souligné, c’est la manière dont il aborde les choses ; manière à la fois simple, mais se servant beaucoup des allégories, et cela dans un sens poétique. Par exemple, dans l’entretien entre d’Alembert et Diderot, où il pose cette question : Entre un bloc de marbre,  et moi, bloc de chair, quelle différence ?  ; Alors s’établit ce dialogue, absolument dingue : la statue est de pierre, et la chair est plante. Mais la plante  c’est de la pierre pilée parce que c’est de la terre, comme une statue de pierre pilée, et vous consommez la plante… C’est époustouflant comment il va de l’allégorie à la poésie, pour nous dire finalement, la nature et nous c’est finalement, la même chose, l’être humain, c’est aussi la nature, comme cela l’est pour le marbre, la pierre, la plante…

⇒  Ce qui a animé Diderot toute sa vie, c’est sa soif de savoir, de la connaissance, pour la cristalliser, la transmettre, être utile. Est-ce qu’il n’est pas, vu sous cet angle, un républicain puisqu’il en fait une chose publique, du savoir partagé ?
  Parfois, je me plais à imaginer qu’on pourrait le faire revenir. Dans notre époque il serait abasourdi. Dans une classe de terminale, il ne comprendrait rien aux programmes. Dans un labo de physique encore moins, puis ensuite dans un fauteuil devant une chaîne commerciale un samedi soir, est-ce qu’il ne crierait pas, à la trahison ?

⇒  Internet aujourd’hui, c’est l’Encyclopédie vivante, dont tous peuvent profiter. Et c’est dans le même esprit que Diderot qui veut la connaissance soit accessible à tous : paysan, artisan.
  Si Diderot revenait, il serait surpris qu’on n’ait pas réglé certains problèmes, surtout il verrait que le mal est toujours très présent dans une société qui a pourtant, évolué.

⇒ Dans « le supplément au voyage de Bougainville » il évoque la fidélité sentimentale, le refus du changement de l’amour ; d’où cela vient-il, est-ce que ce sont les préjugés sociaux, est- ce que ce sont des aptitudes naturelles ? Cherchons, dit-il
Et par ailleurs, il dit, dans l’Encyclopédie, s’opposant en cela à Rousseau qu’il y a un beau luxe, et un mauvais luxe. Le mauvais luxe c’est le modèle de consommation des grands seigneurs, ceux à qui il faut une nombreuse et superflue domesticité, des chose somptueuses, des poules de luxe, des cours démesurées, des palais qui ne servent à rien. Et puis aussi, il y a l’imitation des grands seigneurs par les roturiers. Il dit, il faut aller outre ce modèle de consommation égoïste, mais vers un modèle de consommation qui accepte le bon luxe, car le luxe est bon, il est le fait du développement, il est l’abondance, l’enrichissement d’un pays. Et là, il s’oppose à Rousseau. Il demande aussi, comment réduire les inégalités sociales, tout en sachant qu’on ne pourra jamais les supprimer. 

⇒  On a évoqué Diderot et le théâtre, et dans ce domaine il nous a laissé le paradoxe devenu célèbre du comédien, aujourd’hui très commenté quant au jeu de l’acteur, quant à la distance et l’implication du comédien dans son personnage. Ce paradoxe du comédien dit : «  Je prétends que c’est la sensibilité qui fait les comédiens médiocres, l’extrême sensibilité les comédiens bornés, le sang-froid et la tête, les comédiens sublimes ».
    Et vouloir connaître Diderot passe inévitablement par tout ce courrier, ces « Lettres  à Sophie Volland », amour épistolaire ou plus. Les biographes se posent des questions : est-il au-delà des lettres enflammées réellement son amant ou pas ? Quelle relation avec la sœur de Sophie, Charlotte ? Quelle relation  entre les deux sœurs ? Diderot fait souvent allusion à l’homosexualité de Sophie, « Ma Sophie »,  écrit-il, « est homme et femme à la fois »,  et il évoque les relations particulières entre les deux sœurs, Sophie et Charlotte, et très souvent parlant de cette dernière, il parle d’Uranie. L’uraniste était le mot à l’époque pour dire l’homosexualité. On ne retrouvera aucune lettre de Sophie adressée à Diderot.

⇒  On a tendance à attribuer à Diderot, avec l’Encyclopédie, l’idée que c’est l’accumulation de connaissances qui amènera le progrès humain et le bonheur. Il n’a jamais dit ça. Il prévient qu’il peut y avoir contre effet, et ainsi à chaque fois il pose le sujet, et contre le sujet, il nous invite à utiliser nos connaissances. D’où la nécessité d’acquérir des connaissances.

⇒  Diderot serait le bienvenu au café-philo. Dans un ouvrage (De l’interprétation de la nature), il nous dit : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire »
On peut penser, quand on connaît l’œuvre du philosophe, que dans le propos de Diderot le mot « populaire » n’a pas la même connotation que celle que certains pouvaient lui donner : c’est-à-dire : la plèbe, le vulgaire, mais plutôt le sens de « connu ». Diderot souhaite que tous puissent accéder à une éducation, à un plus large savoir, à la connaissance, qui était jusque là l’apanage de la noblesse.
   C’est dans la démarche déjà une véritable rupture dans l’univers des savants et des philosophes des siècles passés. Nul ne s’était inquiété de ce manque de diffusion des savoirs.
  Evoquant l’Encyclopédie Diderot dira  « Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques, les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité ». Cette phrase de Diderot résonne encore à aux oreilles de tous ceux qui veulent participer à la promotion de la philosophie. Alors ! Qu’en est-il de ce conseil, de ce souhait de Diderot aujourd’hui ?
   La philosophie de Diderot était subversive. Philosopher a pu, en un temps, voire, souvent, être un acte subversif. Ce serait dommage de ne pas profiter de cette liberté.

⇒  Dans un texte « Dialogue d’un philosophe avec Madame la Maréchale  de …», Diderot dans l’esprit matérialiste propre à certains philosophes de ce temps, va imager, avec ironie,  une joute en paroles qui n’est pas sans rappeler le « pari de Pascal ».

La Maréchale –  N’êtes-vous pas Monsieur Diderot ?
Diderot           –  Oui, Madame
La Maréchale –  C’est donc vous qui ne croyiez en rien
Diderot           –  Moi-même
La Maréchale –  Cependant votre morale est d’un croyant ?
Diderot           –  Pourquoi non, quand on est un honnête homme ?
La Maréchale –  Que gagnez-vous à ne pas croire ?
Diderot         – Rien du tout, Madame la Maréchale. Est-ce qu’on croit parce qu’on a                                      quelque chose à gagner
La Maréchale –  Je ne sais ; mais la raison d’intérêt ne gâte rien aux affaires de ce monde                            ni      de l’autre                                    
                  ….Il me semble que si je n’avais rien à espérer ni craindre, quand je n’y   serai  plus, il y a bien des petites douceurs dont je ne me priverais point, à présent que j’y suis. J’avoue que je prête à Dieu à la petite semaine.
….oui ; on peut faire l’usure tant qu’on veut : on ne le ruine pas. Je sais                            bien que tout cela n’est pas délicat, mais qu’importe ? Comme le point c’est d’attraper le ciel, d’adresse ou de force, il faut tout porter en ligne de compte, ne négliger aucun profit. Hélas ! nous aurons beau faire, notre mise sera toujours bien mesquine en comparaison de la rentrée que nous attendons !

 ⇒ Beaucoup des manuscrits de Diderot ont été perdus. L’ouvrage « Jacques le fataliste » avait disparu et c’est Goethe qui le retrouvera. En reste t-il d’autres à découvrir ?

Œuvres, de Diderot :

Pensées philosophiques. Addition aux pensées philosophiques. 1746.
La promenade du sceptique. 1747.
Les bijoux indiscrets. 1748
Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. 1749.
De l’interprétation de la nature. 1753.
Lettres à Sophie Volland. De 1755 à 1769.
Le neveu de Rameau. 1762
Entretien entre d’Alembert et Diderot. 1769.
Le rêve de d’Alembert. 1769
Paradoxe sur le comédien. 1769.
Supplément au voyage de Bougainville 1772
Réfutation d’Helvétius. 1774.
Entretien d’un philosophe avec Madame la maréchale de…1776
La Religieuse 1776
Jacques le fataliste. 1776
Essai sur les règnes de Claude et de Néron. 1778.
Avec D’Alembert, et 140 contributeurs. L’encyclopédie. De 1751 à 1772.

Théâtre, comédie.

Le fils naturel. 1757
Le père de famille. 1758.
Est-il bon, est-il méchant ? 1777.

Critiques d’art.

Premier salon. 1759
Second salon. 1761.
Troisième salon. 1763.
Quatrième salon. Essais sur la peinture. 1765.
Cinquième salon. 1767.
Pensées détachées sur la peinture. 1777.

Biographies et oeuvres sur Diderot

Diderot : Collection, Le monde de la philosophie. 2008
Diderot ou le bonheur de penser. Jacques Attali. Pluriel/Fayard 2013.
Diderot ou le matérialisme enchanté. Elisabeth de Fontenay. Grasset. 1981.
Denis Diderot. La culture et l’éducation. Aline Beilin. Philosophie en cours. 2011.
Diderot. Du Matérialisme à la Politique. CNRS Editions. 2013.
Histoire de la philosophie. Diderot et l’Encyclopédie. Émile Bréhier. PUF. 1968.
Diderot, jour après jour. Raymond Trousson (Disponible à la Médiathèque de Chevilly-Larue)
Vies de Diderot. Pierre Chartier. 2012.

Films inspirés de l’œuvre de Diderot

Les dames du bois de Boulogne. Robert Bresson. 1945.
La religieuse. Jacques Rivette. 1966
Mystification ou l’histoire des portraits. Sandrine Rinaldi. 2005.
Mademoiselle de Jonquières. Emmanuel Mouret. 2018

 

 

 

 

 

 

 

Quel rôle, quel avenir pour les associations?

Théo van Ryseelberghe. 1903

Théo van Ryseelberghe. 1903     

Restitution du débat du 27 février 2019. Café-philo de Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

 Introduction : L’engagement associatif est un moyen de mesurer, dans les Etats, la notion du collectif ; elles sont un acquis social créant du lien.
Nous voyons qu’en France le nombre d’associations, le nombre d’adhérents des associations serait plutôt à la hausse depuis les années 80. Ceci pourrait être dû à : un  pic des « papy boomers », l’obligation des repos hebdomadaires, l’allongement des congés, la réduction du temps de travail. Peut-être doit-on prendre en compte également un temps gagné avec toutes les technologies utilisées dans différentes activités journalières.
On pouvait toutefois, craindre que dans une société où l’on a le sentiment que l’individualisme progresse, l’engagement associatif baisse. Et l’on pouvait même craindre que les nouveaux liens, les nouveaux modes de communication, nos réseaux de contacts, (famille, amis, relations), avec qui on peut être en relation presque à la seconde, créant de nouveaux mini-univers, agissent négativement sur l’engagement associatif, mais il n’en est rien.
Tout cela est rassurant, face à l’arrivée de ces immenses réseaux sociaux. Nombreux sont ceux parmi nous, qui appartiennent à un ou des réseaux sociaux.
Nous avons là, à la fois des associations réelles, et des associations virtuelles.
Les plus grandes « associations » du monde sont en nombre d’adhérents: Facebook, 2270 milliards, You Tube 1,9 milliards, WhatsApp 1,5 milliards, Instagram 1 milliard, mais je précise, qu’elles ne sont que virtuelles.
Lorsqu’on observe le camembert de répartition des activités associatives, ce qui vient en premier ce sont toutes les activités réunies sous la définition « culture », ceci pour 24%. Il s’agit du nombre d’associations, pas du nombre d’adhérents. Puis viennent ensuite les activités sportives pour 17%, et là le nombre d’adhérents est plus élevé (250.000 clubs sportifs) puis les activités de loisirs pour 12%, puis les amicales pour 7%.
Dans le monde rural on est à 35,4 % d’adhérents à des associations. A Paris le pourcentage est inférieur à 30%. La France est après la Suède le pays qui compte le plus d’associations.
Différentes sources donnent le chiffre de 21 millions de Français adhérents à des associations, soit hors les enfants, les personnes très âgées, pas loin d’un Français sur deux.
Si j’essaie d’en faire une analyse et de porter un jugement de valeur, je trouve cela encourageant. Cela nous dirait que le « vivre ensemble », l’intérêt de l’autre, le goût du partage, de faire quelque chose ensemble, est toujours très vivant dans ce pays.
On peut penser que cette progression du nombre d’associations est due à une impulsion donnée au cours des dernières décennies, leur offrant des outils d’assistance, des aides financières.
Par exemple, si demain les subventions étaient supprimées aux associations sportives, on risquerait de voir régresser l’activité sportive.
Donc l’Etat, via diverses structures aide financièrement ces associations, bravo ! Mais l’Etat y gagne beaucoup en retour. Ce gain est immense, pour autant qu’on puisse comptabiliser toute chose. Ce gain c’est tout le temps donné, je dis bien « donné », dans un monde où le temps serait de l’argent.
L’engagement bénévole est une source de richesse.
Ce qui est devenu association est aussi l’héritage d’une certaine façon, de mouvements, de structures souvent différentes que furent les confréries, les compagnonnages, les corporations.
Si vous aviez dit il y a cinquante ans qu’il y a aurait 1, 3 millions d’associations, 16 millions de bénévoles, 1,8millons de salariés d’associations, on vous aurait ri au nez. Donc, on peut en déduire que la société évolue dans un bon sens.
S’il est des associations qui peuvent fonctionner avec un très petit budget, voire presque avec que les cotisations des membres, certaines ne peuvent exister sans subventions, et depuis quelques années les contraintes budgétaires que connaissent les collectivités amènent ces dernières à réduire les subventions ; ce qui peut mettre en péril certaines activités essentielles.
Pour l’avenir du monde associatif, si l’on a le sentiment que l’individualisme est plus présent qu’il a cinquante ans, cela n’influe pas sur l’engagement, et la France reste un des pays où l’engagement associatif reste le plus fort. Et je trouve que c’est encourageant, que l’investissement personnel, l’engagement citoyen ne faiblit pas ; ça nous conforte dans notre confiance en l’homme, et encore plus dans la femme, puisque ce sont les femmes qui, les chiffres le montrent, s’engagent le plus dans la vie associative.  En cela on peut être optimiste.

Débat Débat : ⇒   Le mot, association, est lié à « société », du latin « socius » désignant « l’allié, le compagnon », c’est-à-dire « celui avec lequel on mange le pain ». Donc une société c’est le fait d’un regroupement, qui est le contraire d’un isolement, de la dispersion, de la guerre, de la guerre de chacun contre tous.
Le sociologue Émile Durkheim, dit : une société est une organisation de gens qui vivent en compagnie, les uns avec les autres, dans une coordination soit horizontale, soit verticale. Et c’est aussi selon Rousseau «  une association volontaire »  qui regroupe des personnes qui passent contrat.
Une association n’est pas la même chose qu’une communauté. La communauté est un ensemble d’individus qui ont quelque chose de commun, qui communient ensemble, qui partagent. Donc, l’idée d’un lien, et aussi de partage, ce qu’il n’y a pas en association.
Toute association est un regroupement d’individus qui passent contrat, en vue d’une activité, ou d’un but. Cela veut dire, que cela relève d’un consentement, c’est pour cela qu’on dit : qu’on adhère. C’est un contrat de droit privé, une association à but non lucratif et d’utilité publique reconnue par l’État. Donc, les membres d’une telle assemblée sont bénévoles, et n’ont pas le droit de toucher de l’argent, de partager entre eux l’argent qu’ils peuvent recevoir : de l’argent qu’ils reçoivent soit de l’État, de la commune, des collectivités ou des adhérents…
Si il y a un développement des associations, c’est parce qu’il a une décrédibilité de l’action politique, et pour fuir cette société marchande, fuir les partis et c’est parce que d’autre part, avec le développement du capitalisme marchand, les gens s’investissent dans les associations à but non lucratif pour  fuir une société qui n’aurait comme but que la compétitivité.
Ce développement des associations a pour conséquence qu’elles deviennent des objectifs, et c’est comme une réponse sociale. Et l’on voit qu’il ya de plus en plus d’associations dans des petites communes, dans des territoires périphériques.
Finalement, si les associations se développent comme le dit Raphaël Glucksmann, nous sommes en train de passer de l’impasse individualiste d’une société marchande au réveil citoyen ; il écrit : « Nous pensions que la démocratie sociale allait s’étendre sur tout le globe, mais elle est en crise partout. Nous chantions les bienfaits des échanges, mais la mixité sociale recule partout, et de nouveaux murs s’érigent chaque jour»
   Alors, pour ne pas tout perdre, nous devons sortir de l’individualisme, et de différentes formes de multiculturalisme, communautaires et aussi, de partis.

⇒ Je suis Président d’une amicale.  Il a fallu la déclarer alors qu’il n’y a pas d’adhérents; cette association regroupe tous ceux qui sont allés en Algérie de 1954 à 1962 au même endroit c’est-à-dire à Bou Saâda. Cela nous dit que la vie de certaines associations est inscrite dans le temps.

⇒ La question est posée de savoir : qui parmi les présents est adhérent d’une ou plusieurs associations. La plupart d’entre-nous fait partie d’une ou plusieurs associations, de deux à cinq associations différentes. Cela veut dire qu’il y aurait tout de même un profil de l’adhérent, de l’acteur du monde associatif, et cela, en regard des chiffres annoncés quant à l’engagement numérique, il y a peut-être à pondérer les chiffres.

⇒ Y a t-il des profils de  gens qui ne rejoindront jamais une association ?

⇒  Je rencontre des gens différents dans mon association, mais c’est vrai que nous avons des points communs : besoin de s’investir, besoin de partager, besoin de rencontrer les autres.

⇒ Si on a besoin de déclarer une association en Préfecture, je pense que c’est parce que l’État doit savoir ce que font les gens qui se regroupent.

⇒ Les groupes : guildes, corporations, compagnonnages, fraternités, sociétés diverses, ont toujours été très surveillés, surtout lors des pouvoirs absolus; ainsi sous Napoléon (par exemple) les associations de plus de 20 personnes étaient interdites. Les associations ont une longue histoire, avec des interdits, et tour à tour des lois pour les encadrer.

⇒ Ce qui nous intéresse plus particulièrement du point de vue philosophique, ce sont les raisons, les motivations, qui font que des personnes vont rejoindre des associations, voire  s’engager, donner du temps comme bénévoles.
Est-ce que c’est simplement pour le plaisir, Est-ce un élan humaniste, d’ordre empathique, de générosité du cœur, comme s’engager dans l’action caritative ? Est-ce que c’est un besoin de lien social ? Un besoin de faire quelque chose d’utile, pour soi, pour les autres ? Un engagement citoyen ? Pour connaître d’autres personnes ? Pour un besoin d’appartenance, faire partie d’un groupe ? Pour, à partir d’un pôle d’intérêt,  partager avec d’autres ce que l’on a en commun ? Voire aussi le goût de transmettre?
Mais la création d’une association peut être aussi celle d’une association de défense.
Et puis ce qui rend difficile de vouloir cerner la personnalité du participant au monde associatif, c’est l’extrême diversité des mouvements associatifs. De fait, quoi de commun entre l’amicale des joueurs de boules, une ONG, une association féministe, une association de droits des animaux, et le Secours populaire ?
Une étude européenne constate que ce sont les plus âgés qui s’engagent, que les pays du nord ont plus d’associations que les pays du sud, que les pays où il a le moins d’État sont ceux où y a le plus d’associations, ce qui nous dit que peut-être que là où l’Etat se désengage, la population compense. Les chiffres sont difficiles à interpréter.

⇒ C’est si varié, qu’on a aussi des « associations de malfaiteurs » (non déclarées) !

⇒ Pourquoi des gens rejoignent-ils des associations ? Je pense que c’est parce que cela leur permet d’agir dans une activité où ils ne pourraient rien faire seuls ; l’association alors devient un passage obligé.

⇒ Si on est joueur de boules, on ne peut pas jouer seul, il faut en plus être organisés pour avoir un boulodrome, un local, etc. Il y a l’activité et en plus la vie d’un groupe.

⇒ Le regroupement associatif, ne valide pas l’expression : « Qui se ressemble s’assemble », car nous sommes dans nos associations avec nos différences, d’origine, de religion, d’options politiques. Autour d’un intérêt commun, même si on ne se ressemble pas, on s’assemble. C’est un engagement citoyen au-delà de toute différence. Le mouvement associatif est un des piliers de la démocratie, il est à défendre car est il est aussi un acquis social.

⇒ Il y a un déficit de renouvellement chez les adhérents, et surtout pour les responsables d’associations. Alors, est-ce que cela traduit un moindre engagement générationnel, ou, est-ce que ce sont des modèles d’associations qui sont vieillissants, ou l’engagement se fait-il sur de nouveaux types d’associations ?
On voit se créer de nouvelles associations : ce sont par exemple, les AMAP, Associations écologiques, pour la pureté de l’air, de consommateurs, de circuits courts, de systèmes de partage, d’épargne solidaire. Donc, la société change, de même le monde associatif ne cesse de changer de forme.

⇒ La crainte reste qu’en regard de la baisse des dotations des collectivités à cause des transferts de charges qui alourdissent leurs finances, les subventions d’associations connaissent des baisses significatives, ce qui mettrait en danger des activités associatives, comme les associations sportives par exemple, qui jouent un rôle important auprès des plus jeunes.

⇒ Si on valorisait le temps donné par les bénévoles, les charges, et s’il s’agissait de salaires, on arriverait à des sommes importantes, lesquelles sont au-delà des subventions. Si on fait un bilan Actif/Passif, c’est positif au niveau d’un État, et cela encore plus dans le domaine caritatif que le travail soit pris en charge par les bénévoles des associations dans certains cas..

⇒ De fait, le mouvement associatif participe  au PIB. On imagine le coût des bénévoles qui encadrent les enfants qui font du sport ?

⇒ Dans le domaine caritatif, que ce soit « les restos du cœur », ou l’aide aux SDF, des personnes expriment souvent cette idée : – oui, on donne, mais aussi, on reçoit, et cela peut donner aussi des petits bonheurs.

⇒ Les engagements caritatifs correspondent à quelque chose qui est en nous : empathie, amour de l’autre, pitié, compassion. C’est vrai on agit pour l’autre, et on agit pour soi.

⇒ L’engagement, et plus particulièrement l’action caritative, c’est aussi vouloir donner du sens à sa vie.

⇒ Je fais partie d’une association de poètes : créations, spectacles, promotions… C’est vrai que nous n’y voyons que peu de plus jeunes arriver. De fait, ils sont tout aussi actifs, mais ils sont surtout sur des réseaux, ces « associations virtuelles », lesquelles sont des entreprises. Il n’y a pas la rencontre de l’autre.

⇒ Notre société avec plus de précarité de l’emploi, la flexibilité, avec des horaires indéfinis, ne laissent pas l’esprit assez libre pour s’engager dans un mouvement associatif. Nombreux sont ceux qui de fait sont moins disponibles. Il y a alors, un phénomène d’éloignement, avec deux conséquences : une frustration de ne pouvoir participer à des activités en commun, et un manque de partage citoyen.

⇒ La vie associative, est ce « plus » qui  nous permet d’être acteur de la vie publique ; elle est ce moyen d’avoir une vie sociale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La liberté d’expression: jusqu’où?

 

André Gil. Madame Anastasia. 1814. Document BNF.

André Gil. Madame Anastasia. 1814. Document BNF.

Restitution du  23 janvier 2019 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier.

Introduction (En préambule) : Vous avez pu voir sur l’affiche annonçant, illustrant ce débat une vieille femme laide armée de ciseaux démesurés; c’est le personnage d’Anastasia, (ou Anastasie),  figure la censure (d’où les grands ciseaux).
Après les dérapages de langage des derniers mois, ceux qui ont fait « le buzz », après le projet de loi pour lutter contre les fake news,  avec une certaine police du langage en rupture avec une habituelle liberté d’expression, une grande liberté héritée de mai 68, se pose à nouveau la question : « La liberté d’expression : jusqu’où ?
C’est une récente actualité qui a d’abord suscité cette question. Eric Zemmour le 16 septembre dernier sur un plateau de télé, qui dit à une jeune femme, Hapsatou Sy, chroniqueuse sur une télévision : « Normalement chez moi, on doit donner des prénoms dans ce qu’on appelle le calendrier ». Quelques jours plus tard le même Zemmour répond à un publication de la chroniqueuse sur son compte instagram, (je le cite) : «  Votre prénom est un insulte à la France. La France n’est pas une terre vierge. C’est une terre avec une Histoire, un passé, et les prénoms incarnent l’Histoire de France ».
Je dirais, que ces propos font honte à l’esprit de tolérance qui fait partie de nos valeurs. De plus est-ce que cela ne constituerait pas un délit en regard de l’article 1er de la loi Gayssot (du 13 Juillet 1990) qui parle de la « discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ». N’y a-t-il pas là franchissement de la ligne jaune quant à la liberté d’expression ?
Dans cette même période ; l’écrivain Yann Moix, commentant des émeutes en banlieue déclare : « Les flics ne veulent plus aller en banlieue, ils chient dans leur froc ». Entre la vulgarité, l’irrespect et la provocation, que penser de ce propos ?
Et encore plus violent, et semblant relever (à mon sens) du délit de racisme,  le rappeur, Nick Konrad : dit dans un clip encore sur Internet, qu’il faut « pendre les bébés blancs  » (je cite quelques paroles de sa chanson) : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, Attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps, divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands. Fouettez-les fort, faites-le franchement, que ça pue la mort, que ça pisse le sang ». « Pendez les blancs, et si ces hyènes s’accrochent aux lianes, descendez-les très brutalement…« , Vidéo sur  http://dakarbuzz.net/2018/09/26/video-pendez-les-blancs-le-clip-raciste-dun-rappeur-francais-qui-fait-scandale/
     Imaginez, un instant, que dans le texte de la chanson le mot blanc, soit remplacé par le mot, noir. J’aurais été tout aussi choqué. Et je me demande si Médiapart aurait défendu ce propos comme il l’a fait (dans un article, sur son site) pour le texte incriminé, en évoquant : le second degré, et de citer le rappeur pour qui il  n’y a pas de volonté d’inciter à la haine, et que c’était proposer une version différente de l’esclavage. Et enveloppant l’affaire dans un second degré l’article se réfère à Brassens ; ça a un côté grand écart du relativisme.  https://blogs.mediapart.fr/cuenod/blog/280918/faut-il-pendre-les-blancs
   De plus, d’où l’on parle donne un écho autre aux  propos. Si au café du coin un buveur de pastis parle de : gaulois réfractaires, de fainéants, de région d’alcooliques, des chômeuses femmes illettrées…, ça n’a pas la même portée que si c’est un Président de la République.
Je ne vois pas un général de Gaulle parlant ainsi aux Français, on a en mémoire ce titre d’un essai littéraire: « Un Président ne devrait pas dire ça ». L’exemple doit toujours venir d’en haut.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen définit la liberté d’expression comme « un droit des plus précieux ; lire, parler, écrire, imprimer librement, sauf, à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
A savoir : ne pas diffamer, ne pas porter atteinte à la vie privée (là, on pense aux Paparazzi, aux journaux people), ne pas inciter à la haine, au racisme, au crime. Et (précision de la loi) excluant ce qui pourrait être considéré comme un trouble à l’ordre public, (ce qui ouvre un certain champ d’appréciation pour les pouvoirs en place).
Donc, je résume la limite à ne pas franchir : Incitation à la haine raciale, éthnique ou religieuse, apologie du crime, du terrorisme, discrimination sexuelle, de handicap, négationnisme.
La liberté d’expression je l’observe en divers lieux et je me dois de l’observer, de contrôler également mon langage.
C’est, au final, mesurer l’impact de ses propos sans devoir pour autant s’auto-censurer. Ce qui ouvre trois champs.
1° Ethique de conviction : ce que je pense, je le dis sans fard, car pour moi me taire serait une lâcheté, ce fut le cas pour Voltaire avec l’affaire Calas (par exemple). Et je mesure bien que  dire vrai peu aussi faire des dégâts, ce que j’assume dès lors que j’exprime ma conviction. « N’ayez pas honte de dire ce qu’on n’a pas honte de penser » dit une sagesse populaire.
La liberté d’expression peut vous faire risquer votre vie, c’est mourir pour des idées.
Ou
  2°Ethique de responsabilité, si je considère que dire et dénoncer ne sera pas un moyen agissant, et que cela pourra faire plus de mal que de bien, alors je m’abstiens.
La liberté d’expression n’est pas obligation de tout dire, elle comporte l’obligation, le devoir par respect d’autrui de mesurer ce qu’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire.  Je me méfie de ces expressions, comme : « je dis tout haut ce que les autres pensent tout bas » ou tout autre idiotie de ce genre. Et la franchise dit souvent des choses qu’on ne lui demandait pas.
Mais l’éthique de responsabilité peut aussi m’obliger. Se taire, taire une chose qui peut être conséquente engage notre responsabilité, c’est le silence complice. Il y a des silences qui tuent, qui sont des lâchetés, «  Les paroles des méchants tuent, les silences des bons tuent » (Martin Luther King) .
Nous pourrions débattre longuement sur la liberté d’expression dans les siècles passés, Nous sommes dans une époque où la liberté d’expression n’a jamais été aussi grande, mais, avec à la fois des dérapages et des interdits.
Alors comment, en toute raison fixer des limites, et quelles limites ?

 Débat : ⇒  On est loin de l’époque du Chevalier de la Barre décapité en 1766 condamné pour des propos rapportés et pour ne pas s’être décoiffé au passage d’une procession.

⇒  Il y a des groupes qui veulent semer le trouble.  Ce qu’on va retrouver  dans certains propos  des « indigènes de le République » des « déracisés », des « décolonisés » qui participent à une volonté des créer des clivages dans la société. C’est semer le trouble dans l’ordre public.

⇒  J’ai trouvé dans un récent numéro du Journal du dimanche un article traitant de ce sujet. C’est à partir d’une interview  de Philippe Val, journaliste, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo. L’article avait pour titre : « L’enfer de Val ». Ce dernier vit 24 heures sur 24, sous la protection policière.
Il est menacé de mort pour avoir demandé que soit retiré du Coran l’appel à tuer des incroyants, des juifs, des catholiques. Et d’autres personnes sont également protégées par la police pour avoir osé s’exprimer face aux islamistes.
Cela finir par créer un climat où il y a de l’auto censure, on ne peut plus débattre de certains sujets, ou alors on prend le risque qu’on vous tombe dessus. Entre une époque où on pouvait tout dire (il était interdit d’interdire), et notre époque, (où souvent on se tait), on est un peu passé d’un extrême à l’autre.
Et je pense aux personnes sous protection policière qui ne connaissent plus le bonheur de marcher seul dans la rue.

⇒ La liberté d’expression, comme la liberté de conscience, est un acquis de la démocratie. Mais, en dehors de cette liberté, et pour qu’elle reste libre, il nous appartient de savoir trouver la bonne mesure : suivant le contexte, suivant les personnes à qui l’on s’adresse. Ce n’est pas se taire dans la crainte, cela peut être ne pas dire par respect, ne pas choquer, voire ne pas choquer gratuitement.

⇒  Il y a des débats où il est difficile de s’exprimer, même d’aborder le sujet. Si vous posez une question sur l’immigration, sur les chiffres, vous aller trouver quelqu’un qui va vous cataloguer de raciste, alors que c’est un sujet de société qu’on veut pouvoir comprendre, faire la part du vrai et du faux.

⇒  Je pense que ce droit imprescriptible qu’est la liberté d’expression, doit s’accompagner impérativement, du devoir de bien dire les choses, «  Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » (Camus). Quand on emprunte des propos émis de façon désinvolte, ça finit par créer des conflits ; alors que si les choses avaient été bien dites, avec une base intellectuelle, on n’en arriverait pas là.
D’autre part, je reviens sur le cas de  Zemmour. Ce qui est dommage c’est que dans les médias les attaques soient ad hominem, alors qu’il faudrait lui répondre avec des arguments, attaquer ce qu’il dit, pas la personne.

⇒  Il y a eu plein de chansons interdites, du « Déserteur » ou des chansons de Léo Ferré, mais aucune n’a jamais appelé au crime, ni incité à la haine.

⇒  Aujourd’hui on constate des précautions langagières sur certains sujets. Ça peut être, la religion, l’immigration. Emettre une critique du Coran fait de vous un islamophobe. Schopenhauer en son temps dans la critique des trois monothéismes, disait que ces religions portaient aussi en elles de l’intolérance.

⇒  Je relis en ce moment Spinoza, le Traité théologico-politique, et je vois toute sa liberté d’expression, laquelle lui a valu d’être exclu de sa religion, de sa communauté. Et cette liberté d’expression l’amène à un propos politique qui serait banal aujourd’hui, mais qui était osé au 17ème siècle.

⇒  Certaines expressions artistiques permettent la transgression, mais pose la question des limites. Par exemple en 2016 le Musée Beaubourg expose des tableaux du peintre allemand Anselm Kiefer ; un ou plusieurs tableaux montrent un homme dans un champ qui fait un salut hitlérien. Les commentaires de ces œuvres, nous expliquent qu’il veut par là, se réapproprier l’Histoire de l’Allemagne. Soit ! Mais tous les visiteurs ne l’ont pas reçu ainsi. Le geste lourdement chargé de symbolique, a choqué des visiteurs en regard du poids de l’Histoire.
Dans un genre moins grave, on sait quel scandale avait provoqué l’exposition du tableau de Courbet, « L’origine du monde »
Alors, est-ce que même, par les voies artistiques on peut s’exprimer sans tenir compte, se questionner sur l’impact, ou sur le ressenti qui peut raviver des blessures ?

⇒  En  octobre 2018,  l’Assemblée Nationale a adopté un projet de loi relatif à « La lutte contre la manipulation de l’information » ; loi qui reste évoquée, (anglomanie oblige) loi contre les fake news. Elle fait l’objet de débat car s’il faut être très vigilant et lutter contre les dangereuses fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, pour beaucoup elle ne peut, une fois pour toute, valider comme vérité officielle des commentaires de grands médias
Nombre de français émettent un doute profond quant à l’objectivité de l’information, quant à la totale indépendance des contenus rédactionnels des médias. Alors, cette loi est ressentie, ou : comme loi protectrice en regard de la liberté d’expression, ou loi liberticide.
Dans ce même sens fin  juillet 2018 a été votée une loi sur le secret des affaires (un jour de départ en vacances des Français). Nombre de journalistes parleront de « Loi du silence ». Cette loi ; «  restreint la liberté d’expression  au profit de l’opacité des entreprises » dit un article dans le journal Libération
Au final, cette loi, amènera t-elle, dans les rédactions une autocensure ? Est-ce que cette loi ne vise pas aussi les lanceurs d’alertes ? Alors serait revenue, Anastasie, la dame de la censure avec ses ciseaux.
La liberté d’expression est un combat de toujours.

⇒ Il y a toujours eu des fake news. Et là, c’est comme si on attendait de l’État de nous immuniser contre les fausses nouvelles. Alors que, si on écoute le message des Lumières, il nous appartient déjà de « penser par nous-mêmes » ; juger par la connaissance, la raison, et être en mesure de débusquer les fausses nouvelles.
Alors, vouloir mettre un filtre sur tout ce qui est dit, et en extraire la vérité, ça me semble difficile.

⇒  Les gens n’ont jamais eu autant de connaissances, mais, avec les réseaux sociaux, on a ouvert les vannes. N’importe qui, peut publier n’importe quoi. Et les gens les plus motivés par une croyance vont consulter les mêmes sites d’expression. Laquelle n’est souvent que l’expression du petit groupe très actif.

Vous pouvez créer un site avec un forum de discussion, mais il faut être conscient que vous restez responsable en tant qu’éditeur des propos tenus dans ce dit forum de discussion.
La liberté d’expression a trouvé avec les réseaux de nouveaux chemins de liberté, mais ils ne sont pas sans risques, et des internautes se sentent libres de tout dire, voire d’insulter, ce qui a pu coûter cher à certains parfois. Ainsi, je voyais un jugement de la cour de cassation d’avril 2013 qui condamne une personne, laquelle sur sa page facebook, parlant des directrices de son entreprise, les traite de « chieuses », de « mal baisées », de « connes ». Nos propos nous engagent, nos écrits nous engagent.
Si vous publiez sur Le Net, vous ne trouverez pas tout de suite, en saisissant le titre de votre sujet,  ce que vous avez publié, il faudra attendre quelques jours, voire une semaine pour qu’apparaisse votre sujet sur Google. Cela  découle du fait que même si l’on entend souvent « Internet c’est tout et n’importe quoi », il y a quand même un contrôle de ce qui est publié. Et cela c’est le travail d’environ 100.000 personnes de par le monde, des modérateurs, ceux qu’on appelle : « Les petites mains du Net », ou, les « patrouilleurs de l’ombre » qui surveillent textes et images douteuses.
Il appartient encore aujourd’hui, malgré « l’intelligence Artificielle » à des personnes de définir ce qui est publiable, de ce qui ne l’est pas. Et la situation se complexifie quand on sait que ce qui choque un Américain, ou un Asiatique, n’est pas ce qui choque un Européen. On aura beau faire ingurgiter à un logiciel, la Déclaration de droit de l’homme et du citoyen, on aura beau leur faire avaler la signification de tous les symboles, par exemple reconnaître une croix gammée, le logiciel passera à côté du second degré, il aurait  laissé passé sans broncher, « un Durafour crématoire ».

 ⇒ Récemment a été publiée sur Internet une liste de 70 députés qui n’ont pas voté une loi concernant les élèves handicapés. Un site commente ainsi : « Ceci vous collera à la peau comme une infamie ». Cela nous pose la question : peut-on livrer ces députés à la vindicte populaire ? Même si je pense qu’il est utile de connaître les votes de nos élus, la méthode me questionne.

⇒ Qu’on mette des gens sur des listes publiées, ça me gêne.

 ⇒  Est-ce que par rapport à Mai 68 on serait passé dans un certain politiquement correct ? Ce politiquement correct que dénoncent les médias en l’assimilant aussitôt à du complotisme.
Aujourd’hui, est-ce que des Coluche, ou des Desproges, pourraient encore tenir les mêmes propos. Réécoutez-les et vous verrez que ça ne passerait pas. Est-ce que notre société compterait plus d’individus inaptes à saisir les seconds degrés ?
Je pense qu’on est rentré dans un certain conformisme du langage. Par exemple, je me souviens dans un débat d’avoir cités quelques philosophes, dont Alain Finkielkraut et Michel Onfray, et là, j’ai entendu – ah non ! Pas ceux-là ! –Ah bon qu’avez-vous lu des ces philosophes, qu’est-ce qui vous a déplu. La réponse fut – je ne les ai jamais lus, mais j’en ai entendu parler à la télé.
Et toujours face à ce conformisme, on n’ose pas trop dire que l’on n’apprécie pas, tel écrivain, tel peintre, de peur qu’on vous taxe de béotien. Mais, aussi, je me suis aperçu, que si j’osais dire que je n’aimais pas tel peintre, tel écrivain, il y avait d’autres personnes qui me disaient penser comme moi. On peut être face à un diktat du bon goût, qu’on n’ose pas affronter.

 ⇒ La liberté d’expression demande aussi une éducation, sinon elle s’exprime plus par la violence. En mai 68 l’expression était forte, vive, mais c’était celle d’étudiants qui savaient s’exprimer.

 ⇒  Il y a quatre ans c’était la tuerie à Charlie Hebdo et à l’épicerie Casher.
En 2015, un spectacle à partir d’écrits de Charb, (tué à Charlie Hebdo) a été présenté dans diverses salles en France. Ce spectacle s’appelait «  Lettre aux escrocs de l’islamophobie». De nombreuses municipalités ont refusé de donner ce spectacle. Par crainte, ou autre motivation ? J’ai pu le voir à Paris, il y avait quatre policiers devant le théâtre. La liberté d’expression peut être un acte de courage, comme elle peut se briser sur la lâcheté.

 ⇒ La liberté d’expression est aussi souvent évoquée concernant les médias. Cette liberté s’accompagne de règles déontologiques ; ainsi vous pourrez voir à la télé en Espagne des images gros plan d’immigrants noyés, images que ne montreraient pas nos médias.
Par ailleurs, le reproche le plus courant à l’égard des médias, est d’ordre politique : beaucoup de pluralité de publication, mais un déficit de pluralité d’opinion. La dépendance financière des médias, met le doute. Un industriel qui investit dans un média choisira-t-il un chef de rédaction avec une ligne rédactionnelle allant à l’encontre de ses intérêts. On connaît l’expression « Qui paie l’orchestre, choisit la chanson » (Ignacio Ramonet).
Toutefois il faut reconnaître que certaines télés invitent des « opposants » à  s’exprimer, et les éditorialistes feront leurs conclusions.
Entre le « nerf de la guerre » (l’argent)  et la totale liberté d’expression, limite ou pas limite ?

 ⇒ Est-on  jamais totalement objectif, souvent nos opinions sont orientées, voire à notre insu.

⇒ Dans le monde du travail la liberté d’expression est limitée. L’ordre hiérarchique limite ce qu’on peut dire, alors on se soumet.

 ⇒  Dans cette liberté d’expression, on peut être dans la servitude forcée, ou la servitude volontaire. Et puis, sujet d’actualité, on parle beaucoup d’expression par le référendum. J’ai tendance à penser que l’expression par référendum ne répond pas toujours directement à la question.

 G⇒Je ne me méfie pas trop des référendums, mais des questions des référendums. On nous propose un « grand débat », mais il nous est présenté cadré, limité en quatre lignes. Hors ces sujets, on ne veut pas entendre votre expression, alors que tout peut être abordé, et que le traitement de tout ça peut être mouliné par des ordinateurs afin connaître les principales préoccupations.

 ⇒ Je regrette dans l’expression des médias un manque de pluralité d’expression. Ainsi concernant certains chefs d’État étrangers il n’y a qu’une forme d’expression : les gentils, les méchants, sont fixés une fois pour toute.

 ⇒ Je suis plus favorable aux référendums, qu’aux sondages d’opinion. Car lors d’un référendum, il y a une campagne, des débats, de l’expression qui peut nous éclairer. Un grand choix sociétal décidé par référendum, on ne va pas le contester ensuite.

 ⇒  Liberté d’expression, jusqu’où ? Moi, je m’en remets à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, soit : tout ce qui ne nuit pas à autrui.

 ⇒  Je retiens qu’on a défini la liberté d’expression, en la liant à la nécessité de s’informer avant de s’exprimer.

Y a t-il des limites à l’hospitalité?

 

Le juif errant Chagall 1925

Le juif errant Chagall 1925

Restitution du  13 décembre 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Modérateur: Hervé Donjon
Introduction : Edith.

Introduction : Le texte accompagnant l’affiche invitant à ce débat, indique bien que cette question implique plusieurs problèmes (Je cite) « Nous avons vu ces images de colonnes de réfugiés, ou les migrants sur des barques surchargées, nous avons tous entendu parler de ces milliers de naufragés ».
  Un problème linguistique d’abord : comment nommer ceux auxquels on propose l’hospitalité ? De qui sommes- nous les hôtes ? Et qui sont ceux  que l’on accueille ou pas ? Ensuite, le même texte disait : « Ces images, ces informations nous interpellent.., mais au-delà du défi aux gouvernements, c’est aussi au niveau individuel, un cas de conscience. Alors, quant à mettre des limites à l’hospitalité, entre raisons du cœur et raisons économiques, comment répondre ? » La question implique aussi un problème existentiel : dois-je choisir entre accueillir «  toute la misère du monde » (Rocard 1989) ; il paraît que la phrase était «  La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais doit en prendre sa part »,  ou comme Mitterrand parler de seuil de tolérance, repris par Walls (2015) à propos des Roms, et par Macron en 2017.
Puis-je choisir entre ce que je ressens comme un devoir moral, et ce qui est une contrainte politique liée à des impératifs économiques ? La question implique donc bien  de réfléchir  à des problèmes  philosophiques : que signifie hospitalité ? En soi, et pour moi : toujours et aujourd’hui. Que signifie limites ? Pour tous et pour moi : en fonction de notre histoire et de notre actualité.
La question est d’une actualité internationale brûlante sur le plan juridique: hier 11 décembre a été discuté au Maroc, le Pacte de Marrakech proposé par l’ONU (l’Organisation des Nations Unies) pour que les Etats s’accordent à mener une politique humaniste des migrations, conforme à la  Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). 150 pays ont adopté lundi ce pacte, « le Pacte mondial sur les migrations » des Nations unies, en le défendant par de vibrants plaidoyers face aux critiques des nationalistes et partisans de la fermeture des frontières. « Nous ne devons pas succomber à la peur », a exhorté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avant l’adoption formelle de ce texte destiné à renforcer la coopération internationale pour une « migration sûre, ordonnée et régulière« . Comme d’autres dirigeants présents à Marrakech, M. Guterres a aussi dénoncé les « nombreux mensonges » sur le Pacte qui a généré des tensions politiques dans plusieurs pays.
Et c’est un texte juridique  qui répond à une question d’actualité mondiale à traiter d’urgence. En 2005, 191 millions de personnes (3% de la population mondiale) vivaient en dehors de leur pays d’origine et, parmi elles 9,2 millions de réfugiés ayant fui des conflits armés, des désastres naturels, la famine ou la persécution. En 2013, était estimé à 232 millions le nombre de migrants dans le monde (près de 3,4 % de la population mondiale) ; ce sans compter la masse des illégaux et les clandestins – estimés à une quinzaine de millions et les sans papiers dans le monde occidental ; près d’un milliard si on intègre les migrants internes c’est-à-dire ceux qui ne franchissent pas de frontières nationales. Un milliard c’est-à-dire un habitant de la planète sur sept.
Il y a 3,4% de la population mondiale en migration pour des causes et des raisons  diverses, plus de 80% des déplacements entre les pays se fait de façon légale. Pour la migration clandestine, plus de 60.000 sont morts pendant leur périple depuis 2000, selon les chiffres de l’ONU.
D’autre part, en France il y a près de 11% d’ « étrangers » (selon la définition Eurostat) c’est à dire citoyens d’autres pays que les pays de résidence.
Les  chiffres  sont ceux donnés dans le livre d’Alexis Nouss « La condition de l’exilé». A mon avis c’est un texte très important car enfin l’ONU reconnaît que la migration et l’hospitalité ne concernent pas que l’Europe mais le monde entier. Ce n’est pas à L’UE de s’occuper seule de ce problème d’autant plus que les immigrés viennent d’autres pays que l’Europe. Et  il s’agit de l’hospitalité humaine universelle, c’est bien dit dans les objectifs. Beaucoup de pays ne vont pas signer (Hongrie, Italie .., les Etats-Unis se sont retirés, le Brésil a annoncé ce 11 décembre qu’il se retirerait). Ce sont les pays qui sont contre les valeurs universelles et le multilatéralisme.
C’est là un texte juridique (qui reprend la constitution de 1793), la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 avec les principes qui sont repris en tête de notre constitution. Les principes  de la déclaration universelle sont les suivants :
– libre circulation des hommes et des idées. Chacun a le droit de quitter son pays pour n’importe quel motif.
Est-ce un droit légitime ? Se pose la question des exilés pour des raisons  fiscales aujourd’hui (les  « évadés » fiscaux qui fuient les obligations civiques) comme celle des exilés contre- révolutionnaires de 1789.- Droit d’asile pour les personnes persécutées dans leur pays. Est- ce un droit légitime ? Se pose la question de l’ingérence d’un gouvernement dans un autre pays par rapport à la nature des persécutions (l’excision des petites filles, le bannissement des femmes dites adultères ou des mécréants,  la fatwa à l’encontre des apostats sont- elles des persécutions ?).
Sur ces deux  fondements (principes) il faut distinguer les différents cas d’hospitalité.- l’hospitalité pour les demandeurs d’asile, (hospitalité politique) après vérification de leur situation doit elle être inconditionnelle ?
– L’hospitalité pour les réfugiés économiques, (hospitalité économique) est-elle légitime dans les pays qui connaissent une crise économique ? Et vous avez tous entendu alors des discours de haine (populaire !) contre les étrangers
– Enfin l’hospitalité va se poser pour les réfugiés climatiques (hospitalité environnementale)
–  Qui  peut et comment prendre en compte ce nouveau type de réfugiés ?
(Je développerai plus avant dans le débat, ces sujets d’hospitalité et limites)

Débat

 

Débat : ⇒ L’hospitalité est indispensable dans une société humaine, elle est l’expression d’appartenance à l’espèce, et nul ne peut rester insensible à la douleur ou à la détresse de ses semblables. A ce propos, Victor Hugo, dit : « Soyez hospitaliers, même avec votre ennemi ». Devant une crise humanitaire perpétuelle, on voit qu’il y a effectivement des limites à l’hospitalité pour de nombreuses raisons. Pour des raisons politiques, économiques, coût financier excessif pour accueillir des migrants, des victimes de faits de guerre. Limites dues aussi à la peur de perdre son identité, peur du « grand remplacement »  annoncé par des « intellectuels éclairés », ce qui va entraîner une montée de populisme, de nationalisme, ou encore peur religieuse, etc.
Cependant le monde civilisé, ou plutôt, le monde démocratique, montre sa solidarité constante avec le reste de l’humanité en proie à la pauvreté et aux cataclysmes, même si cette hospitalité est de plus en plus retenue.
Pour conclure ; je dirai, avec force, que l’homme ne peut se soustraire matériellement et moralement à l’association humaine. Et mon propos est celui d’un homme de tête, et d’un homme de cœur.

⇒  Hospitalité nous vient du mot latin « hospis », (hôte), donc dans ce sens, un hôte est un invité. Un autre sens est : Le droit réciproque de trouver logement et protection les uns chez les autres. Mais pris au sens premier l’hospitalité était un devoir envers le voyageur.
Comment adapter ce devoir moral, situationnel, en devoir moral, permanent. « Une porte doit être ouverte ou fermée », serait une formule qui bloque le débat.
Aujourd’hui en France une majorité dans la population est hostile à une immigration non contrôlée ; une autre partie au nom de l’humanisme serait plus pour « la porte toujours ouverte »
C’est un problème politique, philosophique, social, humain, et c’est surtout un cas de conscience.
Les événements récents montrent une situation qui a pris une autre dimension, car nous sommes passés de la notion d’émigrants économiques,  à celle de réfugiés, les premiers fuient la faim et la misère, les seconds fuient en plus la guerre et ses exactions, pour eux c’est :  fuir ou mourir.
Le 19 avril de cette année (2015) un naufrage en Méditerranée fait une hécatombe, 700 morts. Même si nous apprenons chaque jour des naufrages en mer (1650 du 1er janvier au 19 avril 2015) nous avons tous été vivement émus face à cette horreur, où des femmes et enfants sont engloutis par la mer ; et cela nous pose la question : au nom de l’humanisme, au nom de notre solidarité envers notre prochain, pouvons-nous continuer à entendre, « noyées » dans le flot médiatique, de ces terribles informations ?
Puis le 2 septembre de l’année 2016, les télévisions du monde entier montrent le corps du petit Aylan, gisant noyé sur une plage. Puis, dans les images chocs, nous avons vu ce camion frigorifique en Autriche qui contenait les cadavres congelés de 71 personnes, puis nous avons vu des policiers hongrois, (le 11 septembre), qui ayant parqué des réfugiés derrière des grillages, leur jetaient de la nourriture par-dessus les grillages, comme on le ferait pour des animaux.  Ces images, non seulement nous brisent le coeur, mais elles nous font honte.
Nous pouvons bien sûr penser, voire, nous réfugier dans l’idée que ce problème ne dépend pas de nous, que nous sommes individuellement impuissants. Nous sommes bouleversés, et puis après !!!
Nous ne pouvons pas balayer d’un revers de main des objections pour une totale libre circulation de tous les individus sur la Terre. Nous savons que dans ce cas, une grande part de l’Afrique subsaharienne, de ressortissants de divers Etats africains, de personnes du Moyen-Orient, voire d’autres pays, que des réfugiés climatiques, vont submerger les habitants de l’Europe, que des millions et des millions individus vont affluer et se concentrer dans les régions au climat qui permet la vie et à un meilleur niveau de vie. Cela risque de créer des conflits, voire des guerres.
L’angélisme peut être dangereux ; une totale libre circulation peut déstructurer totalement nos sociétés, amener une dictature ou même une religion qui nous soumettra à son dogme, et qui fera voler en éclat le principe de laïcité.
Cette éventualité, ce risque, nous le savons aussi, alimente des fantasmes des peurs exploités par des mouvements d’extrême droite, des mouvements xénophobes.
La peur est souvent abstraite quand l’hospitalité est concrète ?
A ce jour la réponse politique qui donne bonne conscience, est : « aidons les pays où sévit la misère afin que leurs habitants ne soient plus obligés d’émigrer ». Oui, très bien !  Sauf que l’aide décidée en 2005 par l’ONU fixée à 0,70% du PIB des pays, n’est aujourd’hui que de 0,19 pour les USA, ou à 0,36% pour la France.
Sauf que la finalité de ses aides n’est pas contrôlée. Les organismes et ministères qui reçoivent ses aides ne les utilisent pas à restreindre la misère dans leur pays. Un africain vous dira : les aides des autres pays pour l’Afrique font vendre des Mercedes pour leurs dirigeants.
Au final, ceux qui aident le mieux à lutter contre la misère, sont, nombre de nos immigrés, et j’insiste sur cette expression qui les honorent, « nos immigrés » Combien de ces anonymes qui travaillent dur, qui travaillent à des tâches pénibles, qui travaillent surtout pour envoyer le mandat au pays, à la famille, ceci au prix de sacrifices qu’ils ne montrent pas. Ce sont eux, oui ! Eux qui sont les meilleurs remparts à des départs massifs, ce sont eux qui aident, (sans les ponctions de prédateurs), les familles à survivre. Leur rendre cet hommage qui leur est dû, peut un tant soit peu, soulager notre conscience, notre incapacité à mettre en accord notre aspiration humaniste, face à la volonté de préserver les acquis d’une évolution tant sociale qu’économique. Et si cette crainte déjà évoquée peut être ressentie en regard d’un modèle social, d’un modèle culturel, cela peut-être aussi ressenti quant au modèle républicain, quant à ce principe qui nous permet la paix religieuse, la laïcité.
Pour les émigrants il n’y a pas une volonté d’envahir, de coloniser, (là c’est de l’humour) mais c’est presque toujours, fuir la misère, c’est fuir la guerre, c’est fuir un mode de vie qui vous enferme, c’est parfois obéir au père qui n’a plus d’autre solution que de vous envoyer chercher de l’argent pour que la famille puisse survivre, alors c’est risquer le tout pour le tout,  parce qu’on n’a pas d’autre choix.
Quand on est dans une certaine opulence, un certain confort, on ne va pas risquer sa vie, émigrer, solliciter l’hospitalité. Quoique… On voit que l’hospitalité fonctionne très bien dans certains pays, (même en Europe) pour l’optimisation fiscale.

⇒  Poème d’Hervé (A la mémoire du petit Aylan) : Lire avec émoi.

Lieu d’une tragédie narrée en poésie
Interroger l’âme, puis livrer le sujet
Relaté avec émoi et sans fantaisie
Embarquons pour l’histoire d’un trajet

Conter l’odyssée vécue est émouvant
Emportée vers son destin, la marée humaine
Cherche la liberté en payant leurs servants
Implorant le besoin d’aide, par centaines.

Au rythme des vagues, au soleil couchant
Vois la lune et son collier formé d’étoiles
Envelopper dans la nuit cet exil émouvant
Couché dans ce faible esquif sans voile.

Étendu, le corps sans vie sur le sable mouillé
Malheureuse dépouille qui ne verra plus les astres
Oeuvre des flots, des tyrans aux mains souillées
Injure à l’humaine cohorte dénonçant ce désastre.

⇒  Si on y regarde d’un peu plus près les acteurs de l’activité économique, (pas ceux que j’appelle les parasites) sont souvent des émigrés ; émigrés récents, moins récents, enfants d’émigrés.

⇒  Un homme politique disait hier à la télé, que le pacte de Marrakech qui définissait des règles, une éthique de l’accueil des migrants, du fait qu’il n’était nullement contraignant, qu’il n’avait pas de portée juridique, n’était qu’une pétition de principe.
Et dans ce pacte, j’ai trouvé intéressant, entre autres, le fait que cela évoque le coût des envois des fonds des émigrés aux familles au pays. Il y a des organismes qui longtemps ont racketté les émigrés.
Et je voudrais évoquer deux principes qui restent au cœur de cette notion d’accueil, d’hospitalité : ce sont assimilation et intégration, sujets qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre. Dans certains pays, l’immigré doit devenir identique en tous points, se conformer, et on se rappelle cette formule : « La France tu l’aimes, ou tu la quittes ». Notre pays propose plutôt l’intégration, autre démarche, qui invite le nouvel arrivant, sans renier ses origines, ses racines, à épouser dans le temps le mode de vie de ce pays qu’il a choisi pour émigrer.
L’intégration n’est pas contrainte, car celui qui a choisi tel pays pour émigrer, a d’avance connaissance des valeurs du pays qu’il va rejoindre. Des valeurs qu’il fera peu à peu siennes, qui seront celles de ses enfants qui feront sûrement « souche »
Si je m’exile dans un autre pays et que je veux y imposer les règles, les usages du pays d’où je viens, je ne viens plus en ami, mais en conquérant.
Nos sociétés deviennent de plus en plus multiculturelles, ce qui est en soi une richesse. Mais comme à terme on ne pourra pas conserver, transmettre toutes ces cultures, il y a un risque d’appauvrissement culturel, de déculturation pour le pays d’accueil. Il faut y penser, l’envisager, pour préserver l’essentiel, et continuer à le transmettre.
Un mythe grec image très bien ce qu’est l’assimilation, c’est le mythe de Procuste : Procuste était un brigand qui invitait les voyageurs à venir se reposer chez lui. Il n’avait qu’un seul lit à leur offrir, et à ceux qui étaient trop petits pour la dimension du lit, il étirait les membres jusqu’à la mort; à ceux qui étaient trop grand pour renter dans le lit, il leur coupait un peu les pieds, un peu les jambes. Il sera tué par Thésée qui lui fera subir le même sort.
Cela illustre l’obstination à vouloir à tout prix assimiler l’immigré.

⇒  Je ne suis pas d’accord pour dire que le pacte de Marrakech, ne serait qu’une pétition de principe. La Déclaration universelle des droits de l’homme, c’est une pétition de principe, c’est-à-dire, que c’est l’affirmation que les Etats doivent trouver les moyens d’appliquer ce principe.
Le mot français hospitalité est, dés le 12ème  siècle dérivé du latin « hospitalis » qui désigne l’hébergement gratuit et l’attitude charitable qui correspond à l’accueil des indigents, des voyageurs dans les couvents, dans les hospices et les hôpitaux. Celui qui donne ou reçoit l’hospitalité est un hôte, c’est-à-dire que l’hôte est à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli, cela implique-t-il qu’il doit y avoir une relation de reconnaissance réciproque quand il y a hospitalité ? Et … le mot hostis d’où dérive le mot français hôte a pris la valeur d’étranger (celui qui est hostile ou auquel je suis hostile).
Ce qui entraîne une autre question : qu’est-ce qu’un étranger ?
C’est, au sens propre, celui qui n’a pas la nationalité du pays où je vis. Et en un sens plus ou moins sentimental, celui qui n’a pas l’appartenance du groupe qui est le mien.
Je reprends à mon compte ce que le philosophe contemporain Derrida écrit dans l’ouvrage  De l’hospitalité  « Quelqu’un peut m’être  moins « étranger , qu’un compatriote ou un citoyen   même s’il ne partage pas avec moi la langue nationale: s’il partage avec moi une culture, par exemple un certain mode de vie lié à une certaine richesse: A certains égards, j’ai plus en commun avec tel bourgeois intellectuel (….) dont je ne parle pas la  langue, qu’avec tel ou tel français qui me sera, pour telle ou telle raison sociale ou économique, sous tel ou tel rapport, plus étranger ».
Face à l’étranger l’hospitalité prend deux formes: la charité individuelle qui est au fondement de toutes les religions (conformément au principe de l’amour du prochain) et la solidarité sociale qui est une valeur politique de l’Etat républicain (conformément au principe du Bien commun).

⇒ Je suis tout à fait conscient qu’on ne pourra pas arrêter les flots de migrants. Pour imager cela je reprends ce que disait un migrant bloqué à la frontière roumaine : « Nous sommes comme l’eau, vous pouvez nous arrêter, mais nous finiront par passer »
On sait que notre société vers 2050 ne ressemblera pas à celle d‘aujourd’hui. Il faut en être conscient et gérer cet avenir. Aller vers plus du tout de frontière, aller vers la porte grande ouverte, ça peut être la catastrophe. Si j’accueille chez moi, je prévois de quoi manger, je prévois de quoi loger. Qu’est-ce qu’on a fait dans les années 1950/1960 ? Sans structures d’accueil, on a laissé venir une forte vague d’immigration, et on s’est retrouvé avec la honte des bidonvilles, dont Nanterre, le plus connu. Avec le temps on a mis des quotas (un mot qui fait hurler certains). Mais devenus plus responsables, notre pays d’accueil a fait les HLM (si critiqués) où les immigré trouvant, entre autres des sanitaires, et une vie plus décente, ont enfin trouvé le respect de l’humain
Je pense que très majoritairement dans ce pays, la France, il y a une volonté pour que les nouveau arrivants puissent s’intégrer, et combien d’associations travaillent dans ce sens. Néanmoins ce qui nous pose problème c’est les refus d’intégration, les replis identitaires, les communautarismes, qui mettent des barrières.
Et, il y a des éléments qui génèrent un blocage chez certains Français ; ainsi il y a quelques temps, on a vu à la télévision cet homme Afghan qui expliquait pourquoi il voulait venir en France. Puis on le voyait devant sa maison avec sa famille, et là on découvrait que sa femme était « grillagée »
Alors, on se dit : là, on n’est pas d’accord ! Pas d’accord pour des visages cachés derrière un grillage de tissu. Voilà une des limites.
Si une personne souhaite émigrer vers la France, et qu’elle n’est pas d’accord avec les lois républicaines de ce pays, pas d’accord avec le principe d’égalité homme/femmes, et de plus  hostile au principe de laïcité, alors, ça pose un vrai problème. Et encore d’autres limites.
Au-delà de cela, donner les moyens et fixer les règles d’accueil semble être la démarche responsable. Pour exemple, au Pays-Bas : «  les communes proposent aux nouveaux arrivants un programme destiné à les familiariser avec la société néerlandaise. Ce programme comprend l’initiation aux règles et coutumes des Pays-Bas [….] la loi sur l’intégration des nouveaux arrivants oblige ceux qui bénéficient d’une allocation à participer à ce programme sous peine d’amende.. »                                  https://books.google.fr/books?isbn=9791033164678

⇒  Je voyage pas mal pour mes activités, et toujours avant de partir dans un pays, je me renseigne sur ce que je dois faire, sur ce que je ne dois pas faire. Je dois respecter les us et coutumes de ce pays, c’est d’abord une question de politesse.
Et je dirais que l’hospitalité sans limite ferait courir de gros risques. On est obligé de faire un minimum de distinction, penser aux conditions économiques, et penser aux valeurs d’un pays.

⇒  On ne quitte pas de gaîté de cœur son pays, sauf à de rares exceptions. Je suis pour une hospitalité sans limite, sans frontières. Les frontières, c’est ce que les hommes ont inventé pour protéger leurs biens.

⇒  Une autre question maintenant est celle de comprendre ce que signifie limite pour répondre à la question pour ce débat.
Le philosophe Derrida, dans  « Cosmopolites, encore un effort » soutient que le sens de l’hospitalité est naturel à l’homme.  Pour cela il s’appuie sur l’idée du philosophe Levinas que je reprends à mon compte aussi, selon laquelle voir le visage d’autrui me fait dépasser le réflexe xénophobe qui me fait dire  « eux et nous » ; le visage d’autrui m’impose le respect de l’autre, de celui qui m’est étranger. Et donc le sens de l’hospitalité est sans limite et même refuse d’examiner les éventuels risques qu’elle implique.
« Il nous est arrivé de nous demander si l’hospitalité hyperbolique, inconditionnelle, absolue, ne consistait pas à suspendre le langage… Ne faut-il pas aussi soumettre à une sorte de retenue la tentation de demander à l’autre qui il est, quel est son nom, d’où il vient ? Ne faut-il pas s’abstenir de poser ces questions qui annoncent autant de conditions requises donc de limites à une hospitalité ainsi contrainte et confinée dans un droit (… )? …..Sans cesse nous guettera ce dilemme entre l’hospitalité qui passe le droit, le devoir ou même la politique, et l’hospitalité circonscrite par le droit (….)»
   Et, en effet il nous faut réfléchir en fonction du contexte dans lequel nous sommes, et par exemple le fait historique que des djihadistes qui ont l’objectif d’imposer la charia pour construire l’oumma (la communauté islamique) puissent être parmi les migrants.
Il nous faut réfléchir sur la question de l’hospitalité,  en fonction du contexte.
Au 18ème siècle, Kant écrit un « Projet de paix perpétuelle ». Dans le contexte des colonisations en Europe l’une des conditions est que l’hospitalité soit seulement un « droit de visite » et non pas un « droit de résidence ». Cela pour éviter que l’hospitalité sans limite courre le risque de rendre possible la colonisation comme avec les Indiens d’Amérique. Ainsi l’hospitalité sans limites est le principe d’une politique libérale qui compte sur le commerce pour pacifier les relations entre les Etats. Aujourd’hui, la mondialisation entraîne que l’émigration est une donnée du système capitaliste qui s’installe partout. Elle contraint les peuples à fuir les guerres (qui sont faites aussi pour le partage du monde) et à aller vendre leur force de travail là où il y a des possibilités d’emploi. Dans ce système où l’humain est relégué par l’argent, l’hospitalité  sans limite est un idéal qui ne prend pas en compte les réalités. Et en ce sens si l’idéal de l’hospitalité c’est qu’il n’y ait pas de lois ni de droit d’hospitalité, il me semble que pour ne pas tomber dans le voeu pieux, et pour concilier concrètement l’hospitalité avec le vivre ensemble,  il faut  lui imposer  non pas une limite mais des bornes légales, et par exemple des contrôles des migrants. Mais pour cela il faut non seulement des moyens et  être clair sur ce qu’on contrôle et rester dans ce qui est conforme au droit et, s’il faut renforcer les contrôles, rester dans le droit – qu’il faut peut-être modifier en situation de guerre- mais ne pas accepter l’arbitraire.

⇒ L‘hospitalité universelle et sans limite est un principe, et alors aux États, aux gouvernements de dire ce qu’on fait et quelle part de budget on met pour ça.

⇒  On ne peut pas avoir une attitude « bisounours » : venez, il n’y a pas de problème,  et on verra bien !

⇒  Les Canadiens qui défendent la langue française, du fait de l’immigration de personnes qui n’ont comme que l’anglais comme langue véhiculaire, se retrouvent avec des commerces, des services où la langue française n’est pas utilisée, ce qui va générer un recul dans l’usage du français. C’est un peu de la déculturation.

 

 

 

 

 

 

 

Sommes-nous en train de perdre connaissances

 

Deux filles lisant Picasso. 1934

Deux filles lisant Picasso. 1934

Restitution du  28 novembre 2018 du café-philo de Chevilly-Larue

Animation:  Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction: Thibaut Simoné

Introduction : Les connaissances produites de manière rationnelle et collective dans le monde chaque année, constituent un volume si vaste qu’il est devenu impossible pour l’honnête homme de se constituer une bonne culture sur des sujets aussi variés que la génétique, le climat ou la radioactivité alors que tout le monde en parle ou presque. Ne pouvant se targuer d’une connaissance universelle, l’individu devient un « croyant par délégation » comme l’avait bien compris Tocqueville en son temps quand il déclare « il n’y a de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit. » En effet, à mesure que progresse la connaissance scientifique, « plus on sait de choses, moins je sais de choses ».
Pourtant, nous avons tous individuellement de nombreuses connaissances scientifiques : nous savons que la Terre est ronde, que les espèces évoluent et que l’atome existe. La difficulté réside dans notre rapport à la connaissance. Selon le philosophe des sciences Etienne Klein, «Nous savons que nous savons mais nous ne savons pas comment nous avons su ce que nous savons» et « cette mauvaise connaissance de nos connaissances nous empêche de dire en quoi elles se distinguent de simples croyances ».
Il a été montré également que plus les citoyens paraissent informés sur une question, plus ils doutent de la parole des scientifiques. Le besoin de véracité légitime en démocratie fait douter de la vérité elle-même comme le rappelle le philosophe Bernard Williams dans son livre «vérité et véracité». A cela s’ajoute, en particulier sur les réseaux sociaux tels Facebook, l’émergence d’une contre-culture, conséquence de la déliquescence des élites, et la diffusion massive de fausses informations et de « théories » alternatives aux théories scientifiquement acceptées par la communauté des chercheurs. De plus, outre la massification des données et la dérégulation de l’information sur Internet, nous observons la possibilité pour tous, quelque soit son degré d’expertise, d’intervenir via son clavier et de participer à un « relativisme » pas nécessairement de bon aloi au sein même de l’espace public. La mainmise par quelques-uns parmi les plus motivés du marché de l’information, constitue un risque majeur pour la démocratie.
Car au droit de douter, s’ajoute le devoir de douter avec méthode sans céder à la paresse intellectuelle, et aux nombreux biais cognitifs dont nous sommes tous les victimes. Comme le rappelle Francis Bacon dans  Novum Organum: «L’entendement humain, une fois qu’il s’est plu à certaines opinions, entraîne tout le reste à les appuyer ou à les confirmer ».
Pourtant, « on ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire » comme nous le rappelle Gaston Bachelard. Plutôt que d’aimer le vrai et dire non à notre propre pensée qui souvent nous enchaîne dans une caverne de l’ignorance, nous avons tendance à tenir pour vrai ce que nous aimons. Nous affectionnons un certain confort intellectuel et nous privilégions les informations qui sont en conformité avec notre vision individuelle du monde. « Tout est relatif » argumentent alors certains. Pourtant, si cela était vrai, il serait relatif que tout est relatif. La phrase porte en elle-même une contradiction majeure qui la rend fausse. Einstein ne l’a d’ailleurs jamais prononcée.
En matière de vérité, « Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. « Quid de l’avenir de la connaissance ? » Nos sociétés actuelles sont les héritières de l’esprit des Lumières mais « les lumières projettent toujours des ombres ».
Les progrès des sciences et des techniques, conjugués à une augmentation toujours plus grande des flux énergétiques, ont entraînés une élévation générale du niveau de vie dans nos sociétés. Nous arrivons à une ligne de partage des eaux, où ce modèle de développement, entre en collision avec la raréfaction des ressources ce qui peut, à plus ou moins long terme, déstabiliser nos sociétés droguées au pétrole. Un ralentissement de la croissance, un chômage de masse et la colère populaire en sont les avatars les plus visibles. Les populismes de tous bords trouvent alors de plus en plus d’auditeurs séduits par leurs chants de sirènes car en effet « le demi-savoir triomphe plus facilement que le savoir complet: il voit les choses plus simples qu’elles ne sont, et par là en donne une idée plus compréhensible et plus convaincante. »
Comme le pense Nietzsche « on peut prédire presque avec certitude le cours ultérieur de l’évolution humaine : l’intérêt pris à la vérité cessera à mesure qu’elle garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la fantaisie, reconquerront pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, leur territoire auparavant occupé : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie est la conséquence prochaine ; de nouveau l’humanité devra recommencer à tisser sa toile, après l’avoir, comme Pénélope, détruite pendant la nuit. Mais qui nous est garant qu’elle en retrouvera toujours la force ? »

Débat

 

 Débat :  ⇒  Il y a une croyance dans le Coran qui (suivant l’interprétation) dit que la terre est plate, et aujourd’hui encore il y a des gens qui s’en tiennent là, et aux Etats-Unis des croyances ont valeur de connaissances avec les théories des créationnistes. Il y a tout de même des personnes qui donnent à connaître, je pense par exemple à l’émission d’Elise Lucet, «  Cash investigation » qui participe avec jusqu’à trois mille journalistes à des enquêtes d’investigation

⇒ Depuis des siècles l’homme augmente ses connaissances, par transmission de connaissances, par acquisition de nouvelles connaissances.
Mais la question se pose aujourd’hui, et sûrement que ce n’est pas la première fois qu’elle se pose : « Sommes-nous en train de perdre connaissances »
Autrement dit, aurions-nous perdus des savoirs? Des savoirs d’ordre : intellectuels, des savoirs artistiques, des savoirs artisanaux, ou des savoirs plus simples comme des savoir-faire de nos grands-mères, ou grands pères ?
Bien sûr, il y a nombre de savoirs qui ne seraient d’aucune utilité aujourd’hui. A quoi nous servirait de savoir attraper une truite avec la main, de poser un collet pour attraper un lapin, savoir disposer des lettres de plomb pour imprimer un texte, aiguiser une faux, la liste serait bien longue. Nous laissons derrière nous la mue de nos savoirs devenus inutiles.
Fort heureusement le mode de vie est évolutif, il nous astreint à apprendre sans cesse, on dirait aujourd’hui, que depuis la tablette d’argile, jusqu’à la tablette numérique, nous n’en finissons pas de « faire nos mises à jour ». Et l’expression image bien une des situations actuelles, se former sans cesse pour utiliser les moyens technologiques de plus en plus évolutifs, tels les smartphones, les ordinateurs, et toutes ces démarches administratives qui ne se font plus que sur Internet, et également tous ces automatismes où, il faut « converser » avec une machine, et ceci dans une logique qui est souvent, loin de correspondre à la nôtre.
Les aptitudes de mémorisation se sont amenuisées en passant à l’oralité, cette oralité qui nécessitait une prodigieuse mémoire. (On pense à Homère  dont la totalité de l’œuvre était, ligne après ligne présente dans sa tête). En passant à l’imprimé, à l’imprimerie, puis à la connaissance externalisée numériquement, nous avons pu perdre encore certaines facultés, dont celle dans la lecture d’analyser un texte, celle de toute la subjectivité qui nous rend apte à lire entre les lignes, à découvrir le message caché, et découvrir occasionnellement un second degré.
Même avec des heures et des heures d’écran, allons-nous apprendre la grammaire, avec tous les accords, apprendre toute la subtilité de la syntaxe, et toutes les règles. Notre communication, notre langage ne va-t-il pas s’aligner sur une écriture d’algorithme, devenir plus une langue pratique, un peu comme la langue anglaise, langue informatique ; évacuant la langue de Shakespeare, comme la langue de Molière.
Nous sommes de plus en plus en voie de restreindre nos aptitudes, en se spécialisant dans une connaissance particulière, ceci au détriment des fameuses « connaissances générales » au détriment de connaissances pratiques : on dit souvent en forme de boutade qu’un ingénieur informaticien, a du mal  à s’y retrouver face à un plan du métro parisien.
Est-ce que nous n’allons pas vers un monde de connaissances sans études ? Un univers qui nous fait sortir du projet des Lumières, et au soulagement de certains, ou au regret d’autres,  de ne plus avoir à penser par soi-même. Alors Kant sera passé de mode.
Nous voyons également de plus en plus de tâches où l’individu, est pratiquement asservi à un process, un programme informatique ; programme qu’il ne connaît pas, il obéit au programme, il est dans une procédure dont il ne connaît pas précisément la finalité.  Il y a bientôt trente ans, Jean-François Lyotard évoquait ce déplacement des connaissances : « Il est raisonnable de penser que la multiplication des machines informationnelles affecte et affectera la circulation des connaissances autant que l’a fait le développement des moyens de circulation, des hommes d’abord (transports), des sons, des images ensuite (médias). Dans cette transformation générale, la nature du savoir ne reste pas intacte »
    Enfin, et pour finir, je dirai, que faire de plus en plus d’exécutants de process, serait qu’après les avoir supprimés, nous récréerions, par certains côtés « de nouveaux poinçonneurs du métro »

⇒ Est-ce qu’on doit prendre le mot, connaissances, dans le sens : savoir quelque chose de manière individuelle ; tel, je sais que la terre est ronde. Ou, si c’est : connaissance de choses qui ne sont que des informations, et donc pas forcément vraies, ou encore connaissances pour lesquelles on ne va chercher plus loin dans notre réflexion.
Alors, à la question : «  Sommes-nous en train de perdre connaissances », est-ce comme cela a été évoqué, laisser certaines connaissances dernières nous, pour mettre en avant d’autres  connaissances ? Pour l’instant je ne sais pas comment prendre ce sujet.

⇒ Le terme « connaissances » est polysémique, et on peut hésiter dans le sens à retenir.

⇒ Une information n’est pas une connaissance. De plus il ne peut s’agir de croyance qui est aussi un mot polysémique. Quand je dis : je crois, ça n’a pas forcément le même sens que ce à quoi je crois par ailleurs. Un exemple, si je dis : je crois que l’univers à 3,8 milliards d’années, ça veut dire que je fais confiance aux astrophysiciens qui nous le disent. Parce que moi, je n’ai pas les outils mathématiques pour vérifier par moi-même. Donc, j’y crois.
Ensuite : « Sommes-nous en train de perdre connaissances, » c’est dans le sens, où, avec justement, la déréglementation de l’information, via Internet, on assiste, je trouve à un rapt intellectuel de la part de gens qui, en fin de compte, sont assez minoritaires, mais qui n’ont que ça  à faire. C’est-à-dire, que derrière ça, il y a presque un côté militantiste, et ils passent leurs journées sur les réseaux sociaux à inonder le web d’informations souvent fausses, voire simplistes. Et les gens qui pourraient éventuellement leur répondre, et bien, ils n’ont pas que ça à faire. Du coup on voit des théories comme la terre plate et si vous n’y êtes pas préparés vous vous trouvez face à des arguments que le quidam ne peut réfuter.

⇒ La connaissance, c’est le savoir, et c’est l’expérience, l’expérience de la chose qu’on connaît plus intimement. Chacun doit chercher la vérité plutôt que de la trouver ailleurs dans une opinion émise comme certitude.

⇒ Quand sur une connaissance, on dit : « Je crois », et ce n’est pas toujours affirmatif, c’est aussi « je pense que ».
Et il y a, aussi comme une défiance devant Internet, qui amène à ne pas l’utiliser pour défendre le mode de connaissances.
Est-ce que ce refus, cette opposition, ne va pas créer une séparation, créer deux clans ?

⇒ C’est déjà un peu le cas. Il y a des gens qui disent ça et qui se rendent compte qu’Internet en fait c’est un océan peuplé de vide, et sur ses îles vous avez des gens qui finalement restent entre eux, parce que c’est lié à un fonctionnement très ancien du cerveau, et très prompt à prendre ce qu’on appelle « le billet de confirmation ». C’est-à-dire, que nous avons tendance, à écouter, à accepter, ce qui va renforcer ce que nous croyons déjà ; et on est tous plus ou moins comme ça.
Je crois que, pour pouvoir accéder à une certaine connaissance, il faut se faire violence, c’est pas donné.  Penser disait le philosophe Alain, c’est avoir un esprit critique, c’est dire non, dire non à sa propre pensée ; et ça, ça peut être très douloureux, et il y a des gens qui le vivent très mal. On est très vite embringué dans un confort intellectuel sur notre vision du monde, et on a tendance à rester dans un entre-soi intellectuel. Alors, que quelqu’un qui serait plutôt de droite devrai lire Libération et celui plutôt de gauche, devrait lire le Figaro. C’est-à-dire, se confronter à une autre pensée, de manière à apprendre et à juger.

⇒ Un certain négationnisme des connaissances peut constituer un risque de perdre par réfutation des connaissances. Je pense au comportement d’un climato-sceptique, Claude Alègre, réfutant les conclusions du G. I. E.C. et dans une émission, il disait : de toutes façons je sais de quoi je parle, j’ai écrit un livre sur ce sujet.
Mais, toutefois, si je mets en doute toutes mes connaissances, si je suspends indéfiniment mon jugement, je suis à l’arrêt. La société a progressé malgré certaines données fausses, des données scientifiques ont été invalidées, et on a avancé malgré tout

⇒ Je reviens sur connaissances et croyances. Il y a un endroit où l’on ne remet pas en question les connaissances, c’est l’école. On apprend l’Histoire, il s’est passé ça, à telle date, etc. Et du coup comme on est en face d’une certaine institution, on croit forcément. On acquiert toutes ces connaissances, mais on n’a pas forcément cet esprit critique qu’on devra nous enseigner à avoir. Ça va être au niveau universitaire où l’on va acquérir des connaissances beaucoup plus fiables. Le prof en collège travaille sur un programme, sur l’étude de quelqu’un qui a repris une étude… et l’on va croire celui qui a la fonction.

⇒ Ce que j’ai appris à l’école, je suis censé le savoir, ça ne veut pas dire que je le connais. Dans la connaissance je mets une étape supplémentaire, c’est réfléchir sur son savoir. Ensuite cette différence entre croyances et connaissances c’est tout le débat philosophico-scientifique. C’est-à-dire que ce qui est croyance, n’est pas réfutable. Il est impossible de prouver que Dieu existe, comme il est impossible de prouver qu’il n’existe pas. En revanche, toute connaissance est réfutable, et même les connaissances scientifiques, bien entendu ! A tout instant on peut amener un élément nouveau, qui fait, qui montre, que ce que tu avais un peu exploré, ce savoir personnel et collectif, ça peut s’avérer faux, ou pour le moins, discutable.
Tout ce qu’on évoque : connaissances et savoirs, on ne peut plus l’aborder comme on l’abordait du temps des Grecs, par exemple. Il est évident qu’on ne peut pas parler de Socrate, de Platon, comme on parlerait d’un savant, d’un philosophe à l’heure actuelle ; parce autour de ces derniers il n’y a pas le vide de connaissances comme il y en avait avant. C’est-à-dire, que tout individu, aussi peu instruit soit-il, a collectivement hérité des connaissances de la société, qui sont fausses ou pas ; comme celles de l’école, qu’on n’a pas remises en question, (déjà parce que l’Education Nationale, ne se remet pas en cause), mais elles existent, et elles amènent à la collectivité, à la fois du savoir, et parfois, des connaissances.
Ensuite, il y a bien sûr, toutes ces nouvelles technologies, qu’on a déjà évoquées, notamment, Internet. Je pense que toutes ces technologies nouvelles ne font que prolonger des techniques qui ont toujours existé, c’est-à-dire que ce l’on appelle, icônes, cela a toujours existé dans la pensée.

 ⇒   Dans un tout autre domaine, un sentiment, une crainte se développe depuis quelques dizaines d’années, à savoir que dans une société qui devient de plus en plus multiculturaliste, des connaissances ne soient plus transmises. Bien sûr, non transmises par les parents parce que ce n’est pas leur culture, mais non transmises par l’école parce que  considérées comme de caractère trop culture nationale.
Et comme nous savons, que dans les décennies à venir, les vagues migratoires ne peuvent n’être que plus fortes : migration politiques, réfugiés de guerre, migrations économiques, migrations climatiques, les socles de connaissance actuels, vont inévitablement s’adapter à une nouvelle société, et là nombre de connaissances appartiendra définitivement au passé. Bien sûr elles resteront stockées, si toutefois les bibliothèques numériques sont à l’abri d’un énorme bug, si elles sont plus sûres que la bibliothèque d’Alexandrie. Et ça, ce n’est pas garanti !

⇒ Dès l’enfance on acquiert des connaissances dont on n’a pas connaissance, on adopte des connaissances, celles du milieu familial, environnemental, c’est tout un patrimoine dont on n’a pas a priori connaissance ; ce sont des habitudes, des méthodes, qui vont nous aider à entrer dans le monde des connaissances et d’apprendre.

⇒ Les connaissances réfutables ça dépend aussi des conditions d’utilisation. Par exemple Newton est vrai, mais la théorie de la lumière serait fausse

⇒ Quoique la relativité ait aussi des limites.

⇒ C’est pour ça que c’est de la science, c’est réfutable. Par contre, ce qu’il y a de formidable dans les connaissances scientifiques, est que même une erreur c’est en soi une connaissance. Puisque avoir démontré qu’on s’est trompé, cela participe à un progrès. On se trompe, et on a quand même appris. Mandela disait : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Et par ailleurs, je ne parlerai pas de théorie vraie, mais de théorie juste. On ne peut jamais démontrer qu’une théorie est vraie, elle ne peut l’être dans l’absolu. Par exemple, prenez la mécanique quantique, est-ce qu’elle est vraie ? Je n’en sais rien, mais quoi qu’il en soit, les ingénieurs utilisent les équations de la mécanique quantique.

⇒  Dans quelques années, disons vers 2050, la société actuelle sera tout à fait différente de par les migrations inévitables. Est-ce qu’il n’y a pas le risque d’une perte de connaissances liée à un héritage culturel ?

⇒ Je reprends cette projection dans 50 ans, que va-t-on perdre comme connaissances? Que va-t-on gagner ? C’est tout un débat, car là aussi, pourquoi la rencontre d’autres horizons nous ferait-elle perdre quelque chose ?
Je ne pense pas qu’on perde ou qu’on gagne, mais par contre on échange des connaissances. Je pense que l’échange peut être enrichissant, mais il peut être aussi néfaste. C’est à nous la société, de mesurer le poids du positif et du négatif.

⇒ En mathématique il y a un exemple qui dit qu’il y a trois entiers A, B, et C, et qu’il est impossible que A à la puissance n, + B à la puissance n, soit égal à C à la puissance n, sauf si n est égal à deux. C’est une théorie qui a demandé beaucoup d’essais sans résultats, et la démonstration a été faite des siècles plus tard.

⇒ Internet est devenu un socle de connaissances (même si il y a des connaissances fausses). Il est très important justement d’avoir l’esprit critique pour pouvoir discerner le vrai du faux. Les gens ont aujourd’hui accès à plus de connaissances, et cela demande de faire attention; c’est fantastique et dangereux à la fois.

⇒ Si tu n’as pas au préalable des connaissances, connaissances que tu as forgées par les livres, par l’étude, comment fais-tu un bon tri entre le bon grain et l’ivraie ? Par exemple en évolution biologique, quand on tape « Evolution » sur Google: qu’est-ce qui apparaît ? Une iconographie complètement fausse, c’est une image qui dit le contraire de ce qu’est l’évolution biologique.

⇒ Je reviens sur l’évolution des connaissances dans les années à venir ? Effectivement du fait de l’arrivée de toutes les nouvelles technologies, on devra faire faire des études différentes aux enfants pour pouvoir travailler avec les machines, converser avec les Intelligences Artificielles, parce que s’ils n’ont pas la formation nécessaire, c’est eux qui vont travailler sous les ordres, (du programme)  de la machine.
Et globalement, culturellement, on a déjà perdu un peu de connaissances, de connaissances générales ; je repense à l’expression de Sarkozy, parlant du programme d’attaché d’administration, lequel disait que connaître un classique comme « La princesse de Clèves », ne pouvait pas intéresser une guichetière. Ce qui voulait dire que dans nos écoles, aux élèves  (de ZEP, de province) on n’a pas besoin de leur enseigner les classiques. Ce n’est pas pour eux, on élague les connaissances de base, les classiques, le culturel ce sera pour des écoles d’élites…
Et je reviens sur cet incontournable sujet d’Internet. Il y a quand même une nouvelle encyclopédie, c’est Wikipédia (même si je ne mets pas Wikipédia sur un piédestal), c’est quand même la participation de milliers de personnes dont la plupart sont des spécialistes dans le domaine concerné.  Je rappelle que c’est ainsi que s’est constituée L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert au 18 ème siècle.
Regardez : combien de gens autour de vous ouvrent un dictionnaire pour connaître précisément un mot. Les dictionnaires le plus souvent restent sur leur étagère.
Pour ma part, le plus souvent je n’ouvre que des dictionnaires spécialisés, de la langue française, ou, de traduction de langues, car là pour certains sujets sur la toile ce n’est pas fiable à ce jour.

⇒ J’ai  appris des choses à l’école, et j’ai eu un instituteur qui n’hésitait pas à me taper sur les doigts. Du coup, l’orthographe je connais bien, et je suis tout de même surprise quand je vois aujourd’hui, toutes les fautes d’orthographe que peuvent faire des gens qui ont fait des études supérieures. Pour moi c’est une perte.

⇒ Le savoir « sous le pouce » va libérer la mémoire. Il n’y aura plus le besoin d’apprendre par cœur, de mémoriser un tas de choses qui ne nous serviront peut-être jamais, ou que très peu ; alors qu’on aura à chaque instant la possibilité de consulter des milliers de banques de données, de stocker nos connaissances, notre mémoire sur des supports numériques, ou dans des «  clouds »
Ce sera, diront les partisans de l’IA libérer de l’espace dans une « tête bien pleine », pour parfaire la « tête bien faite ».
Mais au rebours, si nous laissons l’immensité du champ des connaissances aux IA, celles-ci devenues omniscientes, nous risquons fortement d’être formatés par les systèmes, exploités.
Revenant à la connaissance externalisée, nous voyons ce début d’asservissement à ce savoir d’accès si facile. Si dans une conversation, nous hésitons sur un mot, un nom, une date, inévitablement quelqu’un dans la minute qui suit, lisant sur son smartphone, vous donne l’information précise. Et ceci me remet en mémoire, une phrase de Montaigne qui prolonge son propos de la tête bien faite et de la tête bien pleine, (je le cite) : « J’en connais à qui, quand je lui demande ce qu’il sait, il me demande un livre pour aller me le montrer. Et n’oserait me dire qu’il a le derrière galeux, s’il ne va sur le champ, estudier en son lexicon (le Wikipédia d’hier), ce que c’est que galeux, ce que c’est que derrière »
Un article sur Philosophie magazine n° 62 de septembre 2012, titré : « Pourquoi nous n’apprenons plus comme avant ?», débute l’article ainsi : «  La révolution numérique n’est plus un slogan. Chaque jour, nous naviguons un peu plus, délaissons l’imprimé pour l’écran, stockons nos connaissances, vérifions sur Internet ce que nous dit un interlocuteur ou un enseignant. Comment apprendre, lire, nous souvenir, transmettre emportés par ce flux que nous maîtrisons encore mal. Le danger de perdre la concentration et la mémoire, de négliger l’étude, de ne plus pouvoir enseigner est réel. Mais le basculement de Gutenberg à Google porte aussi en lui l’espoir d’un esprit enfin libre – puisque les machines s’occupent de l’intendance – de se consacrer à l’essentiel ; la « pensée créatrice »
   Consulter est une faible activité intellectuelle en regard de la lecture. Les spécialistes nous disent aussi que la télé est plus nocive qu’Internet, car avec la télé nous sommes totalement passifs, le cerveau éponge est pratiquement en roue libre. On est passager, on n’est plus conducteur.
Des chercheurs avancent que l’apprentissage de l’écriture crée des connexions, des synapses, et que cela ouvre des aptitudes plus grandes pour tous les apprentissages.
Pour Michel Serre la mémoire supplétive numérique, même si cela influe sur nos facultés de concentration et de mémorisation, ne crée pas du « cerveau vide, mais du « cerveau libre » ; On le rend libre pour d’autres usages, et  cela s’est confirmé dans l’histoire. Après l’invention de l’écriture, de l’imprimerie, nos développements intellectuels sont marquants. Nous pouvons consacrer plus de cerveau à la créativité, à l’invention.
Un monde de l’information, soit un savoir extérieur à nous-mêmes, un savoir qu’on peut consulter à chaque instant où que l’on soit, ne risque t-il pas de tuer la curiosité, et à terme de tuer l’imagination.
Une étude montre que l’activité de consulter sur le Net, activait deux fois moins de connexions neuronales que la lecture d’un livre. Et l’on sait que c’est la gymnastique neuronale qui favorise la compensation des pertes neuronales au cours de la vie.

⇒ Est-ce qu’il a été établi un état des pertes de connaissances ? Est-ce qu’on peut les énumérer ? Dire globalement, à ce jour, on en a perdu tant dans tel ou tel domaine ?

⇒ On sait qu’on perd chaque année vingt cinq langues parlées au monde, peu à peu les derniers locuteurs d’une langue disparaissent.

⇒ Qu’il y ait des langues qui meurent ça m’attriste, parce qu’une langue c’est aussi une culture qui s’éteint. Il y a des choses qui sont exprimées dans une langue, et qui sont inexprimables dans une autre langue, intraduisibles. Au Moyen-Âge pour parler du poussin jusqu’au poulet, jusqu’au coq, il y avait une vingtaine de mots.

⇒ Le vocabulaire qui disparaît c’est aussi quelque chose qui meurt. Quand on utilise des supports numérisés, on va au plus simple au plus rapide. Et j’ai entendu dans l’introduction qu’on n’arriverait plus à englober toutes les connaissances, bien sûr !
Mais si je regarde ce qu’on peut appréhender comme connaissance en regard de Platon ça paraît ridicule. Ce qui fait le savoir, ne peut être tenu par un seul homme. Des Platon, ou des Aristote c’est inconcevable à l’heure actuelle parce que le savoir s’est tellement élargi.  Le plus savant ne  peut plus être un des meilleurs penseurs dans tous les domaines.
Le savoir, dans tous les domaines, s’est « taylorisé », on a des spécialistes.  Et il faut aussi qu’on réfléchisse sur la spécialité du savoir.

⇒ Il existe des réseaux d’échange des savoirs, au niveau national comme au niveau mondial. Ce sont des échanges de connaissances, gratuits. Le slogan dit : «  Le savoir est la seule chose qui ne s’achète pas, qui ne se vend pas »

⇒ La perte des langues, c’est l’équivalent au niveau mondial de la perte de diversité. Et si les mots disparaissent ce sont aussi des choses qui disparaissent. Plus personne ne va s’émouvoir de la disparition d’une espèce si auparavant on ne connaissait pas cette espèce.
Et pour reprendre la question du débat : Perdons–nous connaissances ? Oui, du point de vue où cela a été rappelé, que la connaissance a tellement évolué, qu’on ne peut plus comme Pic de la Mirandole, se targuer de tout savoir. Mais à l’inverse si vous prenez, par exemple : Rabelais, Galilée, et Descartes, pour leur faire faire un peu de tourisme 1ère classe, c’est-à-dire que vous les emmenez dans une école pendant un cours de maths, ils vont être abasourdis, ils vont constater que des gamins de 16 ans en savent plus qu’eux en mathématique, même s’ils n’auront pas leur génie. Et si vous les mettez devant une chaîne de télé commerciale, là, les bras leur en tombent. Car si d’un côté on a jamais été aussi éduqués, d’un autre on n’a jamais été aussi abrutis.

⇒ C’est bon d’avoir des connaissances, et c’est bon de les ordonner, d’avoir une compréhension globale. Quand Einstein a développé la théorie de la relativité, cela n’a pas été compris par tous, ce sont d’autres savants qui ont expliqué les principes espace/temps pour les rendre plus accessibles, plus compréhensibles.

⇒ Est-ce que nous perdons des connaissances ? Je dirais plutôt qu’il y a des choix. Par exemple est-ce qu’on choisit de parler de la Révolution, ou d’imposer certaines connaissances au détriment d’autres ? Et je trouve que le livre d’Orwell « 1984 » nous montre bien ce que serait la société si nous n’avions que des connaissances instrumentalisées. Par exemple, je décide que tel mot, n’a jamais existé, et je le remplace par un  autre mot. Le fait que ce mot soit écrit dans un manuel, les gens vont avoir tendance à le croire.

⇒ Effectivement, une perte de connaissance peut être une perte de liberté. Diderot disait que  « L’Encyclopédie a été faite pour que vous ayez des connaissances de chaque chose, et que vous puissiez ensuite réfléchir par vous-mêmes, et de là, vous affranchir, devenir plus libres ». « Knowledge is power » (Le savoir c’est le pouvoir) dit Francis Bacon, et ceux qui n’ont pas les connaissances sont à la merci de ceux qui ont les connaissances.
Par ailleurs, lorsqu’on entend que le niveau monte concernant l’école, il faut entendre le niveau de résultats au bac, par  exemple. Mais ce niveau, plus de 80% de réussite, est-il  le résultat d’un abaissement du niveau de connaissance ? Ainsi plusieurs tests nous ont montré que 80% de nos bacheliers échouent à un examen de certificat d’étude des années 1950. Alors est-ce que le niveau monte ?  Est-ce que le niveau baisse ?

⇒ Je pense  que les matières du certificat d’études primaire des années 1950, ça n’a plus rien à voir avec les matières d’aujourd’hui.

⇒ A l’échelle mondiale, le niveau d’éducation des jeunes monte, et c’est une très bonne nouvelle. Et c’est aussi vrai en France, avec un meilleur niveau pour les filles. Et dans 20 ou 30 ans ça peut nous donner des choses très intelligentes.

⇒ Entre 1990 et 2009, une étude sur des pays occidentaux dont des pays nordiques montre une baisse de QI de 4 à  8 points. Ce qui reste inquiétant. Des chercheurs ont découvert que les perturbateurs endocriniens, l’excès de lipides, l’obésité, la consommation de Haschich, de cannabis,  sont à l’origine de cette baisse du QI.
Les perturbateurs endocriniens généreraient dans le monde entier une baisse de QI. Des molécules présentes dans : les aliments, les emballages, les textiles, (entre autres). Ces molécules migrantes, remettent en cause le développement cérébral du fœtus. Une autre étude dans l’armée suédoise montre que le QI des appelés a baissé de 2 points par décennie au cours de ces dernières années. Après une progression jusqu’aux années 90, il y a une inversion de la courbe  de l’intelligence dans toute l’Europe. Nous devenons de plus en plus stupides dit un chercheur suédois dans le documentaire « Tous stupides »
Une spécialiste de perturbateurs endocriniens chercheuse au CNRS, Barbara Demeneix, disait dans une conférence : «  Reverrons-nous un jour, un Bach, un Mozart ?
En Californie on relève entre 1991 et 2001, une augmentation de 600 % des enfants diagnostiqués à la naissance comme autistes. Dans ce même Etat on constate une forte dégradation des capacités d’apprentissage dans les régions où sont fortement utilisés les pesticides ; de même le nombre d’enfants doués diminue fortement.
Ceci a donné, dans le film américain, (de 2006) « Idiocratie », film parodie, une situation poussée à l’extrême, montrant, situant dans une centaine d’années, une société encore plus crétinisée que certaines de nos émissions télé.
Certains diront même que ce film anticipait l’élection de Donald Trump.

⇒ Dans notre société, en dehors de médias d’investigation comme « Cash investigation », il a les lanceurs d’alerte qui donnent à connaître des choses importantes, et ceux-là sont menacés de prison.

⇒ Ils sont d’autant plus menacés, qu’une récente loi sur le secret des affaires, va juguler, interdire encore plus la diffusion d’informations de la plus grande importance pour nous tous.
Les lanceurs d’alerte sont devenus les nouveaux « Prométhée ».

⇒ Il y a bientôt 30 ans Jean-François Lyotard, nous parlait déjà de ce nouveau concept, la société de la connaissance : « Le savoir est, et sera un enjeu majeur, peut-être le plus important dans la compétition mondiale pour le pouvoir. Le savoir en se transformant en système d’information est devenu mesurable, marchandisable… Voilà comment nos sociétés de parole, parole qui constitue depuis le début les fondements de la démocratie, tendent de plus en plus à se transformer en sociétés de l’information » 
Le  nouveau concept qu’est « l’économie de la connaissance » qu’on nomme aussi (abusivement à mon sens) l’économie des savoirs ; il se résume de fait à une immense banque des informations. Nos connaissances sont devenues la marchandise qui alimente l’économie de la connaissance, et font aussi la fortune des GAFAM (Google/Amazon/Facebook/Apple /Microsoft)

 

Philosophies comparées d’Adam Smith et de Karl Marx

     Restitution du café-philo du 24 octobre 2018 à Chevilly-Larue

Animation: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin
Modérateur : Hervé Donjon
Introductions : Danielle Pommier Vautrin et André Sergent.

Introduction, André Sergent (lue par  Danielle Pommier Vautrin, en son absence excusée) : La psychologie de l’actionnaire, et celle du prolétaire sont-elle de la même philosophie ?
Ce terme se retrouve aussi bien dans le vocabulaire syndical « intérêt de classe » par exemple, que dans le vocabulaire actionnarial, « intérêt d’un placement », par exemple.
Karl Marx, économiste de formation, propose de lire l’histoire sous un angle construit qui stipule qu’elle est conduite par un incessant conflit qui oppose différentes catégories sociales dans le but de préserver leurs intérêts. En particulier, les « possédants » d’une part, et ceux qui ne possèdent rien, ou peu de l’autre.
Il établit que ce conflit oppose ceux qui souhaitent garder pour eux les richesses accumulées, et ceux qui souhaitent que l’on partage ces biens, c’est-à-dire, et en résumé, ceux qui souhaitent déposséder les possédants pour devenir eux-mêmes, possédants.
Marx précise que seule une dictature peut opérer en la matière.
Dans le monde actionnarial, nous observons la même violence.
L’actionnaire se gargarise de posséder, il se plaît à être membre d’une élite, il est convaincu qu’il est né pour « réussir », « Dieu m’a fait », pourrait être sa devise !
Inversement, Marx propulse le prolétaire au rang de maître d’œuvre de la Révolution. Dans ce mythe l’ouvrier devient héros et membre lui aussi d’une élite.
Le désir de conquérir les biens, d’une part, celui de les accaparer de l’autre, ne relèvent-ils pas d’une seule logique ? Où le souci consiste à perdre ou à gagner, à « avoir » ou « n’avoir pas ».
Or, ce concept, « perdre, ou gagner » est strictement l’esprit de la compétition, y compris lorsqu’il s’agit de sport, de commerce, ou d’élection.
L’élitisme nourrit la psychologie de la compétition, comme le fleuve nourrit la mer.
Epicure, Shakespeare, Spinoza et Freud proposent une autre logique que celle « d’avoir ou de ne pas avoir ». Elle est révolutionnaire pour le coup, et prétend que l’essentiel est « d’être ou de ne pas être » Dans ce fonctionnement, nul besoin d’être riche, nul besoin, d’être noble, actionnaire, ou héros. Nul besoin enfin que les salaires soient différents.
Ainsi voilà posée la question dont vous allez débattre : propriétaires et actionnaires fonctionnent-ils, de fait, d’une seule et même façon ?

Introduction Danielle : Adam Smith est un philosophe et économiste écossais des Lumières. Il reste dans l’histoire comme le père des sciences économiques modernes, dont l’œuvre principale, publiée en 1776, « La Richesse des nations », est un des textes fondateurs du libéralisme économique. Professeur de philosophie morale à l’université de Glasgow, il consacre dix années de sa vie à ce texte qui inspire les grands économistes suivants, ceux que Karl Marx appellera les « classiques » et qui poseront les grands principes du libéralisme économique. Adam Smith est né le 5 juin 1723 à Kirkcaldy.
Dès sa naissance, Adam Smith est orphelin de père. Ce dernier, contrôleur des douanes, meurt deux mois avant la naissance de son fils. À l’âge de quatre ans, Adam Smith est enlevé par des bohémiens, qui, prenant peur en voyant l’oncle du jeune garçon les poursuivre, l’abandonnent sur la route où il sera retrouvé. Élève particulièrement doué dès son enfance, bien que distrait, Adam Smith part étudier à Glasgow à l’âge de quatorze ans et y reste de 1737 à 1740. Puis il part étudier à l’université d’Oxford.
Choisissant une carrière universitaire, Smith obtient à l’âge de vingt-sept ans la chaire de logique à l’université de Glasgow et plus tard celle de philosophie morale. Le corps enseignant apprécie peu ce nouveau venu qui sourit pendant les services religieux et qui est de plus un ami déclaré de David Hume mais il est apprécié de ses étudiants.
Pendant un long séjour avec son élève dans le Sud-Ouest de la France et en Provence, Smith s’ennuie et entame la rédaction d’un traité d’économie, sujet sur lequel il avait été amené à dispenser des cours à Glasgow. Après un séjour à Genève, Smith et son élève arrivent à Paris.      C’est là qu’il rencontre l’économiste le plus important de l’époque, le médecin de Madame de Pompadour, François Quesnay. Quesnay avait fondé une école de pensée économique, la physiocratie, en rupture avec les idées mercantilistes du temps. Les physiocrates prônent que l’économie doit être régie par un ordre naturel : par le laissez-faire et le laissez-passer. Ils affirment que la richesse ne vient pas des métaux précieux, mais toujours du seul travail de la terre et que cette richesse extraite des sols circule ensuite parmi différentes classes stériles (les commerçants, les nobles, les industriels). Adam Smith est intéressé par les idées libérales des physiocrates, mais ne comprend pas le culte qu’ils vouent à l’agriculture. Ayant vécu à Glasgow, il a conscience de l’importance économique de l’industrie.
En 1776, après y avoir consacré plusieurs années, Smith publie son traité d’économie politique, celui qui va faire sa renommée et qu’il intitule « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ». Smith meurt le 17 juillet 1790 à l’âge de soixante-sept ans. Ce philosophe écossais est souvent considéré comme le père de la science économique moderne. Le courant libéral en a fait l’un de ses auteurs de référence. Dans Recherches sur les causes et la nature de la richesse des nations, il n’apporte presque aucune idée nouvelle mais il fait la synthèse des idées économiques les plus pertinentes de son temps.
Pour Adam Smith, la richesse d’une nation ne réside pas dans l’or et la monnaie, mais dans le travail des hommes. Il y a trois grandes causes d’enrichissement de la nation : la division du travail, l’accumulation du capital et la taille du marché.
La division du travail désigne une répartition toujours plus spécialisée du processus de production. Chaque travailleur qui se spécialise dans son domaine augmente l’efficacité de son travail et sa productivité. Dans un système de libre-échange, les hommes se répartissent les tâches, puis s’échangent les fruits de leur travail.
Smith est aussi un partisan du libre-échange entre les nations. Il développe la notion d’avantage absolu. Si une nation est meilleure dans la production d’un premier bien, tandis qu’une autre nation est meilleure dans la production d’un second bien, alors chacune d’entre elles a intérêt à se spécialiser dans sa production de prédilection et à échanger les fruits de son travail. Il conseille « de ne jamais essayer de faire chez soi une chose qui coûtera moins à acheter qu’à faire ».
Une autre de ses théories les plus connues est celle de la main invisible. Adam Smith considère que la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général. En d’autres termes, la confrontation des égoïsmes mène à l’intérêt général : c’est le « mécanisme de la main invisible ». Selon cette théorie, l’Etat n’a pas à intervenir car le marché se régule naturellement. Il doit se cantonner à des fonctions régaliennes (armée, police, justice) pour protéger les citoyens des violences et des injustices.

Karl Marx : Je ne m’appesantirai pas sur Karl Marx dont tout le monde a peu ou prou une idée de la philosophie, même si elle a souvent été caricaturée, à l’instar d’autres grands penseurs de l’Humanité comme Freud, Attali ou Roudinesco, etc… par des petits joueurs qui ont cherché à leur nuire. De nombreux préjugés ont en effet entaché sa pensée.
Il reste toutefois une des grandes figures de la pensée pour notre siècle depuis près de plus de 150 ans. Marx voulait le rapprochement de la classe ouvrière et de la classe paysanne pour faire un grand mouvement d’union prolétarienne ou une « dictature » provisoire du prolétariat, soit un gouvernement sans concession opposé à la classe capitaliste qui exploitait le peuple par des hypothèques, de l’usure et l’impôt d’état notamment.
Le mot dictature, souvent pris à contresens, signifie que les classes victimes du capital doivent arriver au pouvoir et gouverner dans leurs intérêts.
Cette alliance des classes ouvrière et paysanne, hostiles alors à la dictature de Louis Napoléon Bonaparte s’accommode parfaitement du maintien des institutions de la démocratie parlementaire. C’est pourquoi Marx tient à l’existence d’un parti ouvrier, fonctionnant dans la révolution permanente et où les intérêts des ouvriers seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises.
Même si Marx réside à Londres à l’époque où il écrit vers 1848, avec sa famille, dans des conditions d’extrême pauvreté, comme celle de la classe ouvrière, mais n’en faisant pas partie, il a décidé qu’il ne fallait pas se plaindre mais comprendre les mécanismes de la pauvreté et travailler pour l’ensemble de l’humanité. En 1848, il assiste à la Révolution qui échoue faute d’alliance entre ouvriers et paysans, et voit l’arrivée de la dictature de Louis Napoléon Bonaparte pour dix ans cette fois. Sans l’alliance de tous les prolétaires, la révolution anti-capitaliste ne peut pas advenir, et le prolétariat ne peut pas gouverner pour ses intérêts. Le capitalisme reste l’ennemi de classe que Marx analyse parfaitement, notamment dans son livre « Le Capital », car il vit lui-même dans la pauvreté et le dénuement en étant un intellectuel bourgeois mais critique des rapports de classes injustes.
Marx a vu avant tout le monde en quoi le capitalisme constituait une libération des aliénations antérieures, il ne l’a jamais pensé à l’agonie et il a fait une apologie du libre-échange et de la mondialisation, et il a prévu que la révolution viendrait, si elle advenait, comme le dépassement d’un capitalisme devenu universel. Il est le premier penseur mondial porteur de l’esprit du monde, comme dit Jacques Attali dans son livre, « Karl Marx ou le génie du monde».
Il faut comprendre comment à partir des apports de Marx certains successeurs ont pu créer nos démocraties, et d’autres, récupérant et distordant ses idées, ont pu en faire la source des deux principales barbaries de l’histoire moderne, en le récupérant ou en s’y opposant.
Marx dit que tout pouvoir doit être réversible, que toute théorie est faite pour être contredite, que toute vérité est vouée à être dépassée, que l’arbitraire est certitude de mort, que le bien absolu est la source du mal absolu, qu’une pensée doit rester ouverte, ne pas tout expliquer, admettre des points de vue contraires, ne pas confondre une cause avec des responsables, des mécanismes avec des acteurs, des classes avec des personnes… »
Marx issu d’une famille juive, converti au protestantisme à huit ans, finissant par abandonner la religion, cet « opium du peuple » a développé une pensée qui reste messianique à l’échelle internationale, où après que le capitalisme soit allé au bout de sa logique la révolution prolétarienne adviendra. Le peuple alors sera au pouvoir pour réaliser les intérêts de la collectivité par opposition à la défense d’intérêts singuliers et privés portés par le capitalisme.
Il est temps aujourd’hui, de réaliser au moment où s’accélère la mondialisation, qu’il avait prévue, que Karl Marx, bien compris, redevient d’une extrême actualité.

 Débat Débat :  ⇒  Les théories, les écrits de ces deux philosophes sociologues, ont   généré directement ou indirectement deux idéologies.
L’une, se référant à Adam Smith, est devenue le libéralisme économique (que je ne confonds pas avec le libéralisme politique)
L’autre,  se référant à Karl Marx, le communisme, avec ses expériences, ses applications au siècle passé, dont une sur 70 ans. Cette dernière s’est effondrée ; pour beaucoup, elle n’a pas été jugée,  comme « globalement positive ».
En revanche, le modèle d’Adam Smith, ayant lui aussi ses vives critiques, trouve d’une certaine façon sa continuité dans la quasi-totalité de nos démocraties occidentales.
Aurions-nous choisi, conservé, le modèle le moins mauvais ? Choisi par défaut ? A chacun sa réponse.
La philosophie politique d’Adam Smith et celle de Karl Marx  se situent à près de cent ans de différence.
Il est à noter, et cela peut éclairer notre débat, que Karl Marx, non seulement connaît l’ouvrage de référence d’Adam Smith, mais il en cite des passages entiers, (presque 60 pages dans les manuscrits de 1844) et c’est à partir de ces textes qu’il  construit, qu’il développe sa dialectique, qu’il établit son jugement.
Adam Smith est de l’époque où la plus grande partie des échanges est encore d’origine agricole, conjointement au début d’une ère industrielle qui commence à bouleverser le rapport au travail, par la division même de ce travail. Cette division est pour lui bénéfique en tant que gain de productivité, lequel gain dans son optique n’est pas forcément pour l’enrichissement excessif de ceux qui détiennent les outils de production, mais pour augmenter, la rente, le profit, et la richesse d’une nation ; on utiliserait aujourd’hui le terme de croissance économique.
Si Adam Smith avait vécu à l’époque d’Engels et de Marx, peut-être aurait-il écrit un ouvrage quelque peu différent ; ce qui rend la comparaison de leur philosophie politique plus difficile. La société de Smith (si l’on peut employer ce terme) est de peu d’ambition, elle part de ce qui est, d’un état qu’il ne faut guère changer, un état où les inégalités sont source de richesses, et créent par là (pour lui) du progrès et la richesse d’une nation. .
La société de Karl Marx est beaucoup plus ambitieuse, elle n’est pas celle de l’égoïsme, (même bien compris) comme principal modèle économique. Mais elle est, on peut le penser, « trop ambitieuse », pour l’homme ; celui-ci n’étant peut-être pas à la hauteur des exigences nécessaires à une telle société.
La société de Marx, reste largement utopiste. Elle dépassait la simple analyse économique pour une refondation totale du modèle de société. Elle s’écartait d’autant plus du monde d’Adam Smith qu’elle prônait une révolution prolètarienne. On connaît cette vigoureuse déclaration : « Que les classes dominantes tremblent devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Manifeste du Parti communiste)
Adam Smith qui en dehors de l’oeuvre pour laquelle il est le plus connu : « Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations » a pourtant a écrit un traité de morale, un ouvrage célèbre. Celui-ci ne s’émeut pas du travail des enfants; et l’esclavage ne lui pose pas plus de question, lorsqu’il compare les avantages et les inconvénients de l’emploi d’esclaves « nègres » (suivant son propos) dans les plantations de Virginie. De même il écrit dans « La richesse des nations » (Liv.5 § 1 Section 3) qu’il y a « …deux différents plans ou systèmes de morale ayant cours en même temps….. (On lit plus loin) les vices qu’engendre la légèreté sont  toujours ruineux pour les gens du peuple Au contraire plusieurs années passées dans les excès et le désordre ne peut pas entraîner la ruine d’une personne que l’on appelle comme il faut, et les personnes de cette classe sont tout prêtes à le regarder comme un des avantages de leur fortune.., sans encourir la censure »

⇒ Je vais intervenir sur deux concepts ; le premier par rapport à Adam Smith et de « la main invisible », et il me semble que cela permet de comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans les débats entre libéraux.
Adam Smith considère que la recherche des intérêts particuliers aboutit à l’intérêt général. C’est-à-dire, que dans la confrontation des égoïsmes qui mènent à l’intérêt général, « la main invisible », c’est la providence du marché. Pourquoi, parce que nous expliquons comment, dans un contexte où chacun est en compétition contre tous, une harmonie sociale se dégage malgré tout.
Alors, il émet cette hypothèse providentialiste : tout de passe comme si une « main invisible » dirigeait l’ensemble dans l’intérêt de tous. Et donc tout se passe comme si chaque individu était conduit par une tendance irrésistible à remplir un but, une fin, qui n’entre nullement dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il œuvre souvent et finalement d’une manière plus efficace pour l’intérêt de la société que si il avait réellement pour but d’y travailler.
Donc, la fiction de « la main invisible » est devenue le symbole de l’optimisme libéral en matière économique, lequel croit aux règles spontanées du marché, à l’agrégation des intérêts individuels en intérêts collectifs. Et c’est sans doute l’origine de la « théorie du ruissellement » qu’on a entendu une fois de plus lors de la dernière campagne électorale.
Alors que, pour Marx, le terme de capitalisme n’existe pas encore à son époque. Pour Marx le capital est traversé par des contradictions qui interdisent d’atteindre un état définitif. Et donc, adversaire du libéralisme, il interprète la crise économique comme inhérente au système capitalisme. Et donc par là, il réfute concrètement l’optimisme libéral né d’Adam Smith.
Alors, un autre économiste. John Maynard Keynes, témoin de la grande dépression de 1929 considère, lui, qu’il est impossible, pour des raisons aussi bien anthropologiques qu’économiques, que le marché puisse se stabiliser dans un état infini. Et donc, Keynes à l’opposé des libéraux néoclassiques, c’est dire des libéraux en continuité avec Adam Smith, estime qu’il faut être favorable à l’intervention de l’Etat dans la vie économique d’un pays.
Et bien ! Il me semble qu’aujourd’hui, il y a opposition entre les néolibéraux  keynésiens qui prônent l’intervention de l’Etat pour résoudre les contradictions du capitalisme, et les ultralibéraux qui se réclament donc d’Adam Smith, qui eux considèrent, qu’il ne faut pas d’intervention de l’Etat, et qu’il faut au contraire, libérer les capitaux, et par exemple, supprimer l’impôt sur la fortune.

⇒  Je crois qu’il y a une grande similitude entre Smith et Marx, parce que tous les deux sont des grands penseurs, pas seulement économistes, mais philosophes et aussi historiens, sociologues.
Quant à leur différences : je crois qu’Adam Smith est un des principaux dépositaires de l’économie classique, avec lui et avec Ricardo qui va confirmer ce cycle, cette économie de l’apparence, des principes qui ne seront pas approfondis scientifiquement.
Donc Marx a fait une profonde critique constructive de cela, parce qu’il ramasse tout cela pour construire un appareil théorique dont les sources sont l’économie anglaise, la philosophie allemande, avec Keynes, avec Kant, et avec la sociologie française.
Donc, avec ces conceptions, il commence à analyser la société et les modes de production, puisque, pour lui, l’essentiel c’est la production industrielle, celle qui est le produit de la vie, et il dit les limites de l’économie classique qui fait référence aux apparences et non au fond, aux causes profondes des choses.
Il part de la plus-value qui va chez celui qui détient les moyens de production, pas à celui qui ne peut que vendre sa force de production aux propriétaires des moyens de production.
La production de la plus-value c’est pour Marx l’essence même du capitalisme. Et dans cette situation, il pense que la classe ouvrière doit se libérer de cette forme d’exploitation qui n’est pas vol, mais qui est le mécanisme même du système capitaliste.
La société dans laquelle nous vivons, ne pourrait pas exister s’il n’y avait pas appropriation de cette plus-value. Et Marx critiquait l’incapacité des penseurs humanistes à pouvoir expliquer en quoi consiste le fonctionnement profond du capital. Soit pour lui une question des apparences et du sens, deux concepts essentiels chez Marx.

⇒ Au début de l’année, une banque (Natixis) a publié dans une lettre mensuelle, un texte intitulé : «  Karl Marx avait raison ! ». C’était à propos de cette tendance, apparemment due  au fait que le capitalisme, ce système dont on vient de parler, s’en prend à ce qui le fait vivre, c’est-à-dire au vivant. Et le texte fait l’observation que, là, il y avait quelque chose qui donnait raison à Marx.
C’est quand même intéressant de voir que le capitalisme a aussi des limites à l’exploitation de cette force de travail évoquée.
Donc là, ça m’intéresse de marquer le côté Histoire qui continue malgré ce qu’on peut dire, malgré une soi disant « fin de l’Histoire » avec l’apogée du capitalisme et sa domination dans tous les domaines.

⇒  Marx exprime bien l’idée que le système capitaliste comporte son mal endémique, et qu’à la fin il va s’autodétruire.

⇒ Le capitaliste a toujours veillé, ou tenter  de détruire son système opposé, le socialisme. Ainsi les USA ont instrumentalisé le coup d’Etat au Chili.

⇒  Je me suis demandé  si il y avait un lien entre Karl Marx et Adam Smith, et entre toute cette conception libérale et cette conception communiste. Et j’ai vu qu’il y avait un lien, parce que, Marx dans ses écrits, dans ses théories, part du fait  que c’est justement à cause de ce capitalisme qui est grandissant que les prolétaires vont se réveiller et entamer cette révolution du prolétariat. Cette révolution du prolétariat qui pour lui, doit se faire sans violence. Et là, je pense que la théorie de Marx  a été transformée par l’Union Soviétique, et de façon violente. De même Karl Marx ne voulait que le Parti Communiste soit hiérarchisé. Lénine et Staline en ont fait une dictature. Donc, entre la conception de Smith et celle de Marx, il y a cause à effet.
Ensuite je me suis posé la question, qui est de chercher l’origine du libéralisme, et de comparer avec la conception de Karl Marx. Pour moi, là où je trouve que le libéralisme a pris une importance, c’est au moment de la Révolution, de 1789 à 1799, où l’on a mis en avant tous ces droits, les droits particuliers, notamment le droit de propriété. Et c’est intéressant de voir que c’est passé par la Révolution, et que dans la pensée de Marx c’est exactement la même chose, ça passe par une révolution.
Et je voulais revenir sur, « la fin de l’Histoire » (déjà évoquée) Je trouve que c’est très intéressant, parce que, si on regarde, par exemple la pensée du libéral conservateur anglais, Edmund Burke, il avait cette conviction qui le différenciait  des libéraux révolutionnaires. Pour lui, on ne devait pas « faire table rase du passé », comme le Révolution l’a fait, mais prendre en compte l’Histoire pour aller vers quelque chose, et, il remettait en cause ces « droits abstraits » ; notamment, le droit de propriété qu’on donne aux individus, parce qu’on l’a fait de manière abstraite sans prendre en compte l’Histoire.
Je trouve intéressant de comparer ces deux théories.

⇒ Je voulais revenir sur Marx et son concept d’aliénation. Donc, j’ai lu ce texte : « L’homme est un être qui produit, qui crée matériellement sa vie pour donner satisfaction à ses besoins élémentaires. Dans cet acte d’engendrement  de ses moyens d’existence il se voit dépouillé de lui-même et de sa propre essence ». Donc, on en vient à ce concept d’aliénation « L’argent, cet intermédiaire créé par les hommes, a acquit une puissance démoniaque, et il domine ceux qui l’ont engendré [….] Ainsi, l’homme, être qui travaille, qui soumet la nature, les choses et tout l’environnement matériel à sa volonté, se voit-il, en ce processus, aliéné, rendu étranger à ce qu’il crée, aux fruits de son travail et de sa production, étranger, en définitive, à lui-même » https://la-philosophie.com/philosophie-marx

⇒ Quel lien y a t-il entre Smith et Marx ? Il y en a forcément, mais je pense qu’en même temps tout les oppose. Marx n’était pas sans connaître les travaux de Smith. Bien entendu ! Smith dit qu’il faut laisser faire le libéralisme économique, et il ne propose aucun changement de la société. Il propose qu’elle fonctionne différemment. Pour lui, si tu trouves moins cher ailleurs,  ne te casse pas la tête, achète ! Il ne remet pas en cause les conditions de travail, il n’y a aucun fondement intrinsèque de la société qu’il remet en cause.
Chez Marx la société change, non seulement elle change, mais il faut qu’elle change, et elle a toujours changé. Parce qu’on oublie une chose c’est que Marx a fait une dialectique, une dialectique qu’il a créée ; un véritable continent philosophique. Avec la dialectique il a découvert que finalement, au cours du temps, dans l’Histoire, chaque fois que les hommes étaient devenus possédants de ce qu’ils devaient posséder, c’était lié à une lutte de pouvoir, d’où « la lutte des classes ». La dialectique historique c’est la grande découverte de Marx, et c’est pour ça qu’il dit: non seulement la société change chaque fois qu’il y a  lutte, mais il va falloir lutter pour faire la chance aujourd’hui et demain.
L’histoire de « la main invisible »  a très bien été résumé dans une précédente intervention, mais en plus, je pense que Smith se trompait là. Parce que, ce qu’il dit, c’était peut-être valable au Moyen-Âge, c’est-à-dire au temps des compétions entre les artisans qui faisaient des choses pour le bonheur de tous ; mais déjà à la fin du 18ème siècle l’industrie était  arrivée, et le capitalisme qui permettait les industries était arrivé, ce qui changeait fondamentalement la chose ; on n’était plus dans des sociétés de production moyenâgeuse.
Donc, avec l’histoire de « la main invisible » Smith  s’est complètement  trompé. Et c’est pour ça que Marx arrive et dit cette société il faut la changer, car le capitalisme crée l’esclavage industriel ; et il en a l’exemple en Angleterre, où à cette époque les ouvriers sont comme des esclaves. Il faut relire Dickens ou d’autres écrivains contemporains pour s’en rendre compte, et pas que les philosophes pour connaître ce qu’est l’exploitation de l’ouvrier à l’époque.

⇒ Un document du règlement intérieur des usines Michelin daté de 1880, illustrent la condition ouvrière de l’époque :
1 Piété, propreté et ponctualité font la force d’une bonne affaire.
2 – Notre firme ayant considérablement réduit les horaires de travail, les employés de bureau n’auront plus à être présents que de sept heurs du matin à six heurs du soir, et ce, les jours de semaine seulement.
3 – Des prières seront dites chaque matin dans le grand bureau. Les employés de bureau  y seront obligatoirement présents.
4 – L’habillement doit être du type le plus sobre. Les employés de bureau ne se laisseront pas aller aux fantaisies des vêtements de couleurs vives, ils ne porteront pas des bas non plus, à moins que ceux-ci soient convenablement raccommodés.
5 – dans les bureaux on ne portera ni manteaux ni pardessus. Toutefois, lorsque le temps sera particulièrement rigoureux, les écharpes, cache-nez et calottes seront autorisés.
6 – Notre firme met un poêle à la disposition  des employés de bureau. Le charbon et le bois devront être enfermés dans un coffre destiné à cet effet. Afin qu’ils puissent se chauffer, il est recommandé à chaque membre du personnel d’apporter chaque jour quatre livres de charbon durant la saison froide.
7 – Aucun employé de bureau ne sera autorisé à quitter la pièce sans la permission de M. le Directeur. Les appels de la nature sont, cependant permis et pour y céder, les membres du personnel pourront utiliser le jardin au-dessous de la seconde grille. Bien entendu cet espace devra être tenu d’une façon parfaite.
8 – Il est strictement interdit de parler pendant les heures de bureau.
9 – La soif de tabac, de vin ou d’alcool est une faiblesse humaine et, comme telle, est interdite à tous les membres du personnel.
10 – Maintenant que les heures de bureau ont été énergiquement réduites, la prise de nourriture est encore autorisée entre 11 h 30 et midi, mais en aucun cas le travail ne devra cesser  durant ce temps.
11 – Les employés de bureau  fourniront leurs propres plumes. Un nouveau taille plume est disponible sur la demande chez M. le Directeur.
12 – Un Sénior, désigné par M. le Directeur sera responsable du nettoyage et de la propreté de la grande salle ainsi que du bureau directorial. Les juniors et les jeunes se présenteront à M ; le Directeur quarante minutes avant les prières et resteront après l’heure de la fermeture pour procéder au nettoyage. Brosses, balais, serpillières et savon, seront fournis par la Direction.
13 – Augmentés dernièrement les nouveaux salaires hebdomadaires sont désormais les suivant :
 Cadets : (Jusqu’à 11 ans)                     0,50 F
 Juniors : (Jusqu’à 14 ans)                   1,45  F
Jeunes :                                                     3,35 F
Employés                                                 7,50 F
Séniors : (Après 15 ans de maison) 14,50 F
   Les propriétaires reconnaissent et acceptent la générosité des nouvelles lois du travail, mais attendent du personnel un accroissement considérable du rendement en compensation de ces conditions presque utopiques.                      

⇒ Effectivement, pour lui, ce qui définit l’homme c’est, son travail. Ce n’est pas sa liberté, sa volonté, sa conscience. Pour lui ce qui caractérise l’homme et qui le distingue de l’animal, c’est que l’homme est « l’Être au travail » (Manuscrit de 1844). L’animal, à la différence de l’homme n’a pas de projet, n’a pas de plan pour produire ; comme les rues que produisent les termites, le miel que produisent les abeilles. Donc l’homme se distingue de l’animal par son travail. Et pourquoi ? Parce que par son travail, il se libère, se libère de ses liens aliénant avec la nature, ou, avec les autres hommes.
Donc, l’homme comme « Être au travail » devient un être libre, émancipé. Or, comme cela  été dit, par l’organisation capitaliste il devient aliéné, il ne se libère pas par son travail. Et pourquoi il devient aliéné, parce qu’il vend « sa force de travail », et il n’est pas maître du produit de son travail. Il travaille au profit de ceux qui détiennent « les moyens de production ».
Donc, pour cette raison, il est nécessaire de détruire le système capitaliste. Et là, en regard de ce qui été dit, ce n’est pas le marxisme qui implique la nécessité de la destruction du capitalisme. D’ailleurs Marx lui-même dit, qu’il n’est pas marxiste ; c’est-à-dire, je ne suis pas un idéologue qui défend une idéologie comme une religion. Je suis un économiste philosophe, j’analyse la contradiction du capital pour montrer que les contradictions exigent sa destruction, rendent nécessaire cette destruction. Et non seulement de par les contradictions, mais parce ce mode de production économique, c’est aussi une forme d’organisation sociale.
Alors, il y a (comme cela a été dit) ceux qui disent, le communisme, ou, plus précisément, le socialisme réellement existant (pas l’idéal, pas l’utopique), a « un bilan globalement positif ». Et puis, il y a ceux qui disent le socialisme c’est un totalitarisme. C’est Hannah Arendt qui dit que c’est un système politique qui fonctionne à l’idéologie et à la terreur, (ce sera par exemple le goulag). C’est-à-dire que les individus sont sous l’emprise d’une idéologie selon laquelle il y a les bons et les méchants, les amis et les ennemis du peuple.
Et je reprendrais la formule de Jean Ziegler dans son petit livre : « Le capitalisme expliqué à ma petite fille » (avec en sous titre : en espérant qu’elle en verra la fin »), je le cite : « Le capitalisme a créé un ordre cannibale sur la planète. Pourquoi ? Parce le capitalisme crée l’abondance pour une petite minorité, et la misère pour la multitude » Et il continue : « En effet, aujourd’hui, il y a ceux qui  habitent l’hémisphère nord, ceux qui appartiennent aux classes dirigeantes des pays du sud, ceux pour qui les formidables révolutions industrielles scientifiques produites par le système capitalisme durant les 19ème  et 20ème siècle, ont procuré un bien-être économique jamais atteint auparavant… Et les autres !»

⇒ Quand les deux (Smith et Marx) parlent de capital, ils n’y voient pas la même chose.
Pour Marx le capital, par l’acquisition des moyens de production, met les ouvriers en servitude, alors que pour Smith, le capital est nécessaire à la création d’activités, d’entreprises, il crée ainsi les emplois. Le capital chez Smith est le premier moteur de la société économique.
Le socle de la société c’est chez Smith, le capital, pour lui l’économie repose sur trois piliers : la rente du propriétaire, le profit de l’exploitant, le salaire de l’ouvrier.
L’approche économique de Smith est souvent définie ainsi :
1° La rente du propriétaire. Propriétaire de la terre, de l’usine du terrain, etc…
2° Le profit. Le profit de l’exploitant, métayer, entrepreneur, etc…
3° Le travail. Soit la part qui est allouée à celui qui travaille, à celui qui dans la dialectique de Marx, « vend sa force de travail »
Cela nous donnerait aujourd’hui :
1° La banque, le fonds de pension, les actionnaires.
2° L’entreprise et ses dirigeants.
3° Les salariés et employés de l’entreprise.
Pour Marx les deux premiers seraient plutôt classés comme prédateurs, profiteurs non productifs. Pour Marx l’ouvrier doit s’approprier l’outil de production, et ne pas avoir à travailler, ni pour la rente, ni pour le profit.
Les quelques textes concernant les salaires illustrent bien les idées d’Adam Smith quant aux droits étant exclusivement du côté du capital.: « C’est par convention que se déterminent les taux communs des salaires. Les ouvriers veulent gagner le plus possible, les maîtres donner le moins qu’ils peuvent. Il n’est pas difficile de prévoir laquelle des deux parties […..] doit avoir l’avantage. Les maîtres peuvent se concerter aisément, tandis que cela est interdit aux ouvriers »   (Richesse Des Nations. P, 137)
   « Toutes les fois que la législature essaie régler des démêlés entre les maîtres et les ouvriers, ce sont toujours les maîtres qu’elle consulte. [….] Les maîtres, ordinairement se lient par une promesse, une convention secrète à ne pas donner plus que tel salaire. Si les ouvriers faisaient entre eux telle ligue de la même espèce, la loi les punirait sévèrement » (Richesse Des Nations. P, 219)
  « Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses mains ; et l’empêcher d’employer cette force de la manière qu’il juge la plus convenable [….] est une violation de cette priorité primitive »    (Richesse Des Nations. P, 198)
On retrouve là, la volonté d’exclure des règles, des conventions salariales, d’exclure un droit de grève.

⇒ Le capitalisme dans son développement, dans ses crises qui se multiplient, devenu catastrophe à l’échelle planétaire, montre bien, qu’il y a là, une dimension historique à laquelle aucun système ne peut échapper.
Donc, comme il y a des adeptes de « la fin de l’Histoire » et certains qui encensent ce système ça vaut le coup de se pencher un peu plus sur ce qui se passe réellement.
De même cette dimension me semble présente entre les deux économiste Smith et Marx, ne serait-ce que parce qu’il y a un siècle entre les deux, et que pendant ce siècle il y a eu passage de l’économie artisanale où « l’inventivité » de chacun était « au pouvoir » à l’industrialisation… L’inventivité est une chose que le capitalisme ne va pas favoriser, au contraire, parce que ceux qui ne vont plus pouvoir vivre de leur créativité vont être obligés de devenir salariés ; et c’est ce passage là que Marx étudie davantage, et dans lequel il voit cette aliénation.  C’est le propriétaire des « moyens de production » qui décide quoi produire, comment produire, et avec qui. Et la différence avec ce passage dans le salariat, avec cette fameuse « force de travail », et bien, le salarié ne va pas seulement être obligé de « vendre sa force de travail » mais, « l’utilisation de sa force de travail » (nuance importante).
Donc « la force de travail » est devenue marchandise, c’est ça aussi qui le différencie avec les systèmes de production précédents. Tout devient marchandise, y compris la « force de travail » du salarié,  qui s’échange, qui s’achète, qui se vend.
Et il a quelque chose que le capitalisme ne veut pas connaître, ne voulait pas qu’on fasse connaître, et c’est Guizot qui disait qu’il fallait bien se garder de « vouloir approfondir cette question brûlante de l’origine de la plus-value ».

⇒ Nous évoquons là des idéologies qui ont marqué leur siècle, notamment celle de Smith, père de l’idéologie capitaliste, et après l’idéologie qui s’est inspiré de Karl Marx.
J’ai noté que le capitalisme embryonnaire est né dans des sociétés agricoles, et il faut penser que son expansion a causé bien des dégâts, des dégâts à l’échelle humanitaire : d’abord l’esclavage, puis les épopées coloniales dont la motivation fondamentale était l’économie, elles ont été liées au système capitaliste. Donc cela entraînait une destruction fondamentale des formes communautaires, et je pense à la terre, comme cela s’est fait en Algérie avec les expropriations des terres.
Après ces pages noires, on en arrive à d’autres catastrophes, dont celle des ressources naturelles ; ce qui m’interpelle, car comment avec le niveau d’éducation actuel, n’arrive-t-on pas à trouver la manière de bousculer ce système, et comment restons-nous « aliénés » ?

⇒ Pour répondre à cette question : capitalisme et environnement. Je ne pense pas que ce seront les idées marxistes qui viendront à bout de l’idéologie d’Adam Smith.
Dans les décennies à venir, c’est en regard des événements, des grands problèmes climatiques que se décideront prioritairement les choix politiques. L’économie de marché soutenue par une croissance exponentielle, cela est devenu irrémédiablement incompatible avec l’environnement: ou il faudra sauver la planète, ou il faudra sauver le marché, ainsi que nous le dit en substance Naomi Klein dans son ouvrage « Tout peut changer, Capitalisme et changement climatique ».

⇒  Pour Marx l’essentiel est la production matérielle, et selon son étude philosophique de l’Histoire, le monde est passé par différentes conditions. D’abord, par le commerce primitif où la nature appartenait à tous, et là, égalité absolue. Ensuite vient le système esclavagiste, pour, déjà utiliser « les forces de travail », après vient la production « latifundiste », celle des grandes propriétés agricoles, proche des régimes féodaux, toutes les exploitations sinistres de l’homme. Puis vient le régime capitaliste qui écrase les anciens mondes, et qui va développer une production matérielle avec une force et une intelligence extraordinaire ; laquelle va instaurer les idées fortes : de liberté, d’égalité, de fraternité, (des choses magnifiques). Mais, Marx en saluant cela, dit, que malheureusement, ce que cela nous promettait n’est pas là, n’est pas vrai, parce qu’il ne pouvait y avoir d’égalité entre le patron et l’ouvrier, il n’y avait pas de liberté ; qu’il n’y avait pas de volonté quand les gens pour survivre étaient obligés de vendre leur « force de travail ». Donc, quelle liberté ? Cette liberté c’est celle de l’économie classique, économie libérée de Smith, de Ricardo..
Et, quant au communisme « issu » de Marx, cela a donné Staline, une « cellule cancéreuse »  de l’idéologie qui s’est transformé en dictateur.
Alors, la question reste : quelle légalité aujourd’hui quant aux idées de Marx ? Est-ce ça compte encore Marx ?

⇒ Le matérialisme chez Karl Marx. Avec la bourgeoisie, la religion est, chez Marx un des obstacles à la libération des peuples.
Ce dernier est matérialiste au sens philosophique du terme, c’est-à-dire refusant le principe d’une divinité, (Sa thèse de doctorat est sur l’épicurisme), même si le matérialisme de Marx ne se résume pas qu’à cela.
Le second (Adam Smith) chez qui je n’ai rien relevé à la lecture de son oeuvre majeure concernant la religion, serait lui aussi matérialiste mais pas dans le même sens.
Marx est anti matérialiste (au sens purement économique) je le cite : « Les hommes se construisent un monde nouveau, non pas avec des « biens terrestres », ainsi que le croit la superstition grossière, mais avec des conquêtes historiques…il leur faut au cours de leur évolution, commencer par produire eux-mêmes les conditions matérielles d’une nouvelle société, et nul effort de l’esprit ni de la volonté ne peut les soustraire à cette volonté »  (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. La critique moralisante ou la morale critique)
Et, bien sûr, ses attaques contre la religion sont restées célèbres ; « La misère religieuse est d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple.
  Le vrai bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole ».  (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Introduction)
   « La critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l’homme, est pour l’homme, l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable ». (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Critique de la philosophie du droit)
  Les preuves de l’existence de Dieu, ou bien ne sont que des tautologies vides de sens ; – par exemple, la preuve ontologique revient à ceci « ce que je me représente comme réel est pour moi une représentation réelle » et agit sur moi ;  et en ce sens, tous les dieux, aussi bien que les dieux païens ont une existence réelle ».
 (Karl Marx. Oeuvres philosophiques. Différence de la philosophie)

⇒ Je trouve intéressant de regarder ces deux théories et de voir ce qu’elles représentent. Si on regarde bien, elles reposent sur « l’intérêt »: intérêt particulier et, intérêt général. Et je trouve intéressant  de regarder la situation actuelle en France où le libéralisme a tellement de courants.
Aujourd’hui c’est facile de  prôner quelque chose de nouveau, de montrer une autre image de la société, pour se faire élire par exemple.
Il y a un libéralisme doctrinaire qui a créé une classe moyenne, cette nouvelle élite. Et j’ai l’impression, justement qu’aujourd’hui le gouvernement en place a repris cette nouvelle formule de la classe moyenne, et les gens disent : Ah! C’est nouveau ! Alors qu’en fait, on a affaire à un système complètement capitaliste.
J’adhère plus à Karl Marx qu’à la transposition que fut le communisme. Et chez les plus jeunes cela a plutôt un côté vieillot, alors que le libéralisme, il y a tellement de courants  qu’ils peuvent toujours s’adapter. Et plutôt que de manifester pour en finir avec le capitalisme, c’est l’adapter en s’adaptant.

⇒ L’ouvrage le plus achevé (même inachevé) de Marx c’est « Le capital » ; c’est celui sur lequel il a travaillé en dernier  sur la base de tout ce qu’il avait entrepris avant, lesquelles études étaient restées à l’état de manuscrits ; ça vaut la peine de le rappeler parce qu’on a tendance à ne citer que le jeune Marx ; Par ailleurs dans le matérialisme de Marx, l’aspect religion compte, mais je crois que ça va très au-delà de ça. Les racines du matérialisme, c’est par rapport à Hegel, ce qui a fait pour lui, le primat du réel.
Ce qui ne veut pas dire que le spirituel n’a qu’un caractère secondaire, au contraire, mais sur la base de la connaissance du réel il est donné pour ce qu’il est,  et à partir de là, nos connaissances peuvent se développer : les intelligences partager, échanger, et leur diversité constituer une richesse.

⇒ La philosophie de Marx prolonge la simple critique, elle doit aller vers la transformation, de la société, se faire, praxis : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde ; il faut désormais, le transformer » (Marx. Thèse sur Feuerbach)

⇒ Quand on parle de Marx, on parle d’économie, de capital, on oublie que c’est un historien qui a, à un moment, beaucoup critiqué l’anarcho-syndicalisme. Dans cette lutte des classes en France, par contre, il fait l éloge de la Commune, elle a construit, elle ne s’est pas contenté de détruire. Marx était pour construire.

 ⇒  De Smith, ses partisans ont hérité des « éléments de langage » régulièrement utilisés ; de véritables copier/coller.
Smith dans la « Richesse des Nations » écrit que « L’accumulation du capital permet un accroissement de la productivité, et que la hausse du travail en résultant, entraîne la demande travail, et par là le hausse des salaires ».
Sans vergogne, 200 ans plus tard Raymond Barre dans la années 1970 nous servait  la même litanie. Nous avons encore en mémoire ces propos : « Les sacrifices d’aujourd’hui sur les salaires, sont les résultats de demain, lesquels sont les investissements de demain, et les  emplois d’après demain »  (Il y avait à l’époque 400.000 chômeurs en France). Et cette  litanie est  aujourd’hui encore  dans le catéchisme libéral
Autre élément de langage, hérité de Smith qui manifestait déjà une certaine mansuétude en regard de l’évasion fiscale (il écrit) : « Aux confiscations, amendes, et peines qu’encourent les malheureux qui succombent dans les tentatives qu’ils ont faites pour éluder l’impôt, il peut (l’État) souvent les ruiner et là anéantir le bénéfice qu’eut recueilli la société de l’emploi de leur capitaux… » (Richesse Des Nations Liv.5. § 2)

⇒ Je pense que les questions qu’on a posées, on peut y répondre avec Marx, et pas avec Smith
1ère question : Comment se fait-il qu’avec le niveau d’instruction actuel, le développement, on soit revenu, aux colonisations, à l’esclavage, aux crimes contre l’humanité ? Et comment le peuple le plus cultivé au siècle passé (le peuple allemand) a-t-il produit le nazisme ?
2ème question : est-ce que Marx s’est trompé ?
Bon ! On a dit dans le capitalisme, il n’y pas de morale, c’est le marché qui gouverne tout. Non seulement il y a de l’inhumain, mais il y a aussi de la déshumanisation parce qu’il n’y a que la morale des entreprises, celle du rendement.
Marx a montré que l’homme avance par les contradictions, et qu’il est passé de l’esclavage antique au servage du capitalisme ; et qu’on est passé au socialisme contemporain, à la condition pour que les prolétaires du système capitaliste  s’unissent : «  Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Et il a laissé entendre que le socialisme ne pouvait se réaliser  dans une société qui n’avait pas encore atteint un certain stade de développement  capitaliste, comme en Angleterre et les pays d’Europe. Ce qui est arrivé dans un pays qui n’était pas au niveau, ça n’a pas marché. Et là, il ne s’est pas trompé lorsqu’il dit « l’histoire a un sens », et pour qu’il y ait les passages, il faut qu’il y ait l’organisation des prolétaires. Et bien ! Ou, ils n’ont pas su le faire, ou, ils n’ont pas voulu. Ils n’ont pas pris en compte l’imagination humaine, la créativité humaine, les capacités d’innovation des individus. Ils ont voulu appliquer le système. Et ça a donné ce qu’on voit. Et aujourd’hui beaucoup n’y croient plus. Ils ne croient plus à la possibilité de détruire le système capitaliste.

⇒ Certaine phrases de Marx sont restées célèbres. Ainsi il parle d’égoïsme autrement que Smith : « La bourgeoisie a joué un rôle éminemment révolutionnaire…elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse…et la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste »  (Karl Marx. Le manifeste du Parti communiste)
Et sans me faire l’avocat de Smith, si celui était là, il nous dirait peut-être : que la tentative d’application des idées de Marx, ça n’a pas marché, car les hommes n’étaient pas à la hauteur d’un si grand projet.

                                                     Œuvres :

Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. 2 tomes. Adam Smith. 1776  (Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
La théorie des sentiments moraux. Adam Smith. 1759.
Le capital. Karl Marx. 1867
Le manifeste du Parti communiste. Karl Marx. 1847-1848
Le manuscrit de 1844 ou Manuscrit de Paris. Karl Marx.
Œuvres philosophiques de  Karl Marx. 2 tomes. Editions Champ libre. 1981
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)
Le capital raconté à ma petite fille. Jean Ziegler. Seuil 2018
Karl Marx ou le génie du monde. Jacques Attali. Fayard 2015

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quel humain pour demain?

Image site des états généraux de la bioéthique 2018

Image site des états généraux de la bioéthique 2018

Restitution du café-philo du 26 septembre 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Se sont tenus cette année à l’initiative du Comité Consultatif National d’Ethique, les États généraux de la bioéthique. Il s’agissait dans les divers débats organisés de collationner les questionnements des français, sur des sujets, tels que :
La PMA : Procréation Médicalement Assistée
La GPA : Gestation Pour Autrui
Les dons et transplantations d’organes, et implants.
Le Diagnostique Pré Implantatoire.
Le statut de l’embryon. Le séquençage de l’embryon, la médecine prédictive.
La conservation d’ovocytes. La cession d’ovocytes.
Les techniques d’imagerie médicale dans le domaine des neurosciences.
Les données numérisées dans le domaine de la santé.
La fin de vie……..
Et aussi quelles règles, quelles limites, entre, soigner, guérir, ou augmenter l’individu ?
Aujourd’hui le champs bioéthique tend à s’agrandir : après l’embryon, les expériences de clonage, la gestation pour autrui, les applications tendant à augmenter l’humain posent un questionnement difficile dans la mesure où ces nouvelles technologies progressent plus vite que la connaissance qu’on en a, et aussi plus vite que les capacités des Comités d’éthique à porter un jugement, et encore plus vite que les législations qui se mettrons en place.
Le Comité Consultatif National d’Ethique a rendu hier mardi 25 septembre ses réflexions à l’issue des débats publics.

PMA : Jusqu’à maintenant, selon la loi française, la Procréation Médicalement Assistée est réservée aux couples hétérosexuels stériles, excluant les femmes homosexuelles, femmes seules, femmes ménopausées.
L’actuel Président de la République a fait de l’accès de la GPA aux femmes seules, une promesse de campagne ; donc une « PMA pour toutes»
Les opposants évoquent la crainte d’un effet domino, c’est-à-dire que cela déboucherait sur la légalisation de la GPA  pour les couples homosexuels, femmes ou hommes, ceci au nom de la non discrimination, du sacro saint principe d’égalité ; donc, peut-être,  après « La PMA pour toutes » « la GPA pour tous ».
Une déclaration du secrétaire d’Etat Christophe Castaner semble préfigurer un choix politique, (je le cite) : «  La PMA c’est accorder des droits identiques aux femmes, la GPA est accepter la marchandisation du corps ». Mais les lois sociétales peuvent diviser profondément un peuple, nous l’avons vu avec le mariage pour tous ; de ce fait les dirigeants sont sur leur garde.

GPA : La question de fond sur ce sujet, est faut-il légaliser les mères porteuses ?
Dans un reportage télé, (16/09/18 Arte 21 h) une jeune députée de « Cuidadanos » (Patricia Reyes / Espagne), d’un parti qui propose de légaliser la GPA, déclarait : « Si une femme décide de prêter son ventre pourquoi pas ? » et elle ajoutait concernant l’aspect de l’hérédité : « La mère porteuse n’apporte aucun élément biologique », ou encore concernant les éventuels droits : « Il n’y a pas de droit à l’enfant, pas plus qu’il n’y a de droit d’être parent »
En Angleterre la GPA est autorisée même aux couples homosexuels. En Ukraine elle est légalisée, mais officiellement réservée aux couples mariés hétérosexuels. C’est un gros business alimenté par des clients étrangers de divers pays ; les prix vont de 10 000 à 50 000 euros toutes prestations incluses (y compris voyage, hôtel, etc…). On peut également choisir le sexe de l’enfant. Deux mille ukrainiennes par an louent leur ventre, interrogées elles précisent toutes : « Je le fais parce que j’ai besoin d’argent ».
Le coût le plus bas est l’Inde, le pays du low cost de la GPA.
Aujourd’hui un des problèmes cruciaux, car il concerne l’enfant, est la reconnaissance de nationalité d’un enfant né à l’étranger d’une mère elle-même étrangère.

Dons d’organes/transplantations, implants : Il existe un commerce international de vente d’organes ; faut-il l’interdire ? Et qui peut l’interdire ? Aujourd’hui en Chine ou en Inde, un rein vaut de 200 à 500 euros ? Nous sommes dans la commercialisation du « vivant ».
Laisser ce commerce  perdurer, n’est-ce pas accepter le respect de la liberté du plus riche face à la liberté du plus pauvre ?

DPI. (Dépistage Pré Implantatoire) Séquençage : «  ….faut-il autoriser » écrit Luc Ferry dans son ouvrage, « La Révolution transhumaniste »   le diagnostic in utero de prédisposition génétique à certaines maladies ou handicaps ? Peut-on à partir de ce dépistage, de la sélection génétique des embryons ne choisir que les « meilleurs », ce qui est une forme d’eugénisme. Si on sait se mobiliser contre le maïs, le blé, le riz  OGM, alors faudra t-il se mobiliser contre  des bébés génétiquement modifiés ?

Cession d’ovocytes, conservation d’ovocytes : Dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, le don d’ovocytes est de plus en plus répandu. Il s’agit d’un acte altruiste, pour aider les femmes qui manquent d’ovules sains à avoir des enfants. Les donneuses doivent être conscientes que vendre leurs ovules est illégal en France, en Europe et dans le reste du monde.
En effet, mettre un prix aux gamètes est internationalement prohibé.
Cependant, les donneuses d’ovules touchent souvent une compensation financière qui ne constitue pas une rémunération ou un salaire en soi, mais est comprise comme un dédommagement pour les gênes causées, les risques encourus et le temps consacré à ce geste solidaire.
En Espagne le don d’ovocyte ouvre un droit, une compensation fixée par le ministère de la santé, entre 800 € et 1000 € (Enfin, c’est une base de discussion)
Aux USA, l’American society for reproductive médecine, estime qu’au-delà de la somme de 5000 dollars ce n’est plus éthique.
Ce sujet a été également commenté ces derniers jours, et surtout quand à la démarche pour des femmes de faire congeler des ovocytes à l’étranger, pour faire éventuellement un bébé plus tard, parce que un enfant trop tôt peut gêner une carrière, disait une femme, ou, parce que «  à 39 ans je ne suis pas prête » disait une femme interviewée ce lundi dans in reportage intitulé : « Un bébé quand je veux ».

Le statut de l’embryon : L’embryon est-il un simple noyau de cellules non conscientes ?
Ou, d’après l’approche qui reste celles des églises : « une personne humaine potentielle » ?
A qui appartiennent les embryons surnuméraires ?
Doit-on autoriser les expériences, les applications liées à l’embryon ?
Des découvertes d’applications liées  aux embryons peuvent-elles faire l’objet de dépôt de brevet ? Soit : breveter le vivant.

 Tous ces sujets, et les décisions qui seront prises, les lois à venir,  feront l’humain et la société de demain.
Alors, devant ces questions qui touchent à l’éthique, à la morale, jusqu’au spirituel, à l’égalité  et à nos rapports sociétaux, à la politique, à l’économie, pouvons-nous être, neutres, indifférents, ou  totalement bio conservateurs, ou totalement bio progressistes ?
Quelles sont les diverses positions, et aussi, quels arguments ?

 

Débat

Débat :  ⇒ Il y a quelques jours à la télévision un professeur spécialiste de la procréation en général, le professeur Israël Nisand a donné ses positions sur la PMA, sur la GPA, sur le clonage, sur les enfants tri parentaux, sur la conservation des gamètes et des embryons, sur le DPI. Et j’ai retenu quelques informations, à savoir que : cela tenait compte des situations familiales. Par exemple, si un parent était décédé, on pouvait penser qu’il était possible d’implanter des embryons qui avaient été conservés, ceci dans la mesure où les deux parents étaient d’accord pour avoir un enfant, avant.
Ensuite quand une maladie empêchait la procréation, il pensait que la FIV (fécondation in vitro) pour une PMA était une solution aussi. Ou, quand une femme n’avait pas d’utérus, qu’elle était stérile, etc.
Donc, il citait pas mal de situations où la PMA pouvait se justifier, et il ajoutait ; de toutes façons si on ne le fait pas, les gens iront le faire à l’étranger, et il y aura une discrimination économique, les riches pouvant payer des interventions à l’étranger, et les plus pauvres ne pourront pas en bénéficier, donc, ça choque.
Au final, il disait : c’est quand même une question de confiance, et ça dépend beaucoup de la qualité de la relation  de la femme avec son médecin ; c’est-à-dire, que la décision au final appartiendra à la femme et au médecin. C’est pour cela que, au fond, il était d’accord pour qu’on favorise la PMA, mais en encadrant bien certaines pratiques. Ensuite il a dit qu’il n’était pas contre la conservation d’embryons et d’ovocytes, mais qu’il était hostile à la conservation des cellules souches spéciales. Il dit que les gamètes sont des objets, les embryons sont des sujets.
Il lui apparaissait aussi que le GPA était différente car elle faisait du vivant un objet de consommation et de même pour les ventes d’organes, il lui paraît immoral de marchandiser le vivant ?

⇒ Il est arrivé plusieurs fois que grâce à ces techniques une femme ait pu faire un enfant après le décès du père. Je ne vous pourquoi on y serait opposé.

⇒ Je pense que pour la PMA, la GPA, il faut respecter le principe d’égalité. Pour la PMA, je suis pour ; d’ailleurs hier j’ai assisté à une manifestation pour la PMA. Je pense que ça repose sur le principe que toute personne doit avoir la chance d’avoir un enfant, et ça remet aussi en cause certaines croyances, ou les idées que certains ont : comment doit être encadré un enfant ? Par un couple homo ? Par un couple hétéro ?
Ensuite, pour la GPA, je suis contre, parce que pour le moins en France on a cette idée du respect du corps humain, et pour cela on a mis des lois en place, et certaines lois précisent qu’on n’a pas le droit de louer son corps, de vendre son corps (ses organes) et je pense qu’à partir du moment où l’on autorise la GPA, on autorise le fait de pouvoir marchandiser son corps. Et là, il faut faire attention, parce que ça remet en cause énormément de choses, comme par exemple : le don d’organes en France, et l’on va vers un système, un peu comme aux Etats-Unis où tout est commercialisable.
Pour moi la PMA, le mariage pour tous, c’est une bonne chose. Mais je pense aussi que la PMA va engendrer la GPA. Ce sera une vraie question qui sera à prendre, non seulement sous l’angle de l’égalité, mais à considérer si louer son ventre n’est pas une forme de capitalisme pur et dur, et cela peut engendrer des choses pires encore.

⇒ Je reprends l’intitulé du débat : quel humain pour demain ? Donc, non réduit à la PMA et à la GPA. Sur toutes ces nouvelles technologies, il y a eu beaucoup d’interventions des scientifiques, et notamment celle de Jacques Testard, qui est à l’origine du premier « bébé éprouvette », Amandine. A partir de là, il s’est posé la question : est-ce qu’on peut généraliser cela ? Et il s’est rendu compte que ça avait toute une série de conséquences très négatives, et notamment, le fait que les gens vont pouvoir décider de « choisir un enfant » : comme ci ! Comme ça ! Cheveux roux – grand – petit – noir – blanc…et ainsi de suite puisqu’on peut « fabriquer l’enfant ».
Dans son ouvrage «  Le magasin d’enfants » ce même Jacques Testard, disait que ça entraînait « un marché d’enfant », et il disait : attention ! Finalement, l’invention dont je suis le père va entraîner que l’enfant peut devenir un objet qu’on peut acheter.
Et puis, il y a eu toute une série de discussions, et il s’est d’ailleurs séparé de l’autre médecin avec qui il avait mis au point la FIV (fécondation in vitro).  Testard a continuer de dire que les technosciences avec la révolution numérique nous permettent d’inventer un nouveau monde et un nouvel humain, un humain transformé, ce qui entraînera la marchandisation de l’humain,
A l’inverse, son ex collègue, Frydman considère au contraire que la technoscience et la techno médecine rendent possible la transformation de l’humain, qu’il faut aller dans ce sens, en évitant le problème de la marchandisation. Mais l’éviter, comment ? D’où les discussions que CCNE (Conseil Consultatif National d’Ethique)
Antérieurement, les questions posées l’étaient par des scientifiques (pas toujours d’accord entre eux), ceci sans se poser la question de savoir ce que pensait le « péquin », ce qu’en pensaient les gens en général. Il n’y a pas de représentant de la population dans le CCNE.
Alors, cette année le CCNE s’est ouvert aux citoyens, et donc la discussion a été partagée avec  des scientifiques, des citoyens, des associations, associations de mouvements lesbiens, de mouvements gays, etc.
Aujourd’hui pour ce qui est de la PMA, le journal « Le Parisien » (N° du 25/09/2018) titre à « la une » : «  La PMA pour toutes », c’est-à-dire, la PMA, non seulement pour les femmes mariées stériles, mais aussi, les femmes seules, les lesbiennes, et les femmes ménopausées (?).
La question est de savoir : comment on passe d’une opinion à une loi. C’est le  problème que pose très bien Luc Ferry dans son livre « La révolution transhumaniste » où il dit : le problème ce n’est pas qu’il y ait conflit d’opinions, et consensus finalement. Le problème est de savoir, comment je passe, et comment chacun passe d’une opinion à une loi ?
Mon opinion, en tant que femme, était tout simplement, que, oui, j’étais favorable à la libération de la femme, et donc favorable à ce que les femmes fabriquent des enfants, quelles et qui qu’elles soient ; qu’il n’y avait pas besoin d’être mariée pour fabriquer un enfant, et qu’il soit reconnu. Qu’il n’y avait pas besoin non plus d’être jeune.
Favorable, oui ! Mais en y réfléchissant : si la PMA est pour toutes les femmes, avec le principe d’égalité, égalité entre les femmes, toutes les femmes : mariées, seules, homosexuelles ou hétérosexuelles, alors, est-ce que, à partir de ce principe d’égalité on ne pourrait pas dire, qu’il faut une loi pour les hommes aussi, pour qu’ils puissent « avoir des enfants », donc ! Autoriser la GPA !
Il y a donc contradiction, et c’est cette contradiction qui doit guider ceux qui dans ce domaine élaborent les lois. Ce n’est pas à partir de ce principe d’égalité ou le principe de non discrimination (qui d’ailleurs ne sont pas des principes, mais qui sont des valeurs) qu’on élabore des lois. Quand on élabore une loi, il faut avoir en tête qu’on ne peut établir une loi qui impliqua autant de contradiction. Donc comme l’a dit Luc Ferry : comment élaborer une loi, qui écrit cette loi : les scientifiques ? La pression populaire ? Les lobbies ? Les médias ?  Il faut qu’effectivement il y ait la possibilité d’exprimer son opinion, qu’il y ait, argumentation, et que cela soit publique, et que les représentants parlementaires aient comme principe d’argumenter et de problématiser, qu’il n’y ait pas une telle contradiction dans les lois qu’ils élaborent.
Alors, je constate que le CCNE a dit : oui à la PMA pour  toutes. Et ça devient de fait un principe « pour tous »

⇒ J’ai retenu de l’introduction cette phrase: que les sciences vont plus vite que la capacité  des Conseils d’éthique à en juger, et plus encore que les législations. Alors quel danger ? Et quelle sagesse retenir ?
Pascal considérait que pour bien réfléchir il y avait divers ordres essentiels de la pensée : Le corps, la nature, l’ordre de la raison, de la morale, de l’amour.
L’ordre de la nature nous dit (suivant le dicton populaire) « On n’arrête pas le progrès », les techniques ne s’arrêtent pas,  il n’y a pas d’horizon. On a besoin de l’ordre de la raison, de la morale. Et au-delà, cela nous pose la question de l’eugénisme : lorsqu’on parle de sélection génétique, cela pose la question de la commercialisation des ventres. Je retiens cette phrase entendue de cette femme qui dit louer son ventre pour vivre, manger, survivre. Donc en regard de l’ordre de la morale et de l’amour, on passe la ligne jaune.

⇒ Le désir d’enfant peut très bien se satisfaire par une adoption quand on voit tous ces enfants qu’on ne peut nourrir dans certains pays. Toutes ces aides à la procréation je n’en vois pas bien l’intérêt.

⇒ Pour adopter il faut souscrire à un certain nombre de critères, lesquels critères éliminerait de nombreuses demandes de GPA.

⇒ J’ai retrouvé dans ma bibliothèque un ouvrage de Sylviane Agacinski : « Corps en miettes », laquelle parlait déjà en 2009 de la GPA. Elle était totalement contre, et c’est aussi mon avis. Pour moi, les questions sont : quel sens éthique peut-on donner à l’enfantement par une mère porteuse ? Faire un bébé pour elle c’est une chose, mais porter un enfant pendant neuf mois pour le remettre à un couple, c’est une autre chose.
En tant que mère, pour avoir eu des enfants, je sais tout ce qui se passe dans cette période, ce qui se tisse entre la mère et l’enfant.  Et si la femme a envie de garder l’enfant, Qu’est-ce qui va se passer ? Qui est la mère ?
De plus, on l’a dit le « baby business » est très lucratif, et finalement cette pratique commerciale mène, comme cela a été dit, à une marchandisation du corps, avec toutes les dérives possibles, telle la vente d’organes dans les pays les plus pauvres, ou, même, comme aux Etats-Unis la possibilité pour les étudiantes ayant besoin d’argent, de vendre leurs ovocytes. De l’ouvrage de Sylviane Agacinski, je retiens particulièrement ceci ! « Dans un contexte d’extrême pauvreté, le besoin d’argent détourne les valeurs humaines les plus fondamentales. Chacun s’efforce de vivre, de survivre, de s’en sortir, y compris en sacrifiant sa propre dignité, et en sacrifiant sa propre intégrité morale et physique. Les faibles sont ainsi naturellement les premières proies de tous ces marchés humiliants, comme le marché du sexe, ou pire celui d’organes » ;
Et je voudrais dire aussi, quand une femme attend un enfant, qu’elle le porte dans son ventre, elle parle à son enfant, elle le touche, elle transmet de l’amour à travers la peau. Alors un « enfant fabriqué » aura-t-il eu cette part d’amour ?

⇒ Dans cet univers où nous voulons tout gérer que devient l’enfant dans cette conception de l’humain ?

⇒ On a évoqué un droit au nom de l’égalité, mais si on accorde ce droit à tout le monde, au nom du bien on fait le mal, et vers quelles dérives allons-nous ?
Et d’autre part dans tout ça, il y a dérive, il y a une escroquerie intellectuelle quand met au pinacle l’ADN et ce qu’il peut transmettre. Les parents vont transmettre de l’ADN à leurs enfants, et dans l’environnement de l’utérus il va aussi en recevoir. Une étude a montré que des souris gestantes élevées dans des conditions stressées, auront des petits, élevés en milieu calme, qui seront stressés. C’est un phénomène que l’on connaît, et il y a des gens qui vendent une croyance qui est erronée, voilà : vous allez pouvoir « choisir sur catalogue ». Ça ne marche pas comme ça !

⇒ La GPA est interdite en Allemagne, elle est bloquée par l’interdiction du don d’ovule.
En Belgique, pas d’interdiction, elle se pratique en dehors d’un cadre juridique. Le code pénal ne punit que les conventions de gestation pour autrui contractées à titre onéreux. Le changement de filiation requiert une adoption.
Au Danemark, la GPA a été votée par plusieurs lois. Les règles sont rédigées de façon pour, d’une part, empêcher la réalisation à titre onéreux, d’autre part, pour ne pas favoriser, même si elle ne l’empêche pas, qu’une personne qui souhaite devenir parent et qui ne le peut pas, ait recours à une personne de son entourage. Celle-ci pouvant même bénéficier d’une insémination artificielle dans certains établissements. Le changement de filiation requiert une adoption.
En France, la GPA est interdite.
En Grande Bretagne, la loi prévoit la GPA à titre gratuit et le droit de filiation aménagé en conséquence.
En Grèce, autorisée, avec une autorisation judiciaire. Elle est réalisée seulement si c’est la seule solution pour une femme de devenir mère. Toute contrepartie pécuniaire est interdite, excepté le remboursement des frais de grossesse. L’originalité de la législation grecque aux règles de la filiation de l’enfant conçu, la femme bénéficiaire de l’autorisation judiciaire, est que celle-ci est réputée être la mère légale de l’enfant et doit être indiquée comme telle dans l’acte de naissance dès l’origine.
En Italie, elle est interdite. La GPA est bloquée par l’interdiction du don de gamète.
Aux Pays-bas, la GPA est admise par le droit médical dans des conditions très strictes, mais non reconnue par le droit civil. Le code pénal ne punit que les conventions de gestation pour autrui conclues à titre onéreux… Le changement de filiation requiert une adoption. La mère porteuse peut décider de garder l’enfant.
Aux Etats-Unis, aucune législation fédérale, les Etats acceptant la GPA constituent une minorité.
En Inde, autorisée avec rémunération de la mère porteuse, mais la loi limite le recours à la GPA aux couples hommes/femmes mariés depuis au moins deux ans.

⇒  C’est intéressant de voir comment d’autres pays ont traité la question, car, sûr que les lobbies, les militants, militantes, pour la GPA vont chercher là, comment ouvrir la brèche. Et on voit aussi l’hypocrisie de certains pays qui ne tolèrent pas mais qui laissent faire.
Et je reviens sur le fameux principe d’égalité, et, comme cela nous a été dit, à partir de ce pseudo-principe on va développer l’idée que si telle technique est autorisée dans un autre pays, alors, pourquoi pas pour nous ?
C’est toujours des mêmes tenants du « j’ai le droit » qui nous disent que leur liberté individuelle ne saurait être entravée par la société. Sauf que c’est à la société de faire ses choix, et non à l’individu, l’intérêt de la société passe avant celui de l’individu.
Dans les réunions des Etats généraux de la bioéthique tout au long des derniers mois, il n’était question que de récupérer les questions des participants du public. Des avis, avec argumentations pouvaient être adressées par mèl au CCNE qui seul décide des recommandations qu’il fera aux responsables proposant les lois.
On ne doute plus que la PMA sera adoptée avant la fin de  cette année, et c’est en avril 2019 que des lois pourront cadrer les autres questions.
Et, toujours revenant à cette référence « égalité », lorsqu’on parle de « désir d’enfant »  qui devient « son droit », droit d’avoir un enfant, c’est d’abord le ressenti de l’adulte qui passe avant la préoccupation pour l’enfant. Et quand on parle d’égalité, on parle d’éthique, mais quand on parle de l’enfant, on parle de morale ? N’y aura-t-il pas carence dans les repères des enfants vis-à-vis des référents père/ mère ? Et ceci au-delà de l’enfance, au-delà de l’adolescence Comment l’enfant va-t-il se  construire ? Quelle incidence sur sa structure mentale ? De fait, est-ce que le souci de l’enfant peut primer sur le désir de l’adulte ?
Et enfin, s’agissant des dons d’ovocytes, on a dit qu’en France cela restait un acte altruiste, mais il est accepté qu’il y ait compensation ; alors ça se passe de gré à gré, on ne sait pas comment. Moins conséquent a priori que la GPA ça reste une commercialisation du vivant.
En Espagne, c’est le ministère de la santé qui l’a autorisé, c’est payant, entre 800 et 1000 euros (c’est la base mini). Aux Etats-Unis, un organisme qui s’appelle « American society for reproductive médecine » estime qu’au-delà de 5000 dollars ce n’est plus éthique.
Il y avait, il y a quelques jours, une émission sur Arte, dont le slogan était « un bébé quand je veux ». Et là, une jeune femme interviewée disait : « Je suis allée à Barcelone il y a un mois pour faire congeler mes ovocytes » et elle ajoutait «  parce j’ai 39 ans et je ne suis pas prête à faire un enfant ». A 39 ans pas prête !
En revanche on peut se demander si pour des jeunes femmes, face au risque de rupture dans une progression de carrière, ce n’est pas une option. Et puis, nous connaissons les dons d’ovocytes qui ont permis après un cancer à des femmes d’avoir un enfant. Donc, tous ces cas spécifiques méritent réflexion.

⇒ Je veux revenir sur ce qui est impliqué entre PMA et GPA, et la contradiction déjà évoquée, de par la non participation de tout le monde. Et donc une loi sur la PMA doit éviter qu’il y ait contradiction, si l’on autorise la PMA au nom de l’égalité, et bien ! ça implique que la GPA doit être autorisée.
Et dans les différents propos j’ai entendu dire : « le désir » ne peut être élevé au rang de « droit ». Le «  désir d’enfant » n’est pas « le droit à l’enfant ». Et alors on dit : mais si c’est autorisé ailleurs, pourquoi ça ne l’est pas ici ? Pourquoi on nous l’interdit ? C’est un argument qui ne tient pas. Pascal nous disait : « Vérité en deçà des Pyrénées, mensonge ailleurs ».
Et quelle est la valeur impliquée par la GPA ? On dit : Solidarité, amitiés, altruisme.., « je prête mon ventre ». Et bien, il y a des études sur cela, dont celle de Françoise Héritier, laquelle explique que dans certaines sociétés il y a eu « prêt du ventre »  de femmes à d’autres femmes. Mais elle ajoute : « Oui ! Mais cette solidarité, cet altruisme, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans une société marchande, de fait cela n’existe pas, c’est une marchandisation de la solidarité ».

⇒ La loi doit être assez libérale. C’est un peu la conception qu’en avait Tocqueville, c’est-à-dire qu’on fait passer en second nos libertés individuelles, pour laisser à d’autres le soin de nous représenter. Ensuite, si en France, tel acte est interdit, alors je vais le faire dans un autre pays. Je pense à des législations qu’on pourrait comme d’autres pays, adopter, (je pense par exemple au canabis). En France si on ne peut pas légaliser, on interdit tout simplement. On pourrait faire comme aux Etats-Unis, c’est-à-dire, que si on ne peut pas arrêter un marché, on va essayer de le contrôler. Si c’est fait dans d’autres pays, si on veut éviter le n’importe quoi, pour protéger ce marché, on va mettre un organisme en place.

⇒ Nous ne pouvons arrêter la science, nulle autorité ne peut la contrôler dans ses recherches, ni l’obliger d’avancer avec précaution. La loi pour légaliser, ou non, « la location de ventres »  ne peut se faire sur des concepts abstraits, elle doit aussi tenir compte des valeurs symboliques. Et il ne faut pas dissocier les avancées de la science, de l’humanisme, et de la sagesse.

⇒ J’ai relevé dans les arguments, pour la GPA, les avantages d’un encadrement législatif, et ce serait faire cesser, voire limiter, le « tourisme procréatif », supprimer la tentation d’aller le faire ailleurs, éviter pour un certain nombre de couple de conclure avec des organismes plus ou moins fiables, des contrats où la dignité des uns et des autres n’est pas toujours assurée.
Cette situation génère une grande injustice entre les couples, injustice entre ceux qui ont les moyens de réaliser leur projet, et ceux qui ne l’ont pas.
Par ailleurs un encadrement juridique garantirait la neutralité financière de la GPA, et pourrait protéger les uns et les autres de toute exploitation. Cette neutralité financière est la condition de la valeur éthique de la GPA

⇒  1ère remarque : Toutes les réflexions sur les thèmes évoqués découlent des recherches et avancées faites ces trente dernières années en biologie. Mais n’oublions pas que la science nous dit ce qui est, pas ce qui doit être.
2ème remarque : Quant au « désir d’enfant » il ne faut pas que ce désir ne soit que caprice, ce qui pourra poser problème, et ce qui peut ajouter à des drames
3ème remarque : Puisqu’on évoque : quel est l’homme pour demain ? J’ai l’impression que l’homme de demain, sera issu d’un changement de statut. C’est-à-dire que l’homme de demain c’est celui qui va d’abord désirer « la mort de la mort » ; phénomène peut-être aussi lié à la chute de la foi dans les pays occidentaux, puisque la foi nous promet le salut. Mais avec la chute de la foi, il n’y a plus que la vie, et donc s’il n’y a plus que la vie, il faut la prolonger à n’importe quel prix, quitte à tuer la mort elle-même, avec tous les artifices qu’on va imaginer, en augmentant l’homme, en le régénérant.

⇒ Si on ne se place pas en regard de l’enfant, on est dans le domaine de la marchandisation, dans un domaine strictement matériel, le corps strictement concret, mais ce n’est pas la vie ! La vie, n’est pas uniquement : est-ce que je peux avoir un enfant « fabriqué ». Mettre au monde, ce n’est pas « fabriquer  un enfant ». La question ne se pose pas pour moi en termes de chance, si je peux oser ce mot. Mais c’est : qu’est-ce que ça veut dire faire un enfant dans le contexte actuel, dans la civilisation ? Quand on attend un enfant on devient extrêmement lucide sur l’environnement, les problèmes qui nous entourent, et le fait de « mettre un enfant au monde » nous engagent. Je ne souhaiterais pas qu’un « désir d’enfant » ne soit pas autre chose que « fabriquer un bébé ».
Ensuite, si le désir d’enfant existe, moi je mettrais des limites absolues à la science pour deux choses : d’une part, ne pas toucher au génome, je suis tout à fait hostile au trafic de gènes, on ne sait pas complètement ce que l’on fait ; on risque de faire des monstres avant d’arriver à une méthode intelligente. Puis ce que je n’approuverais pas, c’est le clonage. J’ai entendu dans une émission qu’il y avait des femmes qui, à partir de cellules dédifférenciées de peau, avaient permis de créer des cellules différenciées sexuelles. Rien n’empêcherait (c’est un peu futuriste) à une femme de se faire un spermatozoïde à partir d’une cellule de peau, et de s’autoféconder, et là on est dans le délire total. C’est le dédoublement du matériel génétique comme dans la parthénogénèse. En tant que biologiste, je récuse ce mode de manipulation.

⇒ Il faut toucher au génome. Il y a des maladies très graves qu’avec ces techniques on pourra éradiquer.

⇒ On se rappelle la formule « La science ne pense pas », elle n’est pas là pour ça. Quant aux politiques, ils font des lois le plus souvent dans une seule optique électorale, loi sociétale pour attirer une catégorie sociale, ou, encore par idéologie
Je reviens sur l’idée que dans les dépistages, il y a quand même quelque chose qui se pratique couramment. Lorsqu’il y un lourd héritage génétique, avec des risques de ce qu’on appelle des « tares », beaucoup de couples, (même très discrètement) font des tests. Nous voyons de moins, par exemple, beaucoup moins de trisomie 21. Ceci est encadré par la loi, et, ensuite cela peut aussi dépendre du sens religieux. Certains médecins au nom de leur religion du « laissez venir au monde » refusent de faire ces examens. Donc, dans ces débats au niveau national, la religion n’est pas absente des avis. Dans certains pays théocratiques, le débat serait clos par avance. C’est vrai que la religion moins présente, laisse à la société le soin de choisir. Par exemple aujourd’hui avec des cellules souches on peut faire de la peau pour les grands brûlés ; il y a quelques siècles cela aurait valu le bûcher.
En fait on aborde un problème éthique où l’on veut faire parler la raison, mais le sujet contient aussi un aspect moral, et où « le coeur a ses raisons ». L’éthique c’est le moins mauvais, la morale, c’est le bien ou le mal. Mais pourrons-nous jamais faire une loi morale ?
Et je voudrais revenir sur l’embryon. Dans son ouvrage déjà cité, Luc Ferry, pose la question : «  Est-ce qu’il faut laisser faire les études sur l’embryon ? », et j’ai retenu cette phrase : «  Le conservatisme des uns, le fanatisme d’enfants à la carte, les appétits des nouveaux marchés, de brevets, laissent peu de place pour réfléchir à l’intérêt de la société ».
En Angleterre, le séquençage et la recherche embryonnaire sont totalement libres, totalement libres à des fins thérapeutiques, ce qui n’est pas mauvais, ce qui donne des espérances, comme pour lutter contre la mucoviscidose. Mais, les Anglais disent aussi, que c’est une source de commerce, qu’on va déposer des brevets, et que, si on ne le fait pas, d’autres pays vont le faire, et d’autres pays vont nous prendre le marché (revoilà le marché néolibéral). Donc, il faut protéger le marché. Et là, la morale, n’a pas sa place.

⇒ Au niveau du CCNE lors des réunions des Etats généraux de la biologie, est-ce que ceux qui souhaitaient la PMA ou la GPA ont posé des questions quant à l’intérêt de l’enfant ?

⇒ Même s’il n’a pas été question de défendre la PMA ou la GPA, je n’ai pas souvenir que des questions orales été faites dans ce sens. Oui, on doit se poser cette question : et l’enfant dans tout ça ! Et c’est là un problème complexe vous dirait un psychologue : comment parler de l’intérêt de la santé morale d’un être qui n’existe pas. Par exemple dans un don d’ovocytes et  GPA, nous aurons : un lien avec la donneuse, un lien génétique avec la mère porteuse, et un lien avec celle qui va élever l’enfant, la 3ème maman. Je crois qu’avec tout cela les psys ont du boulot pour les années à venir.

⇒ On a vu dans des reportages, ou lu, le cas de personnes qui ne peuvent connaître leur mère ou leur père, et cela crée des traumatismes.
Et par ailleurs, au-delà de l’ADN, du lien biologique, transmettre ces gènes, donner la vie à ses enfants, c’est aussi une façon de se prolonger au-delà de la mort.

⇒ Vouloir « la mort de la mort » est quelque chose de très ancien. Et justement, je pense, et là, je me fais l’avocat du diable, que les recherches technoscientifiques contemporaines ne consistent pas à rendre immortels. Il y a un très bon ouvrage, celui de Yuval Noah Hariri, « Homo deus » qui montre que « l’homme dieu », n’est pas l’immortel, c’est l’homme a-mortel, c’est-à-dire celui qui est capable de se réparer à chaque fois qu’il y dérèglement, accident (jusqu’à un moment où il ne pourra plus se réparer).

⇒  Le droit de l’enfant n’est pas le droit du bébé, ce droit se prolonge tout au long de la vie. C’est là qu’il faut se poser les bonnes questions, les questions  qu’il se posera sur son origine : Pourquoi je n’ai pas de maman ? Pourquoi je n’ai pas de papa ? Qui est ma vraie mère ? Qui est-elle, où vit-elle ? C’est un aspect moral qu’on ne doit pas évacuer.
Et revenant à Luc Ferry, dans son ouvrage (déjà cité),  après abordé les différents points de vue d’écrivains traitant de ces sujets, de : Laurent Alexandre, de Fukuyama, de Gilbert Hotois, d’Habernas, de Schumpeter, il conclut : « De là entre tout interdire ou tout autoriser, il va falloir trouver un chemin ». Quant à la mort de la mort, la nature a trouvé la solution, c’est la procréation. Les enfants continuent la vie, ceux qui sont nés seront toujours vivants. La mort est un outil de la pérennité de la vie.

⇒  Quand une mère seule, une mère lesbienne, élève un enfant, il n’y pas la même relation avec l’enfant, une case affective reste vide, celle du référent masculin.
Je ne vois pas, d’après mon expérience,  comment une femme pourrait compenser cette case affective, compenser, donner un masculin qui ne soit pas un masculin pervers.

⇒ J’ai relevé dans le dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville, que ((je cite) : «  Le clonage reproductif permet d’engendrer un être humain à partir d’un seul individu. Cette situation met en cause l’un des traits les plus précieux de l’humanité, qui est l’engendrement par deux individus différents, et par là même engendrer un troisième individu qui ne serait pas identique aux deux premiers {…] si les clonages se multipliaient l’espèce humaine en serait affectée »

⇒ Je continue de penser que ce n’est pas normal qu’on n’autorise pas les couples homosexuels à avoir des enfants. Je suis d’accord sur le fait que l’enfant ne sera pas plus bercé d’amour dans un couple homosexuel. Il n’y sera pas non plus à l’abri des séparations, des divorces. Donc je trouve normal qu’on se pose la question de l’avenir de l’enfant dans les couples homosexuels.

Le débat s’échauffe, mais toujours avec argumentation. Il revient souvent dans le débat, le mot « vide affectif » « référent Père/ mère », « il faut qu’il y ait l’image du père » « l’éthique exclut la morale », «  ne pas manipuler, ne pas marchandiser le vivant ».

NB : Les différents propos, et prises de position en réunion n’engagent que les intervenants, et nullement l’association du café-philo

 

 

 

 

Punir, pourquoi, comment?

                   «

Adam et Êve chassés du paradis. Détail. Masaccio 1425. Eglise santa maria del  Carmine. Florence. 

    Restitution du café-philo du 23 mai 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs: Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Danielle Pommier Vautrin
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Edith

Introduction : J’ai proposé ce sujet de discussion parce que je travaille bénévolement (depuis 9 ans) dans un cercle de lecture à la prison de Fleury-Mérogis ; ce, au sein de l’association « Lire c’est vivre », créée en 1987, dans le cadre d’un protocole d’accord entre le Ministère de la Culture et le Ministère de la Justice, pour développer la lecture en milieu carcéral (par la mise en place de bibliothèques dans chaque département et d’activités culturelles diverses en lien avec le livre)….
Robert Badinter ne pensait pas qu’il faille supprimer la prison, l’incarcération, mais qu’il fallait réformer la prison -qui est privation légitime de liberté-, non seulement pour en finir avec la promiscuité et la corruption de la vie carcérale, mais aussi pour y instituer le respect de la personne humaine et de ses droits : éduquer à l’humanité et prévenir la récidive. Ma 1ère  question est : comment punir ? D’abord donc, comment la prison punit-elle ?
Cette question est oubliée quand, avec les détenus, (ils sont volontaires) on lit un texte, on discute sur une notion, un concept, une théorie, mais elle resurgit quand on apprend qu’un détenu avec lequel on a eu des échanges intéressants et agréables va passer en jugement, ou qu’un autre est interdit de venir en bibliothèque pour une raison inconnue, ou que certains sont à l’isolement … Et cette question a été posée il y a deux ans lorsqu’il y eut des recommandations du Ministère de la justice pour chercher quelles mesures prendre vis-à-vis des « radicalisés ». Enfin cette question je me la suis posée récemment lorsque j’ai connu un détenu, condamné à la prison pour 12 ans (pour crime donc) qui a passé baccalauréat, licence, masters, et soutenu une thèse en sociologie (sur l’engagement relationnel et le bénévolat en milieu carcéral) et libéré en septembre 2017 est maintenant sociologue consultant… Et, cas opposé, le cas du meurtre sexuel d’Angélique (13 ans) par un père de famille, marié, avec deux enfants, qui a récidivé à Quesnoy sur Deule (Nord) en 2018 après avoir été condamné en 1996 pour un viol commis sur une mineure en 1994.  Et, le cas ordinaire des policiers agressés et blessés dans le quartier Nord à Marseille, des CRS à Grenoble, hier mardi 22 mai, par des individus armés de kalachnikovs et qui ont piqué cartes bleues, téléphones portables…
Et celui du lynchage à mort d’un vieux monsieur noir par des « jeunes » dans une cité de Pau, lundi 21 mai dernier.
Comment punir ? La question des finalités et des moyens de la punition est une question pour tout éducateur, parent, enseignant, surveillant, éducateur de rue, animateur de centre de loisir, policier,  mais c’est d’abord une question de droit, d’ordre juridique qui a été explicitement posée de ce point de vue dés la Révolution Française de 1789. Et les politiques pénales en France, de la Révolution de 1789 à nos jours, s’interrogent sur : comment effectuer le droit de  punir (différemment) la faute, le délit, l’infraction, le crime tout en respectant l’être humain en chaque individu ?
D’abord toutes les réformes pénales dans les sociétés démocratiques se réfèrent à la théorie de « La juste peine » de l’avocat italien du 18ème siècle Césaré marquis de Beccaria qui publia, en 1764, Des delitti et delle pene, traduit en français par l’abbé Morellet en 1766 (Des délits et des peines)… Son ouvrage fut vanté par les Encyclopédistes, commenté par Voltaire, apprécié des jurisconsultes, Il emprunte à Jean-Jacques Rousseau les concepts de volonté générale et de contrat social. Sa théorie de la juste peine comporte six principes : Le principe de publicité Nul n’est censé ignorer la loi   dans un Etat de droit. Le principe de promptitude : il n’est pas juste de juger et de punir un coupable longtemps après les faits. Le principe de nécessité : Ce n’est pas la rigueur du supplice qui prévient le plus sûrement les crimes, mais la certitude du châtiment.  Le principe d’humanité, qui affirme à la fois la barbarie et l’inutilité de la cruauté en matière de châtiment. La justice n’est pas l’accomplissement de l’instinct de vengeance mais sa sublimation. Le principe de légalité : Beccaria fut le premier à avoir voulu fonder le droit pénal sur la loi et rien que sur la loi. Le principe de la non-rétroactivité de la  loi (dont on admet aujourd’hui une seule exception: les crimes contre l’humanité définis en 1945 par le tribunal de Nuremberg à l’encontre des responsables nazis) : au cours de l’histoire, la loi criminalise des comportements d’abord admis, tolérés, voire approuvés (comme le viol, l’infanticide, la polygamie). La loi (la punition légale) ne fait pas que châtier le crime ; elle l’institue comme tel.
Robert Badinter, en tant que premier garde des Sceaux de Mitterrand, dès juillet 1981, abolit la loi « Sécurité et Liberté » qui limitait les permissions de sortie et la libération conditionnelle. Abolition de la peine de mort, suppression des QHS, généralisation des  parloirs libres, (sans grille ni hygiaphone), généralisation du droit de correspondance, autorisation de téléphoner à la famille une fois par mois, d’aménager et de décorer la cellule, extinction plus tardive des lumières, suppression du costume pénitentiaire. Autorisation de créer des associations dans tous les établissements pénitentiaires pour promouvoir les activités sportives, l’organisation de concerts dans la cour des « maisons centrales » (prisons où sont enfermées les personnes définitivement condamnées à de longues peines de réclusion criminelle)… Casser le monde clos de la prison, pas seulement avec les permissions de sortie mais avec l’entrée d’intervenants extérieurs…le cinéma, le théâtre, la musique, la lecture, les arts plastiques afin de donner au détenu sa dimension culturelle propre à favoriser son épanouissement personnel. Et la prison ne peut pas être une zone de non-droit : pour faire passer le milieu carcéral à une zone de droit, Badinter fait rédiger un guide du droit des détenus distribué à chaque arrivant, « nous avons considéré qu’il allait de soi que celui qui entre en prison, comme il reçoit une brosse à dents, reçoive le guide de ses droits . Il est usager, il faut qu’il sache exactement ce à quoi il a droit, à qui il doit s’adresser, comment il doit faire telle démarche administrative… Les détenus sont avant tout des êtres humains : ils ont, à cet égard, des droits qui ne peuvent être limités qu’à la mesure de la faute qui a justifié leur détention, mais pas davantage ». Badinter a écrit, en 2007 : «ma priorité était de transformer radicalement la justice française pour en faire un modèle de liberté » et que la Justice ne peut contribuer qu’indirectement au maintien de la sécurité ; c’est d’abord aux autorités de police à garantir l’ordre public, c’est au système éducatif de prévenir la survenance de la délinquance. La fuite dans la répression permet d’escamoter les vrais problèmes : celui des causes de la criminalité, celui du traitement des criminels.
Le problème n’est plus : comment punir mais pourquoi punir? Car notre temps (depuis les années 1970-1980) est celui du « moment punitif ». Et la punition (par la prison) n’est plus la solution aux problèmes des manquements, des délits, des infractions, des crimes. La punition est devenue le problème.  Car le nombre d’individus mis à l’écart augmente, le prix à payer pour les familles ou les communautés est plus lourd, le coût humain et économique pour la collectivité aussi, car il favorise la reproduction des inégalités et l’accroissement de la criminalité et celui de l’insécurité et enfin la perte de légitimité de son application discriminatoire ou arbitraire. Censé protéger la société du crime, la punition pénale apparaît de plus en plus comme ce qui la menace. Pour le sociologue, Didier Fassin, l’augmentation de l’incarcération est impressionnante : en plus de 60 ans après la 2ème guerre mondiale, la démographie carcérale a été multipliée par 3 et 1/2 ; 20000 en 1955, 66000 en 2015, 70000 en 2016, plus les personnes suivies en milieu ouvert dont les effectifs ont quadruplé en 30 ans : ¼ de million de personnes sont sous la main de justice ! Mais… cette augmentation n’est pas du tout l’augmentation de la criminalité. C’est le fait (un fait social total) que notre temps est celui du « moment punitif ». C’est un double phénomène : culturel et politique. Phénomène culturel de « l’intolérance sélective » : la société française est de plus en plus sensible aux illégalismes et aux déviances. Les individus sont de moins en moins tolérants à ce qui trouble leur existence: les conflits inter-personnels, les incivilités, les menaces proférées, les agressions verbales, les altercations au sein des couples passent désormais par le trio police justice et parfois prison. Phénomène politique de l’ « instrumentalisation des peurs » pour un bénéfice électoral. Le populisme pénal …
Pourquoi a-t-on toujours puni ? On a le sentiment qu’on doit punir. C’est un impératif. De quel ordre ? Est puni celui qui est jugé coupable d’avoir enfreint la Loi, laquelle varie suivant les groupes (la loi du milieu, la loi d’un groupe rebelle, la loi de l’Etat) mais, elle n’existe toujours que par la sanction.  Et elles sont toutes brutales.
Le désir de punir semble inné, naturel. Car avant la raison il y a le désir. Et on peut constater que de tous temps le public raffole des crimes, des viols et des supplices. Tout se passe  comme si la souffrance d’autrui flattait le sadisme qui rampe en nous. Et puis demander que celui qui a fait le mal encoure une peine qui fasse vraiment mal, cela autorise le plaisir, intense pour certains, de faire mal à leur tour en toute légitimité et en toute impunité. Le désir de punir est à l’origine de presque tous les crimes de sang non accidentels. Sombres histoires de jalousies ou de règlements de comptes. Et les châtiments ordonnés par voie de justice étaient hier égaux en cruauté des crimes les plus inhumains : faire couper des mains, condamner des hors-la-loi à mourir empalés, roués, brûlés vifs, écartelés, lynchés… Aujourd’hui, en France, depuis l’abolition de la peine de mort et les réformes successives des prisons, subsiste l’idée commune d’une Justice qui doit  rendre le mal pour le mal, pour faire expier à quelqu’un sa faute. La douleur infligée au coupable est censée rétablir un équilibre : il faut contrebalancer le crime par une souffrance équivalente.
Donc le déplacement de la punition comme réparation à la punition comme souffrance devient centrale
La punition ne sert à rien, elle est pernicieuse :
A) Elle est inutile: elle ne permet pas de donner au puni l’estime de soi, elle ne répare pas ; elle n’intimide pas certes. La peur du gendarme influence certains comportements (sur la route par exemple), mais le châtiment ne fait peur qu’à ceux qu’on intimide facilement, ceux qui sur des rails ne risquent pas de s’écarter du bon chemin ;  pour les voleurs, les escrocs, les faux-monnayeurs, la prison représente le risque professionnel et pour les voyous elle est un défi : on va me le payer ! Elle n’amende pas. Des naïfs semblent attendre de la prison que le détenu réfléchisse et regrette ce qu’il a fait. Sauf dans ces cas tout à fait exceptionnels, quand il y a mort d’enfant ou de l’être aimé par exemple, le remords est rarissime et l’on peut supposer qu’il serait identique si l’auteur d’un tel acte n’avait pas été arrêté. Le repentir est lié à une faute. Mais ce qui est faute à ses propres yeux n’a que très exceptionnellement à voir avec la Loi. Le regret qu’éprouve un détenu c’est le plus souvent celui de s’être fait prendre ou d’avoir manqué une affaire en or.
B) Elle est dangereuse: Elle consiste à faire souffrir, à rendre le mal pour un mal Ce serait juste mais cruel et imbécile. Il est aberrant de penser qu’un mal compense ou annule un autre mal. Il le multiplie. Il touche le coupable, mais aussi tous ses proches.
A la question Punir, comment ? Pourquoi ? Je pense qu’il faut substituer comment ne pas devenir dangereux pour soi et pour la société ? Ni violeur ni violé, ni assassin ni victime ? Ni djihadiste ni Charlie. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de sanction.

Débat

 

 Débat :  ⇒  Je voudrais élargir ce sujet de punir, à d’autres domaines de la vie. A ce sujet de vient lire le livre de Stefan Zweig : «  Conscience contre violence ». Il y fait l’étude de la République de Genève au temps de Calvin, avec toutes les formes de totalitarisme de l’époque ; tout ce que Calvin imposait comme punitions, comme châtiments, jusqu’à la mort pour ceux qui ne pensaient pas comme lui. D’autres personnages de son époque, des humanistes comme Erasme et Sébastien Castellion ont essayé de s’opposer. Certains ont été obligés de fuir Genève ou ont perdu la vie.
Ce qui est très intéressant dans cette réflexion, c’est, justement, à quel moment on peut penser que la conscience est préférable à la violence. Et ça répond à Edith qui nous dit dans son introduction, que le système carcéral est violent, alors qu’aller dans le domaine de l’éducation, c’est demander la prise de conscience. Et tant qu’ils n’auront (les détenus) pas cette prise de conscience, c’est vain d’essayer d’obtenir un regret ou quoi que ce soit dans ce sens. Il faut qu’ils comprennent d’abord que leur acte est un délit, un crime. Donc, prise de conscience, plutôt que violence.
Et sur ce même sujet, je pense aussi à l’éducation des enfants, et à une tendance parfois à trop user de l’autorité. La punition me paraît humilier l’enfant, elle ne paraît pas être efficace. Je préfère l’explication. L’expérience autoritaire, ça ne fonctionne pas. Il faut faire autorité sans être autoritaire.

⇒  Je pense utile de préciser tout d’abord que si une société, un État sanctionne, condamne, c’est pour que les victimes, leurs proches, leurs parents, ne se fassent pas justice eux-mêmes, c’est éviter les vengeances. Et punir n’est pas rendre le mal par le mal: ça ! c’était la peine de mort.
A punir je préfère, le mot sanction, qui est le résultat, d’une faute, d’un délit, voire d’un crime, d’une transgression à une loi qu’on connait. Toute société constituée nécessite le respect des règles qu’elle s’est fixées pour faire société en paix. Dès lors que l’un de ses membres déroge aux règles, aux interdits, établis par le plus grand nombre, il s’expose à une sanction, une punition, à la hauteur, (logiquement) du manquement, du délit du crime.
Donc, nous avons plusieurs approches : le manquement, la faute grave, ou atteinte à un individu, ou le délit en regard du groupe, de la société.
Punir, condamner, délivre deux messages : l’un au délinquant, au criminel, en lui infligeant une punition dont on espère qu’elle le dissuadera de recommencer.
Le second message est à l’adresse de la société, la rassurant sur le fait que le crime ne reste pas sans réponse, que les règles qu’elle a édictées sont respectées, qu’on veille à sa sécurité ; vous voyez, on vous protège ! La condamnation, la sanction, s’adresse aussi aux victimes, elle se veut réparation.
Et le message s’adresse à tous, à tout ceux qui auraient à un moment donné l’intention de se livrer à un délit, à un crime. Donc, la sanction est un message préventif, qui se veut dissuasif, et qui fonctionne plus ou moins bien, nous le savons.
Et l’État a besoin de faire publicité des condamnations, montrer qu’il ne peut y avoir impunité
Longtemps les exécutions publiques en dehors du goût morbide (sûrement) ont eu ce rôle de montrer en exemple. La dernière exécution publique a eu lieu en 1938 à Versailles. Les gens y emmenaient les enfants ; ils y allaient pour certains comme au spectacle. Le Président du Conseil d’alors, les a supprimées disant « qu’elles stimulaient les bas instincts ».
Je rappelle cet exemple (que j’ai déjà eu l’occasion de citer). Au début du siècle précédent, encore, au pied d’une tour à Valence (Espagne), devant la foule assemblée, on pendait les criminels. Les pères où les oncles y menaient les garçons adolescents, et au moment où la trappe s’ouvrait sous les pieds du condamné, l’adolescent recevrait une paire de gifles, accompagnée de ce propos, « c’est ainsi que tu finiras si tu ne te comportes pas honnêtement ». L’idée était que le propos, lié dans sa mémoire à la gifle,  resterait toujours à l’esprit du garçon. C’est pour reprendre une expression de Balzac « se servir de la douleur pour imprimer un durable souvenir ».
Et, enfin, je ne pense pas du tout que la prison, des condamnations, comme le port du bracelet électronique soit humiliant.  Le comment ne peut occulter le pourquoi.

⇒  On peut reprendre le problème à l’envers. Si on ne punit pas, qu’est-ce qui se passe?  « On n’est pas sorti de l’auberge ». Moi, la punition, la prison, humainement je ne suis pas  pour.
Un jour j’ai vu un policier qui sortait d’un immeuble avec un jeune homme menotté ; ce n’est pas agréable à voir. Après, la question se pose : est-ce qu’on punit bien, ou pas bien ? Ou, plutôt, comment on sanctionne, car le mot, punir, reste brutal, même si celui qui est condamné, est passé devant la justice, confronté aux lois, son cas jugé en conscience par des juges, avec la prise en compte des circonstances.
Mais punir, peut être un choix idéologique, comme dans les procès staliniens, ou comme dans le livre d’Arthur Koestler, « Le zéro et l’infini » où le film « L’aveu » de Costa Gravas, où l’on voit comment une dictature contraint, punit les opposants.
Dans nos pays démocratiques, ceux qui sont sanctionnés savent pourquoi ils sont sanctionnés, ils savent qu’ils ont commis une faute, un délit, un crime. Et puis, parfois celui qui a commis un crime, qui l’avoue, qui en est conscient, lui-même demande d’expier ; il souhaite lui-même la sanction, comme le personnage de « Crime et châtiments » de Dostoïevski.
Depuis toujours, c’est à la société de faire justice. C’est la justice qui a mis un processus de vengeance des Atrides, dans la tragédie de « l’Orestie » d’Eschyle.
On a dépassé la loi du talion, le « œil pour œil » ; l’évolution humaine est lente, mais elle se fait, même avec les besoins de réparations après des crimes.
Ainsi, plus près de nous il fallait bien sanctionner les crimes nazis, ces horreurs, il fallait Nuremberg. Et l’on ne peut nier, rejeter l’exemplarité de la sanction, et montrer que la justice passe, sans sadisme, sans esprit de vengeance, sans vouloir humilier.

⇒  On doit préciser quant aux règles de la prison, qu’on a affaire à des adultes, pas à des enfants. Mais j’adhère à cette idée de prise de conscience, de possibilité de renouer avec la société qu’on croyait contre soi. Ce fut le cas de metteur en scène José Giovani, qui avait passé des années en prison, et avait fini par comprendre que ça venait de lui ; et il a fait un travail sur lui. La prise de conscience doit être aidée, ça vient toujours d’en haut pour aider à se reconstruire.

⇒  On a focalisé, sur le châtiment, sur l’individu, la personne. Je voudrais prendre un angle collectif, par exemple dans le journal « Le Monde » du dimanche 20 mai qui titre : « Le pape accable l’Eglise du Chili, à propos de la pédophilie », François dénonce la responsabilité collective des évêques chiliens, lesquels ont dû démissionner en bloc.
«  Nous sommes très impliqués » a dit le pape, « moi, le premier » ; les victimes attendent des actions concrètes, pas que des paroles face aux abus sexuels sur des enfants. Et s’il n’y a pas décisions, comme la création d’un tribunal chargé de juger les évêques, de lever le secret, d’abolir la prescription, alors la démission des évêques ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau, et cet exemple de sanction sera pour l’Eglise dans tout le monde.

⇒  Nous avons évoqué la justice, les peines, les sanctions dans notre société occidentale, et si l’on compare aux pays arabes ou d’autres pays, bien évidement, on voit l’écart. On peut se dire que dans les pays européens, dans les sociétés démocratiques, c’est là que nous pouvons réfléchir et débattre de cette question.
Le problème de la société par rapport à la violence est politique ; ne serait-ce que si l’on prend le problème des banlieues et tous ceux qui restent à l’écart. On voit des jeunes gens qui vont vers la délinquance, une violence pour se trouver une identité ; c’est comme ça qu’ils sont en majorité dans les prisons, en dehors des grands délinquants.
Et la radicalisation, ça rentre bien sûr dans ce sujet, parce que c’est aussi un modèle qui est offert à ces mêmes jeunes. Donc, nous avons là un problème politique et moral.
Et je pense que les médias ont une responsabilité très importante, et cela dans deux sens : à la fois parce qu’ils véhiculent par le buzz, les procès comme les jeux du cirque moderne, et, en même temps, si la télé savait montrer plus d’exemple de réinsertions après la prison, peut-être que cela donnerait un autre feeling à la question.
Et puis je reviens sur des sanctions exagérées parfois, comme pour la bande à Baader en Allemagne, où on a vu des punitions terribles, avec, par exemple : « La torture blanche » : on laissait la lumière allumée 24 heures sur 24, et il n’y avait aucun bruit ; les gens devenaient fous, déstructurés. C’était produire de la souffrance. On peut se demander pourquoi ?

⇒  Je préfère aussi le terme sanction à celui de punir. Punir c’est porter un jugement de valeur sur un comportement qu’on juge immoral, indigne de nature délictueuse, criminelle…Je pense que lorsque les gens sont en prison, il y a eu procès et jugement (en dehors des détentions préventives). Je pense qu’il est inconcevable que des actes qualifiés de graves, portant atteinte aux individus, puissent rester impunis.
l y a peu un agriculteur qui était ivre a tué deux enfants avec son tracteur. Alors comment lui faire prendre conscience, car même avec un bracelet électronique il pourra continuer à boire.

⇒  Nos sociétés occidentales (pour rester dans ce que je connais le mieux) ont grandement évolué dans ce domaine de la punition. Il n’y a pas si longtemps, qu’on écartelait, qu’on brûlait, qu’on pendait. Avec ses tâtonnements la société évolue tout de même ; on punit, sans ôter la vie, même à ceux qui sans état d’âme l’ont ôtée à des innocents, voire des enfants, ou des vieillards sans défense.

⇒  Est-ce que l’impunité totale pourrait faire disparaître la criminalité. Je ne le pense pas, ou alors qu’on essaie pendant cinq ans et l’on mesurera. Je ne pense pas non plus qu’on emprisonne volontairement de plus en plus, bien au contraire. Je rappelle les abaissements de seuils sous le ministère Taubira, et de plus on a créé des peines de substitution ; non réellement par laxisme, mais parce que nos prisons sont surpeuplées; plusieurs détenus parfois par cellule, une promiscuité qui est facteur de violence. Combien de fois vous entendez l’expression « bien connu des services de polices » pour des délinquants ayant plus de dix comparutions. Mais si vous mettez ces « petits délinquants », avec des longues peines, avec des radicalisés, on prend le risque de faire d’une « brebis égarée », un loup.
Je pense que le modèle politique et social d’une société, définit pour beaucoup le niveau de délinquance, et permet alors de faire des établissements pénitenciers plus corrects.
Le pays qui serait le meilleur exemple en ce sens est le Danemark. Une étude nous dit qu’il n’y a que 0,7 personne sur 10.000 habitants en prison. Aux USA c’est 6,5 personnes en prison pour 10.000 habitants. En Colombie, (c’est les champions !), il y a 60 personnes sur 10.000 habitants en prison (dans des prisons d’horreur). Donc, ce n’est pas la prison qui supprime la délinquance. Nous, les Français ne sommes pas si mal placés, c’est 1 personne en prison pour 10.000 habitants.
Et ce sujet amène la vraie question d’actualité, celle des djihadistes qui reviennent de Daesh, on sait pourquoi on les sanctionne, mais on ne sait pas bien comment on va les faire cohabiter en prison, comment protéger les autres prisonniers.

⇒  Bien sûr que l’impunité totale est impossible. Il faudrait toute une éducation en amont, et elle n’y est pas. L’impunité n’existerait que si les gens étaient plus civilisés, avec plus de conscience de groupe, plus de respect pour  les autres.
Et maintenant on doit se demander aussi, est-ce que les victimes, leurs familles, ont une compensation du délit, du crime. Est-ce qu’on est vraiment  trop laxistes ?
Je pense comme le proposait Lacan, que le procès d’un délinquant doit d’abord retracer toute son histoire, et cela rend important les circonstances atténuantes. Parce que le même délit n’est pas fait, alors, par le même individu ; ce n’est pas la même culpabilité, et ce n’est pas la même sanction qui s’impose. Il ne peut y avoir de sanction automatique. C’est le cas de la femme qui avait tué son mari, parce qu’il la battait, qu’il la maltraitait. Il y a eu une fois de trop. Et il y a le délicat problème de la légitime défense. Là je n’ai pas de réponse. Et le gros problème du risque de l’erreur judiciaire qui doit rendre prudent.

⇒  On a beaucoup parlé de justice dans nos sociétés démocratiques. Dès lors qu’il y a une institution, institution familiale, éducative.., avec un détenteur d’autorité, il y a consensus à accepter par ceux qui sont sous l’autorité, qui acceptent le règlement. Donc, cette société, si elle veut maintenir égalité, et légalité, il faut qu’elle institue des peines proportionnelles à la faute. Dans une entreprise il y a un règlement intérieur, les règles relatives à l’emploi, cela va du blâme au licenciement ; il y a des systèmes punitifs en dehors de la justice.
Il y a eu une époque barbare, avec le bagne, les travaux forcés. Des prisons, il y en a toujours eues, et dans des conditions indignes, on y mourrait assez vite.
Et j’avais commencé à réfléchir sur la différence entre punir et châtier. Punir, c’est bien la peine, à la fois la souffrance, la peine pour compenser ; ce n’est pas la loi du talion, et les jugements ne sont pas les abus d’autorité des dictatures. Déjà, il y a des procès publics, des jurés en pénal, et c’est pour eux une rude tâche.

⇒  Je pense que lorsque les  lois sont iniques, on a le droit à l’objection de conscience. On ne doit pas être des « béni oui oui » devant toutes les lois. La révolte est nécessaire face aux lois qui nuisent à l’intérêt collectif. Il y a un devoir d’objection aux lois injustes. Il faut refuser les justices privées et mettre entre parenthèses les périodes de guerre ou de Terreur. Et il me paraît plus important de respecter l’esprit des lois que la lettre.
Je pense aussi aux lois iniques lors de la dernière guerre mondiale à l’encontre des Juifs.

⇒  Ne pas avoir peur de la prison, poserait quand même un sacré problème, il faut qu’il y ait la peur de la prison, la peur de perte de liberté, d’enfermement.
Par ailleurs, je me dis qui si demain, je suis juré dans un procès, sachant que mon vote pourra être déterminant quant à la peine infligée, si cela entraîne un jugement trop sévère, j’ôte au condamné la possibilité de se racheter. En le condamnant trop, c’est condamner l’humanité qui est en lui, c’est un peu une punition envers nous-mêmes. Il faut qu’une sanction soit la plus mesurée possible, sinon on sanctionne toute la société.

⇒  En fait il est question de réfléchir à un système de sanction qui ne soit pas un système de punition et de souffrance. Cela veut dire aussi, qu’il faut réfléchir par rapport à la victime. La victime est le centre du processus. Le criminel n’offense pas seulement la loi, il fait offense à quelqu’un, il tue, il brutalise, il vole… Donc la peine c’est la sanction aux dégâts produits…

Œuvres citées

Des délits et des peines. Abbé Morellet. 1776
Conscience contre violence. Stefan Zweig. 1936
Crimes et châtiments. Fédor Dostoïevski.1866
Le zéro et l’infini. Arthur Koestler. 1945.
Le joueur d’échecs. Stefan Zweig.
L’Orestie. Eschyle.

 

 

Demain: les robots?

Robot ASIMO. Image Wikipedia

Robot ASIMO. Image Wikipedia

Restitution du café-philo du 25 avril 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon
Introduction : Serge Carbonnel.

Introduction : Si l’on adopte pour le mot robot la définition de 1936 « appareil capable d’agir de façon automatique pour une fonction donnée » (THIBAUDET, Réflex. litt., p. 378), il y a longtemps que nous côtoyons les robots.
Si l’on adopte la définition technique actuelle du dictionnaire académique : « Appareil effectuant, grâce à un système de commande automatique à base de micro-processeurs, une tâche précise pour laquelle il a été conçu dans le domaine industriel, scientifique ou domestique », alors le robot suit la croissance et l’évolution du monde industriel.
Le débat de ce soir serait donc plutôt : les robots, HIER, AUJOURD’HUI et DEMAIN !
Dans toutes les époques de son évolution l’Humanité n’a cessé de fabriquer des machines qui avaient pour but d’être plus efficaces que l’homme et de lui épargner fatigue et danger. Nous sommes d’emblée dans la machine qui agit de façon automatique à la réalisation d’un but en général, (machine élévatrice d’eau dans l’antiquité, clepsydre etc.)
Dans le dictionnaire du 18ème siècle de Diderot, d’Alembert ce mathématicien génial écrit deux articles : Automate et Androïde. L’automate c’est : «  machine qui porte en elle le principe de son mouvement ». L’androïde, c’est : « automate ayant figure humaine et qui, par le moyen de certains ressorts bien disposés, agit et fait d’autres fonctions extérieures semblables à celles de l’homme ». Il y est décrit un androïde fait à Paris en 1738, « le Flûteur automate de M. de Vaucanson, (aujourd’hui de l’Académie des sciences) en reproduit le rapport (de ce dernier)….. Et les conclusions faites après observations réelles » (sont) qu’il a fallu donner tous les vents différents, avec une vitesse que l’oreille a de la peine à suivre, donner des coups de langue à chaque note, jusque dans les doubles croches, parce que cet instrument n’est point agréable autrement…… » (Le Mécanisme du flûteur automate. Présenté à Messieurs de l’Académie Royale des sciences, par Monsieur M. de Vaucanson. 1738. BNF) L’automate surpasse en cela tous nos joueurs de tambourin : déjà au XVIIIème siècle on admet que l’androïde, pour la fonction qui lui est assignée, puisse faire mieux qu’un humain qui pourtant l’a conçu.
A cette époque, et en particulier à partir de l’essor des sociétés industrielles, le robot machine capable de réaliser des tâches humaines pour faire plus vite, parfois mieux et en plus grande quantité n’a cessé d’envahir notre quotidien.
Selon le professeur Jean-Paul Laumond dans sa leçon inaugurale (en 2017) au Collège de France, on s’accorde à dater la naissance de la robotique à l’introduction en 1961 du premier robot industriel sur les chaînes de montage de «Général Motors ». Il s’agit du robot Unimate issu d’un brevet déposé par George Devol et industrialisé par Joseph Engelberger, reconnu comme le père de la robotique.

Alors ! Quel rôle définir au robot ?
1° Dans un premier temps de cohabiter en collaborant avec l’homme.
On considérera cela comme un bien-être, comme une amélioration de la condition humaine parce que ce sont a priori les tâches les plus dures et harassantes qui sont confiées aux robots industriels.
2° Dans un second  temps en remplaçant celui-ci.
On considérera pendant un certain temps ce remplacement de l’homme par le robot comme un progrès, mais ceci tant que le développement industriel sera capable de proposer un autre travail aux hommes qui ont été remplacés par des robots et tant que le développement des services sera capable d’inventer une nouvelle économie.
Puis arrive une époque, dans un temps plus proche de chez nous, où les développements industriels et économiques subissent moins la croissance et même parfois une décroissance. Dans un cadre pareil, alors que le développement du robot industriel, lui, n’a cessé de grandir, cela provoque une crise du travail dont tous les pays du monde sont victimes ; Crise du travail qui se traduit bien sûr par le chômage, par la crise de son financement.

Aujourd’hui qu’en est-il ? Quel est l’état de la robotique ?
Je distinguerais trois groupes principaux :
a) La robotique industrielle qui elle, n’a cessé de s’accroître et a remplacé tous les métiers nécessitant des actes répétitifs et pénibles : chaînes de montage d’appareil ménagers, chaîne de montage de véhicules, robots de peinture en tout genre, etc…
b) La robotique logicielle : celle qui n’a pas la forme d’une machine, ni celle de l’androïde, mais qui est au cœur de nos ordinateurs par des algorithmes spécifiques remplaçant de nombreuses tâches fastidieuses, et permettant même de réaliser des tâches qu’il serait impossible de réaliser dans un temps humain. Il y a dans cette robotique logicielle du bon et du mauvais. Un logiciel de logistique est, par exemple, capable de remplacer des dizaines d’hommes et réaliser automatiquement une gestion sans faute des approvisionnements, des livraisons, réapprovisionnements, absolument calquée sur la réalité des ventes et permettant de travailler en flux tendu sans jamais avoir (ou rarement) de rupture.
Un logiciel de calcul scientifique permet, par exemple, de travailler sur le modèle standard de la physique, sur les relevés et les observations de la recherche cosmologique et astronomique, en réalisant les mêmes tâches qui seraient absolument impossible à l’homme dans un temps humain. Il en est de même pour le travail que l’on peut faire sur les modèles biologiques, et qui permettent de réaliser, en un temps machine, des recherches qui seraient insolubles en un temps humain.
c) Le troisième aspect est la robotique de type androïde qui, de plus en plus, se veut de réaliser des robots de type humain, et qui usent de toutes les avancées des travaux de l’Intelligence Artificielle. « En France le rêve va être relayé à la fin des années soixante-dix par Georges Giral au laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS) à Toulouse. Il y crée le groupe robotique et Intelligence Artificielle (RIA) et y conçoit en 1977 le robot mobile « Hilare », que l’on peut voir maintenant au Musée des Arts et Métiers. Il lance en parallèle le programme Automatisation et Robotique Avancée (ARA) qui sera coordonné par Philippe Coiffet ». https://lejournal.cnrs.fr/articles/voici-pyrene-le-nouveau-robot-humanoide
L’état de la robotique aujourd’hui est tel que cela remet en cause fondamentalement nos métiers, nos sociétés, leur organisation à côté d’aspects très positifs parfois. Je pense, par exemple, au développement des exosquelettes qui permettent déjà des choses merveilleuses et permettront sans doute un jour faire marcher et bouger des tétraplégiques.
Une part des hauts dirigeants des sociétés du monde numérique, d’Internet ou autre organisme militent idéologiquement, ou par intérêt financier, vers ce qui remplacerait le « panthéisme » par le « robothéisme ». Pour certains, l’Être humain ne serait qu’un robot fait d’algorithmes,  qu’une machine chimique.
Mais la réalité, c’est que des robots savent diagnostiquer parfois mieux que des spécialistes. Un patient a été sauvé d’un cancer (que les spécialistes ne voyaient pas), par un robot qui lui, l’a détecté sur les radios.
Aujourd’hui, autres exemples : le robot ASIMO, parle, court, joue au football, un robot est présentatrice de news sur une chaîne de télévision. Et nous voyons arriver : Pepper, « Le robot compagnon ».
Le Japon développe fortement les robots travailleurs ; un très grand dirigeant d’entreprise a d’ailleurs déclaré : « On aura besoin de têtes et pas de bras »

Qu’en sera-t-il demain ?
Toutes ces machines, tous ces robots androïdes seront-ils capables, et serons-nous capables   de mesurer la distance qu’il y a entre : faire et comprendre. Et serons-nous capables de mesurer et de prendre en mains les changements fondamentaux que cela va amener inéluctablement, puisque désormais, développement du robot et développement de l’IA sont liés à jamais.
Je me servirai du rapport de Cédric Villani sur l’Intelligence Artificielle et ses retombées pour résumer cette projection sur l’avenir.
Enseignement numéro 1 :« Il apparaît de plus en plus certain que l’IA va modifier la majorité des métiers et des organisations ….. Combien de personnes sont concernées dans leur travail au quotidien ? Potentiellement : tout le monde »
Ce n’est sans doute pas pour rien qu’un candidat à l’élection présidentielle en 2017 avait proposé un impôt sur la robotisation en entreprise.
Enseignement numéro 2 : Rares sont les professionnels qui passent entre les gouttes. On pense d’emblée aux « opérateurs d’assemblage, de manutention, ou d’encaissement. Mais ils s’appliquent aussi aux tâches de bureau, comme la gestion d’un planning, ou la relation client ».
« Des tâches considérées aujourd’hui comme très qualifiées pourraient être automatisées », rapporte l’étude France Stratégie, qui évoque notamment l’exemple de la conduite autonome. « La partition entre la machine non créative et l’humain créatif est de plus en plus remise en cause, ce qui rend difficile d’attribuer les domaines partagés, poursuit le second rapport. Aucun métier ne peut imaginer être à l’abri de modifications du fait de ces critères ».
Enseignement numéro 3 : La mutation pourrait être brutale y compris dans les transports, et progressive dans la banque.
France stratégie identifie deux scénarios opposés :
Le premier « dans la continuité de la transformation numérique » par «  des transformations progressives des tâches, des emplois, des compétences et des organisations, avec la possibilité d’accompagner les évolutions pour les travailleurs, ainsi que pour les usagers ».
Le second scénario : une transformation brutale, avec un « temps d’adaptation des entreprises…) très court » et, « de réelles difficultés ».
« La vitesse de transition dépendra en partie de la technologie, mais plus vraisemblablement d’une combinaison entre acceptation sociale et volonté politique », note le rapport.
Enseignement numéro 4 : Travailler avec une IA ne sera pas forcément une sinécure, et : « obéir aux ordres d’une Intelligence Artificielle, perdre le contrôle sur les processus, déléguer les décisions à la machine sont autant de modes de complémentarité qui (…) seront susceptibles de créer de la souffrance au travail »
La solution ? Une refonte de la législation concernant les conditions de travail, aujourd’hui « principalement adaptée aux modes de travail de l’ère industrielle »
Enseignement numéro 5 : Mal déployée, l’Intelligence Artificielle pourrait conduire à une explosion des inégalités.
Enseignement numéro 6 : On ne peut pas demander aux entreprises de mettre en place des garde-fous. Automatisation massive des emplois pouvant entraîner une explosion du chômage et des inégalités.
Bien sûr, les employeurs pourraient décider de ne pas déployer les solutions d’Intelligence Artificielle, ou encore de financer des reconversions des salariés devenus obsolètes. Mais ce n’est pas envisageable dans un contexte ultra-concurrentiel. «  S’en remettre uniquement aux choix micro-économiques des entreprises sur la manière de mettre en œuvre les technologies d’Intelligence Artificielle (…) peut conduire à des situations qui ne sont pas optimales », avancent prudemment les experts de la mission Villani, indiquant également : «  Les simples incitations du marché suffisent rarement à allouer au mieux l’offre de travail ». Alors qui va s’y coller ? L’État, et les collectivités locales et les branches professionnelles, disent les deux études.
Enseignement numéro 7 : Demain, on n’apprendra plus un métier, mais « des compétences transversales ». «  Les formations actuelles, qu’il s’agisse de la formation professionnelle ou de la formation initiale, sont loin d’être adaptées pour assurer cette transition »
Enseignement numéro 8 : Nos enfants devront tous être formés à l’intelligence artificielle.diplômes (….) avec notamment les disciplines les plus en tension à l’université (médecine, physique, chimie, sociologie, psychologie, droit…) » afin de former des « spécialistes hybrides » Tandis que le rapport France Stratégie propose d’intégrer à toutes les formations, du CAP au doctorat, « les compétences nécessaires à l’utilisation des outils IA »
Enseignement numéro 09 : il faudra peut-être inventer de nouveaux modèles de redistribution : « Il est nécessaire à moyen terme, de poursuivre les réflexions sur des modes alternatifs de production et de redistribution de valeur ».
Personne ne peut certifier que les créations compenseront les destructions de postes, que l’on peut déjà observer par exemple dans les secteurs de la banque ou de la grande distribution. Et de toutes façons, les nouveaux postes sont créés dans les grandes métropoles, laissant les villes de moins de 100.000 habitants se vider de leurs emplo
C’est pourquoi, le rapport Villani propose de financer des « initiatives sur les territoires spécifiques, qui tentent par exemple d’inventer de nouveaux modèles pour faire face à l‘automatisation des métiers »
Plusieurs exemples d’expérimentations sont cités : le « revenu de base contre la pauvreté »  qui doit être testés en Gironde en 2019 (et, désormais, dans douze départements). Le financement des créations de CDI sur les dix « territoires zéro chômeurs de longue durée ». Et le revenu contributif, concept du philosophe Bernard Steigler bientôt testé dans l’intercommunalité de la Plaine-Commune (93). Le principe : verser un salaire aux personnes qui « travaillent sur des projets utiles à la collectivité mais non rémunérés ».
Je rajouterais à tout cela une réflexion du concept de « useless class » (classe inutile). « Ce sont les gens qui ne sauront rien faire mieux que l’Intelligence artificielle. Au 20ème siècle, la classe ouvrière pouvait lutter contre son exploitation par la classe supérieure. Elle avait des moyens de pression, puisque sans elle l’économie ne pouvait pas tourner. Rien de tel pour la classe inutile. Certains gentils dirigeants de la Silicon Valley pourront peut-être leur donner de l’argent pour les aider à vivre, mais voilà tout…  Vous ne pouvez pas faire grève si vous ne servez à rien ! »
« L’élite, qui n’aura pas même besoin de les exploiter, devra lutter contre eux, et ne perdra rien à les faire disparaître, puisque ces inutiles n’auront plus aucun rôle économique ou militaire.
 » L’homme-Dieu sera pire que le pire des dictateurs « .

Débat

 

Débat :  ⇒ Nous utilisons divers termes lorsque nous parlons des robots.
Les robots sont d’abord des machines telles que nous les connaissons dans le monde industriel depuis plusieurs décennies.
Les humanoïdes, sont des robots ressemblant à l’homme : deux bras, deux jambes, une tête. Conception anthropomorphique, qui n’est pas sans raison. Nos petits robots  d’accueil ou robots compagnons : Asimo, Pepper, Nao, Hope, Zora…, sont des  humanoïdes, on parle aussi d’androïdes,
Les gynoïdes, les mêmes avec l’apparence « femme » (De quoi alimenter à terme, des débats sur le genre).
Les Cobots. La cobotique et la collaboration: homme/robot (interaction directe ou téléopérée)
Les Cyborgs : Des « Êtres humains » (je précise bien) des êtres humains aux capacités modifiées, disons, un cran très au-dessus de ce que nommons à ce jour « l’homme augmenté ». Une hybridation bio-technologique, soit : Exosquelettes, organes artificiels, membres artificiels, puces ou implants neuronaux.
Les Chabots : Robots qui (au Japon) reçoivent, qui renseignent des clients de magasins, de banques.
Ensuite, la science-fiction utilise d’autres termes,  tels :
Les hubots, contraction entre : humain et robot.
Les Sexbot, le même, à usage sexuel. (Des deux genres)
Et la Science Fiction utilise aussi le terme de « réplicant ».
Donc, on utilise le terme générique robot pour ce qui effectue des tâches, des activités physiques humaines
Et même si nous n’en sommes qu’au domaine expérimental, ils vont arriver, demain,
Les Nanosrobots
Au-delà nous parlons de systèmes, et encore plus évolués, nous parlons d’Intelligence Artificielle (Presque un autre débat)
Alors après des questions récurrentes comme: « Faut-il avoir peur des robots ? » ou,  « La technologie menace t-elle l’humanité ? », ce qui me semble être les principales questions quant à l’arrivée de robots dans l’univers des humains est :
1° Les robots, quelle que soit l’appellation, continueront-ils à créer du chômage ?
2° Le statut de l’humain, et la structure sociétale sont-ils remis en cause ? On utilise déjà le terme de : « Robolution »
3° Le robot n’ayant par principe aucun état d’âme, n’y a t-il pas le risque d’armées de robots ?
L’intérêt que la plupart d’entre-nous portons à ce sujet des robots pour prendre un terme assez générique, n’est pas qu’une lubie, ou un sujet à la mode. C’est en fait s’interroger sur le monde de demain. C’est même pour reprendre la formule de Hegel « philosopher avec son temps ». Ce demain qui n’est pas dans un siècle mais dans les quelques décennies à venir.
Nous savons, et nous sommes pratiquement certains que très prochainement, que le voulions ou non, notre univers social sera plus ou moins bouleversé par l’arrivée dans nos vies, à divers niveaux, de systèmes, de robots, qui assumeront des tâches avec plus d’efficacité que nous, et nous délestant au passage de certaines responsabilités. Et ce problème est différemment ressenti en fonction de la tranche d’âge des personnes à qui l’on pose la question : « devons-nous craindre les robots ? »
Mais il m’est arrivé d’entendre des personnes enthousiasmées par un univers de robots, avec cette expression : «  Aux robots les boulots difficiles, répétitifs, les sales boulots, et à nous les loisirs ».

⇒  Je me suis plutôt intéressée aux intelligences artificielles, et comme cela a été dit les algorithmes peuvent stocker une mémoire infiniment supérieure à la mémoire humaine.
Trois exemples qui m’ont frappée : dans les années soixante, on débattait de la nature unique de l’humanité, de la supériorité humaine.
Mais le 10 février 1996, Deep blue, l’I.A. de chez IBM, l’emporta sur le champion du monde d’échec, Kasparov. Et, il y a peu, Une I. A. a remporté un succès encore plus sensationnel avec le jeu de go. En mars 2016 à Séoul un match oppose l’I.A. Alpha GO de Google au champion coréen, Lee Sedol. L’I.A. bat le champion de quatre à un, en recourant à des stratégies originales qui stupéfièrent les spécialistes.
Puis, je reviens sur le remplacement des humains dans les métiers. Et on lit souvent que presque tous les métiers peuvent être remplacés par des intelligences artificielles.
Yuval Noah Harari, dans son ouvrage « Homo deus », écrit : «  En 2004, les professeurs Frank Levy et Richard J. Murnane de Harvard, publient une étude approfondie du marché du travail, laquelle répertoriait, les professions les plus susceptibles de connaître l’automatisation : « La conduite des camions semble être une activité qui sera automatisée dans l’avenir  proche [….]  Des algorithmes pourraient sans risque conduire des camions sur des routes fréquentées » écrivent-ils.
« Google et Tesla » écrit Yuri Noah Hariri (dans l’ouvrage déjà cité)  «  ne se contentent pas de l’imaginer, et sont en passe de mener à bien ce projet. […. ] Au cours des derniers millénaires, cependant, nous autres, humains, nous nous sommes spécialisés. Un chauffeur de taxi, ou un cardiologue, se spécialise dans une niche bien plus étroite qu’un chasseur-cueilleur, ce qui le rend d’autant plus facilement remplaçable par une I.A.
Ainsi que je ne l’ai cessé de souligner, L’I. A. n’a rien de commun avec l’existence humaine, mais 99% des qualités et capacités des hommes sont purement et simplement redondantes pour l’exercice de la plupart des métiers modernes. Pour que l’I. A. chasse les hommes du marché du travail, il suffit de nous surpasser dans les talents spécifiques que requiert une profession particulière. Même les managers chargés de ces activités sont remplaçables. Grâce à de puissants algorithmes, Uber peut gérer  des millions de chauffeurs de véhicules avec une poignée d’humains seulement. La plupart des ordres sont donnés par des algorithmes qui ne nécessitent pas la moindre supervision humaine ».
Dans ce même ouvrage est citée une étude de chercheurs d’Oxford réalisée en 2013, laquelle dit que 47% des emplois américains sont très exposés. Par exemple, il est possible à 99% qu’en 2033, les télémarketeurs, les courtiers en assurances, perdent leur emploi au profit des algorithmes. Les arbitres connaîtront le même sort, les  caissiers, les cuisiniers,  les serveurs, les assistants juridiques. 89% pour les boulangers et les chauffeurs de bus, et pour 88% les ouvriers du bâtiment, les aides vétérinaires, les médecins, etc…
Alors, je reprends la question déjà posée : que feront les êtres humains ? Qu’allons-nous faire de ces gens ?

⇒  Un robot se distingue d’une machine. En gros, on dit d’un robot qu’il est programmable, mais on n’a pas attendu d’avoir des robots pour faire des machines programmables.
Première chose : On va dire que le robot se distingue, en cela qu’il est capable de changer d’activité, de faire des corrections sur ce qu’il est en train de faire, et a une certaine capacité de perception de son environnement, grâce à des capteurs. Du coup, le robot donne l’impression d’être un peu plus intelligent. Des systèmes qui ont des capteurs on en a déjà. Pour moi qui travaille dans ce domaine de la robotique, le robot est une machine comme les autres, un petit peu différente, mais pas tant que ça. Il n’a pas d’intelligence, même s’il peut être plus performant. Il peut faire une addition, des opérations, mais il ne le fera pas si personne ne lui a fait le programme.
En gros, c’est : Programmation – Perception – Action. Quand on dit ça, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de choses autour de nous qu’on pourrait considérer comme des robots. Un distributeur de billets, pour moi, c’est aussi un robot,  cela a supprimé des emplois, mais le traitement de textes, avait déjà supprimé dactylos, secrétaires…
Deuxième chose : Les robots sont des choses programmées à l’avance et qui sont plus ou moins capables de faire des corrections  sur les tâches à faire. Par contre, ce qu’on voit, c’est que, pour utiliser des machines comme cela, on a transformé des processus de production.
Aujourd’hui, il y a beaucoup de robots qui fabriquent des voitures, des voitures qui se ressemblent beaucoup, elles ont des tolérances dimensionnelles.  Donc, une fois que le robot a appris à faire une certaine tâche sur une voiture, il peut la reproduire de façon très performante. Pour qu’une production de voiture soit performante, il faut construire une usine de cinq milliards d’euros, pour découper les tâches de façon à ce que ça puisse être fait par une machine…..
Et, il y a des tâches dans les PME où ce serait trop compliqué de confier ces tâches à des robots, ce serait trop compliqué, trop coûteux de vouloir tout programmer. Il vaut mieux s’adapter le moment venu.
Donc, on a inventé des téléopérateurs, des machines qui sont pilotées par un humain. On pourrait dire aujourd’hui, qu’une voiture, même si ce n’est pas du tout anthropomorphique, c’est une espèce d’auto-manipulateur ; j’appuie sur une pédale et elle obéit.
Et je reviens sur les cobots, robots collaboratifs, qui peuvent travailler dans le même espace que les humains. Et l’on a évoqué les exosquelettes, le cobot utile, qui suit l’intention à chaque instant de l’humain auquel il est attaché.
Normalement plus on a des capacités techniques pour faire un travail dur et plus cela devrait être une bonne nouvelle, et, en fait cela ne l’est pas. Pas à cause de la machine en elle-même. Et l’on parle alors de la propriété des moyens de production, ou n’importe quoi d’autre si c’est une petite minorité qui possède ces moyens de production, les outils robotiques. De fait, cela concerne la façon dont les richesses sont utilisées. Cela pose la question de l’emploi.
La valeur qui est créée par une machine est toujours là, elle existe encore. La question est : qui est-ce qui se met la plus-value dans la poche ? Est-ce que c’est par la société toute entière,  qu’elle peut être partagée ?
Il y a sur ce sujet, un certain pessimisme. C’est vrai on a des métiers qui ont évolué grâce aux technologies ; par exemple quand j’étais jeune, il y avait des poinçonneurs du métro ; ce n’était pas un boulot passionnant. Il y a des centaines d’emplois qui ont disparu, et les gens ont été occupés à d’autres postes. Je ne pense pas que le robot va provoquer plus de chômage si c’est nous qui les fabriquons. Par contre si ces robots viennent de l’étranger, effectivement on aura un problème.
On est en train d’améliorer les supers calculateurs, et il y a des informaticiens qui réfléchissent à des algorithmes plus transparents, des machines auxquelles on puisse accéder
Il y a un rôle politique pour vérifier que le système ne va pas fonctionner tout seul.
Et puis, préparer la transformation du marché du travail, ça repose sur un point important, dont la formation, évidemment ; il faudra être formé à de nouveaux métiers. Ce sera quelque chose qui nous poussera à nous transformer.
En tout cas, il y a une réponse concrète du gouvernement avec le rapport Villani qui a été mis en place très vite, puisque Villani propose de doubler le salaire des chercheurs, et le gouvernement a tout de suite dit : non !
Donc ça réagit très vite.

⇒  Moi, je ne suis pas du tout inquiet pour l’avenir. Je pense qu’il faut mettre en place les politiques pour qu’on s’adapte à des transferts. C’est un robot qui m’a amené ici, avec le GPS qui m’a indiqué la route sinon je me serais perdu dans cette banlieue que je ne connais pas.

⇒  Dans l’industrie les hommes font moins d’effort grâce aux robots. Moi je n’aime pas travailler, je préférerais passer mon temps à peindre ou faire de la musique. Je veux bien laisser le travail à des machines. Par exemple la petite machine qui passe l’aspirateur toute seule dans la maison, c’est le rêve ! Sauf si j’ai laissé tomber une boucle d’oreille…Donc, c’est comme pour les robots, il n’y a pas de sécurité absolue, il faudra les contrôler.
Mais la disparition du travail, moi, ça me ravirait.

⇒  On fait la confusion entre travail et emploi. La révolution robotique va supprimer des emplois mais pas le travail. « L’homme est un être qui se réalise par le travail » (Marx) ; le travail quel qu’il soit : travail manuel, intellectuel, artistique ; etc. C’est par le travail que l’homme sait qu’il est un être humain.
Je suis d’accord avec le fait que le problème n’est pas en soi, les robots. La question est bien celle de ceux qui possèdent les moyens de production, et qui organiseront l’utilisation de ces robots. Et bien sûr, cela pose la question de quel système politique pour demain, pour cadrer, régulariser, légiférer sur l’utilisation des robots : par qui ? Et, comment ?
Mais les chercheurs en robotique ne se posent pas la question. Yuri Noah Hariri dit bien dans son ouvrage « Homo deus » que le problème ce n’est pas de vouloir culpabiliser les chercheurs en robotique, parce que ceux-ci ne se préoccupent pas des inégalités sociales aujourd’hui et demain ; ce n’est pas leur fonction. Mais il ajoute, que si jamais les chercheurs et les producteurs de robots allaient fabriquer des robots conscients, alors le problème de l’inégalité pourrait être posé, y compris pour les robots.
Et j’ai lu le livre «  Remplacer l’humain » de Nicholas Carr qui met en évidence tout ce que les robots peuvent faire à la place de l’homme, depuis les activités physiques difficiles, pénibles. Il dit : – les robots, c’est bien, mais cela modifie ce que nous faisons et ce que nous sommes. Et il prend deux exemples : celui des pilotes qui avaient, comme l’écrivait Saint-  Exupéry, un lien charnel avec les problèmes naturels. Aujourd’hui le pilote tient en moyenne les commandes pendant trois minutes, au décollage et à l’atterrissage. Il passe l’essentiel de son temps à la surveillance des écrans et à la saisie des données de contrôle de vol. Du coup les vols sont infiniment plus sûrs, mais ils sont dans une dépendance absolue vis-à-vis de l’automatisation, aboutissant à une forme de désapprentissage des bons réflexes en cas d’imprévu s’il faut repasser en mode manuel.
Et deuxième exemple, il évoque le rapport de l’ordinateur et des patients, et entre en compétition  avec le clinicien. Il dit que la médecine basée sur la robotique est plus sûre que la médecine fondée sur le jugement humain. Mais, en même temps, le médecin se disqualifie parce qu’il reste soumis à la machine, il est sous l’emprise de la machine, il attend un résultat.
Dans la robotique, c’est tout un tas d’aspects positifs. Mais en même temps, ça modifie l’être humain.

⇒  On en revient au pharmakon, soit, ce qui peut s’avérer comme la meilleure ou la pire des choses.

⇒  On a évoqué les soldats-robots. Ils existent actuellement en Syrie, ou sur d’autres champs de bataille, ils sont spécialisés dans certaines tâches, (par exemple le déminage).
Avec les I. A., les systèmes,  disait un professeur, ce n’est plus la peine d’apprendre, de faire apprendre aux futurs ingénieurs car de toute façon ils seront surclassés dans le domaine de la mémoire. Donc je n’enseigne plus à mes élèves, je leur enseigne à comprendre sans apprendre.
Et on voit l’écart entre les annonces et les réalisations ; ainsi, de l’arrivée des drones livrant des produits Amazon. Une technique qui aurait vite fait de saturer le ciel.
Et concernant les emplois, on estime que les emplois à perdre qu’on ne peut réellement définir seront remplacés, pas plus que l’on ne connaît les emplois de remplacement, et ceci d’autant plus, si les robots sont fabriqués par des robots.

⇒  Je vois qu’on navigue entre crainte et optimiste. De toutes façons cela viendra, on aura beau mettre des moratoires, l’économie, la concurrence passeront outre « tout ce qui est techniquement faisable sera fait, que ce soit moral ou pas ». (Principe de Gabbor)
Dans les récents ouvrages sur ce sujet nous allons des auteurs plutôt pessimistes, aux plus optimistes. Cela va de Jacques Testart (à l’origine du premier bébé in vitro) qui a écrit «  Au péril de l’humain » (avec Agnès Rousseau), au Dr Laurent Alexandre, transhumaniste convaincu, avec son ouvrage : « La guerre des intelligences ». La raison, l’équilibre me semble être plus chez Luc Ferry avec son ouvrage : « La révolution transhumaniste ». Présentant tous les aspects qui peuvent être positifs et les aspects dangereux, il conclut que nous ne pourrons passer ce bouleversement qu’avec un État fort, un État régulateur. Programme qui s’écarte du libéralisme qui prône un État a minima, un État « veilleur de nuit ».
Et je reviens sur l’aspect anthropomorphique de nos robots d’accueil, ou robots compagnons, tel : Pepper, Asimo, Nao, Hope, Zora…., en dehors d’un aspect qui rappelle l’humain, « une tête, deux bras, deux jambes » pour créer un début d’empathie, ces robots devant évoluer dans notre univers, il leur faut des capteurs en haut de « la machine », des jambes pour se déplacer dans notre milieu et des bras pour la préhension (comme les humains).
Le robot Zora dans de nombreuses maisons de retraites en Belgique, anime un Karaoké, connaît toutes chansons anciennes, fait faire de la gymnastique aux pensionnaires, les félicitent en les nommant par leur nom. Il écoute les personnes âgées lui raconter leur vie, et plus tard il leur raconte leur vie. Leur mémoire défaillante fait qu’ils se disent  que le robot connaît leur vie comme un proche.
Et enfin, l’aspect emploi que nous avons beaucoup évoqué, est à coup sûr la remise en cause de toutes nos structures sociales. Il nous faudra imaginer un nouveau contrat social.

⇒  La robotisation, même si les robots sont fabriqués en France, ça peut être une bonne nouvelle. Une étude aux États-Unis  montre que même si tout le travail autour des robots était fait dans ce pays, ça supprimerait quand même des emplois, et les nouveaux emplois ne compenseraient pas la perte. Néanmoins, il reste l’idée de la « robot relocalisation », relocalisation de certains métiers, d’activités qui étaient parties en Chine ou dans des pays à bas salaires. Cela concerne toutes les tâches qui ne peuvent être découpées en morceaux.
Et pour les véhicules sans chauffeur, les systèmes vont être améliorés, et un jour viendra où il sera interdit de conduire un véhicule soi-même.
Je rêve d’une voiture autonome, car alors on aura besoin de moins de voitures, car la voiture ne sert que quand elle roule. L’environnement y trouvera son compte.

⇒  L’avenir dans ce domaine de la robotisation, sera une combinaison entre : acceptation sociale et volonté politique.
Et je voudrais évoquer une expérience faite par Google, avec un robot qui enregistrait toutes les tchatches sur les réseaux sociaux de jeunes. Le système communiquant a fini par exprimer des propos racistes, il a fallu arrêter l’opération. Ça veut dire, que même avec de l’auto- apprentissage, à un moment donné se pose la question de : qu’est-ce que c’est que la conscience ? Pour l’instant, on est incapable de donner une conscience à un système. L’I. A. n’a d’intelligence, qu’artificielle (comme son nom l’indique), elle n’est que ce qu’on lui a donné, elle n’est pas pensante. L’Être humain est capable de créer des concepts. Qui me dit qu’un système est capable de créer, de conceptualiser ? Ce qui reprend cette différence entre « faire et comprendre ».
Et dans tout ce qu’on a dit concernant les pertes d’emplois, ce sera à nous les humains de concevoir une nouvelle société. Mais si l’on parle du futur avec nos critères actuels, on est dans l’impasse. Avec nos critères actuels, c’est la mort d’une certaine classe de la société, qui a aussi été nommée comme « classe inutile » ; sauf que si l’on met en branle notre capacité à créer une autre société, il y a peut-être des solutions à dégager. Et là, le robot sera peut-être, un bienfait.

⇒ Nous voyons que la société est dans un changement profond. Et c’est à nous humains, si nous avons une intelligence d’anticiper face à ces risques de suppression d’emploi. Et on doit être capables de former les gens à de nouveaux emplois.
Je reviens sur le robot et le médecin. Du robot capable de faire un diagnostic supérieur, ôtant au médecin sa capacité d’action. Je pense le contraire. Si le médecin est curieux, il va chercher à comprendre l’info du robot, et va l’utiliser à son profit pour progresser.

⇒  Je ne sais pas si on donnera une conscience aux robots, mais je ne le souhaite pas, déjà qu’une conscience c’est compliqué chez les humains.
Puis concernant les pertes d’emploi, ce sujet qui inquiète ; au-delà de l’étude qu’on peut faire, on voit des pays qui sont plus en avant dans ce domaine, et qui n’ont pas plus de chômage.
On a vu les mutations dans le secteur agricole, le secteur ouvrier ; du secteur primaire au secondaire, au tertiaire, on parle maintenant d’un secteur quartenaire ; tout évolue, il n’y a rien de systématique. C’est la manière dont on va gérer la situation qui apportera la réponse.

⇒  Nous abordons un sujet où l’on doit prendre en compte : « pouvoir et devoirs » (devoirs éthiques). Ces systèmes ne seront pas des citoyens, cela ne sera pas dans le champ d’apprentissage.

⇒ On avance dans le débat et dans la réflexion, et ce qui revient c’est qu’effectivement il est difficile d’appréhender une société robotisée de demain avec des raisonnements d’aujourd’hui. Néanmoins, pour l’instant il nous faut bien l’aborder avec nos moyens.
Effectivement cela nous rappelle toutes les grandes mutations technologiques depuis les métiers à tisser et les révoltes des Ludistes, des Canuts.
Aujourd’hui la théorie de Schumpeter, des « destructions créatrices » est peut-être obsolète. Schumpeter c’était au siècle dernier, les années 40 ; nous ne sommes plus du tout dans ce schéma, nous sommes bien au-delà de la machine agricole, des métiers à tisser, les comparaisons sont vaines.
Et je reviens sur Deep blue qui a gagné aux échecs et au jeu de go, le système ne savait pas qu’il jouait aux échecs. Ce n’est pas « je calcule donc je suis », à ce jour encore « l’esprit surpasse la matière »
Et je veux évoquer ce sujet des « robots tueurs ». En Chine, aux USA, des expériences sont menées sur des engins munis d’armes de mort, avec de caméras à 360°, détecteurs à infra-rouges. Ces engins sont télécommandés par des opérateurs, situés parfois à des milliers de kilomètres.
Ce système permettrait de faire des guerres « zéro mort », génial ! Enfin génial pour celui qui a ces armes.
Actuellement la frontière de la Corée du sud est contrôlée par des robots sentinelles armés de mitrailleuses, de lance-grenades. Ce système est visualisé à distance, ce n’est pas le robot qui décide de tirer. Mais si un hacker pirate le système, il peut déclencher une guerre.
Donc, si un robot tueur est aujourd’hui du domaine expérimental, demain, modèle abouti, modèle dupliqué à des milliers d’exemplaires, c’est une armée.
A ce jour, sept cents personnalités dont Bill Gates, Elon Musk, Stephan Hawkins, des chercheurs des scientifiques, ont signé un appel pour l’interdiction de développement d’armes létales.
http://www.wedemain.fr/L-appel-de-700-personnalites-sur-les-dangers-de-l intelligence-artificielle_a803.html
L’ONU a été saisie sur ce risque. Pour l’instant l’ONU a voté un moratoire, c’est-à-dire, à décidé de ne pas décider.

⇒  Est-ce que la volonté de développer des I.A. ne dénote pas de la mégalomanie de certains de nos gouvernants. Je pense à Macron qui a déjà fait débloquer un milliard pour la recherche en I.A.

⇒  J’ai lu le bouquin d’Henri Atlan, « Utérus artificiel » où il explique : qu’après la pilule, l’insémination artificielle, la fécondation in vitro … l’étape prochaine c’est l’utérus  artificiel, une boîte à procréer. Il dit : cela a une fonction thérapeutique, parce que c’est aussi un incubateur. Mais cela a aussi une fonction robotique, ou, un robot procréateur qui permettra aux femmes de « Disposer de leur corps », (comme elles disent), d’avoir un enfant « si je veux, quand je veux ». Avec l’utérus artificiel,  cela leur permettra de refuser la grossesse : pour le boulot, pour l’apparence…, ça va permettre aussi aux hommes de procréer, donc ça a des conséquences positives : 1° quant à l’égalité Hommes/Femmes, quant à leurs désirs d’enfant. 2° Le lien avec la nature  est annulé, la procréation n’est plus liée à la sexualité. 3° Le problème de la marchandisation des ventres, les mères porteuses est annulé, résolu. Et 4° C’est la fin de la relation parentale biologique avec l’enfant ; la fin de bien des problèmes complexes, problèmes de filiation, d’identité.

⇒  Je suis du côté plutôt pessimiste ? Ce « meilleur des mondes » ne m’emballe pas. On pense que si Hitler avait eu ces technologies…
Ce qui me fait peur c’est que l’Être humain va abandonner une part de sa liberté. Nous serons connectés, avec des puces qui surveillent notre santé, et on pourra presque nous dire de quoi et quand on va mourir.
C’est : après nos réseaux, nos tablettes, nos smartphones, Big Brother qui envahit nos corps, nos esprits, et va connaître tout de nous. Ces infos (le Big Data) sont bien sûr confidentielles, sauf pour Facebook que vient d’avoir des sérieux soucis à ce sujet.
Alors, au bout du bout, serons-nous encore des Êtres humains ? Des Êtres déterminés par notre liberté d’être et d’agir, si toutes les décisions même les plus intimes peuvent être prises à notre place.

⇒  Depuis homo habilis, l’homme a inventé des outils pour se simplifier la vie, et aussi, pour tuer son voisin. La question reste : quelle organisation de la société de demain, si ce n’est pas la majorité qui a la maîtrise, si cela est dans les mains d’une minorité ?  Cela peut -il être bon, bon pour les hommes, bon pour la planète?

Références. Livres :

Le jour où les robots mangeront des pommes. Emmanuel Grimaud et Zaven Paré. Edit. Petra 2011
La guerre des intelligences. Dr Laurent Alexandre. JC Lattès. 201T
La révolution transhumaniste. Luc Ferry. J’ai lu. 2016
Le transhumanisme est un humanisme. Gilbert Hottois. Edit. Académie royale de Belgique 2014
L’homme simplifié. Jean-Michel Besnier. Fayard. Folio 2004.
Justice. Michael Sandel. Albin Michel. 2016.
Au péril de l’humain. Jacques Testard et Agnès Rousseau. Seuil. 2018
Homo deus. Yuri Noah Hariri. Albin Michel. 2015
Remplacer l’Humain. Nicholas Carr. Edition, l’Echappée. 2017.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rousseau: de l’homme naturel au citoyen

Jean-Jacques Rousseau, par Quentin de La Tour. 1753. Musée JJ Rousseau, à Montmorency

Jean-Jacques Rousseau, par Quentin de La Tour. 1753. Musée JJ Rousseau, à Montmorency

Restitution du débat du 28  mars 2018 à Chevilly-Larue

Animatrices et animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Danielle Pommier Vautrin. Berverly Zehia. Lionel Graffin. Guy Pannetier.

Modérateur : Hervé Donjon.

Biographie de Jean-Jacques Rousseau (Danielle)
Sa vie : Jean-Jacques Rousseau est né à Genève dans une famille calviniste le 28 juin 1712. Sa famille était d’origine française. Jean-Jacques, ayant perdu sa mère dès sa naissance, est d’abord élevé par son père qui lui fait lire avec lui des romans d’aventures et les Vies de Plutarque. Puis, il le confie à dix ans, pendant deux ans, à son oncle, M. Bernard, qui le met en pension chez le pasteur Lambercier, à Bossey. L’enfant revient à Genève et est placé comme apprenti chez un graveur. Mais un jour, pour ne pas s’y exposer à un châtiment mérité, il se rend chez le curé de Confignon, petit village à deux lieues de Genève, et lui déclare qu’il veut se convertir au catholicisme. Le curé l’envoie à Annecy chez Mme de Warens, et celle-ci l’adresse à l’hospice des catéchumènes de Turin. Elle est sa maîtresse et bienfaitrice qui influencera son œuvre et s’attachera à parfaire son éducation. En 1741, Jean-Jacques Rousseau devient précepteur des enfants de Mme de Mably à Lyon.
   Passionné de musique, il élabore un système de notation musicale qui ne rencontre pas le succès espéré à Paris. Après un séjour à Venise, il retourne à Paris et se lie d’amitié avec Diderot qui lui demande d’écrire des articles sur la musique pour l’Encyclopédie. Il fait la connaissance de quelques financiers. On le fait entrer comme secrétaire chez M. de Montaigne qui partait pour l’ambassade de Venise ; au bout d’un an, brouillé avec son chef, il est de retour à Paris. Le voilà qui accepte une autre place de secrétaire, chez Mme Dupin, femme d’un fermier général : c’est le moment mondain de son existence.
   Jean-Jacques Rousseau vit en ménage avec Thérèse Levasseur, modeste servante, avec laquelle il a cinq enfants. Ne pouvant les élever correctement, il les confie aux Enfants-trouvés, ce que lui reprocheront plus tard ses ennemis.

Son œuvre : Jean-Jacques Rousseau acquiert la gloire en 1750, où il se révèle brusquement philosophe paradoxal et écrivain de génie. A partir de cette période, sa vie est étroitement liée à son œuvre. Dans le domaine philosophique, la lecture en 1749 de la question mise au concours par l’Académie de Dijon : « le rétablissement des sciences et des arts a t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? » provoque ce qu’on appelle « l’illumination de Vincennes ». De là naissent les ouvrages qui inscrivent durablement Rousseau dans le monde de la pensée : le Discours sur les arts et les sciences(1750), le  Discours  sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes  (1755) et plus tard  Du Contrat social (1762).
   Son succès est tel qu’il se sent forcé de mettre sa vie en accord avec ses principes. Il rompt avec le monde, se loge dans une mansarde et gagne sa vie en copiant de la musique. Puis il se rend à Genève, où il est reçu comme un grand homme et admis à faire de nouveau profession de calvinisme. Il prend comme hypothèse méthodologique dans son ouvrage Du contrat social, ce qui va devenir le thème central de sa philosophie : l’homme naît naturellement bon et heureux, c’est la société qui le corrompt et le rend malheureux. Il réfute ainsi la notion de péché originel.
   Jean-Jacques Rousseau retourne dans sa patrie d’origine en 1754.
  En 1755, Rousseau compose un second Discours, sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et ce discours ne fait pas moins de bruit que le précédent. Il accepte alors de Mme d’ Épinay un pavillon situé dans la forêt de Montmorency, l’Ermitage, non loin du château de la Chevrette. Là, au milieu de la nature, il commence trois grands ouvrage : L’Emile, le Contrat social et la Nouvelle Héloïse. Mais bientôt il se croit persécuté par Mme d’Épinay et par tous ceux qui sont reçus chez elle : et il quitte l’Ermitage en décembre 1757.
   Son œuvre principale, « Du contrat social », analyse les principes fondateurs du droit politique et présente la pensée politique de Rousseau. Pour Rousseau, seule une convention fondamentale peut légitimer l’autorité politique et permettre à la volonté générale du peuple d’exercer sa souveraineté. Il va plus loin que  Montesquieu et  Voltaire dans la défense de la liberté et de l’égalité entre les hommes, en proposant un ordre naturel qui concilie la liberté individuelle et les exigences de la vie en société.
   Rousseau est critique par rapport à la pensée politique et philosophique développée par Hobbes et Locke.  Pour lui, les systèmes politiques basés sur l’interdépendance économique et sur l’intérêt conduisent à l’inégalité, à l’égoïsme et finalement à la société bourgeoise (un terme qu’il est un des premiers à employer). Toutefois, s’il est critique de la philosophie des Lumières, il s’agit d’une critique interne. En effet, il ne veut revenir ni à Aristote ni à l’ancien républicanisme ou à la moralité chrétienne.
   La philosophie politique de Rousseau exerce une influence considérable lors de la  période révolutionnaire durant laquelle son livre le Contrat social est « redécouvert ». À plus long terme, Rousseau marque le mouvement républicain français ainsi que la philosophie allemande. Par exemple, l’impératif catégorique de Kantd est imprégné par l’idée rousseauiste de volonté générale. Durant une partie du XXe siècle, une controverse opposera ceux qui estiment que Rousseau est en quelque sorte le père des totalitarismes  et ceux qui l’en exonèrent.
   Dans « L’Emile ou l’Education », Jean-Jacques Rousseau soutient que l’apprentissage doit se faire par l’expérience plutôt que par l’analyse. Il y professe également une religion naturelle, sans dogme, par opposition à la révélation surnaturelle, ce qui lui vaut d’être condamné en 1762 par le Parlement de Paris.
    Il se réfugie alors en Suisse. On le voit successivement à Yverdun, à Motiers, où il s’habille en Arménien, dans l’île Saint-Pierre sur le lac de Bienne. Partout il se fait des ennemis. En 1766, il part pour l’Angleterre, où l’avait appelé le philosophe David Hume. Mais il ne tarde pas à se brouiller avec lui. Il revient en France, et après quelques étapes en Normandie, à Lyon, à Monquin (Dauphiné), il s’installe de nouveau à Paris : il habite alors la rue Plâtrière, qui porte aujourd’hui son nom, et il se remet à copier de la musique.
   Critiqué par les philosophes et attaqué par Voltaire (qui se moque de sa théorie où la société dénature l’homme), Jean-Jacques Rousseau se sent persécuté. Il tente de se défendre et de s’expliquer dans « Les Lettres écrites de la montagne » et les « Confessions ». Attisée par Voltaire, la population va même jusqu’à lapider sa maison et brûler ses livres. Les dernières années de sa vie se passent à Ermenonville dans la maladie et l’isolement.
   Un de ses admirateurs, M. de Girardin, l’emmène le 20 mai 1778 dans son château d’Ermenonville. C’est là que Jean-Jacques meurt, d’une attaque d’apoplexie, le 2 juillet 1778. On l’enterre, selon son vœu, dans l’île des Peupliers, au milieu du parc de ce château. En 1794, ses restes sont transportés au Panthéon de Paris.
   On peut aussi dire de Rousseau qu’il est déjà romantique : parce qu’il fait de la littérature personnelle : ce sont ses impressions à lui qu’il vous donne dans tous ses ouvrages ; par la façon dont il sent et peint la nature ; par son sentiment religieux ; par l’exaltation et la couleur de ses descriptions.

Le Contexte politique et social (Guy)
  L’œuvre de Rousseau s’inscrit dans cette période du 18ème siècle, époque qui reste fortement marquée par la Révolution anglaise, puis la guerre de sept ans impliquant plusieurs pays. On parle d’une avant première guerre mondiale. C’est aussi l’époque des grandes déportations d’esclaves africains vers les Etats-Unis. Ce sont aussi les dernières grandes disettes dues à 16 hivers destructeurs. Le manque de denrées alimentaires attise la spéculation, une épidémie bovine détruit la plus grande partie des cheptels; dans la toute fin du 17ème siècle deux millions huit cent mille personnes, soit 15% de la population, sont mortes de faim.  Pendant ce temps on continue à donner de grandes fêtes à Versailles.
Le ministre Turgot va déclencher des grèves. Ces grèves sont vivement réprimées, comme pour les canuts lyonnais. C’est le début de ce qu’on va nommer la petite industrie. Croyant accéder à plus de liberté les ouvriers réalisent très vite qu’ils sont en dépendance économique. Les hommes travaillent jusqu’à 18 heures par jour, et pour maintenir les salaires au plus bas, Turgot encourage l’embauche d’ouvriers étrangers. Ce début d’industrialisation crée des crises catégorielles, et des ouvriers qui n’ont pas d’aide, sont parfois réduits à la mendicité.
On doit être conscient que Rousseau écrit dans ce contexte, cette grande misère que nous avons du mal à imaginer.
Par ailleurs, « A cette époque » écrit Jean Starobinski dans l’ouvrage « La transparence et l’obstacle, »  « où les écrits de Rousseau commencent à avoir un certain écho, une faction de la noblesse souhaite des réformes et des mesures énergiques, en particulier à l’égard du clergé qui s’affirme de plus en plus comme un Etat dans l’Etat…, ».
Des personnalités de la noblesse, comme le prince de Conti, ne fréquentent plus la cour et agissent pour rapprocher le parlement et la noblesse, afin d’affaiblir, l’absolutisme royal. Ces derniers perçoivent dans les écrits de Rousseau les idées pour aller vers les réformes qu’ils souhaitent.
La religion perd grandement de son influence sur l’esprit d’un peuple, elle cesse d’être l’unique sens de la vie. Avec l’esprit des Lumières advient un humanisme qui dit aux individus, qu’ils sont l’unique source de sens.

Il y a un recul sur les quelques libertés obtenues lors de la régence de Philippe d’Orléans, ceci toujours à l’actif des « dévots » le groupe janséniste très influent auprès du pouvoir.
Ces mêmes Jansénistes ont enfin gagné leur duel contre les Jésuites. Jésuites dont l’ordre sera aboli en 1762, leurs écoles fermées, ces derniers perdant ainsi leur grande influence dans l’éducation des élites. Le peuple sent et redoute le retour d’une certaine rigueur.
   Si, avec Voltaire c’est l’obscurantisme religieux, ses formes fanatiques qui sont mises à mal, et créant par là un vrai tournant, Rousseau, lui va s’attaquer à l’autre versant, c’est-à-dire à l’aspect purement politique. Cette époque dont d’Alembert, un des pères de l’Encyclopédie, dira, qu’il se fait (je cite): « … un changement bien remarquable, changement qui, par sa rapidité, semble nous en promettre un plus grand encore. C’est au temps à fixer la nature et les limites de cette révolution, dont notre postérité connaîtra mieux que nous les inconvénients et les avantages… »                               
   Cette période du XVIIIème siècle est avant tout une époque de réveil des esprits entreprise par les rédacteurs de l’Encyclopédie, dont d’Alembert, Diderot et tant d’autres.
    En 1749 l’académie de Dijon lance un concours sur la question  suivante : «  Le rétablissement des sciences et des arts à t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? ».
Cette question n’est pas innocente dans cette époque où les philosophes des Lumières, introduisent cette idée que l’homme va, dans tous les domaines s’améliorer, grâce à la science, à plus de connaissance, et que, sortant  de nombre de croyances qui l’enferme, il va créer un monde meilleur.
   L’ouvrage de Rousseau, « Discours sur les sciences et les arts », antithèse des théories des Encyclopédistes ouvrira des pistes de réflexion très au-delà d’une simple opposition. Témoignant à contre-courant de son époque, il enrichit néanmoins le débat.

Tous les écrits de cette époque : de l’Encyclopédie, de Voltaire, de Rousseau,  annoncent un basculement des valeurs d’une société. C’est un questionnement à cette époque, qui nous fait beaucoup penser à nos questionnements actuels sur les nouvelles technologies.

La Révolution et les concepts politiques de Rousseau (Edith)
Je dis bien « La Révolution française et Jean Jacques Rousseau »  et non pas Jean Jacques Rousseau et la Révolution française. Ce qui m’intéresse c’est en quoi la révolution française s’est inspirée, ou a été marquée par les écrits de Jean Jacques Rousseau. Et si cela m’intéresse, ce n’est pas par une préoccupation d’historienne –que je ne suis pas- mais par une interrogation philosophique : quelle a été la portée des concepts élaborés par Rousseau sur les discussions des révolutionnaires de 1789 à 1794 ? J.J. Rousseau a réfléchi aux conditions nécessaires pour que le système politique (l’énonciation des lois, la gestion des affaires publiques, le comportement des citoyens, le type de gouvernement) soit juste et garantisse à chaque individu sa liberté et à tous la paix.
   D’autre part, aujourd’hui les débats idéologiques (sociétaux et sociaux) font s’affronter des communautés, des intérêts  particuliers et de groupes, et des partis politiques : Rousseau peut peut-être nous aider à réfléchir sur ce qui, du point de vue politique, permet le vivre ensemble.
   J.J. Rousseau a argumenté les concepts « Contrat social », « Volonté générale», » « Souveraineté », « Peuple », « Démocratie », «  Religion (civile) », et « Education » (à l’autonomie) et leur lien. (Contrat Social et Emile, ou de l’Education).

En quoi la révolution française s’est-elle inspirée de Rousseau ?
« C’est la faute à Rousseau, C’est la faute à  Voltaire… »
    Dans la chanson de Gavroche, (Les Misérables) Victor Hugo, lui, se moque de la manière d’attribuer la Révolution à Voltaire et Rousseau. D’autre part Rousseau, Voltaire, sont associés tous deux au Panthéon, comme « génies » de la Révolution, mais, ni aux mêmes dates ni par les mêmes factions. Par contre, ils ont été  englobés dans une même  responsabilité par la Restauration : ils ont été tenus pour causes de toutes les violences, petites ou grandes, justifiées ou ignobles.
   Dire «  c’est la faute à Rousseau, c’est la faute à Voltaire », c’est peut-être attribuer trop de pouvoir aux idées et à la pensée. Car les historiens n’ont pas fini de distribuer la part des mouvements sociaux profonds de la société, des malentendus événementiels, de la conjoncture économique, des Lumières, des salons et des cafés de Paris, des faubourgs et de la province, des Académies, des loges maçonniques, et de la monarchie elle-même dans l’irruption de la Révolution française.
   D’autre part, c’est toute l’Europe occidentale qui bouillonne dans l’effervescence d’une nouvelle culture politique. D’où les questions : pourquoi le passage à l’acte en 1789 ? Et pourquoi en France ? Mais dans ce bouillonnement culturel, si nous sommes tentés de faire une place centrale à Rousseau, c’est parce que nous le lisons encore alors que nous ne lisons plus guère Mably ou Morelly. Et surtout parce qu’il a été beaucoup lu par la génération qui a vécu la Révolution, et qui pour une part l’a faite, et même, par moments a su à peu près ce qu’elle faisait.
   Cependant il faut rappeler qu’immédiatement après  sa parution (1762) le Contrat Social a été  peu lu, à  cause d’obstacles matériels tout simplement. Et aussi  parce que Rousseau, dans les années  60, est, pour le public, surtout l’auteur de la Nouvelle Héloïse et de l’Emile. (Même s’il est vrai que l’Emile contient un résumé  du Contrat et qu’ainsi les idées  du Contrat se diffusèrent malgré toutes les censures). En revanche pour le public de l’époque  révolutionnaire  c’est bien le Contrat Social que Rousseau, en costume antique, tient  sous son bras, sur les cartes à jouer. Rousseau est partout présent  dans la Révolution,  dans le décor des  assiettes, les couvercles de boîtes, les cartes à jouer, drapé  à  l’antique ou en costume contemporain, tenant le Contrat Social sous le bras. Sa  présence est prédominante en l’an 2 (1793-1794), mais déjà dès 1791 on donne à la rue Plâtrière le nom de Jean-Jacques Rousseau, qu’elle porte encore. (Dictionnaire historique des rues de Paris J. Hillairet). Rousseau est mort onze ans avant le début  de la Révolution.
     En cette année 1778, Danton, Robespierre,  Carnot,  Babeuf, Desmoulins,  Manon Roland, ont entre  18 et 25 ans. Tous ont lu Rousseau. Et ceux qui l’ont rencontré  s’en souviendront… même  si la rencontre  nous paraît insignifiante ; elle ne le fut pas pour eux. En voici deux exemples. En 1770 le jeune Lazare Carnot est venu de sa province à  Paris pour passer des examens. Il va rue Plâtrière avec un camarade. Son biographe nous dit que Rousseau fut morose et défiant et la conversation assez terne. Cependant des décennies plus tard Carnot raconte l’épisode à son fils de qui nous le tenons. Il gardera les œuvres de Rousseau dans sa bibliothèque. L’esprit mathématique,  l’esprit de décision et d’organisation  n’excluront pas chez lui le goût  de l’effusion et du sentiment exprimés dans le vocabulaire et l’œuvre de Rousseau. Et, deuxième exemple : la rencontre que fit Robespierre. On conjecture une rencontre au cours d’une promenade. Est- ce un fait concret ou un fantasme ? Peu importe car ce qu’a écrit  Robespierre est significatif : « Je veux suivre ta trace vénérée, constamment fidèle  aux inspirations que j’ai puisées  dans tes écrits ». Et encore « Homme divin !tu m’as appris à  me connaître; bien jeune, tu m’as fait apprécier la dignité  de ma nature et réfléchir aux grands problèmes de l’ordre social. » (Robespierre, textes choisis, éditions sociales, 1958, par Gérard Walter).  
   Même sachant que l’époque abuse volontiers de l’adjectif divin, on doit remarquer que Rousseau joue le rôle de Saint patron .Il suffit pour s’en convaincre, de regarder les tableaux allégoriques. On y voit, dans un paysage agreste, un arbre de la liberté surmonté d’un faisceau qui porte les inscriptions : « force », « vérité » «justice », « union ». Au-dessus du faisceau  une couronne de lauriers, plus haut un drapeau tricolore, et enfin dominant le tout, un portrait de Rousseau.
   Ainsi Rousseau est très présent dans la Révolution, mais c’est évidemment réfracté dans l’imagination de ses lecteurs. S’il avait vécu plus longtemps, quelle part aurait-il pris aux événements ? Comment les aurait-il jugés ? Aurait-il renchéri sur les nécessités  de la Terreur, ou bien, horrifié aux premières violences, se serait-il réfugié à Genève ? Aurait-il admiré  Marat ou Charlotte Corday ?  Ou, pourquoi pas, les deux ? Tout cela n’est certes que jeux de pensée. Mais leur intérêt  est de nous faire percevoir combien, avec Rousseau, l’éventail  des possibles était ouvert.

Quels sont les concepts retenus par la Révolution française ?
   D’abord Rousseau n’a ni voulu ni prévu la Révolution ; il n’est pas inutile de le rappeler car le mot apparaît plusieurs fois dans ses écrits, comme d’ailleurs souvent dans ceux du temps. Notamment à la fin du second discours, « Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ». Mais ce mot n’a pas le sens précis que nous lui donnons rétrospectivement. Tantôt  il se réfère aux glorieux exemples antiques « Si Sparte et Rome ont péri, quel État peut espérer  de durer toujours ? » (Contrat Social livre 2 chapitre 3). Et qu’il emploie ou non le mot Révolution,  Rousseau prévoit la ruine des Etats. « Je vois tous les États d’Europe courir à  leur ruine. Monarchies, Républiques… la menacent d’une mort certaine » (Considérations sur le gouvernement de Pologne).Tantôt il exprime le sentiment fort mais vague d’être dans une société en transformation où tout est  possible. Mais ce possible il l’imagine volontiers allant de mal en pis.

   Et si l’on considère les attitudes prises par Rousseau à l’égard de problèmes  politiques précis, on ne le trouve nullement disposé à transformer brutalement les institutions existantes. D’abord il a un grand souci de tenir compte des réalités institutionnelles de chaque pays et aussi des mœurs et des caractères. (La différence  entre  ses propositions pour la Corse et pour la Pologne le montre bien). En général  il craint le changement politique. S’il est optimiste en ce qui concerne la nature humaine, originelle ou bien éduquée,  il est pessimiste à  l’égard  de l’histoire, pessimisme qui éclate à la fin du deuxième discours. Pourtant il accepte de donner des conseils. Mais devant une situation historique, il se révèle réformateur et non pas révolutionnaire.
   Mais Rousseau mort, son œuvre politique, malgré  les censures, est diffusée dans toute la culture du temps. L’un des textes de politique pratique qui l’évoque le mieux est le projet constitutionnel de Condorcet, rédigé au début de 1793, projet auquel fut substituée la Constitution de l’an 1 (juin1793). Et c’est aussi le langage de Rousseau, qui peut éclairer les discussions qui traversent l’œuvre constitutionnelle. On sait qu’en 1789 presque personne ne veut abolir la monarchie, même  ceux qui, plus ou moins proches de Rousseau, seront les Républicains de l’an 1.

L’homme naturel (Lionel)
   Pour Rousseau  l’état de nature, est un état qui n’a jamais existé, mais dont il est nécessaire d’avoir des notions pour juger l’homme de son époque.
   L’homme naturel est un modèle théorique, un modèle épistémologique, modèle destiné à comprendre l’homme, mais ce n’est pas un moment de l’Histoire.
   Donc, il dresse un tableau presque apocalyptique de l’homme naturel dans son « second discours » (1ère partie) : « Son imagination ne lui peint rien, son cœur ne lui demande rien. Ses modiques besoins se trouvent si aisément sous la main, et il est si loin du degré de connaissances nécessaires pour désirer d’en acquérir de plus grandes, qu’il ne peut avoir ni prévoyance, ni curiosité. Le spectacle de la nature lui devient indifférent à force de lui devenir familier; c’est toujours le même ordre, ce sont toujours les mêmes révolutions; il, n’a  pas l’esprit de s’étonner des plus grandes merveilles ; et ce n’est pas chez lui qu’il faut chercher la philosophie dont l’homme a besoin pour savoir observer une fois, ce qu’il a vu tous les jours. Son âme que rien n’agite, se livre au seul sentiment  de son existence actuelle sans aucune idée de l’avenir, quelque prochain qu’il puisse être ; et ses projets bornés comme ses vues, s’étendent à peine jusqu’à la fin de la journée. […] Ses désirs ne passent pas ses besoins physiques ; les seuls besoins qu’il connaisse dans l’univers, sont la nourriture, une femelle, et le repos; jamais l’animal ne sera ce que c’est que mourir, et la connaissance de la mort et de ses terreurs, est une de ces premières acquisitions que l’homme ait fait, en s’éloignant de la condition animale»  (Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes)
   Et Rousseau évoque trois notions que possède l’homme naturel :
 Premièrement : « La perfectibilité ».  «  L’homme naturel possède d’abord, sa perfectibilité, faculté, qui, à l’aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous, tant dans l’espèce que dans l’individu »
   Deuxièmement : « La pitié ». «  La pitié qui nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables »
   Troisièmement : et qui me semble la plus importante, «  L’amour de soi » (à bien distinguer de l’amour propre) : «  L’amour de soi-même est un sentiment naturel qui porte tout animal à veiller à sa propre conservation, et qui dirigé dans l’homme par la raison, et modifié par la pitié, produit l’humanité »

Le contrat social (Beverly)
   Pour Rousseau l’homme à l’état de nature est une brute heureuse, parce que l’homme n’est pas intelligent, il mène une existence isolée dans la nature. Dans cet état il n’existe aucune autorité, ni droit, il n’y a pas de commerce, il n’y a pas de morale.
   Dans cette état de nature il n’y a pas de sociabilité, ni de conflit entre les hommes. Cette existence a duré quelques milliers d’années. Cependant l’homme a connu une évolution qui n’est pas le fruit du hasard. Un jour quelqu’un a réalisé une invention technique parce que l’homme est perfectible, cette invention marque un progrès, de ce progrès naissent des techniques permettant le développement de la chasse et la pêche.
   Se forment alors des familles, les premiers liens sociaux et enfin la raison commencent à s’éveiller. L’apparition des nouvelles techniques avec le développement des capacités intellectuelles, a créé l’inégalité morale et politique. Les plus intelligents s’approprient de manière privée les terres, construisent les meilleurs outils, etc… Pour lui c’est la propriété privée qui est coupable de tout. L’humanité passe par une nouvelle phase de son évolution ; apparaît alors l’homme tel qu’il s’est fait lui-même, apparaît en même temps également l’inégalité. Pour lui les arts, les lettres, les sciences, ne font que renforcer l’inégalité, la société se divise en deux : les riches et les faibles, ce qui marque le commencement du déclin de l’humanité, et donc la guerre de tous contre tous. Du coup s’impose l’anarchie, et c’est pourquoi les hommes décident d’entrer dans la société. Se sont les plus menacés donc les riches qui décident d’entrer en société, ce contrat a pour objectif de mettre fin à la guerre perpétuelle, pour lui ce contrat met en place une situation de droit et plus de fait, donc rien ne change réellement.
   De plus des magistrats sont créés, ce qui crée encore plus d’inégalité. Un jour, la lutte s’achève par la victoire d’un tyran : le despote ; tous deviennent esclaves et donc asservis à un rapport du maître à l’esclave ; on a une égalité de l’homme par la crainte. Pour lui les progrès techniques, la société, la civilisation n’ont fait que l’homme méchant, asservi. Première solution retourner à la brute heureuse, donc faire machine arrière, mais il se rend compte que c’est impossible. Deuxièmement recréer une seconde société. Il estime qu’en France et en Angleterre ce n’est pas possible car la société est trop corrompue. De la va naître le Contrat social à l’origine de l’homme nouveau.

   Pour Rousseau le pacte social n’est pas que pour unir les hommes, mais changer la nature de l’homme, le dénaturer. Pour lui l’homme abandonne tous ses droits, lesquels ne se font pas au profit d’un Léviathan comme chez Hobbes. Pour Rousseau, le contrat est un engagement de tous envers tous, ce que chacun perd individuellement instantanément, il le récupère comme membre de la communauté ; voire plus avec la garantie de la force de la collectivité. De ce fait, par ce pacte, naît un nouvel homme oubliant l’inégalité antérieure. Les hommes deviennent tous égaux par convention, par une fiction juridique. Grâce à cette transformation de la nature de l’homme au moi individuel,  succède un moi commun, la personne publique, qui a une volonté.
   Rousseau considère que la volonté générale n’est pas la volonté de tous. Elle ne représente pas l’addition des volontés particulières, ce n’est pas le point de vue de la majorité ou de l’unanimité, elle n’est pas quantitative. La volonté générale est la raison publique, ce qui est conforme au bien commun, aux impératifs de la raison, ce qui est nécessaire à la conservation de la société. La volonté générale n’est pas un fait politique, c’est une notion morale philosophique. Comme pour le roi, le peuple est investi de la volonté générale absolue, du caractère « linéarisable » de la souveraineté, Rousseau rejette la démocratie représentative : pour lui elle doit être directe. Le peuple souverain transforme le projet en loi. Pour lui la représentation est le signe d’un asservissement civique. Seulement cette démocratie ne peut s’appliquer dans les trop grands états, il trouve le moyen grâce à la Pologne avec un régime fédéral.
   Comme pour Baudin, historien et philosophe français (1),  la souveraineté ne peut être partagée ; en opposition à Montesquieu, ce qui compte c’est la puissance souveraine, donc celle de faire la loi. Le pouvoir législatif, le véritable acte de souveraineté est de faire la loi les autres pouvoirs en découlent. La souveraineté générale est une manifestation exprimant l’intérêt commun, parce que le peuple assemblé en corps ne peut vouloir que le bien, que l’intérêt commun, il ne peut s’égarer. C’est une conception absolutiste se substituant à la monarchie. Les individus composant l’assemblée et donc le pouvoir souverain ne peuvent nuire, notamment à lui-même et donc la loi est toujours parfaite car elle tend toujours à l’intérêt commun. Cette souveraineté dépasse l’absolutisme français, pour lui il n’est pas le même qu’en France pour lui le souverain est maître de la liberté et des biens de tous les citoyens.
 (1) Jean Baudin, auteur des Six Livres de la République. 1570.
  Cette idée fonctionne car pour Rousseau le peuple peut exercer une démocratie absolutiste parce qu’il n’exerce pas le pouvoir par opportunisme. Pour lui s’est la conformité de la volonté particulière à la volonté générale. Au fond être vertueux c’est adhérer sans aucune réserve à la volonté générale, c’est confondre sa volonté particulière à la volonté générale. Les citoyens vertueux se sont ceux qui ne font qu’adhérer à la volonté générale. On débouche sur une religion civile.

Débat

 

 Débat :  ⇒ Ce que les gens retiennent d’abord chez Rousseau, c’est l’abandon de ses enfants. Pour venir ce soir, j’ai parcouru un ouvrage de Rousseau (sur l’inégalité parmi les hommes) ; une des choses qui m’a fait sauter en l’air, c’est lorsqu’il parle de la femme qui devait naturellement obéir aux hommes. Et j’ai été surprise de son propos d’un homme naturel solitaire, car solitaire il n’aurait pas survécu.
Par ailleurs je ne l’ai pas vraiment cerné quant à la religion…

⇒  J’ai trouvé sur un site l’ensemble des lieux où il a séjourné dans sa vie. On pourrait presque faire du « tourisme Rousseau ».
   Et l’on a déjà évoqué son côté effectivement paranoïaque, de plus il était misanthrope, il n’avait de cesse (tel un « promeneur solitaire ») de s’isoler, de fuir la foule.
   Je relis ce passage dans mon manuel de philosophie (de mon temps d’étude), ce passage extrait de l’ouvrage, « Lettre à Malesherbes (1762) « : Ainsi il quitte le château de Montmorency où il trouve l’extase au milieu de la nature. L’or des genêts et la pourpre des bruyères frappaient mes yeux d’un luxe qui touchait mon cœur ; la majesté des arbres qui me couvraient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m’environnaient, l’étonnante variété des herbes et des fleurs que je foulais sous mes pieds tenaient mon esprit dans une alternative continuelle d’observation et d’admiration ».
   Il y a là, une sorte de panthéisme, il s’exalte : « Alors, l’esprit perdu dans cette immensité, je ne pensais pas, je ne philosophais pas, je me sentais comme une sorte de volupté.., j’aurais voulu m’élancer dans l’infini, j’étouffais dans l’univers. Dans l’agitation des transports, je m’écriais : ô grand Être ! ». Il est très romantique.
(Texte qu’on retrouve en grande partie dans, Les Rêveries du promeneur solitaire)
   Quant au contrat social : effectivement, il y a la volonté du peuple, et c’est lui qui fera la distinction entre pouvoir législatif, et pouvoir exécutif, au service des lois, votées par le souverain, le peuple.
  Alors peut-être s’est-il inspiré du modèle anglais.
  Mais il amène cette notion de citoyen.

⇒  Parmi les réflexions par rapport à une relecture du « Contrat social », je retiens cette phrase : qu’il faut demander « une aliénation totale de chaque associé, avec tous ses droits à toute la communauté ». C’est du Rousseau qu’on va retrouver dans « la Terreur » et dans les totalitarismes du 20ème siècle, jusqu’à l’Union Soviétique. Ça me fait froid dans le dos !
   Mais il y a quand même une réflexion politique passionnante. Et Rousseau est Suisse, originaire de Genève, laquelle est une cité, pas un royaume, déjà un système démocratique. Le fait qu’il soit « citoyen de Genève » va impulser sa réflexion philosophique.
   Et il s’inspire aussi de Montesquieu pour la séparation des pouvoirs.
  Il évoque les différents modes de gouvernement : de l’anarchie, de l’aristocratie, de la démocratie, et que les trois peuvent dégénérer : en tyrannie, en oligarchie. La démocratie peut aussi dégénérer en ce qu’il a appelé la « logocratie », c’est-à-dire, quand chacun commence à tirer dans tous les sens et fait comme bon lui semble.
   Le « Contrat social » est un ouvrage remarquable dont on peut encore s’inspirer. De même, Rousseau ne dit pas : voilà ce qu’il faut faire, mais il donne des pistes ; il n’a pas de définition uniforme, c’est beaucoup d’éléments, c’est une réflexion complète, sur le sujet citoyen.
   Rousseau a aussi écrit sur l’origine des langues (Essai sur l’origine des langues 1781). C’est parfois amusant. Ainsi quand il essaie de trouver les différences du langage entre les pays du sud, et les pays du nord, il va dire des choses, du genre : dans les pays du sud la langue est plus chantante parce qu’il y fait chaud, qu’il y a des fontaines, des oiseaux, etc… Mais il développe une réflexion, à savoir si le langage a développé la société, ou si la société a créé le langage.
   Alors, je ne parle pas de toutes les idées de Rousseau, parce que je pense que la société, est, de facto, « on est ensemble » ; seul on n’est rien. Il y a dans son mode de vie, dans son propos, une affirmation de l’individualisme, ce dont nous souffrons aujourd’hui.

⇒  Rousseau est toujours à la mode, aujourd’hui beaucoup de gens voudraient changer la Constitution, laquelle n’est pas quelque chose qui vient d’en haut, ou, lié à un pouvoir présidentiel, mais venant d’en bas, du peuple assemblé.

JEAN-JACQUES ROUSSEAU      Acrostiche : les confessions citées (Hervé)

Le 28 juin 1712 naît Jean-Jacques Rousseau à Genève, Isaac Rousseau est son père.
Encore bébé, le 7 juillet, sa mère Suzanne Bernard décède, ses livres sont bienvenus.
Son enfance se passe à lire auprès de son père ; sa tante et mie Jacqueline l’affectionnent.

Conscience morale forgée suite à une injustice, fripon, son goût pour la solitude est resté.
Oiseau aimant la liberté, voulant être aimé, amoureux, tout  est détaillé dans ses écrits
Nécessitant des critiques, révélant ses aventures galantes  se soldant par des ruptures.
Forgée, sa passion pour la musique au gré de ses rencontres, l’émotion, sa sensibilité
Exprimées dans son dictionnaire de la musique favorisent la voix et la diction chantée.
Ses choix religieux voulus, de protestant, il devient catholique puis redevient protestant.
Sans le sou, devenu père de famille, ses enfants sont placés « aux enfants trouvés », il se justifie.
Imaginative, sa bibliographie inédite dans ses confessions, ses discours sur les sciences et les arts
Ou sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes mérite son succès.
Novateur, philosophe, son contrat social parle de la souveraineté du peuple, du droit humain.
Sensé, le cadre de son contrat vise à fonder le droit politique sur la vertu,  la liberté,  l’égalité.

Claires, sincères « les rêveries d’un promeneur solitaire » le rendent heureux de pouvoir dire la vérité.
Il révèle la volonté de l’intérêt commun, peuple = souverain déjà ébauchée dans « l’Emile ».
Toute sa pensée se révèle en remontant aux origines de son être, apprendre à mieux se connaître.
Émotion des parlementaires à la lecture de « l’Emile » pour ses prises de positions religieuses.
Escapade vers la Suisse, indésirable, il part en Angleterre, puis revient en France en lieux divers.
Sa vie s’achève  le 2 juillet 1778 à Ermenonville, avant le transfert de ses restes au Panthéon en 1794.

Je voudrais revenir sur « l’état de nature ». Jamais Rousseau n’a dit que l’état de nature, c’était la solitude. Je lis (Du Pacte social § 4) : «  Je suppose les hommes parvenus à ce point où les obstacles qui nuisent à leur conservation l’emporte par leur résistance suR les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut substituer, et le genre humain périrait s’il ne changeait sa manière d’être »
   Autrement dit, Rousseau émet une hypothèse d’un état de nature. Et je me pose la question  de savoir qu’est-ce que ça  peut bien être l’homme naturel, indépendamment de la société.
   De fait il énonce l’hypothèse d’un état de nature pour juger de l’état présent. Je cite, (2ème discours) : « Car ce n’est pas une légère entreprise de démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme, et de bien connaître un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être point existé, qui probablement n’existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d’avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent ».

⇒  Notre société est très marquée par Rousseau, que ce soit les libéraux, Benjamin Constant, Tocqueville, tous se sont inspirés de ses théories. Et jusqu’à l’héritage pour notre Constitution ; je trouve le philosophe fascinant.
   Et je trouve également chez Rousseau, d’origine suisse, d’éducation protestante, des similitudes, ou des emprunts à Calvin dans la façon de parler de la volonté générale, la volonté majoritaire qui a toujours raison. C’est ainsi qu’est gouvernée la République de Genève. Je pense que le principe de souveraineté est largement inspiré de Calvin.

⇒  Dans son introduction à « Rousseau » (Collection Le Monde de la philosophie) Roger-Pol Droit, écrit : « ….Près de deux siècles après la Révolution française, dont la constitution républicaine a mis en pratique les idées de Rousseau, le contrat social s’est étendu à presque toute la planète ». Je veux bien, mais il reste encore pas mal à faire.

⇒  On s’est beaucoup inspiré de Rousseau pour construire la société actuelle, même si on a beaucoup élagué, même si on a aussi beaucoup emprunter à Montesquieu pour les pouvoirs, législatif, et, exécutif.
   Aujourd’hui, ça ne marche plus vraiment, quand nos députés font des propositions de lois, les ministres font, eux, des projets de loi. Il y a des héritages de Rousseau à reconquérir, comme la représentation élective ; on n’est citoyen que le jour où l’on vote. Il y a, à reconstituer une volonté générale.

⇒  Rousseau dit bien que s’il aliène sa liberté de citoyen c’est pour donner mandat, donner le pouvoir de le représenter. C’est le principe même du contrat social, qui reste le nôtre.
  Et puis quelques remarques : si Rousseau ne prône pas la Révolution que l’on va connaître, il lui arrive d’utiliser plus que le mot. Ainsi dans une lettre (publiée dans « Rousseau », collection La Pléiade) on lit : « « Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société, sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables [….] nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions » Et il ajoute en note « Je tiens pour impossible que les grandes monarchies de l’Europe aient encore longtemps à durer »
   Puis dans une autre lettre au roi Stanislas, en 1751, Rousseau écrit que si quelque grande révolution venait à renverser l’ordre existant, elle serait (je le cite) : «  presque aussi à craindre que le mal existant ».
   Et quant au contrat social, il en explique le fondement et sa nécessité pour tous ; je cite : « Les riches surtout durent sentir combien  leur était désavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faisaient seuls tous les frais, et dans lequel le risque de la vie était commun et celui des biens particuliers..» (Second Discours). Et dans le « Contrat social § 4 » il s’explique de nouveau : « Puisque aucun homme n’a autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conventions pour base de toute autorité légitime parmi les hommes »
   Et, tout autre sujet, on a évoqué son coté misogyne. Oui ! On dirait aujourd’hui que c’est un sacré macho. Parmi nombre de déclarations du même style j’en ai retenu trois : « Toute l’éducation des femmes doivent être relative aux hommes ». Ou encore « Hors d’état d’être juges elles-mêmes, elles doivent recevoir la décision des pères et des maris, comme celles de l’Eglise ». Et aussi : « L’amour a été inventé par les femmes pour permettre à ce sexe de dominer, alors qu’il était fait pour obéir ».
   Voilà qui alimenterait notre actualité !

 ⇒  Vous en connaissez beaucoup des philosophes qui ont parlé de l’indépendance de la femme ?

⇒  Le personnage me gêne, de par son ambivalence, dans ses relations, dans sa famille, avec la religion, « j’y vais, je reviens ». Comment peut-on être aussi  indécis dans ses choix, dans toute sa façon d’être, et de dire comment l’homme doit vivre.

⇒  Rousseau évoque la lente évolution de son homme naturel, par les arts premiers, planter, semer, récolter. Mais il va se trouver face à celui qui : « …ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi ».
   De là viendra la guerre. Il écrit : «  Car c’est ainsi que les plus puissants ou les plus misérables, se faisant de leur force, ou de leurs besoins une sorte de droit au bien d’autrui, équivalent selon eux, à celui de propriété. L’inégalité rompue fut suivie d’un affreux désordre ».
   Donc, ce fut la guerre ou le contrat social.

  Dans le Contrat social, Rousseau parle d’un bon gouvernement, et définit celui-ci. (C’est un peu ce qu’on cherche encore). Au chapitre 4: Des signes d’un bon Gouvernement, dans le Contrat social, il écrit : «  Quand donc on demande absolument quel est le meilleur gouvernement, on fait une question insoluble comme indéterminée ; ou si l’on veut, elle a autant de bonnes solutions qu’il y a de combinaisons possibles dans des positions absolues et relatives des peuples.
Mais si on demandait à quel signe on peut connaître qu’un peuple donné est bien ou mal gouverné, ce serait autre chose, et  la question de fait pourrait se résoudre. Cependant on ne résout point, parce que chacun veut la résoudre à sa manière. Les sujets vantent la tranquillité publique, les Citoyens la liberté des particuliers ; l’un préfère la sûreté des possessions, et  l’autre celle des personnes ; l’un veut que le meilleur Gouvernement soit le plus sévère, l’autre soutient que c’est le plus doux ; celui-ci veut qu’on punisse les crimes et celui-là veut qu’on les prévienne ;l’un trouve beau qu’on soit craint des voisins, l’autre aime mieux qu’on en soit ignoré ; l’un est content que l’argent circule, l’autre exige que le peuple ait du pain. Quant même on conviendrait sur ces points et d’autres semblables, en serait-on plus avancé ? Les qualités morales manquant de mesure précise, fut-on d’accord sur le signe comment être sur l’estimation ? Pour moi, je m’étonne toujours qu’on méconnaisse un signe aussi simple, ou qu’on ait la mauvaise foi de n’en pas convenir. Quelle est la fin de l’association politique ? C’est la conservation et la prospérité de ses membres. Et quel est le signe le plus sûr qu’ils se conservent et prospèrent ? C’est leur nombre et leur population. N’allez donc pas chercher ailleurs ce signe si disputé. Toute chose d’ailleurs égale, le Gouvernement sous lequel, sans moyens étrangers, sans naturalisations, sans colonies, les Citoyens peuplent et multiplient davantage, est infailliblement le meilleur : celui sous lequel un peuple diminue et dépérit est le pire. Calculateurs, c’est maintenant votre affaire ; comptez, mesurez, comparez »
   Si je retiens ce critère de peuple qui se multiplie pour un bon gouvernement : l’Europe est mal gouvernée, l’Afrique est mieux gouvernée.

⇒  Concernant son rapport à la religion, Rousseau est déiste (pas théiste), autrement dit, il reconnaît l’existence d’une puissance organisatrice sans lui vouer un culte. Et dans « La profession de foi du vicaire savoyard », il dit : « Voilà mon premier principe. Je crois qu’une volonté meut l’univers et anime la nature. Voilà mon premier dogme, premier article de foi » et il ajoute plus loin, mais « que d’hommes entre dieu et moi »

⇒  Deux  réflexions quant à Rousseau.
La première est que, pour exister, être connu, il aurait choisi délibérément au départ une remise en cause, d’être l’anti-Prométhée, de faire l’antithèse des idées de progrès portées par les Lumières. C’était pour lui, dénoncer l’histoire sociale que ces derniers élaborent, ce qui aurait été, alors, non un progrès, mais une décadence.  (Certains biographes relatent que ce serait Diderot qui lui aurait conseillé de prendre cette option, cette antithèse).
   Il y a une progression, une cohérence chez Rousseau. De l’homme naturel, des inégalités au contrat social à l’Emile, il se façonne, et chaque fois jusqu’aux « Confessions ». C’est en cela qu’on ne peut dissocier l’homme de l’œuvre.  
   Puis seconde réflexion : ayant enfin eut la notoriété à 40 ans avec les « Discours sur les sciences et les arts », où il prône une certaine manière de vivre, Rousseau allait devoir désormais se conformer à cette idée de l’homme, à cette théorie qu’il édicte « Nos opinions sont la règle de nos actions » écrit-il.  Ce qui fait que d’une certaine façon, son livre l’a fait, plus qu’il ne s’est fait, pour paraphraser Montaigne.
   Et au final si l’on examine l’ensemble son œuvre, (dont quatre particulièrement) il y a cohérence.  Les deux premiers ouvrages dénonçant la condition de l’homme due à la société, débouchent et sur L’Emile, et sur le contrat social. Rousseau chaque fois répond à Rousseau.
   Nombre de philosophes, dont : Kant, Hegel, Ernst Cassirer, verront de suite la cohérence dans ces quatre ouvrages
   Par ailleurs, pour  être cohérent avec le « personnage » de toute son œuvre, il refuse des postes, il refuse des rentes, il ne peut se compromettre. Rousseau semble être devenu prisonnier du personnage qu’il a créé. Il devient comme l’a nommé Kant « le nouveau Diogène ». Il dit qu’il abandonna alors, tous les signes vestimentaires de vanité : « Je quittai la dorure et les bas blancs ; je pris une perruque ronde ; je posai l’épée ; je vendis ma montre … » (Les Confessions)
   Et enfin, il a marqué son époque et au-delà, quant à l’éducation. Des personnes prendront modèle sur son œuvre (l’Emile) pour éduquer leur enfants (telle Georges Sand), et les principes de l’Emile se retrouvent aujourd’hui dans les écoles Freinet et Montessory.
   Toujours après cet ouvrage on abandonnera cette façon de langer les bébés en les enfermant comme des momies, emprisonnant les membres (ce qui permettait, dira-t-on, aux nourrices de pouvoir accrocher cette boule de chiffon à un clou).  Les bébés lui doivent beaucoup.

⇒  La Révolution s’est inspirée de Rousseau, notamment pour l’égalité. Ce qui est justement en opposition avec les anti-révolutionnaires, tel Burke, qui a critiqué cette notion d égalité.
Second point : On se serait inspiré des modèles de Rousseau et Montesquieu. Ce dernier ne voulait pas la séparations stricte des trois pouvoirs ? Mais qu’ils se contrôlent et s’équilibrent.
Ce sont les deux conceptions celle de Rousseau, plus celle de Montesquieu qui font qu’un gouvernement fonctionne.

⇒  Rousseau est quelqu’un qui prêche la tolérance et le respect de chacun tant que ça ne va pas à l’encontre de l’intérêt public. J’ai sous les yeux un extrait du Contrat social (§ VIII) : « Les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or, il importe bien à l’État que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette religion n’intéressent ni l’État ni ses membres ; qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui [….] Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ni sujet fidèle.
   Les dogmes de la religion civile doivent être simples, en petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires. L’existence de la divinité puissante, intelligente, bien présente, prévoyante et pourvoyante ; la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois, voilà les dogmes positifs. Quant au dogme négatif, je les borne à un seul ; c’est l’intolérance »

⇒  Rousseau ne dit pas que l’égalité est synonyme d’identité (au sens identique), il parle d’égalité des droits. Et, effectivement, il pense que le contrat social met en place l’égalité des droits, la liberté individuelle, et l’union ; lequel contrat repose sur l’aliénation totale de chacun à la communauté. Ce n’est pas un totalitarisme, c’est une aliénation à la volonté générale. Il faut que chacun se mette à penser, non en termes d’individu, mais en termes de volonté générale. Et pour que chacun se mette à penser comme cela, il faut qu’il ait été éduqué à faire en sorte que les individus arrivent à se déterminer en fonction de l’intérêt général, et non en fonction d’intérêts particuliers. Et bien ! ça renvoie pour lui à l’éducation, et du coup, il écrit «  L’Emile ou l’Education » pour expliquer cela. Et d’autre part, pour que cela fonctionne, il faut un gouvernement, la démocratie ; c’est-à-dire que le peuple doit être assemblé quotidiennement pour examiner toutes les décisions concrètes qui se présentent. Et cela est difficile, et Rousseau, le dit lui-même, c’est pour cela qu’il pense à des dimensions comme la Corse.
   Et Rousseau dit que pour que les individus soient éduqués en termes d’intérêt commun, il y a l’éducation, mais aussi le rôle du législateur, lequel expose les problèmes en terme d’intérêt commun.
   Rousseau dit : il y a eu des grands législateurs dans le passé ; et bien, maintenant, dans un pays petit ou grand, il faut qu’il y ait une assemblée qui réfléchisse à cette notion d’intérêt commun, et que le peuple, par un référendum dise : oui ! On est d’accord ! Non ! On n’est pas d’accord !

⇒  Quand Rousseau parle des inégalités, il précise qu’il existe des inégalités de la nature contre lesquelles on ne peut lutter totalement, et puis les inégalités qu’il évoque surtout sont les inégalités créées par la société. Il ne parle jamais de possible égalité totale.
   Et, quant à son modèle de démocratie, il concerne un peuple défini ; en fait le modèle, pour lui qui se présente souvent comme « citoyen de Genève » c’est justement la République de Genève, une ville qui à l’époque n’a guère plus d’habitant que notre ville de Chevilly-Larue (on parle de 27000 habitants).

⇒  On peut être un peu surpris des paradoxes et de l’ambiguïté de la personne de Rousseau, c’est lui-même qui souvent l’exprime, voire lui-même qui s’expose quand il écrit, dans une lettre à  une de ses amies, Madame de Verdelin: « Je suis à la fois efféminé et indomptable, j’ai un cœur de romain, et un cœur presque de jeune fille, de jeune vierge… », et, s’étant fait peindre pour une couverture d’un des ses ouvrage en turque (au féminin) enrubannée, il évoque cela, « Me voici à présent plus de la moitié femme, et je vous demande de m’accepter dans votre sexe, puisque les hommes m’ont exclu du leur ».
Toujours dans ce même ordre d’idée, on sait qu’il montra son derrière à des jeunes filles. Y avait-il en lui un exhibitionniste ?
Et il est encore plus ambigu, concernant son goût pour les « fameuses » fessées. Mademoiselle Lambercier écrit-il : « allait quelques fois jusqu’à nous infliger la punition des enfants.., et ce qu’il y a de bizarre c’est que ce châtiment m’affectionna davantage encore à celle qui me l’avait imposé. J’avais trouvé dans la douleur, de la honte, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte… » 
Rousseau surprend : de la profondeur de vue, de celui qui peint l’homme en regardant son nombril, à celui qui marquera désormais le contrat politique dans tant de démocraties, et à celui qu’on évoque peut-être moins : le romancier, celui qu’on nommera souvent « le père du romantisme ». Un romantisme avec des descriptions qui vous font vivre les scènes, avec des figures de style comme une mise en scène de l’action ; il reste dans ce domaine l’objet d’une étude approfondie.
  Et enfin, au terme de ce débat : après avoir étudié et débattu l’an passé, de l’œuvre de Voltaire, puis cette année celle de Rousseau, l’an prochain, nous aborderons Diderot et son œuvre.  Trois des grands philosophes (en France) de cette période des Lumières.
    Voltaire a animé son siècle
    Diderot a éduqué son siècle
Rousseau a fait réfléchir son siècle.
 

(Principales) 0euvres de Rousseau

Discours sur les sciences et les arts
Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes.
Du contrat social
Emile, ou De l’éducation.
Julie ou la nouvelle Héloïse
Les Confessions.
Les rêveries du promeneur solitaire
La profession de foi du vicaire savoyard.
Lettres écrites de la montagne

Bibliographie

La vie économique et les classes sociales en France au XVIIIème siècle. Henri Sée. BNF.
La transparence et l’obstacle. Jean Starobinski. Gallimard. 1976
L’idée du contrat social. Jean-Pierre Cléro et Thierry Ménissier. Ellipses. 2004
Rousseau. Biographie. Raymond Trousson. Folio. Gallimard. 2011.
Rousseau, une politique de la vérité. Géraldine Lepan. Belin. 2015.
Robespierre, textes choisis. Editions sociales par Gérard  Walter.
Lettre à Malesherbes. Rousseau. 1762.
Rousseau. Œuvres Complètes. 5 vol. B. Gagnebin et M. Raymond. Pléiade1999/2004.
Histoire de la philosophie. Émile Bréhier. PUF. 1968
La théorie de la société bien ordonnée chez Rousseau. De Gruyter. 1988
Jean-Jacques Rousseau et la philosophie politique de son temps. Robert Derathé. Vrin 1994.
La politesse des Lumières ; Philippe raynaud. Gallimard. 2013
La philosophie des Lumières. Ernst Cassirer. Flammarion. 2016
Rousseau. Collection, le Monde de la philosophie.
Les confessions/ Première bac/Lectures méthodiques. Hatier 1997

Pourquoi nous faut-il des héros?

Francois1er à Marignan. Chateau royale de Bloisj.François 1er à la bataille de Marignan.
Attribué à Noël Bellemare. 1530. Iconographie BNF

                   Restitution du débat du  28 février 2018 à Chevilly-Larue

Animateur : Guy Pannetier.
Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Lionel Graffin.

Introduction : Interviewé  par un journal Claude Imbert chef de cuisine d’un restaurant parisien, déclarait ceci, au sujet des champions des jeux olympiques actuels: «  On doit célébrer nos champions, comme peuvent le faire certains pays ou chaque champion est considéré comme un héros national. Il démontre que quand on se bat, on peut arriver à réaliser ses rêves ». Cette image, référence absolue peut hanter les esprits. L’article prolongeait : «  Il n’est pas demander à nos champions de mourir pour une cause juste, si ce n’est d’arriver premier »
Et les héros ne sont pas des surhommes. Le héros accepte de mourir pour une cause, une religion, son peuple, etc. le surhomme abuse de son pouvoir, et il ne veut pas forcément mourir pour un peuple.
Et il existe aussi, des héros dans les ouvrages littéraires. Elevé dans une ferme, je me suis éveillé par la lecture, d’abord par les bandes dessinées. Mes héros étaient du genre Tarzan,  ou chef indien. Ce qui me constituait par exemple c’est quand ce chef indien qui veillait à la prospérité de sa tribu finissait par être contraint d’entrer en guerre.
Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, enfant accueilli pendant la seconde guerre mondiale, lui aussi dit qu’il s’est construit ses héros, qui s’appelaient, ou, Rémy, héros de « Sans famille » d’Hector Malo, (lui aussi enfant recueilli), ou, Tarzan, autre enfant recueilli, lui par la Jungle et les animaux de la jungle. Et il citera aussi, Oliver Twist…  Ce sont tous des héros  positifs qui aident, à travers l’imaginaire, la rêverie, un enfant à se construire. Et dans son livre, «Ivres paradis, bonheurs héroïques »,   Cyrulnik écrit : « Pas d’existence sans épreuve, pas d’affection sans abandon, pas de lien sans la déchirure, pas de société sans la solitude. La vie est un champ de bataille où naissent les héros qui meurent pour que l’on vive. Mes héros vivent dans un monde de récits merveilleux et terrifiants. Ils sont fait du même sang que le mien, nous traversons les mêmes épreuves…Leur épopée me raconte qu’il est possible de s’élever au-dessus de la fadeur des jours et malheur de vivre.., nos héros nous montrent le chemin »
   Mais nous n’avons pas tous les mêmes héros. Par exemple Rockefeler et le mythe de sa réussite, ou aujourd’hui, Steve Jobs, enfant abandonné, héros moderne. Les deux alimentent le rêve américain qui est dans l’esprit des migrants.

  Débat  Débat :   ⇒  Il y a un héros que je voudrais ne pas oublier de citer, c’est ce héros, je devrais cette héroïne de tant personnes, « leur mère » ; « Ma mère, ce héros ! » (Pour paraphraser Victor Hugo). En France le mot héros est connoté, mâle, homme, et si l’on le met au féminin, il devient héroïne ; alors on pense à un personnage de roman, ou de film.  « Il n’y a en vérité, aucune  différence d’espèce entre l’héroïsme du soldat qui combat et celui de la mère de famille pauvre qui est fidèle à sa tâche et l’accomplit toute entière…. »   (Daniel Rops. Ce qui meurt)  

⇒  Les héros nous font la démonstration qu’il est possible en certains cas d’accomplir des choses d’exception. Sans leurs exemples, nous ne saurions peut-être pas que ce soit possible.
Dans ce domaine de l’héroïsme, il y a différents degrés. En effet pour être un héros, il faut différentes qualités, comme savoir dominer sa peur et ne pas se laisser dominer par elle.
L’héroïsme nécessite, le sens moral, le courage, la ténacité, le sens du devoir, utile pour soi comme pour les autres. Exemple : l’homme (ou la femme) qui affronte les souffrances d’une maladie, qui accepte le devoir vivre, pour lui comme pour les siens,  celui qui brave cette situation est une sorte de héros.
Pendant la seconde guerre mondiales des héros (également, hommes et femmes) on résisté sous la torture, résisté pour ne pas dénoncer. On est dans un sens d’héroïsme au service du collectif, au service d’un pays.
Et je pense à de grands héros (même plus discrets) tel le couple Curie, qui ont donné une partie de leur vie pour œuvrer dans les moyens pour soigner, pour guérir.
J’ai besoin de savoir que les héros qui ouvert des chemins que  je n’aurais jamais pu emprunter, et prendre pour exemple, qui, par leur  intelligence, leur créativité, leur volonté ont permis que les choses bougent pour aller vers une amélioration des choses. Je trouve que ces personnes (ces héros) méritent qu’on les prenne en exemple.

⇒ Pour moi, un acte héroïque  n’est pas forcément réfléchi, ça peut être impulsif, comme pour sauver quelqu’ un de la noyade. Et pourquoi il nous faut absolument un héros ? Peut-être parce qu’on a besoin d’idéal. Je comprends qu’on ait besoin d’idéal, surtout quand on est jeune. Maintenant, on a évoqué le courage des malades, je ne pense pas que renoncer à la vie soit un acte de bravoure, l’euthanasie n’est pas un acte héroïque, mais certaines personnes dans ce domaine ont fait avancer  les choses.

⇒  Oui, pour prolonger ce dernier propos je pense qu’héroïsme et courage ne sont pas inséparable. C’est vrai que s’il faut sauver quelqu’un de la noyade, si l’on réfléchi on n’y va pas.
Et je me pose cette autre question : Est-ce que les héros sont toujours des êtres exceptionnels ?

⇒ L’étymologie nous dit que le héros est issu du grec « hêrôs », maître, chef, puis demi dieu. Cette notion de demi dieu est principalement une conception de la mythologie grecque. Hercule, Achille, Ajax, Hector, Ulysse,  et tant d’autres sont héros et demi dieux alors pour les grecs. C’est à cette époque une personne essentiellement mythique.
De nos jours on trouve dans la signification du mot héros quatre aspects.
1° Le personnage mythique, légendaire.
2° Le personnage qui se distingue par son courage
3° Le personnage ayant accompli quelque chose d’extraordinaire, des exploits.
4° Le personnage de roman, lequel le plus souvent n’a rien de commun avec les précédents.
 Dans toutes les cultures nous rencontrons des héros légendaires, ces personnages créés par les hommes pour valoriser le courage, pour offrir des modèles de bravoure qui feront parfois avancer des hommes ; des hommes qu’ont sait parfois qu’on va faire tuer. Peu de héros sont sortis entiers de la boucherie de la grande guerre.  Dans un film de Yves Ciampi 1954, « Les héros sont fatigués », bien après la dernière guerre deux hommes un français et un allemand, découvrent qu’ils ont été des héros chacun dans leur camp. Le héros n’est pas toujours universel.
Les héros peuplent notre récit national, ils sont souvent héros de champs de bataille, modèle de bravoure. Mais nos héros ne sont pas que des sabreurs. Nous avons élevé au rang de héros, des hommes, des femmes qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes à l’humanité, et si nous visitons nos héros nationaux au Panthéon, nous n’avons sur 81 héros, hommes et femmes. On n’y trouve  que huit militaires. Et à côté de cela huit scientifiques, et six  hommes de lettres.
Et je verrais aussi comme héros, des, Nelson Mandela, ou Gandhi, des héros qui n’ont pas de sang sur les mains. Rappelons-nous qu’en 1938 Hitler était un héros pour certaines personnes.
Donc la notion de héros reste entachée de subjectivité.

⇒ Pourquoi nous avons besoin de héros ? C’est parce que l’humanité a besoin de croire que l’impossible est possible. Pour que l’on croie cet impossible, possible, les Grecs avaient inventé cet intermédiaire entre les dieux et les hommes, qu’ils appelaient héros. Mais petit à petit ça a changé. Quand on n’a plus cru aux mythes, on a essayé de trouver des héros dans la vie de tous les jours ; et quand on n’en avait pas, on en inventait. C’est-à-dire qu’on va jusqu’au mensonge pour trouver des héros. Le général Custer est un héros aux Etats-Unis, sa « légende » elle n’est basée que sur des mensonges. Mensonges sur ce qu’il fait pendant la guerre de sécession ; il est mort à la bataille de « Little Big Horn » où ses troupe furent battues à plat de couture. Et nous avons inventé des mythes absolument indémontables autour de Jeanne d’Arc, dont on a fait pendant longtemps une héroïne nationale.
Et on a fait un héros de Steeve Jobs, avec une histoire de garage, un mythe de plus.
Et oui, lors de la seconde guerre mondiale, certains ont considéré Hitler comme un héros. Mais si on avait perdu la guerre contre l’Allemagne d’alors,  je sais pas si on aurait considéré Churchill comme un héros, ni si de Gaulle aurait été considéré comme un héros en France. On a posé ces exemples à posteriori parce qu’on a besoin de mythes.
Pendant un moment on s’est servi du sport, pour nous dire que les sportifs sont des héros. Mais on y croit de moins en moins maintenant, car si un sportif gagne trop souvent, on se dit « est-ce qu’il est dopé ? »
Alors on croit de moins en moins aux héros.

⇒  Avec le temps, l’Histoire, nous éclaire et démystifie les héros : ainsi Roland qui avec les troupes de Charlemagne ayant  combattu les sarrasins est mort de façon héroïque, a, en fait,  été tué par des basques dont ces troupes venaient de mettre leurs villes à sac.

⇒  Je pense que les héros et les mythes qui en découlent, constituent un ciment, et sans ce ciment, la société n’existe pas. Ces mythes, sont une nécessaire assise de civilisation, et on ne s’en débarrasseras jamais.

⇒  Je me suis posé cette question : un héros est-il forcément l’auteur d’un acte héroïque ? Parmi les personnages historiques, il y a, Marie Stuart, un personnage qui me passionne. Cela me dit que le héros peut être individuel, ou collectif. Lorsqu’on parle du général de Gaulle, c’est un héros collectif, mais de manière individuelle, c’est pas sûr, que la réponse soit la même. Je pense que le héros est un personnage propre à chacun. On a nos héros qui nous aident à avancer.

⇒  Il y a des héros qui ont été félicités, décorés, il y a peu de temps. Ce sont ces hommes qui ont osé désarmer un terroriste sur le train le Thalys, (28 août 2015). On en a fait un film, (Le 15 h 17 pour Paris)

⇒  Il y a peu de temps, notre actuel Président de la République, a voulu faire un « héros » d’une idole de la chanson. Là, aussi, on se dit que cela peut être pour fédérer le peuple (Cérémonie en l’honneur de Johnny Hallyday, 11 décembre 2017)

⇒  La dernière fois qu’on a honoré un héros avec une telle ampleur à Paris, c’était pour l’enterrement de Victor Hugo (22 mai 1885). Qu’on en fasse de même pour un « personnage people, », pour qui notre Président de la République a fait,  à «La Madeleine » une oraison funèbre, de plus, à un exilé fiscal ça fait drôle ! et surtout ça relativise, voire, ça dévalorise la notion de héros. (Ce qui n’empêche pas, de reconnaître, de respecter, la réaction affective des gens)

⇒  La figure qui m’a porté pensant très longtemps, qui était au-dessus de mon bureau, c’est celle d’Einstein. Je pense qu’il se crée un lien avec nos héros. A 26 ans Einstein publie cinq articles dont chacun méritait le prix Nobel. Je pense que les héros créent un rapport particulier  à la liberté, ce sont des gens qui vont jusqu’au bout, et c’est en cela qu’ils sont des individus libres.

⇒  Je ne vois le côté collectif quand on parle de héros. Celui-là prendra la forme d’Einstein, de,  de Gaulle, ou plus anonymes, de  ceux de la Résistance. Ce qui me fait peur, c’est que le héros puisse cacher une partie de l’homme. Les Révolutions ne se réfèrent pas à un nom, c’est un peuple qui se soulève. Je ne veux pas tirer un trait sur les héros, mais pour Einstein, par exemple, il y avait un monde scientifique autour de lui, il a été un moteur.

⇒  Les héros dans l’Histoire sont souvent du côté des vainqueurs. On peut se poser la question, combien de héros qui ne sont pas passé à la postérité , « passés à la trappe », car ils étaient du côté des perdants.

⇒ Pour répondre à la question initiale, nous avons besoin de héros pour accepter la condition humaine, pour l’accepter avec ses petites lâchetés. .

⇒  Quand on parle d’être exceptionnels, (comme Einstein) on ne parle pas de héros. Les grands scientifiques ne sont pas des héros. Par exemple, Plank, (un des pères de la théorie quantique) a été un collaborateur du nazisme. Et au Panthéon, il n’y a pas que des héros, il y a des « bienfaiteurs de la nation », c’est une reconnaissance officielle de la Nation.
Le héros il y a en a de moins en moins, c’est pourquoi il faut en trouver. On a cité, l’effervescence au tour de Johnny Hallyday. On voit bien que derrière il y avait un but ; le désir d’un gouvernement qui essaie de se rapprocher du peuple.
Les héros nous sont imposés, héros fabriqués, bâtis parfois sur des mensonges. Le héros cache l’homme, et pendant ce temps le réel se trouve caché. Fermez les yeux sur votre réalité, nous vous fabriquons une réalité à base de héros. Il y a une tendance aujourd’hui a nous montré d’autres type de héros, tel Steeve Jobs (Créateur d’Apple)

⇒  Dans son livre :  » Ivres paradis, bonheurs héroïques »  Boris yrulnik cite la chanson   Nibelungen » : « Neuf mille écuyers gisaient à terre frappés à mort, et au centre douze chevaliers, compagnons de Dancwart.  On le voyait seul au milieu des ennemis ». Depuis l’enfance je reste pantois devant ces tableaux de batailles montrant ces héros.  Et dans un autre ouvrage, « Le mythe de la virilité » Olivia Gazalé, évoque : Olivier, « Olivier, compagnon de Roland, qui horriblement blessé, empoigne ses entrailles, les remet dans son ventre .., puis arrache le gonfalon, s’en fait un bandage, se redresse sur son destrier et se lance encore contre les païens qu’il refoule jusqu’à la mer ». On y retrouve le côté spectaculaire, théâtral de la prouesse.
Jusqu’au 19ème siècle on disait que seul l’homme avait de pouvoir démiurgique du héros.., en dehors de Jeanne d’Arc ce héros : «  regardez ! voilà quelqu’un qui est une femme, qui se bat comme un homme, mieux que les  hommes … » Ce mythe de Jeanne d’Arc aurait peut-être été créé pour créer une réaction chez les hommes pour « bouter » les Anglais.
Et je reviens sur nos héros au Panthéon. Lors de l’entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle-Anthonioz de Gaulle et de Geneviève Tillion, François Hollande dit dans son discours : «  Admirables sans être admirées, reconnues sans avoir cherché à l’âtre, ces deux femmes incarnent l’esprit de la Résistance » Il fait  un éloge, une présentation qui ne correspond pas tout à fait à la définitions que nous faisons habituellement des héros. Nous avons là des héros humanistes, plus près de nous… 

⇒  Celui qui comme Mandela a subi la prison, qui à, au risque de sa vie, résisté au pouvoir en place, à fait un acte héroïque, De même Gandhi, qui risquait sa vie, lequel par un « Résistance passive » a libéré son peuple du joug de Anglais, et ceci sans avoir fait versé une goutte de sang, voilà des ces héros qui forcent l’admiration, pas des héros qui ont laissé des vallées de larmes derrière eux. .

⇒  On a les héros qu’on s’est choisi, et parmi ceux qui nous étaient offert. Les héros peuvent être instrumentalisés ; ils peuvent être mis au service de la religion (par exemple), laquelle religion aura, ses héros que sont les prophètes, le Christ, les Saints, les martyrs. Et toutes les religions offrent leur panoplie de héros. La politique n’est pas en retard pour offrir des héros ; ce sera par exemple, les figures hiératiques de Simon Bolivar, ou le Che Guevara, ou tout autre. 

⇒ On a évoqué les héros des tableaux au-dessus de la bataille, surélevés sur leurs montures. Le héros est toujours au-dessus du commun des mortels. Les statues les élèvent. Ils nous en reste l’expression quand on va héroïser quelqu’un, on va le : « mettre  sur un piédestal ».
Et il y a un film passé ces derniers jours sur ARTE (26/02/2018) : «  Georges Elser », et ce personnage, cet allemand qui a fabriqué la bombe pour un attentat contre Hitler, est torturé par la Gestapo, on lui demande de se renier : ce  à quoi il répond : « Si je me renie, le mot liberté ne veux plus rien dire ». Je crois que le héros est comme dans ce cas, celui qui, au prix de sa vie,  sublime nos valeurs. 

⇒  Alors oui, comme on l’a dit chacun choisi, même de façon très arbitraire ses héros. Le dernier choix entendu, c’est celui d’un ex Président du Front National, (je ne cite pas de nom) lequel dans ses mémoires écrit : « Charles de Gaulle  reste pour moi une horrible source de souffrance pour la France« . Il y raconte également la première fois où il l’aperçut, en 1945 dans le Morbihan: « Je serrai » dit-il « cette main indifférente. Il me parut laid et dit quelques banalités à la tribune tendue de tricolore. Il n’avait pas une tête de héros. Un héros doit être beau. Beau comme Saint Michel ou le maréchal Pétain », et il ajoute que pour lui ce fut,  » un faux grand homme dont le destin fut d’aider la France à devenir petite« .

⇒  J’ai grandi, mais je garde les héros de mon enfance, je ne les pas abandonnés, même si d’autres sont venus. Un héros peut être constant, tout au long de ses conquêtes Alexandre le Grand gardera comme héros, Achille.

⇒ Le héros peut être un outil de propagande.

⇒  Pour nombre de personne dans ce monde, Ben Laden, est un héros ; le héros de « la lutte anti impérialiste ». Ceux qui font des attentats, les terroristes, les kamikazes, sont pour certains, des héros.

⇒  Ce monde n’est pas très très joli, il nous faut bien des héros pour y croire un peu.

⇒  Un village a été élevé au rang de héros, au rang, suivant l’expression de « juste » ; c’est le village de le Chambon sur Lignon. Héroïsé pour avoir sauvé des juifs pendant l’occupation lors de la guerre 39/45 ; un héroïsme collectif.

⇒  On fait souvent des parallèles entre héroïsme et personnalité. Il y a encore peu, lorsque vous alliez dans un pays étranger, et que vous disiez je suis français. La réaction était parfois, « Ah oui ! la France : le général de Gaulle, Yves Montant » 
Aujourd’hui avec la communication accélérée, via les réseaux sociaux, les héros affluent et passent. Quelque soient leur valeurs ils passent vite aux oubliettes de l’Histoire. 

⇒ Les héros sont porteur de symboles, références de nos valeurs, ils aident à nous structurer, nous ne les jetons pas aux oubliettes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La tyrannie du désir

 

Collier Evert. Vanité. 1662. Riskmuséum. Amsterdam

Collier Evert. Vanité. 1662. Riskmuséum. Amsterdam

Restitution du débat du  24 Janvier 2018 à Chevilly-Larue

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.
Introduction : André Sergent
Modérateur: Hervé Donjon

Introduction : Jadis, le travail bien fait, allait de soi. Il était la condition de la survie, et l’effort demandé à sa réalisation passait en second plan. La qualité du résultat suffisait à satisfaire celui qui en était l’auteur.
De nos jours, l’effort obligatoire ou nécessaire déclenche une réaction inattendue ; à savoir : « Pourquoi tu te fais suer  comme ça ? ». Tout se passe comme si l’effort nécessaire à la réalisation d’une tâche, relevait d’une souffrance inacceptable, d’un viol, inutile et opposable par ailleurs à « l’ impression de bien être ».
Les choses se séparent : en « simples, agréables et rentables », et d’autre part, en, « compliquées, désagréables et insuffisamment rentables ».
Le résultat du travail, à savoir : la tâche bien faite, la belle ouvrage, apparaît comme un plaisir lointain, moyennant l’amputation d’un bras.
Le travail s’oppose aussi au plaisir immédiat facile d’accès. Pourtant la planète n’a pas été conçue pour  satisfaire sur un plateau tous les besoins du monde vivant. La nature se contrefiche de nos petites envies, et La Fontaine n’est pas loin avec sur la fable de « La cigale et la fourmi ». Par ailleurs, le matraquage «  mediatico-idéologique »  de la société de consommation venue des USA, la soi-disante facilité informatique, forgent de nouveaux ressorts sociaux, et un nouveau rapport au travail : « Lâchez-vous ! » « Faites-vous plaisir ! ».  Profitez, car « vous le valez bien », ce qui participe d’une offensive psycho-politique diabolique.
Et si n’obéis pas, tu perds ton emploi, et tu n’achèteras point. Pour le coup tu ne seras pas quelqu’un de bien. En clair, « ferme-là » si tu veux être dans la caprice « à volonté », sept jours sur sept.
En conséquence la souffrance réelle au travail, imposée par le management américano-japonais, et Sud Coréen, et le chantage à la consommation, rend au mot « travail » son sens ancien. Lequel au Moyen-Âge, désignait un instrument de torture, et le travail lui-même s’appelait « labeur ».
La course au plaisir, soutenue par des approches discutables de la psychanalyse, la fuite du travail bien, fait, donc de l’effort, qui au passage casse le rapport au travail, renvoie à la philosophie du profit facile, maximum, et immédiat.
La société des hommes se voit renvoyée aux premiers âges, époque où, « la dictature du principe de plaisir » opposables aux contraintes du réel, c’est à dire de l’autre, et le respect affairant. L’adulte est renvoyé au bébé qui pleure au moindre désagrément.
La « nature » aujourd’hui est immature, il refuse de ne plus être nourri, logé, blanchi gratis sous le ventre de maman. La propagande autour de la cuisine de la mal bouffe participe de l’offensive. Le plaisir premier, buccal et archaïque devient le plaisir archétype du bien. Je veux mon smartphone dès 10 ans, sinon je tape du pied : -Non mon garçon, j’ai pas d’argent pour ton smartphone ; tu travailleras en souffrance
– C’est pas juste !
– Eh bien oui !
Voilà le produit moderne du système capitaliste, à savoir : un foule de voraces, manipulée par une poignée de prédateurs.
Alors quoi du plaisir, à l’effort ?
Doit-on laisser agir le manipulateur de nous-mêmes, que nous sommes?
Doit-on laisser faire : l’instinct, le compulsif, le puéril, l’animal ?
Doit-on intégrer l’agent réalité, ô combien frustrant ?
Doit-on, nous laisser infantiliser ?
A vous de le dire…..

Débat

 

 Débat :  ⇒  Nous sommes de êtres de désirs avant d’être des êtres de liberté. Notre société est à bien des sens du terme, une société d’offre, plus qu’une société de la demande. Nos désirs sont l’objet d’études. En transformant des produits, objets en désir, on en fait des raisons du désir. Nos désirs sont des paramètres économiques, facteur du taux de consommation, facteur de croissance. C’est parce qu’on nous révèle ce que nous ne savions pas avoir besoin, en avoir le désir, que nous sommes ces utiles consommateurs « panurgés », qui vont dépenser, voire s’endetter, jusqu’à être surendetté, et parfois au-delà de seules besoins nécessaires.
Nous naissons dans une société qui s’est structurée économiquement et socialement au cours des siècles. Nous sommes éduqués suivant ces critères. Arrivés à l’âge adulte, nous sommes face aux choix, mais avons-nous réellement le choix. Il nous faut rentrer dans le moule, ou alors être exclu du monde; pas facile, pas évident, ou alors c’est  la marginalisation, nos volontés sont sur des rails.
Tout l’aspect tient dans cette idée induite, que réaliser ses désirs, c’est se réaliser, d’où il s’en suit, une valorisation de soi, « parce que je vaut bien », c’est la colonisation marchande des esprits, je consomme, donc je suis.
Que deviendrait notre société occidentale, si tout à coup, nous nous mettions à avoir des désirs se limitant aux seuls besoins naturels ?
Je crois que nous avons hérité, ce jouir sans entrave, qu’évoque l’introduction, de certains errements de Mai 1968, cet orgasme social, où il était tout à coup, « interdit d’interdire », slogan que certains n’ont jamais compris au deuxième degré.
C’est aussi dans le même ordre d’idée, l’héritage Dolto ; à partir de là, je n’ai rien à m’interdire ; tout m’est du, ou alors la société est responsable de mon insatisfaction, responsable de ma privation, de la frustration de mes désirs, car mon désir devient mon droit. En fait, nous sommes parfois en face de pulsions, nous pouvons imaginer que céder à nos désirs est un acte de liberté, alors que nous ne sommes plus libres.
Céder ou ne pas céder à ses désirs, nous ramène à la philosophie épicurienne qui nous rappelle que l’accès au bonheur dépend de notre capacité à choisir entre les désirs naturels, objectifs, et les désirs vains, subjectifs
Les religions nous ont souvent dit que c’était le diable qui se cachait derrière les tentations parfois relevant de l’inaccessible, voire d’interdits ; « « Mes désirs » dit Sartre dans Huis clos «  m’infectent l’âme, ils sont un obstacle au bonheur ; comment choisir entre le diable et le bon dieu ».
La tempérance, la sobriété seront reprises par des religions, et plus particulièrement par ceux qu’on appellera les réformistes, dont les protestants.
Cela va, pour ceux qui prennent tout au pied de la lettre, jusqu’à refuser systématiquement tout ce qui découle du désir. Je pense aux personnages protestants intégristes du film « le festin de Babette », où les personnages s’interdisent de parler des plats succulents qu’ils mangent ; c’est une autre forme de tyrannie qu’on s’impose à soi-même, et à ses proches. Et d’autres religions ont aussi inversé cette notion de tyrannie quant aux désirs.
Entre la rigueur sous la forme de l’intégrisme et la satisfaction sans freins de tous nos désirs, la voie raisonnable est à notre portée.
Et je conclus ce propos : si le tyran pour nos désirs, comme cela a été dit, c’est souvent nous-même, et en tant qu’épicurien, (au sens philosophique du terme,) savoir modérer mes désirs, m’aide à une vie heureuse.

⇒  Il y a un paradoxe dans cette expression car mes désirs sont les miens, ceux dont je suis le maître, qui donc ne me tyrannisent pas. Cette question implique de chercher d’une part s’il y a plusieurs sortes de désirs, d’autre part quelle est la relation que le Moi,  entretient avec ses désirs. Je m’appuierai sur deux analyses: celle d’Epicure, celle de Freud
1° Avec Epicure, l’individu peut connaître le bonheur (l’ataraxie ; l’absence de trouble) s’il sait distinguer ses désirs les uns des autres et ne satisfaire que les uns et refuser les autres. Il y a les désirs naturels et nécessaires (manger, boire, dormir et réfléchir –philosopher). Ils doivent être satisfaits (par tous les êtres humains) pour vivre. Il y a les désirs naturels et non nécessaires (gourmandise, désir sexuel). Ils doivent être satisfaits modérément. Il y a les désirs artificiels (de pouvoir, de luxe). Ils ne doivent pas être poursuivis car ils n’entraînent qu’insatisfaction, qu’inquiétude : ils sont infinis, jamais finis, recherche de toujours plus et donc source sde stress. Epicure nous invite donc à analyser nos désirs, à comprendre lesquels sont artificiels (induits par le milieu dans lequel nous vivons ? par le type de société qui nous contraint à désirer toujours plus d’avoir ou/ de reconnaissance).
Réflexions proches des recherches actuelles sur l’idéal de la décroissance.
2° avec Freud : toute société, quelle qu’elle soit, inculque à l’individu de refouler ses désirs. «  Le moi n’est pas maître dans sa maison » ; le moi est fonction du ça, et du surmoi. Ainsi, le bonheur n’est pas au programme de la civilisation, car pour vivre en société l’individu apprend à sublimer l’Eros et à refouler le Thanatos
Les humains sont tous déterminés par des désirs, mais être déterminé, n’est pas être esclave, et la réflexion permet à chacun que ces derniers ne le tyrannisent pas. N’est ce pas ce que les juges disent aux avocats qui plaident « les circonstances atténuantes » ? Tout être humain est doté de capacité à réfléchir
«  L’intelligence est la chose du monde la mieux partagée »  écrivait Descartes, « mais il faut savoir en faire l’usage » : aux éducateurs d’enseigner à réfléchir. Mais comment légiférer sur les désirs ? Peut-on distinguer ceux qui peuvent être autorisés et ceux qui ne le peuvent pas ? C’est encore JJ Rousseau qui m’a fait comprendre que les désirs ne sont pas des droits. Pour qu’une société vive en paix, pour qu’il n’y ait pas la guerre de chacun contre chacun, il faut qu’il y ait un contrat social «  où chacun aliène tous ses droits à la communauté ». C’est la condition pour que chacun soit libre et que tous soient égaux.
Prenons deux exemples d’aujourd’hui  en France :
1° Le débat au Comité Consultatif National d’Éthique sur la PMA, et le débat parlementaire sur la loi contre le harcèlement sexuel.
Fin juin 2017 le CCNE s’était prononcé pour l’ouverture de la PMA aux couples de femmes, et aux femmes seules, et pas seulement aux femmes infertiles de couples hétérosexuels. Le débat avait divisé les médecins, les représentants des Églises, les chercheurs spécialistes en gynécologie et en procréation artificielle. Alors s’est écrié «  le désir d’enfant n’est pas un droit » ! Et en effet le désir d’enfant n’est pas un intérêt  commun, c’est un intérêt (un désir) particulier à certaines femmes; et il est contradictoire de vouloir autoriser la PMA à toutes les femmes et de dire en même temps que la GPA  est interdite. Car il y a égalité de droits des femmes et des hommes. Et pourquoi les hommes n’auraient ils pas le désir d’enfant ? Aujourd’hui, la révision de la loi de bioéthique est prévue au premier semestre 2019. Et des associations féministes et LGBT estiment qu’il s’agit d’une question de discrimination et non de bioéthique. Elles discutent en termes de désir  particulier et non en termes de droit valable pour tous. Quand Simone Veil a légiféré sur le droit à l’avortement c’était en raison de l’intérêt général: la liberté pour les femmes comme pour les hommes de « disposer de leur corps ».
2° Le débat parlementaire sur le harcèlement sexuel des hommes à l’encontre des femmes, prend en considération les revendications  liées au mouvement féministe, et cela relève d’une volonté démocratique de garantir l’intérêt commun, la res publica (la chose commune), ici l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Il y a, en effet non seulement l’égalité des droits au travail, l’égalité des salaires : le « à travail égal, salaire égal », l’égalité du droit de vote, mais aussi l’éga-liberté (Régis Debray) de  satisfaire ses désirs.
Mais le débat dans les média, sur les réseaux sociaux, est un débat qui oppose des désirs individuels («  ma liberté d’être importunée » face à « ta liberté de dénoncer », de « balancer ton porc »). Comment le législateur garantira-t-il le droit commun à l’égale liberté des hommes et des femmes ?
Rousseau écrivait que le peuple doit être éduqué pour qu’existe une démocratie républicaine ! Qui peut l’éduquer à refuser la tyrannie des désirs particuliers ?

⇒  Je ne pense pas, comme il a été dit, qu’on puisse avoir du bonheur en refusant de céder à ses désirs. Et l’acte de limiter ses désirs fait qu’on n’est pas totalement heureux.
Ensuite, je fais la distinction entre droit naturel et désir. Je pense que boire, manger, soient des désirs, c’est des droits naturels que découlent les désirs.
On est partis de l’état de nature avec des droits naturels : propriété, liberté, égalité, ce qui nous a donné comme le dit Rousseau, la possibilité de former société…et des droits naturels puis aux désirs, la société a évolué, avec les lois qui ont pu limiter les désirs. Je pense que le texte le plus symbolique sur la limitation des désirs, c’est la Constitution.
Quant à L’IVG, si cet acte est défini comme droit à ne pas avoir d’enfant en recourant à la médecine,  je pense que la logique est aussi : un droit à avoir un enfant, mais pourquoi alors parler d’un désir.
Quand on parle de ne pas vouloir un enfant c’est un droit. Et quand on parle de vouloir un enfant c’est un désir. Et revenant sur Rousseau, lorsqu’ils nous dit que la loi doit être au-dessus des désirs, la méthode n’a pas fonctionné, on en a eu un exemple avec Robespierre, ça n’a pas vraiment marché.

 ⇒ On parle de désirs, de droits, et de lois. C’est la loi qui fait le droit. Chaque fois qu’on fait le droit, il s’oppose toujours à l’intérêt de chacun. Et c’est encore plus difficile à traiter de cela quand il s’agit de désirs individuels. Dans ces débats d’éthique actuels, il ne faut pas que le désir d’une petite minorité, loi dictée par quelques uns sur les réseaux, matraquée,  devienne la loi réelle.
Il suffit  d’idées lancées sur Internet pour que tout le monde aille dans ce sens, et la volonté de quelques uns deviendrait le désir de tous. C’est devenu, aujourd’hui, comme avec « le harcèlement » insupportable !
Il y a aussi des désirs personnels sur un plan tout à fait ordinaire, sans retentissement sociétal, et qui sont tout de même tyranniques. Je pense, par exemple,  aux personnes accrocs aux sites de sexe sur Internet. C’est une addiction. Mais il y aussi des addictions au chocolat, à la nourriture, et des obsessions qui peuvent  rendre des personnes associables.
Et il y a la tyrannie des désirs crées, éveillés par la publicité. Il y en a un certain nombre qui sont comme du harcèlement mental ; on multiplie nos désirs, « en veux-tu, en voilà », on vous fais la publicité d’une voiture avec une belle fille déshabillée à côté. On utilise plus le désir que des arguments technique, c’est du viol psychologique.

⇒  Dans l’annonce sur ce débat, sur le journal en ligne « 94 citoyens » il est écrit ce texte : «  Tout vouloir précède d’un besoin, c’est-à-dire une souffrance », et je me suis dit : Ah, oui !  quand on parle des addictions on n’est plus sur la seule question du désir, car on est face de quelque chose impossible à contrôler, donc le besoin qui lui, s’impose, et qui peut être lié à une souffrance, un manque.
Le suite de ce texte (de Schopenhauer) dit : « La satisfaction y met fin ; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés ; le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini, la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent ; le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain.  Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos » (Le monde comme volonté et comme représentation. Schopenhauer)
Effectivement, pour moi, le besoin est différent du désir, et je retiens l’expression : « Nous sommes des êtres de désir, avant d’être, des êtres de liberté ». Nous sommes tous ces êtres de désir, nous avons toute la vie pour atteindre un état de grandeur. Et quand on parle de désirs, tout n’est pas que désirs avec un grand D. Il faut distinguer les désirs, des petits désirs aux addictions qui sont des désirs insatisfiables, un manque qui s’entretien tout le temps. Et d’où cela vient-il, est-ce que cela vient de la société ? Et, est-ce que l’addiction au pouvoir, c’est plus masculin que féminin. Ça ne me semble pas venir du sexe (du genre), nombre d’addictions sont dues à une société dominée par « le dieu argent ». Ces désirs addictifs, artificiels, non nécessaires ne sont pas de l’ordre des besoins, ou, nous ne sommes plus « des être de liberté ».

⇒  Lorsque le désir se fait addiction, qu’il devient tyrannie, il y a là, oui, des désirs profonds insatisfaits. Il y a là, un moyen de vouloir combler  un manque, lequel n’arrive pas à être combler malgré tous les plaisirs qu’on s’offrira, les plaisirs auxquels on cédera pour se faire du bien. Et c’est bien le sens des achats compulsifs qui mènent au surendettement.
Et si, parmi nous, s’exprime l’idée, que l’insatisfaction des désirs empêche d’accéder au bonheur, je ne pense pas de même. Peut-être, est-ce question de tempérament, mais je continue à penser qu’on peut très limiter, contrôler ses désirs, et que c’est justement cette capacité de maîtrise de ses désirs qui me rend heureux en écartant des envies suggérées ; « le moi » reste  « maître dans la maison ». Par exemple, je ne désire pas avoir une Rolex à 28000 €, ça ne prive pas, qu’est-ce que j’en ferai ?
Et, pour réhabiliter le désir, il n’est pas qu’insatisfaction, il est avant tout moteur d’action, fondamental. Certains de nos désirs peuvent nous amener à nous surpasser, à faire des choses extraordinaires, de belles réalisations, et contrairement à ce que nous dit Schopenhauer, un désir satisfait n’est pas une « illusion disparue », il n’en crée pas, ipso facto, dix autres.
Ce qui tuerait mes désirs, serait que je puisse accéder au moindre désir exprimé ; les désirs trop peu désirés font les gens blasés. Mes désirs me font aller de l’avant, et le jour où je n’aurai plus de désir, je  ne serai pas loin d’être mort.

⇒  Le mot limiter (ses désirs) ne paraît pas satisfaisant, je verrais mieux l’expression : « contrôler ses désirs ». Tous les désirs doivent être bien nommés. Le désir d’une barre de chocolat ne peut être associé au désir d’être aimé.

⇒   « Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves » nous dit Shakespeare, et nos rêves parfois se transforment en désirs, (pour le meilleur ou pour le pire). Si je rêve d’une certaine forme de société, je vais tout faire pour que cette société arrive, (de la meilleure ou de la pire des façons). Le désir n’est pas absolument l’attrait de choses matérielles, il y a des désirs conceptuels, et les rêves en font partie. Ces rêves qui se transforment parfois en concepts si permanents, qu’ils en deviennent un objet auquel on finit par croire.

⇒  On a beaucoup parlé des désirs, mais pas de la définition du mot, on a utilisé des synonymes. Est-ce que le désir, c’est l’aspiration à, un vœux, un élan, un étincelle qui vous pousse vers quelque chose ? Est-ce que c’est juste un point départ, un projet tant qu’il n’est pas abouti ? Si quelqu’un désire devenir musicien, si il y arrive, il n’aura plus ce désir, il lui restera le plaisir sans le désir.

 ⇒  Le désir est un manque à combler ; c’est notre alchimie qui nous façonne nos désirs.

⇒  L’étymologie du mot désir, n’est pas sans avoir un lien avec l’expression : «  demander la lune ». Le mot découle du latin « desiderare » fondé à partir de « Sidus – Sideris » l’astre ou la planète, ou, « la nostalgie de l’astre », « le désir de l’étoile… » (Le Grand Robert de la langue française)
Et, nous n’échapperons pas au désir physique, qu’on le nomme désir amoureux, désir sexuel. C’est la source de l’humanité, même si le triste Schopenhauer, (encore lui) nous dit que  l’amour est : « comme une ruse de la nature destinée à nous inciter à nous reproduire ». Le désir d’amour, c’est aussi le désir et le besoin de tout partager avec l’autre, de vivre avec l’autre, il est désir et attirance réciproque (du moins il faut l’espérer).
Dans ce type de désir,  nos philosophes ne furent apparemment pas de grands amoureux ; des tristes stoïciens pour qui la relation sexuelle n’est (je cite) que « le frottement de deux boyaux » (Sénèque) à Kant, pour qui (je cite) « lorsque la femme fait d’elle-même un objet de désir, elle dispose d’elle-même comme une chose dont on peut se servir pour combler son appétit, un peu comme un rôti de porc qu’on mange pour apaiser sa faim ».
L’amour est un désir infini, le désir en amour est plus qu’un désir physique, quand on est amoureux, amoureuse, le monde n’a plus de limite. J’ai retenu cette belle définition : « Le désir c’est ce qui fait que toute la superficie de la peau, désire toute la superficie d’une autre peau…. On est intimes avant même de se connaître, on ne peut pas se passer du désir de l’autre, et de son sourire, et de sa main, de ses lèvres. On le suivrait jusqu’au bout du monde; et la raison dit : « Mais que sais-tu de lui ? » Rien, rien, hier encore c’était un inconnu. Quelle belle ruse inventée par la biologie pour l’homme qui se croit si fort ! Quel pied de nez au cerveau. Le désir s’infiltre dans les neurones et les embrouilles. On est enchaîné, privé de liberté »   (Les yeux jaunes des crocodiles. Katherine Pancol)
Et si ce désir est tyrannie, moi, j’accepte cette tyrannie.

⇒  Pour définir le désir, il y a au moins deux philosophes qui s’expriment mieux que ces derniers cités. Spinoza dit, que, « le désir est l’effort pour persévérer dans son être »,  c’est comme le moteur de la vie.
Et puis, un autre philosophe, Hegel, disait que le moteur de la vie humaine, c’est « le désir de reconnaissance », ce qui rejoint aussi, le désir d’être aimé, ce moteur de l’histoire de l’homme, tant individuel que collectif.

 ⇒  La réalisation des désirs, ne tue pas le désir. Il y a des désirs qui ne s’éteignent pas.

⇒  Est-ce qu’on est d’accord sur le fait que maîtriser ses désirs permet d’être plus heureux ?

⇔  Réguler ses désirs n’est pas limiter, n’est pas les brider. Il faut savoir, et choisir ce qui est bon ou pas de réaliser, sans mettre une barrière infranchissable.

⇒  Freud imaginait les pulsions, les désirs trop forts, comme l’eau retenue par un barrage, plus ils sont retenus plus le niveau monte, ils s’infiltrent, débordent. En fait, le désir bridé totalement fait des petits « monstrueux ».

 ⇒ Heureusement qu’il y a des freins sociétaux, des freins qu’on s’impose, sinon ça s’arrête où la satisfaction des désirs.

⇒  Nous vivons sous le regard de la société ; Dans la mythologie grecque le personnage de Gygès possédait une bague, qui, lorsqu’il la tournait, le rendait invisible, et alors il pouvait satisfaire tous ses désirs sans être vu.
Maintenant il y a des sociétés plus ou moins permissives, certaines ou la tyrannie, est l’opposition à des désirs tout simples.

 ⇒  Dans nos sociétés occidentales nos désirs d’avoir, de consommer, sont incompatibles avec le désir de régler le problème climatique. Il va falloir faire l’impasse sur nombre de désirs, choisir, se faire violence.

⇒  La philosophie bouddhiste est plus à même de répondre à cette modérations des désirs.

 ⇒  La philosophie bouddhiste a une conception totalement contraire à celle de nos sociétés occidentales. Le bouddhisme ne dit pas – A bas les désirs ! éliminons les désirs ! mais écartons les désirs qui mènent à la souffrance, car c’est la souffrance qui empêche d’être heureux. On ne garde que les plaisirs nécessaires, comme chez Épicure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les formes du dialogue

August Make. Détail de la promenade. 1813.

August Make. Détail de la promenade. 1813.

Restitution du débat du  22 novembre 2017 à Chevilly-Larue

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin.

Introduction : Danielle Pommier Vautrin

Introduction :  Le dialogue, du grec « dia » entre, et « logos », parole. Un dialogue permet la communication par l’échange de paroles entre deux personnes ou deux parties. Il demande d’écouter l’autre, et de préciser son argumentation. Il permet le surenchérissement de l’un sur l’autre pour élaborer une théorie ou avancer dans une réflexion ou un débat commun.
Le dialogue est différent de deux monologues de sourds où chacun campe sur sa position et où on ne parle que pour soi, pour s’écouter parler, mais pas pour entendre quelque chose de l’autre ou le comprendre.
Le dialogue permet d’éviter des polémiques stériles et des conflits à cause de préjugés. Dans un dialogue il y a échange et élaboration des positions contrairement à deux monologues où chacun s’en tient à son opinion (cas de la justice, la politique etc.)
Que suppose le dialogue ? Une bonne qualité d’écoute et de bienveillance pour ce qu’exprime l’autre que l’on soit d’accord ou pas.
Une confiance dans l’honnêteté intellectuelle de son interlocuteur.
Une langue commune que ce soit une langue nationale ou ethnique ou un jargon, ou une langue symbolique, dans une discipline (scientifique, économique, littéraire, médicale, religieux, maçonnique, politique, etc.)
Quelles formes le dialogue peut-il prendre ? Le dialogue peut prendre différentes formes qui peuvent aboutir à la compréhension par l’autre :
– La douceur, la tendresse,
– Le respect de l’autre
– le souci des relations sociales
– les arts : musique, peinture, objets, sculptures, le théâtre, et tout ce qui sert à dire quelque chose à l’autre (son public). Ne parle-t-on pas aussi de dialogues dans les pièces de théâtre, les films etc. ?
– Dans la littérature où l’on peut se trouver en communion avec le livre que l’on lit et dans un dialogue intérieur en confrontant ses positions à celles de l’auteur.
– Dans la méditation où certains ont rencontré  et parlé avec leur maître intérieur.
– Avec les enfants en essayant de leur donner une éducation solide et une confiance en eux sans les contraindre. En évitant le rapport de forces et en privilégiant la communication et le respect de l’autre par chacun.
– Le dialogue vu par le Président Macron qui dit privilégier à sa manière le dialogue au rapport de forces : « j’aime beaucoup aller au contact des gens pour parler avec eux… et essayer de les convaincre ! » (sic)
– Dans certains handicaps le dialogue peut avoir lieu dans une langue spéciale : langue des signes des malentendants ou braille des malvoyants.
– Dialogue particulier avec la presse et les médias qui nous font réagir face à leurs assertions.
– Cas des dialogues par la violence où la puissance de conviction peut se faire par des coups – mais heureusement cela ne marche pas souvent. Mais je connais un cas d’enfant battu qui est un homme formidable grâce à son amour pour les siens et les autres. Identification inverse.
– Le dialogue est à l’œuvre dans la démonstration dialectique où l’on donne à l’autre une argumentation en échange de la sienne.
– Le E-dialogue permet également de communiquer par tous les moyens informatiques : mails, SMS etc. avec peut-être ses limites.
– Dans le dialogue on a un antidote à l’autorité arbitraire : dans le couple, dans les familles,
avec les amis, dans les associations, dans la société en général…
– Le dialogue est aussi un obstacle à la manipulation séductrice mais perverse, ou quand « l’autre » utilise vos arguments pour les travestir. Il permet de demander des explications rationnelles, si possible.Les périodes de l’histoire et le dialogue

                Causes négatives     et      Effets positifs
Négatif: Dictatures dans tous les pays d’Europe
Positif: Les droits de l’homme et la DUDH
lors de la seconde guerre mondiale
Négatif: Inquisition
Positif: Mai 68 et tous les échanges facilités
Négatif: Les fanatismes religieux de toutes les époques
Positif: Les églises  qui réfléchissent (Vatican II)
Négatif: Les totalitarismes
Positif: Les lois humanistes
Négatif: Les égoïsmes
Positif: L’altruisme
Négatif: L’ignorance
Positif: La culture et/ou la vie intellectuelle
Négatif: L’exclusion, le racisme, la haine
Positif: Les associations de défense de causes humanitaires
Négatif: Le repli identitaire
Positif: L’ouverture et la tolérance
Négatif: Les intérêts individuels
Positif: Les engagements collectifs
Négatif: Les guerres
Positif:  Les mouvements pacifistes
Voici quelques pistes qui peuvent nous permettre d’avancer sur la voie du dialogue…

 

Débat

 

 Débat :  ⇒  Il a été cité, mai 68 grand moment de dialogue citoyen, et plus près de nous nous avons eu « Nuit debout », avec ces grandes messes de l’expression. Cependant parfois, le dialogue n’a pas toujours été très ouvert ; des hommes politiques se sont fait « jetés », des intellectuels qui n’auraient pas eu « la bonne couleur » chassés, ostracisés, comme la philosophe Alain Finkielkraut. Un homme que je connais s’est vu refusé la parole dans un débat sur le féminisme au seul motif qu’il était un homme, et qu’il n’était pas concerné. En dehors des ces quelques dérapages, c’était sympa de voir toute cette jeunesse assemblée, dialoguant. En revanche difficile de dire précisément sur quoi cela a débouché.

⇒  Ce genre de dialogue ne peut pas déboucher sur rien. Pour plein de nombreux jeunes c’était « se dépuceler l’esprit ». Mais dès qu’au cours du dialogue on abordait des projets de construction, cela bloquait. C’était un dialogue qui n’allait pas jusqu’au bout.

⇒  Le dialogue, l’échange, n’oblige pas à ce qu’on arrive sur un accord. Le dialogue permet de développer des idées, voire faire avancer un débat, faire réfléchir.

⇒ Oui, le dialogue n’exige pas au final d’obtenir le consensus, on ne repart pas « la main dans la main », mais les idées échangées peuvent faire bouger, ne serait-ce qu’un peu nos certitudes, bousculer des a priori. C’est un peu ce que l’on fait au café-philo.
Si l’on part de l’étymologie du mot « dialogue » « DIA » entre, et, « logos » parole ; on voit un principe, celui de transmettre une idée par la parole, un échange entre une ou plusieurs personnes ; un émetteur, un ou plusieurs récepteurs, auditeurs, sauf à parler tout seul.
Même si je préfère chercher des sources autres que Wikipédia, j’ai voulu voir leur définition du mot dialogue, et là je suis surpris et même en désaccord, car pour eux (je cite) : «  Le dialogue se distingue de la discussion et du débat. Il se réfère à un mode de conversation qui concerne nécessairement, raison, discernement, exactitude, et sagesse ».  Donc, ce soir, nous ne faisons que débattre, et nous n’avons « ni la raison, ni le discernement, ni la sagesse…», et nous ne dialoguons pas. Je ne suis pas d’accord avec cette restriction.

⇒  Dans son dictionnaire philosophique, André Comte-Sponville, donne cette définition du dialogue : « C’est le fait de parler à deux ou à plusieurs pour chercher une vérité, c’est un genre de conversation tendu vers l’universel plutôt que vers le singulier ; comme dans une conférence, tout comme vers les particuliers dans la discussion. On y voit ordinairement plus ou moins depuis Socrate une des origines de la philosophie ; tout dialogue tend vers l’universel, c’est-à-dire l’esprit et notre capacité à s’y installer. De là, l’échange des arguments, et parfois la tentation du silence ».
Cette définition nous éclaire bien pour notre débat.

⇒  En philo le dialogue a sa référence dans les œuvres de Platon, comme dans le « Théétète » des discussions organisées, des échanges entre ses divers personnages, ils argumentent, ils confrontent des idées pour faire émerger « les idées de Platon ». Ce dernier se fait même ventriloque pour faire parler Socrate qui n’a laissé aucun écrit.
Dans la littérature, il me semble que le dialogue commence véritablement avec Cervantès, avec le dialogue entre Don Quichotte et Sancho, puis on retrouve des œuvres dialoguées au 18ème siècle, comme chez Voltaire, avec « Candide », ou chez Rousseau avec « La nouvelle Héloïse ».
Je raffole des dialogues des fables de La Fontaines, où il fait parler les animaux à la place des humains, pour parler de nous.

⇒  Dans la philosophie grecque on a fait parler de la philosophie par le dialogue, ce qui va disparaître au moyen–Âge avec les grands récits, les grands écrits théoriques.

⇒  Au Moyen-Âge, il y a un théâtre populaire, il y a du dialogue.
Au Moyen-Âge on jouait « Les mystères »  sur les parvis des églises. C’était des thèmes religieux avec des personnages, des démons, avec « la mère Carême »  et son poisson.., des dialogues très drôles. C’était des spectacles impies joués lors du Mardi-Gras.

⇒  Lorsqu’on assiste à une discussion, en dehors des mots, les gestes, les expressions du visage participent au dialogue. Le visage dit j’approuve, je désapprouve, et le geste accompagne le propos…

⇒  Les Italiens connaissaient déjà cela avec des dialogues en pantomime.

⇒  Pour que le dialogue fonctionne, il faut un langage et des codes communs. Mais accompagner son propos de gestes sera reçu différemment, si par exemple vous vous adressez à un japonais, il y a risque d’équivoque.

⇒  Il y a un dialogue qui n’est plus, c’est le dialogue épistolaire. On a évoqué notre époque Internet, de la communication plus que du dialogue. On a, pour certains, connu une génération où le dialogue avait plus de profondeur ; par exemple quand on écrivait une lettre (ce que l’on ne fait plus), on réfléchissait un moment avant d’écrire une phrase, le stylo restait un instant en l’air; on essayait d’imaginer comment le correspondant allait interpréter la phrase, car les écrits restent (les mots s’envolent). Aujourd’hui les pouces vont trop vite, la réflexion ne précède plus toujours, l’expression. On est plus vite dans la réaction, mais peut-être, que le fait de plus de spontanéité rend le propos plus naturel ???

⇒  C’est le dialogue « Petite Poucette », de Michel Serres

⇒  Si le naturel c’est, exprimer des pulsions sans filtre, je ne suis pas d’accord. Etre impulsif, n’est pas être naturel.

⇒  Le dialogue est d’autant plus simplifié qu’intervient parfois le correcteur dans Internet qui choisit ses mots à votre place, ceci à partir de son « langage intuitif »

⇒  Le dialogue épistolaire a déclenché une forme de littérature au 18ème siècle. Il y en a eu tout plein, dont l’ouvrage « La nouvelle Héloïse » déjà cité. Cela venait du fait que depuis x temps, les hommes de lettres, les scientifiques, les chercheurs avaient établi de véritables dialogues épistolaires ; « je t’envoie une lettre – tu me réponds.. » Ils communiquaient à travers le monde sur leurs domaines de connaissances.

⇒ Pascal, le janséniste, fera de même, des dialogues par publications de réfutations, avec les Jésuites, et cela s’appellera « Les Pensées ».

⇒ Lorsqu’on est devant sa feuille de papier, que l’on écrit à quelqu’un, alors on est deux. On pense à l’autre ; comment va-t-il recevoir mon propos ? C’est un dialogue distancié. C’est parfois l’occasion de dire des choses qu’on n’aurait pas dites autrement. Kafka n’aurait pas écrit « La lettre au père » par SMS.

⇒  Est-ce que les SMS, les Tweet, nous laisseront des éléments d’archives, de dialogue de notre époque.

⇒ Nous avons récemment beaucoup entendu parler de ce dialogue épistolaire que constituaient les lettres à leur famille des soldats de 14/18. C’était une première fois dans ce domaine, et cela était dû particulièrement au fait que ces jeunes soldats était la première génération de l’école publique, de l’époque Jules Ferry qui avait appris à écrire.

⇒  Le dialogue est-il utilisé uniquement dans le but de convaincre ?

⇒  Si on ne dialogue pas, on ne s’expliquera jamais, le dialogue est justement l’antidote du conflit, des préjugés, des rancunes…

⇒  Est-ce que la prière est un dialogue ?

⇒  Si on arrive à parler à Dieu, oui !

⇒ Et s’il ne répond pas ?

⇒ Pour de nombreuses personnes, c’est un dialogue.

⇒  La prière est un dialogue intérieur ; il échappe à la définition rigoureuse du dialogue. La dialogue intérieur c’est aussi un dialogue avec soi-même, en se donnant parfois les arguments pour, et les arguments contre.

⇒  Le journal intime est-ce une forme de dialogue ?

⇒  Le journal peut difficilement être considéré comme dialogue dans la mesure où la partie « logos » (la parole exprimée) n’y existe pas; il faut, pour pouvoir parler de dialogue, l’expression orale, l’adresse à l’autre, et que celui-ci soit un véritable interlocuteur.

⇒  Dans les différentes formes de dialogue, on trouve le dialogue polémique, dialogue ou débat contradictoire, où il faut convaincre, avec parfois la dialectique de la mauvaise foi, ne pas trop s’attacher à la vérité, où les arguments les plus spécieux sont utilisés ; argumenter, réfuter, comme le préconise Schopenhauer dans « L’art d’avoir toujours raison ». Il y a un film actuellement sur les écrans où un prof d’université forme une jeune étudiante à la rhétorique pour participer au concours annuel d’éloquence de la magistrature (Le brio d’Yvan Attal).
Un autre film évoque à merveille ce sujet, c’est «  A voix haute ; la force de la parole »

⇒ La symétrie me parait importante dans le dialogue. Il faut que les interlocuteurs soient à équivalence  de connaissance.

⇒  Dans le film le Brio, j’ai retenu cette belle réplique du dialogue. Un personnage dit : « Il sait si bien parler qu’il ne sait pas dire les mots simples ».

⇒  A partir du moment où on est dans l’éloquence, dans la rhétorique, c’est pour séduire, ce n’est pas pour être à forces égales. Dès qu’on met l’éloquence dans le dialogue, la parole est fausse, c’est la forme qui l’emporte sur le fond. Si Danton polémique avec Robespierre, ils sont à armes égales, même si contre n’importe lequel d’entre-nous, il nous réduit à néant.

⇒  Une phrase de Prévert dans « Spectacle » illustre parfaitement la perversité d’un certain  dialogue polémique : « Qu’est-ce que cela peut faire que je lutte pour la mauvaise cause, si je suis de bonne foi. Et, qu’est-ce que ça peut faire que je sois de mauvaise foi, si je lutte pour la bonne cause ».

⇒  Dans les villages africains, les hommes se réunissent sous l’arbre à palabres, des réunions où l’on débat.

⇒  C’est nous, les Occidentaux qui avons idéalisé ces palabres qui sont de fait un lieu où l’on expose des problèmes, des dissensions, qui seront jugées par les anciens, ou par le chef du village.

⇒  C’est un peu « le dialogue social »  (à la mode aujourd’hui) : on convoque, on vous écoute, et le « chef de village » décide.

⇒  Cela n’arrive pas tous les jours des bons dialogues, d’être en face d’un interlocuteur avec qui l’on peut parler, exprimer ses idées, apporter ses réflexions  sans se sentir jugé, sans être systématiquement contredit…

⇒  Il y a une forme de dialogue de groupe qui a totalement disparu depuis plus d’un demi- siècle avec l’arrivée de la télévision : ce sont les veillées. Les gens se réunissaient, discutaient longuement, échangeaient, ils n’étaient pas pris par le temps. Etant enfant j’ai assisté, et participé à de nombreuses veillées aux noix. On y racontait des histoires, les plus jeunes chantaient avec leurs petites partitions ,couleur sépia , achetées sur des marchés.

 ⇒ On a de moins en moins de dialogue « en face », avec l’adresse à l’autre. On communique plus et on se parle moins, on va vers une nouvelle forme de dialogue, qui s’ajoute.

⇒  Je préfère entendre mes enfants au téléphone, que d’avoir un SMS.

⇒  Dans l’esprit des fêtes qui approche et le bonheur de la verve de Voltaire, j’ai relevé son fameux « dialogue de la poularde et du chapon » :
– La poularde : Une maudite servante m’a prise sur ses genoux, m’a plongé une longue aiguille dans le cul, a saisi ma matrice.., l’a arrachée et l’a donnée à manger au chat. Me voilà incapable de recevoir les faveurs du chantre du jour, et de pondre.
– Le chapon ; Hélas ! Ma bonne, j’ai perdu plus que vous ; ils vous on fait poularde et  moi chapon.
La seule idée qui adoucit mon état déplorable, c’est que j’entendis ces jours-ci  près de mon poulailler, raisonner deux abbés italiens à qui on avait fait le même outrage afin qu’ils puissent chanter devant le pape avec une voix plus claire.
– La poularde : Quoi ! C’est donc pour que nous ayons une voix plus claire qu’on nous a privé de la plus belle partie de nous-même ?
– Le chapon : Hélas ! Ma pauvre poularde, c’est pour nous engraisser, et rendre notre chair plus délicate.., car ils prétendent nous manger.
– La poularde : Ah ! Les monstres !
– Le chapon. : C’est leur coutume, ils nous mettent en prison pendant quelques jours ; nous crèvent les yeux pour que nous n’ayons point de distraction ; enfin, le jour de la fête étant venu, ils nous arrachent les plumes, nous coupent la gorge, et nous font rôtir.
On nous apporte devant eux dans des grandes pièces en argent ; chacun dit de nous ce qu’il pense ; on fait notre oraison funèbre ; l’un dit que nous sentons la noisette ; l’autre vante notre chair ; on loue nos cuisses, nos bras, notre croupion ; et voilà notre histoire dans ce bas monde finie pour jamais.

Et parler du dialogue c’est aussi se souvenir des dialogues truculents de  Michel Audiart. J’en ai noté, choisi deux : « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner » Et   « Quand les types  de 130 kg parlent de certaines choses, ceux de 60 kg les écoute »

⇒  Je me suis posé la question quant à l’art chez l’écrivain de faire dialoguer des personnages avec leur identité propre ; est-ce qu’on  a le fil de toute une histoire et les personnages avec le propos arrivent. C’est pour moi, le génie de l’écriture ; et dans un roman avec plusieurs personnages, les tirets qui mettent tour à tour, les personnages en scène, me les rendent presque présents ; je vois le personnage, le personnage qui va parler….

⇒  Le dialogue littéraire ce n’est pas un fil qu’on déroule. C’est construit, c’est pensé très avant, il y a de l’inspiration et de la transpiration.

⇒  Dans le dialogue littéraire on est avec le personnage, cela crée une proximité. Il y a quelque chose comme un échange. Comme dans un courrier, c’est  un transfert d’humanité.

⇒  Quand on est en dictature ou totalitarisme, c’est toujours le même discours en peu de mots, les mêmes paroles, il  n’y a pas de place pour la réflexion, et pas de dialogue réel.

⇒  On a dit qu’il faut avoir les mots clefs, les mêmes codes, soit ! Mais quand l’autre n’a pas ces mêmes codes et qu’on réussit néanmoins à ouvrir le dialogue, là, c’est aussi une réussite.

⇒  Si je discute avec quelqu’un du 16 ème (par exemple) je n’ai pas les mêmes clefs quand à l’aspect social, et avec les clefs intellectuelles, on va peut-être se combattre. On peut se comprendre en n’ayant pas les mêmes idées.

⇒  Un des meilleurs exemples du dialogue politique est la pièce de théâtre (et film) « Le souper » avec Claude Rich en Talleyrand, et Claude Brasseur en Fouché.

⇒  On est dans la joute verbale, avec toutes les subtilités du langage. Dans ce genre on peut citer également ; « Ridicule » avec les dialogues des salons du 18ème siècle, où on peut humilier avec un mot, une saillie, un mot d’esprit.

⇒  Le dialogue, dans des moyens de communication, comme la presse, obéit aujourd’hui à la règle des trois « C ». C’est-à-dire : court – clair – concis. On a tendance à concentrer le propos au point de parfois lui faire perdre du sens. Et si l’on fait trop long, c’est coupé ; pour faire bien, il faut faire : court, clair, et concis. Cela limite le dialogue et l’élaboration de la pensée.

⇒  Lorsqu’on s’adresse à un public, on ne parle pas comme si l’on parlait avec sa belle-sœur ou son collègue de bureau. Il faut structurer sa pensée pour être sûr que l’on sera compris de tous : « Il faut penser sa parole, avant que parler sa pensée ». Et il y a une notion de respect de ceux à qui l’on s’adresse, parce qu’ils ne doivent pas être captifs d’un temps de parole qui nous est accordé, pas captifs de ceux qui délayent, qui s’écoutent parler, ou  ce « parleur étrange, et qui trouve toujours l’art de rien dire avec de grands discours » (Molière. Le misanthrope). Il faut savoir garder l’attention de l’autre qui vous « prête l’oreille ».

⇒  Moi je ne viens pas au café-philo pour dialoguer, je viens pour écouter.

⇒  Je ne suis pas d’accord sur ce point. Celui qui écoute est la part indispensable du dialogue, sinon on parle tout seul ; le silence n’est pas refus de dialogue. Dans le dialogue il a un émetteur et un ou des récepteurs qui peuvent à leur tour devenir émetteur.

⇒  Je reviens sur cette intervention qui nous dit qu’il faut de plus en plus faire court dans l’écrit. Je crois que c’est un mal de notre époque, dans ce temps qui semble se rétrécir, la vie va plus vite. Le temps d’écoute et d’attention diminue, il faut aller à l’essentiel, sinon, on zappe.

⇒  J’ai attrapé la maladie du « faire court » ; j’ai trop peur d’ennuyer.  Il y a des longues tirades où l’essentiel tient en trois coups de stabylo.

⇒  Certains n’ont pas l’art de la synthèse, et il leur faut plus de temps, en passant même par des détours. Si on ne leur laisse pas le temps, ils ne parlent pas. Ils parlent à leur rythme, il faut leur laisser du temps pour que la pensée descende dans les mots.

⇒  Ah si je savais parler comme je sais penser !

Références :

Définition du mot dialogue. Wikipédia.
Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville PUF. 2001.
Le Théétète. Platon. – 394.
La nouvelle Héloïse. Rousseau. 1761
La poularde et le chapon. Voltaire. 1763
L’art d’avoir toujours raison. Schopenhauer. 1831

Films :

A voix haute : la force de la parole. De Stéphane de Freitas et Ladj Ly. 2017
Le Brio d’Yvan Attal. 2017
Ridicule. De Patrice Leconte. 1996
Le souper. D’Edouard Molinaro. 1992.

 

 

Qu’est-ce qui meurt quand une civilisation meurt?

 

Les pyramides de Giseh en Egypte

Les pyramides de Giseh en Egypte

Restitution du débat du  22 novembre 2017 à Chevilly-Larue

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.
Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Edith

Introduction : Etrange question ! Quand on dit qu’une civilisation meurt ce qui meurt c’est la civilisation ! Le problème est bien là : qu’entend-on par civilisation ?
Nous ne sommes pas là pour disserter sur l’étymologie du mot, ni non plus sur les interrogations documentées des récits de vie de voyageurs anciens et modernes, ou/et des enquêtes des ethnologues et anthropologues contemporains. Récits de voyages, enquêtes et analyses qui, à la fois soulignent la diversité des civilisations ; « comment peut-on être persan ? » demandait Montesquieu, et l’unité de l’espèce humaine (cf. la controverse de Valladolid : en 1655 entre le dominicain Bartolomé de Las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda, pour savoir si les Amérindiens ont une âme – pour savoir s’il est moral de conquérir leurs terres et de les « esclavagiser ».)
La question de la mort de la civilisation est une question qui nous concerne tous.
Dans notre vie quotidienne: combien de fois ai-je entendu « ce sont des sauvages »,  combien de fois j’ai dit « vous êtes des barbares », combien de fois nous nous interrogeons sur ce qui favorise la civilité avec nos voisins, nos enfants, ou les anciens! Et la question de la mort des civilisations est l’objet de débats idéologiques actuels : vivons-nous le choc de civilisations ? Est-ce la fin de la civilisation occidentale ? La civilisation européenne est-elle menacée ? Et aussi sommes-nous à une phase de mutation irréversible de la civilisation humaine : avec les recherches et inventions techno scientifiques (en intelligence artificielle, génie génétique, biologie du cerveau, robotique …), nous passons de l’homme réparé à l’homme augmenté, à l’homme transformé: de l’homo sapiens à l’homo deus
Je propose de soutenir que ce qui meurt dans une civilisation quand on dit qu’elle meurt, c’est le sens de l’humain, ce que Levinas nomme la conscience du visage d’autrui.
Vous connaissez tous les multiples formes de déshumanisation d’une civilisation.
D’après l’Unicef, depuis fin août 2017, plus de 400000 réfugiés Rohingyas fuient les persécutions dans l’Etat birman d’Arakan, pour se réfugier au Bengladesh. Parmi eux 60% d’enfants, et toujours d’après l’Unicef, depuis janvier 2017, dans le Nord Est du Nigéria, 83 enfants ont été utilisés comme bombes humaines. (55 d’entre eux étaient des filles de moins de 15 ans, 27 étaient des garçons et l’un était un bébé attaché à une fille). Le groupe armé connu sous le nom de Boko Haram a revendiqué ces actes ayant pour cible la population civile. En même temps actuellement 1,7 million de personnes sont déplacées en raison de l’insurrection dans le nord est du Nigéria et 450000 enfants risquent de souffrir de malnutrition.
Mais revenons sur le terme « civilisation ». Ce terme n’est apparu dans la langue française qu’au 19ème siècle (en 1835), lié à l’intérêt croissant que les français accordaient à l’histoire. Alors il a pris une double signification. Auparavant Mirabeau a inventé ce terme (en 1756), un siècle plus tôt, pour désigner « l’adoucissement des mœurs, l’urbanité, la politesse, l’observation des bienséances ». Parce que Mirabeau croyait ou plutôt voulait que l’évolution des sociétés suive « une gradation de la barbarie originelle à la condition présente de la société actuelle ». Au départ donc civilisation égale civilité (les mœurs douces, la courtoisie, la manière honnête de vivre et de converser avec les gens). Aujourd’hui (et dans la 9ème  édition du dictionnaire de l’Académie française -2010) la civilisation est: « l’ensemble des connaissances, des croyances, des institutions, des mœurs, des arts et des techniques  d’une société».
Et le changement de sens est significatif : chez Mirabeau la notion est morale, chez les contemporains, elle est technique (grâce aux travaux des ethnologues et anthropologues contemporains). C’est ainsi que, alors que les mœurs sont spécifiques à un pays, un peuple, une nation, et donc différentes, les connaissances appartiennent à l’espèce humaine; se développe alors l’idéologie de l’unité de la civilisation humaine dans la diversité des modes de vie.
Enfin, je suis intéressée à reprendre l’hypothèse de l’historien Lucien Febvre, dans Civilisation, le mot et l’idée: les idéologies de fin de la civilisation apparaissent toujours lorsqu’une forme nouvelle de guerre est en cours. Après la première guerre mondiale, Spengler, Toynbee, Paul Valéry, Freud, et d’autres (chacun avec des arguments spécifiques) ont développé l’idéologie de la fin de la civilisation. « Nous autres  nous savons que   les civilisations sont mortelles » (Paul Valéry) ; Malaise dans la civilisation (Freud) ; Le déclin de l’occident (Spengler). Et en effet (en poursuivant  le propos de Lucien Febvre), après la deuxième guerre mondiale et l’industrialisation de la mise à mort de certains humains, et de la nature, après Auschwitz, Hiroshima, et Tchernobyl, ont été élaborés deux concepts juridiques pour prévenir la fin de toutes les civilisations humaines : la notion de « crime contre l’humanité » et la notion d’ « écocide ». Le crime contre l’humanité, défini par le tribunal international de Nuremberg (en 1945), est à distinguer des crimes de guerre. C’est « un crime commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile…inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». La notion est précisée par la cour pénale internationale de 1998, par le statut de Rome de 1990. Le crime contre l’humanité est un délit imprescriptible et l’expression d’opinions qui remettent en question la réalité de ces crimes est un délit passible de plusieurs années de prison. …
Aujourd’hui, les débats idéologiques sur la fin de la, ou des civilisations, sont médiatisés journellement en France. Ce pourquoi, j’ai proposé ce thème de réflexion. Parce que la guerre est partout, avec un nouveau seuil de déshumanisation des civilisations.
Je ne suis pas experte en géopolitique, ni non plus en histoire du droit. Mais, après avoir dépassé, dans mon histoire familiale, les effets négatifs du génocide des Juifs et des Tziganes, je m’inquiète des effets inhumains sur mes enfants et mes petits-enfants, des formes nouvelles de guerre : les guerres asymétriques et les terrorismes. Il faudrait étudier l’histoire des usages du mot terrorisme (je ne le fais pas ici). Quant au concept de « guerre asymétrique », il vient d’un général américain Wesley Clark qui l’a élaboré pendant l’intervention américaine au Kosovo. Il désigne le fait que ce ne sont pas des armées qui se font la guerre, mais des groupes, ou des individus qui s’attaquent à des Etats en tuant des populations civiles. Les cibles civiles remplacent les objectifs militaires, cette manière de faire la guerre est aujourd’hui partout. Détournements d’avions, opérations clandestines, représailles massives, opérations conduites par des martyrs qui visent à infliger des pertes massives à la population civile … la guerre ne se conduit pas sur des champs de bataille mais sur les écrans de télévision et dans les foyers.
Après les désillusions terribles de la civilisation de « l’homme nouveau », du socialisme réellement existant, je vis la crise de la civilisation capitaliste qui promet, avec le développement libéral des modalités du travail, et la progression fulgurante des innovations techno-scientifiques, la possibilité pour chacun d’être un self made man,  et de vivre heureux. Or chacun est non seulement de plus en plus asservi « aux eaux glacées du calcul égoïste » (Marx), faire du chiffre, être rentable, « le temps c’est de l’argent », mais aussi aux « bio pouvoirs »
C’est ainsi que devient lancinant (et stérile) le débat médiatique sur la fin de  la ou des civilisations. Je fais référence à trois d’entre eux. Régis Debray critique le fait que la civilisation européenne, des Lumières, de la démocratie, de la laïcité, se laisse conquérir par l’américanisation, (la civilisation de l’image, de la conquête de la lune, des gratte-ciel, du hamburger et des fast food.) Alain Finkielkraut dénonce la fin de la civilisation humaniste, où les particularismes locaux, prennent le pas sur l’universalisme de la pensée ; (à chacun sa vérité, à chacun ses droits). Il s’effraie de la double décadence de cette civilisation, celle de la grande déculturation par l’école et celle du grand remplacement par l’immigration de peuplement. Michel Onfray, (qui se présente comme hédoniste, anarchiste et girondin), fait coïncider la fin de la civilisation occidentale avec la fatwa lancée par l’Iran contre l’écrivain britannique Salman Rushdie.
Ce que j’en retiens c’est que ce qui meurt dans une civilisation quand on dit qu’elle meurt, c’est sa capacité non seulement à se rebeller, mais aussi à inventer de nouveaux projets de vie.
Enfin la révolution numérique met-elle, en question toute civilisation humaine? Selon Yuvah Noah Harari qui vient d’écrire Homo deus, l’histoire de l’avenir, le problème n’est pas de savoir si une civilisation l’emporte sur une autre, mais celui de savoir si nous sommes à un tournant de l’évolution de l’espèce humaine. Ce qui se joue dans le passage de l’homo sapiens à l’homo deus, c’est non seulement que les humains sont de plus en plus capables de réparer, d’augmenter leurs capacités mais aussi de se transformer …jusqu’à devenir homme dieu, non pas immortel mais amortel: capable de s’auto fabriquer dès qu’il y a un accident ou une perte de capacité, jusqu’à l’usure inévitable néanmoins. Ce, grâce aux recherches en intelligence artificielle, en robotique, en génie génétique. En effet, nous pouvons penser que nous serons de plus en plus intelligents, de plus en plus capables de nous connaître, de connaître et notre passé individuel, et notre avenir individuel et collectif.
Nous allons devenir des algorithmes tout puissants. Saurons-nous fabriquer des intelligences conscientes ?  C’est  la question. Bien sûr l’inégalité entre riches et pauvres ne disparaîtra pas (il y aura les plus, et les moins connectés), c’est là un problème. Et l’apparition de ces « homo deus » (la mutation de l’espèce humaine) est voulue et financée par les milliardaires GAFA (Google, Amazon, Face book, Apple). A nous de nous en inquiéter !!
Voulons-nous cette civilisation ?

Débat

 

Débat :  ⇒ Je relie ce sujet à des lectures qui m’avaient en  leur temps questionnée sur ce sujet ; ce sera : « Malaise dans la culture » de Freud qui annonçait l’arrivée du national- socialisme, ou : « Le monde d’hier » de Stephan Zweig, lequel s’interrogeait sur ce monde qui était en train de disparaître sous nos yeux. Puis au cinéma par le film : « Le guépard » qui montre la fin de l’aristocratie italienne. Et j’ajoute à ces titres celui de Garcia Marquez : « Cent ans de solitude » qui porte sur la fin des grandes propriétés en Amérique latine et la décadence des haciendieros. Donc du cinéma à la littérature nous sommes sans cesse alertés sur la mort des civilisations.
Et qu’est-ce qui se passe quand une civilisation, riche, cultivée, meurt ? Est-ce parce qu’elle perd ses valeurs culturelles ? Arts, lettres, sciences ; qu’elle est remise en cause, qu’elle génère trop d’injustices ? Qu’elle perd le sens du respect humain, en considérant l’homme comme un objet ?
Est-ce le fait d’une civilisation en perte de repères dans les mœurs, où tout est autorisé sans savoir si c’est vraiment dans l’intérêt de l’individu ? Est-ce une perte des idéologies ? Une société où l’on ne discute plus avec des arguments, mais où l’on n’est que dans le rapport de forces…
Quand la civilisation se casse la figure, malheureusement, ce qui gagne du terrain c’est l’ignorance, l’obscurantisme.
Le film : « Une histoire sans fin » nous dit que le néant progresserait toujours tant que le petit garçon ne pourrait pas dire l’amour. Ce qui nous rappelle que ce qui est essentiel, nous unit, c’est l’amour au sens le plus large du terme.
Une civilisation qui meurt, c’est l’arbre de la connaissance qui perd ses racines.
Et aujourd’hui ce que nous risquons aussi de perdre ce sont les arts et traditions populaires, une culture qui fait consensus dans la population.

⇒ Première réflexion. Si l’on étudie comment les grandes civilisations se sont plus ou moins éteintes, ou ont disparu, cela ne peut nous servir de modèle, tant le contexte est différent.
Nous sommes à l’époque du « village global », et là se pose la question : qu’est-ce qu’une civilisation, aujourd’hui ? Peut-on parler d’une civilisation purement occidentale, alors que le monde entier est connecté en réseau, alors que souvent  nous voyons  les mêmes films, alors qu’une grande partie de la population du monde porte les mêmes pantalons (jeans), les mêmes baskets, que nous consommons de plus en plus les mêmes produits.
Donc le terme, civilisation, perd grandement sa signification initiale. De toute façon se serait bien surprenant que d’une façon ou d’une autre cette civilisation ne vienne pas avec le temps,  à être remplacée. Quand ? Comment ? Cela ne se fait pas d’un coup, plouf ! Il y a, peut-être des étapes, des signes avant coureurs ; et là, on peut penser à l’ouvrage de Fukuyama, « La fin de l’Histoire ». Fukuyama pour qui le modèle économique actuel est là finalité de l’évolution sociale, qu’il est désormais indépassable, qu’il n’a pas, qu’il n’y a plus d’alternative, que c’est l’unique et dernier grand récit, que c’est une « loi de gravité économique ».
Mais quand les sociétés en viennent à penser qu’elles n’ont plus à changer, quand elles ne sont plus en capacité d’inventer d’autres modèles, c’est peut-être là où elles sont le plus en danger.
Seconde réflexion : « La civilisation est en déclin, la civilisation est décadente, indécente », cela se traduira par l’expression « Boko Haram » ou « l’éducation occidentale est un péché ». Cette expression Boko Haram sera le nom d’une secte au nord du Nigéria. « Boko », signifie : livre, et « haram » signifie, interdit, (interdit par le Livre). Et pour tous ceux qui sont dans cette mouvance, c’est un devoir de combattre cette civilisation occidentale impure (haram) par quelque moyen que ce soit, comme le terrorisme, la guerre asymétrique, guerre identitaire et guerre de civilisation. Cela constitue aujourd’hui un des risques les plus présents dans les esprits pour notre civilisation occidentale.

⇒ Ce qui meurt pour moi c’est la perte d’identification, quand disparaît l’idée de faire partie d’un groupe, quand disparaît le sens du commun, d’un ciment basé sur nos différentes racines, ciment qui peut évoluer (rien n’est figé). Refuser de partager tout ce commun, c’est un peu comme l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, puits de tout un savoir.
Au-delà des causes, ce qui est important, c’est la conscience que nous avons d’être une civilisation et d’avoir une histoire.

⇒  Il y a deux aspects dans la question: Pour moi, il faut distinguer deux types de civilisations. Les civilisations anciennes, dont il ne reste que des survivants et qui étaient basées, essentiellement sur des traditions et croyances, civilisations sur lesquelles se sont greffés les apports des technologies. Pour que ces civilisations anciennes aient pu mourir, il a fallu parfois des ethnocides, et certaines ont été balayées par une colonisation folle. Il n’y a presque plus d’aborigènes, il en reste quelques-uns en Australie, mais tout ce que l’on a détruit dans ce domaine est une véritable catastrophe ; ce sont les Indiens en Amérique du nord, dont quelques uns  n’existent encore que par miracle.
Pour celles qui ont connu un apport technologique, je pense qu’elles ne sont pas mortes, et pas près de mourir, elles n’ont fait que muter, mais cela avec parfois des mutations parfois excessivement importantes qui ont modifié complètement  leur mode de vie. On peut citer plusieurs verrous de changement fondamentaux. Ce fut l’invention de la caravelle (le bateau) qui a mis fin à l’expansion des Ottomans. Ensuite il y a eu, l’invention de l’imprimerie, puis aujourd’hui l’informatique, demain, peut-être le transhumanisme ?
Ce qui a fait changer d’une façon fulgurante les civilisations, ce sont les modes de production. On a utilisé l’homme (esclavagisme) et on en est sorti. Puis il y a eu l’arrivée du salariat dans le système capitaliste. Mais maintenant on est dans une autre dimension, le financiarisme qui bouleverse fondamentalement les choses., les civilisations ne meurent pas, et ce sont les mutations violentes, qui font les « petites morts des civilisations ».

⇒  On a évoqué notre civilisation qui ne peut mourir car nous avons sauvegardé toutes nos connaissances, tous nos savoirs, mais si demain, nous avons un énorme bug, tout sera enseveli à jamais, et la civilisation avec.
Aujourd’hui on entend que de jeunes informaticiens de la Silicone Valley, ceux qui oeuvrent sur la civilisation de demain, se suicident. Sont-ils confrontés à un risque de déshumanisation ?

⇒  Ce qui nous interroge aussi, ce sont les rapports de demain avec les robots, qui nous ferons peut-être perdre des liens, des contacts humains.

⇒  Je pense que des civilisations sont mortes parce que leurs dieux sont morts. C’est le dieu unique, le monothéisme qui a tué leur civilisation.

⇒ On ne peut pas lier une civilisation et ses cultures qu’à une religion, sinon les athées seraient hors de la civilisation. Ce qui ne veut pas dire qu’au-delà des références cultuelles, il n’y ait pas des points communs universels à conserver et à défendre.

⇒ Je ressens aussi ce risque face à l’informatique, et au risque « Big Brother » qui nous voit, nous écoute, et qui nous dictera ce que l’on doit faire en tuant notre réflexion personnelle ?  N’est-ce pas un risque de déshumanisation. ?

⇒  Je vois une civilisation ou sous forme d’empire, ou sous forme culturelle. Ce dont je me rends compte c’est que souvent, sous sa forme empire, une civilisation pouvait disparaître, mais la civilisation de forme culturelle reste. Je pense qu’aujourd’hui notre civilisation s’inspire d’autres civilisations, que ce soit la civilisation gréco-romaine ou égyptienne. De ce fait on assiste à une sorte de travail de mémoire, ce qui fait qu’aujourd’hui, on ne peut pas éliminer toutes les civilisations ayant  existé.
De plus, je pense que le progrès nous renvoie à l’origine de ce qu’était l’homme. « L’homme est un loup pour l’homme », nous dit Hobbes. Pour lui, l’homme se met en groupe juste par intérêt, et non pas par humanisme.
Je pense qu’on arrive vers une civilisation parfaite en revenant à nos origines où l’on vit égoïstement, de façon naturelle.
La civilisation ne meurt pas. Elle devient juste parfaite parce qu’on est de plus en plus intelligents grâce à toutes les civilisations et à leurs apports. On arrive à un moment où on ne pourra plus évoluer, on arrivera à la perfection.

⇒  Les pays colonisateurs, même s’ils ont parfois pillé, ont aussi apporté la richesse de leurs connaissances. Cela a créé des échanges et fait partager des langues, et c’est à cette période que l’anglais qui a pris la première place. Et ce qui meurt dans les civilisations qui meurent, ce sont souvent les langues. Petit à petit, s’installe une homogénéisation, et une philosophie universaliste doit aussi protéger les différences culturelles, ne pas s’en tenir qu’à des cultures urbanisantes, et en n’effacer aucune.

⇒  Une civilisation qui disparaît est-ce un mode de vie qui disparaît ? Celui-ci doit-il être, admiré, respecté, sous prétexte qu’il est affublé du mot « civilisation ».
Nous avons eu des modes de vie barbares, mais acceptées en leur temps ; alors ce qui me semblerait disparaître lorsqu’une civilisation meurt, ce sont : les arts, la culture, et la réapparition des barbaries, des égoïsmes, des massacres. Et enfin, la question se pose : quelle civilisation a respecté la vie humaine ?  Aucune !

⇒  Nulle religion unique ne peut représenter une civilisation, et elles ont même pu être un obstacle à l’évolution, par leur obscurantisme, comme à certaines périodes (cf. Galilée). La théorie de l’évolution a gêné l’Eglise qui mettait alors un frein à l’évolution.
L’évolution des idées fait partie d’une civilisation. Je pense que l’homme est plus qu’ « un loup pour l’homme ». Il a fait des civilisations en se regroupant avec des intérêts communs, (pas seulement des intérêts individuels).
Alors je pense qu’une civilisation « achevée » n’est pas forcément parfaite. Ce sont parfois les civilisations les plus évoluées et les plus cultivées qui ont basculé dans la barbarie (Allemagne des années 30).
Par ailleurs, faut-il respecter toutes les civilisations même guerrières ou destructrices? Chacun répondra pour soi à cela, mais cela n’empêche pas de chercher à les connaître, voire, les étudier pour comprendre comment elles se sont construites.

⇒  Nous avons évoqué le rôle des religions dans les civilisations : parfois entraves, parfois soutien politique, soutien du pouvoir, parfois dogmatique (ce qui entraîne le fanatisme). Religion et civilisation ne font qu’un, quand on est en théocratie.
Mais pour qu’une civilisation perdure, il faut du sacré, ou ce que l’on considère comme sacré, quelque chose à quoi l’on peut se rattache.
Et quand on dit qu’on veut une civilisation humaniste, on dit qu’on ne veut pas de la domination d’une religion, qu’on ne veut pas d’une dictature quelle qu’elle soit, qu’on veut de la laïcité, des droits de l’homme, etc… Ce qui n’est pas un obstacle au sacré.
Les religions n’ont pas été qu’entraves aux civilisations, car souvent pour civiliser des groupes, il a fallu les relier (religare) autour de quelque chose pour les sortir de la barbarie, pour qu’ils forment ainsi cette société si large qu’on nomme civilisation.
Alors dans les signes, ou disons plutôt dans les risques pour qu’une civilisation meure, (en l’occurrence, la nôtre) on a le plus souvent entendu : La perte de sens collectif, perte du  lien social, la perte de projets collectifs, l’abandon des valeurs, la perte de la culture, une guerre asymétrique, des invasions, des émigrations économiques ou climatiques massives, une soumission aux intelligences artificielles, un chamboulement climatiqueMais ce qui meurt aujourd’hui de toute évidence et qui risque fort d’entraîner dans la mort toute civilisation, ce sont : la perte de la biodiversité, la terrible disparition des espèces, soixante pour cent des primates sont en danger, appelés à disparaître dans les trente années à venir.
La civilisation : on va l’éteindre  et éteindre toute vie avec elle.

⇒  Dans sa définition « Mondialisation » André Comte-Sponville, ajoute à son article : « Faut-il envisager une civilisation mondiale ? » Alors, est-ce que l’on n’est pas déjà sans ce modèle ? Car les différences entre  les civilisations semblent s’affaiblirent.
Pour moi, une civilisation morte serait, celle dont on a perdu le souvenir, un peu comme un cimetière abandonné, où même les noms auraient disparus des tombes. Des tombes où, serait inscrit: ci-gît qui ?
Au-delà des chemins de vie reçus de nos ancêtres, nous sommes engagés dans cette mutation- évolution de notre civilisation, nous sommes plus moins sur le chemin.

⇒  Que faire pour qu’une civilisation ne meure pas ?

⇒  Les civilisations qui ont perduré, même au-delà d’elles, sont celles qui ont laissé des traces : sur des pierres, des écrits…

⇔  Je retiens que notre civilisation ne peut pas mourir, qu’il y a un effet entonnoir qui en fera une civilisation mondiale, universelle.

⇒ Si on n’est pas attentif à tout ce qui nous a précédé, il n’y aura pas de lendemains pour les civilisations : «  Un monde sans mémoire est un monde sans avenir ». Il y a un fil de l’Histoire qui lui donne son sens…. Nous avons été précédés et l’évolution ne peut se faire qu’en tirant les leçons du passé pour se tourner vers l’avenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Morale et politique

Restitution du débat du  25 octobre  2017 à Chevilly-Larue

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Jean-Jacques Rousseau et Nicolas Machiavel

Animateurs : Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.Modérateur : Hervé Donjon.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: « La morale est une question de conscience personnelle » dit François Bayrou, au journal télévisé le 1er juin 2017 lors de la présentation de la loi initialement nommée « Loi sur la moralisation de la vie publique »
Alors qu’il va présenter cette loi de moralisation, voilà qu’un ministre de ce tout nouveau gouvernement qui promettait de laver « plus blanc que blanc » se trouve pris dans un conflit d’intérêt. Affaire qui n’est pas a priori considérée comme illégale, mais reconnue par tous les observateurs, comme relevant de la morale. Légal dira t-on ! Soit ! Mais,  immoral.
Ainsi, le Ministre se voit dans l’obligation de changer le nom de la loi, laquelle devient : « Loi pour la confiance dans la vie démocratique ». (On passe de la morale à la confiance, on descend d’un cran).
Donc le Ministre nous dit que la morale, c’est finalement, chacun la sienne, ce qui sous-entend, qu’on ne peut se référer à des règles de valeurs morales collectives.
Sur ce, je suis parti trois semaines à l’étranger où je n’ai lu que le journal local. Au retour (fin juin), j’ai acheté sur la route, le Canard enchaîné, et là, surprise, trois exclusions, dont celle du ministre qui voulait nettoyer « les écuries d’Augias », et on en pressentait  d’autres. Ce qui ne remet pas en question les qualités morales dudit Ministre, mais j’ai de suite pensé à la situation de l’arroseur arrosé, ou encore au risque boomerang. Le journal titrait : « Trois ministres au tapis en un mois » (Canard enchaîné du 21 juin 2017)
Nous avons là ce qui pourrait être un sujet de philo au bac :
Un homme politique doit-il être irréprochable ? Comme le préconisait le candidat Fillon lors de la primaire à droite,  « doit-il être un modèle d’intégrité ? »
« Est-ce une illusion de vouloir faire cohabiter morale et politique ? »
Finalement la loi sera édictée le 15 septembre 2017. Les journalistes, comme dans le Figaro, entre autres, continuent à parler de loi sur la moralisation de la vie politique alors que son intitulé reste : « Loi pour la confiance dans la vie politique ».
Pour des raisons que nous allons sûrement évoquer, la société française est en demande de plus de moralisation dans la vie publique, de plus d’exemplarité chez les hommes politiques, comme chez tous ceux qui détiennent de grands pouvoirs de décision.
Depuis 1988, nous avons eu 8 lois tendant à moraliser le monde politique, plus 12 décrets et c’est en cette année 2017 que cette demande a été relancée, alimentée par le chevalier blanc « Républicain », puis reprise à souhait par un nouveau mouvement politique, qui en a fait, qui en avait fait, un de ses grands chantier du quinquennat.
Je précise qu’il n’est nullement question dans mon propos de valider le « tous pourris » (Surtout pas).
Maintenant, et brièvement, pour s’assurer que nous que nous mettions bien la même chose sur les mêmes mots, voilà  les définitions et acceptions du mot, morale, et du mot conscience que je retiens particulièrement.
Celle d’André Comte-Sponville, pour morale: « Ensemble de nos devoirs, autrement dit des obligations ou des interdits que nous imposons à nous-mêmes, indépendamment de toute récompense ou sanction attendue, et même de toute espérance… » Des interdits que nous nous imposons, pas des interdits de lois, d’usage, de coutume.
Et la classique, mais si simple définition de Socrate : « Tout homme porte en soi les vérités morales, il n’a pas à les apprendre du dehors, il les découvre en réfléchissant sur la nature humaine ».
Quant à la conscience, je retiens cette partie de la définition du Grand Robert de la langue française: « …Connaissance intuitive par l’être humain de ce qui est le bien, de ce qui est le mal et qui le poussent à porter des jugements de valeur morale sur ses propres actes ».
Voilà en bref pour les définitions.
C’est vrai que « le mot morale fait peur ». (Plutôt Athènes que Sparte). La morale inclut une exigence qui ne souffre pas des compromis ou arrangements, lesquels seraient parfois machiavéliques, où la finalité permet qu’on s’écarte de la morale, ou, suivant l’expression nécessaire à la conduite politique des affaires, nous passons dans le camp réducteur de sa pensée « la fin justifie les moyens ».
Tout à fait opposé aux théories machiavélistes, Rousseau nous dit que (L’Emile §4) (je cite) « …ceux qui voudront traiter séparément la morale et la politique n’entendront jamais rien à aucune des deux »
Pour lui pas d’édifice social sans la morale.
Pour Rousseau « la morale découle de lois naturelles », de même que la légalité, qui, dit-il  n’est nullement garante de la morale. Un proverbe espagnol illustre bien ceci : « Echo la ley, echo la trampa », ou : à peine la loi édictée, le moyen de la contourner existe déjà.
Alors la question de fond reste : morale et politique sont-elles compatibles ?
A cette question les philosophes nous ont dit, chacun à leur façon, que la cohabitation de la morale et la politique était difficile, qu’il était difficile de les associer dans un même précepte, mais : « que les deux doivent absolument être réunies, et que l’idée du contraire serait absurde » (Kant)
Mais si la politique ne peut s’affranchir de la morale, elle n’est pas pour autant du domaine des purs idéalistes, elle le serait plutôt,  des réalistes.
C’est ce que nous disait Luc Ferry récemment dans une émission sur France-Culture : « Un très grand politique n’est pas forcément quelqu’un dont la morale est la boussole. Ce qu’on peut demander à un politique c’est la légalité, pas la morale ». L’homme politique se fixe un but, et pour y parvenir la route n’est pas forcément toute droite, la latitude lui est donnée (suivant le point de vue de Luc Ferry) d’adapter, soit entre pragmatisme et utilitarisme.
Ce point de vue validerait en quelque sorte l’idée que : La morale s’attache aux intentions, et que la politique s’attache aux résultats.
C’est aussi, parfois la real politik, terme employé aujourd’hui pour souligner l’abandon des principes éthiques, au profit de réalités économiques.
Dans le  film  de Frank Capra (Mrs Smith au Sénat),  un jeune sénateur pur, se retrouve dans un univers politique où les fils sont tenus par un magnat de la presse. Un sénateur, son aîné, voyant qu’il va dénoncer tout un circuit de corruption, lui tient ce propos : «  Ce monde est un monde brutal d’hommes, ce n’est pas votre place… C’est dur d’affronter la réalité, mais on contrôle ses idéaux avant d’entrer en politique comme on contrôle ses bretelles », et il poursuit : « Il y a trente ans j’avais vos idéaux…, j’ai choisi le compromis afin de servir le Sénat et le peuple de façon honnête. C’est ainsi que les états et les empires se sont faits depuis la nuit des temps »
Alors, si l’on ne retient du mot politique, que l’art de diriger, de parvenir au pouvoir et de le conserver, alors oui, la morale n’y a pas sa place, et l’on pourra se contenter des recommandations de Machiavel : « être habiles comme des serpents » tout en étant « aussi innocents qu’une colombe »
L’ex-ministre de la justice n’aurait pas eu à faire cette reculade, si la loi avait été initialement nommée « loi d’éthique en politique » ou quelque chose d’approchant.
Deleuze reprenait souvent cette formule : la morale c’est le bien et le mal, l’éthique, c’est le bon et le mauvais.
Quand je respecte  les règles d’usage, les lois de mon pays, je respecte les règles d’éthique.
Quand je respecte les règles de ma conscience, de la conscience collective d’un peuple, je respecte les règles morales.

 Débat

Débat :  ⇒ Ma première réflexion est dans ce « et » morale, et le « et » politique. Autrement dit, quels sont les liens entre morale et politique. En ce sens, je ne suis pas d’accord avec le ministre (François Bayrou) qui dit que « la morale est une question de conscience personnelle », et s’il nous faut connaître les liens entre morale et politique, il nous aussi connaître les liens entre morale et confiance.
Puis mes réflexions suivantes seront : comment distinguer éthique et morale ? Et aussi, comment distinguer, l’action politique de l’action politicienne ? Et, en ce sens je reprends ce qui a été dit en introduction, soit, la question de savoir s’il peut y avoir une politique morale ?
Déjà quant aux liens entre morale et politique, me vient en mémoire, « La controverse de Valladolid » en 1655, entre le dominicain Bartholomé de las casas et le théologien Juan Ginés Sepúlveda, pour savoir si les Amérindiens avaient une âme. C’est-à-dire, pour savoir s’il était moral de conquérir leurs terres et de les « esclavagiser ».
Et me reviennent en mémoire, des formules devenues langue courante de différents philosophes de l’action politique, comme Machiavel au 16ème siècle, « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais, entre le pire et le moindre mal ». Et puis la formule que tout le monde connaît : « La fin justifie les moyens » soit l’absence de scrupules moraux, l’éloge du  cynisme ; Oui ! Parce que son célèbre ouvrage, « Le Prince » est un manuel de conseil aux politiques pour prendre le pouvoir, et pour le conserver. Et donc par exemple, jusqu’à l’exécution brutale, cruelle et publique, pour décourager la contestation de l’autorité du prince ; la fin justifiant le moyen. Ce à quoi s’oppose Rousseau qui lui, avait un autre projet ; non pas, comment prendre et garder le pouvoir, mais comment élaborer un contrat social, qui élimine les inégalités entre les hommes, et c’est dans « L’Emile » qu’il écrit : « Ceux qui voudront traiter séparément morale et politique, n’entendrons jamais rien ni à l’une, ni à l’autre ».
Donc, toute théorie selon laquelle les moralistes abstraits, seraient au-dessus de la lutte des classes, ne prend pas en compte la réalité. « Le mensonge est immoral » a argumenté Kant. Parce que le mensonge n’est pas universalisable. Si tous les humains mentent, le mensonge n’a plus de sens. « Le mensonge est inhumain » nous dit Trotski, mais de même que la violence, le mensonge peut être nécessaire ; Que dirait-on d’un soldat qui ne cacherait rien à l’ennemi…
Enfin, autre référence, Sartre dans « Cahiers pour une morale » écrit qu’il veut une morale concrète, « Il n’y a pas de morale possible dans une situation immorale » écrit-il, et « Les moyens indiquent la fin ». Formule qui nous met face à un dilemme, et difficulté supplémentaire, la question étant de savoir qui décide, non seulement des moyens, mais aussi des fins de nos actions. S’agit-il d’individus charismatiques ? S’agit-il de partis ? S’agit-il de groupes d’influence ? Cela a été l’objet d’interrogations dans les débats de « nuit debout » en 2016. Et un film « L’assemblée » de Mariana Otero fait état de cela.
Donc la question des liens entre morale et politique est une question qui reçoit finalement plein de réponses. Je retiens particulièrement la réponse marxienne et sartrienne : « Les moyens indiquent la fin ».

⇒  Récemment, dans un débat sur ce même sujet, un philosophe exprimait l’idée que, selon lui, il ne devait y avoir aucun lien entre morale et politique. J’ai objecté que j’étais d’accord sur la forme, mais pas sur le fond. Sur la forme, il est évident que la morale est une action qui se dirige plutôt vers l’individu, la personne humaine. Et que la politique, au contraire concerne le groupe, les groupes sociaux.
C’est évident que la morale est universelle « Tu ne tueras point », ce qui peut se concevoir comme valeur universelle.
La politique au contraire est particulièrement concrète, ça dépend des conditions de la société. C’est une politique différente d’un pays africain à celle d’un pays européen, asiatique, ou, latino-américain. Ce sont des politiques concrètes qui répondent à de situations concrètes.
La morale fixe des limites morales, la politique concerne plutôt les moyens, les moyens pour une vision, un objectif social bien sûr.
Mais je reviens au fond. On ne peut séparer les deux concepts, au-delà des discours que l’on fera sur l’un et sur l’autre, car la vie réelle est riche, plus complexe que toute théorie.
Je reviens sur une décision politique, celle du gouvernement américain en 1945 ; alors que le Japon est à genoux, la décision est prise de lancer la bombe atomique, non pas sur des lieux qui étaient des centres militaires stratégiques, mais sur une population, en violation des règles, violation morale le plus atroce, un crime ! Lequel rejoint la shoah.
Donc je résume, la politique sans morale est, corruption, c’est dictature, c’est égoïsme, ou le mépris de toute règle morale.

⇒  Sans entrer dans les arcanes philosophiques sur ce sujet qui appelle au pragmatisme, je vois que nous sommes chaque jour confrontés à la morale dans la vie politique. Je crois que la morale peut être utilisée par la politique, comme une espèce de  paravent. Si la politique est un art, ce sont tout de même des hommes qui sont à l’exercice ; je prendrais comme exemple, les canons moraux comparés de l’Afrique ou de l’Europe. Les hommes qui viennent en politique en Afrique, y viennent pour faire de l’argent, pour acquérir une notoriété. A partir de là, la morale disparaît totalement de la vision politique. Dans mon pays, le Congo, une partie de la population est sous le joug d’un pouvoir absolu. Le vivre ensemble est déjà entaché d’immoralité, les moyens pour la fin ne visent pas qu’à gérer des hommes, ou lutter contre la faim, mais à se faire du « pognon ».
Et ici en France, le gouvernement a mis en place une loi de moralisation de la vie publique, mais ça reste un leurre.

⇒  A ce sujet morale et politique, j’aurais préféré : morale et capitalisme, ou, politique et capitalisme, car c’est ce dernier qui dicte la politique.
Nous en avons un exemple d’actualité, avec les cas Monsanto qui arrive à « acheter » des gens ayant pouvoir de décision. Il y a de nombreuses décisions qui tiennent d’abord du gain, tant pis pour l’avenir.

⇒  Moi, je suis plutôt de l’avis de Machiavel dans le sens où, quand il écrit « Le Prince », il fait une différence entre moralité et politique, car sa vision était comment construire un État. Il mettait en exergue que pour être un bon prince, il fallait à la fois, être bon, et être mauvais. Il rattachait la morale à la religion, en disant (en gros) que le prince devait faire semblant d’être assez pieux, de le laisser croire à ses sujets pour que ces derniers le suivent. Il se servait de la morale religieuse.
De la religion découle la morale, de la politique ne découle pas la morale.
Si l’on regarde nos sociétés d’aujourd’hui, ce qui les a amenées là, on se rend compte que la plupart de ceux qui font de la politique, se sont détachés de la morale, sinon on n’aurait pas notre civilisation telle qu’elle est. En gros l’État n’a pas besoin de morale pour exister, et à partir de là, on peut l’en détacher.
Aujourd’hui, on parle de morale dans la politique, parce qu’il y a des gens qui fraudent… Mais si l’on regarde bien la morale, elle a été abandonnée. En laissant la morale de côté, on obtient certains progrès, je pense. Et aujourd’hui, même dans le domaine juridique par exemple, on se rend compte que les juges vont faire extrêmement attention, entre la morale et la loi, et ne pas tomber dans cette moralité qui pourrait biaiser le jugement. De même que cela pourrait biaiser une politique à mettre en place.

⇒  Je voudrais comprendre comment la morale peut être uniquement une affaire individuelle. Je ne vois pas comment on peut être dans une société sans se poser la question sur les valeurs morales de cette société. On est bien obligés de respecter les règles morales de la société, on ne peut pas se comporter en être asocial. Je veux bien qu’on dise qu’on puisse s’affranchir de la morale ; moi, je ne sais pas faire ça. S’affranchir de la morale, ça donne peut-être ce qu’on voit aujourd’hui, et je ne suis pas sûre qu’on y ait gagné en liberté. Je vois plutôt une société en train de se dégrader.

⇒  Je m’interroge quant à l’origine de la morale et peut–on la dater ? Je pense qu’elle vient des religions monothéistes qui avaient un message universaliste, et une volonté de définir des règles. Ceci dit, le système actuel, que nous subissons, a toujours existé, que ce soit sous les monarchies ou tout autre système. Depuis le néolithique, il y a toujours des divisions de classe, des exploitations immorales de l’individu.

⇒  Malheureusement, l’actualité met trop en avant des hommes politiques qui ont failli, alors que la majorité est « dans les clous ». Ces élus, ce sont des gens qui ont adhéré à des idéaux, qui ont adhéré à un parti. Ce qu’ils veulent c’est servir la société pour le bien public. On voit qu’il y a une majorité de ceux-ci qui ont une moralité qu’ils mettent en pratique dans leurs mandats ; on en a des exemples dans nos communes.
Et on a évoqué moralité et légalité, on ne peut pas les opposer. La légalité ressort du politique puisqu’elle découle de la loi. La loi au départ est basée sur la 1ère Constitution de 1789 avec les idéaux de la Révolution, et avec les droits de l’homme et du citoyen. Donc, il y a un substrat de morale dans la politique par les espoirs qu’on avait mis dans la Révolution, peut-être des utopies pour certains. Une loi reste morale, même si elle est modifiée comme la récente loi sur le travail. Là c’est : tu ne dois pas dire, – tu dois, ou, – tu ne dois pas le faire. La politique, c’est, il faut faire, il faut agir.

⇒  La politique s’occupe des lois, donc de légalité, et là il ne peut pas y avoir de morale. Je prends un exemple, l’ISF, c’est moral, ou ce n’est pas moral qu’on le supprime ? Certains vous diront c’est absolument immoral. On ne peur pas parler de morale dès qu’on parle de la loi.
Et, je ne crois pas comme l’a dit François Bayrou, que la morale est quelque chose de totalement personnel, parce que la morale est issue d’un consensus sociétal. La morale a toujours existé, et bien avant les monothéistes. Toute société a un besoin de s’organiser, ceci avant le juridique. Donc s’est établi ce qu’on avait le droit de faire et de ne pas faire, d’ailleurs dans les hiéroglyphes en Égypte, on trouve déjà des préceptes moraux comme dans les fables d’Ésope ; on y dit ce qui est bien, ce qui est mal.
A partir du moment où il y a une société, il y a une morale qui se met en place.
Et je reviens sur cette décision politique de lâcher la bombe atomique. Initialement, elle devait être lâchée sur Kyoto, mais « on ne va pas détruire un potentiel intellectuel » aurait dit le Président des USA, « bombardez Hiroshima, là-bas ce sont des paysans ». Décision politique immorale ; mais en temps de guerre, il n’y a pas de morale ; la fin justifie les moyens.

⇒  Je ne suis pas un idéologue, je ne défendrai pas un dogme, car en politique nous sommes d’abord devant une éthique de responsabilité. En politique, nous évoluons entre :
A) Éthique de conviction, où mes décisions se plient à mon idéal politique, à un dogme.
B) Éthique de responsabilité, où la finalité de mon action comme objectif, définit les moyens, les actions. Les conséquences sont imputables à ma propre action.
Ce sont des aspects incontournables pour tout homme politique.
De ce combat entre éthique de responsabilité, et éthique de conviction, nous avons un exemple dans l’Histoire. Dans les années 30 Hitler va envahir les Sudètes, l’Autriche. En France, les pacifistes au nom de la paix, valeur universelle et première, s’opposent à ce qu’on lui déclare la guerre. Pendant ce temps il arme son pays, puis envahit la Pologne, et là l’éthique de responsabilité s’impose enfin, on lui déclare la guerre (un peu tard).
Alors ne s’en tenir qu’à la morale ne me semble pas toujours possible, ce qui n’évacue pas pour autant toute morale dans la politique. Envisager toutes les conséquences, la finalité d’un acte politique est aussi une action morale.
Parfois on peut avoir raison avec Sartre.
Parfois on peut avoir raison avec Aron.
Et je reviens sur une intervention dans laquelle a été dit que les hommes politiques s’étaient détachés de la morale, et qu’on ne pouvait pas faire de la politique en s’en tenant à la morale. Soit ! Mais si ce soir si nous avons eu ce débat, c’est parce que des hommes politiques défendant ce même principe, ont eux-mêmes amené ce sujet dans l’actualité, l’on « mis sur le tapis » lors de la dernière campagne électorale. On en débat, mais « ce sont eux qui ont commencé ! »
Et je voudrais argumenter, en disant que je continue à penser que morale et politique sont intimement liées. Je ne me résigne pas à cette séparation. Et si morale et politique n’ont rien à voir, alors ! Pourquoi le « Pénélope gate » ? Pourquoi tout ce battage ? Pourquoi la démission de trois ministres en quelques semaines ? Et si il n’y a pas de conscience morale collective, alors on risque de tomber dans la banalité du bien et du mal, on risque d’avaliser les propos qui disaient que la shoah était « un détail de l’histoire ».
Et je dirais maintenant, qu’on en vienne à édicter une loi pour la confiance dans une représentation démocratiquement élue, m’interroge ! Ces élus ont fait campagne. Comme moi, vous avez pu les entendre lorsqu’ils présentaient ce que l’on nomme leur « profession de foi ». Leur élection est déjà un « contrat de confiance ». Et ça ne suffirait pas !
Il me semble voir dans cette démarche, un des signes d’une crise démocratique, démarche qui révèle un substitut devant une incapacité pour des élus au niveau national de mettre en œuvre les promesses qu’ils ont fait ; devant l’impuissance publique.
Et enfin, question subsidiaire : la confiance sans la morale, est-elle possible ?

⇒   Je reviens sur le propos qui nous dit que les hommes politiques se sont détachés de la morale, oui ! Parce que ce sont des politiciens, et il faut distinguer homme politique, et homme politicien.
Et en ce sens, effectivement on peut reprendre le propos de Machiavel précisant que pour conserver le pouvoir, la fin justifie les moyens, et que ceux qui veulent prendre et garder le pouvoir, ne se préoccupent ni du bien ni du mal. Cela oblige, comme déjà dit de distinguer éthique et morale, et aussi se poser la question de savoir si la morale a existé de tout temps dans les sociétés. Il y a là-dessus pas mal d’études, en particulier, celle de Durkheim, qui a mis en évidence le fait que dans toute société, et pas seulement dans des sociétés religieuses, mêmes dans les sociétés primitives, il y a eu des règles du vivre ensemble, c’est ce qu’on appelle, la morale.
On a dit : « la morale ce n’est pas la légalité ». Et bien oui ! Mais on peut se poser la question de savoir si toutes les lois qui aujourd’hui sont mises en place sont toutes morales. Si elles étaient morales sous Hitler, sous Pol Pot. Si les lois sont morales avec Trump, avec Macron.
Pour dire que c’est moral, il faut que ce soit valable pour tous.
Et je reviens sur morale et éthique. C’est le philosophe Paul Ricœur qui m’a enseigné de façon plus précise la distinction dans son ouvrage « Soi-même comme un autre » ; il y a bien une distinction entre morale et éthique, selon que l’on met l’accent sur ce qui est estimé bon, bon pour moi, ou ce qui s’impose comme obligatoirement, bon pour tous. Alors au-delà de cette distinction, on va dire, oui ! ça c’est de la philo, à quoi ça nous mène ? Et bien on le retrouve dans l’actualité des débats dits sociétaux. Je prends deux exemples : celui du droit à la PMA (procréation médicalement assisté), et la GPA, (gestation pour autrui)
Le 15 juin 2017, le Conseil Consultatif national d’Ethique avoue son inquiétude devant l’expansion rapide du marché des mères porteuses. Donc l’argument, c’est que le droit au respect de la vie privée, exige que chacun puisse établir les détails et la substance de son identité d’Etre humain, y compris sa filiation. Mais cela est contradictoire avec le fait d’un contrat financier qui fait de l’enfant une chose, un objet produit. Mais le 5 juillet, la Cour de cassation décide que les parents, hétérosexuels comme homosexuels, ayant recours aux mères porteuses, peuvent être parents d’enfants nés à l’étranger, enfants d’une femme qui l’a porté et qui a été payée pour cela. Donc la loi qui s’oppose à la réification, à la chosification de l’enfant et l’exploitation de la femme,  est contournée au profit de désirs de certains adultes.
Et bien, je trouve que nous sommes victimes consentantes de cet affaiblissement de la loi, parce que nous sommes individualistes, et que nous confondons le désir individuel et l’affirmation d’une éthique personnelle, au lieu de chercher une morale humaine.

⇒  Il n’y pas de société sans morale, et je ne crois pas que la morale soit une question de religion, c’est une affaire de vie en commun, de droits civils et politiques.
On a parlé de guerre et de morale. Ça n’a pas de sens ! C’est en temps de paix qu’il faut de la morale, et la référence reste la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui préconise plus de justice morale, humaine pour tous les humains. La morale est sociétale.

⇒  S’il n’y avait pas eu l’affaire Fillon, je ne crois pas qu’on aurait eu tout ce battage. Et l’affaire Fillon, ce sont les journaux, c’est nous, qui avons amené ce nouveau gouvernement à faire cette loi. Laquelle loi n’a rien changé, un élu ne peut plus employer sa femme, mais peut employer son neveu.., et on n’a rien enlevé sur l’influence des lobbies. Malgré tout, même si les politiques sont là pour se reproduire, et chercher comment durer, comme le préconisait Machiavel, (le prince qui ne dure pas est un mauvais prince), la responsabilité morale nous dit que le reste de la société peut avoir des influences, et il ne faut pas s’en priver.

⇒ La morale est propre à chaque pays. En France le « lancer de nains » a été interdit sur le principe de la dignité et non de la morale. Alors que si l’on compare avec les États-Unis, chez eux c’est autorisé. Il y a des principes reconnus par la loi, d’autres reconnus par la morale.
Dans des sociétés, quand les lois n’existaient pas encore, des règles de morale ont encadré ces sociétés, ce n’était le fait de la religion. Clovis chef barbare, n’avait pas de morale, il s’est converti à une religion dont il a adopté la morale. Mais s’il n’avait pas auparavant de morale, il était quand même le chef d’une société.
Je pense qu’il faut faire attention entre morale et loi. Et il convient de bien les distinguer, car on a vu des lois immorales sous le régime nazi.

⇒  La morale ne nous est pas donnée comme ça, c’est quelque chose qu’on acquiert en grandissant, en fonction d’un milieu, à partir de l’individualité. Il faut tenir compte de la diversité, des catégories sociales qui suivant leurs propres intérêts établissent leurs valeurs morales.

⇒  Il y a une conscience morale individuelle oui, mais il y a aussi une morale collective prise en charge par l’État, c’est l’enseignement du civisme et la morale à l’école.
Les hommes politiques nous demandent d’être moraux, alors pourquoi eux, ne le seraient-ils pas ?

⇒ Il y a eu des théories philosophiques et économiques à la fois, dont celles des Utilitaristes, comme Jeremy Bentham, pour qui la finalité en politique était le bonheur ; le bonheur pour le plus grand nombre  d’individus,  dût-on pour cela en sacrifier quelques-uns.
Là encore, la fin justifie les moyens. Celui-ci aujourd’hui vous dirait sûrement que la bombe atomique a été « un mal pour un bien », car c’est « grâce » à ce grand carnage qu’on a pris conscience du danger extrême d’une guerre nucléaire et que cela a écarté ce grand danger depuis Hiroshima.
Je reviens sur la représentation politique et les obligations morales qui y sont liées.
Je pense par exemple à l’ex-Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso qui comme d’autres est aller travailler dans le secteur de la banque, en l’occurrence pour Barroso,  dans une officine  qui juge et note les finances des pays d’Europe.
Qui imagine le général de Gaulle après ses mandats de Président de la République allant travailler dans un organisme financier ? Ou aller « pantoufler » dans une grande société, ou monter un cabinet conseil ? Et (pour la petite histoire) on se rappelle que ce dernier,  arrivant à l’Elysée, a aussitôt fait installer un compteur électrique afin de régler lui-même sa propre consommation d’électricité.
Ces dernières années nous avons vécu des évènements qui ont particulièrement terni l’image de nos représentants politiques, de situations impensables il y a un demi-siècle.
Je pense aux deux Présidents de la République mis en examen. Je pense à Mr Cahuzac se parjurant devant l’assemblée Nationale. Je pense aussi aux réactions des gouvernements démocratiques, dont le nôtre, face aux lanceurs d’alerte.
Par ailleurs, pour souligner que conscience collective et conscience personnelle ne peuvent être totalement dissociées, même au-delà des oppositions : les vives discussions en 1975, sur la loi Veil prouvent que la morale, même si chacun se l’aménage un tant soit peu, que cette dernière a place dans le débat public.
Simone Veil avait présenté son projet de loi « pour la santé publique » (Ceci dira-t-elle, par prudence). Elle abordait en fait un problème moral qui touchait tous les Français, toutes les Françaises en premier lieu, et ceci au-delà des catégories sociales. Alors, conscience collective et conscience des élus, (conscience personnelle) étaient interrogées tout à la fois ; alors, la morale n’était pas qu’affaire de conscience personnelle. Ce fut également le fait d’une conscience collective qui a fait évoluer la société dans d’autres domaines, je pense aux lois contre le racisme, je pense aux lois contre l’homophobie.

⇒  Des lois établissant la discrimination positive peuvent sembler sortir de la morale, mais c’est rétablir plus d’égalité pour des enfants défavorisés, leur permettre d’accéder à des études supérieures.cela ne constitue pas un privilège ; c’est dans le sens de plus de justice sociale.
Et je reviens sur une action politique et politicienne. Aujourd’hui on parle beaucoup d’islamophobie, et dans ce sens j’ai vu un spectacle de Charb, (dessinateur qui est mort dans la tuerie de Charlie-Hebdo). Le spectacle s’appelle : «  Lettre aux escrocs de l’Islamophobie qui font le jeu des racistes ». Il dit tout simplement que l’usage du mot islamophobie est maintenant utilisé pour stigmatiser comme raciste toute critique des islamistes. C’est là une escroquerie, qui fait passer une idéologie totalitaire, le wahhabisme pour la totalité de l’islam. Et pour interdire de la combattre, au nom de l’antiracisme, et pour induire que la laïcité de l’État peut être un racisme persécutant les musulmans.
Cette escroquerie a amené certaines forces traditionnelles de gauche jusqu’à accueillir dans leur rang des militants autoproclamés, « raisinés », prônant la haine des femmes libres, de la République, et de l’esprit des Lumières
L’action politique qui vise des idéaux, qui vise un projet de société morale, pour tous, est alors ramené tout simplement à des calculs politiciens, à des objectifs électoraux, locaux ou nationaux.
Donc l’action politicienne, illustrée dans ce cas, ne se pose pas la question : qu’est-ce qui est moral ? Qu’est-ce qui valable pour tous ?

⇒ Nous n’étions pas dans ce débat pour faire le procès de nos élus. Bien sûr ! Ni de
quelque parti que ce soit. Je voudrais résumer ma pensée, ma réflexion, avec une formule dans l’esprit de Rousseau : Si j’aliène ma liberté naturelle pour contracter avec les autres (c’est le contrat social), j’entends m’associer avec des personnes ayant comme moi des valeurs morales. J’aurais du mal à m’associer à des personnes ayant  des valeurs morales à dimension très variable, ou n’en ayant pas. Quand je dois faire mon devoir de citoyen, je prends cela en considération.
Et enfin, je dirai que : si nos valeurs n’ont pas de valeur morale, alors, elles n’ont aucune valeur.

⇒  Texte d’Hervé : La morale pure c’est la paix. Elle est la vertu de la philosophie. Mais il est inconcevable que la vertu, puisse naître, se maintenir, et porter ses fruits dans une âme obscure et troublée.
Il est inconcevable que la vertu porte le désordre dans le milieu où elle s’exerce.  La racine de la morale est dans la conscience. Toute conscience est implicitement morale. « Travaillons à bien penser » dit Pascal, voilà le principe de la morale.
La raison ayant pour rôle principal comme dit Descartes, qu’apprécier les biens et les maux donne nécessairement une règle à notre conduite. Jean-Jacques Rousseau, même, a pu soutenir que la conscience est juge infaillible du bien et du mal. Toute pensée est espoir de dialogue et d’accord.

N.B. Nous avons souvent abordé des sujets relevant tant de la loi, de l’éthique que de la morale. Dans ce sens on peut vous recommander l’ouvrage de Michael Sandel (Philosophe états-unien) « Justice » où il aborde, entre autre les thèmes de GPA, de discrimination positive, etc

Référence, ouvrages cités.

L’Emile. Jean-Jacques Rousseau. Poche
Le Prince. Machiavel. Poche
Soi-même comme un autre. Paul Ricœur. Poche
Justice. Michael Sandel. 2016. Albin Michel.

Journal : Le canard enchaîné. N° 5043. 21 juin 2017

Emission. La politique est-elle un métier ? (Les chemins de la philosophie) France-Culture.  5 juin 2017 (Encore en Podcast)

Film. Mister Smith au sénat. De Frank Capra 1938
Film. L’assemblée, de Mariana Otera. 2016

Spectacle, de Charb: Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes.
(Présenté au  théâtre d’Alep à Ivry S/Seine)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Identité personnelle, identité collective

Restitution du débat du  27 septembre  2017 à Chevilly-Larue

 

Marie Laurençin. Apollinaire et ses amis. 1908. Musée de Baltimore.

Marie Laurencin. Apollinaire et ses amis. 1908. Musée de Baltimore.

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Vautrin.
Introduction : Guy Pannetier

Introduction: Nous sommes tous différents, et à la fois, nous sommes tous semblables. Avec toutes ses caractéristiques, notre identité constitue un caractère unique. Nous ne sommes pas des cellules dupliquées.
Qu’il s’agisse, de vous, qu’il s’agisse de moi, nous n’avons pas, parmi les milliards d’individus sur la terre, notre double ; porterait-il, porterait-elle, le même nom, le même prénom, il n’y pas deux ADN identiques
Alors, aborder dans un même débat identité personnelle et identité collective pourrait donner le sentiment a priori, qu’on aborde là deux sujets distincts, alors que les deux me semblent  inévitablement liés. Mais, même s’ils sont liés, on ne met pas la même chose dans ce terme d’identité collective.
Si mon identité m’appartient, si elle est aussi ma construction, elle ne peut se dissocier du groupe auquel j’appartiens, « Seul, je suis un primate » nous disait Albert Jacquart.
Donc entre identité personnelle, et identité collective, quels liens ? C’est la principale question de ce débat.
Si je devais tenter de définir les  fondements de la notion d’identité, j’énoncerais :

1°L’existence physique matérielle et les particularités physiques; une identité juridique avec les  éléments qui vont constituer notre carte d’identité nationale, un curriculum vitae, et divers documents administratifs.
2° Le tempérament, les spécificités d’un individu, soit notre identité morale, ce que nous sommes intrinsèquement, notre tempérament, notre singularité d’individu, et ce que nous pensons être en notre for intérieur, ce qui s’avère être aussi une identité subjective.
3° L’appartenance culturelle, l’héritage familiale, et communautaire.
4° L’appartenance à une ethnie, un clan, une  caste.., etc.
5° La reconnaissance de l’appartenance à un récit, tels le peuple juif, le peuple arménien, le peuple kurde…..
6° L’appartenance à une époque : génération d’avant, génération mai 68, génération 2.0
7° L’appartenance par origine à un lieu de vie, voire l’attachement à une région, à une nationalité, à une langue.
8° L’appartenance à une religion, à une confrérie, à un groupe culturel : rotary club, ou loge maçonnique, ou encore un  groupe sportif,
9° L’appartenance  à une activité, une profession : le monde du spectacle, le monde du sport, le monde médical, de la magistrature, de l’armée, etc.
10° L’appartenance à un univers social : soit l’identité sociale ou, d’une part la personne qui se montre aux autres, par convention, pour l’estime que l’on en retire, et, en même temps, la position sociale que nous occupons dans la société. Cette appartenance sociale est à ce point importante que parfois des chômeurs ayant perdu leur emploi peuvent avoir le sentiment d’une perte d’identité sociale, avoir le sentiment d’être exclus du monde du travail.
11° L’appartenance à un groupe ciblé de consommateurs, ou notre identification cataloguée par Google et autres organismes, nous place dans un groupe, une autre construction identitaire.
12° L’appartenance aujourd’hui à un réseau sur Internet : Notre identité peut être d’ordre numérique, notre identité s’affiche sur un « mur » en partage avec des centaines d’amis, de « followers » ; cette identité va aussi muter sur les réseaux sociaux où les individus s’identifient par alias. Pour certaines personnes cette identité virtuelle est un complément d’identité. Notre identité numérique est désormais enregistrée, stockée en yottabits

Notre identité est donc une identité de faits, de multiples aléas, un agrégat de situations.
Autrement dit : « Je suis moi et mes circonstances ».
   Alors, avant de voir les liens et interactions entre identité individuelle et identité collective, comment concevoir son identité individuelle ? En dehors du « connais-toi, toi-même », cette identité, représentation de soi, est inévitablement pour partie subjective, subjective entre ce que je pense être, et ce que je suis réellement.
Mon identité primitive est la base de la personnalité qui va se créer tout au long de la vie, avec ses traits identitaires acquis par mimétisme.
J’ai cherché à trouver les différences entre identité et personnalité. Il y a effet miroir, et les définitions parfois s’appliquent aux deux termes.
La personnalité a ses racines dans le mot « persona » qui en latin, désigne un masque ; « le masque à travers lequel (per) l’acteur fait retentir (sonat) son rôle ».
Ce qui ne veut pas pour autant dire que nous porterions tous un masque, qu’on ne montrerait qu’un personnage, que l’on serait comme dans un rôle.
Dans un ouvrage « Traité de la nature humaine », chapitre l’identité personnelle, du philosophe anglais David Hume, celui-ci évoque la notion de vacuité du moi, c’est-à-dire que notre identité n’est que construction de l’esprit, car nous ne sommes jamais le même homme, ou la même femme.  Que l’individu : « …traverse toute sa vie avec une identité, alors que nous ne sommes « nous » que par instants, par périodes, des périodes de notre vie ». Il évoque déjà ces « transformations silencieuses » du moi, de ce « moi diaporama », de ce moi évolutif.
Dans ce même sens, je dirai que j’ai tellement changé depuis l’adolescence, que je suis presque un autre, je suis un peu comme une voiture dont on aurait changé toutes les pièces, une à une, au cours des années, donc, le même et pas le même. Sûr que l’adolescent que je fus serait surpris de rencontrer celui qu’il est devenu.
Et toujours dans ce même ordre d’idées, dans son roman « Rue des voleurs » l’écrivain Mathias Enard, illustre cette situation : «  …jamais je ne pourrai retrouver celui que j’étais avant [….] la vie a passé depuis [….] la conscience a fait son chemin, et avec elle l’identité – je suis ce que j’ai lu, je suis ce que j’ai vu, j’ai en moi autant d’arabe que d’espagnol et de français, je me suis multiplié dans ces miroirs jusqu’à me perdre ou me construire, image fragile, image en mouvement…»
Alors pour conclure cette introduction, je dirai : si, « Je, est un autre » comme nous l’a dit le poète, en vérité : « je »,  ne cesse jamais d’être un autre. 


Débat

 

⇒ Si on est toujours confronté à un même milieu, je prends l’exemple d’une fratrie, à un moment donné, voire même assez vite, il y aura des identités, des personnalités différentes.

⇒ L’identité collective n’empêche en rien le développement d’une identité plus particulière, identique n’est pas au sens de « pareil ».

⇒ Le piège dans la langue française est qu’identité veut dire pareil (identique), ou alors, différent.

⇒ Un journaliste algérien relatant sa vie, explique que celle-ci commence à Sétif en 1954 (date et lieu qui reste dans la mémoire : début du conflit algérien). Aujourd’hui lorsqu’on me demande de remplir un document officiel, dit-il : je suis Français, je suis Algérien, je suis Franco-Algérien ?

⇒ Bergson, à propos de l’évolution créatrice, dit : « Dans notre identité, il y a, à la fois, une unité multiple, et une multiplicité « une ».
Bien sûr, une identité évolue, d’abord personnelle depuis l’enfance où l’on ne cesse de copier. Dans tous les aspects d’une identité, est-il possible de s’en inventer une autre ? Cela pourra-t-il se réaliser par clonage ? Et est-ce qu’un clone serait identique en tous points ?

⇒  Quand on a des enfants, on prend très vite conscience qu’ils ont chacun au départ une personnalité différente. Il y a quelque chose qui appartient intrinsèquement à l’individu depuis le départ. S’agit-il d’un héritage génétique ?
Et par ailleurs, quand on rencontre quelqu’un que l’on n’a pas vu depuis une quinzaine d’années, à certains propos, comportements, on se dit : « ah, c’est bien toi ! Ta réaction ne m’étonne pas ».  Il y a une constance, comme une essence de la personne.

⇒  Nous abordons, tempérament et caractère. Et mon sentiment est que : le caractère est une formation identitaire, par les acquis, l’éducation, et que le tempérament est ce « nous » intrinsèque, avec des caractéristiques de nature : affable, gentil, coléreux, curieux, stoïque, etc… Ce que toute éducation ne saurait modifier profondément.  On utilise souvent ces deux termes, tempérament et caractère, de façon indifférente.

⇔  Nous avons évoqué le clone, mais plus couramment nous avons les jumeaux, vrais ou faux jumeaux. On les habille pareil, tout petits, même nourriture, même éducation, ils reçoivent tout à l’identique, et hors l’aspect physique, avec les années l’identité personnelle sera marquante.

⇒  La racine d’identité est la même au départ. Au Moyen-Âge, « identité » est égal à « similitude », et puis le mot prendra une autre acception.
Reste cette question, qu’est-ce qui est permanent ? Qu’est-ce qui bouge ? Et comment reste-t-on soi-même ?
Quant à l’identité collective, cela rejoint : qu’est-ce qui fait qu’on se sent d’une communauté ? Ceci dans tous les domaines qui peuvent rassembler. Comment faire groupe et ne pas perdre son identité ? Cela nous rappelle que l’individu peut ne pas être pareil, « identique » dans le groupe, ou hors du groupe. Les foules par exemple peuvent tuer l’identité.

⇒  Plus on élargit nos connaissances intellectuelles par les personnes rencontrées, plus on apporte à notre identité, plus on échange, plus on peut se confronter à des idées différentes, plus on pourra sortir d’une identité statique, qui est presque toujours un manque de personnalité.

⇒  Nous nous construisons par mimétisme, mais un excès de mimétisme peut aussi ne pas faire croître sa propre identité. Il faut pouvoir sortit du désir mimétique.

⇒  Adolescent, j’ai puisé chez deux adultes (très différents) des traits de personnalité ; ceci chez l’un, ceci chez l’autre. Il y a un peu d’eux en moi, dans mon identité.

⇒  Nous avons des cellules miroir, consciemment, inconsciemment on mime, c’est aussi un  comportement de primate.

⇒  L’identité d’une personne n’est pas une étiquette où chacun pourra lire la même chose. Dans « identité » nous avons  « identique » ; suis-je identique à la description que je ferais de moi, suis-je identique à la description que d’autres feraient de moi ?
Nous sommes semblables, disais-je,  et nous sommes différents
Lorsque je dis cela, je pense inévitablement à ceux ou celles qui veulent se construire une identité, une personnalité, à partir d’une ou des différences.
Je pense à ceux qui d’une façon ostentatoire affichent une différence.
Ce sera pour certain de s’habiller d’une façon en-dehors de tous les codes vestimentaires, d’une façon parfois extravagante. Ce sera par exemple des cheveux verts ou bleus, voire certains percings, certains tatouages, tout cela pour se différencier, se donner une personnalité spécifique (peut-être pour palier un manque de personnalité). Et à l’inverse, je me pose la question de la dilution de la personnalité, comme dans une tenue vestimentaire, religieuse ou communautaire qui différencie sans différencier, créant l’anonymat (terme qui est le contraire d’identité).
Je m’explique : je pense à  la femme qui se voile, qui cache sévèrement son corps. Celle-ci se trouve d’une certaine façon, non identifiable.
Mon propos s’attache à des jugements de faits, et non jugements de valeur.  Je ne remets pas en question la liberté de se vêtir de telle ou telle façon. De même, la tenue vestimentaire quand tous suivent une mode, identifie et rend plus anonyme tout à la fois.

La question d’identité traverse particulièrement nos sociétés occidentales.
Il y a depuis quelques décennies des personnes bien avisées, qui donnent dans ce que j’appellerais un « humanisme de façade », et si vous êtes, homme – de plus de quarante ans – » blanc » et de plus hétérosexuel, vous êtes suspect d’être : macho, raciste, homophobe. Ces mêmes personnes souvent prônent l’indifférenciation sexuelle, soit une identité neutre.
Dans ce sens, aujourd’hui des lobbies réclament la possibilité d’inscrire cette neutralité sexuelle sur la carte d’identité, où, en lieu et place de sexe : masculin ou féminin, il serait inscrit : né homme, née femme, ce qui laisserait peut-être la latitude de définir ensuite le genre dont on se réclame.
Ce sujet d’identité sexuelle a été mis en avant lors de la dernière mandature présidentielle. Grand battage médiatique autour de ce sujet qui occultait l’incapacité d’agir sur des problèmes plus sérieux.
L’identité collective enferme l’identité personnelle. Les gens aujourd’hui peuvent plus facilement afficher leur identité, la société est plus ouverte aux différences. Il y a cinquante ans, aucun homme politique n’aurait osé avouer son homosexualité ; c’était toléré, presque naturel; si l’on était artiste, couturier, antiquaire… (Toujours les schémas identitaires).  Au-delà il fallait sauver les apparences, garder le masque. Ce sera Gide qui va oser « sortir du placard » avec son  œuvre «  si le grain ne meurt »… Mais le diktat identitaire ne disparaît jamais totalement, ainsi, par exemple, la quasi obligation dans certains quartiers pour une femme de porter le voile, est comme un diktat de l’identité collective.

⇒   Le désir d’uniformité peut découler d’un désir de ne pas se faire remarquer, et parfois sortir du schéma identitaire peut amener des difficultés. Ainsi pour prendre un exemple local, la peintre Rosa Bonheur, qui avait acheté ici dans la ville un hangar pour peindre ses œuvres de grande taille, avait dû demander une autorisation pour porter le pantalon, ce qui était plus pratique que la robe pour aller dans les abattoirs où elle faisait des croquis. Ainsi, elle a été avec Georges Sand parmi les premières femmes à sortir du marquage vestimentaire.

⇒  Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont se forme cette personnalité ? Qu’est-ce qui me distingue réellement des autres ? Qu’est-ce qui ne me distingue pas ? Et sur quoi repose finalement ce sentiment d’identité ? C’est d’un certain côté passionnant ; qu’est-ce qui nous rattache au nourrisson qu’on a été ? Qu’est-ce qui fait qu’on se réveille le matin, persuadé qu’on est bien celui qui s’est endormi la veille ? Cela m’interroge, comme cela déjà intéressait Locke pour qui notre identité est un corps, une histoire.
Et l’on a évoqué la question d’identité d’un éventuel clone ; ce qui nous rappelle que des laboratoires de neuroscience dans la Silicon Valley, travaillent à des systèmes humanoïdes en cherchant à transférer des esprits dans un programme. Le jour où l’on aura copié mon cerveau dans un disque dur, le disque dur, le programme, se demandera peut-être : « qui suis-je ? »

⇒  Notre identité est une richesse, richesse de la différence. Rendez-vous compte de toutes ces infinies caractéristiques, pas deux êtres pareils avons-nous dit. Comment la nature peut-elle faire une chose aussi extraordinaire ? Et nous avons évoqué la perte des états antérieurs, oui ! Mais tout n’est pas définitivement évacué, et nous n’oublions jamais l’enfant qui est en nous ; c’est le noyau sur lequel on s’est construit, une permanence dans le changement.

⇒  On se construit sur la différence avec les autres. Je recherche davantage des gens qui ont d’autres idées que les miennes.

⇒  Si on transférait la totalité d’une identité humaine à un système, à une machine, celle-ci deviendrait folle car nous sommes tellement divers en nous, être aux mille facettes, avec toutes nos contradictions, nos paradoxes, qu’elle ne pourrait s’y retrouver dans cette identité. On aime une chose aujourd’hui, on la déteste demain, c’est une infinie richesse d’élaborations possibles qui ne peuvent être modélisées. Cette identité est une somme d’incohérences que seul un humain peut gérer.
Notre identité est divisible indéfiniment, et opposable indéfiniment.

⇒  Se réclamer d’une identité collective, est dans un certain mode de pensée, souvent nommer « gaucho-intello-bobo » et très mal vu ; nous n’avons, vous diront-ils qu’une identité universelle. Mais il me semble que faire la promotion de ce fameux citoyen universel c’est aller vers nos pertes d’identité. On devient consommateurs standards, alors semblables, comme ces produits de grande consommation qu’on retrouve de Singapour à Toronto. De l’uniformité naît l’ennui.
Le philosophe Alain Finkielkraut dans son ouvrage, « L’identité malheureuse », reprend ce besoin d’identité, (je le cite) : « Dès le 12ème siècle la France rurale commence à migrer vers les villes. Ces premières villes n’offrent aucune structure pour créer du lien entre les habitants. Les nouveaux arrivants se sentent déracinés, ils ajoutent souvent à leur nom, celui de leur village, de leur lieu d’origine, ils ajoutent leur profession : boulanger, charbonnier, charpentier….C’est là, déjà,  un besoin d’identité, d’appartenance à un groupe. L’individu même si l’on vante le citoyen du monde a du mal à être le citoyen de nulle part. Mais cette notion d’être de quelque part, d’avoir des attaches culturelles et géographiques, qu’on retrouve dans cette définition maternelle de patrie, a tellement été dévoyée, qu’on ose à peine aujourd’hui l’employer ».
   Lorsqu’on évoque une identité française, le terme est parfois classé comme suspect. Une bien pensance, « intello-gaucho-bobo »  (la même déjà citée) vous dirait que se réclamer d’une identité française serait une attaque contre l’immigré.
L’identité collective, une identité nationale se construit en raison d’une langue, d’une histoire, d’un pays, d’un Etat (je n’utiliserai pas, par précaution de langage, le mot, nation). Nous sommes identifiés, nous autres Français, comme enfants de Voltaire, avec un esprit critique, un esprit de révolte, un attachement farouche à la liberté d’expression, à la liberté philosophique et religieuse, à la liberté sexuelle, ce qui n’est pas le fait de tous les pays. « …nous appartenions » dit Michel Serres dans son ouvrage, « Petite Poucette » « à des régions, [……] des cultures, rurales, ou urbaines, (Nous appartenons à) un sexe, un patois, un parti, la Patrie, etc […], ces collectifs ont peu à peu, à peu près tous explosé  Ceux qui restent s’effilochent.»                                                
L’identité, son identité, peut être une question qu’on ne se pose pas, mais elle peut aussi faire l’objet de questionnement, comme pour une personne ayant émigré, pour une personne d’une éducation différente du pays où elle vit. Ces questions vont être abordées différemment ; assumées, sans difficultés particulières, ou moins bien vécues.
C’est un sujet qu’on a voulu mettre en avant en 2009 avec la création très controversée d’un « Ministère de l’identité nationale et de l’immigration », et, là, le rapprochement de ces deux termes, le possible amalgame, avait choqué. La majorité des Français avait  refusé d’entrer dans ce débat. Nous avons dépassé ce discours, nous pouvons aujourd’hui parler plus sereinement d’identité.
Notre histoire, notre drapeau, nos drames vécus et surmontés, notre culture, un certain art de vivre, tout cela nous le partageons, et rares seront ceux qui veulent remettre en cause quoi que ce soit. C’est l’idée d’un pays, d’une patrie, c’est une idée qui a dépassé le nationalisme et tous ses dangers.
Alors que des pays affichent leur drapeau, leur identité, à tout bout de champ, ce qui frise parfois le nationalisme, les Français sont priés de mettre leur drapeau dans la poche. Pas un film du cinéma hollywoodien sans qu’apparaisse à un moment donné la bannière étoilée. Je vois des gens se promener avec des T-shirts ou pulls avec le drapeau des USA. S’ils le faisaient avec le drapeau français, ils deviendraient ipso facto suspects d’être des fachos, des nationalistes, des militants d’extrême droite.
D’une certaine façon oser se réclamer, sans aucune gloriole, de son identité française est devenu impudique, provoquant.., ce que nous explique très bien Alain Finkielkraut dans son ouvrage déjà cité.
Nous avons parfois entendu je suis musulman et français, alors que, Finkielkraut dit de lui: je suis Français et juif, tout comme la journaliste tunisienne, Sonia Mabrouk, qui affirme être Française avant d’être musulmane. Vouloir s’identifier d’abord à partir de sa religion quelle qu’elle soit, semble être un refus de vouloir faire société tous ensemble.
« Si l’identité personnelle » dit Henry Pena Ruiz, dans son ouvrage, La Laïcité « est une construction relevant du libre arbitre, elle ne peut se résorber dans la simple allégeance à une communauté particulière [….] nul être humain, n’appartient au sens strict à un groupe. »
   Parfois, identité personnelle et identité collective se fondent en un « on ». Ce « on »,  ce « tout et rien à la fois », est telle une casaque qu’on met et qu’on enlève. Par exemple : après la victoire du PSG sur l’OM, des gens qui ne se connaissent « ni d’Êve ni d’Adam, » qui n’ont parfois rien de commun, entament un « on » a gagné ! De même les soirs d’élection, le « on » l’emporte sur « eux ».

⇒  L’identité peut faire l’objet de manipulations. Ce fut le cas des enfants allemands qui étaient entièrement nazifiés, avec un symbole, un drapeau, jusqu’à une idéologie de la mort qu’ils intériorisaient, car en fait ils étaient vides d’identité personnelle.

⇒  L’identité liée à un étendard, à un drapeau que l’on doit hisser et saluer, ou la reprise d’un chant guerrier national, tout cela est un formatage d’identité nationale.

⇒  Toute appartenance à une institution peut créer de l’identité collective, laquelle est bien sûr au détriment de l’identité personnelle, au détriment d’une identité singulière.
On finit par acquérir des prêts à penser, un jargon, des réflexes qui finissent par enfermer plus qu’ils ne libèrent. Cela peut amener une pensée sclérosée parce que nous sommes dans un système fermé. Toute communauté est fermée.

⇒  Que ce soit dans une secte ou un autre mouvement, on est parfois fanatisés, il y a quelquefois un lavage de cerveau, destruction de ce qui était l’identité propre.

⇒  Oui, la jeunesse hitlérienne a été désidentifiée, elle a eu un substitut par de la symbolique, on crée de l’identitaire avec des symboles, avec des « grands récits » : le nazisme, le grand Reich, la race pure, race aryenne, ont été de ces « grands récits ».
Dans ce même sens, les événements, les époques, peuvent décider des orientations identitaires. Qui avait 20 ans en 1936 pouvait fort bien être attiré par les idées communistes, c’était le grand récit de l’époque.

⇒  Je suis fière de ma nationalité, je ne mets pas mon drapeau dans ma poche. Si j’allais à l’étranger, ça ne me gênerait pas de porter un T shirt bleu blanc rouge. Pourquoi ne pas avoir la fierté de son pays ?

⇒ Je ne dirais pas forcément que je suis fier de mon identité française, mais je dirais plutôt que je suis content d’être Français, content d’être né dans le pays des droits de l’homme.

⇒  Au niveau de l’enfance, où se définit pour beaucoup l’identité, il y a des méthodes éducatives qui semblent plus favorables à ce développement d’identités singulières. Je pense à l’école Freinet, à la méthode Montessori. Ceux qui ont fréquenté ces écoles en garde de beaux souvenirs et reconnaissent combien cela a été déterminant dans leur construction d’identité.

⇒  Les camps de concentration, ont été les lieux des pires méthodes de désidentification, l’individu étant ramené à un simple numéro tatoué sur le bras.

⇒  Une identité personnelle, son identité personnelle, est parfois difficile à définir, tant elle est fonction des divers éléments, mais cela se complique avec l’identité collective. Et, est-ce que l’identité française vraiment, ça existe ? Est-ce que l’identité collective c’est la somme des identités individuelles ? Ou quelque chose d’impalpable au-dessus de cela ?
On dit par exemple, les Français aiment le fromage. Mais moi, je déteste le fromage. Et aussi, on voit que lorsqu’un collectif doit prendre une décision, aussitôt on voit réapparaître les identités individuelles.

⇒  On se pose la question, quand voyons-nous une identité collective à caractère national ? Un exemple nous avait été donné avec la grande marche « Nous sommes tous Charlie ». Après les tueries de Charlie-Hebdo, des millions de Français sont sortis spontanément dans la rue, les drapeaux tricolores ont été mis aux fenêtres. Il y a eu synthétisation d’une identité française autour de valeurs communes, comme la liberté de penser, la laïcité.
Et la question qui semble posée quant à cette identité collective, (question philosophique) serait : est-ce que le tout est plus grand que la somme des parties ?
En fait, l’identité française ne sont que des caractéristiques. En dehors des clichés, c’est  globalement: nous sommes comme cela, ou comme cela.., et c’est vrai qu’on n’aime pas tous le fromage !

⇒ Pour moi, ma nationalité française c’est une fierté. Une fierté, et une reconnaissance à notre passé, de tout ce qui a permis d’être ce que nous sommes aujourd’hui. C’est à la fois de l’amour pour ma patrie, et de l’attachement.

⇒  Le problème d’identité collective se pose aux personnes immigrées, arrivées récemment.

⇒ Souvent ces nouveaux arrivants se regroupent autour d’une communauté de leur pays d’origine, leur base identitaire individuelle comme collective ; puis les enfants par les fréquentations d’écoles, d’autre ados, vont peu à peu partager deux identités, lesquelles peuvent (il faut l’espérer) être complémentaires, mais aussi parfois poser question ; ainsi que l’explique d’une certaine façon l’écrivain académicien Henri Troyat dans « Étranger sur la Terre », ouvrage qui évoque l’intégration des « Russes blancs » au début du siècle dernier (je le cite) : « Tout à coup il se demande si un Français éduqué en Russie, n’était pas plus Russe qu’un Russe éduqué en France, et, quelles étaient les parts de l’hérédité dans la formation de l’individu ». C’est le problème que connaissent nombre de jeunes, enfants de parents immigrés récemment, lesquels deviennent des étrangers dans le pays de leur parents, et qui peuvent pour certains, ne pas se sentir totalement Français, en France.

⇒  Dans un ouvrage récent, « Le grand remplacement » l’écrivain Renaud Camus, (auteur très controversé pour avoir en un temps appartenu à l’extrême droite) dit en substance : « l’identité n’est pas qu’une question d’origine, que c’est aussi une question d’adhésion, adhésion au pays choisi pour émigrer, adhésion au pays d’accueil. Si l’identité française est rejetée par des jeunes issus de l’immigration, (c’est toujours l’auteur qui parle), c’est parce qu’il y a un manque d’enseignement à l’école des valeurs démocratiques ».
Et je retiens de cet ouvrage, plus particulièrement ceci : « … notre précieuse identité française est celle d’un peuple de « bâtards ». J’ajouterai que de fait, dans notre identité française, dépassé le fameux « gaulois » il y a culturellement ou physiquement : du Grec, du Romain, du Wisigoth, du Viking, de l’Italien, du Polonais, etc…Tous ces apports, ce patchwork,  ont fait un peuple et notre identité française.

⇒  Heureusement, nous avons dépassé les thèses de Gobineau, de son ouvrage, «  De l’inégalité des races » (1855), où nous avions là aussi, une grave dérive identitaire.

Références/ Livres

Traité sur la nature humaine. David Hume. Poche.
Rue des voleurs. Mathias Énard. Acte sud. 2014.
Etrangers sur la terre. Henri Troyat. Editions de la table ronde/ Famot. 1950)
L’identité malheureuse. Alain Finkielkraut. Stock. 2013
Petite Poucette. Michel Serres. 2012. Edit. Le Pommier.
La Laïcité. Henri Pena Ruiz. 2004. Collection Corpus.
Le grand remplacement. Renaud Camus. Editeur. 2011.  David Reinharc.

 

 

 

Ciné-philo autour du film: Lion

                          Ciné-philo   à Chevilly-Larue
En partenariat avec le cinéma du théâtre André Malraux
Restitution du débat du 22 mai 2017

Affiche:, Lion. Image promotionnelle

Affiche:, Lion. Image promotionnelle

 Film de Garth Davis. Oscars 2017. 6 nominations

Thème du débat : «  Peut-on vivre sans ses racines » ?

Débat : ⇔ On peut penser que ce film a été sponsorisé par la marque « Kleenex » ; on dit même qu’il a été vendu autant de paquets de mouchoirs que d’entrées, (c’est pour rire). Néanmoins pendant la projection j’ai entendu souvent des gens qui se mouchaient. Bien sûr il y a de l’émotion ; je reconnais que lorsque je vois les yeux de Saroo dans la baignoire regardant sa mère adoptive, je craque, il a un regard d’une telle profondeur cet enfant.
Alors, bien sûr, il y a des gens qui ont dit, c’est un film pour faire « pleurer dans les chaumières », soit ! Mais c’est tout de même une histoire vécue, même scénarisée, avec sûrement des petits rajouts. Cela reste du beau cinéma qui parle au cœur de chacun (enfin si on en a). Ce qui serait intéressant, ce serait de connaître pour chacun de nous, quelle est l’image, le moment qui vous a le plus marqué ?

⇒ C’est la complicité des deux frères qui m’a marquée, cette fusion, leurs regards lorsqu’ils sont dans leurs lits.

⇒ Nous avons deux personnages Saroo, l’enfant puis l’adulte, lesquels se cherchent. Mais c’est l’enfant le plus émouvant, celui qui nous marque le plus.

⇒ On a le sentiment que Saroo adulte est tout à coup arrêté, il n’arrive plus à se projeter dans le futur, bloqué tant qu’il n’a pas retrouvé son passé.

⇒ De même que tant qu’il na pas résolu ce problème de ses racines, il n’arrive pas à s’investir dans une vraie relation amoureuse. Il n’en a pas les moyens tant qu’il n’est pas lui-même.

⇒  Il lui manque une part de lui-même. La psyché est, nous dit-on, constituée de ce que l’on est à cet instant, et de ce qu’on a été à tous les moments de sa vie ; cela semble bien s’appliquer au personnage.

⇒ Ce qui m’a marquée, c’est l’instinct de survie, de préservation. Lorsqu’il est recueilli par cette femme à Calcutta, et que vient cet homme, il sent quelque chose en lui qui lui dit « attention danger ! »

⇒ Ce qui nous rappelle que chaque année 80.000 enfants disparaissent en Inde. Quels médias en parlent ? Quels journalistes d’investigation enquêtent ? Alors qu’on nous assomme des péripéties des élections aux USA (par exemple). Alors, que deviennent  ces enfants, et qui s’y intéresse ?

⇒ On peut craindre qu’ils ne soient vendus, livrés à la prostitution.

⇒ Ou pire, qu’ils ne fassent l’objet d’un commerce d’organes.

⇒ Oui, lorsque recueilli par la jeune femme à Calcutta, le monsieur qui vient le voir dit à la femme : «  c’est bien ce qu’ils cherchent »  Donc on peut penser à la vente d’enfants, voire d’adoptions en dehors des lois des différents pays.

⇒ Une image qui est marquante, et qui me semble est un tournant du film, c’est celle des beignets, les « jalabis », c’est un déclic, et tout à coup resurgissent des souvenirs enfouis.

⇒ C’est la réminiscence de la « madeleine de Proust ».

⇒ Lorsqu’il était petit il avait ce souhait c’est que son frère lui achète 200 jalabis. Et  ce que qui m’a marquée, c’est ce côté bienveillant du grand frère, ce qu’on ne rencontre pas à ce point en occident, ce grand frère qui protège.

⇒ Il y a rupture affective de la part de l’enfant, de plus on ne voit pas de père, donc tout l’affectif se reporte d’abord et surtout sur la mère, puis sur son frère Guddu.

⇒ J’ai retenu une réplique de la mère adoptive qui lui dit qu’elle aurait pu avoir des enfants, mais que ce fut un choix avec son mari : « Nous avons choisi d’adopter des enfants qui souffraient, leur donner une chance, cela signifie quelque chose… »

⇒ Le moment que je retiens c’est lorsqu’il retrouve la maison de son enfance, laquelle est devenue une étable avec la chèvre.
Cela nous rappelle que des enfants qui ont recherché leur parent biologique sont allés parfois au-devant de grosses désillusions.
L’image que garde l’enfant et la réalité, peuvent ne pas correspondre.
Les racines pour Saroo, ça se résume à sa mère, son frère, quelques images de son village, auxquelles s’ajoute celle de la réserve d’eau dans cette gare.

⇒ Il vit en Australie, mais il n’est pas Australien, il sait qu’il est Indien, et il veut retrouver son pays. Il est entre deux cultures, il est travaillé entre l’amour de ses deux mères.

⇒ Pendant vingt ans tout se passe bien, puis il va entrer dans sa vie d’adulte, c’est une période charnière, et c’est souvent la période critique pour les enfants adoptés.

⇒ C’est lorsqu’il s’apprête à construire quelque chose, que le vide du passé devient une hantise. Il ne pense plus qu’à retrouver ses racines, il veut retrouver sa famille.
J’ai eu un exemple près de moi, et la question s’est posée, quand et comment faut-il aider des enfants adoptés dans cette recherche de leur famille d’origine.

⇒ Le déclic, c’est quand il a des contacts avec des jeunes originaire eux aussi d’Inde, il s’est senti concerné, et on lui a demandé d’où il était.

⇒ On est tous plus ou moins concernés par cette question de racines. Que ce soit nous, directement, nos parents. Et puis nous ne sommes pas tous nés là où nous habitons, pour beaucoup d’entre nous, il y a un village quelque part à la campagne dans notre mémoire d’enfance. Nous avons parfois des parents dans le cimetière de ce village, ça crée un lien.
Qu’on soit de la Corrèze, de Constantine (Algérie), d’Italie, etc., cette origine c’est une part de nous, c’est viscéral. Mais peut-être que certaines personnes ne le ressentent pas ainsi.

⇒ Je suis née en Algérie, le village de mon enfance  a été complètement détruit lors de la guerre. J’avais toujours envie de retrouver. Vingt ans plus tard j’y suis allé, et je recherchais les odeurs de mon enfance, j’ai revu ces maisons de pierre.., j’ai pleuré, maintenant, de là, à vivre là-bas je ne peux pas, ma vie elle est ici. Il m’en reste un peu de nostalgie.

⇒ Témoignage : Une personne proche a appris qu’elle était née « de père inconnu ». Elle a questionné sans cesse sa mère au sujet de ce père, laquelle lui a dit qu’il devait être militaire. Elle a fini par s’inventer un père militaire, elle avait ce besoin, elle a compensé de cette façon.

⇒ Est-ce que dans dix ans on ne fera pas un peu ce genre de film, avec un enfant GPA ?

⇒ Cette quête de ses racines, de sa famille, de son village, devient une obsession, c’est quelque chose qui bouscule toutes ses références habituelles.

⇒ (Témoignage) : A quinze ans, j’ai appris que mon père n’était mon vrai père. Je n’ai pas été surprise, je le pressentais depuis longtemps. J’ai cherché à retrouver ce père, j’ai eu une déception, ça m’a souvent travaillée.

⇒ (Témoignage) : Mon arrière grand-père portait le nom (qui est aussi le mien) du village où il a été recueilli bébé sur les marches de l’église. Je suis allé voir ce village dont je porte le nom.

⇒ La démarche de Saroo n’est pas une recherche de ses racines, mais de sa filiation. Et en ce sens, la question : peut-on vivre sans ses racines ? » je l’ai traduite par, les racines sont-elles la condition de la vie ? Et bien, je réponds, non ! Je n’ai pas besoin d’avoir des racines, je me souviens du village où je suis née, de la ferme où j’ai vécu trois ans, des oies qui me pinçaient les fesses. J’y suis retourné une fois, mais je n’en ai pas la nostalgie. Par contre j’ai des racines. Et les racines que j’ai : c’est toutes les idées, tous les savoirs, tous les enseignements qui m’ont été transmis par mes parents. Et en ce sens je voudrais reprendre un exemple de Descartes, qui dit : « La philosophie est un arbre dont les racines ne sont enracinées dans aucun sol. La philosophie est un arbre dont les racines sont la métaphysique, les branches, toutes les sciences… ». L’arbre dont parle Descartes n’a pas de racines, pour autant il n’est pas un arbre mort, il est vivant, il est ce qui dans votre esprit, tout ce qui vous  construit, et pas que votre mémoire, votre filiation.

⇒ On peut être construit de plusieurs arbres, filiation, connaissances, mémoire, vies matérielle, affective, intellectuelle, spirituelle…

⇒ Nous définissons différemment ce mot « racines ». Moi j’y mets : l’endroit où je suis né, là où j’ai grandi, puis les différents endroits qui m’ont imprégné. C’est la ferme de mon enfance, c’est un quartier de Paris, c’est l’Afrique du nord où j’ai vécu quelque temps, c’est aujourd’hui l’Andalousie.., tous ces endroits et les gens que j’y ai côtoyés, tout cela est une partie de moi. Quand on met une pousse en terre, elle n’a que peu de racines, les racines vont se former tout au long d’une vie, mais celles de l’enfance restent primordiales.

⇒ Saroo a pu retrouver son village, sa famille grâce à Google earth, bonne pub pour Google.   C’est quand il entre en contacts avec d’autres Indiens, que la question de son origine lui est posée, que viennent toutes les questions. Il réalise qu’il appartient lui aussi à cette communauté. Aujourd’hui il n’y a plus ce même enracinement dans les terroirs, il y a tant des diverses diasporas de par le monde.

 

 

 

 

 

 

La politesse: toujours une valeur d’actualité?

 

Restitution du débat du  26 avril 2017 à Chevilly-Larue

Bonjour Monsieur Courbet. Gustave Courbet. 1854. Musée Fabre, Montpellier

Bonjour Monsieur Courbet. Gustave Courbet. 1854. Musée Fabre, Montpellier

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin.

Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Avant de voir ce que nous disent aujourd’hui les définitions quant à la politesse, on peut se poser la question de savoir comment ce sentiment a t-il pu initialement émerger dans nos relations ? On peut y voir au plus loin de l’humanité, au départ dans les hordes, une volonté de marquer un rapport non-agressif, ceci par des signes, par des comportements rassurants. Premier code, première règle du jeu social qui va participer, via les différents us et coutumes,  à la transformation de notre animalité, en humanité.
Aujourd’hui, les dictionnaires nous donnent ces définitions:
Pour le Grand Robert de la langue française : « Ensemble de règles, des usages qui régissent le comportement, le langage, à adopter dans une civilisation et un groupe social donné.  Le fait de connaître et d’observer ces usages ; la manière particulière dont une personne les applique »
Ou pour, le Trésor de la langue française : « Respect des bonnes manières non seulement dicté par les usages mais par des sentiments sincères »
Je retiens dans cette deuxième définition le mot « sincère », car (avec la franchise) cela est, et reste toujours la pierre d’achoppement quand au concept de politesse.
C’est ainsi que Rousseau, peut-être en réaction devant les mœurs bourgeoises, écrira ces lignes au vitriol contre la politesse : « Sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne : sans cesse on suit les usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce que l’on est; et dans cette contrainte perpétuelle [….] on ne saura donc jamais bien à qui on a affaire [….] Quel cortège des vices n’accompagnera point cette incertitude ? Plus d’amitiés sincères ; plus d’estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de la politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux lumières de notre siècle »   (Discours sur les sciences et les arts).
Dans les définitions ressortent les mots : règles, usages, comportement, et aussi et surtout, manières (avec un S). Donc être poli c’est respecter des règles, ce qui va en bloquer certains puisque les usages et comportements sont ceux qui nous sont dictés et non choisis. Et les délateurs de la politesse en tant qu’hypocrisie, en tant que masque, retiennent surtout, ce mot : « manières » (au pluriel) ou encore « l’art de se passer des vertus qu’elle imite ».
Dans ce conflit entre politesse et sincérité, la politesse ne serait alors que discipline normative contraignante, que manières, que fausseté des rapports, un mensonge social, un l’art de la duplicité, l’art de l’apparence, de la tromperie, des courbettes, que déguisement de nos sentiments réels, ou encore une affabilité qui abaisse et dégrade l’individu, et qu’elle peut tout autant servir le vice que la vertu.
Bien sûr, la politesse a toujours quelque chose de suspect, on connaît l’expression : « Trop poli pour être honnête », et je retiens aussi l’expression de ce misanthrope de Schopenhauer: « Je préfère la queue du chien qui bouge aux fausses politesses »
   Il en ressort, qu’être impoli pour certains, pour certaines, ce serait une marque d’être vrai et toutes les contraintes de la politesse ressenties comme une humiliation du « moi », ne seraient que flatterie et obséquiosité, contraire au « parler vrai », à la parole authentique.
Mais l’impolitesse peut aussi être une posture; une posture pour se démarquer comme anticonformiste. Pour telle personne, se plier aux règles serait abandonner une part de sa personnalité. Il est à remarquer que les personnes qui craignent le plus de perdre leur personnalité, sont souvent celles qui en ont le moins (il faut les comprendre)
Alors, un rapport à l’autre, courtois, avec quelque considération, respect, découle t-il d’une propension naturelle, acte naturel pour entretenir les meilleurs rapports, ou est-ce une contrainte. Contrainte héritée d’une certaine bourgeoisie, puisque souvent on nous dit que cette politesse, ce rapport courtois copiait les manières et usages des nobles de la cour, des courtisans (d’où le mot, courtoisie). C’est encore ainsi que Montesquieu voit la politesse lorsqu’il écrit : « C’est par orgueil que nous sommes polis; nous nous sentons flattés d’avoir des manières qui prouvent que nous ne sommes pas dans la bassesse… ». Lequel Montesquieu nous dit préférer la civilité à la politesse qu’il trouve quelque peu équivoque.
Je relève dans un article lu sur philosophie magazine (N° 62 de septembre 2013), titré : « Et la politesse ? bordel ! » (je cite) « Certains philosophes contemporains comme Ruwen Ogien, considèrent même que le projet d’une éducation à la civilité relève d’une mentalité coloniale…Nous vivons dans une société où du cool est devenu la nouvelle norme, tandis que les formes et les conventions apparaissent comme des contraintes artificielles… »
Si vouloir apprendre les règles de politesses à nos enfants à l’école peut être assimilé à du colonialisme, avec tout ce que ce mot véhicule encore aujourd’hui, nous avons là un problème de taille dans l’approche de la politesse par une élite intellectuelle, et mauvais signal pour nos enseignants.
A mon sens, la politesse, la courtoisie, ne sont pas des contraintes, c’est « l’art des signes » dit le philosophe Alain, et il ajoute t-il : «  un hommage au semblable, une reconnaissance du semblable »,  elle rend la coexistence plus agréable, elle met dit-on « de l’huile dans les rouages ». Par exemple, si je laisse une voiture passer, que j’aie priorité ou non, et que l’autre conducteur me fait un geste de la main en remerciement, c’est un petit moment de bonheur, ça me réjouit tout simplement, ça me réconcilie avec mon prochain ; c’est la courtoisie, laquelle est définie par toutes les petites attentions parfois insignifiantes qui sont appréciées par ceux qui ont un peu d’éducation. La courtoisie, même si elle est parfois décriée comme un concept désuet, reste une marque de savoir vivre, de prévenance, de considération de l’autre.
A mon premier cours de conduite, le moniteur m’a dit une phrase qui me restera toujours : bien conduire c’est d’abord : se bien conduire.
Ainsi la politesse me semble grandir celui qui en use.
En ce sens elle est une valeur dont je me fais le défenseur, une valeur pour laquelle je veux monter l’exemple, une valeur que je souhaite voir toujours enseignée. « La politesse » dit François Rouvillois, dans son ouvrage « Dictionnaire nostalgique de la politesse » « est une vertu dans notre monde nombriliste ». La crainte est grande aujourd’hui dans une société qui promeut l’individualisme, la singularité, (ou l’orgueil d’une différence ou pseudo différence) que les règles de civilité, de politesse, de courtoisie, soient considérées comme dépassées, désuètes, ringardes, ou encore bourgeoises. 
   La crainte que la politesse devienne une valeur en régression, peut venir de comportements et propos relayés par les médias, j’en veux pour exemple, les propos d’un ex Président de la République avec son « casse-toi pov’con ! » ou en 2010 un joueur de foot, Nicolas Anelka, avec ses propos «  vas te faire enculer sale fils de pute », ou encore cette réponse de Bernard Tapie répondant à un journaliste de France Inter en janvier 2012 au sujet des 400 millions qui lui ont été accordés : « … plus je sens que ça vous emmerde, plus je suis content ».
Ces propos relayés par  les médias présentent le danger que les plus jeunes, qui comme tous les jeunes peuvent douter quant à nos codes, n’en viennent à penser que ces façons de s’exprimer sont acceptables.
C’est parce que la politesse a longtemps été basée sur les hiérarchies sociales qu’on voit une certaine prévention contre les règles de politesse. Ce que l’on retrouve aussi dans un courant du féminisme radical issu des mouvements soixante-huitards, plus « féminolâtres » que féministes, lesquels dans la lutte contre les inégalités hommes/femmes, et au nom, par exemple, d’une indifférenciation des genres, réfute les règles de courtoisie, ou usages, dits, de galanterie ; usages qui marqueraient l’infériorité de la femme, et ainsi au nom de l’égalité homme/femmes, il faudrait tuer la galanterie.
Je suis peut-être un peu « vieux jeu », mais je tiens la porte pour une femme (qui ou quelle qu’elle soit) qui me suit, je me lève (même ostensiblement) de ma chaise pour saluer une femme (qui ou quelle  qu’elle soit). Je ne m’adresse pas toujours très exactement de la même manière à mes nièces qu’à mes neveux.
La politesse est une vertu à laquelle les français ne renoncent pas, c’est ce qu’il ressort d’un sondage publié par le Figaro  le 8 décembre 2016 ; sondage ou 60% des français confirment l’importance qu’ils mettent dans la politesse, le savoir vivre, la courtoisie, la galanterie, tout autant de manifestations dont on manquerait.
La politesse c’est : savoir vivre,
La politesse c’est savoir être.

 

Débat

 

Débat :  ⇒ La politesse est toujours d’actualité comme un marqueur social.
J’ai appris, petite, dans les années 1950 qu’il fallait être polie pour être considérée non seulement comme « quelqu’un de bien », mais aussi comme une vraie française. Mes parents m’avaient appris qu’il y avait les « gens bien », ceux qui avaient de bonnes manières, ceux qui parlaient correctement, et les autres – sans distinction (selon le mot du sociologue Bourdieu), ceux du peuple, et pire ! Ceux des immigrés d’alors.
J’ai su, très tôt, que la politesse était un marqueur social : dans un bus, ma mère avec son accent de juive polonaise, ne disait pas suffisamment fort « pardon » lorsque nous nous faufilions pour nous asseoir. Et j’entendis alors « sale youpine ». Et j’ai appris quelles formules de politesse il faut utiliser pour écrire une lettre à un supérieur dans L’Education Nationale. Au débat électoral du 20 mars, à la télévision,  Philippe Poutou, le candidat du NPA, s’est vu reprocher d’être impoli au sens d’irrespectueux, vis-à-vis des institutions de la République  parce qu’il était venu en tee-shirt, sans costume et cravate, comme l’ouvrier de Ford, qu’il est.
La politesse est toujours d’actualité comme une marque de respect de l’autre que moi-même. Aujourd’hui les propos dominants à l’égard des « jeunes » et des immigrés dénoncent leurs incivilités: comportement d’indifférence à l’égard des personnes âgées et des handicapés, dans les transports en commun, paroles de vulgarité agressive à l’encontre de ceux et celles qui semblent menacer leur confort: « pousse toi de là, si t’es pas content, je t’emmerde … » Moi aussi  je les trouve insupportables et j’ai la sensation qu’il est de plus en plus difficile de vivre ensemble. Par contre je suis stimulée à avoir des projets lorsque j’entends mon épicier marocain, me dire « bonne journée Madame »  avec un large sourire. La politesse est plus qu’un marqueur social; elle est un moyen de se reconnaître comme pouvant  avoir les mêmes soucis, les mêmes joies que l’autre, voisin ou étranger; comme appartenant à la même humanité.
C’est une marque de respect de l’autre humain quel qu’il soit, de respect au sens kantien  « considère l’autre homme toujours comme une fin, et jamais seulement comme un moyen ». Quand je prends l’autobus  je considère le chauffeur comme le moyen qui me permet de me rendre d’un point de la ville à un autre, mais aussi, et en même temps comme celui qui a une personnalité  et des projets que je ne connais pas et que je respecte.
Enfin, la politesse est un moyen d’apaiser les tensions et de rendre possible le dialogue voire la rencontre avec l’autre; en ce sens elle est une valeur d’actualité.
Dans un couple, ou entre amis, voire avec des inconnus, les « mots d’oiseau » et injures lors de disputes cassent la relation. La politesse maintient, voire, ouvre la relation: pour aller vite, si on me dit  « vous avez l’heure ? », je ne sais  pas si je réponds.  Je regarde qui pose la question. Si on me dit « Madame, quelle heure est-il, s’il vous plait ? » je réponds.
La politesse n’est pas une valeur morale, mais il faut quand même y éduquer.
André Comte-Sponville, dans son dictionnaire reprend ce qu’il a travaillé dans son « Petit traité des grandes vertus » : « Ainsi la politesse a-t-elle moins à voir avec la politique qu’avec une certaine façon de se frotter aux autres: c’est l’art de vivre ensemble, mais en soignant les apparences plutôt que les rapports de forces, en multipliant les parades plutôt que les compromis, enfin en surmontant l’égoïsme par les manières plutôt que par le droit ou la justice. C’est « l’art des signes », disait Alain, et comme une grammaire de la vie intersubjective. L’intention n’y fait rien ; l’usage y est tout. On aurait tort d’en être dupe, mais plus encore de prétendre s’en passer. Ce n’est qu’un semblant de vertu, moralement sans valeur, socialement sans prix ».
Son argument peut être résumé en plusieurs points.
« La politesse est la première vertu, et l’origine peut-être de toutes. C’est aussi la plus pauvre, la plus superficielle, la plus discutable: est-ce seulement une vertu? Petite vertu, en tout cas, comme on dit des dames du même nom. La politesse se moque de la morale, et la morale de la politesse. Un nazi poli, qu’est-ce que cela change au nazisme? Qu’est-ce que cela change à l’horreur? Rien, bien sûr, et la politesse est bien caractérisée par ce rien. Vertu de pure forme, vertu d’étiquette, vertu d’apparat! L’apparence, donc, d’une vertu, et l’apparence seulement.
Pourquoi première? Je parle selon l’ordre du temps, et pour l’individu. Le nouveau-né n’a pas de morale, ni ne peut en avoir. Et pas davantage le nourrisson ni, pendant longtemps, le petit enfant. Ce que celui-ci découvre, en revanche, et très tôt, c’est l’interdit. « Ne fais pas ça : c’est sale, c’est mal, c’est laid, c’est méchant… » Ou bien: «C’est dangereux» et il fera vite la différence entre ce qui est mal (la faute) et ce qui fait mal (le danger)… Il y a ce qui est permis et ce qui est interdit, ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Bien? Mal? La règle suffit, qui précède le jugement et le fonde. Mais la règle est alors sans fondement autre que de convention, sans justification autre que l’usage et le respect des usages : règle de fait, règle de pure forme, règle de politesse!…..
   La morale commence donc au plus bas – par la politesse -, et il faut bien qu’elle commence. Aucune vertu n’est naturelle : il faut donc devenir vertueux. Mais comment, si on ne l’est déjà?  « Les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, expliquait Aristote, c’est en les faisant que nous les apprenons …. C’est ainsi qu’ «une génération éduque l’autre ».
   …Or, qu’est-ce que cette discipline, dans la famille, sinon d’abord le respect des usages et des bonnes manières? Discipline normative plutôt que contraignante, et visant moins à l’ordre qu’à une certaine sociabilité aimable – discipline, non de police, mais de politesse. C’est par elle que, mimant les manières de la vertu, nous avons une chance peut-être de devenir vertueux ».
   La morale est d’abord un artifice, puis un artefact….
   Essentielle pendant l’enfance, inessentielle dans l’âge adulte. Quoi de pire qu’un enfant mal élevé, si ce n’est un adulte méchant? Or, nous ne sommes plus des enfants. Nous savons aimer, juger, vouloir… Capables de vertu, donc, capables d’amour, dont la politesse ne saurait tenir lieu. Un rustre généreux vaudra toujours mieux qu’un égoïste poli. Un honnête homme incivil, qu’une fripouille raffinée…La politesse n’est pas une vertu mais une qualité, et une qualité seulement formelle. ….

⇒  Ce sentiment de la politesse se développe à partir de la Renaissance. Et l’étymologie nous parle de l’action de polir, de quelque chose qui devient lisse et brillant, et dont on gomme les aspérités. Effectivement quand deux objets sont en contact, s’ils sont lissés, cela va mieux, ça évite toute étincelle. Cela s’applique aussi à nos contacts humains, à nos relations.
La politesse est d’abord reconnaissance de l’autre, même avec les règles déjà citées, d’usage, même si elles sont contraignantes. On n’a pas encore défini ce qui différencie, politesse – civilité – courtoisie, cette dernière renvoyant au plus haut niveau de l’échelle sociale.
Et, c’est vrai que dans ce monde où l’on va de plus en plus vite, on peut se poser la question quant à la place de la politesse, surtout dans les langages de plus en plus court, type texto… Des formules, comme « veuillez agréer », « je vous pris d’agréer », « salutations distinguées », on passe le plus souvent à un simple « cordialement ».

⇒  Cette origine italienne de la politesse fut aussi celle des émissaires qui allaient dans des colonies, des pays étrangers, qui avaient des usages pour ne pas choquer les autres populations ; il en resté la diplomatie et son langage. La diplomatie a fait plus pour l’entente des peuples, que tous les conflits armés.

⇒  La politesse est respect, tant envers les autres, qu’envers soi. C’est reconnaître l’autre comme notre égal, c’est l’outil de communication qui entraîne apaisement, et une expression plus libre.
On a dit qu’elle n’était pas une valeur morale, mais elle participe tout de même à la morale.
La politesse est partage ; ne serait-ce qu’un mot accompagné d’un sourire, une excuse banale…Elle fait partie des règles de la vie, même au sein d’un couple. Mais la politesse ne se résume pas, à dire « merci », « pardon », lorsqu’on dit « bonjour » « comment allez-vous ? », il faut que cela soit spontané.
Alors que la politesse soir toujours d’actualité, parfois j’en doute, surtout quand je vois des gens cracher dans la rue, dans le métro, chose qui avait disparu.
Dans son dictionnaire philosophique, au mot « politesse » André Comte-Sponville, dit : « la politesse est une des facettes de l’art de vivre ensemble », j’y adhère il n’y a pas de dialogue agréable sans la politesse ; c’est, nous dit-il encore : « Mettre l’égoïsme à distance.., court-circuiter la violence par le respect.., (mais) tant que ce n’est que politesse, l’égoïsme reste inentamé, le respect presque toujours n’est qu’un frein..(si) elle n’est que l’apparence d’une vertu, elle est aussi socialement nécessaire, qu’individuellement insuffisante. Positivité de l’apparence, être poli c’est agir comme si l’on était vertueux »

⇒  L’expression : aucune vertu n’est naturelle, m’a paru intéressante. Oui, et les codes de politesse sont liés à l’évolution de l’homme jusqu’à nos jours, c’est culturel, même si les règles varient d’un pays à l’autre. Ainsi tutoyer dans tel ou tel pays est incorrect, et naturel ailleurs.
La politesse apporte à notre humanité, c’est un passage obligé pour l’homme civilisé, mais est-ce que cela pour autant, nous élève ? Même si elle reste la première marche pour aller vers l’autre. On la dit liée à notre civilisation, mais chez tous les peuples il y a eu des codes, (souvent liés aux hiérarchies sociales). Les colonisations, le partage du monde, ont dû participer à une certaine uniformisation des règles de politesse.
On pourrait penser que ce sujet sur la politesse est anodin, alors qu’en fait aujourd’hui, il ne l’est pas, puisqu’il participe à l’écoute de l’autre.

⇒  En Belgique on tutoie facilement, les espagnols disent « tu» à leur roi, mais les grands bourgeois dans ce même pays, vouvoient leurs domestiques. Là on a, d’une certaine façon un marqueur social.

⇒  Je retiens l’idée de la politesse en tant que marqueur social, et ça me pose problème, parce que cela pourrait laisser entendre que l’on serait plus ou moins poli en fonction d’un statut social. Nous voyons souvent que les parents qui ne sont pas des milieux les plus favorisés ont à cœur d’éduquer leurs enfants aux règles de politesse, aux usages, au savoir vivre, lesquels font partie du bagage pour entrer dans la vie.
Et je reviens sur ce fameux « bonjour ». Le bonjour dans sa forme a un sens : il peut être un « bonjour » de convention, sans aucune chaleur dans le ton, ou, un « bonjour » sec, sur un ton monocorde, il peut être un « bonjour » sur un ton enjoué, presque chantant, il peut être ce « bonjour » franc, en appuyant sur chacune des deux syllabes. Dans ces différentes façons de dire bonjour, on se découvre, on marque son intérêt pour l’autre, la distance ou la proximité.
Alors c’est vrai, la politesse n’est pas que morale, car on peut toujours, vous « virer », vous « fiche à la porte », vous « licencier » avec beaucoup de politesse.
Et nous avons évoqué, politesse et civilité. Les incivilités ne sont pas des marques d’impolitesse. L’incivilité me semble plus, être passer outre, ne pas tenir compte, d’usages, de lois non écrites ; nous passons d’être « poli » à être « policé »
Et enfin, les marques de politesse peuvent vous laisser dans un sentiment curieux, ainsi, la première fois, dans le métro, où un homme jeune, (voyant mes cheveux qui blanchissent,) m’a offert sa place, ça m’a fait drôle.

⇒  La politesse reste pour moi, une chose qui peut éviter le conflit, elle limite le rapport de force, créer des attitudes pacifiques, elle participe à l’art de la paix.

⇒  Je reviens sur la politesse n’étant pas une valeur morale, ni une valeur en politique, et qu’il faut s’en méfier, voire la récuser
Dans le débat électoral pour l’élection présidentielle, Emmanuel Macron fut sans cesse très courtois, avec les journalistes et avec tous les autres candidats pourtant ses adversaires. Et même  le soir des résultats (du 1er tour), il n’a pas été agressif à l’égard de Marine Le Pen sa concurrente et il est apparu comme celui qui sera bienveillant envers tous (les vieux, les jeunes, les riches, les pauvres, les français de France et d’outremer, de souche et immigrés, les fonctionnaires et les entrepreneurs …) Et cela a fait oublier ce qu’il avait dit le 17 septembre 2014 à 13:05 Invité d’Europe 1 ce matin là, le ministre de l’Economie Emmanuel Macron a parlé « chômage de masse et France malade, prenant l’exemple des employés licenciés des abattoirs de Gad. « Il y a dans cette société une majorité de femmes, pour beaucoup illettrées ». Pour beaucoup on leur explique : vous n’avez pas d’avenir à Gad ou aux alentours, allez travailler à 50 ou 60 km. Ces gens-là n’ont pas le permis de conduire. On va leur dire quoi ? Il faut payer 1.500 euros, il faut attendre un an? ça aussi ce sont des réformes du quotidien, ça va créer de la mobilité et de l’activité” a-t-il déclaré.
Et aussi  « Vous qui avez un tee-shirt sale, si vous voulez avoir un costard comme moi, il faudra travailler plus » a-t-il répondu à un ouvrier qui lui a demandé combien coûtait son costume, à la fin d’un meeting.
De même Emmanuel Macron, en visite dans le Nord, s’est attiré les foudres de nombreux politiques pour avoir affirmé selon le journal L’Avenir de l’Artois, le 14 janvier 2017, que  « l’alcoolisme et le tabagisme se sont peu à peu installés dans le bassin minier ».
Alors ? La politesse est un moyen du vivre ensemble, qui s’apprend, à quoi il faut éduquer, mais ce n’est pas une vertu, c’est même un leurre de respect de l’autre qui camoufle souvent un refus d’affronter soit  les conflits  personnels soit les contradictions sociales. « Dire bonjour  à son voisin, dans notre société, sera bientôt un acte révolutionnaire » s’esclaffait Oscar Castro, le comédien et directeur du Théâtre Aleph (A Ivry s/S).
Donc, la politesse est un comportement de bienveillance envers autrui, « politiquement correct» aujourd’hui, depuis les années 1980 en France. Ce n’est pas, pour moi, une valeur pour mener une politique.

⇒  Les propos du candidat Macron, relèvent plus du mépris de classe, de la discrimination sociale, que de l’impolitesse, ce qui n’en est pas moins grave et même, attristant, honteux, discourtois, indigne de la fonction qu’il brigue.

⇒  On a dit que la politesse était d’égal à égal, mais les positions sociales souvent déplacent cette donnée : ainsi Proust écrit « …dans un monde égalitaire, la politesse disparaîtrait, non comme on croit par défaut d’éducation. Mais parce que chez les uns disparaîtrait la déférence due au prestige ». Ces propos m’interpellent. C’est bien là, l’approche superficielle d’un mondain qui ne voit dans la politesse que des grimaces sociales.
D’un pays à l’autre les règles de politesse varient avons-nous signalé : ainsi les usages ou règles de politesse de certains pays nous interpellent. On pense au rituel ou marque de politesse chez les japonais, comme nous l’explique Abdennour Bidard, dans son ouvrage « Quelles valeurs partager, et comment les partager ? »   « Deux corps s’inclinent très bas l’un devant l’autre (les bras, les genoux, la tête restant toujours à une place réglée) selon des degrés de profondeur subtilement codés ». Ce salut japonais est décrit par Roland Barthes…Selon lu, en effet, la politesse japonaise est un exercice spirituel …dans lequel chacun apprend à se dépouiller de sa vanité personnelle. Telle est pour Barthes la différence avec l’occident, où l’on considère au contraire qu’avec autrui, il faut « être soi-même », mettre son moi en avant avec le plus de naturel possible. Tandis que la politesse japonaise exige de faire disparaître son moi au contact d’autrui »
  Maintenant, venant confirmer que la politesse reste une valeur; dans un récent journal télévisé ont nous montrait des écoles privées citoyennes, où les enfants devaient en arrivant chaque matin dire bonjour au directeur de l’école, en le regardant dans les yeux, apprendre à dire s’il vous plaît, merci, à attendre qu’on leur demande de s’asseoir, etc. Et le même reportage nous montrait les enfants et leurs parents, dont nombre de personnes issues de l’immigration. Cela souligne une fois de plus la défaillance de notre modèle d’éducation publique.
Dans ce même sens, dans un article publié en 2012 dans le supplément hebdomadaire Semanal  du quotidien El Païs, l’écrivain et journaliste Pérez-Reverte évoque que lors d’un séjour récent à Paris, en une matinée où il avait pris un café au Flore, puis acheté des cigarillos, « on m’avait dit six fois « s’il vous plait » et huit fois « merci » ; j’étais épaté ! » C’est là l’image qu’on souhaite conserver d’une certaine propension à la courtoisie, source du « bien-vivre ensemble ».
Dans bien des pays, comme en Espagne, même si vous parlez correctement la langue, on reconnaît les Français à ce qu’ils sont les seuls à dire toujours « s’il vous plait » et « merci ». Finalement, cela cadre avec l’esprit depuis quelques années dans ce pays, qui est passé d’une forte solidarité dans la guerre, dans la grande misère, à un individualisme patent la paix revenue.

⇒  Est-ce que toutes les règles du vivre ensemble sont liées à la politesse, ou de simples conventions, la politesse ne serait-elle que le petit supplément ?
Dans nos villes on n’accorde pas d’attention aux autres, on s’ignore, on évite même les regards. Alors, est-ce que l’impolitesse est de nature, ou défaut d’éducation ?
Une anecdote parle de l’enfant qui demandait quelque chose à sa mère (un bonbon, un gâteau ?) ; mais il faut que tu dises le mot magique lui dit sa mère. L’enfant cherche. Ah, oui ! « S’il te plaît ! »

⇒  La politesse c’est formel, ça ne dit rien de l’intention, ce qui compte c’est plus le fond que la forme.

⇒  La politesse est un vernis où l’on n’est pas soi-même, où l’on est plus ou moins hypocrite, ce n’est pas dans la nature. L’humain n’est pas ce qu’il veut paraître, cela peut être en contradiction avec ce que je suis.

⇒  La politesse peut, être une vertu, de façon très naturelle faisant partie de l’être que nous sommes, car nous sommes animés du bien comme du mal.

⇒   « Grammaire de nos rapports sociaux », on désire et l’on respecte ces règles, car la politesse, va fixer dans nos rapports, « la bonne distance » : ne pas snober, être dans l’empathie, l’altruisme, ne pas se montrer distant, et par ailleurs, ne pas être trop familier, on connaît l’expression : « on n’a pas gardé les cochons ensemble »

⇒  Il y a dans la politesse une vision holiste, c’est-à-dire que la cohésion de la société dépasse ma simple personne. Autrement dit, et en regard de la définition du terme « holisme » l’ensemble est plus grand que la simple somme des parties ; cela rejoint aussi cette notion liée à la politesse qui s’oppose à l’individualisme, au moi d’abord, au moi au-dessus de tout.
Alors, y a-t-il une propension à la politesse suivant le tempérament de l’individu ?                   Les tempéraments égoïstes ont du mal à se soumettre aux règles de la politesse, car il faut parfois faire abstraction de soi ; par exemple, de son désir de parler, quitte à couper la parole aux autres. La politesse sera aussi ressentie par certaines personnes comme des contraintes imposées « d’en haut », héritée des nobles, usages imposées par les dominants, ou pour telle féministe radicale, règles imposée par les hommes.
La politesse a beaucoup évolué nous disent les historiens, ainsi par exemple, après les manières des courtisans du 18ème siècle, la Révolution tiendra la politesse comme suspecte, voyant là l’héritage de la noblesse de cour. Et le sire deviendra le « ci-devant », le roi deviendra « le citoyen Capet », le sentiment était alors que la politesse avait été établie sur les inégalités, qu’elle n’était que déférence courtisane, que la galanterie, elle, était «  l’abaissement des hommes devant le charme de féminin »
Dans l’Encyclopédie, Diderot fait l’apologie de la politesse : «  En effet, on juge de sa nature par le terme dont on se sert pour l’exprimer; on n’y découvre rien que d’innocent et de louable. Polir un ouvrage dans le langage des artisans, c’est en ôter ce qu’il y a de rude et d’ingrat, y mettre le lustre& la douceur […] Un discours au sens poli, des manières et des conventions polies, cela n’exclut pas que les chose sont exemptent d’enflure, de la rudesse, et d’autres défauts contraires au bon sens et à la société civile, et qu’elles sont revêtues de la douceur, de la modestie, et de la justice que l’esprit cherche et dont la société a besoin pour être paisible et agréable »
   Et dans « Les Confessions » Rousseau fait amende honorable et s’explique un peu, sur sa condamnation vingt cinq ans plus tôt,  de la politesse : « Ma sotte et maussade timidité que je ne pouvais vaincre, ayant pour principe la crainte de manquer aux bienséances, je pris pour m’enhardir, le parti de les fouler aux pieds. Je me fis cynique et caustique par honte. J’affectai de mépriser la politesse que je ne savais pas pratiquer ».

 ⇒  La politesse n’est pas un acte de soumission. Soyons à la hauteur d’une réputation qui veut que la France soit le pays par excellence de la politesse.
La politesse, est cette pudeur du langage, cette valeur qui rend nos rapports si courtois, si apaisés, si respectueux de la dignité des autres, la politesse, gain d’humanité, et comme frein à la violence, et  « Peut-on réellement imaginer une société sans système de règles de savoir vivre ? » dit Abdennour Bidard, dans « Quelles valeurs partager et comment partager ? »  « Dire merci, est-ce seulement une forme de politesse un peu formelle, un peu mécanique et vide ? Quel est le véritable bénéfice du merci pour celui qui sait exprimer sa gratitude ?[….] Laissons la générosité, la gentillesse, la prévenance, la serviabilité ou la disponibilité de l’autre nous toucher au quotidien, et nous verrons bientôt notre regard sur la nature humaine devenir plus positif » .
La politesse qui fut souvent langage ampoulé, emphatique parfois, est de moins en moins un langage « affecté », et est aujourd’hui plus ressentie comme choix personnel que comme contrainte sociale ; elle reste pour beaucoup comme la reconnaissance de l’altérité, comme marque d’altruisme, comme encouragement mutuel à valoriser la dignité des individus.
On pourrait craindre qu’elle se perde, quand dans une société nous avons de moins en moins affaire avec des interlocuteurs, mais plus en plus affaire avec des machines, répondeurs, automates, distributeurs, auxquels le « merci » est remplacé par « valider »; ressentir quelque crainte de par les nouveaux moyens de communication, pas de formule de politesse quand on envoie un SMS ?
Mais, je reste confiant, la politesse cet art de vivre ensemble, ne semble pas réellement en régression, et nous sommes très nombreux à vouloir la défendre; déjà notre débat en témoigne.
Et enfin, politesse et sincérité se trouvent souvent opposées, ce qui nous a donné ces délicieux vers de Molière dans la misanthrope :

– Alceste :            «  Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
                                    On lâche aucun mot qui ne vienne du cœur »
                                              (Acte 1, scène 1. Vers 35/36)

   – Philinte :                Mais quand on est du monde, il faut bien que l’on rende,
                                         Quelques dehors civils, que l’usage demande »

 – Alceste                                 Non, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié,
                                                   Ce commerce honteux de semblant d’amitié ;
                                          Je veux que l’on soit homme, et qu’en toute rencontre,
                                               Le fond du cœur, dans nos discours, se montre;
                                                 Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
                                          Ne se masquent jamais, sous de vains compliments »

– Philinte :                  Il est bien des endroits, ou la pleine franchise
                                       Deviendrait ridicule, et serait peu permise ;
                                    et parfois, n’en déplaise à votre austère honneur,
                                      Il est bon de cacher ce qu’on a dans le cœur.
                                        Serait-il à propos, et de la bienséance,
                                  De dire à mille gens tout ce que d’eux on pense ?
                                Et quand on a quelqu’un qu’on hait, ou qui déplait,
                                  Lui doit-on déclarer la chose comme elle est ? »
                                                   (Acte 1, scène 1, vers 63 à 80)

Oeuvres, référence

 Discours sur les sciences et les arts. Jean-Jacques Rousseau. 1750
Les Confessions. Jean-Jacques Rousseau. 1765
Dictionnaire nostalgique de la politesse. François Rouvillois. Flammarion. 2016
Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville. PUF. 2013.
Petit traité des grandes vertus. André Comte- Sponville ; PUF 2015.
Quelles valeurs partager et comment les partager ? Abdennour Bidard Essai. 2016
Encyclopédie. Article: Politesse. Diderot
Philosophie magazine « Et la politesse, bordel ?… » N° de septembre 2013. Pages 62/63.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voltaire, figure centrale des Lumières

             Restitution du débat du 29 avril 2017 à Chevilly-Larue

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Atelier de Nicolas de Largillière. Portrait de Voltaire, Détail.
Musée Carnavalet

 

Animateurs:
Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Pommier Vautrin

Modérateur : Hervé Donjon

Biographie, 1ère partie (Danielle) : 1ère partie :

De Arouet à Voltaire : Filiation, études, jeunesse et Angleterre.
Voltaire est né officiellement le 21 novembre 1694 à Paris et a été baptisé le lendemain. Il est le deuxième fils de François Arouet, notaire, marié avec Marie-Marguerite Daumart, fille d’un greffier criminel au Parlement qui lui donne cinq enfants (dont trois atteignent l’âge adulte). Voltaire perd sa mère à l’âge de sept ans. Il a comme frère aîné, Armand Arouet, avocat au Parlement, très engagée dans le jansénisme. Sa sœur, Marie Arouet, seule personne de sa famille qui ait inspiré de l’affection à Voltaire, épousera Pierre François Mignot, et elle sera la mère de l’abbé Mignot, qui jouera un rôle à la mort de Voltaire, et de Marie-Louise la future « Madame Denis », qui partagera une partie de la vie de l’écrivain. Cependant, Voltaire a plusieurs fois affirmé qu’il était né le 20 février 1694 à  Châtenay-Malabry  Il a contesté aussi sa filiation paternelle, persuadé que son vrai père était un certain Roquebrune. Voltaire prétendait que l’honneur de sa mère consistait à avoir préféré un homme d’esprit, à son père, le notaire Arouet, car Arouet était, selon Voltaire, un homme très commun. Aucune certitude n’existe sinon que l’idée d’une naissance illégitime et d’un lien de sang avec la noblesse d’épée ne déplaisait pas à Voltaire.

Du côté paternel, les Arouet sont originaires d’un petit village du nord du Poitou, où ils exercent une activité de marchands tanneurs. Le premier Arouet à quitter sa province s’installe à Paris en 1625 où il ouvre une boutique de marchand de draps et de soie. Il épouse la fille d’un riche marchand drapier et s’enrichit suffisamment pour acheter en 1675 pour son fils, François, le père de Voltaire, une charge anoblissante de notaire au Châtelet, lui assurant l’accès à la petite noblesse de robe. Le père de Voltaire, travailleur austère et probe, aux relations importantes, arrondit encore la fortune familiale.

Études chez les Jésuites:
À la différence de son frère aîné chez les jansénistes, François-Marie entre à dix ans comme interne au collège Louis-le-Grand chez les Jésuites . Le plus cher de la capitale, ce serait aussi l’établissement le mieux fréquenté et François-Marie y reste sept ans. Les jésuites enseignent le latin et la rhétorique, mais veulent avant tout former des hommes du monde et initient leurs élèves aux arts de société : joutes oratoires, plaidoyers,, concours de versification, et théâtre. Un spectacle, le plus souvent en latin et d’où sont par principe exclues les scènes d’amour, et où les rôles de femmes sont joués par des hommes, est donné chaque fin d’année lors la distribution des prix.
Arouet est un élève brillant, vite célèbre par sa facilité à versifier. Il apprend au collège Louis-le-Grand à s’adresser d’égal à égal aux fils de puissants personnages. Le tout jeune Arouet tisse de précieux liens d’amitié, très utiles toute sa vie : entre bien d’autres, les frères d’Argenson, René-louis et Marc Pierre, futurs ministres de Louis XV et le futur duc de Richelieu. Bien que très critique en ce qui concerne la religion en général, il garde toute sa vie une grande vénération pour son professeur jésuite Charles Porée.

Débuts comme homme de lettres et premières provocations
 :

Arouet quitte le collège en 1711 à dix-sept ans et annonce à son père qu’il veut être homme de lettres. Devant l’opposition paternelle, il s’inscrit à l’école de droit et fréquente la société du Temple, qui réunit, dans l’hôtel de Philippe de Vendôme, des membres de la haute noblesse et des poètes (dont Chaulieu), épicuriens lettrés connus pour leur esprit, leur libertinage let leur scepticisme. L’Abbé de Châteauneuf, son parrain, qui y avait ses habitudes, l’avait présenté dès 1708. Il va y apprendre à faire des vers « légers, rapides, piquants, nourris de références antiques, libres de ton jusqu’à la grivoiserie, plaisantant sans retenue sur la religion et la monarchie».
Son père l’éloigne un moment en l’envoyant à Caen, puis en le confiant au frère de son parrain, qui vient d’être nommé ambassadeur à La Haye et accepte d’en faire là-bas son secrétaire privé. Mais son éloignement ne dure pas. À Noël 1713, il est de retour, chassé de son poste et des Pays-Bas pour cause de relations tapageuses avec une demoiselle. Furieux, son père finit par le placer dans l’étude d’un magistrat parisien. Il est sauvé par un ancien client d’Arouet père, lettré et fort riche, M. de Caumartin marquis de Saint-Ange, qui le convainc de lui confier son fils pour tester le talent poétique du jeune rebelle.
En 1715, alors que débute la Régence , Arouet a 21 ans. Il est si brillant et si amusant que la haute société se dispute sa présence. Il aurait pu devenir l’ami du Régent  mais se retrouve dans le camp de ses ennemis. Invité au château de Sceaux  centre d’opposition le plus actif au nouveau pouvoir, où la duchesse du Maine, mariée au duc du Maine  bâtard légitimé de Louis XIV, tient une cour brillante, il ne peut s’empêcher de faire des vers injurieux sur les relations amoureuses du Régent et de sa fille, la duchesse de Berry  qui vient d’accoucher clandestinement.
Le 4 mai 1716, il est exilé à Tulle. Son père use de son influence auprès de ses anciens clients pour fléchir le Régent qui remplace Tulle par Sully-sur-Loire, où Arouet fils s’installe dans le château du jeune duc de Sully. À l’approche de l’hiver, il sollicite et obtient la grâce du Régent. Le jeune Arouet alors recommence sa vie turbulente à Saint-Ange et à Sceaux, profitant de l’hospitalité et du confort de leurs châteaux. Mais il récidive. S’étant lié d’amitié avec un certain Beauregard, en réalité un indicateur de la police, il lui confie être l’auteur de nouveaux vers satiriques contre le Régent et sa fille. Le 16 mai 1717, il est envoyé à la Bastille par lettre de cachetl. Arouet a alors 23 ans et restera embastillé durant onze mois.

Premiers succès littéraires et retour à la Bastille (1718-1726)
Voltaire devient célèbre à 24 ans grâce au succès de sa tragédie Œdipe (1718).
À sa première sortie de la prison de la Bastille, conscient d’avoir jusque-là gaspillé son temps et son talent, il veut donner un nouveau cours à sa vie, et devenir célèbre dans les genres les plus nobles de la littérature de son époque : la tragédie et la  poésie épique.
Pour rompre avec son passé, afin d’effacer un patronyme aux consonances vulgaires et équivoques, il se crée un nom euphonique : Voltaire. On ne sait pas comment il a élaboré ce  pseudonyme. De nombreuses hypothèses ont été avancées : inversion des syllabes de la petite ville d’Airvault  (proche du village dont est originaire la famille Arouet), anagramme d’Arouet l.j. (le jeune) ou référence à un personnage de théâtre nommé Voltaire.
Le 18 novembre 1718, sa première pièce écrite sous le pseudonyme de Voltaire, Oedipe, obtient un immense succès. Le public, qui voit en lui un nouveau Racine, aime ses vers en forme de maximes  et ses allusions impertinentes au roi défunt et à la religion. Ses talents de poète mondain triomphent dans les salons et les châteaux. Il devient l’intime des Villars  qui le reçoivent dans leur château de Vaux c, et l’amant de Madame de Bernières, épouse du président à mortier  du parlement de Rouen.
En janvier 1726, il subit une humiliation qui va le marquer toute sa vie. Le chevalier de Rohan-Chabot,  jeune gentilhomme arrogant, appartenant à l’une des plus illustres familles du royaume, l’apostrophe à la Comédie-Française: « Monsieur de Voltaire, Monsieur Arouet, comment vous appelez-vous ? » Voltaire réplique : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre ». Quelques jours plus tard, dans la rue, il est frappé à coups de gourdin par les laquais du chevalier. Blessé et humilié, Voltaire veut obtenir réparation, mais aucun de ses amis aristocrates ne prend son parti. Le prince de Conti , écrit sur l’incident que les coups de bâtons « ont été bien reçus mais mal donnés ». Les Rohan obtiennent que l’on procède à l’arrestation de Voltaire, qui est conduit à la Bastille  le 17 avril. Il n’est libéré, deux semaines plus tard, qu’à la condition qu’il s’exile.

Contexte politique et social (Guy) :

Après 64 ans de règne rigoureux de Louis XIV, et l’ère d’austérité et de dévotion due à l’épouse morganatique du roi, Madame de Maintenon, la régence de Philippe d’Orléans moins sévère, laisse place à une société qui cherche à s’émanciper. Les arguments d’autorité de l’Eglise, même dans les salons où l’on disserte, ne sont plus intouchables, les nouvelles idées des philosophes se répandent, depuis les salons, jusqu’au peuple, à la bourgeoisie et, de plus en plus dans une certaine noblesse.
Cette libéralisation sociale s’accompagne de plus de liberté d’esprit, et une partie du peuple est à l’écoute de tous les nouveaux intellectuels, de toutes les nouvelles idées. C’est dans la continuité du siècle précédent toujours des découvertes, des découvertes qui font aussi tomber nombre de certitudes.  Dans les domaines de la science, de l’industrie, c’est la machine à vapeur et ses applications industrielles, c’est l’époque de Benjamin Franklin, de Lavoisier, de Newton…
Si les structures sociales bougent, les structures économiques bougent aussi ; la noblesse, comme une partie du clergé ne répugnent pas aux affaires, à la spéculation, ces derniers voient que leur intérêt n’est plus forcément que du côté du pouvoir royal.
Le libéralisme économique que nous allons connaître prend racine en cette époque, avec le « laisser faire, laisser passer » que va appliquer Turgot. On parle déjà de « libéralisme sans frein »
Dans cette moitié du 18ème siècle la misère sévit dans les villes, dans les faubourgs, des centaines d’enfants mendient dans les rues de Paris. La lente dégradation d’autorité de la citadelle du pouvoir ; royauté et Eglise, est pour partie imputable à la révocation de l’édit de Nantes, et aussi et surtout liée à cette guerre intestine qui dure depuis plus de cent ans au sein de l’Eglise entre les jésuites et les jansénistes.
Une philosophie comme celle de Voltaire ne peut être interprétée, comprise, ainsi qu’elle l’aurait été au temps de l’auteur. Il nous faut l’admettre, nous lisons en décalage. Voltaire aurait-il pu écrire le dictionnaire philosophique 100 ans plus tard, peut probable ! Cent ans plus tôt, encore moins !
Imaginez une époque intellectuellement explosive, si l’on peut dire. Une époque où se côtoient des guides intellectuels, les Phares du 18ème siècle: Voltaire, Rousseau, Diderot, d’Alembert, Montesquieu, et tous ceux qui vont participer à cette « mèche de la Révolution » que fut l’Encyclopédie. Monument intellectuel où vont participer 125 personnalités, dont des écrivains, des industriels, des nobles, neuf abbés, trois pasteurs. Laquelle encyclopédie va participer grandement à l’évolution de la société et entrer en résonance avec les écrits de l’époque, participer grandement à ce siècle des Lumières.
Jusqu’au 18eme siècle la majorité des livres avaient pour auteurs, ou des religieux, ou des nobles, et parmi ces livres beaucoup étaient écrits en latin. Ne pouvaient paraître que les livres avec l’autorisation royale, soit une censure politique et religieuse. De là, certains ouvrages seront parfois édités à l’étranger, puis vendus sous le manteau et de fait, souvent très recherchés.
Voltaire fait ou laisse circuler sous son nom, ou anonymement des libelles, des pamphlets, (les ancêtres du « Canard enchaîné » et de « Tweeter »), ils sont vendus « sous le manteau » aux sorties des théâtres, on les trouve dans des cafés « branchés » où l’on l’en discute,  comme par exemple au Procope. Dans ces brûlots Voltaire va parfois brocarder le régent, puis le roi, voire sa famille, et le plus souvent les gens de l’Eglise, jésuites ou jansénistes.
Un nouveau pouvoir souterrain prend forme, c’est l’opinion publique. L’homme du peuple ne pense plus systématiquement comme son roi, ne pense plus systématiquement comme son évêque, comme son curé. Voltaire qui rêve de célébrité va naviguer entre reconnaissance des grands et reconnaissance dans l’opinion publique. On dit d’ailleurs qu’il a créé ce concept d’opinion publique.
Des articles de l’encyclopédie sont comme des bombes lors des parutions, ainsi  à « Autorité politique (article de Voltaire), on lit : «  Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres, la liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce, a le droit d’en jouir, aussitôt qu’il jouit de la raison… »
Nous avons là sur le fond, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En 1768, Voltaire dans une lettre à l’ambassadeur de France à Genève, qui est plus jeune que lui, écrit : « Que vous êtes heureux, Vous verrez le jour de la Révolution, dont je n’ai vu que l’aurore, et cela sera fort plaisant »
Alors, même si les premiers révolutionnaires se sont réclamés de Voltaire,  il n’est pas sûr qu’il aurait sauvé sa tête dans cette affaire, car Voltaire n’est pas Rousseau, c’est un monarchiste convaincu. Voltaire est un libéral politique, tout comme libéral économique, ainsi il écrit en 1717 à d’Alembert qu’il est hostile à l’éducation des laboureurs, car cela pourrait les détourner de leur métier. Il est hostile à toute redistribution allant vers plus d’égalité.
L’œuvre de Voltaire et essentiellement liée à une époque spécifique, celle  des Lumières, celle d’un contexte politique et social très particulier. Un siècle où s’entendent déjà les craquements d’un modèle de société, où les deux pouvoirs : temporel  et intemporel, chancellent.

La religion de Voltaire ? 1ère partie (Edith) :

   Quand j’ai passé mon bac, j’ai eu à traiter de la critique de Voltaire à l’encontre des religions et j’ai été inspirée par la formule  par laquelle Voltaire signait ses lettres « écr-inf » « écrasons l’infâme ». Cette formule invitait ainsi son correspondant à le joindre dans son combat contre l’obscurantisme, notamment religieux. La lutte contre cet « infâme » qu’il faut écraser, a été la grande affaire de Voltaire qui y a mis toute sa pugnacité, tout son génie.
Qui est l’« infâme »? Voltaire répète que l’infâme est un « fantôme hideux », « un monstre abominable », « l’hydre abominable qui empeste et qui tue ». Le mot « Infâme » ramasse en allégorie les têtes monstrueuses du fanatisme. Il n’y a pas là qu’une image. Voltaire est véritablement hanté par cette créature de cauchemar et il n’a de cesse d’en dépister les traces pour « rogner les griffes et limer les dents du monstre ». L’Infâme s’identifie à toutes les formes d’oppression intellectuelle et morale, à tous les dogmes arrogants, à toutes les certitudes tyranniques. Et à l’époque il désigne épisodiquement le jansénisme; c’est tout aussi bien le calvinisme et  la religion de la France, « toute catholique » depuis la révocation de l’édit de Nantes. L’infâme est donc l’intolérance pratiquée par des Églises organisées, et inspirée par des dogmes chrétiens. En fin de compte, l’infâme, c’est le christianisme.
II faut faire à Voltaire la justice de reconnaître son audace, quelque jugement qu’on en porte : il voulut abattre l’imposant édifice, vieux de dix-huit siècles. Dans son Dictionnaire philosophique (1764) Voltaire  définit le fanatisme, la superstition, l’enthousiasme religieux  en ayant recours au vocabulaire de la pathologie. :
1° Fanatisme : « Comportement, état d’esprit de celui qui se croit inspiré par la Divinité » (celui qui vénère le temple et ses cultes…..)  « Lorsqu’une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. J’ai vu des convulsionnaires qui, en parlant des miracles de saint Pâris, s’échauffaient par degrés malgré eux : leurs yeux s’enflammaient, leurs membres tremblaient, la fureur défigurait leur visage, et ils auraient tué quiconque les eût contredits… » (Voltaire. Dictionnaire philosophique)
«  Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car, dès que ce mal fait des progrès, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent pas contre la peste des âmes; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés.[…] » « Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage; c’est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre », et il ajoute : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »
2° Superstition : « comportement irrationnel vis-à-vis du sacré, crédulité. Les superstitions sont pour Voltaire les causes les plus dangereuses du fanatisme parce qu’elles émanent de l’ignorance populaire. Si les juges sont des fanatiques de sang-froid, la « populace », elle, est emportée par ses croyances. Dans l’affaire Calas, c’est la rumeur populaire qui, circulant sur une famille protestante, a entraîné les suspicions des juges puis les a transformées en certitudes ». www.site-magister.com
   3° L’enthousiasme : c’est le transport divin, inspiration sacrée (grec « theos », dieu). C’est dans le traitement qu’il fait subir à ce mot qu’on décèle le mieux comment Voltaire limite tout élan de foi aux organes. Dans le Dictionnaire philosophique, en effet, le mot enthousiasme reçoit la définition suivante : « Ce mot grec signifie émotion d’entrailles, agitation intérieure. Les Grecs inventèrent-ils ce mot pour exprimer les secousses qu’on éprouve dans les nerfs, la dilatation et le resserrement des intestins, les violentes contractions du cœur, le cours précipité de ces esprits de feu qui montent des entrailles au cerveau quand on est vivement affecté »

Voltaire a-t-il donc, par sa phobie du fanatisme, versé dans des extrêmes presque aussi redoutables: une tolérance intolérante, un anti-fanatisme fanatique. Des critiques se réclamant de la psychanalyse font remarquer qu’il était particulièrement émotif et aussi hypochondriaque : A Ferney, chaque 24 août (jour anniversaire de la Saint-Barthélemy, où 3000 protestants furent massacrés), Voltaire avait la fièvre. Il tombait dans la prostration et devait s’aliter. En 1765, se voyant déjà arrêté et torturé parce qu’on a saisi chez le chevalier de La Barre son Dictionnaire philosophique, Voltaire entre dans une frayeur terrible que son médecin a bien du mal à calmer. « Eh bien oui, je suis fou », avoue Voltaire en fondant en larmes.
Sur le fanatisme religieux est-ce qu’on aurait peur d’écrire en toutes lettres « écrasons l’infâme »,  ce que Voltaire ajoutait en abrégé. Aujourd’hui aurions-nous peur de le faire, de l’écrire sur tous nos courriers. Je pense qu’il avait raison d’être si violent à cet égard.
Nous avons eu ici un café-philo le 6 avril 2016, sur « La tolérance aujourd’hui », et nous avons dit où étaient les limites de la tolérance, et notamment par rapport au fanatisme  qui se réclame de Dieu. Mais aussi par rapport à certaines pratiques, dites culturelles parce qu’elles sont liées à la tradition de certains pays, comme l’excision.
Et là, nous avons, me semble t-il, rejoint Voltaire qui a écrit un article « Tolérance » dans l’encyclopédie, (il dit) : « La discorde est le plus grand mal du genre humain, et la tolérance en est le seul remède. Je précise, la tolérance est un moyen d’éviter la discorde, un moyen  de coexistence pacifique. Pour éviter les troubles et les guerres de religion, il faut tolérer en l’État catholique, les autres cultes ».
Donc, la tolérance pour Voltaire, n’est pas le malheur, elle n’a rien à voir avec le respect, mais, sont intolérables ceux qui ne veulent pas soumettre aux lois communes et qui veulent imposer leur foi, ou leurs croyances.
Dans une deuxième partie je montrerai en quoi vouloir « écraser l’infâme » n’exclut pas par une profession de foi philosophique d’argumenter la nécessité de Dieu. Et je montrerai que Voltaire a d’abord été, déiste, puis théiste.

Débat

 

Débat :  ⇒ Ce siècle, dit des « Lumières » est défini ainsi dans un numéro de philosophie magazine, comme étant : «  …celui de la raison par la volonté de quitter son enfance intellectuelle pour acquérir l’usage de la raison. Mais c’est aussi l’époque de la science, de l’entendement, de la recherche de connaissance et de compréhension… », ce que Kant va résumer dans une phrase : « Ose penser par toi-même ».
J’ai lu le Candide de Voltaire, avec plaisir et d’un trait. Voltaire y dépeint la violence de son époque. Voltaire y précise entre autre, que Dieu n’est qu’un principe, une explication donnée, tout en reconnaissant que l’univers ne peut être le fruit du hasard, et qu’il y a nécessairement un horloger à cette horloge.
A travers l’œuvre de Candide, Voltaire critique les institutions de son époque, il y fait la critique d’un certain optimisme béat de l’homme qui ne cherche nullement à comprendre, il dénonce cet excès d’optimisme qui peut lui être néfaste, lui occulter la réalité de la vie.
Avec Candide Voltaire illustre cette connaissance qu’à travers « le petit bout de la lorgnette », en se référent uniquement au point de vue de son seul environnement ; ou encore de propos  qui le laisseraient se confiner dans l’erreur d’un « meilleur des mondes », en occultant toute la violence, le mensonge..
Dans la première partie de son ouvrage Voltaire décrit Candide comme un naïf éduqué et enfermé dans un monde aseptisé, et nullement averti des réalités qu’il va affronter et découvrir à ses dépens. Il va, tout au long de son périple, se faire rouler dans la farine, détrousser, rosser. Il lui faudra apprendre à rendre les coups.
Candide va connaître nombre de désillusions, de désenchantements dus au fait qu’il n’avait pas appris à « raisonner par lui-même ».
Bien qu’écrit au 18ème siècle, nous trouvons dans Candide des causes produisant toujours les mêmes effets ; ce sera : la soif du pouvoir, appât du gain, obtenus par le mensonge ou la violence ; violences des religions dévoyées, afin de manipuler…

 ⇒ J’aimerais que dans le débat on précise la différence entre déiste et théiste.
Et, lorsqu’on parle de « siècle des Lumières » cela ne concerne en fait qu’une petite partie des gens. Mais ce sont ces nouvelles idées qui partent des « Lumières » qui allaient amener la Révolution.
Si je compare avec aujourd’hui, nous avons plein de « lumières » et pourtant la situation reste opaque. Quant au rapport à la religion à cette époque, elle a une autorité presque totalitaire, et toujours culpabilisant encore le peuple. Même si la religion a évolué, même au-delà de Voltaire il y a encore des gens des gens qui ont besoin de religion, voire même une simple croyance comme chez Voltaire. Nous avons vu que la Révolution a été obligée de rétablir une certaine croyance, ce fut, « l’Être suprême », la « déesse raison »…

⇒  Je pense que durant toute sa vie Voltaire a été ce que nous appellerions aujourd’hui un anti-système. Cela semble être un fil conducteur depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort ; il refuse le pouvoir excessif de la religion qui envahit tout le monde culturel et social de cette époque. De plus il préconise l’égalité face à la loi, et aussi, et surtout la liberté d’expression. Liberté d’expression qu’il réclame d’abord pour lui-même. Il est monarchiste, mais favorable à un monarque éclairé. Toute sa pensée en fait un des précurseurs de la Révolution.
Dans ce 18ème siècle tout ce qui compte comme scientifiques en France comme en Angleterre, est déiste comme Voltaire, c’est-à-dire, reconnaissant une puissance créative qui n’intervient pas dans la vie des croyants.
Je me souviens des paroles de la chanson de Gavroche : « Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau ». Au lycée j’ai étudié Zadig, puis l’affaire Calas, et plus tard à l’université ce fut l’encyclopédie. Dans le parcours de Voltaire on peut voir comment il a voulu, tenté, de jouer un rôle politique auprès de Frédéric II, le roi de Prusse qui l’a accueilli.
Dans les archives municipales, j’ai trouvé la trace d’un habitant de cette ville, un certain marquis de Cubières, écuyer de Louis XVI, lequel au retour d’un voyage à Chambéry (en 1775) a rendu visite à Voltaire en sa propriété de Ferney, lieu de rencontre de toute l’Europe cultivée. Et il lui a adressé ce courrier en vers (comme il se devait) :
« »Mais voir un vieillard respectable âgé de quatre vingt deux ans
Souper avec des jeunes gens, et plus longtemps qu’eux tenir table
Se permettre un doux badinage, et même en dépit de son âge, séduire encore la beauté,
Le voir enfin par complaisance, s’amuser de notre caquet….  »
   Le voyageur dit qu’il va rendre visite au « Grand Lama » de la littérature enfermé dans ce lieu saint. Il dit : « J’étais assis à quelque distance  de Voltaire, avec à sa table des Genevois, des Russes, des Allemands, des Anglais, des Italiens, venus comme moi pour adorer ce dieu ». On voit là, cette vénération pour Voltaire.

La religion de Voltaire (Edith) 2ème partie :

    Voltaire aussi a besoin de religion, il le dit, et il défend « le culte de l’Être suprême »; d’abord en déiste, puis en théiste, et que dans le culte de « l’Être suprême », il n’y a pas que le culte de la raison, il y a aussi du sentiment.
   D’abord le déisme. A la mort de sa soeur Madame Mignot, il s’enferme et devient celui qu’on va appeler, « l’hypocondriaque Voltaire ». Et puis madame du Châtelet entre  dans sa vie, et donc il reprend son rationalisme négateur, ses ressources de vigueur. Il fait des recherches sur l’esprit des Nations, et il traite l’histoire universelle en philosophe ; il découvre dans les faits, une vérité : le déisme est dans toutes les religions.
   D’une part Voltaire dénonce toutes les religions d’être coupables d’engendrer des haines et de corrompre les esprits. Mais d’autre part, dès ses premières recherches sur l’histoire générale, Voltaire affirme que le déisme est très ancien, et qu’il est universel. Voltaire pense que toutes les nations policées eurent la connaissance d’un dieu suprême, maître des dieux subalternes et des hommes.
   Et il a affirmé l’universalité du déisme dans un opuscule en 1742, intitulé : «  Du déisme ». (Je cite) : « Le déisme est une religion répandue dans toutes les régions. C’est un métal qui s’allie avec tous les autres, et dont les veines s’étendent sous terre aux quatre coins du monde ». C’est le fond commun de toutes les religions que Zadig révèle aux convives de Bassorah. L’adorateur du dieu Apis, celui de Brama, le Chaldéen, le chinois, le Grec, le Celte, allaient en venir aux mains quand Zadig leur prouva sans aucune peine, qu’ils adoraient tous l’Être suprême.
   A l’époque on a aux portes de l’Europe, la présence d’un immense empire qui subit les lois de Mahomet, ce qui est l’objet de réflexion et de scandale. Bossuet avait préféré traiter par l’ellipse ce « mahométisme » qui rompait fâcheusement, «  la suite de la religion ». Mais des diplomates et des voyageurs avaient visité ces nations infidèles, Galland avait traduit, les contes des Mille et une nuits, et avec Montesquieu, les ingénieux persans étaient venus en France s’étonner qu’on puisse être musulman.
   Des européens du 18ème siècle découvraient que d’autres hommes existaient, qu’ils n’étaient pas chrétiens. Voltaire eut l’idée de tirer de cette découverte, une tragédie, qui serait «  turco-chrétienne », une tragédie où les religions se rencontreraient sur scène. Le spectateur ferait la comparaison. Il n’est rien qui déniaise comme de regarder ce qui se passe chez son voisin….Voltaire a cru peindre les mœurs turques opposées aux mœurs chrétiennes. Dans les faits, l’opposition se réduit au contraste de deux personnages, Nérestan et Orosmane, et la philosophie de Voltaire fait que le musulman a autant de vertu que son rival chrétien ; ce qui prouve que la morale est universelle, tandis que les croyances sont imposées par les hasards de la naissance et de l’éducation. Zaïre dont la destinée illustre si bien cette vérité, le dit, dans ces vers : « Je le vois trop, les soins qu’on prend de notre enfance forment nos sentiments, nos mœurs, nos croyances. J’eusse été près du Gange, esclave de faux dieux, chrétienne dans paris, musulmane en ces lieux ».
   Et d’ailleurs les abbés comprennent que cette tirade déiste, signifie le caractère historiquement contingent du christianisme. En effet, ce que suggère Voltaire par la bouche de Zaïre, c’est que les croyances adoptées sous l’influence de l’entourage n’ont pas de fondement rationnel. Elles sont diverses, alors que la vérité est une. Dans un autre ouvrage, « Mahomet le prophète », le dieu de Mahomet est un dieu terrible qui a ses humeurs, et qui veut surtout qu’on le craigne. Et à ce trait, les jansénistes se reconnurent. Son frère était janséniste, et il procédait à des expériences d’invulnérabilité, et d’incombustibilité…Et Voltaire a vu ces convulsionnaires tordre leurs membres et écumer, ils criaient : « il faut du sang ». Il a vu ces enragés, et il les a mis dans « Mahomet ». Mais dans les premiers chapitres de son « Histoire de l’esprit humain » (1745), relatif aux religions orientales, il admet que Mahomet prêchait une religion assez pure, il enseignait aux arabes adorateurs des étoiles, « qu’il fallait adorer ce dieu qui les a faites ». Et même, il affirme dans un texte rédigé pour Emile du Châtelet, qu’il y a dans le monothéisme musulman, une conception plus rationnelle, que celle de la trinité chrétienne.

   De même il découvre un déisme mêlé de superstition, aux Indes, chez les Perses, ou en Chine, et partout il voit qu’il y a au fond de toutes les religions le déisme.
Alors ! Qu’est-ce que le déisme ? Ce sera ma prochaine intervention.

⇒ Hervé                                                                            VOLTAIRE
                                                        (En acrostiches : Le polémiste inspiré)

L e jeune François Marie Arouet, bâtard, manie le verbe avec habileté,
E n quête d’un pseudonyme, Arovet  Le  I  (V pour U et I pour J de jeune) donnent Voltaire.

P assionné par la poésie, la philosophie, le théâtre, élève brillant, il est surdoué.
O bjets  de la pensée, la rhétorique, le latin, l’histoire sont enseignés sans lui déplaire.
L ieu d’études au Collège de Clermont, chez les Jésuites, il combat la médiocrité.
É crire sur (l’infâme), l’injustice, le fanatisme, l’ignorance, tel est son savoir-faire.
M assives, les dévotions diverses provoquent chez lui un rejet de la religiosité.
I ronie satirique sur les turpitudes du Régent offensé, il est embastillé pour l’affaire.
S es contes philosophiques, orientaux ont traversé ce siècle dit des lumières mouvementé.
T oute son œuvre est devenue une arme au service de la tolérance, de la vérité en vers.
E ntré à l’Académie et à la Comédie- Française, elles  nous ont  livré et dévoilé son odyssée.

I ndigné par les injustices, ses pamphlets mordants, raisonnés, sensés, ont été salutaires.
N ombreuses sont ses lettres parues dans les 13 volumes de La Pléiade, quelle notoriété !
S es 42 œuvres de tragédie, de comédie, de poésies  théâtrales ou littéraires sont exemplaires.
P hilippe d’Orléans, François Chabot l’ont envoyé, par deux fois, à la Bastille, il est exilé.
I nsatiable, la liberté éditoriale de la perfide Albion lui  permet d’apprécier ses hôtes insulaires.
R eçu à la cour de Frédéric II de Prusse, déçu, Voltaire s’installe en Suisse à Ferney, fatigué.
Épuisé, il décède à Paris puis enterré à Ferney, il entre au Panthéon en 1791, quel bel itinéraire !
Hugo avait raison lorsqu’il a dit : « l’homme qui est mort le 30 mai 1778 est mort immortel »

⇒  Je conteste le titre donné au débat, plaçant Voltaire comme « figure centrale » des Lumières. Il n’est qu’une des figures des Lumières, lesquelles Lumières viennent déjà d’Angleterre, et il y a eu d’autres acteurs importants si ce n‘est plus, ce sont, par exemple : Diderot, d’Alembert, Jean-Jacques Rousseau. Je considère, en regard de ce que je sais de Voltaire, que ça a été surtout un grand pamphlétaire, un grand propagandiste. Ça a été comme cela a été dit, un anti-système, quelqu’un qui s’est battu contre des injustices ; mais qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans son propos ? Diderot, d’Alembert, Rousseau – oui ! Eux, ils ont amené des choses fondamentalement nouvelles. La contestation anticléricale n’était pas quelque chose de nouveau. Il a su faire parler de lui en bien comme en mal Et il avait un esprit terrible quand on s’attaquait à lui.
Quand Rousseau lui envoie son ouvrage, « Discours sur l’inégalité » il lui fait une réponse d’une grande méchanceté. Il fallait qu’il domine l’esprit du siècle.
Sur la contestation du système, la plupart des grandes figures de ce siècle étaient tous pour ce qu’on a nommé « un despote éclairé » ; soit la liberté d’expression, même liberté d’expression religieuse, mais jamais Voltaire ne remet en cause le système social.
C’était un homme éminemment épris de lui-même. Pour moi, Voltaire n’est pas un philosophe. D’ailleurs lui-même écrit dans son dictionnaire philosophique, à l’article :  Philosophe : « Finalement, tous les philosophes qui ont essayé de monter des systèmes, ça ne vaut rien, ça ne débouche sur rien…Tout ça ne vaut pas l’inventeur de la navette… » (L’outil à tisser). Puis il faut faire attention, parce qu’à cette époque là, on parle de « philosophie naturelle », c’est-à-dire, la science. Newton  a écrit  «  Les principes de la philosophie naturelle ».
Le seul du siècle des Lumières qui ait émis un peu de scepticisme par rapport au despotisme éclairé, c’est Diderot. C’est Diderot dans un ouvrage : « Les observation sur la : lettre sur l’homme et ses rapports » »  qui prend ses distances avec le despotisme.

⇒  En 1741 est présenté à Lille pour la première fois la comédie de Voltaire : «  Le fanatisme ou Mahomet le prophète ». C’est un succès, et tout le monde clérical de la région applaudit à cette attaque d’une autre religion. Puis l’année suivante la pièce est présentée à la Comédie Française, et les doctes de la Sorbonne, (ecclésiastiques) voient très vite la supercherie, de l’utilisation de l’Islam pour ne pas nommer la religion catholique que Voltaire attaque, brocarde… L’œuvre sera interdite par Arrêt du Parlement.
Voltaire qui critique vivement l’Eglise, est assez fourbe, et va jusqu’à la flagornerie pour essayer d’obtenir du pape l’approbation, la reconnaisse de son œuvre « Le fanatisme ou Mahomet le prophète ».
  « Votre sainteté, » écrit Voltaire « pardonnera la hardiesse que prend l’un de ses plus infimes fidèles, mais l’un de ses plus grands admirateurs de la vertu, de soumettre au chef de la vraie religion cette œuvre contre le fondateur d’une secte fausse et barbare.
A qui pourrais-je plus convenablement dédier la représentation de la cruauté et des erreurs d’un faux prophète qu’au vicaire et à l’imitateur d’un dieu de vérité et de miséricorde ? Que votre sainteté m’accorde donc le pouvoir de mettre à ses pieds le livret de l’auteur, et de lui demander humblement sa protection pour et ses bénédictions pour l’autre. En attendant, très profondément incliné, je baise vos pieds sacrés »
Il reçoit une réponse du pape avec deux médailles, il aura une réponse, le pape le félicite pour une de ses œuvres, mais pas celle de Mahomet. Qu’importe Voltaire fera une traduction, un faux en écriture où il va substituer à l’œuvre citée, celle de Mahomet. Il fera connaître cette lettre (falsifiée) ; le pontificat ne réagit pas. Cela permettra à Voltaire de regagner l’appui de quelques personnalités pour obtenir ce qu’il désirait depuis longtemps, être élu à l’Académie Française.

(Ce faux en écriture ne sera découvert par des historiens qu’en 1957)

Biographie (Danielle)  2ème partie :
En Angleterre, Émilie du Châtelet, Cirey, Berlin et Ferney

En Angleterre
Écrites en partie en Angleterre, les Lettres philosophiques sont « la première bombe lancée contre l’Ancien Régime ». Elles vont faire à Paris en 1734 un énorme scandale et condamner leur auteur à l’exil.

Voltaire a 32 ans. Cette expérience va le marquer d’une empreinte indélébile. Il est profondément impressionné par l’esprit de liberté de la société anglaise. Alors qu’en France règnent les lettres de cachet, la loi d’ Habeas corpus de 1679 et la Déclaration des droits de l’homme de 1689 protègent les citoyens anglais contre le pouvoir du roi. La réussite matérielle du peuple d’Angleterre suscite aussi son admiration. Il estime que, là où croît l’intensité des échanges marchands et intellectuels, grandit en proportion l’aspiration des peuples à plus de liberté et de tolérance.
   Il ne lui faut que peu de temps pour acquérir une excellente maîtrise de l’anglais. En novembre 1726, il s’installe à Londres. Il rencontre des écrivains, des philosophes, des savants (physiciens, mathématiciens, naturalistes) et s’initie à des domaines de connaissance qu’il ignorait jusqu’ici. Son séjour en Angleterre lui donne l’occasion de découvrir Newton dont il n’aura de cesse de faire connaître l’œuvre. C’est en Angleterre qu’il commence à rédiger en anglais l’ouvrage où il expose ses observations sur l’Angleterre, qu’il fera paraître en 1733 à Londres sous le titre Letters Concerning the English Nation et dont la version française n’est autre que les  Lettres philosophiques.
   À l’automne 1728 il est autorisé à rentrer en France pourvu qu’il se tienne éloigné de la capitale.
Voltaire veut être riche pour être un écrivain indépendant. À son retour d’Angleterre, il n’a que quelques économies qu’il s’emploie activement à faire fructifier. Il gagne un capital important en spéculant et en recevant sa part de l’héritage paternel. Ces fonds sont placés  dans le commerce et Voltaire va prêter de l’argent à des grands personnages. Il s’enrichit considérablement.
   En 1730, il est auprès d’ Adrienne Lecouvreur Adrienne, une actrice qui a joué dans ses pièces et avec laquelle il a eu une liaison, lorsqu’elle meurt. Le prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice refuse la sépulture (la France est alors le seul pays catholique où les comédiens sont frappés d’excommunication. Le cadavre doit être enterré dans un terrain vague sans aucun monument. Quelques mois plus tard meurt à Londres une comédienne, Mrs Oldfield, enterrée à Westminster Abbey. Là encore, Voltaire fait la comparaison.

Emilie du Châtelet :
Depuis des mois, sa santé délabrée fait que Voltaire vit sans maîtresse. En 1733, il devient l’amant d’ Emilie du Châtelet  qui a 27 ans, 12 de moins que Voltaire. Fille de son ancien protecteur, le baron de Breteuil elle décide pendant seize ans de l’orientation de sa vie, dans une situation quasi conjugale. Ils ont un enthousiasme commun pour l’étude et sous l’influence de son amie, Voltaire va se passionner pour les sciences. Elle joue un rôle essentiel dans la métamorphose de l’homme de lettres en « philosophe ». Ils vont connaître dix années de bonheur et de vie commune. La passion se refroidit ensuite. Les infidélités sont réciproques (la nièce de Voltaire, Mme Denis devient sa maîtresse fin 1745, secret bien gardé de son vivant ; Mme du Châtelet s’éprend passionnément de Saint-Lambert en 1748, mais ils ne se sépareront pas pour autant, l’entente entre les deux esprits demeurant la plus forte. À sa mort, en 1749, elle ne sera jamais remplacée.

 Cirey:
1734 est l’année de la publication clandestine des Lettres philosophiques. Le livre est condamné par le Parlement à majorité janséniste et brûlé au bas du grand escalier du Palais. Une lettre de cachet est lancée contre Voltaire qui s’enfuit à Cirey, le château champenois que possèdent les Châtelet.

Pendant les dix années suivantes passées pour l’essentiel à Cirey, Voltaire va jouer un double jeu : rassurer ses adversaires pour éviter la Bastille, tout en continuant son œuvre philosophique pour gagner les hésitants. Voltaire restaure Cirey grâce à son argent. Les journées sont studieuses.
En 1736, Voltaire reçoit la première lettre du futur roi de Prusse. Commence alors une correspondance qui durera jusqu’à la mort de Voltaire. Frédéric veut l’attacher à sa cour. Voltaire lui rend plusieurs fois visite, mais refuse de s’installer à Berlin du vivant de Mme du Châtelet qui se méfie du roi philosophe.
Pour cette raison peut-être, Madame du Châtelet pousse Voltaire à chercher un retour en grâce auprès de Louis XV. De son côté, Voltaire ne conçoit pas d’avenir pour ses idées sans l’accord du roi. En 1744, il est aidé par la conjoncture : le nouveau ministre des Affaires étrangères est d’Argenson, son ancien condisciple de Louis le Grand et surtout il a le soutien de la nouvelle favorite Mme de Pompadour, qui l’admire. Son amitié avec le roi de Prusse est un atout. Il se rêve en artisan d’une alliance entre les deux rois et accepte une mission diplomatique, qui échoue. Grâce à ses appuis, il obtient la place d’historiographe de France, le titre de « gentilhomme ordinaire de la chambre du roi » et les entrées de sa chambre.
   De même, la conquête de l’ Académie Française  lui paraît « absolument nécessaire ». Il veut se protéger de ses adversaires et y faire rentrer ses amis (à sa mort, elle sera majoritairement voltairienne et aura à sa tête d’Alembert qui lui est tout dévoué. Après deux échecs et beaucoup d’hypocrisies, il réussit à se faire élire le 2 mai 1746.
La même année, Zadig , un petit livre publié clandestinement à Amsterdam est désavoué par Voltaire.
À la mort de Madame du Châtelet, avec laquelle il avait cru faire sa vie jusqu’à la fin de ses jours malgré leurs querelles et infidélités réciproques, Voltaire est désemparé et souffre de dépression. Il a 56 ans. Il ne reste que six mois à Paris. L’hostilité de Louis XV et l’échec de sa tragédie Oreste le poussent à accepter les invitations réitérées de Frédéric II.

Berlin :
Il part en juin 1750 pour la cour de Prusse. Magnifiquement logé dans l’appartement du maréchal de Saxe, il travaille deux heures par jour avec le roi qu’il aide à mettre au point ses œuvres. Le soir, soupers délicieux avec la petite cour très francisée de Postdam où il retrouve Maupertuis, président de  l’Académie des sciences de Berlin.

   Voltaire va passer plus de deux ans et demi en Prusse. Mais après l’euphorie des débuts, ses relations avec Frédéric se détériorent. Un pamphlet de Voltaire contre Maupertuis provoque la rupture. Voltaire demande son congé.

Ferney :
Jusqu’à la fin de l’année, il attend à Colmar la permission de revenir à Paris, mais le 27 janvier 1754, l’interdiction d’approcher de la capitale lui est notifiée. Il se dirige alors, par Lyon, vers Genève. Il pense trouver un havre de liberté dans cette république calviniste de notables et de banquiers cultivés parmi lesquels il compte de nombreux admirateurs et partisans.

Grâce à son ami  François Tronchin, Voltaire achète sous un prête-nom (les catholiques ne peuvent pas être propriétaires à Genève), la belle maison des Délices et en loue une autre dans le canton de Vaud pour passer la saison d’hiver. Les Délices annoncent Ferney. Voltaire embellit la maison, y mène grand train, reçoit beaucoup, donne en privé des pièces de théâtre.
Voltaire collabore à L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (125 auteurs recensés). Ce grand dictionnaire vendu dans toute l’Europe  (la souscription coûte une fortune) défend aussi la liberté de penser et d’écrire, la séparation des pouvoirs et attaque la monarchie de droit divin . L’Encyclopédie est interdite le 8 mars 1759, par décret royal.
Pour mieux assurer son indépendance et échapper aux tracasseries des pasteurs de Genève,  Voltaire achète le château  de Ferney en territoire français, mais loin de Versailles et à quatre kilomètres de la république genevoise  où il peut trouver refuge.

Voltaire est devenu riche et en est fier. Sa fortune lui permet de reconstruire le château, d’en embellir les abords, d’y construire un théâtre, de faire de son vivant du village misérable de Ferney une petite ville prospère et aussi de tenir table et porte ouvertes.
C’est la nièce et compagne de Voltaire, Madame Denis, qui reçoit comme maîtresse de maison. Les visiteurs de Voltaire, sont en général frappés par le charme de sa conversation, la vivacité de son regard, sa maigreur, son accoutrement.
Ferney est la période la plus active de la vie de Voltaire. Il va y résider vingt ans jusqu’à son retour à Paris. C’est à Ferney qu’il va acquérir une nouvelle stature, celle d’un champion de la justice et de l’humanité et livrer ses grandes batailles. Suite dans la troisième partie.

⇒  Voltaire prône, dans l’esprit des épicuriens, dans l’esprit des philosophes libertins, (même si le terme n’est pas évoqué à cette époque), la laïcité.
Son séjour en Angleterre l’amène à écrire : «  S’il n’y avait en Angleterre qu’une seule religion, le despotisme serait à craindre, s’il y en avait deux, elle se couperaient la gorge, mais il y en a trente, et elles vivent en paix et heureuses » «  Un Anglais, comme homme libre, va au Ciel par le chemin qui lui plaît »                                        (Lettres philosophique)

⇒  Il existe un très bon film « Emilie du Châtelet » qui met en lumière cette femme exceptionnelle, cette femme érudite, « savante », laquelle a traduit l’ouvrage de Newton sur la gravité, Voltaire n’ayant été en cela que son rédacteur. Maîtresse et compagne intellectuelle de Voltaire, il l’a surnommée : « Pompon Newton » ;
Quant au feuilleton de Voltaire et du clergé, celui-ci désire entrer à l’Académie Française, mais les « dévots » qui sont près du roi, lui font barrage. Il lui faut donner des gages, revenir en religion. Alors feignant d’être mourant (à Ferney) il obtient que le curé du village lui donne l’absolution, et ceci en présence de son secrétaire. Lorsque le curé est parti, il saute de son lit comme un cabri et dit : « maintenant allons faire un tour » (Voltaire. Pierre Milza)

Voltaire l’impertinent, et, le génie d’un arriviste (Guy)

Dans son introduction aux « Lettres philosophiques » de Voltaire. (Flammarion 2005), Roger-Pol Droit, donne un bon portrait de Voltaire : « …. Voilà au premier regard ce qui caractérise Voltaire. De l’esprit, assurément. De l’ironie, toujours. Un sens permanent de la provocation, du détail assassin, un talent pour mettre les idées en situation et les transporter en images, puis en récits [… ] cet homme est d’abord un frondeur doué pour narguer les pouvoirs, faire sourire aux dépens de l’universelle bêtise… »
   L’influence et la réputation de Voltaire en Europe, est aussi due au fait que dans toute l’Europe peu ou prou cultivée, on lit et on parle le français.

Voltaire est classé comme « l’impertinent », et parfois, au cynisme de ses billets il ajoute comme à plaisir des pointes de méchanceté.
C’est dans sa nature, « un coup d’encensoir, un coup de griffe ».  Voltaire sait flatter, comme il sait  mépriser. Ainsi lorsque Rousseau qui admire Voltaire, lui envoie en 1755 son « Discours sur l’inégalité » …Voltaire lui répond ironiquement : «  J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous en remercie (…) On n’a jamais tant employé d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre » (Leur échange de lettres est publié dans le Mercure de France 1755)
   « Habile courtisan, dévoré d’ambition, il vise la plus haute branche. Il s’y installe. Il jouit de sa position dominante jusqu’au moment, où, à propos de tout et de rien,  – une trahison mineure, un propos désobligeant- ou par pure fidélité à une coterie, il coupe la branche et se retrouve simple mortel blessé, au pied de l’arbre qu’il a eu tant de mal à escalader »  (Voltaire. Pierre Milza. Albin Michel. 2007)
Voltaire se lance  à fond dans  les affaires avec âpreté, avec une totale  absence de scrupules et de sentiments qui vont de pair avec une ladrerie qui deviendra légendaire. Les opérations les plus douteuses ne le font  pas reculer. Il va s’accoquiner avec des affairistes juifs dont Salomon Levi ce qui ne l’empêchera pas plus tard d’écrire contre celui qui n’est, je cite: « d’aucun pays que celui où il gagne de l’argent », et ce même Voltaire devenu riche va prêter de l’argent à des nobles et à des taux aux limites de l’usure.
Voltaire est un duelliste, son épée c’est sa plume, mais un duelliste avec les mots, d’une ironie décapante, et incapable de réfréner un bon mot.
D’ailleurs l’écrivain toujours plus ou moins malade, hypocondriaque  souvent mourant, et se connaissant bien, dira : « Je cesserai de mourir s’il me venait un bon mot ».
Voltaire prend toujours des risques avec sa plume. Il écrira au sujet de Frédéric, aux mœurs particulières,  lequel l’a accueilli, hébergé, «  la coquette, l’aimable putain »
Voltaire est essentiellement polémiste, il dit de lui-même qu’il est un « escarmoucheur », ainsi dans une lettre à Condorcet (11 janvier 1776), il écrit : « Pour moi, chétif, je fais la guerre jusqu’au dernier moment. Jansénistes, Molinistes, Frérons.., à droite à gauche et de prédicants et J.J. Rousseau. Je reçois cent estocades : J’en rends 200, et je ris. J’ai passé ma vie (dira t-il) à escarmoucher »
   Voltaire est toujours entre deux aspirations, faire partie du tout Paris de son époque, avoir la reconnaissance du roi, dévoré par la soif de la célébrité, avoir sa notoriété aussi dans le peuple ; il évolue dans ce triangle : le roi, les nobles, le peuple ; cherchant à les séduire tour à tour au gré de l’intérêt du jour. Voltaire n’est fidèle qu’aux intérêts de Voltaire.

Le jeune Voltaire, bien qu’il dénonce le pouvoir absolu, vise une charge honorifique à la cour, charge qu’il finira par avoir, mais il veut conserver sa liberté de parole ; ce qui s’avère incompatible, et lorsqu’il va séjourner à Versailles, il dit qu’il se sent parfois « comme un athée dans une église »
   Voltaire est un mondain, (d’aucun le qualifierait de BHL du 18ème siècle). Manipulateur, hypocrite parfois, sans morale et à l’occasion de la plus extrême mauvaise foi, capables de volte-face….

Finalement tous ces défauts, sont le contrepoids d’un immense talent, mêlant l’acuité, la capacité d’analyse, à une plume géniale.
Il est le premier animateur de cette époque des Lumières, il retient l’attention de tout un univers de son temps, c’est déjà un modèle de communicant, c’est aussi un agitateur d’idées, il serait aujourd’hui un lanceur d’alerte.

⇒  Voltaire est un esprit brillant et pétillant. Et à propos des événements récents j’ai relu des textes de Voltaire. J’ai acheté son « dictionnaire de la philosophie ». Je le trouve plutôt individualiste, c’est peut-être ce qui me gêne chez lui. Quand à la religion issue de la raison, je n’y adhère pas, nulle raison ne peut apporter une preuve à une croyance. Mais là où je rejoins Voltaire, c’est le refus du mysticisme, ou tout ce qui veut nous faire croire au surnaturel.

⇒  Si l’on considère l’époque de Voltaire, avec l’emprise de l’Eglise, est-ce que en regard du personnage de Voltaire, son déisme ne serait-il pas qu’un masque pour cacher un athéisme réel ? Parce qu’on a vu les gesticulations, les manipulations dont il fut capable, ne serait-ce qu’en faisant semblant de mourir pour avoir les sacrements.

⇒  Pour évoquer toute la verve de Voltaire, une anecdote nous raconte que la duchesse d’Aiguillon devait recevoir Monsieur de Montesquieu et elle avait demandé à Voltaire quatre vers pour son invité. Et Voltaire fit un pamphlet : «  Madame la duchesse d’Aiguillon m’a commandé quatre vers comme on commande quatre pâtés, je lui ai fait savoir que mon four n’était pas chaud ». Mêlant un jeu de mots, du four pas chaud à l’expression de l’époque « peu me chaud »
Et son humour féroce s’allie au talent du poète créant à l’impromptu des vers en octosyllabes. Ainsi lorsqu’à la cour on lui parle de son ennemi, Jean Fréron, chef de file des dévots, il déclame : « L’autre jour au fond d’un vallon / un serpent mordit jean Fréron / Que croyez-vous qu’il arriva / ce fut le serpent qui creva »

La religion de Voltaire. 3ème partie (Edith) :

 J’étais jusqu’à présent, jusqu’à ce que j’aie à travailler sur ce sujet, sur ce texte, très hostile à Voltaire. Ceci parce que j’aime bien Rousseau, lequel a fait beaucoup pour les idées de la Révolution, alors que Voltaire a surtout fait beaucoup pour lui.
Mais en réfléchissant sur ce qu’il a écrit sur les religions, et bien, malgré tout ce que j’ai pu entendre ce soir, je ne suis plus aussi hostile à Voltaire. Ceci parce qu’il a exprimé dans cet opuscule sur le déisme des idées (bien sûr déjà connues), mais c’est un mouvement d’esprit qui se met en route, et il dit une chose qui me semble importante, c’est que les religions, toutes les religions découlent de la religion naturelle. Eh bien, c’est le fait que la religion est fondée sur la connaissance d’une vérité qui s’oppose à la raison, et il dit ! «  La raison, dès l’origine ayant été le partage de l’homme, les « primitifs » ont du reconnaître d’emblée la vérité de la religion naturelle »
Comme la raison, la religion naturelle va étendre son empire sur toute l’humanité, et la reconnaissance du déisme sera ce qui permettra de réconcilier les hommes. D’ailleurs, à la fin du souper de Bassorah, tout le monde embrassait Zadig.
Alors c’est quoi cette religion de la raison, cette religion qui est commune, qui est le fondement de toutes les religions ? Eh bien ! C’est simplement que si l’on raisonne, si l’on réfléchit, eh bien, on retrouve une morale universelle : « J’entends par religion naturelle les principes de la morale  communs au genre humain ».
Et dans « Le déisme » toujours, il dit : « Celui qui ne reconnaît qu’un dieu créateur, grand architecte de l’univers, horloger nécessaire pour comprendre qu’il y a une horloge, il fut finalement, insuffisamment religieux. Il n’est pas plus religieux envers lui-même qu’un européen qui admirerait le roi de la chine ???»
   « Être fidèle à la religion naturelle, à cette religion qui est commune à tous, c’est penser que Dieu a désiré mettre un rapport entre lui et les hommes, qu’il les a fait libres, capables du bien et du mal, et qu’il leur a donné tout ce bon sens qu’est l’instinct de l’homme. Celui-là a en effet une religion. Une religion bien meilleure  que toutes les sectes qui sont tirées de là, et qui sont hors de notre Eglise. Toutes ces sectes sont fausses, alors que la loi naturelle est la vraie ». Ainsi, le déisme c’est tout simplement le bon sens, et l’idée que les hommes sont libres, et ont la raison qui leur permet de réfléchir.

Et puis dans la deuxième partie de sa vie de 1750 à 1778, Voltaire passe au théisme.
Alors pour cela je reprends Candide, et la conclusion de l’ouvrage : « Tout ce que nous avons de mieux à faire sur la terre, c’est de la cultiver ». Et cette morale s’appuie sur une philosophie optimiste qui suppose que la terre est  cultivable. « L’être humain ne jouit d’aucun privilège dans la création, l’homme est en contrebande sur une terre qui ne lui est pas spécialement destinée ».
Donc on retrouve cette philosophie profondément anticléricale, au sens anti-chrétien qui ne croit pas qu’un dieu s’intéresse à l’homme. Cependant Dieu n’est pas supprimé, il reste « le maître du vaisseau » comme il dit, ajoutant, «  Le monde est chaos du point de vue limité de l’homme souris. Mais il fut ordonné, le bâtiment divin a une charpente à laquelle on peut se confier, l’univers n’est pas absurde »
Et donc il écrit : « Je mourrai pour cette religion éternelle, la religion naturelle, mère de toutes les autres qui déchirent les entrailles dont elles sont sorties »
   Théisme et non plus déisme dit Voltaire depuis les Mélanges de 1751. Le mot de théisme était plus neuf et plus noble. Il désignait une conviction plus positive : le théisme professe un credo plus étoffé que le déiste ; il accepte qu’un culte soit rendu à la divinité. C’est le mot par lequel Voltaire désigne son évangile; c’est celui qu’il arbore dans sa Profession de foi des théistes (1768). Les théistes sont les « adorateurs d’un Dieu ami des hommes » ils déclarent solennellement qu’ils croient en Dieu. En quel Dieu ? Dans les œuvres de propagande Voltaire affirme que ce Dieu, justicier éternel, se charge de rémunérer les vertus et de punir les vices des hommes  Il faut que tous, petites gens et têtes couronnées sachent que les crimes secrets ou provisoirement impunis recevront un jour leur châtiment. Mais ce Dieu ne s’incarna jamais. Et si l’homme lui ressemble par la lueur de la raison il y a une disproportion entre cette pauvre flamme et la lumière de la raison divine. La prière ou l’hommage sont anthropomorphiques : résignation et non gloire à Dieu, il est trop au- dessus de la gloire « La distance réduit l’homme à l’adoration, qui n’est rien d’autre que le sentiment de cette distance »
   Alors d’après lui : toutes les religions dérivent par corruption de cette source théiste. Le théisme fut la religion primitive, simple et rationnelle. Malheureusement le théisme n’eut qu’un temps, après quoi il fallut qu’il dégénère .Mais on le retrouve encore au fond de toutes les religions. Il est la religion sous-jacente qu’un certain nombre de grands hommes s’efforcèrent de rejoindre. Socrate fut théiste, et Jésus, et même Mahomet. L’adoration d’un Dieu, la pratique de la morale sont essentielles à l’humanité. Le théiste ne se montre pas exigeant ; il demande seulement à son frère de reconnaître que cette loi « adore et sois juste » est gravée dans son cœur et il le prie de ne rien ajouter.

Donc les  théistes seront tolérants : « ils sont les frères aînés du genre humain et ils chérissent leurs frères »  Ils aiment ou du moins ils plaignent leurs frères égarés. Ils ne persécutent pas les superstitieux si leur superstition est inoffensive. Ils demandent qu’on tolère tous les cultes: il est absurde d’embastiller les partisans de la grâce efficace pour des opinions purement spéculatives, il est barbare d’envoyer aux galères, ou au supplice, des protestants, de mettre à l’Inquisition des Juifs parce qu’ils prient leur Dieu à leur manière.
Contre les crimes de l’intolérance, les théistes invoquent la protestation de la nature et de l’humanité. Le tolérant théiste prend soin de marquer cependant une hiérarchie : les théistes sont les frères aînés. Le théisme est le père. Toutes les religions se valent mais le théisme vaut mieux qu’elles toutes. La religion universelle et essentielle ne peut pas ne pas l’emporter à la longue .Une nouvelle réforme se prépare donc, en vue de laquelle Voltaire, apôtre du théisme, a risqué certaines initiatives et avancé quelques propositions « honnêtes ».

⇒ On a dit de voltaire qu’il avait popularisé les œuvres de Newton. Les écrits de newton n’étaient en fait que des chiffres, des formules, et les gens capables de les comprendre de les transcrire en français, n’étaient pas nombreux, et c’est le travail qu’a fait Emilie du Châtelet. Sa publication est restée la seule traduction officielle jusqu’à l’année 2000, la seule faisant foi dans le milieu scientifique.
Il aura fallu attendre 2000 pour qu’un hommage lui soit rendu.

Biographie 3ème partie : dernière période (Danielle)

Lutte contre l’injustice :
À partir de l’affaire Calas, le mot d’ordre « Écrasez l’Infâme » apparaît sous sa plume. Le 22 mars 1761, Voltaire est informé que, par ordre du Parlement de Toulouse un vieux commerçant protestant, nommé Calas, vient d’être roué, puis étranglé et brûlé. Il aurait assassiné son fils, qui voulait se convertir au catholicisme. Voltaire apprend bientôt qu’en réalité Calas a été condamné sans preuves. Des témoignages le persuadent de son innocence. Convaincu qu’il s’agit d’une tragédie de l’intolérance, il entreprend la réhabilitation du supplicié et l’acquittement des autres Calas qui restent inculpés.
Il réussit de même à faire réhabiliter Sirven, un autre protestant condamné par coutumace le 20 mars 1764 à être pendu, avec sa femme, pour le meurtre de leur fille que l’on savait folle et qu’on trouva noyée dans un puits.
L’affaire La Barre surpasse en horreur celles de Calas et de Sirven. À  Abbeville, le 9 août 1765, on découvre en pleine ville, sur le Pont-neuf, un crucifix de bois mutilé. Les soupçons se portent sur un groupe de jeunes gens qui se sont fait remarquer en ne se découvrant pas devant la procession du Saint-Sacrement en chantant des chansons obscènes et en affectant de lire le Dictionnaire philosophique de Voltaire. Le chevalier de La Barre, âgé de 19 ans, est condamné à avoir la langue coupée, puis à être décapité et brûlé. Le Parlement de Paris confirme la sentence. L’exécution a lieu le 1er juillet 1766. Le Dictionnaire philosophique est brûlé en même temps que le corps et la tête du condamné. Voltaire rédige l’exposé détaillé de l’affaire, fait ressortir le scandale, provoque un revirement de l’opinion. Le juge d’Abbeville est révoqué, les coïnculpés acquittés.
Son engagement pour combattre l’injustice va durer jusqu’à sa mort.

Dernier acte :
« J’ai été pendant 14 ans l’aubergiste de l’Europe », écrit-il à Madame du Deffand. Ferney se trouve sur l’axe de communication de l’Europe du Nord vers l’Italie, itinéraire du Grand Tour de l’aristocratie européenne au XVIIIe siècle. Les plus nombreux visiteurs sont les Anglais qui savent que le philosophe aime l’Angleterre mais il y a aussi des Français, des Allemands, des Italiens, des Russes.

   À Ferney, l’artiste genevois Jean Huber, devenu un familier de la maison, a fait d’innombrables croquis et aquarelles de Voltaire, dans l’ordinaire de sa vie quotidienne. En 1768, l’impératrice Catherine II  lui commande un cycle de peintures voltairiennes dont neuf toiles sont conservées au  musée de l’Ermitage.
   Les capitaux que Voltaire investit tirent Ferney de la misère. Dès son arrivée, il améliore la production agricole, draine les marécages, plante des arbres, achète une nouveauté dont il est fier, la charrue à semoir et donne l’exemple en labourant lui-même chaque année un de ses champs. Il fait construire des maisons pour accueillir de nouveaux habitants, développe des activités économiques, soieries, horlogerie surtout.
   Bien avant la mort de Louis XV, Voltaire souhaite revenir à Paris après une absence de près de 28 ans. Depuis le début de février 1773, Voltaire souffre d’un cancer de la prostate (diagnostic rétrospectif établi de nos jours grâce au rapport de l’autopsie pratiquée le lendemain de son décès). Les nouvelles autorités font comprendre à ses amis qu’on fermerait les yeux s’il se rendait aux répétitions de sa dernière tragédie. Après beaucoup d’hésitations, il se décide en février 1778 à l’occasion de la création d’Irène à la Comédie Française. Il s’installe dans un bel appartement de l’hôtel du  marquis de Villette.
   Dès le lendemain de son arrivée, Voltaire a la surprise de voir des dizaines de visiteurs envahir la demeure du marquis de Villette qui va devenir pendant tout son séjour le lieu de rendez-vous du Tout-paris « philosophe ».
Le 30 mars 1778 est le jour de son triomphe à l’Académie, à la Comédie Française  et dans les rues de Paris. Sur son parcours, une foule énorme l’entoure et l’applaudit. L’Académie en corps vient l’accueillir dans la première salle. Le public est venu pour l’auteur, non pour la pièce. La représentation d’Irène est constamment interrompue par des cris. À la fin, on lui apporte une couronne de laurier dans sa loge et son buste est placé sur un piédestal au milieu de la scène. On s’exclame : « Vive le défenseur des Calas ! ».
« Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la superstition ».
Voltaire a 83 ans. Atteint d’un mal qui progresse insidieusement pour entrer dans sa phase finale le 10 mai 1778, les mois qui lui restaient à vivre ont été pour lui, à la fois ceux de l’apothéose et du martyre. Il veut se prémunir contre un refus de sépulture. Dès le 2 mars, il fait venir un obscur prêtre de la paroisse de Saint-Sulpice, l’abbé Gaultier, à qui il remet une confession de foi minimale (qui sera rendue publique dès le 11 mars)  en échange de son absolution.
La conversion de Voltaire, au sommet de sa gloire, aurait constitué une grande victoire de l’Église sur la « secte philosophique ». Le curé de Saint-Sulpice et l’archevêque de Paris, désavouant l’abbé Gaultier, font savoir que le mourant doit signer une rétractation franche s’il veut obtenir une inhumation en terre chrétienne. Voltaire refuse de se renier. Un arrangement est trouvé. Dès la mort de Voltaire on le transportera « comme malade » à Ferney. S’il « décède pendant le voyage », son corps sera conduit à destination.

   Voltaire meurt le 30 mai dans l’hôtel de son ami le marquis de Villette. Le 31 mai, selon sa volonté, M. Try, chirurgien, assisté d’un M. Burard, procède à l’autopsie. Le corps est ensuite embaumé par M. Mitouart, l’apothicaire voisin qui obtient de garder le cerveau, le cœur revenant à Villette.
   Le neveu de Voltaire, l’abbé Mignot, ne veut pas courir le risque d’un transport à Ferney. Il a l’idée de l’enterrer provisoirement dans la petite abbaye sz  Scellière près de Troyes, dont il est abbé  commendataire. Le 31 mai, le corps de Voltaire embaumé est installé assis, tout habillé et bien ficelé, avec un serviteur, dans un carrosse qui arrive à Scellières le lendemain après-midi. Grâce au billet de confession signé de l’abbé Gaultier, il est inhumé religieusement dans un caveau de l’église avant que l’ évêque de Troyes, averti par l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont , n’ait eu le temps d’ordonner au prieur de Scellières de surseoir à l’enterrement.

Le Panthéon :
Après la mort de Voltaire, Mme Denis, légataire universelle, vend Ferney à Villette (la bibliothèque, acquise par Catherine II, est convoyée jusqu’à Saint-Petersbourg par Wagnière). Villette, s’apercevant que le domaine est lourdement déficitaire, le revend en 1785. Le transfert de la sépulture à Ferney devient impossible. L’abbé Mignot veut commander un mausolée pour orner la dalle anonyme sous laquelle repose Voltaire, mais les autorités s’y opposent.

   En 1789, l’Assemblée constituante vote la nationalisation des biens du clergé. L’abbaye de Scellière  va être mise en vente. Il faut trouver une solution. Villette fait campagne pour le transfert à Paris des restes du grand homme (il a déjà débaptisé de sa propre autorité le quai des Théatins en y apposant une plaque : « Quai Voltaire»). C’est lui qui lance le nom de Panthéon  et désigne le lieu : la basilique de Sainte-Geneviève .
Le 30 mai 1791, jour anniversaire de sa mort, l’Assemblée, malgré de fortes oppositions (les membres du clergé constituent le quart des députés) décide le transfert. Le 4 avril, l’Assemblée décrète que « le nouvel édifice de Sainte-Geneviève sera destiné à recevoir les cendres des grands hommes ». Mirabeau est le premier « panthéisme ». Voltaire le suit le 11 juillet. Comme le corps de Mirabeau fut retiré de ce monument des suites de la découverte de  l’armoire de fer, Voltaire est devenu le plus ancien hôte du Panthéon. Sur le sarcophage se lit une inscription : « Il vengea Calas, La Barre, Sirven et Monbailli.. Poète, philosophe, historien, il a fait prendre un grand essor à l’esprit humain, et nous a préparés à être libres. »

   Son œuvre littéraire est variée : son théâtre, sa poésie épique, ses œuvres historiques, firent de lui l’un des écrivains français les plus célèbres au XVIIIe siècle mais elle comprend également des contes et romans, les Lettres philosophiques, le Dictionnaire philosophique et une importante correspondance, plus de 21 000 lettres retrouvées.

L’héritage de Voltaire dans la culture française. (Guy)

L’esprit voltairien va être une marque du caractère français, esprit critique, de révolte, épris de justice.  Franco dans ses mémoires, parlant de l’arrivée des  touristes français, dira : «  Je me méfie des enfants de voltaire ». Alors sommes-nous plus voltairiens que cartésiens ?
Voltaire comme Montaigne est parfois exclu du « monde des  philosophes » et ceci parce qu’ils ne sont pas faiseurs de système. Plus que d’élaborer à la chandelle, des théories, Voltaire a vécu avec son temps, il  a vécu en philosophe, il écrit pour être compris de tout le monde, « …ce qui n’est pas à la portée du commun des hommes..,(écrit-il) n’est pas nécessaire au genre humain ».
   Et comment pourrait-on exclure de nos grandes références philosophiques, celui qui a écrit l’ouvrage de référence : « Le traité sur la tolérance », qui a écrit, « Les lettres philosophiques », « Candide » celui qui a combattu les différents fanatismes, qu’il nomme « la peste de l’âme ». Celui qui s’insurge contre le refus de sépulture de la comédienne de la Comédie française, Adrienne Lecouvreur. (Les acteurs qu’on nomme les saltimbanques étaient excommuniés par l’Eglise, et jetés à la voierie après leur mort,  la comédienne sera enterrée dans un terrain vague du quartier Grenelle).
De même, comment exclure  celui qui va se battre pour la réhabilitation du chevalier de la Barre, celui qui va mener un long combat pour réhabiliter Calas, pour ne citer que les affaires les plus connues.
Mais cet intellectuel prolifique est aussi un auteur de théâtre, plus de 40 œuvres, dont les plus connues sont « Œdipe, la mort de César, Le fanatisme, ou Mahomet le Prophète, Zaïre, etc.», Poète bien sûr, et ce que l’on sait moins, historien. Il écrira (entre autre) « L’Histoire du siècle de Louis XIV » et dans ce domaine il est des plus rigoureux, il consulte énormément, il écrit à des témoins, il va les rencontrer, il va même jusqu’à passer un mois dans une abbaye, dormant dans une cellule, vivant avec, et comme les moines, ceci afin de faire ses recherches dans leur fabuleuse bibliothèque. Il sera vulgarisateur scientifique avec Emilie du Châtelet qui lui a beaucoup  appris dans ce domaine. De plus il laissera des milliers de lettres (on parle de 21000 lettres) témoignant de tous ses contacts a à travers l’Europe.
Et de Voltaire nous avons hérité des modifications de règles de grammaire. Ainsi avec lui, et après lui, par exemple, on n’écrira plus les François ou les Anglois, alors qu’on prononçait, Français et Anglais.
Voltaire, philosophe engagé, tête de file des Zola, Hugo, Sartre, dit qu’il faut informer, faire savoir les injustices. « Si quelque chose », dit-il « peut arrêter chez les hommes le fanatisme, c’est la publicité ». Il donnera publicité à l’affaire Callas et à d’autres cas, il alerte l’opinion publique, laquelle notion « d’opinion publique » naît avec Voltaire. Il parle de « voie publique.., cette voie de toutes les honnêtes gens réunies qui réfléchissent »
Voltaire est philosophe avec son temps comme va le préconiser plus tard Hegel, il réagit à chaud sur les événement de son époque, ainsi le fera t-il avec son poème ; « Le désastre de Lisbonne », et là on découvre tout son style du poète et presque style journalistique, tant le propos donne à voir des scènes, et ce poème est aussi une fois de plus de s’opposer, à « ce tout est bien, ce « meilleur des mondes » Pope et de Leibniz. Il écrira : « L’optimisme est désespérant. C’est une philosophie cruelle sous un mot consolant. Hélas ! Si tout est bien quand tout est dans la souffrance, nous pouvons encore passer par mille mondes où l’on souffrira, et tout sera bien »  (Lettre à Elie Bertrand. 18 février 1756)
Voltaire est reconnu comme le premier intellectuel en France, un archétype de l’intellectuel engagé (même si ce thème intellectuel n’existait pas à son époque). La figure de Voltaire resurgit chaque fois que la liberté est bafouée.
Dans son émission 2000 ans d’histoire sur France Inter, Patrice Gelinet, débute ainsi : « En 2006 quand la publication des caricatures de Mahomet avait déchaîné la colère des intégristes et envoyé le directeur de Charlie Hebdo devant un tribunal, France Soir avait titré ; «  Au secours Voltaire, ils sont devenus fous.
   C’est dire à quel point, plus de deux siècles après sa mort, l’écrivain le plus célèbre du siècle des Lumières était encore d’actualité »

 La religion de Voltaire, dernière partie : (Edith)

Je suis d’accord sur le fait que c’était un individualiste, imbu de lui-même ; Mais quand même, il a compris que la religion au sens «  religaré » ce n’est pas seulement un culte. Il a fait la distinction entre « religaré » et « relegere », et c’est en sens qu’il : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer ».
Donc, Voltaire fit dans de son château de Ferney une église voltairienne consacrée non pas à des saints, comme les églises ordinaires, mais à Dieu seul c’est-à-dire à l’Etre suprême. Et    dans l’article « catéchisme » il explique que « le curé, doit connaitre un peu de droit, un peu de médecine, un peu d’agriculture. Il fera du bien à ses paroissiens, avec l’aide du Seigneur et de sa femme qui ne sont pas dévots. Il s’arrangerait d’une femme honnête, douce et agréable ; il ne posera pas aux filles qui se confesseront à lui, de questions indiscrètes, il n’excommuniera ni les sorciers, ni les comédiens, ni les sauterelles. Il assistera aux représentations du Misanthrope et d’Athalie, que le seigneur donne en son château. Il combattra l’ivrognerie, en permettant à ses ouailles de travailler le dimanche. Il prêchera la morale qui vient de Dieu et non la théologie qui vient des hommes ». Voltaire lui-même s’avisa de s’ingérer dans le service divin, à Pâques 1768, en entrant à l’office précédé de 6 cierges. Il n’officie pas en personne mais il prononce le sermon qui commence par « la loi naturelle est la plus ancienne » puis à nouveau en 1769. Les évêques, à chaque fois lui proposent les sacrements qu’il refuse. Mais ses amis l’accusent  de compromission avec l’Eglise … En 1778, la veille de sa mort il récidive: il refuse de se plier au rite catholique.
Et en 1770, après la cérémonie –suspecte pour beaucoup – de Pâques il écrit un grand ouvrage d’apologétique, Dieu et les hommes. Contre la cabale des athées, contre le fanatisme, il récapitule toutes les preuves historiques du théisme. Il part de la méchanceté des hommes , à laquelle la seule croyance d’un Dieu rémunérateur et vengeur « peut porter remède » ; il établit que toutes les nations civilisées ont cru à un Dieu, que seuls les Juifs, peuple tardif, cruel aux croyances mal fixées, font tâche dans ce concert universel; il démêle dans les Evangiles que Jésus ne fût pas chrétien mais un excellent théiste; il soutient que ses disciples, égarés par le platonisme, fabriquèrent une théologie dont le Maître n’avait pas la moindre idée; ainsi le christianisme a été fondé et il s’accroît  et ses crimes couvrent la terre.
A la fin de son ouvrage il construit un nouveau Temple: il veut bien qu’on continue à adorer Dieu par Jésus mais le nom de Jésus ne couvrira plus que la religion naturelle, réduite à la morale, sans théologie. Il conserve le culte public: il veut qu’on célèbre dans les temples des «cérémonies augustes », « un culte majestueux ». Il conserve aussi  le clergé mais critiquant le haut clergé, « qu’on supprime les cardinaux qui coûtent cher et ne servent à rien » mais aux évêques et aux curés  et « surtout il faut payer mieux le curé qui accomplit les tâches pénibles et nécessaires » : il tient le registre civil, il assiste les pauvres, il met la paix dans les familles.
Il propose de transformer les couvents en asiles où les vieillards et les invalides finiraient leurs jours dans la paix. Ainsi, dans toutes ses parties, le souci de l’utilité sociale inspire cette réforme Voltairienne: le dogme est réduit aux seules croyances qui soutiennent la morale, le clergé est conservé mais un clergé modeste et qui sert la société, à la fois par le culte auguste qu’il célèbre et par ses œuvres de bienfaisance.
La religion ainsi réformée sera inféodée à l’Etat dans quelques textes il envisage la séparation de l’Eglise et de L’Etat, mais ces textes sont peu nombreux. Son anticléricalisme caresse plutôt le projet d’un clergé de fonctionnaires qui ne puiserait plus dans les dîmes des ressources indépendantes mais que briderait étroitement le pouvoir qui le paierait. « L’Eglise est dans l’Etat et non l’Etat dans l’Eglise ». Frédéric II de Prusse qu’il conseillait, prévoyait ainsi l’avenir: le roi de France terminerait ses embarras financiers en s’emparant des biens du clergé, l’empereur annexerait les biens pontificaux et indemniserait le pape par une grosse pension. La France, l’Espagne, la Pologne se donneraient des patriarches nationaux, et cette révolution, complétant l’œuvre de la Réforme, enfermerait la religion de chaque Etat à l’intérieur de ses frontières.
Il préconisera qu’il faut garder le bas clergé, un clergé de fonctionnaires de l’Etat, que le dogme sera réduit aux seules croyances, que la religion sera inféodée à l’Etat qui en récupéra les biens.. Au final ses idées ont été reprises dans ce qui allait être un contrat entre l’Eglise et l’Etat.

⇒  Voltaire évoque souvent le despote éclairé, et ce qu’il devient dans son château de Ferney. C’est ce qu’a ressenti son visiteur, le marquis de Cubière (déjà cité) quand il écrit : « …ce qui m’étonne encore plus, c’est la ville que vous faites bâtir (il s’agit de Ferney). Ce qui me charme, ce sont les encouragements que vous donnez à l’agriculture dans un pays où le sol était si ingrat qu’il ne pouvait suffire à la subsistance de ses habitants. Mais la ville que vous avez bâtie, ne sera pas habitée, je pense, par les guerriers qui peuplent la terre, pas par de plats auteurs qui l’ennuient, mais par d’honnêtes laboureurs qui la rendront fertile, par des commerçant estimables qui l’enrichiront… »
    Donc, on voit le Voltaire devenu seigneur de Ferney, despote éclairé de « son petit royaume », ce qui d’un certain côté nous renvoie à Platon, au roi philosophe…

                                         Œuvres de Voltaire, (liste non exhaustive) :

Dictionnaire philosophique.
Traité sur la tolérance
Candide ou l’optimisme.
Le philosophe ignorant.
La philosophie de l’histoire.
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations.
Essai sur l’histoire universelle.
Zadig
Micromégas
Le siècle de Louis XIV
La Henriade
Histoire de Charles X
Et 21000 lettres

Œuvres théâtrales :

Œdipe.
Zaïre.
La mort de César
Brutus.
Rome sauvée.
Tancrède.
Le fanatisme ou Mahomet
Éryphile.
Sémiramis.

                                                              Bibliographie :

Voltaire. John Gray. Seuil/Essais 2000
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Voltaire le conquérant. Pierre Lepape. Seuil. 1994.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Histoire de la philosophie. Tome II. Emile Bréhier. PUF. 1968.
Voltaire. Pierre Milza. Edit Perrin. 2007
La philosophie des Lumières. Ernst Cassirier. Edit. Gérard Montfort. 1966.
Voltaire, sa jeunesse et son temps. Roger Peyrefitte.
Moi, j’écris pour agir ; la vie de Voltaire. Max gallo. Fayard 2008.
Voltaire contra los fanaticos. Fernando Savater. Edicion Ariel. 2005

                                                            Emissions radio

Les chemins de la philosophie. « L’esprit Voltaire ». France culture. 20. 02.2017
2000 ans d’Histoire. Patrice Gélinet. France Inter
Voltaire/Rousseau, enemigos intimos. Juan Antonio Cebrián. Radio onda zero. 2015

                                                               Internet

Le siècle de Lumières. http://www.espacefrancais.com/le-siecle-des-lumieres/

De Voltaire à Rivarol. Philippe Roger. (Podcast) Le collège de France. 17/01.2017.
https://www.college-de-france.fr/site/audio-video/

Vidéo You tube/ C’est la faute à Voltaire
https://www.youtube.com/watch?v=4Zpfgs_Kj0s

Vidéo You Tube/ Une figure des Lumières, Voltaire
https://www.youtube.com/watch?v=x5dK5VKaYDk

                                                                Films

Divine Emilie. (Émilie du Châtelet). Téléfilm. Arnaud Sélignac. 2007
Voltaire et l’affaire Calas. Francis Reusser. 2007

 

Pouvons-nous tout pardonner?

Restitution du débat du 6 décembre 2016 à Chevilly-Larue

Le retour du fils prodigue, par Lucio Massari. 1614. Pinacothèque de Bologne. Italie

Le retour du fils prodigue, par Lucio Massari. 1614. Pinacothèque de Bologne. Italie

Animateurs: Guy Pannetier.
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Guy Pannetier

Introduction : D’un individu à l’autre, en regard de notre tempérament, nous sommes plus ou moins enclins au pardon, ou plus ou moins rigide, rancunier. Cela va du laxisme dangereux « Demasiado perdones hacen ladrones » (Trop de pardons font des larrons) dit le proverbe espagnol, à trop de tolérance, à « la bonne poire ». Et cela peut aller aussi, jusqu’à l’entêtement, l’obstination, la rancune tenace, ou la vengeance, jusqu’à « pour un œil les deux yeux, pour une dent toute la mâchoire »
On pardonne à à ceux qu’on aime, on leur pardonne plus parce qu’ils sont un peu nous, et comme nous nous aimons bien ! « Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes… » dit la fable (La Fontaine) « On pardonne tout à ceux qu’on aime » dit un proverbe, et c’est aussi ce qu’illustre Cabrel dans sa chanson : « Elle rentrera blessée dans les parfums d’un autre, tu t’entendras crier que le diable l’emporte. Elle voudra que tu pardonnes et tu pardonneras. C’est écrit… »
Et l’on pardonne par grande faiblesse d’aimer, et jusqu’à la déraison : « « Ma mère, arrête tes prières, ton Jacques retourne en enfer, Mathilde est revenue     »
Le pardon est l’aboutissement d’une démarche initiée par l’homme, en tant qu’Être de conscience. Parce qu’il connaît instinctivement, par expérience, par éducation, la différence entre le bien et le mal, il aspire au bien, même ayant parfois fait le mal (Pascal
« Pensées ») ; parce qu’il veut conserver l’estime se soi, et pour cela il lui faut des regards non réprobateurs.
Pour celui qui pardonne, comme pour celui qui espère le pardon, une même instance réclame cette paix, c’est sa conscience. La conscience qui dicte à l’homme de ne pas tenir un individu infiniment coupable d’un acte répréhensif, ne pas le condamner moralement sans possibilité d’une rémission, acte qui de plus n’est peut-être répréhensif qu’au seul jugement de soi. Ne jamais pardonner, cela peut être ressenti comme un enfermement en soi.
L’individu a besoin du pardon, cela allège le poids de sa conscience, et l’on retrouve parfois chez des personnes qui avancent en âge, tout à coup un besoin de religion, un besoin, même hors de vagues espoirs d’au-delà, de croire qu’on pourra finir sa vie en étant libéré de tout ce que les hommes appellent, leurs mauvaises actions, ou encore pêchés ; mourir la conscience libre ayant pardonné et ayant obtenu pour soi le pardon des autres ; ou encore, certains veulent « s’alléger en vue du jugement dernier » Malgré la marchandisation de tout, aujourd’hui on ne peut plus, comme il y a quelques siècles encore, acheter des indulgences ; ou le pardon divin en tant que « créance titrisé » avant que le mot existe.
Le pardon participe à la reconstruction de soi, comme une guérison.
Mais le pardon est une démarche difficile, il faut se faire violence, faire taire les ressentiments ; le cœur voudrait bien pardonner, mais la tête résiste, le cœur voudrait que la blessure se cicatrise à tout jamais, et la tête, qui « fait la tête » dit « ce n’est pas moi qui ferai le premier pas ! ». Bien sûr, car offense il y a eu, et souvent offense ressentie par une personne comme par l’autre. Alors des deux « offensés » qui doit faire le premier pas ? Le premier geste, envoyer le premier signal ?
« Peut-être » dit un vers de Racine dans la pièce Bajazet. (Acte III. Scène. 1) « Peut-être il suffira d’un mot un peu plus doux / Roxane dans son cœur peut-être pardonnera….. Peut-être qu’elle attend un espoir incertain, qui lui fasse tomber les armes de la main ».
Alors, comment pouvons-nous comme dans la prière (Pater noster) pieusement : « pardonner à ceux qui nous ont offensé », parfois « ravaler notre orgueil » ? N’aurons-nous pas le sentiment de s’abaisser dans notre dignité, de nous humilier, de « tendre l’autre joue »
Peut-être, (pour être un tant soit peu pragmatique), je dirais qu’il n’y a rien a perdre dans une démarche de pardon, de tentative de réconciliation. Si celui avec qui on veut faire la paix, refuse, s’il met des conditions, s’il demande des excuses, s’il demande allégeance, c’est qu’il n’est pas prêt pour le pardon. Et dans ce cas, celui qui s’en sort le mieux, c’est celui qui a fait la démarche, le conflit n’est pas réglé, mais ce dernier est en paix avec sa conscience, car c’est là que logent ces sales bêtes de la rancune.
Alors, en dehors de comment pardonner, on peut se dire aussi, quand faut-il pardonner ? Est-ce que, si je ne pardonne pas tout de suite, je ne pardonnerai jamais, et là la rancune, l’impardonnable, s’enracine au plus profond.
Et de là, est-ce que je ne vais pas transmettre ma rancœur au-delà de moi-même, dans ma famille, on pense à l’interminable vengeance des Atrides, on pense à la vendetta, où le pardon finit par être impossible parfois, puisque des « Colonna » aux « Orsini » plus personne ne connaît l’origine du conflit. * (Noms choisis au hasard)
Et enfin, pour ne pas exploiter toutes les pistes de réflexion sur le pardon, je laisse pour le débat le soin d’évoquer, par exemple, le pardon breton, le kippour juif (grand Pardon) , les processions où les pénitents vont pieds nus, la quête de pardon collectif via la victime expiatoire (le bouc émissaire), le droit à l’oubli, la confession, (avec l’absolution, la rédemption, et tous les mots en « ion »), la résilience.., et puis, peut-on pardonner à celui qui n’a nulle repentance ? Comment un Tutsi peut-il pardonner à un Hutu.. Pouvons-nous pardonner le crime d’enfant, de personnes âgées, de personnes sans défense, puis pardonner les propos racistes, puis pardonner le viol, etc.
Voyons ce que chacun en pense !

Débat

Débat: ⇒Dans l’étymologie de pardon, il y a « donner », (faire grâce – Tenir quitte), c’est-à-dire une idée de gratuité, sans condition, sans contrepartie, qui ne se monnaie pas. Ça ne peut concerner que deux individus et pas toute une société qui devrait demander pardon, ou pardonner. Pour qu’une chose demande à être pardonnée il faut qu’il y ait un acte condamnable, (de damnare : blâmer, réprouver, condamner), reconnaître l’offense et dire comment elle va être punie. Condamner induit la punition d’une offense ; alors, le pardon est-ce que c’est une réparation, ou juste un appel à la paix, une rémission, une remise en équilibre ? C’est toute une démarche. Démarche qui touche à la psychologie, comme à la morale. Et l’on n’évitera pas dans le sujet les crimes de guerre, où là aussi se pose la question : « peut-on tout pardonner ? », et quel rôle pour l’oubli ?

⇒ Le mot qui m’interpelle dans la question « Pouvons-nous tout pardonner ? » c’est le mot « tout ». Ceci parce qu’on pense à des choses terribles, et pas à des petites querelles de famille. Si on pose la question avec le « tout » on sent que ce sera plus facile de pardonner à un ensemble d’individus, plus qu’à un seul. Il me serait très difficile d’absoudre le crime d’un être cher, même si je sais que la haine est destructrice, et qu’il faudra bien chasser la haine pour se reconstruire.

⇒ Les dictionnaires nous disent que « pardonner » c’est renoncer à punir, cesser d’entretenir de la rancune, et d’avoir de l’indulgence pour excuser…et André Comte-Sponvile dans son dictionnaire, lui, nous dit : « Accorder le pardon, ce n’est pas donner l’absolution qui supprimerait ou effacerait la faute, ce que nul ne peut, ni ne doit. Pardonner, ce n’est pas oublier, ni effacer, c’est renoncer le cas échéant à punir ou à haïr… »
Dans le manuel de philosophie Cuvillier, à la question : pourquoi envisager de pardonner, de pardonner quelque chose de grave ? Il est répondu : que ce sera en fonction de certaines personnes, ayant, ou pas, la faculté de discerner le bien du mal, et d’une conscience morale et intuitive. Celle-ci porteuse de sentiments de bienveillance.
Alors si je me dis : j’ai subi un affront, quelque chose m’a blessée, traumatisée, et que je garde de la haine au fond de moi ; alors, par confort, par lâcheté, vais-je pardonner, pour me soulager de ce poids ?
Après l’attentat du 13 novembre 2015, un homme ayant perdu son épouse dans cette tuerie, disait, j’ai pardonné. Je n’ai pas le choix, car toute la haine qui était en moi m’aurait pourri la vie entière. Qu’aurais-je fait à sa place ? De même ? Mais je ne veux pas pour autant, que le pardon soit la tolérance totale.

⇒ Aujourd’hui nous avons fait la promotion du pardon historique, qui a prit le nom de « repentance », ce qui amène d’une façon paradoxale, à demander aux petits-enfants, voire aux arrière-petits-enfants ; de demander pardon des actes de leurs ancêtres. Ce qui, somme toute, est gratuit, tenant du simulacre où chacun est abusé. Dans le pardon historique, on remarque aussi que par humanisme on pardonne plus à un groupe d’hommes, qu’à un seul être. C’est ainsi, qu’on a pu pardonner au peuple allemand, cela fut symbolisé par la poignée de main à Verdun entre Helmut Kohl et François Mitterrand en 1984; ce qui en aucune façon pardonne Hitler, Himmler, Heydrich, Eichmann, et combien d’autres.

⇒ Cette nécessité du pardon a longtemps été ce besoin de résilience des enfants des Allemands de la génération hitlérienne ; thème développé dans le livre de Bernhard Schlink « Le liseur », comment affronter cet héritage, avec le sentiment de culpabilité.

⇒ Le pardon c’est toujours quelque chose qui remplace la justice sociale par un jugement moral. Le pardon s’il n’est pas lié à une seule personne, peut être le fait de plusieurs personnes, voire d’un groupe, ou d’une famille, comme en Corse ; mais c’est lorsque la justice, en droit, est dépassée par le jugement moral, car le droit n’a pas à pardonner.
Alors ! Est-ce qu’il y a des actes impardonnables ? bien ! Forcément ! Et puisque c’est lié au jugement moral, ça varie suivant les individus, les cultures, les pays. L’insulte que je ne supporterai pas, laissera un autre, indifférent. Alors, oui, pour reprendre l’idée déjà émise, est-ce que le pardon peut être utilisé pour se soulager ?
Le journaliste, Jean-Paul Koffmann, otage au Liban, de mai 1985 à Mai 1988, dira : pour moi pardonner, c’est un acte d’hygiène mentale. Si je ne pardonne pas je deviens fou. Ça veut dire, qu’il n’y pas de pardon vis-à-vis de l’acte, ça se situe par rapport à lui-même.
Et quant à dire, le pardon peut me faire oublier, je pense à Marin Luther King, qui dans son ouvrage : « La force d’aimer », dit : «⇒», mais c’est (dit-il en substance) : si je pardonne, je dois aller jusqu’à l’oubli. On peut, ne pas être tous d’accord sur ce point de vue. Si on pardonne qu’en relation à soi, on n’est pas en mesure de faire comprendre à celui, à ceux, qui ont fait un acte reproché, que l’on veut pardonner.
Alors ! Dans la pardon, est-ce qu’il n’y a qu’un acte en rapport avec soi-même ? Acte d’hygiène morale ? De soulagement ? Ou est-ce qu’il y a une dimension à l’adresse de l’autre, qui lui dit : je veux que tu comprennes, que ce que tu as fait ce n’est pas bien !

⇒ Une petite brouille, on cesse de se voir, le temps passe, on ne veut pas revenir en arrière. Puis survient un décès, on aurait voulu faire un pas, faire un geste, trop tard. Peut-on en tirer la leçon ?

⇒ Est-ce qu’on peut refuser le pardon ? Si en toute sincérité une personne reconnaît une faute, une erreur, il semblerait inhumain de refuser.
Et puis la grande question que tant de personnes doivent se poser : quand le contact avec des personnes proches a été rompu pendant des années, comment raccrocher sans avoir le sentiment de se déjuger? Comment envoyer des signes ?
Pour ceux qui en ont une expérience : comment ça se passe ?

Tour de table; quelques réponses:

⇒ Une tierce personne, parfois, intervient.

⇒ Cela se fait lors d’un événement familial marquant: enterrement, mariage…

⇒ Un proche qui est resté neutre, va remettre les personnes fâchées en contact.

⇒ C’est trop personnel, un tiers ne peut pas « rabibocher » !

⇒ Il faut repenser aux causes, les analyser, et avec le temps, le recul, on se dit, mais c’est ridicule !

⇒ Parfois ce sont les enfants, car ils ne sont pas partie prenante, qui vont faire se rencontrer des parents fâchés, comme pour une naissance par exemple…

⇒ Alors oui, comment raccrocher ? ça peut passer par un mot qu’on fait passer par un tiers, pour voir si il aurait un retour. Aujourd’hui ça peut passer par un SMS à l’occasion d’un anniversaire, d’un moment marquant, ça peut être un message sur Facebook, un « tweet » ; tous ces nouveaux moyens de s’exprimer sans être trop engagé, sans avoir à expliquer.., et là, peut-être que l’autre n’attendant que ça, ou quelque chose comme ça, fera une courte réponse, et là sera créé un premier lien.

⇒ On ne peut pas tout oublier, mais le temps et les sentiments qui lient les personnes peuvent faire beaucoup plus qu’on ne croit. Le cas le plus courant est dans les couples, « le coup de canif dans le contrat », et là c’est la tempête, c’est l’orage, « ça passe ou ça casse » ! Et puis 20 ans, 30 ans plus tard, le couple est toujours, là, et uni, l’amour, qui souvent s’affranchi de la raison, a été le plus fort.

⇒ Il y a là, le pardon de fait, il n’y a pas oubli. Il y a le pardon où je demande, et celui où j’accorde mon pardon. Le pardon de fait ressemble au pardon, mais ce n’est pas le pardon.

⇒ Le pardon est dans toutes les versions des religions du Livre, mais c’est d’abord demander pardon à celui qui n’a pas pardonné. C’est le début de l’histoire, d’une histoire de pomme, faute impardonnable,….
Du Yom kippour, dit aussi « le grand Pardon », à l’Aït el fitr, (dit aussi « petite fête », au lendemain de la rupture du jeûne du Ramadan) on pardonne pour être pardonné, puis avec table ouverte, on attend, on espère la visite pour se réconcilier avec ceux avec qui on est fâché, « il faut pardonner pour être pardonné», disent le Coran, comme la Thora.
Chaque année en Bretagne ont lieu des rencontres religieuses, processions, pour le Pardon (dit : le Pardon breton) où l’on demande à un saint d’intercéder pour que les fautes soient pardonnées. Il est à signaler, que chaque année depuis 1954, dans la commune du « Vieux marché » en Bretagne le pardon réuni des imams qui lisent des versets de la Bible et des curés qui lisent des sourates du Coran.
Cette demande de pardon est toujours au début d’un nouveau cycle, où il faut être déchargé de ses fautes, le jour aussi où l’on doit faire « table rase » des querelles.
Pardonner est ce soulagement qui créé comme une renaissance à soi.

⇒ [Au début de 1980, lors d’une émission Vladimir Jankélévitch déclarait : « Ils ont tué six millions de Juifs, mais ils dorment bien, ils mangent bien, et le mark se porte bien »
Un Allemand Wiard Raveling lui écrirait une très belle lettre, restée célèbre : « Moi je n’ai pas tué de Juif. Que je sois allemand n’est pas ma faute…je suis tout à fait innocent des crimes nazis, mais cela ne me console guère. Je n’ai pas la conscience tranquille.., et j’éprouve un mélange de honte, de pitié, de résignation, de tristesse. Souvent je reste éveillé pendant la nuit, .. je pense à Anne Frank, à Auschwitz, et à « nuit et brouillard »…
Est-ce que j’ai le droit de me plaindre.., moi le fils du bourreau ?
Mes enfants ne connaissent pas de Juifs.., qu’ils soient nés allemands n’est pas leur faute… Je leur parlerai d’Anne Frank, je leur parlerai de « nuit et brouillard »
Si jamais, Monsieur Jankélévitch vous passez par ici, sonnez à notre porte, vous serez bien reçu, vous serez le bienvenu. On vous fera grâce de notre choucroute et de notre bière.
Peut-être s’il fait beau, vous irez faire une promenade avec nos enfants, et si la plus petite trébuche, vous allez la relever, et elle vous sourira avec ses jolis yeux bleus, et peut-être vous allez lui caresser ses jolis cheveux blonds..
Je vous pris de croire…]

Qu’entendons-nous par spiritualité?

Restituion du débat du 23 novembre 2016 à Chevilly-Larue

Détail de l'œuvre de Puvis de Chavannes. Marie Madeleine au désert de la Beaume. 1869. Städel Muséum. francfort.

Détail de l’œuvre de Puvis de Chavannes. Marie Madeleine au désert de la Beaume. 1869. Städel Muséum. Francfort

Animateurs: Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier. Danielle Vautrin
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Guy Pannetier

Introduction : Je laisse pour le débat les approches étymologiques de « spiritualité », je n’en ai retenu une seule : « découle du mot latin « spritus »/esprit ».
Le désir d’étudier ce thème fut suscité d’abord par une relecture récente de l’œuvre de Jean Giono : « Regain »
Puis ensuite la lecture d’un ouvrage de Michel Onfray : « Cosmos »
Et, enfin, c’est une réplique du chanteur Abd el Malik, dans le film : « Qu’Allah bénisse la France » où, il dit : « La philosophie est un exercice spirituel »
Dans le domaine des idées, terrain de chasse privilégié des philosophes, la spiritualité échappe à l’analyse scientifique, et au concept bien défini. Elle se trouve au-delà de la physique, soit métaphysique.
Qui que nous soyons, nous ne pouvons échapper à la spiritualité, c’est-à-dire : une quête de ce qui est au-delà des besoins immédiats, des nécessités et besoins terrestres.
Pour certains cela passe par la religion, ou encore par les sectes, pour d’autres se sera une démarche individuelle, non pour autant dépourvue du lien avec les autres, non individualiste, ce que l’on nomme aussi « spiritualité laïque ».
Cette dernière peut se traduire dans l’humanisme, elle peut se traduire dans un désir de partage, ce sentiment de faire partie d’un tout, ce que Romain Rolland nommait « un sentiment océanique ».
Cette forme de spiritualité laïque est également bien définie par les textes hindous des Védas, quelque chose qui peut être un sentiment d’appartenance à entité suprême, à l’universel, à la fois unité et pluralité, d’appartenance à un tout : « chaque être est en toi, et tu est en chaque être » nous dit ce texte hindou des Upanishad.
Mais ce sentiment de communauté des hommes, de destin lié, ne peut se faire nous disent les mêmes textes que si nous savons nous écarter, un tant soit peu de notre individuation ; cela peut être une profonde réflexion philosophique, recherche personnelle hors de tout dogme, tel le yoga, qui est qualifié aussi « destruction du moi » ; c’est-à-dire : (je cite) : « je suis une source et je suis l’océan, et chaque être est une partie de moi ».
C’est là un propos qui n’est en rien religieux, il rappelle que la spiritualité n’est pas un terrain réservé aux religions ou aux sectes. Nul ne peut s’approprier le terme spiritualité ; on peut atteindre des dimensions spirituelles avec pour seul guide le cœur et la raison. La spiritualité n’a nul besoin d’un catéchisme.
La spiritualité elle ne se convoque pas, elle s’éprouve
Le prêtre Patrice Gourier, un psychologue clinicien, écrivait: « L’aspiration spirituelle est présente en chacun de nous, son expression prend des formes variées, mais la petite flamme est là »
Il ne manquera pas de personne pour me dire : mais alors ! votre spiritualité, votre petite flamme, c’est un besoin de Dieu ? Si Dieu est un besoin, alors cela réduit la foi à peu de chose. Non, le questionnement métaphysique existe sans cette nécessité d’un dieu. Dire cela, ce serait dire que la foi n’est seulement qu’un besoin, ce qui serait désobligeant à l’égard de ceux qui ont une foi, et qui peuvent grâce à leur foi, connaître des moments de spiritualité intenses.
Et si j’ose ce jeu de mots, pour essayer d’être « spirituel », je dirais: la spiritualité laïque, n’est pas une crise de foi !
Le questionnement, l’étonnement, voire la stupéfaction, devant un monde si extraordinaire, si complexe, si beau, si impressionnant, n’est en rien une recherche absolue de réponse ; recherche d’une quelconque réponse par des forces extraterrestres, par un ordre divin quelconque, non ! ce n’est que de l’étonnement pur, de l’admiration pure ! Un moment de plénitude. Un moment de sérénité, un moment où rien ne vous manque, c’est un moment de transcendance dans l’immanence. Osons le dire, une certaine approche du sublime.
Les personnes ayant vécus certains moments intenses de spiritualité, nous disent que ce fut pour eux comme une impression de suspension du temps, comme un moment d’éternité. Moments nous dirait Spinoza, où : « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », moments d’éternité dans une vie intérieure, ici, et maintenant ; toutes sortes d’instants particuliers, où tout à coup le cœur bat plus vite, le pouls s’accélère, et où parfois, on a la chair de poule.
Cela peut être, comme une communion entre l’homme la nature, l’homme et l’univers.
Et la fourmi que je suis, a besoin de sentir en lien avec tous les autres, un besoin d’être relié aux autres ; relié au sens strict, sans croyance en prime, puisque qu’on me dira que la religion vient du mot relier. Dans ce lien spirituel laïque et humaniste, par instants le « moi » se fond dans « un nous ».
Alors on pourra me dire, que c’est aussi, une réponse à ce discours de la postmodernité ; expression (plus rattachée à une ère industrielle qu’à une l’ère numérique dans laquelle nous sommes entrés de plain pied) post modernité qui à a fait le bonheur des années 80 /90 et qui nous disait que nous serions perdus parce que « Dieu est mort » parce que nous n’avons plus de grands récits, comme si les religions et les grands récits avaient à coup sûr fait le bonheur des peuples. L’énumération des faits serait superflue.
Aujourd’hui, des personnes, mêmes accrocs aux nouvelles technologies, qu’on pourrait cataloguer de matérialistes, des non croyantes vont faire des retraites dans des couvents, elles y séjournent pour faire le point avec elles-mêmes. D’autres vont faire le chemin de Compostelle, ceci en dehors de l’agitation du monde, cela peut être pour eux un moment de spiritualité. Dans son ouvrage « Cosmos » Michel Onfray met cette phrase de Nietzsche en exergue : « Aller par delà moi-même…éprouver d’une manière cosmique »
Et c’est aussi ce que j’avais découvert, je dirai ressenti, avec l’œuvre de Giono : « Regain », où son héros Panturle a un rapport viscéral avec la terre, ce qui est un véritable panthéisme. Il y a là, tous les symboles : de la terre, du blé, du pain, de l’amour de la femme pour ensemencer la terre, il y a cette perpétuelle communion avec la Nature. Là aussi une spiritualité cosmique.
Qui de nous en dehors de tout sentiment religieux ne s’est interrogé sur les mystères de ce monde, ce mystère abyssal de la vie, de l’existence, ces « pourquoi » de l’enfance qui, quoi qu’on n’y fasse pour beaucoup, nous poursuivent. Ces grands « pourquoi » pour lesquels nous n’avons pas de réponse, qui, pour les non croyants, nous satisfasse.
Il y a une demande de spiritualité chez les agnostiques comme chez les athées. Cela peut même amener à des choses paradoxales ; ainsi en 2015 s’est créé à Londres, « une Eglise athée » (oxymore). Certains nous diront qu’ils sont en train de créer par là, une religion, proche d’une religion laïque (nouvelle oxymore) prônée par Auguste Comte.
Je pense plutôt que les hommes ont besoin de rituel, besoin de lien, lien qu’ils ne savent établir dans la société qui développe, plus, une altérité virtuelle.
Ce spirituel et les rituels sont une piste de réflexion dans ce domaine
Les hommes, disais-je, trouvent leurs voies spirituelles, par divers moyens, le plus connu étant les religions, puis les sectes, et divers mouvements ésotériques.
C’est aussi une démarche dont se réclame des francs maçons, d’une recherche de voie spirituelle, une quête spirituelle adogmatique. Si vous êtes conviés à une réunion maçonnique, le rituel, tout le symbolique, ressemble à s’y méprendre à une cérémonie, et le sentiment est fort que ceux qui y participent sont dans cette forme de spiritualité : « une spiritualité fraternelle »
Dans un autre domaine, lorsque vous allez sur Google, et que vous saisissez « spiritualité », vous allez atterrir, après les premières pages occupées par les religions, sur tout un tas de sites des plus curieux, ce sera des sectes, des gourous, des guérisseurs, des chamans, des marabouts, des magiciens de méditation, du new âge, etc.., vous trouverez des sites liés au Yoga, des multiples recettes; le plus souvent du simple business.
« Les spiritualités », disait Régis Debray lors d’une de ses conférences l’été dernier sur France culture (Qu’est-ce qu’une religion ?)  » elles ont le vent en poupe. Elles sont mises au service de l’ego, et rebaptisées méthodes de développement personnel. Les spiritualités ça a un avantage, ça n’exige pas de discipline de groupe et d’éducation préalable, et le consumérisme ambiant peut en faire ses choux gras, avec « vade mecum », stages et séminaires, qui engorgent le marché du bonheur, les recettes pour être bien dans sa peau, au bouddhisme, aux méditations, aux stages bio énergétiques »
Dans ce même ordre d’idée, nous entendons de plus en plus parler de méditation, en tant qu’exercice spirituel, ainsi des pubs dans le métro pour vous inviter à: « Méditer chaque jour » c’est la pub pour le livre du même nom.
La méditation, la spiritualité en kit, avec tous ses sites accrocheurs sur la Toile, abritent un certain nombre de charlatans prêts à abuser de la bonne foi de personnes à la recherche d’une complétude de soi. Tous ces exercices de méditation utilisent les termes : d’état modifié de conscience – de réalisation de son identité spirituelle – d’éloignement de soi – absence de soi – de développement de soi, etc..
Enfin, comme il y a peu de belles idées non dévoyées, je me demande si la spiritualité n’a trouvé son faux ami qui la pastiche, le spiritisme ?
Je laisse aussi cette question pour le débat
Je ne retiens pas les termes utilisés souvent dans ce domaine qui sont : ontologie naturaliste ou monisme, car je suis plus enclin à penser que la spiritualité est purement, ou d’abord ( à mon sens) du ressenti et ne cherche à être un système, ou, vouloir expliquer ce monde. Ne cherchons pas à attraper l’inaccessible étoile, ce qui ne nous empêche pas d’admirer les étoiles, l’univers.
Et puis, j’ajouterai, que, comme nous l’a dit le chanteur Adb el Malik, si  : « La philosophie est un exercice spirituel », alors partageons cette quête

DébatDébat : ⇒Longtemps j’ai assimilé spiritualité à la religion, donc, je ne pensais pas pouvoir être dans une spiritualité. Avec les temps deux valeurs sont venus développer une spiritualité chez moi, c’est l’humanisme, et la laïcité.

⇒ D’après le « Vocabulaire technique et critique de la philosophie », de Lalande, « La spiritualité est le caractère de ce qui est spirituel et non matériel »: ce qui relève de l’esprit que l’on oppose à la matière. Nous sommes alors dans une façon de penser dualiste. L’Etre se divise en deux ; il y a les étants, choses matérielles et les étants, ou choses de l’esprit. C’est aussi ce qui est impliqué par l’expression: il a de l’esprit, il n’est pas grossier; il ne se complait pas à ce qui est matériel. Avec, implicitement l’idée que le monde matériel est en bas alors que le spirituel est en haut. On retrouve cette opposition de valeur dans la forme de penser chrétienne : l’opposition entre la chair et l’esprit. Pour Voltaire, au 18ème siècle : « nous savons que l’âme est spirituelle. Les anges sont des substances spirituelles ». C’est un terme de dévotion: le spirituel regarde la conduite de l’âme: la vie spirituelle, l’habitude de la méditation ou la contemplation par opposition à ce qui est sensuel, charnel, corporel. Autrefois un concert spirituel, c’était un concert que l’on donnait un des jours de la semaine sainte ; aujourd’hui c’est un concert où l’on exécute une musique d’un caractère religieux.
Il y a aussi les médecins spirituels, les pères spirituels, les guides spirituels, les confesseurs : ceux qui proposent une lecture spirituelle ou des exercices spirituels. En ce qui concerne la religion, le pouvoir spirituel, c’est celui de l’Eglise, par opposition au pouvoir temporel. En parlant de l’interprétation des livres dits révélés, le spirituel s’oppose à littéral et se dit du sens allégorique : les prophéties ont un sens caché et spirituel. Notre langue française est évidemment très marquée par la religion chrétienne dominante jusqu’à aujourd’hui. Et le dictionnaire « Robert historique de la langue française du 20ème siècle » souligne que l’évolution du mot spiritualité (à partir du 13ème siècle) est empruntée au dérivé bas latin spiritualitas (immatérialité) et suit celle du mot spirituel qui désigne d’abord le caractère de ce qui est considéré dans son existence religieuse surnaturelle (spiritualité de Dieu et de l’âme). Réemprunté en philosophie à partir du 16ème siècle, il signifie « caractère opposé à la matérialité » et jusqu’à la fin du 18ème siècle au sens de « caractère ontologique de l’esprit », par opposition aux corps naturels. Attesté seulement au 20ème siècle (par l’Académie en 1935). comme « l’ensemble des principes qui règlent la vie spirituelle d’une personne ou d’un groupe ».
C’est de cela je pense, que Guy souhaite que l’on discute. Et cela m’a poussé à réfléchir aux principes et aux valeurs enseignées par l’école publique hier et aujourd’hui. Quelle est la spiritualité transmise par l’école républicaine ? Ce sera ma première contribution à la question posée.
Dans sa Lettre aux instituteurs du17 novembre 1883, Jules Ferry, alors Président du Conseil , Ministre de l’instruction publique et des arts, écrit : « L’instruction religieuse appartient à la famille et à l’Eglise, l’instruction morale à l’Ecole […]».: pour Jules Ferry , l’enseignement de la morale appartient à l’Ecole (non par ‘’défaut’’, parce que les familles seraient défaillantes, comme on l’entend souvent aujourd’hui) mais , dit-il , « parce que c’est son rôle éminent et un honneur pour les enseignants… … que les enfants rapportent de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale, alors la cause de l’école laïque sera gagnée… ».
Avec les lois Ferry de 1881 et de 1882, l’instruction primaire est obligatoire pour les garçons et les filles âgés de 6 à 13 an.
En 1959, le plan Berthoin prolonge la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Elle avait déjà été portée à 14 ans par la loi Jean Zay du 9 février 1936
En octobre 2012, Vincent Peillon a nommé trois personnalités pour conduire une mission de réflexion sur l’enseignement de la morale laïque de l’école primaire au lycée. Un enseignement laïc de la morale pour tous les élèves dès la rentrée 2015. L’enseignement laïque de la morale vise, en développant une morale commune et la capacité de jugement de chacun, une appropriation libre et éclairée par les élèves des valeurs qui fondent la République et la démocratie. Préparé en relation avec le conseil supérieur des programmes, cet enseignement doit pouvoir être assuré par tout enseignant.
Rentrée 2013 : Un module de formation à l’enseignement de la laïcité et des valeurs républicaines sera dispensé dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation Rentrée 2014 : Ouverture dans les ESPE d’un deuxième module de formation à l’enseignement de la morale. Rentrée 2015 des horaires dédiés à l’enseignement de la morale laïque sont mis en œuvre une heure par semaine à l’école et au collège.
De quoi s’agit-il ? A quelle spiritualité éduque-t-on à l’Ecole ? de Jules Ferry (1883) à nos jours. Eduquer à la citoyenneté, à la démocratie, à la laïcité, aux droits de l’homme, à la responsabilité envers l’environnement. Liberté, égalité, fraternité.
Les deux candidats de droite à l’élection présidentielle (Alain Juppé et François Fillon) disent dans leurs discours, que l’éducation est une priorité, parce qu’elle insuffle une spiritualité à nos enfants déboussolés, en manque d’idéaux, et dont certains deviennent des « sauvageons » meurtriers.

⇒ Pour moi la spiritualité fait qu’on s’interroge sur sa vie. C’est vrai que la question de nos origines, de notre nature profonde, et bien ! les hommes ont créé des institutions pour répondre à ces questions. Déjà les Eglises, mais ce n’est pas tout, on a la laïcité qui est comme une forme d’Eglise, l’Eglise de ceux qui ne veulent pas prier.

⇒ Quand dans son enfance on a été pétrie de religion, et bien, elle revient, elle m’emplit, si on veut me l’enlever je me sentirai vide, cela devient culturel. Ce qui ne m’empêchera de trouver de grands moments de spiritualité, comme dans un concert de Mozart.

⇒ Pour moi la spiritualité c’est l’esprit qui doit dominer tout ce qui est matériel ; parce que j’ai eu un métier (j’ai travaillé en génétique) où, à la limite on peut faire des erreurs quand on analyse un peu les choses, on voit la dérive matérialiste. Pour moi la spiritualité, ça n’a pas la religion pour référence. La première chose que je vois dans l’homme, dans l’organisation de l’humanité, c’est d’abord : acquérir l’esprit critique, les connaissances.

⇒ La spiritualité n’est ni la question du vrai, ni la question du faux, mais celle du sens des choses. La spiritualité touche à la mort, le but de la vie, ou son but (sa fin). La mort est-elle un terme, ou un recommencement ?
Le corps touche à la spiritualité, Est-il un tombeau, ou est-il ce qu’il y a de plus réel, de plus vrai ?
L’amour touche à la spiritualité, lorsqu’il échappe à la passion, ou la sentimentalité, qu’il n’est qu’admiration de Dieu, et acceptation joyeuse de tout.
La nature touche à la spiritualité, c’est elle et non Dieu que Pascal décrit comme une sphère infinie, « dont le centre est partout, et la circonférence nulle part ». Donc pour moi la spiritualité c’est la recherche de cet autre chose.

⇒ Je veux faire une opposition entre spiritualité et métaphysique. Initialement la spiritualité s’oppose au réalisme ; c’est un état qui dit la seule réalité qui existe, c’est que je suis dans ce monde, c’est la seule spiritualité qui existe ; je suis le monde, et je suis dans le monde. Et la métaphysique, elle, elle cherche les causes premières. Ça a commencé avec les grands poètes, les aèdes, les mythes grecs…

⇒ On parle de spiritualité comme si c’était nouveau ; nous avons même des candidats aux prochaines élections qui se réclament du pape. Pour moi la spiritualité ça n’a rien à voir avec la religion. La spiritualité c’est une vertu prodigieuse qui permet à l’homme de réfléchir sur sa vie, avec ce prodige qu’est la pensée ; « je pense donc je suis », elle fait de l’homme son propre miroir. Je suis un être contemplatif, je peux passer, une heure, deux heures, devant un paysage, et ce moment me transcende, c’est un moment de bonheur, la spiritualité, ça grandi l’homme.

⇒ La spiritualité a toujours existé, existé même avant le mot pour la nommer, elle fut déjà chez les premiers hommes. On a trouvé en Afrique du sud des gravures pariétales, symboles de spiritualité, datant de 70.000 ans avant notre ère. La spiritualité a précédé les religions, animisme, paganisme, ou panthéisme, et les religions qui suivirent ne furent qu’une des réponse à cette quête première de spiritualité
La spiritualité est, et fut, une expérience, un état accessible tout autant « à celui qui croyait », comme « à celui qui ne croyait pas »
Donc nous pouvons évoquer une spiritualité laïque, laquelle se trouve dans un humanisme transcendant où l’autre, tous les autres sont, comme moi, la partie d’un tout, « un tout plus grand que la somme des parties », un univers auquel j’appartiendrais au-delà de moi-même, dans ce tout qu’est l’humanité. Une appartenance au-delà de mon temps. Au-delà de mon temps de vie, je serai dans les strates de cette coulée de vie, depuis le premier homme, depuis la première femme.
Alors, pour paraphraser Malraux, (enfin l’expression qu’on lui attribue) je pose la question : le 21ème siècle sera-t-il spirituel, ou pas ? Un certain matérialisme, au sens courant du terme, qui découle de l’avidité, du profit, de l’apparence, donne le sentiment qu’on coupe l’individu de son lien humaniste, ce qui ressenti comme une destruction de son Être spirituel, ce qui alors, pourrait laisser place au retour du religieux fondamentaliste, des sectes, ou autres ersatz de spiritualité; «… l’avenir de l’humanité » écrit Natacha Polony, dans son livre : « Nous sommes tous la France », « passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent qui traverse notre humanité toute entière »
Et je reviens sur la spiritualité et le business, la spiritualité, nouveau « produit », ou quand la spiritualité est galvaudée.
Les pages sur la spiritualité dans de nouveaux magazines de psychologie dopent les ventes.
Les voyagistes occupent ce créneau, et on vous vent la spiritualité « clefs en mains », des voyages « terres nouvelles de spiritualité » (sur des bateaux îles flottantes on vous emmènent voir les pans de la banquise qui tombent dans la mer » « C’est sublime ! »
On trouve des voyages, « communiez avec la nature » (tiens revoilà la communion)
Dans ce même ordre d’idée, le « Guide des monastères » Editions Horay) est devenu un best seller.

⇒ La spiritualité c’est une lecture de la vie, c’est la quatrième lecture; parce qu’on peut faire une première lecture matérielle. On peut faire une deuxième lecture affective, jusque là, ça va. On peut faire une troisième lecture intellectuelle. Et la dernière et 4ème lecture est la lecture spirituelle, immatérielle, laquelle ne peut rentrer dans les trois autres, elle est beaucoup plus symbolique. Le spirituel est dans la symbolisation, symbolisation par les mots, par les images, les histoires…

⇒ Quand on vit un moment de spiritualité, est-ce qu’on en est conscient à ce moment là ? ou est-ce qu’on a conscience ensuite d’un moment de grâce, d’une extase mystique. La spiritualité peut être un partage dans un groupe, et pas seulement une expérience personnelle.

⇒ Dans ces moments de spiritualité on est dans une élévation de l’être, on est au-delà de son quotidien, et la liturgie catholique nous dit qu’elle nous permet de sortir du « grand ordinaire », ce quelque chose qui est du côté de la fête de l’esprit.

⇒ Je pense effectivement que la spiritualité est recherche de sens. Et la question que je me pose, est à quelle spiritualité l’école éduque t-elle ? Si on peut se poser la question sur le rôle de la famille, comme le rôle de l’école dans la formation de l’individu. Et ma question est dans notre 21ème siècle quelle spiritualité allons-nous connaître ?
Abdenour Bidar, philosophe, musulman, a consacré sa thèse de doctorat au développement d’une « pédagogie de l’individuation » ou du « devenir-sujet ». De septembre 2012 à juin 2013, il a produit et animé l’émission de débat sur le thème du vivre ensemble et de l’identité –« Cause commune, tu m’intéresses » le dimanche de 16h à 17h sur France Inter. Je le cite (in Télérama d’octobre 2016). « Il y a actuellement le désir de sortir de la période noire de division et de conflit dans laquelle nous sommes. Une période où tous les replis sur soi et toutes les défiances envers l’autre sont attisés en permanence. Il faut une réaction collective et, surtout, une direction vers laquelle se tourner. Or, il y a dans la devise républicaine une grande oubliée que nous n’avons jamais osé transformer en projet politique : la fraternité….. La notion de fraternité dispose d’une vertu et d’une efficacité politique et humaine : elle parle à tout le monde »
À travers chacun de ses ouvrages Abdenour Bidar tente d’approfondir progressivement sa vision de ce que pourrait être « une vie spirituelle pour le XXIe siècle ». Il la cherche du côté d’une évolution de l’homme hors de ses limites anciennes de « créature » et de « finitude ». Il propose que nous cultivions une grande image de nous-mêmes comme Humanité Créatrice formée de créateurs humains successeurs des créateurs divins – qui étaient l’image anticipée de notre propre évolution. Une telle direction spirituelle permettrait à l’homme contemporain d’échapper à la tentation de revenir vers les religions du passé, et lui permettrait aussi de ne pas sombrer dans le vide existentiel d’une vie sans signification supérieure. Enfin, une telle perspective serait en phase avec ce qui nous arrive à travers le bond prodigieux de nos pouvoirs technologiques et de nos savoirs scientifiques : nous trouverions là une élévation de notre degré de conscience qui aille de pair avec ce saut en avant de notre puissance d’agir matérielle, c’est-à-dire qui l’oriente vers une finalité spirituelle dont cette surpuissance manque encore tragiquement.

⇒ Chacun nous met quelque chose à soi dans cette notion de spiritualité. La spiritualité c’est l’approche de tous les problèmes liés à l’humain, toute notre différence avec les animaux, même les plus développés. La spiritualité conserve toujours une base matérielle dans le sens que cela change si l’on est d’une société où domine telle religion, cela change en fonction du continent où l’on vit. Elle peut avoir aussi un lien avec la politique, car cela peut être défendre les idées, l’idéal que l’esprit a choisi, comme valeur noble, comme fraternité, comme amour du prochain.

⇒ La finalité de la spiritualité c’est l’action, cela doit permettre d’aller au-delà de la seule contemplation ; oui ! d’amener à se changer soi-même. Se poser la question est-on en adéquation avec soi-même ? avec Dieu ? quelque chose plus fort que nous ? ou alors avec ce collectif ? de ce moi-même dans les autres.
Je ressens plus une spiritualité avec mes semblables, une spiritualité « non religieuse » je n’emploie pas l’expression de « spiritualité laïque »

⇒ L’homme est un être rituel, dans les actes rituels de la vie, les grands passages de la vie, il lui faut des cérémonies qui s’accompagnent de spirituel pour ces instants, ces passages, pour qu’ils ne soient pas, un des moments ordinaires de leur vie. Je pense aux divers rites d’entrée dans le monde, rites de passage à l’âge adulte, aux mariages, aux enterrements. Le mariage (par exemple) double l’union terrestre d’une union spirituelle.
Une spiritualité qu’on retrouve aussi dans des danses rituelles, quand les hommes et les femmes les mains sur les épaules dansent en rond. Je pense par exemple à « la ronde de Matisse » où de suite je vois de la spiritualité.
J’ai le souvenir d’un moment de spiritualité. Dans une exposition au Grand Palais « Autour du siècle Rubens », était exposé, un « madone ». Sur la joue de la « Madone » une larme, chaque spectateur s’arrêtait devant cette toile, et tous étaient tentés d’essuyer cette larme, tant on pouvait penser qu’elle allait tomber d’un instant à l’autre. Dans cette larme qui accrochait l’essentiel de la lumière dans l’œuvre, se trouvait toute l’âme de cette toile, s’y trouvait tous les regards de ceux qui avaient admiré ce tableau ; c’est le miroir inversé ! C’est l’expérience que Kant nomme « esthétique transcendantale », c’est une émotion esthétique, transcendantale, un moment de spiritualité ;

⇒ La spiritualité touche à l’universel, et nous permet de sortir de notre seule identité, de nos singularités. Je ne pense pas que toutes les émotions esthétiques soient des moments de spiritualité.

⇒ Je crois que la source de la spiritualité est aussi dans l’émotion, et oui ; bien sûr l’art peut créer ces émotions. La spiritualité on l’a dit grandi l’homme, et s’il grandi tout le monde en profite. C’est une spiritualité fraternelle, un lien entre les hommes.

⇒ Je reviens aux danses ou l’on se tient par la main, est-ce que cela crée de la spiritualité, je ne sais pas vraiment, mais la spiritualité c’est « quand il se passe quelque chose » !

Œuvres citées.

Livres

Regain. Jean Giono. Collection Cahiers rouges.1930.
Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue
Cosmos. Michel Onfray. Livre de poche. 2015.
Nous sommes la France. Natacha Polony. Plon 2015.
Guide des monastères. Editions Horay

Document
Lettre aux instituteurs. Jules Ferry. 1883.

Emissions
France culture : Qu’est-ce qu’une religion/Régis debray. Juillet 2016
France Inter. Cause commune, tu m’intéresses » 2012/2013

Peut-on vivre sans se soumettre?

Restitution du débat du 26 octobre 2016 à Chevilly-Larue

David Alfaro Siqueiros. 1933. Les révolutionnaires

David Alfaro Siqueiros. 1933. Les révolutionaires

Introduction : Edith,
Il y a trois dimensions sémantiques à « soumis ». Quand on regarde le sens du verbe soumettre, on voit : « placer sous », « se placer sous », « se mettre dans un état de dépendance ». Quand on regarde du côté de l’adjectif: « un homme, ou une femme soumise », l’idée est plutôt celle d’une personne qui a l’attitude de docilité ou d’obéissance. Donc, soumis, signifie là, celui qui obéit, et l’insoumis celui qui désobéit. Ce sont les sens qui perdurent dans la langue depuis le 18ème siècle. Et, quand on regarde du côté du substantif, « soumission » c’est l’action de se ranger sous l’autorité de quelqu’un, et donc le fait d’en dépendre, et d’une disposition à lui obéir. Le substantif regroupe les trois significations.
Quand on pose la question : « peut-on vivre sans être soumis? », il y a deux pistes de réflexion possibles à partir de « peut-on ? », d’une part« est-ce possible ? » d’autre part, » est-ce permis ? ». Autrement dit, est-ce possible de fait, de vivre sans se soumettre, ou doit-on le faire, ou doit-on ne pas le faire ? Et puis enfin « vivre ». S’agit-il du vivant ? Où s’agit-il du vivant humain ? Ce vivant humain qui se distingue du vivant par le fait qu’il a des projets (Sartre. L’existentialisme est un humanisme1946) ; autrement dit, que ce qui caractérise le vivant humain, c’est que d’une part il vit comme un animal, et d’autre part il existe, c a d qu’il sort de lui,(ex/ istere) pour devenir autre, pour se projeter vers quelque chose.
Chaque année, 15 millions de filles dans le monde sont mariées de force avant leurs 18 ans. Elles sont alors vouées à une vie de malheurs : abandon de l’école, dépendance totale envers leur époux, exposition aux risques de violences sexuelles et grossesses précoces…Elles vivent mais elles ne peuvent avoir aucun projet propre, sinon celui de fuir cette situation : se tuer ou s’échapper. Ainsi la question me semble avoir une double entrée : en tant que vivant et en tant qu’existant humain.
En tant qu’être vivant sur Terre, nous ne pouvons pas vivre indépendamment des lois de la nature, nous ne pouvons pas vivre sans nous soumettre aux lois de la nature : lois physiques, de l’écosystème, lois biologiques. De la naissance, jusqu’à la mort nous sommes soumis ; soumis au sens où nous sommes dans un état dépendance par rapport à ces lois au sens premier du terme. Et l’histoire des innovations techniques, c’est justement l’histoire de l’intelligence humaine, des ruses par lesquelles les hommes s’adaptent aux lois de la nature ; ils se rendent comme l’écrivait le philosophe moderne Descartes(Discours de la méthode 1633) « comme maîtres et possesseurs de la nature » ; tout comme le dit le philosophe médecin contemporain François Dagognet (L’’essor technologique et l’idée de progrès1997) à propos des techniques médicales les plus perfectionnées : exploration, diagnostique, soins, et la régénération du corps et du psychisme. Et bien, l’art et les techniques médicales ne font que ruser avec la nature humaine, ce sera pour soigner, pour prévenir, pour améliorer les ressources corporelles et psychiques : procréation, greffes, dons d’organes, thérapie génique, etc. Et donc, on ne peut pas vivre sans se soumettre, c a d sans être dépendant des lois de la nature avec lesquelles on cherche à ruser. C’est d’ailleurs ce qu’avaient dit de manière extrêmement judicieuse les Grecs. Lorsqu’on relit le mythe d’Epiméthée et de Prométhée. Epiméthée, le petit dieu étourdi chargé par Zeus d’apporter aux vivants tout ce qui est nécessaire pour vivre: aux uns il donne des cornes, aux autres de la laine, ou des crocs, etc. Et quand il arrive devant l’humain, il n’a rien plus dans sa besace. Alors affolé, il appelle son frère Prométhée et lui demande « que puis-je donner à l’être humain ? », et Prométhée lui dit « tiens ! Donne-leur le feu », et le feu c’est l’intelligence, c’est la ruse, grâce à laquelle les êtres humains peuvent construire, inventer des instruments, labourer, etc. Donc, en tant que vivant nous ne pouvons vivre sans être soumis aux lois de la nature .Avec une réserve : avec les recherches technoscientifiques qui se développent à une vitesse grand V, l’intelligence humaine se propose de transgresser les lois de la nature. C’est ce que nous avions vu lorsque nous avons traité la question de l’intelligence artificielle.
En tant qu’être social nous sommes éduqués à obéir, obéir, sous peine de sanction, aux lois de notre société, et obéir, sous peine de stigmatisation, aux us et coutumes, aux règles, aux normes de la communauté à laquelle nous appartenons. Et alors, il y a contrainte indépassable. Il n’y a pas de société possible sans loi, si on entend par loi humaine une règle commune pour vivre ensemble. Bien sûr les lois qui sont proposées par les hommes pour vivre ensemble sont modifiables et elles peuvent donc être interrogées,-si nous sommes dans une démocratie ..Et puis il y a la désobéissance civile qui peut être facteur d’évolution. Ensuite il y a, comme le souligne le philosophe moderne Kant dans Les fondements de la métaphysique des mœurs (1785), une loi morale universelle dans toutes les sociétés quelles qu’elles soient, c’est l’interdiction du crime. Il n’y a pas de société possible si le crime est permis. Et enfin, l’anthropologue contemporain Lévi-Strauss, a montré qu’il y a une loi sociale universelle, c’est la prohibition de l’inceste sous des formes extrêmement différentes. L’interdit de l’inceste est nécessaire, pour qu’il y ait de l’échange entre les individus. Et donc pour qu’une société évolue, pour qu’elle ait une histoire .Il y a là une contrainte indépassable, nous ne pouvons exister socialement sans obéir à ces 2 lois universelles l’interdit de l’inceste et l’interdit du crime et aux lois de la société où nous vivons. Par ailleurs si nous dérogeons aux us et coutumes, aux règles, aux normes, nous devenons très vite l’objet de railleries, de moqueries, de stigmatisation, ou nous sommes l’idiot du village, C’est par exemple le cas du bouc émissaire, du paria…Il y a encore peu de temps, dans notre société française la femme célibataire était stigmatisée, c’était la vieille fille, l’homosexuel était insulté, traité de « p d », et puis encore l’étranger, bien souvent désigné par sa couleur de peau, « négro », ou comme un animal, « bicot ». Donc l’obéissance aux règles, aux normes, us et coutumes est nécessaire pour vivre ensemble, pour qu’il n’y ait pas d’exclusion .En ce sens, il me semble qu’on peut se souvenir du mythe d’Antigone qui nous raconte qu’à la fois l’obéissance aux lois et aux règles, us et coutumes est nécessaire, et qu’en même temps cela implique que nous nous interrogions sur pourquoi cette obéissance est nécessaire. Autrement dit, cela implique que nous interrogions sur la légitimité de cette loi, ou de cette règle à laquelle nous devons obéir pour vivre ensemble. Vous vous souvenez qu’Antigone récuse la légitimité de la loi de Créon qui refuse toute sépulture à quiconque a osé se révolter contre le pouvoir en place. De même parfois les arguments vifs et violents, véhéments sur le port du voile, intégral ou pas, reprennent cette interrogation, qu’est-ce qui rend légitime les us et coutumes ? Donc le nécessaire obéissance aux lois et aux normes d’une communauté sociale pose finalement la question de la légitimité. Si on obéit aux lois c’est certes, par nécessité, nécessité sociale pour pouvoir exister ensemble, mais c’est aussi parce qu’on juge légitimes ces lois. La question de la légitimité c’est la question de savoir A quoi et à qui est-ce que je me soumets ? Qui a autorité sur moi ? A qui est-il légitime que je me soumette ? Finalement c’est la1° question que je me pose
. La Boëtie, en 1549, à 18 ans se pose cette question dans Le discours de la servitude volontaire Je le cite « Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes ,tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire., d’où vient que les hommes acceptent d’obéir à un maître, qui peut être un tyran ? »
Comment comprendre la soumission à l’autorité ? Il apporte plusieurs réponses : l’habitude, ou le fait de croire que c’est naturel, que ça a toujours été comme ça, qu’on ne peut rien changer Il y a aussi le fait de la hiérarchie : chacun se soumet à celui qui est immédiatement au dessus de lui et ainsi se met en place une échelle de soumission. Et il ajoute aussi, la passivité du jugement, ou le refus de juger, comme l’écrit le philosophe moderne Kant : « Les hommes sont naturellement paresseux et lâches », c’est la raison pour laquelle ils se soumettent ». Donc, la servitude, ou soumission volontaire implique : résignation, ou refus de penser, de juger ; or, penser et juger c’est la spécificité de l’homme, donc la soumission implique en quelque sorte le déni d’humanité.

Débat

 

Débat : ⇒(Texte de Serge)

Être, ou ne pas être ?
Être ou se soumettre, that is the question ?
Que faut-il être sans disparaître ?
Que faut-il être pour se soumettre à tous nos maîtres ?
Et que dans l’être rien n’apparaisse.
Est-il possible de soumettre sans disparaître ?
Sans que le fond de mes faiblesses,
Mon être abaisse.
Est-il possible pour exister, de se soumettre ?
A ce qui nie réalité, et puis pouvoir continuer à se lever,
A s’interroger, à transformer les vérités ?
Les vérités nous sont dictées,
On ne veut plus les écouter.
Un jour, faudra changer le société,
La Liberté, l’Egalité, et le fond de légitimité ?
Et puis chanter, Fraternité !

⇒ Il y a des soumissions incontournables, comme dans les totalitarismes, ainsi que cela nous est dit dans l’introduction, on ne peut s’exprimer que sous réserve de démocratie. Et nous on peut évoquer ce sujet de soumission, parce que justement, nous sommes en démocratie, et qu’on peut dire : oui ! moi, je veux objecter, et je ne vais pas me soumettre, je veux faire ce que je veux de ma vie, et oui, c’est un luxe de la démocratie française. Et de la démocratie française, en particulier. Donc, on a cette chance, et je me dis aussi, que tous les jours on se trouve en situation de soumission, on est tenu par des lois, tenus par des règles…, Donc, se soumettre, est à peu près incontournable, sinon on est vite un être associable.

⇒ On passe de respecter des règles, à se soumettre. Se soumettre suppose des contraintes plus ou moins justifiées, qui nient la liberté, voire, qui nient l’intelligence

⇒ Quand j’entends le mot se soumettre, je me cabre. Si je dois me soumettre, si cela m’est donné comme une obligation, si cela me met sur les rails, que je n’ai plus rien à décider, si cela supprime mon libre arbitre, alors je me révolte, et je peux même pêcher par orgueil, en réalisant que ce choix, cette réaction a un coût, le reniement à mon libre choix
En revanche si je suis dans un cadre où il existe une hiérarchie établie, si j’ai intégré ce groupe, alors je trouve naturel, non pas de se soumettre à une personne, mais de me soumettre aux règles établies, règles en usage, et je ne dirai pas « ni dieu, ni maître » comme les anarchistes dont je ne partage que la moitié de la formule. Dans une émission sur Arte hier soir, j’entendais ce mot d’ordre des républicains espagnols en 1936, « organisons l’indiscipline » ils furent massacrés.
Ceci pour montrer qu’il y a deux sortes de soumission/
1° Soumission volontaire, par raison, raison collective, et acceptée d’emblée.
2° Soumission qui est une contrainte, parce qu’on subi la loi du plus fort, parce qu’on n’a pas le choix….
Cette seconde soumission ressemble ou prolonge les hiérarchies de nos ancêtres les primates, chez qui les plus jeunes doivent faire marque de soumission devant les vieux mâles, les chefs du groupe.
Le refus de soumettre est d’abord motivé par la fierté. Parfois se soumettre c’est faire fi de sa fierté, c’est se renier dans sa dignité, et par voie de conséquence c’est se dévaloriser à ses propres yeux, c’est perdre l’estime de soi.
Et si le refus se soumettre passe par la transgression, je ne confonds pas l’insoumission de soldats qui en 1907 à Béziers mirent la crosse en l’air, et l’insoumission de celui qui pour échapper à l’impôts s’exile fiscalement aux Bahamas.
Il y a des individus qui ont une propension à se soumettre ; parce que l’on a plus ce terrible dilemme de devoir choisir soi-même, c’est une soumission non contrainte. Ce sont souvent ceux-là qu’on retrouve dans des structures où on n’a pas à faire des choix, l’armée, les sectes, ou parfois des structures religieuses, tels les couvents, les monastères, Là où il y a une règle à laquelle on se soumet.
Parfois à cette soumission on donnera le nom d’abnégation.
Mais l’abnégation, peut être un renoncement, un sacrifice volontaire de soi, dont
Alfred de Vigny nous donne une version personnelle :
« Je me demande si l’abnégation de soi-même était pas un sentiment né avec nous ;… que c’était ce besoin d’obéir et de remettre sa volonté en d’autres mains, comme une chose lourde et inopportune, d’où venait le bonheur secret d’être débarrassé de ce fardeau ».

⇒ Peut-on dans le cadre de ce débat, évoquer la soumission à nos propres désirs ? Des désirs qui nous mènent jusqu’à l’addiction.

⇒ Les partisans de la psychanalyse vous diraient qu’une des trois instance de la conscience « freudienne », le « ça » soumet le « moi » à sa volonté, à ses exigences…

⇒ Dans soumission, il y a bien « soumis sous », donc, un rapport hiérarchique, un dominant et un dominé, celui qui est sous le joug de l’autorité, sous la dépendance d’un individu, d’un pouvoir. On est mis « sous » ou l’on se met soi-même, « sous », on accepte le rapport hiérarchique.
Je me pose la question de savoir si le progrès n’est pas fait que lorsqu’il y a eu transgression, en s’écartant des états de fait acquis. Si personne n’avait transgressé, la terre serait encore, le c entre de l’univers, donc ce sont ceux qui ne se soumettent pas aux règles qui auraient fait les choses, amené les progrès.

⇒ La première question que je me pose, est-il légitime que je me soumette ? La deuxième est, comment se fait-il que les hommes et les femmes se soumettent quelle que soit la société dans laquelle il se trouvent ?
La Boétie en 1549 se pose cette question dans son ouvrage : « Discours de la servitude volontaire », je cite : « Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. D’où vient que les hommes obéissent à un maître qui est parfois un tyran ?». A cette question il apporte trois réponses : l’habitude – le fait de croire que c’est naturel – que ça a toujours été comme ça, qu’on y peut rien changer ; et puis, il y a aussi le fait de la hiérarchie, où chacun se soumet à celui qui est immédiatement au-dessus de lui, et ainsi se met en place une échelle de soumission, il ajoute aussi, « la passivité du jugement, ou le refus de juger ».
La servitude, ou la soumission, impliquent résignation, ou refus de penser, refus de juger. Or, penser et juger, c’est la spécificité de l’homme. Donc, la soumission implique en quelque sorte, le déni d’humanité. C’est d’ailleurs ce que soulignent de nombreux sociologues qui au 19ème siècle analysent l’effet des foules sur les individus. Les foules militaires, les cérémonies religieuses, les grands rassemblement, les meetings politiques, entraînent le fait que l’individu en foule, perd la capacité de juger, perd par là son identité humaine. C’est ce qu’analysait également Hannah Arendt dans « Eichmann à Jérusalem » en 1963. Elle se demandait pourquoi Eichmann, le dignitaire nazi, chargé de la déportation des juifs, a exécuté un ordre illégitime, considéré depuis comme crime contre l’humanité. Et elle souligne combien sous l’influence d’une autorité jugée, comme légitime, et bine ! un individu peut commettre le pire. C’est ce qu’elle appelle « la banalité du mal ».
Aujourd’hui l’actualité montre bien les crimes contre l’humanité ; les tortures, l’esclavage, les crimes de guerre, sont légion. Et puis aussi, le risque que les hommes font courir à la vie. Et bien ! aujourd’hui il est nécessaire d’interroger la légitimité des actions qui conduisent à des crimes, ou à des risques.
Pour cela je reprendrai l’analyse d’Hegel dans « La phénoménologie de l’esprit », où il explique que l’homme est un animal, mais ce qui le caractérise comme être humain, c’est le désir d’être reconnu, dans un couple, dans une communauté, une société.
Et cette lutte pour la reconnaissance, qui dure toute la vie humaine, met en œuvre deux situations : la situation du maître, celui qui, pour exister préfère mourir plutôt que de vivre à genoux, et celui du serviteur, celui qui se soumet aux valeurs, aux choix, aux désirs du maître, parce qu’il a peur de mourir, tout simplement.
Mais, ajoute Hegel, ces situations ne sont jamais figées, elles sont toujours en évolution, ceci pour une bonne raison, c’est que le maître, celui qui a vaincu, qui s’est fait reconnaître, et qui a, à son service des êtres soumis ; et bien, premièrement il s’ennuie, il n’a plus personne en face de lui pour le regarder, pour le reconnaître, il n’a que des têtes baissées, il perd alors, son humanité.
Pendant ce temps là, celui qui a fait allégeance, celui qui est au service du maître : produit des œuvres, il laboure les champs, il éduque les enfants, et il se reconnaît. Du coup, il relève la tête, et reprend la lutte.
Autrement dit, il existe. L’homme existe par sa lutte pour la reconnaissance. Il n’y a pas d’homme, d’être humain qui existe, indépendamment de cette lutte pour la reconnaissance.
Et ce que Hegel nous dit là, signifie que sans cesse, quand vous êtes en situation de serviteur, quel qu’elle soit, dans votre travail, dans votre couple, dans un groupe, dans un pays ; lorsqu’on est en situation, non pas de dépendance nécessaire et indépassable, mais d’obéissance et de soumission volontaire, c’est parce que vous avez peur de continuer à lutter pour la reconnaissance. D’où cette autre question : comment cette peur s’installe t-elle en nous ?

⇒ On le voit dans les couples, il y en a toujours un qui prend de l’ascendant sur l’autre.

⇒ Pourquoi, et qu’est-ce qui fait qu’il a spontanément des maîtres et des serviteurs ? Est-ce que l’intelligence y joue un rôle ? ou alors des sujets plus faibles ? Est-ce question de force, ou de faiblesse ?

⇒ Je vois plusieurs catégories de soumission : soumission consentante, soumission inconsciente, et dans la soumission inconsciente, je pense qu’il y a des soumissions conscientes combattues. On se soumet mais on continue à combattre. Entre les soumissions conscientes et acceptées, il y a une frontière infiniment variable en fonction des pays déjà, mais en fonction des individus. Ce qui est soumission pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Comme exemple ce qu’ont accepté certaines femmes religieuses qu’on a déclaré « saintes » après et qui se soumettent à un dieu d’une manière absolument « dingue » et qui y éprouvent de la joie. Alors que pour moi ce serait de la soumission.
Si je met le voile (autre exemple), si je le met parce que mon père m’oblige à le mettre, je suis en soumission, mais d’autres vous diront, pour moi c’est tout à fait volontaire, ça correspond à quelque chose de précis, ce n’est pas soumission ; et pourtant on parle du même phénomène.
Il existe également, ce que j’appelle la soumission inconsciente, qui découle d’un certain nombre de choses de l’ordre subliminal. Par exemple, à force d’être bombardé par la pub, on fait des choses qu’on n’aurait pas forcément faites de son libre arbitre. On est dans une société, où l’on développe l’art de soumettre économiquement les gens « à l’insu de leur plein gré ».

⇒ Dans la soumission, il peut y avoir ce questionnement : doit-on accepter les lois, doit-on accepter les coutumes, les usages ? On se soumet dans la mesure où l’on comprend pourquoi ; pourquoi les lois, pourquoi la coutume, les usages. Il n’y a plus contrainte, il n’y a plus soumission.

⇒ Je fais partie de ceux qui ont tendance à se soumettre, et je crois que c’est un défaut. Parce que les autres intègrent votre aptitude à la soumission, et ces mêmes autres ne comprendrons pas pourquoi un jour pour ce peut paraître une peccadille, vous allez vous cabrer, voire même jusqu’à « envoyer tout promener », alors que si on était capable de réagir en temps voulu on n’en arriverait pas là !
Quelqu’un a évoqué la soumission à nos désir, et on se soumet à nos besoins, besoins crées on l’a dit, qui font de nous des consommateurs soumis. Ne pas se soumettre dans ce cas, serait adopter un mode de vie épicurien, c’est-à-dire se contenter de satisfaire les besoins essentiels.
Plus on se crée de besoins, plus on se soumet à « ses désirs qui nous affligent ». Celui qui ne rêve pas d’avoir une Mercedes (dernier modèle), ou les dernier écran incurvé, etc, celui-là, il se crée un espace de liberté.

La théorie du complot

Restitution du débat du 28 septembre 2016 à Chevilly-Larue

Daumier. Crispin et Scapin. 1864. Musée d'Orsay. Paris

Daumier. Crispin et Scapin. 1864. Musée d’Orsay. Paris

Animateurs : Edith Perstunski-Deléage, (philosophe). Guy Pannetier. Danielle Vautrin
Modérateur : Lionel Graffin
Introduction : Alain Le Bihan

Introduction : Théorie du complot, ou, complotisme, ou, conspirationnisme, sont des termes nouveaux, des néologismes. Ils sont apparus en France récemment en provenance d’outre Atlantique où ils sont souvent utilisés depuis la destruction des tours du World Trade center.
Sont considérés comme, complotistes, conspirationnistes, ceux qui propagent l’idée que la version officielle du 11 septembre, n’est pas la vérité.
Nos média semblent abuser des termes, puisqu’ils les étendent désormais à toute attitude critique face aux communications officielles. Cette attitude critique commence par le doute, la méfiance vis-à-vis des communications officielles et s’étend à l’avance d’une autre version que celle diffusée par les organes officiels.
Nous avons tous connu un doute concernant l’explication gouvernementale d’un événement. Nous en avons fait part autour de nous, nous avons en quelque sorte, propagé une rumeur.
La rumeur appartient au fonctionnement humain, elle amène une autre vision des choses. « Il n’y a pas de fumée sans feu ». La rumeur aujourd’hui se propage avec Internet. Les fameux réseaux sociaux sont finalement des diffuseurs d’information non reconnus par les pouvoirs, mais reconnus par ceux qui les suivent.
Donald Trump dit : « Les médias sont des réseaux sociaux, j’atteins en quelques instants des dizaines de millions de gens ». L’éducation nationale a créé un site pour débattre ce qu’elle nomme, les dérives complotistes, « on te manipule ». Elle organise des séminaires de formation pour combattre le complotisme.
Le complot, comme les fantômes, est un thème fort de la littérature anglo-saxonne. Nous pouvons remonter à Shakespeare, chez lequel intrigues et complots forment la trame de ses pièces. Lui-même s’y trouve impliqué, puisque certains contestent son existence.
Le complot, ou, conjuration, ou conspiration, est une action organisée collectivement, dans le secret, parce que le plus souvent criminelle, se manifestant par un assassinat ou un attentat, qui se passe dans l’espace du pouvoir, (ou dont le but est le pouvoir, le maintien pour ceux qui y sont, ou sa prise par ceux qui le revendiquent)
Les complots les plus connus sont : la conspiration contre Napoléon, L’assassinat à Sarajevo, ou l’attentat contre Hitler.
Les ingrédients du complot, sont, (si l’on peut dire) : Le pouvoir – Le secret, car si l’objectif était éventé les participants se trouveraient en danger – Un petit groupe, car il se trouve que l’objectif et le moyen ne peuvent être partagés par le plus grand nombre – Couramment, les minorités agissantes.
Avec la théorie du complot, on passe à autre chose. J’y reviendrai

Débat

Débat : Si l’on va voir du côté des synonymes et des termes liés par analogie au mot complot, on trouve, bien sûr, en premier la conspiration, puis : machination – intrigue – menée – entente- ruse – cabale – infamie, -ourdir contre quelqu’un – tramer – manigancer – rumeur – tremper dans un complot.
Alors, se pose la question : pourquoi les dérives du complot sont-elles aussi courantes ? Comment et pourquoi prennent-elles forme, et comment la rumeur s’installe-t-elle, enfle-t-elle parfois ? Quand le cours des choses ne semble plus explicable, quand des décisions paraissent totalement injustes, sur des causes infondées, alors se pose la question : « il n’y a pas d’effet sans cause », « pas fumée sans feu », alors qu’y a t-il derrière cela que je ne sais pas, que nous ne savons pas : manigance, conjuration, complot… ?
Parfois, et souvent la rumeur du complot est démontrée comme non existante, mais il en restera toujours quelque chose, ou des individus disant : vous ne me direz pas là qu’il n’y avait pas « anguille sous roche », on a voulu nous cacher la vérité.
Mais le complot peut avoir une forme qui n’est pas le fait de gens qui complotent entre eux, cela peut être un sentiment globalement partagé, telle la haine, tel le racisme, ainsi le complot antisémite des années 1930 dans de nombreux pays d’Europe dont la France ; on se souvient de l’affaire Dreyfus, et du complot judéo maçonnique, ceux-ci ont ouvert la voie à Auschwitz, et à la Shoah.
Et si vous eussiez interrogé les gens à cette époque des années trente, ils auraient refusé de penser qu’ils participaient à un complot.
Puis nous avons des formes d’entente qui sont proches du complot : comment définir les relations incestueuses entre des dirigeants politiques, comme nos représentants siégeant à Bruxelles qui entretiennent des relations régulières avec les lobbies, qui rappelons-le au passage sont plus nombreux que les fonctionnaires de cet organisme européen.
Alors, machination, entente, simple défense d’intérêts de classe, buts inavouables… La définition reste très ambiguë.

⇒ Dans ces théories du complot, il y a des gens qui marchent. Alors, quels sont ces gens qui marchent à tous les coups ? Qui croient tout ce qu’on leur raconte ? Sont-ils un peu faibles, où sont-ils de ceux qui sont prêts à croire tous ceux qui parlent très bien ? Si on remonte dans une théorie de complot, au départ, il y a un cerveau, celui qui fait partir la chose consciemment. C’est une arme extraordinaire ; c’est aussi un moyen de répandre des rumeurs, de répandre anonymement des idées racistes par exemple.

⇒ Je voudrais reprendre l’exemple du « protocole des sages de Sion»
Dans son ouvrage : « La judéophobie des Modernes » Pierre-André Taguieff, écrit : « Le motif du complot juif […] se constitue historiquement autour de l’accusation d’empoisonnement des fontaines et des puits qui surgit en 1321en Aquitaine sous la forme de la fiction d’un complot judéo-lépreux. Durant l’hiver de cette année là, cette accusation de complot valu aux lépreux d’être massacrés avec l’aval du roi de France […] la chronique du monastère de Sainte-Catherine […] rapporte les faits en caractérisant, sur la base des aveux des lépreux, les deux thèmes d’accusation visant ces derniers : s’ils ont comploté, c’est à la fois pour tuer les non-lépreux et pour dominer le monde ».
Autrement dit, il y a toujours dans les complots, l’idée qu’il y a, chez les complotistes une volonté de dominer le monde.
Le complot juif, ainsi de médiéval qu’il était «… se transforme au cours du 19ème siècle en complot international sous le mode d’une refonte du complot maçonnique dénoncé par les théoriciens contre-révolutionnaires (d’où l’invention du « conflit judéo maçonnique), ou, sur celui, plutôt, du complot ploutocratique, ou capitaliste, illustré par la figure des Rothschild, (Ce qui donnera le complot judéo-capitaliste) (Ibidem)
« Cette vision complotiste, de la domination du monde par les Juifs, trouve son principal vecteur dans le célèbre « faux anti- juif », connu sous le nom de « protocole de Sion », qui est un document qui a été publié pour la première fois en Russie, dans un feuilleton d’un journal d’extrême droite, Znamia, dirigé à Saint Pétersbourg par l’agitateur anti- juif, Pavel ; et ce quelques mois après le pogrom de Kichinev, dont il avait été l’organisateur, et qu’il pouvait ainsi justifier ». (Ibidem)
Le « protocole de Sion » c’est un plan de conquête du monde établi par les Juifs, et qui a été rédigé à Paris en 1901.
Adolf Hitler y fait allusion dans « Mein Kampf » pour justifier la théorie du complot juif. Et aujourd’hui tous les groupes antisémites et les djihadistes font référence à ce protocole de Sion.
Alors j’ai trouve également chez Pierre-André Taguieff des références très précises, et notamment sur la manière dont les djihadistes contemporains utilisent l’idée du complot, en développant deux thèses : « 1° La négation à l’existence de l’État d’Israël, et la volonté explicite de le détruire ; l’accusation de « racisme » visant les Juifs en tant que « sionistes ». Tout juif étant supposé être un « sioniste » jusqu’à preuve du contraire, à savoir l’engagement explicite, ou, plus largement, et sans euphémisme, des Juifs »
Alors, poursuit-il « on trouve ça, évidement chez les idéologues des frères musulmans dans les années 1930, chez le grand mufti de Jérusalem qui a été le leader arabo- musulman qui a déclaré la guerre aux Juifs en 1920 , avant de s’installer à Berlin durant la deuxième guerre mondiale, pour collaborer notamment à la propagande anti juive à destination du monde musulman » ; on trouve ça chez le fondamentaliste des frères musulmans, Hassan el Banna, on trouve ça en 1950 chez l’idéologue fondamentaliste égyptien, Sayyid Qutb, on trouve ça dans une interview réalisée sur la chaîne Al Jazeera, en septembre 1998 chez Osama Ben Laden, et enfin, on trouve ça, dans l’épître d’Al Qaida intitulé : « qui est l’ennemi, par qui commencer ? ».
Alors la question, effectivement est de savoir finalement comment cette idée de complot juif, continue à se développer.

⇒ La notion du complot judéo-maçonnique a été largement théorisée par un archevêque qui s’appelait Charles Martial Lavigerie (fondateur des missionnaires Pères blancs). Il avait théorisée l’idée que les Juifs et les francs-maçons s’étaient associés pour fomenter la Révolution, cette fameuse Révolution qui avait fait tant de mal à l’Eglise. Et ce qui est intéressant, c’est qu’à la même époque un abbé, l’abbé Sieyès était un des acteurs dans la Constitution de l’an III, et il a participé aussi, au texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ceci pour dire que des hommes d’Eglises ont été acteurs du pire, théorisant un complot, et acteurs du meilleur à la fois.

⇒ Une théorie est une construction intellectuelle qui associe généralement, des observations, des lois et des hypothèses centrées sur un domaine scientifique. La théorie permet l’explication de phénomènes constatés, mais prépare surtout l’action pour en assurer la maîtrise. On ne peut pas employer le terme complotiste, de la même façon que comploteur. Le complot est depuis l’observation de quelqu’un qui se dit : là, il y a quelque chose, il y a des gens qui ont agi. Par exemple, si je prends, les Twin towers, qu’est-ce qui a été vendu à l’opinion ? C’est un complot qui a été organisé par Ben Laden, mis en oeuvre par des terroristes qui ont pris des cours de pilotage ? etc… En fait les USA nous ont vendu « un complot », à l’inverse de ceux qui disent qu’ils ne sont pas d’accord avec cette version ; pourquoi y aurait-il moins complotiste que celui qui en décrété un ?
Et je reprends pour cela un autre événement controversé. C’est l’assassinat de J.F. Kennedy. Quand ce dernier a été tué, on nous a dit c’est évident, que le tireur était Oswald. On a nommé une commission, la commission Warren : Oswald a pris un flingue et a buté Kennedy, et voilà c’est terminé.
Mais aujourd’hui, il y a Internet, ce qui fait que, et je l’ai observé par moi-même, qu’il y a un tas de gens, de divers domaines, des gens avertis, qui refusent ces théories, et chacun amène une pierre à l’édifice dans ce grand machin qu’est l’expression sur Internet. Et là, du coup, les choses ne sont plus du tout pareilles, et c’est à ce moment-là qu’on parle de complot, on ne parle pas de complotisme. D’ailleurs, ce mot de « complotiste » n’existe pas dans le dictionnaire.

⇒On ne peut exclure dans ces théories du complot, l’aspect du caché, du secret et de la paranoïa. Et dans les représentations du complot on nous a montré par exemple des réunions dans des cimetières, les images accompagnent les idées, on a vu jusqu’à de la magie noire.

⇒Je suis d’accord qu’il faut distinguer entre complot et théorie du complot ; car le complot peut-être tout simplement synonyme de stratégie ; l’armée, les services secrets complotent, pour prendre les voleurs la police complote, etc. Là où ça commence à gêner, c’est qu’on atteint au plus large niveau, la tromperie, le mensonge, la manipulation. Mais il y a des complots qui partent tout seuls, une simple rumeur, ou des rumeurs comme il en a toujours existées, mais aujourd’hui la rumeur enfle plus vite, et cela « grâce » à Internet, aux réseaux sociaux.

⇒Je pense qu’il faut distinguer l’idée du complot qui partirait d’une rumeur, de ce qui est un complot théorisé, dont certains exemples donnés, tel des magouilles politiques, etc. Il y a aussi des complots boursiers pour avaler une entreprise, et là, on est dans des complots réels, et ça se prépare autour d’une table en théorisant une stratégie.
Et puis il y a un tas d’événements où l’on peut soupçonner qu’il y ait complot, comme sur les Twin towers, et l’assassinat de Kennedy, déjà cités et pour lesquels on peut se poser plein de questions.
Mais il y a une chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que la théorisation du complot a aussi son envers, c’est-à-dire, une théorie du complot pour nier quelque chose ; il y a des soupçons de quelque chose qui feront plus écarter toute vérité. Il y a une enquête qui est faite, et puis l’organisme ou la personne dénoncée, au lieu de faire la preuve, de son « innocence », elle dit : oh ! C’est un complot ! Et comme on ne répond pas, ça conforte pour beaucoup de gens l’idée de complot.
Si l’on reprend le 11 septembre, j’ai vu parfois plein de documents faits un an après, et il y a des choses troublantes sur lesquelles le gouvernement des Etats-Unis n’a jamais répondu, ni même attaqué les auteurs. En laissant libre cours à l’imagination, les gens tombent dans le complotisme ; plus il y a de non réponse, plus cela justifie cette idée que ce pourrait être un complot.

⇒Quand on emploie le mot théorie, on parle d’une chose établie, indiscutable, vérité donnée comme intangible, définitive. Le complot peut avoir un aspect positif, comme comploter pour faire une surprise lors d’un anniversaire, c’est mieux que le complot qui cherche à mentir, déstabiliser, briser un ordre établi, préparer un attentat, ou pour prendre le pouvoir.
Et le complot, et ses théories, ont fait les beaux jours du cinéma, du roman, des jeux vidéo, etc.
Dans un siècle où l’on voudrait tout expliquer, cela ouvre la porte à plein de controverses, et à l’idée de grands complots, lesquels se répandent par Internet, par tous les réseaux sociaux où l’on retrouve précisément ce que l’on recherche, et même dans le sens que l’on recherche. Alors, c’est plus ou moins lié à la paranoïa, ce n’est pas très rationnel, on veut faire coller des infos avec ce que l’on croit, ce que l’on subodore.

⇒ J’ai regardé les définitions de complot sur le Larousse ; l’une d’elle « Résolution menée en commun et secrètement contre quelqu’un, ou, particulièrement contre la sûreté intérieure de l’État ». Donc je pense, que d’abord, à l’origine, il y a un danger latent pour le monde, qu’on soit Juif, ou quoi que ce soit d’autre. A partir du moment où l’on vit dans un État, on est en danger, et il faut veiller. Alors complot, pas complot, c’est de la responsabilité de l’Etat de veiller à la sécurité.

⇒ Je vois que les Twin towers sont au centre du débat. Alors, j’aimerai poser la question suivante : nous sommes vingt personnes réunies pour ce débat : et là, on est combien à penser que ce qui nous a été rapporté par les média quant à cet événement, ne correspond pas totalement à la réalité ?

⇔ Un tour de table nous montre que cinq personnes sur vingt, pensent que ce qui s’est passé, ne correspond pas à ce qu’on nous en a dit.

⇒ Je pense que le complotisme est une invention des leaders d’opinion pour cacher le fait qu’on ne leur fait plus confiance, qu’ils ne sont plus crédibles. Aujourd’hui c’est sur Internet que se fait l’opinion. Sur Internet on trouve de tout, et sur le 11 septembre, on trouve des témoignages de scientifiques qui développent des idées rationnelles. Il y a des gens qui comparent, et au final, on comprend qu’il n’y a pas de vérité, elle n’est que la version officielle.

⇒Entre ceux qui parlent de complot, ceux qui le réfutent il y a un  » dialogue
ping-pong », et les vrais penseurs, ceux qui pourraient dire la vérité, eux, n’ont pas de tribune.

⇒Est-ce que nos sources d’information ne décident pas de ces choix : complot ou pas complot ? Et puis peut-être pour sortir de là, on peut aussi écouter différentes sources d’information.

⇒ Une théorie c’est un discours structuré, organisé, pour justifier la pertinence d’une idée. C’est Descartes qui avec sa « méthode » dit, j’ai trouvé comment accéder à la vérité. Il a établi une théorie.

⇒ Le complot c’est souvent le réflexe de gens qui sont désarmés, parce qu’ils n’y trouvent pas leur compte, qu’ils ne sont pas convaincus, parce qu’ils pensent qu’on leur raconte des carabistouilles ; et parfois ils reprennent les mots utilisés par l’information, en les détournant et en les retournant contre l’information.
Et je connais une personne, qui, lorsqu’il y a un événement, comme un avion qui disparaît en mer, je suis sûr qu’elle a une information « de première main», je suis sûr qu’elle a un scoop terrible, une information que je ne connaissais pas, que je ne soupçonnais pas. Une fois, c’est un coup des Américains, une autre fois, un coup des Chinois, ou des Russes. On a bien là un exemple de paranoïa, qui parfois se répand, qui fait tache d’huile.
Et comment juger en toute conscience de ce qui ressort d’une paranoïa du complot, ou d’un moyen d’alerter ? Ainsi, dans son ouvrage, « L’homme simplifié » Jean- Michel Besnier évoque ce que certains voient comme un complot dans Internet : « …le réseau des relations établies par la connexion des nos ordinateurs conspirerait à la réalisation d’un cerveau planétaire [….] chacun de nos ordinateurs actuellement ou potentiellement connecté à tous les autres, fonctionnerait donc comme un neurone…. »
Oui, bien sûr, on peut se dire, à quoi va servir de stocker les milliers de données de toutes nos connections sur Internet ? Y a t-il une volonté cachée de tenir des milliers et des milliers d’individus par les petits secrets. On pense à l’ouvrage de Georges Orwel, « 1984 »
Le régime démocratique n’est nullement assuré d’être toujours la norme, même dans des pays occidentaux. Les moyens de la finance, plus le contrôle des communications de tous, cela pourrait entraîner le contrôle total des esprits, ça peut inquiéter, non ?

⇒ Un des objets de notre interrogation est, peut-on mettre théorie et complot sur un même plan ? Parce que la théorie doit avoir un caractère universel, et le complot touche au sentiment particulier. Je comprendrais que la théorie du complot soit une théorie qui permettrait à tout le monde d’admettre l’idée de complot, et qui dirait voilà comment on a opéré, et sur quelles bases d’observations peut-on le démontrer ? Sauf, que par nature un complot, c’est secret.
Ensuite, on a coutume de dire, oui, sur Internet, il y a des conneries ; mais Internet c’est un lieu de bagarre terrible, parce qu’il ne faut pas croire qu’il y a seulement des complotistes, il y a des informateurs qui ne sont pas tous atteints de parano, il y a ceux qui orientent, qui donnent des informations sûres. Et c’est certain, que si vous avez de la suite dans les idées, et la volonté de comprendre, vous avez des ouvertures, avec plein d’éléments réels.
Alors, entre le mythe et la réalité, je pense que le mythe est plus sécurisant, et pour une grande partie de l’opinion il est souhaitable, par exemple, que ce soit un méchant au fond d’une grotte en Afghanistan, avec un portable, qui a donner l’ordre de flinguer les tours de Manhattan, plutôt que d’imaginer tout ce que ça implique de complicité au sein de l’État américain. Et ça, m’amène à dire que pour beaucoup de ceux d’entre nous ici, on a souvent considéré que ce sont les masses qui font l’Histoire, or là, quand on aborde ces sujets, on s’aperçoit que ce peut-être aussi le fait d’une minorité agissante.

⇒  Une fois qu’un complot est connu, avéré, cela implique tout un déroulement. On se souvient de « la cagoule » où l’on n’en finissait pas de trouver des personnes et des groupes impliqués dans un complot. Chaque époque a ses grands complots : il a quelques dizaine d’années on parlait des femmes qui disparaissaient dans des magasins (magasins tenus par des Juifs, bien sûr) et qu’on « envoyait » dans des réseaux de prostitution au Moyen-Orient.

⇒ Quinze ans après les Twin towers, l’organisme de sondages, Odoxa, a mesuré l’impact des théories conspirationnistes : 66% des Français considèrent que l’on nous a caché des choses sur cet événement ; 41% des français pensent que l’on ne connaît pas vraiment les responsables de ces attentats ; 78% estiment que le gouvernement américain, a été impliqué dans ces attentats.

⇒Poème d’Hervé (en acrostiche)
Le bruit/ La rumeur.

L’eau calme de l’étang
Agitée par un caillou

Réagit en ondulent lentement
Un rien devient un tout
Mouvements ondulatoires
Enflés qui remuent la boue
Urgent de laisser reposer en abreuvoir
Reflétant une image qui était devenue floue.

⇒Pour moi, Internet, n’est qu’un outil, et un outil on en fait ce qu’on veut. Donc, les vrais responsables de rumeurs, ou de complots, ce sont quand même des hommes à l’origine. Mais il y en a, un certain nombre qui se sert d’Internet pour mettre en place de véritables théories de complots à venir, et du renversement de certaines choses Je pense à un film passé sur Arte : « L’intelligence artificielle » où l’on montre que tous les grands de la silicon valley, Google, Amazon, Paypal, etc.. se sont regroupés pour former des municipalités, en faisant mettre des services privés réservés aux gens qui travaillent pour eux, et certains de ces dirigeants, qui sont des libertariens, sont ouvertement pour la suppression des États. Pour ce faire ils imaginent une ville flottante en eaux extraterritoriales pour échapper à toute loi, et là, c’est bien un complot contre le principe de démocratie. Et ça, il faut s’en méfier.
C’est vrai que si on se contente de parcourir le journal « Vingt minutes » (en trois minutes), on ne trouvera pas ce genre d’article d’investigation.

⇒ Il faut bien sûr, ne pas se laisser aller à imaginer qu’il y ait aujourd’hui, un, ou quelques complots, (laissons cela au FN, ou du moins, ce fut longtemps son fonds de commerce), non ! il y a, comme ça, des choses qui se font tout naturellement, il ne s’agit pas de complot, il ne s’agit qu’entente entre personne défendant « intelligemment » des intérêts de classe. De vagues structures qui ne sont pas si nouvelles sur le principe, ont trouvé en toute logique des personnes déjà acquises à leurs idées, des adeptes, d’abord chez un grand nombre de dirigeants d’entreprise. Beaucoup de ces dirigeants étaient, hors leur syndicat, regroupés dans les divers clubs, « Lions », « Rotary », des chapelles, comme celles devenues à la mode, les « think tanks » où l’on peut facilement retrouver politiques et journalistes de droite, comme de gauche, parfois ; des citoyens assez divers, et où on va leur faire passer le message. L’idée du marché libre s’est propagée, les nouveaux convertis sont parfois devenus eux-mêmes de véritables croisés de l’idéologie. Le travail de pénétration, d’imprégnation de cette théorie jusque dans les couches moyennes s’est fait à partir d’une « menée opiniâtre », à partir d’un travail constant pour subjuguer les esprits de tous ceux qui pouvaient dans ce pays avoir un pouvoir décisionnaire.

⇒ Est-ce que si on se bat pour une totale liberté d’information, on ne fait pas un peu le lit du conspirationnisme ? Est-ce que ça n’aide pas à l’émergence de mouvements qui ne cherchent pas à discerner le bien du mal, et sans souci de l’humanité, et ceux-là finissent par avoir des tribunes. Alors, ils sont parfois hors-la-loi, ou limite…

⇒ La liberté d’opinion n’existe pas. Ainsi, Dieudonné est peut-être la victime d’un complot, et il est considéré comme un terroriste qui doit être emprisonné, alors que Brice Hortefeux, et Eric Zemmour, eux sont tranquilles Alors complot ou, « deux poids, deux mesures ? »

⇔……..Un moment de brouhaha, nous ne sommes pas tous d’accord avec cette dernière intervention. (Citer ne nécessite pas adhésion / note du rédacteur)

⇒ On ne peut pas évacuer la situation des lanceurs d’alerte, et le fait que tous les États semblent être d’accord pour leur faire la chasse. On pense à des Edouard Snowden, à Julien Assange, et d’autres…Dans ces derniers cas, osera t-on parler de complots d’Etats ?

⇒ Quand on veut faire taire les gens dont les propos gênent, on peut le faire, mais il faut être sûr de soi, être sûr de gagner, car si on s’échoue c’est problématique, ça peut avoir un effet contraire.
Ainsi, lorsque paraît le premier tome de l’encyclopédie en 1758, c’est un tollé de protestations, venant du parti des dévots qui entourent le roi, des divers auteurs catholiques, des Jésuites.
Ces philosophes qui participent à l’Encyclopédie ne se connaissent pas tous. Alors on parlera de complot, comme si des hommes de différentes classes sociales auraient pu avoir un tel plan commun, un but caché contre le roi, contre l’Eglise, contre la France.
Il s’élève une tempête antiphilosophique, contre ce que Fréron intellectuel du groupe des dévots, nomme la « philosophaille »
Cette attaque du « complot » dénoncé va avoir un effet inattendu. Les philosophes jusqu’ici assez individualistes se regroupent, et passent à l’attaque, avec Voltaire bien sûr aux avant- gardes.
L’évêque de Montauban écrit : « Ces audacieux écrivains qui ont consacré, comme de concert, leurs talents et leurs veilles à préparer ces poisons, et peut-être ont-ils réussi au-delà de leurs espérances, à fasciner les esprits et à corrompre les cœurs »
Ce n’était pas un complot, et c’était plus, qu’un complot; trente cinq ans plus tard ce sera, une Révolution.

⇔ …….. Et diverses personnes évoquent la franc-maçonnerie

⇒ Certaines personnes vous diront, la franc-maçonnerie n’en en rien une secte…

⇒ Ce sont des ententes où des hommes se cooptant vont occuper, se partager des postes de décision dans la société..

⇒ C’est un groupe humaniste au service de la société.

⇒  Je ne vois pas, la franc-maçonnerie comme une secte, bien sûr, je n’y vois pas une image du complot, mais si vous considérez tous les rituels mêlés de tout un cortège d’éléments symboliques, on peut avoir le sentiment dans une réunion (tenue blanche, ouverte ou fermée, pour utiliser un langage qui leur est propre) , le sentiment de participer à une cérémonie, proche des cérémonies religieuses. Alors ni une secte, ni une religion, ni une société de complot. Disons, une amicale comme il en existe tant mais de grande envergure, avec une volonté de réflexion sur la société, de la réflexion collective, avec des éléments spirituels, comme dans une communion des esprits dont les hommes sont demandeurs, dont les hommes sont friands.

Œuvres citées, références.

La judéophobie des Modernes. Des Lumières au Djihad mondial.
Edition numérique/ Google Play

L’homme simplifié. Jean-Michel Besnier.

Documentaire Arte : L’intelligence artificielle. 23 octobre 2012.

 

Ciné-philo autour du film:  » Fatima »

Ciné-philo à Chevilly-Larue
partenariat avec le théâtre André Malraux.
Restitution du débat du 31 mai 2016

Affiche promotionnelle

Affiche promotionnelle

 De Philippe Faucon. César du meilleur film/ César du meilleur espoir féminin/
César de la meilleure adaptation

 Thème du débat:           “Comment dire, quand on n’a pas les mos?

Animateurs : Caroline Parc. Guy Pannetier. Danielle Vautrin

 Débat

Débat : ⇒ Film intimiste, plein de pudeur, Fatima est une de ces mères courage, de ces mamans pélican qui ne vit que pour ses filles; tout mon amour dit-elle n’est pour personne d’autre que pour mes filles. Alors que sa fille aînée Souad qui fait des études en faculté de médecine, nourrit tous ses espoirs, se seconde fille, Nesrine, lui donne du souci car elle refuse de travailler à l’école, elle fait un blocage d’intégration, reprochant à sa mère de porter le voile, de n’être qu’une femme de ménage, de l’enfermer dans sa condition  sociale, de ne pas bien parler le français, d’être lui dit-elle « une ânesse » et quand sa mère lui reproche de ne pas travailler à l’école elle lui jette à la figure : « tu peux pas m’aider, tu parles même pas l’français ».
Les barrières sont diverses : regards hautains des femmes chez qui travaille Fatima, paroles lui rappelant sa condition de femme de ménage, puis des  marques de jalousie de la part des voisines émigrées comme Fatima ; jalouses qu’une de ses filles fasse médecine, comme si vouloir s’intégrer consistait en une trahison de la communauté qui ne doit pas s’élever.       Fatima a un besoin de s’exprimer, elle ne peut le faire avec ses filles qui ne comprennent pas suffisamment l’arabe, elle ne peut pas le faire en français, car là c’est elle qui ne possède pas suffisamment cette langue. Alors, lorsqu’elle se retrouve inoccupée elle commence à écrire tout ce qu’elle n’a pas pu exprimer oralement. Et elle le fait avec des mots simples, mais des mots d’une grande pureté, sans fariboles, avec une terrible profondeur de sentiment.    Des mots simples qui vous prennent aux tripes, car c’est de l’amour de la plus grande force et de la grande pureté à la fois.
Le film est tiré, inspiré des écrits de Fatima, d’un livre qu’elle a intitulé « Prière à la lune », livre qu’elle dira avoir écrit pour toutes les Fatima de France, « Je parle » dira telle « au nom de toutes les Fatima qui travaillent dans l’ombre, seules, loin de leurs familles et se contentent de pleurer dans leur cœur »           

⇒ J’ai pensé en voyant ce film, non seulement à des personnes issues de l’immigration, mais aussi à des personnes qui sont dans des situations sociales totalement différentes. J’ai pensé à ma sœur qui n’a pas fait d’études et qui a élevé deux filles qui ont fait des études supérieures, et cela grâce à l’amour d’une mère. Il y a des mères courages partout.
J’avais plus imaginé comme thème : « comment s’exprimer quand on n’est pas du même milieu ? » C’est compliqué quand on n’est pas du même milieu, on pas le même langage et on ne se comprend pas.

 ⇒ Ce film et très beau, et on y voit la parité dans la façon dont se comportent les deux sœurs, et finalement, la jeune sœur qui refuse de s’intégrer parce qu’elle a honte (entre autres), de sa mère, est heureuse que sa sœur aînée ait réussi ; c’est quelque chose de très fort dans le film, on voit une capacité à se dépasser. Finalement ce film donne espoir; ce qui est de la haine chez la plus jeune se transforme par la réussite de la sœur.

 ⇒ On retrouve ce type de comportement très tôt à l’école, les enfants sont conscients des catégories sociales, et ceux qui échouent imputent parfois leurs échecs à la catégorie sociale des parents. Et l’on voit dans ce film, la difficulté de briser ce qui ressemble à une  « loi d’airain », c’est-à-dire, qu’il sera toujours plus difficile lorsque vous avez des parents qui ne maîtrisent pas la langue, qui n’ont pas la culture du pays, qui peuvent difficilement vous aider en soutien de l’école ; ces enfants n’ont pas les mêmes atouts que ceux dont les parents possèdent tous les codes de la culture, qui emmènent très tôt leurs enfants dans les musées, qui leur transmettent out un acquis culturel, etc.

 ⇒ Aujourd’hui comme s’intégrer ? lorsque des enfants comme on le voit souvent dans nos acquis culturel banlieues se retrouvent qu’entre enfants d’immigrés ? Il n’y a pas cette nécessaire mixité sociale.
Revenant sur le rôle de la mère, je crois qu’à chaque vague d’immigration il y a de ces mamans qui sont plus ou moins sacrifiées, ce fut le cas pour les Polonais, les Italiens, les Espagnols..,

⇒ A un moment donné la sœur aînée est invitée à une soirée avec sa copine co-locataire, elle refuse d’y aller, et dit que dans ce milieu, où elles sont invitées, elle ne comprend pas leur langage. C’est le cas de jeunes gens qui en dehors de leur milieu n’ont plus les codes, n’on pas les mots, et de ce fait restent enfermés, avec, comme un sentiment d’être rejetés.
Et je retiens la notion de fierté, ne pas pouvoir être intégré, amène à un repli sur soi, sur une identité différente.

 ⇒ Il y a des immigrés qui s’intègrent très bien, tel ceux qui arrivent avec un métier
Au-delà même du film, se pose ce problème de l’intégration. Comment même avec des cultures différentes pourrait–on construire du collectif ? Etablir des projets communs ? Au lieu de cela, nous avons un choc des cultures, en plus d’un choc de générations. Lorsque les enfants apprennent à l’école que leur pays, c’est : la République, la laïcité, la tolérance, et que lorsqu’ils rentrent à la maison, les codes ne sont plus les mêmes, ils sont perturbés, quels choix doivent-ils faire ?

 ⇒ Dans ce film nous sommes dans du vécu. La conversation entre la mère et ses filles existe, mais ce n’est que pour le quotidien. La mère n’est pas analphabète, elle parle et écrit l’arabe, ce qui au final va lui ouvrir un nouvel espace, la libérer.

 ⇒ On voit que les deux filles ne communiquent pas de la même façon avec leur mère, pour la seconde, le dialogue est fermé, elle est campée dans le refus.

 ⇒ Le film nous parle  d’une famille d’immigrés maghrébins, avec quelque chose de bien particulier. Dans ce trio il y a deux personnes qui sont chargées d’une lourde responsabilité, la mère qui fait tout pour que sa fille puisse faire des études supérieures, et cette même fille, l’aînée, qui porte tous les espoirs de sa mère, qui sent que si elle échoue, ce sera terrible pour sa mère, que celle-ci y perdra sa dignité tant elle a investi en elle.
Fatima au final aura deux bonheurs, la réussite de sa fille à l’examen, réussite qu’elle savoure seule en retournant lire le nom de sa fille sur les listes, puis deuxième bonheur, son livre, exutoire à ces difficultés. Elle a vidé son cœur, elle a retrouvé toute sa fierté.

 ⇒ Après toutes les vagues d’immigration, c’est vrai qu’il semble plus difficile pour cette dernière vague en grande partie maghrébine de s’intégrer, d’être intégrée, que ce soit pour les enfants, comme pour les parents.

 ⇒ Nous voyons particulièrement avec Fatima, l’exemple de personnes qui essaient de sortir du carcan de l’immigré. Et nous avons une scène particulière qui dénote un certain état d’esprit, c’est quand Fatima apprend à la personne (bourgeoise) chez qui elle fait le ménage, que sa fille fait, « médecine ».

 ⇒ Le fait d’avoir regroupé les immigrés dans des mêmes immeubles, sans réel mixité,  augment encore cette difficulté d’intégration.

 ⇒ Le film nous montre que l’affichage ostentatoire de la religion, en l’occurrence, au début du film, crée des blocages, des rejets. C’est le cas pour la location d’un appartement. Le fait que Fatima porte un foulard  fait échouer la démarche.

 ⇒ Ce film a une portée universelle, et ce serait dommage de la cantonner au seul thème de l’immigration. S’en sortir par les études c’est toujours possible, et je vois, d’expérience à l’Université, que ce n’est pas parce qu’on est issu de l’immigration qu’on va être en échec scolaire. A ce jour ce sont les jeunes filles qui réussissent le mieux. Ce n’est pas l’école qui fait de la discrimination, et la difficulté d’intégration n’est pas seulement une question d’origine ethnique, culturelle, sociale, ou religieuse.

 ⇒ C’est vrai que le film n’insiste pas sur le caractère musulman d’une intégration, ce n’est pas le sens du film. On a évoqué des immigrés, tel, les Polonais au siècle dernier, mais à cette époque on parlait d’assimilation, et non pas d’intégration. Je suis enfant d’immigrés, et lorsque j’étais jeune, il était évident pour moi qu’il me fallait absolument être assimilée, et même quand je rentrée à l’école normale, c’était pour être une Française, pour parler la langue de ce pays, pas pour continuer à parler le yddish ou le russe que parlaient mes parents.
Et je rappelle qu’à cette époque, l’école jouait son rôle dans l’assimilation. Et aujourd’hui il s’agit d’intégration, ce qui inclut l’aspect social, et l’école ne peut pas jouer ce rôle.

 ⇒ On ne peut se cacher le fait que l’intégration est devenue plus difficile face à la religion de l’Islam, lequel est plus qu’une religion, c’est un système social et politique, ce qui peut amener des contradictions à l’égard des structures sociales et politique de notre pays.
On pouvait penser qu’il ne s’agirait que de la question d’une génération, mais il semble que ce sera plus long.
Et on ne peut non plus, occulter le fait social du niveau chômage dans nos banlieues. Cela participe aussi à une rupture avec la République; pourquoi me répondait un jeune homme j’irai voter, si la République ne fait rien pour moi, je ne fais rien pour elle.
Et je reviens aussi sur le fait que les jeunes filles issues de familles d’immigrés réussissent mieux leurs études ; elles travaillent sérieusement pour sortir d’un enferment culturel, sortir de leur milieu, pour pouvoir choisir leur mode vie, choisir leur mari, ne pas vivre parfois, la vie de leur mère.

 ⇒ Les enfants saisissent très vite les codes, ceux de la maison, comme ceux de l’école. Les enfants sont aptes à entendre autour d’eux, deux, voire, trois langues différentes sans être dans la confusion. Je préfère qu’on valorise les immigrés qui font tous les efforts pour s’en sortit, plutôt que de stigmatiser les pauvres immigrés qui auraient moins de chances. Ce qu’il faudrait, c’est les considérer à égalité, de droits et de responsabilité.
On ne peut écarter que les enfants sont pris entre deux cultures différentes, celle de l’école, de la vie au dehors, et celle de la maison, lesquelles sont parfois pour lui en contradiction, l’enfant alors ne sait plus sur quel pied danser.
Et puis, l’on sait aussi qu’un CV Ahmed ou Kadour, ça ne passe pas si bien qu’avec un autre prénom. Et c’est vrai que l’intégration est beaucoup plus compliquée qu’avant, arrêtons de nous « voiler la face » !

 ⇒ Dans ce film j’ai vu une maman aimante, un père qui malgré tout, assumait son rôle. Je pense qu’il faut un équilibre dans une famille pour les enfants évoluent bien.

 ⇒ Je pense que les responsables religieux de l’Islam devraient faire un travail de lien plus important avec la République.

 ⇒ Nous voyons dans ce que dit la mère à ses filles, que ce qui importe beaucoup, c’est le regard de la communauté.

 ⇒ On sait qu’il y a des parents qui ne jouent pas bien leur rôle, qui ne sont pas assez rigoureux pour les études, et là on voit que ce n’est pas le cas pour Fatima, qu’elle est très exigeante.

 ⇒ Je crois qu’on doit rendre hommage à ces mères qui font tout pour leurs enfants quel que soit le milieu, des mères courageuses. De ces mère : du Maghreb, d’Afrique saharienne, etc, celles qu’on voit à la sortie des écoles, qui s’intéressent à leurs enfants. Il faut faire passer le message, qu’avec l’amour, avec la volonté, on peut s’en sortir.

fatima

 

                                                        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La compétition entre tous, est-elle inévitable?

Restitution du débat du 11 mai 2016 à l’Haÿ-les-Roses

Rousseau. Les joueurs de foot-ball. 1908. Musée Guggenheim. New York       Les joueurs de foot-ball. Le douanier Rousseau.
1908 Musée Gougenheim. New York.

Introduction : Lionel
Dans notre société de compétition je voudrais traiter de ses caractéristiques essentielles.
Nous sommes imbibés et faisons nos choix les plus intimes avec la peur toujours distillée dans nos esprits dès le plus jeune âge, et nous devons donner des gages à la réussite. Réussite scolaire, puis professionnelle, sociale et matérielle.
Il pèse sur nos têtes l’épée de Damoclès de la mésestime, de la désapprobation, du mépris, et surtout de la stigmatisation, de l’indifférence et de l’ignorance.
Bref, c’est toujours, suivant des termes standards, le combat de « winners » contre les « loosers ».
Le philosophe anglais Thomas Hobbes dit que : « Nous trouvons dans la nature humaine, les principales causes de discorde : tout d’abord, la Compétition : en second lieu, la Défiance ; et en troisième lieu, la Gloire » (Léviathan. 1, § XIII)
Maintenant,  il nous faut voir l’étymologie du mot compétition, lequel vient de l’anglais, lui-même issu du latin « competitio » qui signifiait tout à la fois: rivalité, concurrence, etc.
Dans le Larousse d’aujourd’hui, c’est l’action de chercher à obtenir en même temps que d’autres  le même titre, la même charge, la même dignité, etc. ou alors : concurrence entre des organismes, des populations, des espèces pour l’utilisation d’une ressource.
Aujourd’hui le terme de compétition est souvent associé à l’économie, et parfois présenté sous la forme de « guerre économique ». On peut dire qu’un mot d’ordre règne sur les ondes, tout doit être adapté, sacrifié, à la compétition économique, permettant de gagner des parts de marché, jusqu’au saint Graal qui est l’obtention du monopole.
De plus , cette guerre économique réduit les personnes à la consommation et la consumation jusqu’au « burn out ». Au nom de la compétition des milliers d’emplois sont menacés, et ceci sans qu’on sache quelle sera la place réservée à l’homme.
Je reprends ces quelques lignes de Frédéric Lordon dans le récent n° hors série de Philosophie Magazine : « Par les affects joyeux extrinsèques de l’action à la consommation, le travail demeurait une activité instrumentale. Le nouveau régime passionnel du néolibéralisme vise à rendre le travail désirable pour lui-même. Le problème de ce nouveau régime passionnel est qu’il est gravement affecté de schizophrénie, car, à côté de cette promesse magnifique de l’épanouissement existentiel dans, et, par le travail, le capitalisme néolibéral précarise et brutalise les salariés comme jamais depuis l’époque pré- fordienne »
Et pour finir je cite des alternatives sérieuses de Baudrillard : « Au lieu d’égaliser les chances et d’apaiser la compétition sociale (économique, statutaire), le procès de consommation rend plus violente, plus aiguë la concurrence sous toutes ses formes. Avec la consommation, nous sommes enfin, seulement dans une société de concurrence généralisée, totalitaire, qui joue à tous les niveau, économique, savoir, désir, corps, signes et pulsions, toutes choses désormais produites comme valeur d’échange dans un processus incessant de différenciation et de surdifférenciation. »

 Débat

Débat :  ⇒ On ne peut pas nier qu’on est dans une société de compétition, mais de fait, peut-on imaginer qu’on pourrait avoir une société sans compétition ? Sans ce principe nous serions peut-être comme des boeufs broutant dans un champ. Je crois que la compétition est inhérente à la condition humaine.
J’ai cherché à définir, à cerner les sentiments qui s’expriment dans la compétition :
1° L’envie de se montrer aussi capable que l’autre
2° Le besoin de se prouver à soi-même qu’on peut une chose, voire, pourquoi pas, se dépasser.
3° L’envie parfois d’être au-dessus des autres, par orgueil, par vanité, par gloriole.
4° L’envie de s’élever dans la société ; pour soi, pour le regard des autres, pour l’honneur, la fierté.
5° L’envie, le désir d’avoir une meilleure situation financière, pour soi, pour les siens, pour préserver l’avenir.
6° Ou, tout simplement un réflexe naturel, presque génétique chez certaines personnes, de ceux que vous voyez se précipiter vers le péage le moins chargé pour gagner 30 seconde de trajet, (c’est plus fort qu’eux !)
Il y a des personnes qui n’ont pas l’esprit de compétition. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de proposer à des personnes la possibilité d’évoluer vers un poste à responsabilité, parfois ces derniers ne voulaient pas changer leur travail habituel. En fait, si tout le monde voulait être « chef » la compétition serait terrible.
Il ne suffit d’être compétiteur, encore faut-il avoir des capacités. Encore faut-il que le milieu de votre activité vous offre la possibilité de prouver vos aptitudes, et cela dépend aussi parfois du niveau des concurrents.

⇒ La compétition mène parfois au « burn out » (l’épuisement moral), ce qu’on appelait autrefois « le ras le bol ». Et cela aujourd’hui touche parfois les enfants, lesquels pour les parents devraient toujours être, les meilleurs. Les enfants entrent alors dans une compétition qui n’est pas leur, mais uniquement celle des parents, l’enfant devient l’objet de l’ambition des parents, jusqu’au seuil de ses possibilité, et si il a un échec, c’est le drame.

 ⇒ La compétition à l’école peut amener des suicides, comme on le voit au Japon. J’ai toujours dit à mes enfants : même si on a une mauvaise note, on rentre à la maison.
Dans un tout autre domaine, nous voyons la compétition entre les Etats, et aujourd’hui l’Allemagne qui serait le modèle parfait s’impose dans les orientations, et bien d’autres pays deviennent « les mauvais élèves de l’Europe »
La compétition n’est positive que lorsqu’elle crée de l’émulation.

 ⇒ Dans une entreprise la coopération est préférable à la compétition. J’ai par ailleurs connu une école où il n’y avait aucun classement, et c’est important, c’est ce que j’ai transmis à mon petit fils, l’important n’est pas d’être le premier, l’important, c’est d’être aimé.

 ⇒ La compétition des années 1980 n’a rien à voir avec ce qu’elle allait devenir, on le voit surtout dans les problèmes de santé, problèmes psychologiques qui augmentent au travail de façon alarmante : ils incluent : l’épuisement professionnel, la dépression, le stress, l’anxiété…
Ces problèmes psychologiques comptent maintenant pour environ 40% des obtentions d’invalidité au Canada, jusqu’à 60% dans certains secteurs.
En Europe un cas sur deux d’absentéisme est du au stress chronique.
En 1974 le psychologue Herbert J. Freudenberger  écrit dans l’ouvrage « La brûlure interne: « En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendies, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe   leurs ressources internes en viennent à se consumer, comme sous l’action d’une flamme, en ne laissant qu’un grand vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte »

⇒ Il y a des cas extrêmes de compétition, des cas où nous sommes bien embêtés ; tant avec la morale qu’avec l’éthique, ceci en philosophie est illustré par « La planche de Carnéade » : Deux naufragés repèrent une planche, un premier s’y accroche, elle le soutient, le second s’y accroche, elle ne soutient pas les deux hommes. Après quelques tentatives infructueuses, l’un des deux naufragés au nom du principe de sauvegarde de sa vie, tue l’autre. C’est un cas d’école pour les juristes.
Et nous avons évoqué la collaboration, plutôt que la compétition. Cela nous ramène à l’œuvre de Darwin « L’origine des espèces », où,  nous le savons, la reproduction  des espèces a donné lieu à des compétitions. Mais nous dit aussi Darwin, dans des certains cas, ce sont les groupes solidaires qui grâce à la collaboration ont survécu et ainsi transmis majoritairement leurs caractéristiques génétiques aux descendants
Mais la compétition ne concerne pas que le genre humain et animal, elle existe aussi chez les plantes. Ainsi pour attirer tel papillon, ou tel insecte pollinisateur, la plante par sa fleur va se parer de couleur, d’aspect approprié, se faire la plus attirante possible parmi les fleurs environnantes. « Darwin donne une peinture saisissante de ce champ de bataille qu’est le moindre lopin de terre où tout ce qui vit entre nécessairement en compétition et lutte férocement, désespérément pour la vie, lutte pour la volupté, pour l’amour. Dans le monde végétal, les plus forts et les mieux doués supplantent et étranglent les faibles, leur enlèvent les sucs nourriciers, l’air, la place que leur besoin de joie serait en droit »
(Gide, Feuillets d’automne, 1949, p. 1085)

 ⇒ La compétition est dangereuse, car pour les ambitieux, la fin peut justifier  les moyens, ou, en entreprise c’est par exemple, faire le vide autour de soi, éliminer un à un les concurrents sérieux ; ce qui n’empêchera pas l’ambitieux d’atteindre un jour son niveau d’incompétence.

 ⇒ Ce monde est le plus souvent en compétition, comme dans le monde du sport, dans l’économie qui est mesurée, heure par heure à la bourse. Aujourd’hui la compétition est avant tout liée à un problème d’argent, à l’appât du gain. La compétition ne rentre pas dans des règles de morale.

 ⇒ Dans un récent débat sur « Les guerres sont-elles inévitables ?» Edith, notre amie philosophe disait : «  Certes, la violence est en chacun de nous, mais aussi l’aptitude à coopérer et à communiquer pour atteindre des objectifs communs, être solidaires, et partager nos désirs » .
Et dans un documentaire de Marie Monique Robin, « Sacrée croissance ! » j’ai retenu ces propos : « Entre les décideurs politiques et une partie de la population réticente à se laisser imposer la doxa libérale, la vision du monde tel qu’il doit être mené, semblent inconciliable. Lorsque les premiers ne jurent que par la croissance, répétant le terme comme une formule incantatoire, les seconds espèrent en d’autres solutions, et refusent le productivisme et la consommation à tout prix. Les experts sont formels : sous la forme qu’elle a comme au 20ème siècle la croissance est terminée, elle ne reviendra pas. De nombreux paramètres le laissent à penser…. »

 ⇒ Parler d’une croissance exponentielle, dans un monde fini, dit un économiste, est, soit, d’un fou, soit, d’un économiste.

 ⇒  La compétition entre les hommes semble être de tous les temps. Dans le roman de Roy Lewis : « Pourquoi j’ai mangé mon père » autour duquel nous avions débattu en février 2006,  on avait retenu ces quelques lignes : « Chaque espèce s’échinait pour se montrer plus prolifique, plus ingénieuse que toutes les autres, et justifier ainsi sa prétention à être la plus apte à survivre. Ce modèle échevelé de libre entreprise prouvait bien que l’intérêt personnel éclairé produit la plus grande richesse et nourrit le plus grand nombre… » On retrouve en clin d’œil, le credo du libéralisme économique.

⇒ C’est la sédentarisation qui dès les premières hordes a créé l’esprit de compétition. Avant, ils chassaient, ils cueillaient en coopération, ils migraient ensemble, ils se serraient les coudes.

 ⇒ Est-ce que le principe de compétition nécessaire, est une conception de mâles, un peu comme dans le domaine animal ?

 ⇒ La compétition n’est ni l’exclusivité des hommes, ni celle des femmes. Quand les femmes entrent en compétition, qu’elles se font la guerre : garez-vous ! De fait c’est inhérent à l’individu, c’est plus de  nature que d’éducation.

⇒ Que la compétition soit venue avec la sédentarisation, j’en doute. Dans  l’ouvrage de Roy Lewis (déjà cité)  « Pourquoi j’ai mangé mon père ? », l’auteur nous dit que les premières hordes, les clans étaient en compétition pour les territoires de chasse, pour les grottes, puis en suite avec  l’exogamie, pour les femmes.
La compétition est un élément primordial de la vie, car tout a commencé avec la plus terrible compétition  qui soit, celle que nous n’aurons jamais à revivre, ceci fut illustré dans une chanson : Les spermatozoïdes
« Nous étions trente millions massés derrière la porte,
une seule idée, la porte, la porte…
Ça y est, c’est parti, la porte est ouverte,
c’est la ruée au dehors, ne pas s’affoler.
Déjà, les premiers ont été massacrés, pietinés.
La moindre pitié entraîne la mort,
mais, je dois être cinglé de philosopher à un moment pareil,
courir, courir, tenir, tenir….
Ceux qui ont la rage de vivre, il n’y a que ceux-là qui tiennent,
Les mecs tombent un à un, morts avant de toucher au but…
Soudain je l’aperçois, il est là devant mes yeux,
Il est là devant moi, ce palais merveilleux.
Que c’est beau, que c’est beau, j’entre en un paradis ;
Alors ! C’est là qu’elle est cette garce de vie.
Pendant neuf mois entre elle et moi, ce sera le nirvana.
J’suis l’vainqueur de trois millions,
Je sors du néant, j’ai un nom !
Neuf mois sans froidure, ni chaleur,
Pendant que les autres vainqueurs, ceux qui sont déjà dehors,
M’attendent pour se battre, voir qui sera le plus fort.
Pendant 70 ans, la bagarre recommence,
C’est la vie, c’est la vie, c’est la vie…
Paroles et musique de, Ricet Barrier. 1999.

 ⇒ Dans les rivalités entre gamins, il n’y a pas le souci d’éliminer l’autre : on est le meilleur, on veut avoir un bon point, une médaille, mais ce n’est pas la guerre. Et le summum de la compétition, c’est bien la guerre économique qui touche le monde entier
Par ailleurs, depuis longtemps l’esprit de compétition a amené la consommation de produits, de drogues, même parfois tout simplement pour dépasser ses propres performances….
Donc, nous voyons différentes dimensions dans cette idée de compétition, jusqu’à la compétition avec nous-mêmes.
Toute personne est déterminée à désirer quelque chose, c’est l’essence même de l’homme, c’est ce que nous dit Spinoza : « Le désir est l’essence même de l’homme en tant qu’on le conçoit comme déterminé », un être qui ne désire pas, est mort.

 ⇒ Si vous faites une simple activité physique en groupe, il y en aura toujours un qui va entrer en compétition, vouloir se montrer, être le meilleur, être à la première place, la compétition peut être fanfaronnade.

 ⇒ Là où la compétition s’installe de plus en plus, c’est dans la sport, du sport business, au sport spectacle, et quand on demande à des jeunes garçons ce qu’ils veulent faire plus tard, c’est, footballeur, pas chercheur, c’est dommage !
Néanmoins j’adore un sport comme le vélo, je regarde le Tour de France avec plaisir, même si je sais qu’ils sont « shootés », en revanche, j’ai horreur de la boxe, j’ai du mal à voir deux hommes se frapper au visage. J’ai le sentiment que chez ceux qui regarde cela, c’est la brute qui réclame sa part de bestialité.
Pour qu’il y ait compétition, la plupart du temps il faut qu’il y ait un gain, « une carotte ». Ce qui pose la grande question philosophique : Est-ce que c’est la carotte qui fait avancer l’âne, ou est-ce l’âne qui fait avancer la carotte ?

 ⇒ Je reste persuadée que la compétition a, malgré tout, des aspects positifs. Sans la compétition est-ce que la société aurait évolué, progressé comme elle l’a fait, et aussi vite ?Le « ça ma suffit » nous  aurait enfermés dans un monde du passé ; je vois le verre à moitiéplein.

                                                                          Livres cités

Jean Baudrillard – La Société de consommation, ses mythes, ses structures. Denoël. 1970(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

La brûlure interne. Herbert J. Freudenberger. Editions Gaétan Morin. 1977

L’origine des espèces. Charles Darwin. 1859
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Pourquoi j’ai mangé mon père. Roy Lewis. Pocket. 1960
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Magazine

Numéro Hors série de philosophie magazine.
Spinoza, voir le monde autrement. Avril 2016

 Film

Sacrée croissance !  De Marie-Monique Robin. 2014
 

 

Qu’est-ce qu’être riche?

               Restitution du débat du 13 avril 2016 à Chevilly-Larue

Le trésor d Ali baba. Image promotionnelle du film, Ali Baba

Le trésor d Ali baba. Image promotionnelle du film, Ali Baba

Animateurs: Edith Deléage-Perstunski, philosophe. Guy Pannetier.
Modératrice: France Laruelle
Introduction: Guy Pannetier

Introduction : Si vous interrogez les gens, sur : « qui est riche ? »  vous comprendrez très vite que : sont riches tous ceux qui gagnent plus que moi.  Être riche, version idéalisée : c’est avoir suffisamment de revenus assurés pour toute une vie – pour ne pas devoir travailler par obligation – ne pas dépendre financièrement de qui que ce soit – et à partir de là « cerise sur le gâteau » – on peut consacrer tout son temps à quelque chose qui nous passionne.
Mais être riche, d’une approche  moins idéalisée pour beaucoup de français, ce serait: ne pas être à découvert le 19 du mois, ne pas ravaler sa honte en allant demander régulièrement une avance sur salaire, pouvoir se débarrasser une fois pour toute de la collection de cartes de crédits… Au début du mois de décembre passé, les médias nous disaient qu’un tiers des jeunes ménages vivaient avec un découvert permanent. Si à ces personnes je leur explique la notion de richesse selon Epicure, mon argumentation sera faible, ça leur fera belle jambe, et je peux même me faire jeter.
Dans leur ouvrage « C’est quoi être riche ? » Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon écrivent ceci : « La richesse offre la possibilité de libérer son temps et son esprit de toute une série de problèmes matériels qui empoisonnent la vie de la plupart des gens. Mais la richesse, ce n’est pas qu’un niveau de revenu, c’est aussi une façon d’être, une assurance, une aisance, une façon de parler, de se tenir en société, et qui marque l’incorporation physique des privilèges »
Maintenant, à moins qu’il n’y ait parmi nous dans la salle un, une, ou quelques riches, comment pouvons-nous parler d’une chose que nous n’expérimentons pas vraiment par nous-mêmes ?  Il nous aurait fallu, convier, Bernard Arnaud qui pèse 34 milliards d’euros, Gérard Mulliez (groupe Auchan, Carrefour)  23 milliards, ou Serge Dassault 17 milliards, etc. Je suis même sûr que parmi nous personne ne pèse son petit milliard.
Dans une pièce de théâtre « Numéro complémentaire » un homme, un père de famille (joué par Francis Perrin) vient de gagner le gros lot du loto. Il est d’un milieu modeste, et sa première réaction lorsqu’il annonce la bonne nouvelle à sa famille est : « ce soir c’est la fête je vous invite tous chez Flunch,  et c’est plateau-repas à volonté pour tout le monde » Ceci pour dire que nous jugeons de la richesse en fonction du niveau social où l’on se trouve. Héraclite écrivait : « Les ânes préfèrent la paille à l’or »
Le philosophe Alain Renaut qui avait vécu et étudié la vie des peuples pauvres du Sahel, disait dans une émission sur France culture:  » …qui sont les pauvres ? Pas forcement ceux qui ont le moins de moyens monétaires, mais ceux qui sont le plus empêchés…, » ce qui en contrepoint nous dit, que la richesse, est aussi et d’abord disposer de soi, disposer de son libre arbitre, de pouvoir accéder aux nécessités premières, accéder aux principaux besoins définis dans l’échelle de Maslow.
Alors (et pour conclure) : Être riche, c’est peut-être, figurer dans le classement Forbes, ou, plus couramment, « Être riche, »  c’est avoir : beaucoup de blé, de braise, de flouse, de  fraîche, de  fric,  d’oseille, de galette,  de pépètes,  de pèze, de  pognon,  de picaillons,  de radis, de thune, de fait : être blindé !

Débat

 

Débat :  ⇒ Communément dès qu’on parle de richesse on parle de revenus. Il y a plusieurs formes de richesse, par exemple on peut dire qu’une cuisine est riche. Riche est ce qui fructifie, c’est un signe d’abondance quel que soit le domaine. En dehors de l’argent on peut être riche en idées, être riche en humanité, etc.; mais à chaque fois c’est qu’on est au-dessus de la moyenne.

⇒ Quand j’ai entendu l’énoncé de la question « qu’est-ce qu’être riche ? », j’ai immédiatement pensé à la distinction entre richesse matérielle et richesse spirituelle et à des formules de la sagesse des nations « l’argent ne fait pas le bonheur »  et « plutôt qu’accumuler les richesses vivre d’amour et d’eau fraîche ».  Et j’ai eu en mémoire le film de Fellini « La dolce vita »  qui souligne que les riches  s’ennuient et ne savent pas donner sens à leur vie.
Et puis, je me suis souvenue de l’expression « pauvres d’esprit » et de son interprétation chrétienne «Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux »  (Prêche de Jésus dans le sermon sur la Montagne). Il peut être compris comme un leurre à destination des réellement  pauvres, comme une drogue (un opium) pour consoler les pauvres en leur promettant un au-delà réparateur. Il est explicité, dans le texte des Béatitudes comme une invitation aux hommes et aux femmes à convertir leur état d’esprit, à passer du désir d’enrichissement matériel au voeu d’enrichissement spirituel car les pauvres en esprit sont les esprits sans désir de conquête ni de  possession matérielles
Alors je me suis demandée mais quel est le problème dans cette question ? Peut-on aller au delà de la distinction richesse matérielle, richesse spirituelle ?  Cette question me semble interroger notre société technophile, consumériste, où règne la compétition  pour être toujours plus riche et en contre façon les projets alternatifs de société autogestionnaire et coopérative.
Aujourd’hui comme l’analyse le philosophe contemporain Alain Renaut dans son ouvrage « L’injustifiable et l’extrême » notre monde a globalisé toutes les situations inédites avant hier, comme la catastrophe climatique et  la mort par pauvreté extrême: un enfant meurt de faim dans le monde toutes les cinq secondes selon le sociologue Jean Ziegler.
Alors faut-il reconsidérer en quoi consiste être riche aujourd’hui? Est-ce simplement le fait de pouvoir survivre? Ou d’échapper à la mort brutale causée par le fait global des guerres asymétriques qui tuent  sans prévenir et de manière aléatoire ?
Nous sommes dans une épistémè, une ère culturelle où triomphe Narcisse, celui qui s’aime plus que tout autre, celui qui a le culte du moi. Nous sommes dans une civilisation individualiste, désenchantée et où la relation érotique de consommation  et de consumation de toutes choses  est une relation mortifère et pour la planète et pour l’humanité. Alors  faut-il  dire comme Voltaire « cultivons notre jardin »? Cela est pour moi déprimant car avoir, je dis bien, qu’avoir un idéal est une richesse. Preuve en est le fait de société que nous vivons aujourd’hui que dans cette société matérialiste, au sens trivial du terme, qui fait miroiter toujours plus de richesses matérielles à consommer et à consumer, le manque d’idéal pousse de plus en plus de jeunes vers des religiosités et donc des communautarismes religieux dont certaines n’excluent pas le suicide meurtrier. Alors peut-être que la richesse consiste en cette capacité de l’être humain de savoir se réjouir, en toutes circonstances, du fait même non pas de vivre mais  d’exister, comme dit Sartre, de pouvoir sans cesse donner sens à sa vie ou plus simplement encore du pur plaisir d’exister et de contempler le monde dont chacun est un élément. Ce que défendent des philosophes matérialistes de l’Antiquité grecque comme Lucrèce .et Epicure et que propose le fondateur de l’idéologie écologiste contemporaine Aldo Léopold avec son ouvrage remarquable Almanach d’un comté des sables (publié en 1948).

⇒ Je suis riche de l’amour de mes enfants, et j’ai surtout beaucoup d’amis sur lesquels je peux compter, j’ai pas mal d’occupations, voire trop. Je n’ai pas beaucoup d’argent, mais j’ai tout le reste, je pense que c’est une forme de richesse.

⇒ C’est bien qu’on ait déjà fait la distinction entre richesse matérielle et les autres formes de richesse. Je pense qu’il y aussi une richesse, qui me parait très importante, c’est dans la vie d’être capable de comprendre ce qui nous entoure, avoir une intelligence suffisante pour être capable d’entendre, de comprendre les informations, de lire un journal, etc. et d’avoir un niveau de compréhension suffisant, en gros ne pas être trop bête, être capable de raisonner, ça c’est une richesse.
Par contre, je pense qu’au niveau des richesses matérielles, il faut quand même que les besoins vitaux soient couverts, sinon, ça devient une préoccupation de chaque instant, et ça empêche d’utiliser son temps à d’autres richesses qu’on peut appeler « immatérielles ». Donc besoins vitaux satisfaits, pas ou peu de préoccupations financières concrètes, et après capacité de réfléchir, de penser, de faire des projets.
Et puis, surtout, l’amour, l’expérience de l’amour d’u autre ou d’une passion chez une personne : aimer, quelqu’un, ou quelque chose.

⇒ Il y a des gens qui sont dans la grande misère et qui sont délaissés. Dès 1957, suite à l’appel de l’Abbé Pierre, un prêtre avait eu l’idée de s’immiscer dans un groupe de SDF pour comprendre pourquoi ils n’arrivaient pas à sortir de leur condition. Il a découvert qu’il y avait des richesses parmi ces gens là. Les richesses sont dans tous les individus si on leur donne les moyens de les développer.

⇒ On est riche en amitié, oui, mais, est-ce bien une richesse ? Dans la pièce de Shakespeare « Thimon d’Athènes » un exemple nous est donné : Thimon inonde ses amis de cadeaux plus luxueux les uns que les autres. Un proche, conseiller, le prévient qu’il va se ruiner. Il le rassure en lui disant qu’il « peut puiser dans les vases de l’amitié »,  je suis riche en amis lui dit-il. Et bien sûr vient la ruine, et là un à un tous ses amis ont une bonne excuse pour ne pas pouvoir lui venir en aide, tous se défilent.
Alors qu’est-ce être riche ? Un homme, nous dit-on, a une chaise, une table, et un lit ; il est riche. Dans ce même temps, un homme a, deux chaises, deux tables, deux lits, est-il deux fois plus riche ?
Et pour revenir sur la notion de catégories sociales liées à l’argent, cela est bien illustré dans une autre pièce de théâtre (plus récente) « Le diable rouge ».
Colbert dit à Mazarin (rôle joué par Claude Rich) que le trésor public est en déficit et qu’il faut trouver de l’argent
– Colbert :…. il nous faut de l’argent. Et comment en trouver quand on a déjà créé tous les impôts imaginables ?
– Mazarin : On en crée d’autres.
– Colbert : Nous ne pouvons pas taxer les pauvres plus qu’ils ne le sont déjà.
– Mazarin : Oui, c’est impossible.
– Colbert : Alors, les riches ?
Mazarin : Les riches, non plus. Ils ne dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres.
Colbert : Alors, comment fait-on ?
– Mazarin : Colbert, tu raisonnes comme un fromage, comme un pot de chambre sous le derrière d’un malade ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus !  Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser. C’est un réservoir inépuisable.

⇒ Il y a une formule beaucoup utilisée : « On ne prête qu’aux riches », et ceci autant de façon matérielle que de façon spirituelle. Celui qui a des connaissances acquiert une position supérieure.

⇒ On dit beaucoup que notre société est individualiste, je me demande si ça n’a pas toujours été vrai ? Même la misère en Afrique n’est pas supérieure à ce qu’elle a été. Les inégalités dues à la richesse existent, mais elles sont moindres que ce qu’elles ont pu être. Puis revenant sur la richesse spirituelle, on ne réfléchit pas le ventre vide ? Il faut avoir à manger, où dormir…..

⇒ A la pauvreté et la misère en Afrique s’ajoute d’autre misère, comme la misère écologique, soit de plus en plus de sécheresses et des gens qui meurent de faim, le temps je compte à cinq et un enfant est mort, et nous dissertons ici, sur ce que c’est d’être riche. Si on allait poser la question là-bas !

⇒ J’ai travaillé à l’hôpital, j’étais heureuse de donner ce que je pouvais donner, ça a été ma richesse. Même si parfois je rentrais tard, sur mon vélo, je chantais. Maintenant, c’est une richesse de savoir se contenter de ce que l’on a.

⇒ Il faut distinguer pauvreté et misère aujourd’hui dans la société française aujourd’hui l’écart est grand entre les riches, les pauvres et les misérables: du point de vue matériel, quelques chiffres : 2,5 millions de personnes touchées par l’illettrisme soit 7% de la population – 10,5 % de chômeurs – 1 million de personnes bénéficient des repas des restos du cœur – 3,6 millions de SDF – 1 personne sur 5 n’a pas d’accès Internet à son domicile – 8,5millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté (13,9%). Le seuil de pauvreté, en France était de 987 euros en 2014, tandis que 2,2 millions sont millionnaires et 67 personnes sont milliardaires.
Le vide idéologique de ces dernières décennies a laissé place, à un projet de société partagé par un nombre grandissant : « faire de l’argent » ; l’argent est le moteur de l’histoire humaine du 16ème  siècle  à nos jours, c’est à dire dans la période de mise en place du système capitaliste.
L’argent est devenu une valeur d’échange quand il a perdu sa valeur d’usage. Et alors règne dans toutes les sociétés à mode de production capitaliste, ce que Marx nomme « le monothéisme de l’argent ». Nous  faisons l’expérience chaque jour de la domination, dans notre type de société, de la religion de l’argent.
Et finalement c’est Jean-Jacques Rousseau qui analyse le mieux ce en quoi consiste la richesse. Etre riche c’est avoir quelque chose en sa possession mais ce n’est pas être propriétaire comme il l’écrit dans « Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes» : « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ». Ce n’est pas l’argent mais la propriété privée et l’appropriation des biens (et notamment des biens communs) qui est la cause de tous les maux
Finalement si je m’interroge sur ce qui pour moi a de la valeur et non un prix, alors je dirai:
La richesse du genre humain c’est d’avoir su, au cours de son évolution, inventer toujours de nouveaux outils pour s’adapter à son environnement et le transformer pour satisfaire ses besoins et pour le connaître tout simplement: la richesse c’est d’appartenir à une humanité qui  sait calculer aujourd’hui l’existence de la neuvième planète du cosmos.
Ma richesse liée au hasard de ma naissance c’est d’être née et de vivre dans un pays dont le régime politique est une démocratie qui, en principe, adhère à la déclaration universelle des droits de l’homme et à la laïcité Mais elle est fragile et il faut être vigilant à ce qu’elle ne se disloque pas c’est peut-être l’alerte donnée par les « nuits debout ». Et en tant que femme ma richesse c’est de vivre dans une société où des lois (qui peuvent évoluer) relèvent du principe de l’égalité des droits des hommes et des femmes. Finalement  être riche ce n’est pas avoir quelque chose à vendre c’est avoir quelque chose à donner ou à transmettre sans faire de calcul, sans en attendre un bénéfice. La richesse c’est de pouvoir partager.

⇒ Il y a des richesses qui ne sont pas forcément matérielles ; je pense aux périodes où l’on achetait les esclaves en Afrique, ceux-ci appartenaient à des peuples riches de traditions, de principes moraux, et d’une spiritualité. Vendus aux colons certains ont gardé des traces de cette richesse, qui reste même dans une culture multiple aujourd’hui.
Maintenant pour la richesse matérielle, je la vois naître au néolithique avec les débuts de l’agriculture et de l’élevage et de la sédentarisation, ceci du fait de devoir stocker les produits de la culture. D’où aussi des sources de conflits où les moyens de l’intelligence ou la force font l’un plus riche, l’autre plus pauvre. C’est la naissance des couches sociales, de la richesse.

⇒ J’ai dit que la richesse c’était d’être au-dessus de la moyenne, et quand on s’écarte de cette moyenne, on est plus ou moins riche ou on est plus ou moins pauvre. On peut faire des strates dans la richesse, comme dans la pauvreté. Dans la richesse, nous avons l’abondance, et le superflu jusqu’au gaspillage. Finalement reste la question d’où vient la richesse, et sont-ce toujours des richesses bien acquises ?
Lorsque qu’on a évoqué la solidarité comme richesse, aujourd’hui elle passe par le partage constitué par l’impôt, et nous voyons le refus du partage avec aujourd’hui les « Panama papers » et les paradis fiscaux.
Nous avons eu ici à Chevilly-Larue un très gros propriétaire, fermier général (collecteur d’impôt), Barthélemy Couanar, qui avait de nombreux domaines et qui vivait au quotidien dans une extrême avarice.
Et aujourd’hui on mesure la richesse des peuples, des Nations avec le PIB (Produit Intérieur Brut) pendant que d’autres pays mesurent le BNB (Bonheur National Brut) comme au Bhoutan, et les habitants ont un bonheur brut très supérieur. Donc, il existe pour mesurer les richesses d’autres facteurs que les facteurs économiques.

⇒ La richesse en France est parfois curieusement perçue, un sondage récent dans le journal « La Voix du Nord » nous disait que pour 78% des Français, être riche est mal perçu, mais les mêmes personnes à 72% disaient que c’est une bonne chose que de vouloir être riche. Y a-t-il là, un paradoxe ?
Et bien sûr nous avons dit que la richesse est relative. De fait, si je vis avec 800 €  par mois à Bamako, je suis riche – si je vis avec 5000 € par mois à Chevilly-Larue, je suis entre riche et à l’aise – si je vis avec 5000 € par mois à Neuilly sur Seine, je suis un pauvre. Donc il y a un critère géographique.
Et j’ajouterais qu’être riche c’est prendre le risque d’être détesté par une majorité de personnes.
Et, être pauvre, c’est prendre le risque d’être plaint par une majorité de personnes.
Enfin n’excluons pas que la jalousie à l’égard des riches existe, que c’est un sentiment largement partagé. On n’est pas jaloux de la pauvreté, alors que c’est la condition la plus partagée dans le monde.

⇒ Je travaille dans une collectivité, je m’occupe des seniors, et là, la plus grande richesse, c’est leur santé. Quand la santé se dégrade, tout se dégrade, tout le reste n’a plus d’importance…

⇒ La richesse n’est pas que l’argent, je pense à la richesse du cœur, et celle-là ne dépend pas d’une condition sociale. Je connais (entre autres) une personne assez riche qui aide au restaurant du cœur, et elle dit recevoir plus que ce qu’elle donne.

⇒ Je reviens sur l’expression, ce qui n’est pas indispensable est superflu, cela pose la question de savoir qu’est-ce qui est indispensable. Epicure, considérait comme indispensable les plaisirs naturels, manger, boire, dormir, et réfléchir, soit l’indispensable, en fait, les besoins premiers. Puis venaient les plaisirs artificiels, c’est-à-dire, désir de luxe, de pouvoir, d’honneurs, etc.
Et je voudrais revenir sur l’idée émise que les avares vivent comme des pauvres, je ne suis pas d’accord avec ça, parce qu’en fait quand on est pauvre on n’a pas le même imaginaire que quand on est riche, ils ont peut-être apparemment le même train de vivre, mais ils n’ont pas le même esprit.

⇒ Il y a toujours un danger lorsqu’on aborde ce sujet c’est de mettre en opposition, riches et pauvres, ou « les salauds de riches » et les « malheureux pauvres ». Cela mène à un discours assez simpliste qui nous ramènerait vers des idées égalitaristes. Nous avons eu au siècle dernier en Europe une expérience égalitariste, (Le communisme en URSS) et, le «  paradis rouge » pour le peuple s’est surtout transformé en enfer. Je pense que l’expérience ne fut même pas « globalement positive ».
Nos sociétés, et les individus qui la composent, généreront toujours des plus riches et des moins riches. Le progrès social, nous appartient si, au-delà du simple constat, nous oeuvrons réellement pour que les écarts diminuent, les inégalités s’amenuiseront.
Et puis pour « défendre les riches », car nous avons beaucoup témoigné à charge contre ces derniers, il y a des riches qui font des choses bien, qui font du mécénat.  Par exemple je citerai la baronne María von Thyssen qui a hérité de son riche mari, grand collectionneur d’œuvres d’arts. Elle a donné deux cents œuvres rares dont la plupart sont exposées dans deux musées : Musée Carment Thyssen à Malaga , et Musée Carmen Thyssen à Madrid. Son geste, qui dénote d’une richesse de cœur,  a ému les Espagnols qui l’appellent « Tita Thyssen » (Tante Thyssen).
Et enfin, dans notre pays, les classements officiels nous disent qu’il y a des plus en plus de millionnaires, que globalement notre pays est plus riche qu’il y a vingt ans ; c’est bon signe dans un sens.  Coluche aurait repris ce qu’il disait: « Hé ben, y vont être contents, les pauvres, de savoir qu’ils habitent un pays riche »

⇒ On peut bien sûr citer plein d’exemples de « mauvais riches » en évitant de faire des généralités. Et c’est vrai qu’il y a beaucoup de mécénat, de fondations qui aident dans le domaine de la culture.

⇒ Il y a ceux qui donnent de leur nécessaire, et, il y a ceux qui donnent de leur superflu. Sur le plan moral, ce n’est pas tout à fait la même chose, et donner comme mécène c’est dans l’ordre des choses. Il n’y a pas de quoi féliciter un riche d’être un mécène. Alors que le partage et les solidarités chez celui qui manque me paraissent plus respectables, même si c’est toujours subversif de le dire.

⇒ Plusieurs personnes parlent en même temps, en contradiction avec la dernière intervention :
– Je ne suis pas d’accord avec ça !
– Alors, il peut ne pas donner c’est pareil…
– Il faut encourager le mécénat….etc.

⇒ Chez les pauvres il n’y a pas que des héros, il n’y a pas les bons et les mauvais, et ce n’est pas le niveau social qui définit le comportement.

⇒ On a dit que la richesse est une santé, c’est vrai que lorsqu’on est malade on est égaux, mais lorsqu’il faut se soigner, si vous êtes riches vous pouvez consulter des sommités médicales, avec les meilleurs chirurgiens dans les meilleurs établissements, et avoir une chambre particulière.

⇒ La richesse financière favorise quand même la richesse culturelle, ce qui fait une reproduction des élites, on ne peut pas le nier. L’éducation culturelle transmise dès le plus jeune âge donne un avantage, aller au théâtre, visiter les musées en France, en Europe, etc, cela demande certains moyens.
Et je reviens sur l’ouvrage de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon « Ce que ça fait d’être riche ». Ils nous disent en substance: la société valide le fait d’être riche, de jouir de très nombreux privilèges, ce qui serait la juste récompense d’une quelconque élection, d’un droit inné, presque un droit naturel. Et là je cite : « alors que les riches (écrivent-ils) vivent de plus en plus récompense de leurs immenses mérites, …, les plus humbles, en échec social, vivent avec culpabilité une pauvreté qu’ils ne peuvent devoir qu’à eux-mêmes. Ne subsistent-ils pas aux crochets des créateurs leur (bonne) fortune comme la création d’emplois et de richesses, sur lesquels l’Etat puise les ressources fiscales qui permettent aux assistés de vivre sans travailler? Le consensus qui paraît s’étendre sur le caractère incontournable de l’économie de marché renforce la bonne conscience et l’assurance de soi des nantis, tout en culpabilisant les plus pauvres. Décidément, mieux vaut être financier que savetier. »
Pour résumer brièvement la fable de La Fontaine : « du savetier et du financier »
Un savetier chantait du soir au matin dans son échoppe.
Un financier qui habitait la même maison, ne pouvait s’endormir qu’au petit matin, mais vite réveillé par les chants du savetier.
Le financier vint voir le savetier et lui donna cent écus.
Ce dernier devenu riche, à son tour ne dormait plus, ne chantait plus.
N’y tenant plus, il alla voir le financier et lui dit:
reprenez vos cent écus et rendez-moi mon sommeil, rendez-moi mes chansons !
Nous retrouvons là,  une de ces richesses toute simples évoquées dans le débat.
Et enfin, revenant sur le mérite d’être riche. Cette idée que certains le mériteraient m’horripile, comme me gène l’expression « parce que nous le valons bien », cela voudrait dire en même temps que ceux qui sont pauvres méritent d’être pauvres.
Nul ne mérite d’être riche. Nul ne mérite d’être pauvre.

⇒ Pour juger de la richesse nous devons séparer valeurs boursières et valeurs humaines. Et la richesse doit ne pas pouvoir se développer à l’infini dans un monde où il y a tant de pauvres.

Proverbes et citations  entendus au cours du débat :

« On lit au front de ceux qu’un vain luxe environne, que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne »                          (Jean De la Fontaine. Extrait de la fable : Philémon et Baucis)

« Il faut savoir le prix de l’argent : les prodigues ne la savent pas, et les avares encore moins »                                                                                                                 (Montesquieu)

Œuvres citées :

Livres :

C’est quoi être riche ? Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. Editions de l’Aube. 2015.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

L’injustifiable et l’extrême. Alain Renaut. Editons Le Pommier 2015.

Discours sur les fondements de l’inégalité parmi les hommes. J.J. Rousseau. 1750.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Théâtre :

Le diable rouge, d’Antoine Rault. Claude Rich dans le rôle de Mazarin. 2009.

Numéro Complémentaire, de Jean-Marie Chevret. 2006.

Emission :

Alain Renaut dans « Les nouveaux chemins de la connaissance. Radio France 11.12.2015

 

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Spinoza, précurseur des Lumières ?

Baruch Spinoza. 1665. Herzog August Bibilothek. Wolfenbütel. Germany.

Baruch Spinoza. 1665. Herzog August Bibilothek. Wolfenbütel. Germany.

Débat du  23 mars 2016 à Chevilly-Larue

Animateurs: Edith Deléage-Perstunski (philosophe). Guy Pannetier. Danielle Vautrin. Lionel Graffin.
Modératrice : France Laruelle.

Biographie, (Danielle Vautrin)
Baruch Spinoza, également connu sous les noms de Bento de Espinosa ou Benedictus de Spinoza, né le 24 novembre 1632 à Amsterdam, mort le 21 février 1677 à La Haye, est un philosophe néerlandais dont la pensée eut une influence considérable sur ses contemporains et nombre de penseurs postérieurs.
Il naît dans une famille appartenant à la communauté juive portugaise d’Amsterdam. Son prénom « Baruch », qu’il latinise en Benedictus, Benoît (Bento en portugais), signifie « béni » en hébreu.
À cette époque, la communauté juive portugaise d’Amsterdam est essentiellement composée de Marranes, c’est-à-dire de juifs de la péninsule Ibérique convertis de force au christianisme, mais ayant, pour la plupart, secrètement maintenu une certaine pratique du judaïsme. Confrontés à la méfiance des autorités, particulièrement de l’Inquisition, et à un climat d’intolérance envers les convertis, un certain nombre d’entre eux ont quitté la péninsule ibérique et sont revenus au judaïsme lorsque cela était possible. Les juifs étaient assez bien tolérés et insérés dans la société néerlandaise. Ceux d’origine portugaise parlaient néerlandais avec leurs concitoyens, mais utilisaient le portugais comme langue vernaculaire. En ce qui concerne la réflexion philosophique, c’est en latin que Spinoza écrivit, comme la quasi-totalité de ses collègues européens.
Spinoza a fréquenté l’école juive élémentaire, le Talmud Torah, de sa communauté, acquérant ainsi une bonne maîtrise de l’hébreu et de la culture rabbinique. Sous la conduite de Rabbi Mortera, il approfondit sa connaissance de la Loi écrite et accède aussi aux commentaires médiévaux de la Torah (Rachi, Ibn Ezra) ainsi qu’à la philosophie juive (Maïmonide).
À la mort de son père, en 1654, il reprend l’entreprise familiale avec son frère Gabriel.
Côtoyant des milieux chrétiens libéraux et libres penseurs, Baruch Spinoza est séduit par la philosophie cartésienne et se montre avide de connaissance. En tant qu’issu d’une famille juive marrane portugaise ayant fui l’Inquisition, Spinoza fut en effet un héritier critique du cartésianisme. Il prit ses distances vis-à-vis de toute pratique religieuse, mais non envers la réflexion théologique, grâce à ses nombreux contacts interreligieux. Après sa mort, le spinozisme connut une influence durable et fut largement mis en débat. L’œuvre de Spinoza entretient en effet une relation critique avec les positions traditionnelles des religions révélées que constituent le judaïsme, le christianisme et l’islam.
Si sa doctrine repose sur une définition de Dieu, suivie d’une démonstration de son existence et de son unicité et propose une religion rationnelle, Spinoza fut à tort couramment compris comme un auteur athée et irréligieux. En effet, ses conceptions théologiques qui relèvent du panthéisme, mais aussi sa conception historiciste de la rédaction de la Bible, tendent à s’opposer aux dogmes religieux de la transcendance divine et d’une révélation surnaturelle.
En écrivant « Dieu c’est-à-dire la nature » Spinoza identifie la divinité au tout du monde réel, contrairement à l’anthropomorphisme religieux classique qui fait de Dieu un créateur, distinct du monde, agissant selon un objectif. Le Dieu de Spinoza est impersonnel, ni créateur, ni bienveillant, ni malveillant, sans dessein particulier pour l’homme, sans morale (la morale est faite par les hommes pour les hommes).
L’Ethique (1677), l’œuvre majeure du philosophe hollandais, est rédigée comme un livre de mathématique, dans un souci de rationalisme absolu. L’auteur y prône la recherche du salut par la connaissance, le Souverain Bien, qui apporte la joie, la Béatitude, et sauve du trouble des passions. Ayant été informé des accusations d’ouvrage athée formulées par les théologiens, Spinoza renonce à sa publication qui l’aurait certainement conduit au bûcher.
Le 27 juillet 1656, Baruch Spinoza est frappé par un herem, terme que l’on peut traduire par excommunication, qui le maudit pour cause et, chose rare, définitive. Peu de temps auparavant, un homme aurait même tenté de le poignarder, et, blessé, il aurait conservé le manteau troué par la lame pour se rappeler que la passion religieuse mène à la folie. Si le fait n’est pas complètement certain, il fait partie de la légende du philosophe.
L’exclusion de Spinoza n’est pas la première crise traversée par la communauté. Quelques années plus tôt, Uriel da Costa avait défié les autorités. Repentant, il avait dû subir des peines humiliantes (flagellation publique) pour pouvoir être réintégré. Il réaffirmera cependant ses idées avant de se suicider.
Juan de Prado, ami de Spinoza, sera à son tour exclu de la communauté en 1657.
Il fréquente l’école du philosophe républicain et « libertin » Franciscus van den Enden, ouverte en 1652, où il apprend le latin, découvre l’Antiquité, notamment Terence, et les grands penseurs des XVIe et XVIIe siècles comme Hobbes, Bacon, Grotius, Machiavel. Il côtoie alors des hétérodoxes de toutes confessions, notamment des collégiants comme Serrarius, des érudits lecteurs de Descartes, dont la philosophie exerce sur lui une influence assez profonde. Il est probable qu’il professe, dès cette époque, qu’il n’y a de Dieu que « philosophiquement compris », que la loi juive n’est pas d’origine divine, et qu’il est nécessaire d’en chercher une meilleure; de tels propos sont en effet rapportés à l’Inquisition en 1659 par deux Espagnols ayant rencontré Spinoza et Juan de Prado lors d’un séjour à Amsterdam.
Quoi qu’il en soit, Spinoza semble accueillir sans grand déplaisir cette occasion de s’affranchir d’une communauté dont il ne partage plus vraiment les croyances. Après son exclusion de la communauté juive, Spinoza gagne sa vie en taillant des lentilles optiques pour lunettes et microscopes, domaine dans lequel il acquiert une certaine renommée.
Hormis « Principes de la philosophie de Descartes », « Pensées métaphysiques », « Traité théologico politique », ses œuvres, interdites car considérées comme athées et blasphématoires, sont publiées à titre posthume.
Spinoza est considéré comme l’une des figures les plus importantes de la philosophie classique à cause de sa rigueur et de son sens critique qui lui vaut d’être poursuivi et persécuté (il a reçu un coup de couteau). (Texte préparés avec des emprunts sur Wikipédia)

Pensées et concepts dans la philosophie de Spinoza. (Guy Pannetier)
On ne peut pas, dans un simple  débat résumer la philosophie de Spinoza, toutefois on peut tenter de retenir les idées principales, les concepts propres à ce philosophe. Pour faire bref j’en retiendrai cinq:
1° La foi en Dieu, un dieu qu’il assimile à la nature, un dieu sans la Bible, sans la révélation, sans les ministres de Dieu, sans le culte.
Pour lui les Ecritures, dit-il, n’ont aucun fondement rationnel et ne peuvent être considérées toujours, comme critères de connaissance. Sa pensée est essentiellement immanente. Pour lui, pas d’ange, pas de jugement dernier, pas d’enfant jésus, etc, pour lui les miracles sont des niaiseries. Pour lui  pas plus de diable que de parole divine. Pour lui Dieu et Nature veulent dire la même chose, et l’on remarque qu(il écrit toujours le mot Nature avec une majuscule comme pour Dieu,
2° La nécessité, le déterminisme. Chez Spinoza cela entraîne le refus de la contingence, du hasard, la nature divine orientant tout chose. De là, c’est la négation totale du libre arbitre. La vie de l’homme est entièrement soumise au déterminisme.
Spinoza reprend cet thème des présocratique, pour qui,  (je cite) : « tout se produit avec raison en vertu d’une nécessité » ». L’histoire de la philosophie a retenu particulièrement cette phrase : « Un grand nombre d’individus de la même farine, croient par un libre décret de l’âme… (que) les hommes sont libres pour cette seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés.  (Ethique. Scolie de la proposition II. 3ème partie). En cela il rejoint les stoïciens, et le fatum, c’est-à-dire : « aime ce qui arrive, ce qui advient » et à cet effet il donne l’exemple de la pierre qui, jetée en l’air, retombe suivant les lois de la pesanteur : la pierre ne peut pas vouloir ne pas retomber, elle ne peut que se mettre en accord avec les lois de la nature, et vouloir retomber, alors elle est libre du choix par nécessité. Cet argument spécieux est souvent repris dans des religions qui prônent d’abord : « la soumission »
3° Le Conatus : (Je reprends la définition de Michel Onfray) « Ce qui permet à l’être, sa durée, sa manifestation, sa dynamique, son augmentation, son affirmation ».  J’ajouterai: que c’est : le moteur d’action chez l’homme, sa puissance d’agir, la source de vie en lui, l énergie fondamentale qui le pousse à l’action, on peut aussi parler de désir qui se fait volonté, de désir maître. Ce désir est souvent l’effet d’affects, d’exploitation des affects, de désirs créés, cela nous donne aujourd’hui le moteur de la société de consommation et d’une nouvelle forme de  servitude volontaire des individus.
Cela est illustré dans une pièce de théâtre « Bienvenue dans l’angle alpha », pièce adaptée d’une œuvre de Frédéric Lordon : «  Capitalisme, désir et servitude »
La pièce montre comment cette soumission fataliste de Spinoza se retrouve dans notre société, où désir de consommation devient un affect joyeux, valorisant. L’auteur démontre comment l’économie de marché exploite «  utilement » ces affects
4° L’a-moralisme de l’Etique, et le paradoxe qui en découle ; en effet, comment être libre de dominer ses sentiments si nous sommes déterminés en toute chose, dans ce cadre les plus mauvaises actions deviennent- elles excusables ? Le texte de l’éthique, et tout le propos de Spinoza est,  hors le bien et le mal, sans prescription socio religieuse. De fait à « bien et mal, il substitue toujours « bon ou mauvais », ce qui est tout à fait dans la définition de l’éthique par rapport à la morale. Sur ce point Deleuze explique que la philosophie de Spinoza est « par delà le bien et le mal ».
5° Existence de l’idée vraie en nous. L’idée de vrai, c’est l’idée qui surgit lorsque nous avons reconnu et éliminé toutes les idées fausse par sa Méthode. Pour lui,  par intuition,  nous reconnaissons le vrai.
Spinoza comme d’autres philosophes est persuadé que la vérité existe en soi, c’est-à-dire, que selon lui,  si nous examinons toutes les propositions liées à une idée, nous finirons par reconnaître la proposition vraie, puisque la vérité est en nous, il nous suffit de la reconnaître.
A partir de là, dans le traité de l’entendement, il propose une autre voie, « infaillible » cette fois, et curieusement il emploie le mot Méthode 70 fois avec un M majuscule sur les 52 pages du texte, « Court Traité ». « En effet » dit-il «  il doit avant tout exister en nous une idée vraie en tant qu’instrument inné dont la compréhension nous fait en même temps comprendre la différence entre une telle perception et les autres ». Il critique la Méthode de Descartes disant dans « l’Ethique. Préface de la 5ème partie)  qu’il (Descartes) a voulu « expliquer des choses obscures par des qualités obscures, admettre une hypothèse plus occulte que toute qualité occulte »
Si chez Descartes la Méthode propose un cheminement déductif, chez Spinoza nous avons un examen au cours duquel l’idée vraie ; la vérité se manifeste d’elle-même. Quiconque pour lui mettrait en doute cette vérité qui se manifeste spontanément est dit-il  un sceptique, « dont l’âme est complètement aveugle, soit de naissance, soit par préjugé » (Spinoza. Traité de la réforme de l’entendement. P, 28/29. Le Monde de la philosophie. 2008)

La liberté et la servitude chez Spinoza: 1ère partie (Lionel Graffin)
L’homme est faible et propice aux passions et à la servitude, c’est un casse-tête, nul n’y échappe ; l’homme naît dans la servitude.
Spinoza annonce la couleur dans la préface de la 4ème parte de l’Ethique : « J’appelle servitude l’impuissance chez l’homme à gouverner et à réduire ses affects ; soumis aux affects, en effet l’homme ne relève pas de lui-même, mais de la  fortune qui est tel sur lui que souvent il est contraint, voyant le meilleur, de faire le pire »
Pour Platon : « Nul n’est méchant volontairement », pour Aristote, l’homme est l’homme est cause de ses actes.
Ainsi Spinoza pose ces questions : de la volonté du mal, de celle de la faiblesse, avec sous-entendu la faiblesse de la volonté, ce que les grecs nommaient, acrasie.
Puis il nous parle de la faiblesse de la pensée. « Mais, il pense que personne ne peut alléguer  des ses affections pour justifier de son incontinence. Spinoza règle cette vieille discussion  montrant l’inconstance de l’homme soumis (asservi) aux sentiments. Il admet qu’on puisse voir clair tout en agissant mal, mais refuse de considérer l’homme comme la cause de ses actes. L’impuissance de l’homme cependant n’est pas absolue. Si elle l’était l’homme n’ayant aucune puissance disparaîtrait purement et simplement » (Texte extrait de « La servitude humaine, lecture et explication » de Denis Colin.
(https://socio13.wordpress.com/2009/10/26/de-la-servitude-humaine-lecture-et-explicitation-de-la-quatrieme-partie-de-lethique-par-denis-collin-spinoza-spinozisme/)
Mais la tâche est rude, compte tenu que pour Spinoza : « 1° La liberté du libre arbitre est l’illusion. 2° Il n’y a pas de règne des fins transcendant pour qu’il puisse servir de norme, ni de plan de la Nature dont nous devrions suivre les desseins » (Même source)
En un mot, notre tâche est complexe dans notre servitude passionnelle, par le fait que rien ne naît d’une idée fausse, mais par la présence d’une idée vraie, en tant que vrai.
Tel qu’on voit les choses, selon Spinoza, on s’en tient toujours à sa perception, son imagination, à une représentation imaginaire qui résiste à la manifestation du vrai : «  C’est une chose que nous connaissons bien dans la folie. L’homme préfère son propre délire à la manifestation de la vérité. Les idées fausses ne sont fasses qu’en tant qu’aucune connaissance  ne leur correspond…, comme toutes les idées, elles sont en Dieu » (Même source)
Dieu pour Spinoza étant la totalité des choses imaginées et imaginables.
«  Parce que les sentiments, n’ont leur capacité propre, parce qu’ils ne suffisent pas , il doit s’attaquer à cette puissance propre aux sentiments, les « gouverner », et les « réduire » comme le dit Spinooza » (Même source)
En cela la connaissance des causes, de leur genèse, leur déroulement fondamental que l’homme doit connaître. De même, il lui faut essayer de définir ce qui est bon pour l’homme, ce qui lui est utile. C’est en ce sens qu’on dit de Spinoza qu’il est un humaniste utile.
Il faut pour lui, différencier le parfait de l’imparfait, persévérer dans son être en mouvement, le conatus. Bref, passer d’un état de passivité, à un état d’activité en mouvement aidé par une lucidité maximale au service de tous.

Suite à un exposé sur les Lumières, (Edith Deléage-Perstnuski) :
1° L’Ethique un art de vivre pour connaître la joie 2° L’apologie de la raison 3° Le monisme, ou le refus de la transcendance de Dieu. 4° Spinoza, précurseur des Lumières?
Qu’est-ce que Les Lumières?
« On appelle souvent le 18ème siècle le “siècle de la Raison” ou le “Siècle des Lumières“. C’est parce que le monde occidental a été infléchi par ce groupe informe des Lumières, à la fois philosophie, mouvement culturel et politique, lequel a cherché à instituer la raison dans tous les domaines de l’esprit. Le projet des Lumières est de substituer la raison partout où c’est possible: face à la foi aveugle, à la superstition, au régime autocratique et arbitraire, à la force brute et à la ruse en politique, au poids de la tradition dans les institutions sociales, Autrement dit, le projet est de civiliser l’homme et son environnement, en s’appuyant sur la raison humaine. Le siècle des Lumières vise à construire pour l’humanité un avenir qui se caractérise par la rationalité scientifique, la croyance en le progrès technique, l’idéal de démocratie, la volonté de tolérance religieuse (y compris la liberté de ne pas croire en Dieu), le désir de paix universelle, et l’amélioration continue de la vie des peuples tant en termes de confort matériel que culturel et éducatif…… (Extrait du site : La-Philo) http://la-philosophie.com/philosophie-lumieres
En 1784 Kant écrit un opuscule  « Qu’est ce que les Lumières? » dans lequel il argumente qu’être éclairé n’est pas, comme l’ont proposé les encyclopédistes, accumuler des connaissances ; une encyclopédie  fait le tour des connaissances et des savoirs. Etre éclairé c’est bien sûr dépasser l’ignorance, mais c’est surtout avoir une tournure de penser qui consiste à « sapere aude », c’est-à-dire, « oser penser par soi-même », c’est à dire refuser le conformisme de la pensée, refuser les préjugés, et c’est aussi refuser le psittacisme, le fait de répéter comme un perroquet  les idées dominantes.
Qu’est-ce qui, dans l’oeuvre de Spinoza en fait un précurseur des Lumières d’une part et d’autre part qu’est-ce qui le fait considérer comme un auteur susceptible de nous éclairer sur notre modernité ?
L’Ethique (écrite de 1661 à 1675) -Spinoza est mort à 44 ans en 1677- et l’ouvrage, a été porté à l’imprimerie en 1675 mais il a renoncé à la faire imprimer par crainte d’un attentat sur sa personne parce qu’il y développe une conception de Dieu « Deus sive natura » Dieu ou la Nature, qui est non orthodoxe ni pour la communauté juive qui l’a excommunié, ni pour les chrétiens (protestants et catholiques) qui dominent à Amsterdam.
Le texte est difficile à lire et je conseille la lecture du roman d’Irvin Yalom « Le problème Spinoza » paru en livre de poche en 2012.   Irvin Yalom est psychiatre et, dans cette fiction il confronte la vie, et l’oeuvre de Baruch Spinoza à celle d’Alfred Rosenberg idéologue du parti Nazi, auteur du « Protocole des sages de Sion », inspirateur de « Mein Kampf » d’Hitler, pour comprendre les mécanismes de pensée de l’un et l’autre .J’en tire quatre thèmes pour savoir en quoi Spinoza annonce les idées fortes de la philosophie des lumières et aussi de notre modernité.
Le 1er  thème est quel but de la recherche philosophique est  de jouir de l’existence, de connaître le plaisir de vivre, d’épanouir sa puissance de persévérer dans son être (le conatus), d’atteindre la joie et la béatitude.  Il s’agit bien d’une éthique, des règles qu’on doit se donner pour bien vivre, d’un art de vivre et non d’une morale qui indique les normes pour vivre selon le bien. Par ce thème il annonce le mouvement des Lumières qui se préoccupe du bien vivre pour tous  quelle que soit la conception de Dieu. Et a fortiori notre époque (notre culture européenne) qui est désenchantée et qui est terrorisée par le renouveau des fondamentalismes et qui idolâtre l’individu, le moi.
Le 2ème  thème est  la valorisation absolue de la Raison: Spinoza propose d’examiner toutes les idées à l’aune de la raison; c’est pourquoi il a été excommunié: il affirmait que le texte de la Bible – qu’il connaissait parfaitement, ayant étudié  la Torah, plein d’affirmations contraires aux connaissances scientifiques d’alors (comme l’âge de la terre  par exemple) et d’idées liées à la superstition (comme l’idée de l’au- delà et de la vie éternelle auprès de Dieu pour ceux qui se comportent selon la Loi ou les 10 commandements) idées qui sont fabriquées par les rabbins pour asseoir leur pouvoir sur les humains qui, eux, alors vivent dans la peur.
De même c’est avec la raison que chacun peut maîtriser ses passions et se libérer de ses angoisses. Chacun peut connaître la joie en comprenant quelles sont les causes des événements et des situations, car tout est déterminé par des causes qu’il est possible de connaître en raisonnant, « Que la raison devienne une passion » tel est le conseil et le voeu de Spinoza.
Le 3ème  thème est le monisme, ou le refus de la transcendance de Dieu, Dieu c’est à dire la Nature. C’est par ce thème que Spinoza est novateur dans l’histoire de la philosophie européenne, en son siècle, et qu’il a été compris, au 18ème siècle comme un matérialiste, et aujourd’hui comme un écologiste. Le monde, avec tout ce qu’il comporte, obéit aux lois de la nature, et les humains peuvent se servir de leur intelligence, de manière rationnelle, pour découvrir ce que sont toutes les choses Notre existence sur terre est toute entière là, les lois de la nature gouvernent tout et Dieu est l’équivalent de la Nature.
Certains qualifient Spinoza de panthéiste. D’autres disent de lui qu’il est un athée rusé qui emploie le mot Dieu pour encourager les lecteurs du 17ème  siècle à le lire.  Et également éviter à ses livres et à sa personne l’épreuve des flammes. A l’évidence Spinoza n’utilise pas le mot Dieu dans son sens conventionnel.  Il s’en prend à la naïveté des humains qui prétendent être faits à l’image de Dieu. Toutes les variantes anthropomorphiques de Dieu sont, selon lui, autant d’inventions superstitieuses. Nous vivons dans un monde déterministe, jonché d’obstacles à notre bien-être. Tout ce qui arrive est le résultat des lois immuables de la Nature, et, faisant partie de la Nature, nous sommes soumis à ces lois déterministes. Par Nature il ne désigne pas les arbres ou la forêt, l’herbe ou l’océan, ni tout ce qui n’est pas produit par la main de l’homme. Il désigne par ce mot tout ce qui existe, le tout nécessaire et un. Et tout ce qui existe, sans exception, se conforme aux lois de la Nature.
Donc quand il parle de l’amour de la nature il parle d’un amour intellectuel; l’amour de la compréhension la plus totale qui soit de la Nature ou de Dieu, l’appréhension de la place de chaque chose finie dans son rapport aux causes finies. C’est la compréhension, pour autant qu’elle soit possible, des lois universelles de la nature. Cet amour (de Dieu) n’attend rien en retour et n’est pas soumis aux caprices de l’esprit, ou à l’inconstance, ou à la finitude de l’être aimé. Il est béatitude. Cette  conception implique que l’individu n’est pas le sujet qui peut s’extraire de la nature. Il ne doit pas se considérer « comme un empire dans un empire »
Le 4ème  thème est plutôt traité dans le « Traité Théologico politique » mais il est impliqué par le projet de « l’Ethique » qu’il précède (1670). Les chefs religieux ont une mission de conseil auprès des personnes, mais ils outrepassent cette mission et gouvernent leurs fidèles en cultivant leurs superstitions et leurs peurs. A fortiori lorsqu’ils ont une fonction politique Spinoza en a été victime. Dans son ouvrage sur Spinoza, (déjà cité) Irvin Yalom, résume son approche « La religion et l’Etat doivent être séparés. Le meilleur souverain qu’on puisse imaginer serait un chef librement élu dont les pouvoirs seraient limités par une assemblée indépendante également élue, et qui agirait en conformité avec le bien-être social, la paix et la sécurité de tous » qui sont les buts de toute existence humaine.

Débat

 

Débat : ⇒ Quand j’ai lu dans « l’Ethique » le chapitre « De dieu » j’ai d’abord été passionnée par l’écriture par cette démonstration scientifique, c’est mathématique, il y a des théorèmes, des corollaires…, c’est extraordinaire comme démonstration. Et sans dire « Dieu n’existe pas » il démontre absolument que Dieu n’est pas. Qu’il ne peut pas être ceci, qu’il ne peut pas être cela, qu’il ne s’occupe pas des êtres humains sur Terre. Donc, à force, on comprend qu’il nous dit qu’il n’existe pas. Et s’il ne dit pas formellement qu’il n’existe pas, c’est parce que l’époque dans laquelle il vivait, c’était dangereux.
J’ai lu, puis relu ce texte, et j’ai eu deux fois la même impression : Dieu n’existe pas, ou du moins pas du tout comme l’imaginent les Êtres humains

⇒ (Hervé) Poème (en acrostiche)
Spinoza. (En acrostiche : Son raisonnement)

Spinoza accorde à la raison en priorité une valeur absolue.
Oser examiner toutes les idées déterminées est mal venu.
Novateur il a nuancé sur la conception de Dieu et a déplu.

R ejeté par la communauté juive, il est excommunié,
A lors, les richesses de l’existence, par lui déterminées,
I nvitent à prendre conscience que la foi est orientée.
S ereinement, il démontre que la peur de l’au-delà est liée
O uvertement au pouvoir dont l’église s’est accaparé.
N aïfs, les humains béatifient à l’image du Dieu imposé.
N ier cela, chacun peut alors bien vivre et se sentir libéré.
E njoués, les êtres peuvent jouir des règles par eux créées.
M arquante, sa pensée novatrice, étudiée,  explicitée,
E nrichissante, permet de nous éclairer sur la modernité.
N obles, les lois universelles de la nature, ainsi appréhendées
T endent à libérer l’esprit par son projet de l’éthique édité.

⇒ Dire qu’il démontre que Dieu n’existe pas, avec le texte de Spinoza, ne va pas. Par exemple, je cite: « Par Dieu, j’entends un être absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie » (Ethique 1ère partie. VI)
On ne peut pas dire que là il veut dire que Dieu n’existe pas.
Par ailleurs,  on sait qu’il a étudié la Torah, et notamment les ouvrages de Maïmonide, lequel est incontournable chez les juifs, mais on sait que Maïmonide et Averroès ont vécu dans un même temps à Cordoue, et Averroès a défendu une thèse  qu’on a appelé, la laïcité, c’est-à-dire la liberté pour chacun  de pouvoir pratiquer le culte qu’il entendait, et on retrouve parfois ces idées chez Spinoza.
Pour Spinoza Dieu n’est pas le néant, il était quelque chose infiniment différent de ce que les gens en pensaient à cette époque.
Ce qui me gène chez Spinoza (bien que je n’ai lu toutes ses œuvres) c’est cette volonté de conciliation entre déterminisme et liberté. Elle est un peu liberté par soumission et par obligation, (à l’image de l’exemple de la pierre jetée en l’air).
Vouloir à tout prix concilier déterminisme et liberté, là, on n’est pas au siècle des Lumières.
Et je voudrais évoquer sa notion de la vérité, car j’ai entendu qu’il y a avait des démonstrations mathématiques, alors que ce que je vois chez Spinoza, c’est qu’il dit une vérité qui n’est pas le réel. La vérité n’est pas le réel de l’objet qu’on est en train d’examiner, qu’on parle d’objet, comme de connaissance. La vérité elle est définie par rapport à l’entendement qu’on en a, c’est-à-dire, par ce qui est producteur d’une connaissance ; une qualité intrinsèque de la connaissance. Cela induit, implicitement que toute théorie mathématique serait vérité, qu’elle pourrait être vérité puisque c’est une connaissance, or, c’est faux ! Déjà à l’époque de Spinoza, on prônait l’expérimentation, des philosophes déjà nous disait que l’expérience nous approche de la vérité, et Spinoza semble nous dire : mais non ! la vérité est intrinsèque ! elle est là ! vous n’avez même pas à la chercher à la limite !

⇒ Je ne me souviens plus très bien de mes cours de philo sur Spinoza. Ce qui m’intéresse c’est le thème, de la religion et de l’Etat, de la finalité des choix des individus, et cette recherche de bonheur. Je constate qu’on retrouve ces idées là chez Locke, chez Hobbes, et plus tard on les retrouvera chez Rousseau. Ce sont des schémas où le pouvoir n’est plus de droit divin, et c’est pour ça que je partage cette notion chez Spinoza d’un dieu qui est nulle part, déjà parce qu’il fallait jouer avec la censure, être politiquement correcte tout en disant d’autres choses, en contournant.
Il y a la même chose chez Jean Bodin quelque temps avant quand il réfléchi sur le pouvoir et qu’il par le de  République.
Je constate qu’à travers tout ce que dit Spinoza, c’est déjà le peuple qui rentre dans l’Histoire, et ça va arriver, se concrétiser avec la Révolution française.

⇒ Les paradoxes spinozistes : (Guy Pannetier)
«  Il n’est pas de doctrine qui ait excité autant d’enthousiasme et autant d’indignation que celle de Spinoza, il n’en est pas beaucoup qui ait été comprise plus différemment et plus diversement »      (Emile Bréhier. Histoire de la philosophie, tome II. PUF 1968)
Un des premier paradoxes se situe dans cette démarche de détermination et  nécessité, tel que nous les décrit Spinoza, et la volonté d’orienter sa  vie, de construire.  Comment orienter ma vie si tout est déjà écrit à l’avance, ma volonté (et il le dit d’une certaine façon, il ne choisi que d’accomplir un programme).
Le paradoxe va prendre encore une autre dimension chez Spinoza lorsqu’il nous dit il n’y a ni bien ni mal. De même pour lui il n’y ni vice ni vertu. Alors, demande Gilles Deleuze, dans ses cours sur Spinoza (paradoxes) : «  l’Ethique de Spinoza peut-elle s’affranchir de toute morale ? »
La philosophie de Spinoza n’est jamais prescriptive, elle ne met jamais d’injonction morale, le titre de son ouvrage maître « l’Ethique »  met en évidence cette différence entre morale qui traite du bien et mal et l’éthique. En ce sens l’œuvre de  Spinoza est bien par delà le bien et le mal.
Spinoza ne nous dit pas : vous devez choisir entre le bien et le mal, puisque pour lui, le mal n’existe pas. Ah ! pourquoi y dit ça  Spinoza ! (nous dirait avec son phrasé succulent Gilles Deleuze, philosophe contemporain, spécialiste de Spinoza), et bien il dit ça, parce que, suivant son « programme » si nous perfectionnons notre être, nous ne serons plus jamais tentés par le mal, de ce fait il n’existe plus. De même pour la vertu : si nous avons perfectionné notre être alors nous ne choisissons que les options vertueuses, et nous ne sommes même plus tentés par les options non vertueuses. Mais alors ! ne pas avoir à résister à la tentation du mal, est-ce encore de la vertu ? Et bien c’est là encore un des paradoxes de la philosophie de Spinoza.
De ce paradoxe découle la question : si Dieu n’a pas créé le mal, qui l’a crée ? et s’il ne l’a pas créé, alors il n’est pas omnipuissant.
Cela nous remet en mémoire « le dilemme d’Epicure » dont Lionel nous avait parlé en 2010 lorsque nous avons abordé l’Epicurisme : proposition a : Dieu sait que le mal existe, proposition B, Dieu ne sait pas que le mal existe.
Si mal n’existe pas, alors cela inclus que Dieu n’existe pas, alors, comme  dit Deleuze dans ses cours sur Spinoza, finalement avec Spinoza, hé bien !   « Dieu s’en fou ! ».
Mais tout même, ajouterais-je, concernant cette théorie du mal chez Spinoza, si le mal n’est rien, alors l’holocauste n’est rien, alors, on peut tuer, on peut mentir, on peut voler…
(Peut-être que nous aurons une bonne réponse avec Kant, lors de notre prochain débat sur les grands philosophes en mars 2017).

⇔ Spinoza ne démontre ni l’existence, ni la non existence de Dieu. Cela est du domaine de la seule croyance, qu’on, ou qu’on a pas.

⇒ Dieu chez Spinoza n’est pas le dieu des croyants, il n’est pas le créateur de l’univers et de toute chose, c’est le dieu Nature des naturalistes. Quand le dieu de Spinoza (ou, la Nature) décide de tout selon sa loi, c’est exactement le pouvoir que les croyants accordent à leur dieu.

⇒ Je reviens sur la démonstration chez Spinoza. L’algorithme de la pensée n’est pas une démarche scientifique. La démarche scientifique examine un phénomène, donc le raisonnement de Spinoza ne tient pas dans ce sens. La démarche scientifique explique « le comment », pas « le pourquoi ». (Matérialisme et idéalisme)

⇒ Il est intéressant pour se situer dans le contexte de l’époque de lire ce que fut son bannissement : en juillet 1656 la communauté juive d’Amsterdam prononce contre Spinoza le « herem » qu’on peut traduire par « excommunication » ou « bannissement ».
En voici la teneur : « Avec le jugement des anges et des saints, nous excommunions, excluons, maudissons et anathémisons Baruch de Espinoza, avec le consentement des anciens et de toute la communauté, en présence des livres saints : par les 613 préceptes qui y sont écrits, avec l’anathème par lequel Joshua maudit Jéricho, avec la malédiction qu’Elisha mis sur ses enfants et avec toutes les malédictions qui sont écrites dans la loi. Qu’il soit maudit le jour et la nuit. Qu’il soit maudit dans son sommeil, et maudit éveillé. Qu’il soit maudit dehors et maudit dedans. Que le Seigneur ne le pardonne pas. Que le courroux et la fureur du Seigneur tombent dorénavant sur cet homme et fasse retomber sur lui toutes les malédictions qui sont écrites dans le livre de la loi. Que le Seigneur détruise son nom sous le soleil. Que le Seigneur l’exclue pour ses mauvaises actions de toutes les tribus d’Israël, avec toutes les malédictions du firmament qui sont écrites dans le livre de la loi.
Nous vous avertissons que personne ne peut parler avec lui par la bouche ou par l’écriture, ne lui accorder des faveurs, ni être sous le même toit que lui, ni s’approcher de lui, ni lire aucun papier composé ou écrit par lui »
Nous avions là déjà une sacrée fatwa !

⇒ C’est par ce genre de texte, (le herem) que l’histoire de Spinoza m’intéresse, ça le situe dans son époque.

⇒ La liberté et la servitude chez Spinoza : 2ème  partie (Lionel Graffin)
Spinoza aborde les fondements d’une société apte à aider les hommes et à empêcher l’émergence de passions particulières ; une société, telle, que le plus grand nombre puise gagner la béatitude, le bien souverain.
Première conséquence pratique et logique, la condamnation d’une régime de monarchie absolue, il dit : « que ce serait folie de livrer la société à la folie d’un seul »
Deuxième conséquence : la nécessité d’utiliser les passions de tous pour l’intérêt de tous, ceci au moyen d’une constitution qui repose sur un fonctionnement automatique et écrit des lois et non pas sur la bonne volonté de chacun.
Chez Spinoza l’homme n’est pas sacrifié au groupe social, l’intérêt de l’intelligence et de l’âme consiste d’abord à exister et à persévérer dans son être  et instaurer des relations d’amitié et de paix, seul moyen leu intérêt véritable. La Constitution sera pour lui, non monarchique, mais d’essence démocratique.
Alors le pouvoir législatif doit être issu d’une assemblée consultative qui détient pratiquement le pouvoir de décision.
La troisième conséquence, est encore plus révolutionnaire. Spinoza s’oppose à la propriété privée de la terre et des immeubles. Le sol étant le bien le plus essentiel, celui-ci doit appartenir à la Nation.
Spinoza est un génie précurseur des Lumières, mais surtout, il est un phare encore encore en activité.

⇒ Des ouvrages de Spinoza, celui qui m’a le plus intéressé est « Le traité théologico politique »  véritablement engagé, clair, et qui nous parle encore aujourd’hui. Pour les autres œuvres, c’est pour moi, très souvent, relativement abscons, nous y rencontrons des termes qui ne sont plus usités, ou alors qui n’ont plus le même sens. J’ai lu l’ensemble de ses œuvres, et souvent il me fallait retrouver quel sens ont pouvait donner aujourd’hui à tel ou tel terme.
Ce qui permet aussi de situer Spinoza et sa pensée ce sont les nombreuses lettres qu’il a échangé, et qu’on a retrouvé, (74 lettres) dont des lettres à Leibniz, à Blyenberg, Boxel, etc. Parfois dans ces lettres il va plus loin dans sa pensée, il se découvre plus qu’il n’ose le faire dans un œuvre qui sera éventuellement publiée
Et enfin on cite très souvent Spinoza            avec la phrase (en raccourci): « Ne pas rire, ne pas pleurer, mais comprendre », laquelle est, plus précisément : «  J’ai tâché de ne pas rire des actions des hommes, de ne pas les déplorer, encore moins de les maudire, mais seulement de les comprendre » (Traité politique)

⇒ J’ai entendu cette expression de Spinoza : « Persévérer dans son être » que doit-on comprendre, là ?

⇒ Je la comprends comme vouloir être acteur de sa propre vie, de prendre sa vie en main, tout ceci contenu chez lui dans le principe du conatus, c’est-à-dire qu’avant l’heure il est un peu existentialiste.

⇒ Je comprends cette expression : « persévérer dans son être » comme, passer de la connaissance du premier genre, à la connaissance du deuxième et troisième genre, c’est-à-dire : passer de l’opinion à la connaissance rationnelle, et puis à la connaissance intuitive, dans le sens d’adhérer à ce qu’on cherche à connaître de manière totale.
Et par c’est vrai que c’est magnifique de voir un homme qui a connu la béatitude, la joie de vivre, alors qu’il a connu l’enfer.

⇒ Je remarque que le Traité théologico politique  date de 1670, c’est-à-dire, en plein siècle de Louis XIV, lequel montre d’une manière fulgurante, l’absolutisme. Et en même temps à cette époque là, justement à cause du pouvoir de Louis XIV tous les protestants sont chassés de France ; et il y en a pas mal qui vont aux Pays-bas. Donc je pense que ce n’est pas innocent si ce livre qui dénonce le pouvoir absolu, est écrit à ce moment là. Rappelons-nous que les protestants ont été de grands réformateurs de la pensée.

⇒ Deux célèbres protestants se trouvent en Hollande à l’époque de Spinoza ; ce sont le philosophe Pierre Bayle,  et l’écrivain et théologien Pierre Jurieu, lesquels développent des idées contraire : Bayle plus près de la monarchie, alors que Jurieu est plus près de la démocratie. Cet environnement était propre à influencer ses écrits sur le Traité théologico politique.

⇒ Spinoza, précurseur des Lumières : (Guy Pannetier)
Du point de vue philosophique  Spinoza crée, non seulement une rupture de la pensée platonicienne, de la pensée de son époque, mais il est «  l’éclaireur » (sans jeu de mots) d’un courant de philosophie qu’on nommera les Lumières.  Exclu de sa communauté religieuse, exclu des milieux intellectuels de son époque, il s’exclut lui même, de la recherche des richesses, de la recherche des honneurs, pour vivre sa pensée philosophique.
Avec Spinoza nous sortons des vérités divines d’un Descartes, nous dépassons la tristesse de l’homme pécheur condamné, et de la haine de soi, dépassées les passions mortifères de Pascal,  nous entrons dans une philosophie où la joie a toute sa place, et la philosophie à vivre de Spinoza nous invite à utiliser au mieux cette force de vie qui est en nous.
Rejetant tout  dogme religieux, toute vérité révélée qu’il associe aux superstitions, il sera non pas déiste, mais plus proche d’un certain panthéisme, où Dieu et Nature ne sont qu’un,
ne reconnaissant pas les écritures comme « vérité, (d’évangile), il ne reconnaît, ni le dogme, ni  le clergé, ni le culte. Spinoza ne s’occupe pas du ciel, son seul souci c’est l’homme.
Pour lui le culte est une organisation politique dont l’origine est la sortie d’Egypte des juifs qui n’avaient plus de lois, et ce fut Moïse qui fixa, au nom du divin, des lois et des rituels. Il trouve même concernant des passages de la Bible (je cite) « …surprenant que ces livres aient été admis au nombre des livres sacrés »  (Traité théologico- politique)
Il prône la supériorité totale de la raison, qui conserve néanmoins Dieu comme cause première. On peut, à partir de sa pensée immanente, peut-être le voir comme un des précurseurs de la philosophie des Lumières. Précurseur par le fait qu’il opère la séparation totale de la philosophie et de la théologie, précurseur parce que dorénavant la raison n’est plus soumise à la foi, précurseur car il nous propose une spiritualité philosophique.      Précurseur aussi parce qu’il sépare dans son raisonnement politique le pouvoir temporel du pouvoir intemporel. Pour lui, celui qui guide l’Etat, (chez lui le Prince) n’a pas de pouvoir divin par délégation. Précurseur car il propose une philosophie qu’on peut déjà qualifier d’existentielle, puisque tout le but de sa philosophie est le développement et l’aboutissement à un être qui se transcende lui-même et qui met tout en oeuvre pour sa vie comme une éternité, ici et maintenant. « Il est clair » écrit Antonio Damasio dans son ouvrage, « Spinoza avait raison », « que l’œuvre de Spinoza joua un rôle moteur dans les développement des Lumières ». Il est précurseur au-delà des Lumières, puisque aujourd’hui des neurologues comme Damasio relisent et utilisent cette notion de Spinoza qui déjà annonçait que : « nos émotions précèdent nos sentiments »
Spinoza est un jalon dans l’histoire de la libre pensée, de la liberté de conscience. Il sera le premier des philosophes, dits « modernes » à parler de religion en tant qu’outil de contrôle social. « Il n’y a de dieu que philosophique» osera t-il écrire, et souvent nous retrouvons chez lui cette phrase : « Je vous parle avec la liberté de philosopher »

⇒ Là aussi, avec cette phrase il est précurseur des Lumières, car Diderot dira à la suite : « Nos sensations précèdent notre raison ».

⇒ La modératrice à ce moment du débat, propose un tour de table, afin que chacun nous dise comment on peut classer Spinoza en regard de différents courants de philosophie :
– Dans les divers réponses, hors celles qui nous disent qu’il leur semble inclassable, il est tour à tour plutôt classé comme/ Epicurien, avec le thème hasard et nécessité.
–  Epicurien et précurseur de la psychanalyse
– Stoïcien avec le conatus, et le développement, la conscience de soi
– Existentialiste (avant l’existentialisme) pour cette volonté d’orienter sa vie
– Puis d’autres réponses, le dise : proche de Montaigne
– proche de Diderot
– précurseur sur des idées qui feront la laïcité
– Cartésien lorsqu’il nous dit que nos sens nous trompent.

⇒ Spinoza précise qu’il y a l’essence des choses en soi. Ainsi pour ce qu’il nomme, la Nature, ce ne sont pas les arbres, les petits oiseaux, ni la nature des écolos, c’est un tout c’est une essence, ce qu’il nous explique dans « l’Ethique ».

Œuvres citées/ Références:

Livres

« Etique » Spinoza. Pascal Sévérac. Ellipses. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Baruch Spinoza. La politique et la liberté. Alain Billecoq. Philosophie en cours. 2013
Capitalisme, désir et servitude. Frédéric Lordon.
Le problème Spinoza. Irvin Yalom. Libre de poche. 2014.
Le rationalisme de Spinoza. Ferdinand Alquié. PUF. 1981
Le vocabulaire de Spinoza. Charels Raymond. Ellipses. 1999. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Œuvres de Spinoza. Charles Appun. Tome 2. Librairie Garnier et frères. 1928)
Qu’est-ce que les Lumières. Kant. 1784.
Spinoza avait raison. Antonio Damasio. Odile Jacob. 2003.
Spinoza et la politique. Etienne Balibar. PUF. 1996. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Spinoza et le spinozisme : Pierre François Moreau. PUF. Que sais-je. 2003.
Spinoza et le spinozisme. Robert Misrahi. Armand Colin. 1998. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Spinoza, chemins dans l’ « Etique ». Paolo Cristofololini et Lorand Gaspar. PUF. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Spinoza. Daniel Pimbé. Hatier. 1999. (Médiathèque de Chevilly-Larue)
Spinoza. Pas à pas. Ariel Suhamy. Ellipses. 2011.
Spinoza. Philosophie pratique. Gilles Deleuze. Editions de minuit. 1981.
Spinoza. Roger Scruton. Seuil. 2000. (Médiathèque de Chevilly-Larue)

Théâtre

Bienvenue dans l’angle alpha, mise en scène de Judith Bernard d’après l’ouvrage de Frédéric Lordon : « Capitalisme, désir et servitude » Edition La Fabrique. 2010

Revues, magazines.

N° Spécial Sciences Humaines : Les auteurs, les thèmes, les textes.

Emission radio, conférence, enregistrement audio.

Spinoza, par delà le bien et le mal. Michel Onfray. France culture/ Les vendredi de la philosophie. 9 janvier 2004.
Spinoza. Une force dans une forme. Michel Onfray. Conférence de l’Université populaire de Caen.
Spinoza, l’esprit de paradoxe. Gilles Deleuze. France culture/ archives INA.
Spinoza, la Révolution trahie. Gilles Deleuze. France Culture. Archives INA
Spinoza. Immortalité et éternité. Gilles Deleuze. France culture. Archives/INA
Le travail de l’affect dans l’Ethique de Spinoza. Gilles Deleuze. France culture. Archives/INA
Spinoza. Gilles Deleuze. Cours à Vincennes le 17 février 1981. France culture. Archive /INA
Le dieu de Spinoza. France culture. Les vendredi de la philosophie. Archives/ INA

Sites Internet

« La servitude humaine, lecture et explication » de Denis Colin.
(https://socio13.wordpress.com/2009/10/26/de-la-servitude-humaine-lecture-et-explicitation-de-la-quatrieme-partie-de-lethique-par-denis-collin-spinoza-spinozisme/)
La-Philo http://la-philosophie.com/philosophie-lumieres

 

 

 

Qu’est-ce que le tolérance aujourd’hui?

                          Restitution du débat du 6 avril 2016 à l’Haÿ-les-Roses

Le Mahatma Gandhi  (Mohandas Karamchad Gandhi)

Le Mahatma Gandhi (Mohandas Karamchad Gandhi)

Animateurs : Guy Pannetier, Danielle Vautrin
Modératrice : Edith Deléage-Perstunski (philosophe)
Introduction : France Laruelle.

Introduction : On se pose en premier cette question : est-ce que ce mot tolérance est le même qu’à son origine ? Ou bien a-t-il évolué ? Je propose qu’on revoit l’origine du mot, son histoire, et les quelques définitions qui lui correspondent.
Issu du mot latin « tolerare » (supporter) tolérer c’est accepter et respecter sans contrainte, sans condescendance, esprit moralisateur, ou paternaliste, les idées, les opinions, les comportements d’autrui que l’on n’approuve pas soi-même. C’est aussi ne pas chercher à restreindre la liberté des autres en la conditionnant à nos propres valeurs, que ce soit dans le domaine : éthique, social, politique, religieux, philosophique…
A ce sujet le philosophe André Comte-Sponville nous dit : « Le vrai n’est pas forcément le bien, et le bien n’est pas forcément le vrai ».
Le mot, le principe de tolérance m’ont été inculqués dès ma prime enfance, et malgré les risques d’abus qui y sont liés, la tolérance est une de mes valeurs de référence.
La tolérance est une vertu morale, individuelle, autant que valeur politique. Elle n’est pas décrétée par une loi.
La tolérance défend l’idée de liberté de parole, elle est un élément indispensable à la vie en société où cohabitent différentes ethnies composées d’opinions, et de coutumes différentes, de règles diverses, pouvant même être opposées les unes aux autres.
La tolérance est une idée moderne qui fait son apparition surtout à la Renaissance, lorsque l’Europe connaît avec la Réforme et le protestantisme une nouvelle situation religieuse. La théorie politique de la tolérance s’est constituée pour répondre aux graves problèmes des guerres de religion au XVIème siècle. Plusieurs édits de tolérance seront promulgués puis révoqués, le dernier en 1787 donne enfin une existence légale aux protestants qui jusque là n’étaient pas inscrits à l’Etat civil qui était tenu par l’Eglise  catholique.
C’est avec des écrivains, des philosophes comme Bayle, Bodin, Spinoza, Locke que se sont développées à la fois une théorie et une justification de la tolérance.
Locke montre l’irrationalité de l’intolérance religieuse qui tend à forcer des gens à croire en ce qu’ils n’approuvent pas. Toutefois chez lui l’intolérance reste justifiée si la pratique d’une croyance constitue une menace pour la paix civile.
Le siècle des Lumières prévoit une conception plus large de la tolérance. Voltaire y voit un rôle important. On lui attribue la phrase : « Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour votre droit de le dire ». C’est en 1859 que la tolérance est pleinement célébrée comme élément essentiel de la défense de la liberté.
Le philosophe et économiste libéral John Stuart Mill défend la tolérance pour deux raisons : 1° Parce qu’elle est nécessaire au progrès social et au progrès des connaissances.
2° Parce qu’elle est exigée pour l’exercice de l’autonomie individuelle, le développement moral et culturel.
Au 19ème et au 20ème siècle l’idée de tolérance dépasse le domaine religieux pour s’appliquer aux modes de vie non conventionnels, en particulier en matière de sexualité.
Historiquement la tolérance apparaît avec la tradition libérale. Dans la politique contemporaine il existe un large accord sur le fait qu’un certain degré de tolérance est indispensable à une société libre et démocratique, mais il y a débat sur les limites à mettre à la tolérance.
Parmi les arguments contre trop de tolérance, on prétend souvent qu’elle favorise l’immoralité ou les comportements indésirables et qu’elle détruit la vertu individuelle, tout comme la cohésion sociale.
D’autres ont remis en question la compréhension classique de la tolérance, en soutenant que les sociétés modernes plurielles exigeaient une attitude volontaire à l’égard de la tolérance.
Le concept de tolérance doit non seulement autoriser les comportements liés aux diverses croyances religieuses, mais aussi s’appliquer à la diversité des identités.
Les discours racistes et homophobes ne peuvent être tolérés.
En revanche, dans notre société actuelle face aux « incivilités » (pour utiliser un terme très modéré) hélas si courantes : est-ce que le concept de tolérance à la même valeur qu’hier

Débat

 

 Débat : ⇒ D’hier à aujourd’hui le concept de tolérance est-il le même ? Y a-t-il au concept tolérance, une réponse définitive, immuable ? La tolérance relevant de l’éthique et non de la morale, proprement dit, celle-ci est donc inévitablement évolutive en fonction d’une époque, d’un lieu, d’une société donnée. Cela ne doit pas pour autant faire que cette valeur soit relativisée.
Cette question sera toujours d’actualité, car toujours il nous faut nous questionner, entre tolérance, et excès de tolérance, entre  laxisme et intolérance : où mettons nous le curseur ?
La tolérance est dangereuse en ce sens où suivant l’expression de Livingstone elle permet à « des idées qui nous paraissent pernicieuses de s’exprimer et de se répandre »
Revenant sur les tragiques événements, les tueries de 2015, alors que l’heure est au dialogue, à la réflexion, des « oui mais ! » ou encore des, « il faut comprendre », se font entendre. Combien de gens pétris de bonnes intentions, planant encore dans « il est interdit d’interdire », s’érigent en donneurs de leçons, pseudo bons samaritains, et sont parfois inconscients au point de transformer les assassins en victimes. Car le mot « comprendre » est aussi synonyme « d’excuser », de rendre presque normal, justifier des actes intolérables, c’est une offense aux victimes, une offense à leurs familles.
Les mots ont un sens, les mots peuvent être des armes, alors il faut les manipuler dans certains cas avec la plus extrême prudence, car « chercher à comprendre » comment des personnes deviennent accessibles à des théories mortifères, n’est pas « comprendre » l’acte de tuer sauvagement son prochain.
Celui qui cherche à comprendre se montre tolérant. Je suis tolérant car je doute. Les certitudes sont une entrave à la tolérance.
Les tenants de l’angélisme social et les extrémistes de la tolérance ne tuent pas, mais d’une certaine façon ils arment ceux qui tuent.
Cela venant de personnes n’ayant pas reçu le minimum d’éducation pour avoir un peu d’esprit critique, cela peut être classé dans les épiphénomènes.  Mais lorsque cela vient de personnes ayant une certaine éducation, tant philosophique que politique, cela à un écho d’apologie de la violence.
Cela viendra, comme nous le dit un article dans un numéro de philosophie magazine, n° 87 par les propos du pape actuel, qui déclare au lendemain des attentats qui ont tué dix-sept personnes (Charlie hebdo), « si un ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing », alors du coup de poing, aux cent coups de fouet, ou la kalachnikov, le pape ouvre la voie qui justifie la punition, le châtiment face à ce que les croyants intégristes considèrent comme blasphème.
Du dogme à l’intégrisme nous sommes sur les premières marches dont les suivantes mènent au terrorisme. Le pape n’est pas le seul, nous dit le même article de philosophie magazine*. Des personnes se réclamant de l’extrême-gauche ont tenu également ce langage du « oui mais ». L’article cite entre autre les propos ambigus de personnes comme Alain Badiou pour qui (je cite) Charlie hebdo ne fait « qu’aboyer  avec les mœurs policières, mœurs relevant d’un républicanisme postcoloniale et xénophobe». Vouloir, au nom d’une pseudo tolérance,  hisser le drapeau rouge, à côté du drapeau noir de Daesh, c’est un jeu dangereux.
Le 16 novembre 2015 c’était les 20 ans de la journée de la tolérance initiée par l’Unesco en 1995. On en a peu parlé bien sûr, nous étions alors trois jours après les tueries du Bataclan et des terrasses de cafés, les esprits n’étaient pas forcément enclins à prôner la tolérance.

⇒ Nous avions dans les premières années du café-philo déjà abordé ce sujet, la tolérance. Celui qui l’avait proposé a commencé en énonçant tout ce qu’il ne tolérait pas : racisme, antisémitisme, sexisme, etc., beaucoup de mots en « isme », et un tour de table nous avait permis de connaître tout ce qu’on ne tolérait pas, et pourtant si on dit de quelqu’un qu’il est intolérant, ce n’est pas bon, donc ce mot est ambigu.
Personne ne peut être « tolérant » ou « intolérant », il faudrait d’autres mots.

⇒ J’avais peur qu’on soit dans une approche trop angélique. La tolérance, pour moi, n’est pas neutre ; elle est relative à une référence, à des principes, à des valeurs. Or, aujourd’hui on a besoin de redéfinir, d’insister sur les valeurs, et non tolérer toujours plus, parce que la tolérance lorsqu’elle devient angélique peut être néfaste.
Donc elle est relative ; dans certains pays en des temps reculés, on acceptait l’étranger à condition, par exemple qu’il n’ait pas de cheval, qu’il se déplace sur un âne. Donc, pour ces gens là c’était une règle de tolérance.
Aujourd’hui il faut redéfinir nos valeurs, surtout pour nos jeunes dont beaucoup sont complètement perdus, avec la peur de chômage, la peur de l’avenir, et là le rôle de l’école est important pour donner l’esprit critique, et savoir quoi et comment tolérer.
Parmi les erreurs qui peuvent être faites, c’est vouloir imposer sa culture aux autres, mais si dans les populations immigrées on ne leur donne pas les éléments de la culture du pays, ils seront de fait relégués, concentrés dans les mêmes quartiers, sans l’ouverture sur l’autre, et finalement pas intégrés.
On est peut-être dans l’erreur en acceptant l’immigration illégale, en ne fixant pas les limites raisonnables. C’est ce qu’Alain Finkielkraut expose dans son ouvrage « L’identité malheureuse », soulignant aussi qu’il ne faut pas céder à ceux, quels qu’ils soient, qui veulent modifier la laïcité, ne pas céder aux groupes de pression qui veulent à tout prix contourner la loi de 1905.

⇒ La tolérance ne veut pas dire, soumission ». A partir du moment où il y a soumission on accepte beaucoup de choses, on fait fi de la loi, des valeurs.

⇒ Poème d’Hervé :                          Tolérance.

Tout un chacun pense différemment
Œil pour pour œil, c’est la loi du talion,
La vengeance appliquée sans discernement
Ecarte toute solution d’évolution.
Réfléchir pour donner une suite précisément,
Analyser sincèrement la situation
Ne pas s’emporter et agir moralement
C’est avoir un comportement de conciliation,
Enfin, être tolérant, n’est-ce pas être clément ?

⇒ La tolérance aujourd’hui c’est, pour moi en France, au 21ème siècle dans notre société multi-culturaliste qui affiche comme une de ses valeurs la reconnaissance de la diversité culturelle et cultuelle ; et aussi dans un régime démocratique qui veut développer la démocratie participative et non pas seulement la démocratie représentative avec tous les concitoyens français, bi- ou multinationaux, et pour certains aussi les étrangers, et enfin, dans une situation d’état de guerre en butte au terrorisme islamiste. Mon point de vue, que je vais essayer d’argumenter est de dire non à la tolérance comme simple compréhension de l’autre et oui au respect comme reconnaissance de l’autre comme une personne humaine comme moi.
D’abord la valeur constitutive de la société humaine est le respect et non pas la tolérance ; car 1° comme l’écrit Freud dans « Malaise dans la civilisation », le bonheur n’est pas au programme de toute société: les êtres humains doivent, pour vivre ensemble, refouler le Thanatos, le désir de mort que chacun a en lui, et sublimer l’Eros, le désir de plaisir que chacun a aussi en lui. Il y a donc de l’intolérable en toute société : les meurtres, l’inceste, l’oisiveté comme principe de vie …
2° L’être humain est un animal social, il n’y a pas d’être humain hors société – d’Aristote aux anthropologues contemporains – et l’ermite qui se retire dans les bois ou sur une île déserte parle une langue qu’il a apprise de ses pairs et emporte avec lui une théière ou une cafetière objet de sa civilisation. Ce qui constitue la société, c’est la considération de l’autre comme une personne  avec laquelle  il faut dialoguer pour vivre ensemble et pour que ne se développe pas, « la guerre de tous contre tous » (Hobbes).
Autrement dit comme l’écrit Kant : avec une personne tu dois toujours « agir de telle sorte qu’elle ne soit pas prise comme un moyen mais comme une fin ». Une personne est respectable, elle doit être respectée, même si elle est aussi, en même temps instrumentalisée. C’est ce qui distingue les personnes des choses.
L’intolérable pour l’être humain c’est qu’il ne soit pas reconnu comme un être humain et non pas que ses habitudes et ses coutumes ne soient pas tolérées. D’ailleurs, sur le plan juridique il y a eu un enregistrement de la différence entre tolérance et respect. En 1945, il y a eu la différenciation entre crimes de guerre (il y a guerres lorsque des individus ou des peuples ne se tolèrent pas) et crimes contre l’humanité quand des individus ou des peuples ne sont pas considérés comme des personnes humaines (génocides, viols, esclavage, torture).
D’autre part, la tolérance n’est pas une valeur mais un moyen de gouvernement.
Dans le dictionnaire de Trévoux (du 18ème siècle) la tolérance c’est « la condescendance qui fait qu’on n’empêche pas certaines choses, qu’on les connaisse et qu’on ait le pouvoir en main ». La tolérance est un moyen d’éviter la discorde, un moyen de coexistence pacifique;  pour éviter les troubles, et les guerres de religion. De même Kant dans « Qu’est-ce que les Lumières? » salue Frédéric II de Prusse comme un monarque éclairé car il est le premier à déclarer qu’un prince (l’autorité politique) n’a rien à prescrire aux hommes dans les choses de la religion, et qu’il refuse l’attitude hautaine de tolérance au bénéfice de l’attitude digne du respect de l’autre, des autres croyances.
Cela est juste aussi du point de vue psychologique: est en position de tolérer celui qui a le pouvoir d’écraser et qui ne le fait pas  Seuls les maîtres tolèrent pour rester maîtres.
Aujourd’hui la tolérance prend le masque du droit à la différence qui finalement devient l’éloge des différences et l’acceptation des communautarismes: à table, dans les cantines scolaires, de manière vestimentaire dans l’espace public… C’est bien un outil de gouvernement: la paix sociale passe par la tolérance des habitudes et des coutumes différentes qui peuvent devenir ostentatoires et prosélytes, et qui le sont devenues en ce qui concerne celles qui se réclament aujourd’hui de l’Islam.  Déjà en 1996, lorsque des jeunes filles ont refusé d’enlever leur voile en entrant au collège, l’administration l’a toléré et le gouvernement Jospin et le conseil d’Etat aussi, et cela était une erreur que l’on paie aujourd’hui. Et qui s’est élevé contre le port de la burka dans l’espace public pour  légiférer en 2011 ?
Prenons un autre exemple la pratique de l’excision. Peut-elle être tolérée? Non parce qu’elle est une atteinte à l’intégrité de la personne humaine. Il doit y avoir le même refus pour les pratiques qui nient la personne humaine (le voile intégral),  et respecter les femmes qui se font exciser ou qui portent le voile intégral c’est discuter avec elles, les considérer comme capables de discuter, et argumenter sur le fait que toutes les cultures ne sont pas égales en valeur humaine et que celles qui imposent l’excision, ou le voile intégral, ne respectent pas les femmes, les prennent pour des choses et que ceux et il faut que celles qui imposent de telles pratiques soient condamnés et châtiés.

⇒ Je partage les choses qui viennent d’être dites, je vois la tolérance comme étant une vertu individuelle, quelque chose qui nécessite un travail sur soi afin de prendre en compte l’autre dans sa dimension, de lui témoigner respect.
Le problème auquel on est confronté, c’est qu’aujourd’hui c’est une vue de l’esprit, on vit dans un monde où l’intolérance est la marque générale ; je pense à toutes ces agressions, à ces épreuves de force, de provocation, comme en 1989 lorsqu’on a tenté de laisser porter le voile à l’école. Le Ministre de l’éducation d’alors, a botté en touche. Je crois que la tolérance implique un minimum de civisme, sinon elle n’existe pas.
Pour que la tolérance s’applique dans un pays il faut que l’Etat soit capable de se montrer intolérant, (au sens ne pas accepter).

⇒ La position de notre gouvernement actuel du fait de beaucoup de tolérance rend l’édifice social fragile, et il faut savoir expliquer à tous quels sont les principes de la laïcité : c’est la tolérance des croyances, ce n’est pas comme a souvent voulu souvent le faire croire « bouffer du curé », mais c’est respecter toutes les croyances, mais il faut aussi parfois « serrer les boulons » face à certains dérapages. Le vivre ensemble c’est, des us et coutumes, et les lois républicaines. Si on très tolérant, si on ne réagit pas comme il faut, en temps utile, c’est le vivre ensemble qui en souffre.
C’est chez les religieux islamistes intégristes que nous rencontrons le plus d’intolérance, si on ne vit pas suivant leurs principes on est des mécréants (aux deux sens du terme), et la moindre critique à leur égard c’est tout se suite de l’islamophobie. Du coup, il s’installe dans le pays l’auto censure, les gens n’osent plus évoquer les écarts  à la loi républicaine.

⇒ La tolérance n’est pas la même d’un pays à l’autre, telle la Grande-Bretagne par exemple, ou des pays où tout est autorisé, ça nous donne par exemple comme réponse le Ku Klux Klan aux USA.

⇒ La tolérance n’est pas une valeur éducative.
1° Comme me l’a enseigné Michel Serres l’éducation, pour réussir doit être positive: on n’éduque pas bien contre, on éduque bien pour, on n’éduque pas bien à l’antiracisme, mais bien au métissage, on n’éduque pas au refus de la barbarie mais à des valeurs. D’ailleurs, éduquer c’est conduire vers des valeurs. L’éducation à la tolérance est une éducation négative et non pas positive comme l’éducation à des valeurs. C’est, éduquer à ne pas interdire, à supporter, à permettre. Ce n’est pas une éducation à proprement parler. L’enfant a besoin d’être instruit, d’être orienté, d’être conduit vers des valeurs, pour devenir un être humain et ne pas rester animal. Le pédagogue, selon des modalités différentes, conduit l’enfant vers des valeurs: aujourd’hui, en France au respect de l’autre, aux droits de l’homme, (les droits liberté-1789- et les droits sociaux-1948-), à la laïcité, à la responsabilité envers la Terre pour les générations futures.
2° Comme l’écrit Lévi-Strauss dans « Race et Histoire », «  Le barbare c’est celui, d’abord, qui croit à la barbarie ». Le barbare, c’est l’ethnocentriste, qui ne reconnaît pas les autres cultures comme des cultures, les autres langues comme des langues égales à la sienne, qui les juge inférieures voire « sauvages ». Les racistes utilisent des mots d’animaux pour désigner les individus ou les peuples jugés inférieurs les bourricots pour les algériens par les colons, la vermine pour les juifs par les nazis, des sauvages… Eviter la barbarie, ce n’est pas être tolérant, c’est être éduqué à reconnaître l’autre et à le respecter comme un être humain.
3° Ce que m’a appris Locke avec sa « Lettre sur la Tolérance » c’est qu’une  philosophie de la tolérance, une philosophie libérale, pêche par un défaut majeur : elle ne stimule pas la ferveur, le vouloir vivre ensemble.  Encore une fois non à la tolérance oui à la foi qui n’est pas une foi particulière. Locke argumente cela en écrivant que le vivre ensemble dans un Etat passe par des lois imposées c’est à dire des règles communes pour garantir à chacun sa sécurité, sa liberté, la propriété des soi et de ses biens, et par la tolérance religieuse mais que néanmoins il y ait un seuil de tolérance: dans un Etat tolérant les athées, dit-il, ne sont pas tolérés parce qu’il leur manque la foi, la ferveur pour maintenir l’unité de l’Etat. Aujourd’hui dans notre Etat libéral où la tolérance est reine, avec les écueils énoncés, la foi en la volonté de construire un Etat juste et solidaire décline et cela m’attriste.

⇒ Nous avons des marques d’intolérance chez des jeunes qui à l’école contestent des cours d’histoire, de science, parce que ça ne correspond à leurs références religieuses. Il faut espérer dans l’évolution des moeurs et dans l’intégration. Et là où on a vu le sommet de l’intolérance ce fut lors des caricatures de Charlie Hebdo.

⇒ On a évoqué l’évolution de l’idée  de la tolérance, du concept tolérance. Dans ce sens on se rappelle qu’au moyen âge, l’intolérance était telle, que les sodomites finissaient sur le bûcher, et, il y a peu on a établi le mariage pour les homosexuels.
En 1943, une femme qui avait pratiqué des avortements sera guillotinée, puis nous avons eu la loi Veil en 1975.
Lors de l’exposition coloniale à Paris en 1931, on avait reconstruit un village africain avec ses habitants, ce qu’on a appelé par la suite « un zoo humain ». Aujourd’hui la discrimination raciale est punie par la loi.
Et puis je reviens sur la notion de tolérance dans divers pays. Cela nous donne aux Etats-Unis le deuxième amendement de la Constitution qui permet entre autres à chaque citoyen de porter une arme, droit qui perdure malgré les récentes tueries.
Revenant chez nous en France : des personnes du monde politique et une large part du monde médiatique, ont récemment au nom de la tolérance, piégé deux mots du vocabulaire : c’est d’abord le mot, amalgame.
Au nom du refus d’amalgame, on fait taire toute critique de l’intégrisme, de propagandes et d’actions antirépublicaines, voire, anti-laïques.
Le second mot piégé est : islamophobie. Nulle critique, nulle observation n’est tolérable sur ce sujet. On doit pouvoir, disait sur une radio, Elisabeth Badinter  « défendre la laïcité sans avoir peur d’être traité d’islamophobe »
Interdire toute critique dans ce domaine, c’est oublier, ou occulter un point primordial : ce n’est pas l’Islam religieux qui est mis en cause, ce n’est la pratique religieuse non plus, l’intolérance vient de l’Islam politique. Ce qui est à combattre, ce sont les propos antirépublicains, allant jusqu’à assimiler racisme et laïcité, allant jusqu’à assimiler, laïcité et islamophobie.
C’est oublier ou faire semblant d’oublier que l’Islam pratiqué dans de nombreux pays est d’abord un système politique antidémocratique, un système de régulation sociale à tous les niveaux, et que les religieux intégristes veulent que l’Islam détruise (suivant l’expression courante)  tous les impérialismes afin que l’Islam soit la seule religion dans ce monde.
Donc, nous voyons ce « laissons dire » pour « ne pas  faire de vagues », cela nous mène jusqu’au laxisme qu’on peut déplorer comme ce fut le cas dans une émission sur Canal + le 26 janvier de cette année. Un islamiste salafiste, Idriss Sihamedi, affirme sur le plateau qu’il refuse de serrer la main aux femmes. Présente, sur le même plateau la Ministre de l’éducation (Ex Ministre des droits de la femme), Najat Vallaud Belkacem ne réagit pas.
Dans ce cas présent, où nous situons-nous entre tolérance et laxisme ?

⇒ Tout ce qui faisait les concepts, les valeurs il y a cinquante ans est aujourd’hui complètement bousculé, remis en cause par la réalité. Par exemple, le respect de l’autre n’a plus une place prédominante.
Et se pose aussi, le problème que, parmi les terroristes, il y avait des jeunes garçons polis, gentils, pas du tout le profil intégriste, donc après se crée une certaine méfiance. On peut dire que depuis les attentats la tolérance a été atteinte; c’était aussi l’objectif de ceux qui ont commandité ces attentats. Et je reviens sur les discours dans les mosquées, où il y a parfois des propos intolérants, antirépublicains, anti démocratiques; il faut être vigilant pour ne pas laisser se développer une logique d’affrontement.

⇒ Je crois que les plus jeunes n’ont pas tous été éduqués à la tolérance, à la laïcité, ni aux droits de l’homme, ni à la responsabilité envers la Terre et envers l’humanité. J’ai été prof et on n’avait pas pour mission d’éduquer dans ces domaines.
Maintenant, le gouvernement rappelle qu’il faut faire l’éducation à certains principes à l’école, mais pendant trop longtemps ça n’a pas été fait.
Je reviens sur la loi Veil, ce n’est pas pour moi une évolution de la tolérance, c’est une évolution de la société vers une conscience plus large de l’humanité.
Puis revenant sur le voile, je vois là surtout un geste politique, et c’est vrai que dans l’Islam, politique et religion vont ensemble, on a connu ça en France.

⇒ J’ai entendu dire qu’il fallait accepter tous les autres avec leurs coutumes, leurs usages. Soit ! Mais ces derniers sont-ils prêts à nous accepter ?
Ensuite, ayant été élevée dans une famille trop tolérante, je devais accepter beaucoup de choses, et des personnes en ont abusé, jusqu’à parfois m’humilier. Plus tard, j’ai réagi me disant au nom de quoi, doit-on subir, au nom de cette tolérance ? J’en ai conclu que la tolérance avait la valeur que je lui reconnaissais, et je pense qu’on doit lui mettre des limites. J’ai compris que la tolérance à une dose trop importante devient intolérable.
L’image, la métaphore qui illustre cela, c’est « le lait sur le feu ».

⇒ Est-ce que mai 68  a fait évoluer la tolérance ou non ?

⇒ Difficile à dire, surtout  qu’il « était interdit d’interdire », tolérance ambiguë !

⇒ Au nom de la tolérance on a déplacé à la suite de mai 68 certaines notions; comme à l’école où il revenait presque aux élèves de choisir le cours.
Je vois les jeunes enseignants que je côtoie : ils sont dans une tolérance telle qu’ils n’ont pas le contrôle sur la classe, et l’on voit même qu’au bout de 15 minutes de cours souvent c’est la dispersion…

⇒ Ce constat par des parents d’une tolérance parfois proche du laxisme, amène de plus en plus de parents à choisir l’enseignement privé pour leurs enfants, ce qui a un effet très négatif, en ce sens où des écoles n’ont plus que des enfants issus de  l’immigration, et les mères de ces enfants s’en plaignent car voilà des enfants qui se trouve  encore plus ghettoïsés  dès l’école. Comment dès lors avec ce manque de mixité sociale aboutir à cette fameuse intégration.
Et je voudrais évoquer un film où l’on voit une certaine forme d’intolérance, c’est « La journée de la jupe ». La maîtresse vient faire son cours en jupe. Des élèves intoxiqués par des préceptes moraux religieux, considèrent qu’une femme qui porte une jupe, est une putain, même les élèves filles ont intériorisé ce sentiment. La situation dégénère, jusqu’au drame, et les élèves à la fin apprenant qu’elle aussi est d’origine arabe, ont cette réaction : « mais m’dame pourquoi vous l’avez pas dit ! »
(Beau film, émouvant. Pratiquement jamais  diffusé dans nos banlieues, « pour ne pas faire de vagues »)
Il est un autre secteur où la tolérance n’est pas de mise, c’est à l’encontre des lanceurs d’alerte. J’en rappelle succinctement la définition : « personnes qui portent à la connaissance du public des informations constituant des risques, des dangers, des menaces pour la société » ; lesquelles informations se trouvent, le plus souvent, occultées par les médias. Dans notre société « d’économie ouverte » pour reprendre une expression récente notre premier Ministre, les lanceurs d’alerte sont gênants pour l’économie ; ils pourront être poursuivis en vertu d’une directive européenne sur le secret des affaires. La dernière et célèbre victime de l’intolérance des gouvernements est Julian Assange qui sur le site Wikileaks avait publié des modes opératoires de l’armée des USA en Irak, et surtout dénoncé des corruptions de dictateurs  africains, dénoncé des mafias russes, etc. Il a du se réfugier à l’ambassade de l’Equateur à Londres. Les Etats-Unis veulent l’extrader,  la Suède également, l’ayant impliqué à cet effet dans des délits sexuels.
Nous aurions encore beaucoup à dire avec le cas d’Edouard Snowden, réfugié lui en Russie,  pour qui (je le cite)  son « seul objectif est de dire au public ce qui est fait en son nom et ce qui est fait contre lui. ». Là aussi nous aurions bien besoin de Voltaire, de Zola.
Et enfin, pour rappeler que tolérer ce n’est « être d’accord », dans un débat sur la laïcité le  sociologue Marwan Mohammed, répondant à une jeune femme sur le port du voile, (cette personne étant voilée), disait : « Je ne suis pas d’accord avec le port du voile, j’y suis opposé, je revendique mon droit de le dire, mais je vous reconnaît la liberté de le porter ou non » Voilà une sagesse très Voltairienne que je fais mienne.

⇒ Le mot tolérance est un mot qui a beaucoup été galvaudé, je suis d’accord que le mot respect convient mieux à notre époque.

Quelques citations sur ce thème :

« La discorde est le plus grand mal du genre humain, la tolérance en est le seul remède » (Voltaire)
« La tolérance est une vertu qui rend la paix possible » (Paul Claudel)
« La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne pensons jamais toujours de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité, et sous des angles différents » (Gandhi)

⇒ Voltaire dans son traité sur la Tolérance (Chapitre VI) nous donnait déjà la définition des islamistes d’aujourd’hui : « Crois ce que je crois, ou tu périras »

 

Œuvres citées, références :

Livres :

L’identité malheureuse. Alain Finkielkraut. Essai/Poche 2015.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue.

Malaise dans la civilisation. Freud. 1930.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Qu’est-ce que les Lumières. Kant. 1784

Race et Histoire ? Lévi-Strauss. 1952.
(Disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Magazine :

Philosophie magazine N° 87. Octobre 2015.

Film :

La journée de la jupe. De J.P. Lilienfield. Premier rôle : Isabelle Adjani.
(DVD disponible à la médiathèque de Chevilly-Larue)

Télévision :

Emission Supplément/Canal+. Le 26 janvier 2016.

 

Qu’entendons-nous par peuple?

                 Restitution du débat du 3 février 2016 à l’Haÿ-les-Roses

Rousseau. Le centenaire de l'indépendance. 1892. Musée Paul Getty. Los Angeles.

Rousseau. Le centenaire de l’indépendance. 1892.
Musée Paul Getty. Los Angeles.

Introduction Annie : Un peuple c’est  un ensemble de gens qui ont quelque chose en commun. Après, ça peut être les habitants d’un pays, mais il y a des peuples séparés dans divers pays, il y a des diasporas. Une diaspora c’est un peuple dispersé sur la terre et qui a conservé, sa langue, sa culture, sa religion parfois ; ce sont par exemple, les Arméniens, les Juifs…
Par contre on a vu pour la diaspora juive, que le gens se sentent d’autant plus juifs qu’ils sont confronté à l’antisémitisme, et cela même s’ils ne sont pas religieux. Puis nous avons cette autre définition de peuple, où un grand bourgeois ne se considère pas comme faisant partie du peuple, de la populace. Le mot peuple est utilisé là dans un sens méprisant.
Nous savons qu’un peuple peut se révolter, comme en 1789, ou lors de « La Commune », et plus près de nous en mai 1968, et à chaque fois ce sont au final de grandes avancées sociales.
Puis nous avons même de nos jours des exemples comme au Burkina Faso où le peuple a fait face à l’armée, puis a gagné.

Débat

 

 Débat : ⇒  Un peuple c’est un « Ensemble d’humains vivant en société, habitant un territoire défini ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’origine », nous dit le Grand Robert de la langue française. Et nous trouvons pratiquement la même définition pour le mot État : « Terme par lequel on désigne habituellement une population qui a fait l’expérience pendant plusieurs générations, d’une telle communauté de territoire, de langue, de culture, d’économie et d’histoire que les membres ont une conscience précise de ce qui les uni »  (Encyclopédie de la philosophie pochothèque)
Des mots comme « peuple » comme « Nation » sont des mots piégés, ceci, parce qu’ils ont été souvent récupérés par un mouvement politique d’extrême droite
Ce mot de peuple est polysémique, de plus son  sens évolue avec la société des hommes, ce qui amène à poser la question de quoi, le peuple, le « demos » est-il véritablement le nom ?
A mon sentiment un peuple c’est plus qu’un agrégat d’individus, c’est plus qu’une entité administrative, c’est une mémoire, c’est une langue, un peuple c’est une histoire, c’est un récit, et Ernest Renan nous disait que ce n’est, ni une race.,( ni même pour lui une religion).
Une société qui n’a aucun ancrage territorial, qui renie toute culture spécifique.  Si elle n’a qu’un ersatz  de culture standardisée, elle n’est plus qu’une population
Un peuple ce sont des valeurs communes, c’est par exemple pour le peuple français : Liberté – Egalité –Fraternité-, c’est un hymne, c’est un drapeau ; des symboles dans lesquels on se reconnaît en tant que peuple d’une même Nation. Un peuple c’est une culture commune, partagée, une musique, une littérature, un théâtre, un cinéma, une gastronomie.
Le peuple est acteur de l’Histoire, tous les monuments aux morts de France en témoignent.
Curieusement,  nous avons des personnes qui dans  ce pays ont, pour des raisons diverses, une forme de haine de leur pays, cela peut être une posture intellectuelle, cela peut avoir des origines politico religieuses ; depuis cette  posture, les hauts cris s’entendent si est prononcé le mot identité, encore un anathème. Il y a dans le vocabulaire du tri sélectif. Le mot identité  est connoté dangereux, alors que nous avons tous sur nous une carte d’identité française, un passeport français., une identité n’est pas figée, elle a toujours été évolutive. Je pense que le peuple de 1793 aurait du mal à se reconnaître dans le peuple français d’aujourd’hui.
Je pense que si les habitants d’un pays abandonnent l’idée qu’ils sont un peuple, c’est là  qu’il ne sont qu’une population, qu’on peut leur faire ingurgiter des modes de vie, des lois, des élément culturels qu’ils n’ont choisis par eux- mêmes. Et c’est ainsi qu’on peut les mettre en gouvernance,  autrement dit, leur laisser l’impression qu’il existe toujours un peuple pouvant exercer une souveraineté qu’ils ont perdu.
C’est  parce que depuis quelques décennies les gouvernements successifs n’ont pas gouverné avec et pour le peuple, qu’ont surgit les questions identitaires,  les replis identitaires, les communautarismes. En soulevant des questions sociétales on divise le peuple, et pendant ce temps on ne traite pas les vrais problèmes, on met la poussière sous le tapis
Si j’ai cité les définitions du mot peuple, on ne doit oublier tous les synonymes et termes analogiques qui habillent d’une connotation péjorative le mot peuple :
Par exemple une des définitions donnée par le Trésor de la langue française, donne : «  ensemble de personnes qui n’appartiennent pas aux classes dominantes, socialement, économiquement, et culturellement » C’est le « petit peuple », c’est parfois « la France d’en bas » face à la « France d’en haut ». C’est le populo, la populace, la masse, la plèbe, et surtout l’anathème, « populisme » ce fantasme des élites, j’y reviendrai.

⇒ La question s’adresse à chacun et je vais y répondre en partant de mon point de vue particulier. Lorsque je dis que je suis juive pour moi c’est que je me réfère à l’histoire du peuple juif. Mais la question est tout de suite : Qu’est-ce que le peuple juif? Ce n’est pas le peuple d’un pays : il n’y a pas de pays des juifs, L’Etat d’ Israél se nomme depuis 1948 un Etat juif mais quand je dis que je suis juive et que je me réfère à l’histoire du peuple juif je ne dis pas que je suis Israélienne.
Je n’appartiens pas non plus à la communauté juive dont le CRIF) prétend être représentatif. Il a été constitué en 1944 et à l’époque il était le conseil représentatif des Israélites de France. Les israélites sont ceux qui appartiennent au peuple issu de Jacob, un fils d’Abraham, nommé aussi Israël, et père des douze tribus d’Israél et qui se distingue d’Ismaël (autre fils d’Abraham et origine des tribus arabes).  Souvent à ce terme est associé un sens religieux : est israélite celui qui pratique le culte biblique: ainsi on nomme le consistoire israélite. Au 19ème siècle et encore après la deuxième guerre mondiale le terme israélite qui désigne des migrants religieux d’Europe de l’est a, en France, une connotation péjorative,  synonyme de juif qui a la haine de soi (cf. l’ouvrage d’Alain Finkielkraut Le juif imaginaire) de juif honteux parce qu’il intériorise les préjugés antisémites  Il  est aujourd’hui remplacé par le mot juif qui veut redonner aux  juifs le sentiment d’une identité positive. Ainsi quand on parle de la communauté juive que  le CRIF  dit représenter on se réfère aux juifs qui se rattachent au culte judaïque ou/et aux institutions culturelles qui se réclament de la religion juive et/ou du sionisme historique et actuel.
Qu’est-ce qu’être juif  alors? C’est une question sans cesse posée. Ce n’est pas une race comme l’ont affirmé les idéologues nazis. Ce n’est pas un génome comme le laisse penser la tradition religieuse qui affirme qu’on est juif par sa mère. C’est l’affirmation d’une appartenance à une culture (des airs de musique, des plats de cuisine , des chansons,  des langues (le yiddish, le ladino, l’hébreu), une littérature  des histoires racontées ) et donc une histoire et c’est là qu’on retrouve le lien assumé à un peuple….
Il y a un débat entre historiens sur la date de naissance  du peuple juif et  l’historien israélien Shlomo Sand a écrit « Comment le peuple juif fut inventé ».  Shlomo Sand est contesté par des historiens israéliens parce qu’il récuse l’histoire biblique des trois phases : libération de l’esclavage, exils, retour à la terre promise. Il souligne (archives et archéologie en mains), que les douze tribus d’Israél, fils d’Abraham se sont réparties dans de multiples régions (et non pas seulement en Judée , le Nord de l’Israél actuelle),ont été prosélytes, ont converti des païens , et que la 13ème  tribu longtemps ignorée et maintenant reconnue des historiens a émigré dans le pays des khazars (aujourd’hui la Crimée) d’où viennent les ashkénazes Juifs de l’Europe de l’est, alors que les sépharades viennent du pourtour de la Méditerranée . Mais ce qui compte, et qui n’est récusé par aucun historien c’est qu’un peuple a une histoire et que cette histoire se rattache à un grand récit, un mythe,des idéaux et une épopée ….
Cela me fait dire que j’appelle peuple ce qui donne à ses membres le sentiment d’une alliance avec ceux qui veulent construire ensemble un  projet  de société. Ernest Renan définissait la nation comme « un plébiscite de tous les jours » soulignant que c’est à la fois un sentiment  d’appartenance à un peuple et une volonté de le perpétuer Ce qui distingue la nation d’un peuple c’est que la nation se dote d’un appareil juridique pour se rendre souveraine.
Qui se réfère (et comment?) À la notion de peuple? Comme l’écrit Nietzsche qui parle de peuple ? En grec ancien, le mot a deux  sens : d’une part « démos » : le peuple assemblé pour gouverner, et « laos » le peuple assemblé devant le temple le peuple pro-fane- fanum le temple) qui se distingue du peuple clérical
Et il me semble que le terme peuple a une connotation positive  chez ceux qui ont aujourd’hui,   pour boussole l’orientation démocratique du régime politique et aussi le projet démocratique de l’existence dans toutes ses dimensions Ceux qui ambitionnent de construire une démocratie populaire, une université populaire, un théâtre populaire, ceux qui pensent le peuple comme une communauté d’histoire et de vie qui lie et relie sans cesse des hommes et des femmes sans appartenance exclusive ni partisane, mais des hommes et des femmes volontaires pour se relier à un projet de Bien commun .C’est l’idée du peuple souverain qui gouverne par lui-même et pour lui-même c’est à dire pour chacun et pour tous . Comme l’écrivait Jean Jacques Rousseau,  à la question : comment est-ce qu’une autorité quelconque peut être imposée de manière légitime à un peuple ?  Il répond « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution. »

⇒ On a parlé de peuple en tant qu’appartenance à un territoire ou à un pays, à une ethnie, mais si prends par exemple les sémites, le peuple juif c’est des sémites, et les arabes aussi ce sont des sémites.
J’ai entendu l’État c’est presque là même définition, et là je pense que le peuple c’est une entité sociologique faite d’Histoire et de culture, et que l’État, c’est la Nation, avec en plus l’administration.
On a aussi demandé ce qu’était l’identité. Effectivement, là, on a deux voies : l’identité administrative, mais aussi l’identité d’une culture. Par exemple dans tous les débats de ces derniers temps où la notion identitaire revient, on se rend compte qu’il y a recherche de culture commune, et ceci à un tel point, qu’à force de chercher, c’est une notion de peuple qui se divise en différentes identités dès qu’on aborde la notion culturelle.
Ces différentes dimensions on les voit dans le peuple indien, où il y a je ne sais combien de castes qui ont toutes leur Histoire, leurs mythes. C’est vrai aussi, pour les Indiens au Canada, c’est vrai pour les Inuits, c’est vrai pour les aborigènes, etc.
C’est-à-dire, que derrière il y a une Histoire dans le sens du temps, et il y a surtout l’Histoire de leur début, d’une recherche des grands mythes créateurs, des mythes fondateurs ; c’est essentiellement ça qui est le grand ciment.
Et je ne crois pas que ce soit les gens qui font leur Histoire. Je pense qu’il y a des masses qui font l’Histoire des peuples. Je pense que ce sont les masses qui dont l’Histoire des peuples. A la Révolution la masse ce fut la bourgeoisie, et c’est par l’action des masses que le peuple évolue.

⇒ D’abord dans ce concept de peuple, il y a des nuances ; et puis qu’est-ce que ça signifie aujourd’hui pour nous en France, le peuple, surtout dans ce moment de crise, ce moment de guerre.
J’ai retenu la définition qui parlait pour un peuple d’un ancêtre commun, puis la notion de territoire, et celle d’un esprit commun. Il y a aussi, le sens politique, comme celui qui était propre au peuple grec, où l’homme était selon la formule d’Aristote « un animal politique » qui existe dans la société. Donc si tu vis dans la cité, si tu as le pouvoir démocratique, quels sont tes projets, sinon parle t-on d’une peuple déterminé ? Et puis comment s’exerce le pouvoir des peuples, depuis le modèle de la démocratie athénienne à la République de Rome où le peuple romain, la plèbe était en opposition avec les sénateurs.
Et souvent quand on parle du peuple, on sépare la masse des classes dirigeantes. Ces derniers se situent en dehors, et ça génère souvent des luttes. Et le grand chapitre sur les peuples aujourd’hui ça reste les inégalités.

⇒ Nous venons de voir une fois de plus avec ce qu’on a nommé « les printemps arabes » que des peuples ont chassé des dictateurs, et de nouveau perdu le pouvoir.
Par ailleurs, pour que le peuple conserve le pouvoir, il faudrait qu’avec un certain nombre de signatures il puisse obtenir un référendum.

⇒ Si j’ai bien compris l’État rassemble le peuple. Et je reviens sur l’ouvrage de Schlomo Sand « Comme le peuple juif fut inventé ». A-t-on crée cette histoire pour rassembler le peuple juif dans un État, une Nation ?
Autre réflexion, il faut comme nous le dit Hobbes dans « le citoyen » (de cive) il faut distinguer le peuple de la volonté par une volonté commune.
Dans son dictionnaire philosophique André Comte-Sponville donne cette définition du peuple : « Le peuple est un certain corps et une certaine personne à laquelle on peut attribuer une certaine volonté, et une action propre. Le peuple n’est vraiment un – donc, vraiment un peuple – que par la souveraineté qu’il se donne. C’est-à-dire qu’un peuple n’et vraiment lui-même que dans la démocratie, et par elle. Les despotes ne règnent que sur la multitude »

⇒ Je vois deux sens dans le mot peuple : le sens ethnique, et le peuple dans le sens sociologique. C’est, les indigènes d’un territoire, comme un faune, une flore, alors que l’homme a fait le peuple social qui tout au cours des événements cherche à se référer à quelque chose d’originel.

⇒ Le poème d’Hervé :

La communauté humaine
En acrostiche « Le peuple »

L es individus d’un État forment une communauté
E nracinée, appelée peuple, pouvant se représenter

P révoir de faire œuvre commune par la souveraineté
E ngage à vivre ensemble, s’organiser et s’identifier.
U nion humaine nommée démontre sa personnalité
P erpétue par ce qui caractérise la civilisation : évoluer
L iens divers unis, multicolores, variés, de sang mêlé,
E nsemble ils forment un peuple, les peuples pour la postérité

⇒Le peuple est une population homo sapiens sapiens habituée depuis des générations à vivre sous un climat et une territoire spécifique. Ils forment une culture au sens allemand du terme (kultur), avec une façon particulière de voir la vie, c’est-à-dire de gérer la réalité. La gestion de ces réalités dans l’adaptation au terroir et au climat, influe sur la pensée et aussi sur la morphologie.
Les peuples sont les « pinsons de Darwin » ; l’homme blanc d’Europe était noir à l’origine. Cependant de nos jours les blancs et les noirs sont des « pinsons » différents. Donc le même « homme » peuple la terre et son adaptation au territoire et au climat a fabriqué non seulement des cultures différentes, mais des morphologies différentes.

⇒ Je suis d’accord sur le fait qu’un peuple, c’est la recherche d’une culture commune. Si il y a un peuple, c’est qu’il y a une volonté de perpétuer une culture, et je suis d’accord aussi avec l’idée qu’il faut un mythe fondateur.
Si on se réfère à ce formidable élan populaire qui a eu lieu après les attentats de Charlie hebdo et de l’épicerie casher, les gens, alors n’ont pas fait l’histoire, mais ils ont affirmé dans cet élan leur appartenance commune à une même Histoire.
Je pense que le peuple a aujourd’hui une connotation positive pour ceux qui ont pour boussole l’orientation démocratique ; soit, pour un régime politique, ceux qui ambitionnent de construire : une université populaire, un théâtre populaire, ce qui le peuple comme une communauté d’Histoire et de vie, qui relie sans cesse, sans appartenance exclusive des hommes et des femmes volontaires qui sont reliés à un projet commun. Et là ils utilisent de manière positive le terme peuple ; c’est l’idée du peuple souverain.
Par contre le terme peu avoir une connotation péjorative comme dans l’expression : parler peuple – le bas peuple – le menu peuple, etc. autant d’expressions utilisées par l’aristocratie d’avant la Révolution française de 1789, mais aujourd’hui aussi, par certains tenants du libéralisme économique qui dénoncent les porteurs d’idéaux démocratiques, comme des populistes, des démagogues qui flattent la population. Ils reprennent simplement les analyses de Tocqueville qui montre les dérives liberticides de la passion de l’égalité chez les peuples.
Le débat aujourd’hui largement médiatisé sur le déclin de la France, avec Eric Zemmour, sur la défaite de la pensée avec Alain Finkielkraut, sur la mortalité de la civilisation européenne avec Michel Onfray, je ne confonds pas leurs points de vue, mais je constate qu’ils utilisent le terme de peuple avec une même tonalité péjorative et qu’ils ont la même attitude par rapport à lui : le peuple est ignorant , inculte, il a des opinions contradictoires et le travail des anciens, des parents, des éducateurs, et des élites est de le cultiver ou/et de l’éduquer. Nous sommes loin de la volonté émancipatrice des philosophes des « Lumières » loin de la volonté morale de construire une société où tous les membres sont des acteurs autonomes loin de l’élan populaire rassembleur dont je pourrai être partie prenante

⇒ Je reviens brièvement sue ce pouvoir du peuple qu’est le référendum. Nous avons vu, comme en Suisse qu’une minorité agissante peut faire passer ainsi des lois iniques, et nous avons vu aussi l’élite gouvernante faire fi de l’expression largement exprimée du peuple, en 2005, de là le sentiment d’appartenance à un peuple qui défini son avenir a été largement entamé, le peuple s’est senti trahi.
Alors diront certains : est-on peuple par les urnes ? ou est-on par la révolte ? Victor Hugo qui avait sûrement pressenti mai 68, écrivait : « « Le plus excellent symbole du peuple c’est le pavé. On lui marche dessus, jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête ».
Et enfin, le mot peuple n’est pas un concept figé, il est évolutif. Notre société qui s’enrichit de « nouveaux français » est souvent honorée par eux. En ce sens après les attentats de l’année 2015, se sont réveillés des sentiments d’appartenance chez nombre de personnes avec des réactions, des changements de position ; je n’en citerai que deux : dans son film : « Qu’Allah bénisse la France » le chanteur Abd el malik dit : « Vive la France arc-en-ciel et unique, et débarrassée de toutes ses peurs ». de même parmi les témoignages, on peut relever sur le site de Magyd Cherfi, le chanteur du groupe Zebda : « Il y a des jours comme ça où on aime la France, où on a envie de chanter la Marseillaise…, je promet devant le fronton des mairies d’aimer la France pour le pire et le meilleur, de la protéger, de la chérir, jusqu’à mon dernier souffle…» il dit (en substance) prendre conscience que c’est important la France…..http://magydcherfi.com/

⇒ Un peuple fait son histoire, défini lui-même son avenir, oui ! Sauf quand il y a des guerres, qu’il est envahi, que sa langue, ses coutumes, jusqu’à sa religion, se trouvent changés.

⇒ Avec la globalisation, devons-nous penser à un peuple du monde ? Et comment les inégalités croissantes ne créent-elles pas des révolutions ? Le linguiste et professeur Raffaele Simone dans son livre : « Le monstre doux » évoque l’effet d’une culture d’endormissement des peuples par les moyens de communication de masse, les médias qui montrent du monde un autre réalité.

⇒ Je voudrais revenir sur cette notion du peuple qui est différent de l’État/Nation, et revenir sur cette difficulté de définir un peuple après les invasions, les migrations. Il fut effectivement un temps où géographiquement parlant, les gens qui habitaient une région représentaient un peuple beaucoup plus facilement que maintenant. Si je prends par exemple, la France au moment des Francs avant que les Romains n’interviennent et en occupent une partie, les Francs étaient alors des Celtes, lesquels étaient repartis sur l’Europe avec des différences et beaucoup de choses en commun, avec des notions d’animisme ; et puis un jour ils ont été envahis par le christianisme et l’Islam, ces deux religions monothéistes qui se sont acharnées à vouloir imposer leur point de vue religieux, leur vue du monde.
Effectivement, on trouve moult lieux dans le monde où l’on a mis par-dessus une culture et des peuples existants parfois depuis longtemps, une espèce de couche qui l’a transformé, et souvent transformé par force, ce qui rend la notion de peuple si difficile à définir
Maintenant on recherche ce que pourrait être un peuple, on recherche cet espèce de rez-de-chaussée, le terreau sur lequel il a poussé. Il y a eu tellement de mélanges, qu’on en est à se dire : Qui sommes-nous ? Que sommes-nous ? Cela rend tout aussi difficile de définir, une identité, car justement si notre identité elle est faite d’un terreau commun, elle est faite aussi de tas d’apports

⇒ On voit comment on a du mal à définir ce concept de peuple, et ce n’est pas par hasard si nous nous posons la question aujourd’hui. On n’a pas la mythologie des grecs, et l’on cherche ce fameux lien commun. Même si certains voudraient voir se dissoudre ce sentiment de faire un peuple, je ne voudrais pas perdre l’appartenance à un peuple, et je suis très surpris de voir des gens qui n’ont pas de réel mythe fondateurs, vouloir après des siècle d’appartenance à un peuple, vouloir faire « peuple à part » ; je pense à la Catalogne, je pense à la Corse..
C’est également le problème des citoyens d’Europe avec les dirigeants européens qui voudraient noyer nos spécificités dans un état fédéral. Comment faire un peuple européen, un Gloubi-boulba de peuple, avec des individus : Andalous, Polonais, Irlandais, avec chacun, non seulement leur culture spécifique, mais leur langue spécifique, et leur façon de vivre ?
Au-delà de toutes ces menées, et même au-delà des guerres, des migrations, je pense que subsiste toujours une certaine permanence de l’esprit d’un peuple.
Et enfin je reviens sur le mot insultant pour le peuple : le mot « populisme », cet anathème de secours quand le peuple est considéré en ennemi par les partis au pouvoir, les dominants, les média, les marchés… L’usage du mot « populisme » traduit chez des hommes politiques, la méfiance affichée du peuple, pour s’attirer la confiance des marchés
La définition de populisme est : « en politique, importance donnée aux couches populaires ». Déjà se pose la question de savoir ce que sont « les couches populaires » puis de savoir pourquoi s’intéresser à ceux-là qui comptent parmi les démunis, entraînerait-il ipso facto un jugement péjoratif ? « La haine du populisme n’est rien d’autre qu’un avatar de la peur du peuple » (Jean-Luc Mélenchon. L’ère du peuple)
« Populisme est un mot paravent…Je pense que le mot populisme est un concept écran des gouvernants et de leurs idéologues » (Eric Hazan. Changement de propriétaire)
Ce mot de populisme me semble comme une injure à l’égard du peuple, comme si on lui collait la responsabilité des turpitudes de politiques ambitieux, tel ce parangon fou du « rêve américain » Donald Trump.

Oeuvres citées. (Références)

Livres
Le juif imaginaire. Alain Finkielkraut. Essai. Poche. 1983.
Comment le peuple juif fut inventé. Shlomo Sand. Fayard, 2008.
L’ère du peuple. Jean-Luc Mélenchon. Fayard. 2014.
Changement de propriétaire. Eric Hazan. Seuil 2007

Film.
Qu’Allah bénisse la France, d’Abd el malik. (2014)
Site.
Site de Magyd Cherfi (Chanteur du groupe Zebda) .http://magydcherfi.com/

Peut-on se changer soi-même?

                       Restitution du débat du 20 janvier  2016 à Chevilly-Larue

Klee Paul. Senecio. 1922. Künstmuseum. Bâle.

Klee Paul. Senecio. 1922. Künstmuseum. Bâle.

Animateurs : Guy Pannetier. Danielle Vautrin.
Modératrice : France Laruelle.
Introduction : Lionel Graffin

 Introduction : Ce sujet comporte un problème, c’est le « se » pronom personnel renforcé par un autre pronom personnel qui est « soi » additionné du mot « même ». Autrement dit, le sujet, peut-il être le moteur de l’action qu’il exerce sur lui-même, ce qui aboutirait au changement recherché. Mais il n’aborde pas les motifs suivants : le canal par lequel s’opèrent les changements, la périodicité, l’action centrée sur le sujet lui-même, l’utilité de cette action dans la gouvernance de la vie du sujet lui-même.
Donc, dans cette espèce de circularité, où le sujet n’est abordé que par son action sur lui-même, on pourrait évoquer ce qu’on appelle, l’idiotisme, (ce qui ne fonctionne que pour soi) ou, encore, l’idiosyncrasie, c’est-à-dire qui est très particulier, qui ne peut être partagé, raisonnement qui ne renvoie qu’à soi.
Il m’a semblé pertinent de traiter ce thème en le subdivisant en deux éléments.
D’abord en premier, « peut-on changer ? » et ensuite « peut-on se changer, soi-même »
Peut-on changer ? La réponse clairement est oui ; nous changeons d’aspect en vieillissant, nous sommes différent à 20 ans ou à 60 ans,  nous avons pu exercer, une ou plusieurs professions, traverser les aléas de notre vie relationnelle et culturelle. Nous avons pu engager notre vie dans une ou plusieurs associations, dans des choix politiques, à l’origine d’enrichissement divers.Nous avons les épreuves de la maladie, des deuils qu’il faut surmonter pour continuer à vivre.
Rien ne peut se faire sans nous, souvent nous devons ressentir des chocs répétés, faire preuve de résilience de notre enfance jusqu’à la mort, le désir de vivre toujours nous fait nous relever.
Maintenant, je passe à « se changer ». Une prière connue par les Stoïciens disait : « Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer les choses que je peux changer, et la sagesse d’en connaître la différence ».
Dans le numéro de philosophie pratique (Mars/Avril 2014) je lis que le courage de changer les choses demande: « d’être conscient de ce qu’il advient de nos désirs de vie, en premier par la culture, avec l’idéologie dominante qui tend à nous faire renoncer, à nous faire croire que l’homme est mauvais par nature [….] ne pas remettre en cause les fondements sociaux et économiques, accepter les différents boucs émissaires [….] et accepter l’interprétation des événements qu’on nous propose, etc. ».
Refuser qu’on instrumentalise notre vie, c’est faire preuve de courage, cela ne va pas de soi, cela peut être source d’incertitude, de désarroi, mais cela en vaut la peine. Cela vaut la peine de se connaître soi-même, en connaissant les autres, en comprenant les événements de la vie sociétale sous tous ses aspects.
Anatole France, lui, disait le contraire : « Je tiens la connaissance de soi comme une source de souci, d’inquiétudes et de tourments. Je me suis fréquenté le moins possible ».
Marguerite Yourcenar, croit le contraire, elle évoque le besoin d’échapper à l’existence qui lui était promise : « Le véritable lieu de naissance » dit-elle « est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été des livres »
Gustave Jung, lui, résume cela en peu de mots : « Ce qu’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur, comme un destin »
Notre vie donc, est inséparable de celle des autres, des étrangers que nous rencontrons, qu’ils parlent notre langue ou non, le premier que nous avons connu, et qui nous connaît, c’est le visage étranger.
Dans « La pesanteur et la grâce » Simone Veil, écrit : « Aimer  un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s’aimer soi-même comme un étranger »
Nous sommes nous, en intégrant l’autre.

 Débat

 Débat : ⇒ On change chaque jour, car chaque jour a quelque chose de nouveau, « Nous nous baignons et nous ne nous baignons pas dans le même fleuve » (Héraclite), autrement dit l’évolution de notre environnement nous amène à changer, ou dirons-nous évoluer, même inconsciemment.
L’Être en devenir change pour durer.
Maintenant, ai-je parfois entendu, penser qu’on peut se changer soi-même est pure vanité, les événements, les autres nous amènent, voire nous obligent, à changer.
Autrement dit, tout au long de ma vie j’ai changé, mais force m’est de reconnaître que j’aurais bien du mal à définir de ce qui ressort de ma seule volonté. Entre ce que je suis et ce que j’aurais voulu être, quand en ai-je réellement décidé ?
Maintenant, si je suis déterminé, si mon avenir est inscrit, il ne sert à rien que je veuille changer.  Je suis, je serai, quoi que je fasse, ce que j’étais depuis le début destiné à être.
Le changement serait suivant la définition du dictionnaire « abandonner une chose pour une autre », alors si je désire changer y a-t-il abandon, reniement d’une part de moi-même, et ne pas vouloir changer, ne jamais vouloir changer,  est-il le fait  d’un être borné ?
A moins de vivre en ermite, les changements que nous voudrions opérer sur nous-mêmes peuvent affecter les autres. Cela peut être une réelle conséquence et cela peut créer des situations conflictuelles, jusqu’à risquer d’amener des ruptures. Alors parfois devant la difficulté, les conséquences, on renonce.
Nous avons plus de pouvoir sur notre esprit que nous avons de pouvoir sur notre corps. Nous sommes êtres de désirs, d’aspiration, de volonté plus ou moins potentielle.
Si je désire être un grand blond aux yeux bleus, je peux oublier ça ! Mais si je veux être plus avisé, plus sage dans mes décisions, plus modéré ; si mon identité, l’image que je renvoie de moi, ne correspond pas tout à fait à celle que je m’imagine montrer aux autres, il n’appartient qu’à moi d’y remédier ; encore faut-il que je ne sois pas totalement sourd
aux remarques mêmes gentilles, délicates qui désigneraient des points de faiblesse.
Nous voyons des choses chez les autres, des choses qu’ils ne sont pas en mesure de voir eux-mêmes. Bien sûr, que cela est valable dans l’autre sens.
Alors pourquoi changer ? « Pourquoi devrais-je absolument changer. Moi je me plais bien comme ça, je n’ai pas à me renier, etc. »,  c’est le discours  des personnes  qui sont satisfaites d’elles-mêmes, qui ne doutent pas,  (vous en connaissez peut-être) ; des personnes  qui disent  « – moi je suis comme ça, c’est pas aujourd’hui que je vais changer ». Là, la philosophie reste à la porte.
Et puis question subsidiaire, si vous aviez, demain matin,  la possibilité de vous changer vous-même, que changeriez-vous ?

⇒ J’ai réfléchi sur le « changer soi-même » et cela m’amené à penser que l’homme n’est pas fait pour vivre en ermite, et j’ai retrouvé cette citation de Paul Eluard : «  Nous avons inventé autrui. Comme autrui nous a inventés. Nous avions besoin l’un de l’autre ».
Pour changer il faut faire le point sur soi, faire preuve d’humilité, puis se regarder à travers les autres, écouter. Il ne s’agir pas de se regarder le nombril, se dire « ce n’est pas si mal ! Pourquoi est-ce que je changerais ? ».
Je pense que dans l’échange avec autrui, à condition qu’il y ait de la sincérité, il faut tâcher de retenir ce que l’autre nous renvoie de nous, et pourquoi on peut nous voir autrement que nous nous voyons. L’échange, dans ce domaine, peut être un partage de richesse.

⇒ Ce « peut-on » m’interpelle : Sommes-nous capables ? Sommes-nous en capacité de ? Et, est-ce que les circonstances permettent que ? Et puis, pourquoi changer et changer pour quoi ? Quelle est la cause ? Quel est le but ? Et si l’on pose la question, c’est qu’il y a le choix ? Et puis changer en bien, changer en mal ?
Bien sûr, et nous l’avons dit les circonstances nous font changer, nous font nous adapter, et là ce n’est pas de notre seule volonté. Quelle aura été la part d’autonomie dans ces choix de changement ? Y a-t-il eu un long mûrissement avant de changer ? Et enfin, quelle est la part de déterminisme, quelle est la part d’auto-détermination ?

⇒ Je reposerai la question différemment, soit » peut-on changer ce que nous sommes ? ».
Partant de là, j’avance l’idée que nous sommes tous des pièces uniques dans l’histoire  de l’humanité. Il n’est pas nécessaire de vouloir changer parce que c’est le caractère unique, avec nos défauts et nos qualités qui fait nos qualités intrinsèques.
Je crois, qu’Être, consiste à accepter ses défauts et ses qualités, à tel point qu’un psy. Christophe André a intitulé un ouvrage : «  Imparfaits, libres, et heureux » (sous-titre : Pratiques de l’estime de soi).
On ne peut s’arrêter au regard d’un individu, ni à différents regards d’un même individu ou de tous les individus, regards différents dans l’instant et dans le temps. Alors à vouloir changer en fonction de tous ces regards, on va devenir gravement schizophrène.
Alors, changer en regard de l’autre, est-ce pour être aimé de lui, mais a-t-on besoin de cet amour ?
L’idée de base, est, si nous sommes ce que nous sommes, cela nous amènera à être aimés par certains, et détestés par d’autres.
Alors pourquoi changer, tout court ? On naît avec un patrimoine génétique, on ne peut le changer, on arrive sur terre avec un héritage atavique, c’est comme l’ADN, on n’en change pas ou alors on va faire des transhumanistes. Vouloir changer pour s’améliorer participe à un certain eugénisme. Je n’ai pas besoin de vouloir m’améliorer.

⇒ Je réponds, non catégoriquement, parce que cette vie n’est qu’une évolution, involontairement nous évoluons, comme les plantes, les animaux, nous n’avons pas pouvoir.
On ne peut pas se rajeunir, je ne peux pas devenir : grande, blonde, et mince, pas plus que je ne peux prévoir ce qui nous fera évoluer dans un sens ou dans un autre. Notre évolution dépend d’un environnement, physique, sociétal, idéologique, et nous n’avons finalement peut-être pas de pouvoir sur les choix de nos idéologies, puisqu’elles sont elles-mêmes dépendantes de tout un environnement.
Donc, je dis qu’on ne peut pas « se changer ». En revanche on peut choisir une espèce de morale. Mais de là des difficultés peuvent apparaîtrent, parce que nous serons en désaccord avec une partie de notre environnement social, et là il faudra avoir la force de choisir. Mais je n’appelle pas ça, « se changer ».
Il nous faudra peut-être choisir plus ou moins librement le sens de l’évolution vers laquelle nous irons. Est-ce que nous aurons la force de maintenir ce choix ? On ne peut le prévoir.

⇒ Texte d’Hervé :
Ceux qui sont partis vers un nouvel univers, ceux qui ont pris le bateau pour aller vers un changement total, savaient qu’ils allaient transformer toute leur vie, se retrouver avec des activités très diverses, d’autres métiers, tout cela au gré des opportunités.
Ce furent « les pionniers »

 LA NOUVELLE FRANCE
Les pionniers

L e début de l’épopée est à Gaspé,
E xtasiés, éberlués, fascinés par l’immensité
S auvage, cette nouvelle terre est convoitée

P ar des étrangers venus d’un pays appelé France.
I ncités à immigrer, des Français viennent tenter leur chance :
O uvriers, agriculteurs, nobles, religieux vivent d’espérance
N avigant vers l’inconnu, avec courage et confiance.
N ouvelle, cette terre est accostée avec méfiance,
I ndiens de diverses tribus sont hostiles à cette ingérence.
E xplorer, récolter, construire se fait sans défaillance,
R ésistant à l’agression persistante, avec vaillance.
S ouvenez-vous Canadiens Québécois, c’était la Nouvelle-France.

⇒  Les remarques que nous font les autres sont souvent des projections d’eux-mêmes, ils vous reprochent leurs problèmes, il faut savoir d’où ils parlent. Ils ne demandent pas de se changer en fonction de ce qui nous est dit.
Les gens qui fuient un pays en temps de guerre, ou encore les juifs lors de la seconde guerre mondiale on dû changer d’identité, changer de nom, changer de lieux de vie, c’est là une véritable révolution intérieure, ça c’est un vrai changement de soi-même.
Par ailleurs, si on est sur l’idée qu’ « on pense mieux seul » (thème d’un récent débat du café-philo) on pense qu’on peut se changer soi-même. Si on est sur l’idée qu’ « on pense mieux à plusieurs », dans ce cas on doit répondre qu’on ne peut pas se changer seul.
Si on change, si on évolue dans ses différentes vies tout au long de son séjour sur terre, on suit toujours le même fil, celui de sa propre histoire.
Quand on rencontre une personne trente ans plus tard, on sait que c’est elle. Bien sûr, physiquement on a changé, on a pris des cheveux blancs, etc. mais fondamentalement cette personne reste conforme à sa réalité, il y a continuité de l’individu.

⇒ Rien n’est figé, tout se meut, ce sont les propos d’Héraclite ; l’Être est éternellement en devenir… Alors que Parménide lui parle de l’unité de l’Être, duquel on ne peut pas déduire  un avenir, l’Être pour lui, est immuable dans son identité.
Se changer, c’est souvent chez les philosophes signe d’abandon de soi, de renoncement pour aller vers la sagesse, vers l’ataraxie.
Mon sentiment est que nous devons avoir la maîtrise de nous, déjà pour nous protéger d’une société qui parfois nous aliène. Le ressort premier c’est la désillusion, une sorte de révolte intérieure, une non-acceptation des vérités imposées et qui ne font pas corps avec nous.

⇒ C’est toujours utile de rappeler les principes mêmes de la philosophie stoïcienne, surtout sur ce sujet de la puissance ou non d’agir sur les événements, et donc aussi d’agir sur soi.
En substance cette philosophie nous dit que : pour les choses qui ne dépendent pas de nous, il ne faut pas dépenser en vain, notre énergie, qu’il faut la conserver toute entière pour agir sur les choses qui dépendent de nous, je m’applique le plus possible ce principe si utile, et je le fait connaître. C’est là une grande sagesse.
Maintenant, je reviens sur la question initiale avec deux expressions :
Si je dis à une personne : « tu n’as pas changé ! » ce n’est pas forcément un compliment,
Si je dis à une personne : « tu as bien changé ! » ce n’est pas forcément un compliment.
Alors, oui ! Le monde il change, et même parfois, avec le poids des ans, il peut nous échapper, jusqu’à se dire que je ne sais peut-être plus m’adapter au changement. Alors, paradoxe : arrive le moment où le grand changement est ne plus pouvoir changer.
Par ailleurs, nous devons être conscient de l’extrême limite de notre pouvoir de décision sur les orientations ayant défini les changements au cours d’une vie, et nous ne pouvons évacuer la crainte qui a sa part dans ces choix, car changer comporte tant de risques ; on connaît l’expression : « Choisir, c’est quitter » ;

 ⇒ Nous avons la pression de l’environnement et on peut être obligés de suivre ; on peut aussi refuser ce que l’environnement nous impose et c’est parfois, une question de survie. Si on vous dit que : si vous n’arrêtez pas de fumer, vous allez vous tuer, c’est vrai  mais il reste que c’est à soi seul qu’il appartient d’agir, l‘environnement ne parvient pas seul à déclencher l’action ; c’est pareil pour toutes les addictions, alcool, drogue…

⇒ Créer, c’est faire sans cesse des choses différentes, c’est amener un changement en soi, ça permet de  voir autrement, de sortir du rituel, du répétitif. Dans la création on est obligé d’apporter de la différence, de la nouveauté, on est plus un soi-même figé, on a un nouveau regard, même sur soi.

⇒ Pour soigner les addictions, plus efficace que les proches, il y a des associations qui souvent aident à changer. On n’est pas le meilleur thérapeute de soi-même.

 ⇒ Certains vont changer de comportement, d’attitude ou même de raisonnement sous le fait de la pression des autres, de leurs amis, de leurs parents, de leur patron. Lorsqu’ils pensent qu’ils ont envie de changer en connaissent-ils les causes ?

⇒ Le changement on l’a dit, est toujours en devenir, ça me rappelle une formule électorale
«  Le changement c’est maintenant !»  Et bien, c’est toujours, maintenant, il n’y a qu’à attendre, …
Plus sérieusement, changer pour certains c’est abandonner ses habitudes, sortir de sa routine ; pour eux c’est perturbant, car le rituel peut-être rassurant, jusqu’à constituer un confort existentiel. A l’opposé nous avons des personnes qui ne peuvent vivre que dans le changement perpétuel ; on change sans cesse les meubles de place, on change de lieux de vacances, etc.
Je suis sensible au jugement des autres, cela peut même m’amener à changer, par contre, je me cabre si je sens qu’on veut me mettre sur les rails, et lorsqu’il faut décider je repense parfois à cette formule : « Pour prendre une décision, il faut être un nombre impair de personnes, et trois c’est déjà trop » (Citation attribuée à Clemenceau)
Le contraire de changer, ou de vouloir changer, c’est avoir peur. Je crois que nous sommes dans une société où l’on s’adapte plus qu’on ne change par soi-même. Je crois que la société avec son accélération, ses normes, ses usages, la bien-pensance, fait beaucoup de résignés, de timides, plein de gens qui n’osent changer.

⇒ « Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement que changer le pansement »  (Francis Blanche)

⇒ Dans ce sujet, il y a une question quant à la volonté. Est-ce qu’on maîtrise soi-même ses choix, ou est-ce que la bonne volonté ne suffit pas ? Et changer ça peut être parfois pour combler un vide, pour y remédier.

⇒ Nous avons d’un côté la pièce unique qu’on ne peut pas changer, qui ne veut pas changer, et de l’autre côté le besoin de l’autre qui va remettre en cause ce que l’on est ; c’est le mariage et le divorce.

⇒ « Les hommes se trompent lorsqu’ils pensent être libres, et cette opinion consiste en cela qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés » (Kant)

⇒ Lorsque Nietzsche écrit : « Deviens ce que tu es », est-ce une injonction au changement ? Si c’est pour aller à ce que vous êtes déjà, il n’y a rien à faire, il n’y a pas de changement à opérer.

⇒ Dans cette injonction de Nietzsche « Deviens ce que tu es » j’y vois plutôt : osez être vous-même, ne vous mettez pas vos propres contraintes, refusez d’être modelé par votre environnement, allez chercher votre personnalité, découvrez qui vous êtes.

⇒ On ne change pas sur ordre, on change parce qu’on en a envie. Si on me fait une remarque sur ma façon d’être, de me comporter, de parler, et si je me rends compte (souvent a posteriori) que c’est vrai, le changement n’appartient qu’à moi, qu’à ma volonté, sinon on tue le rôle de l’intelligence.

⇒ Est-ce que ce n’est pas que la volonté est toujours au service du désir ?

⇒ Je ne pense pas que je suis une pièce unique, je pense déjà que je suis multiple, parce que je ne me suis pas fait tout seul ; j’entends souvent dans des débats « ma singularité ! », ce terme est bien dans l’air du temps, il va bien avec l’individualisme, (parce que je le vaux bien) cette survalorisation de soi, me gène beaucoup.
Souvent je pense que j’ai changé sans m’en rendre compte, j’ai été influencé bien sûr par mon environnement, j’ai imité des modèles, voire, j’ai changé par simple mimétisme.

⇒ Je pense que nous somme tous uniques ; il n’y a pas deux êtres semblables, ni la même expérience, ni le même vécu. Nous sommes anatomiquement différents. Et on peut penser que parfois on change parce qu’on est sensible aux phénomènes de mode.

⇒ Ne pas vouloir changer, ça peut être ne pas vouloir vieillir, et c’est ce qu’on voit avec la chirurgie esthétique. Pour une femme c’est par exemple : se faire refaire le nez, se faire tirer les peaux, etc, parfois se transformer en « bimbo ». Le changement physique parfois tue la personnalité, les personnes ne se ressemblent plus, on voit « des têtes de grenouilles ».

⇒ Alors, pourquoi faut-il changer ? Je pense qu’il faut parfois changer parce que nous avons perdu des bonnes habitudes, ou changer parce que nous avons pris de moins bonnes habitudes. Il nous faut faire de temps à autre notre examen de conscience. On connaît la formule de Voltaire : même l’égoïste, et surtout lui, veut qu’on l’aime et pour cela il est prêt à faire les efforts pour mériter l’amour, l’affection, l’amitié des autres.
Aujourd’hui nous voyons plein de « petits malins » qui cherchent à exploiter ce besoin chez des individus de se sentir bien dans leur peau, d’être au-dessus de l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, de s’afficher en « battants », en « winners », des personnes qui ont besoin de se créer une personnalité qu’ils n’ont pas.  C’est le créneau du développement personnel. C’est le nouveau créneau des coachs. Êtes-vous « coachés » ? Non ! Alors ! Vous n’exploitez pas toutes vos possibilités, vous avez peut-être une super personnalité à développer.
Je dis ça, mais moi non plus je ne suis pas coaché, je suis réticent et en fait, j’ai peur de rentrer dans un costume qui ne serait pas adapté, de me raconter des histoires, de n’être pas moi, de me trahir peut-être, et puis il faut d’abord en ressentir le besoin. Et, dans ce domaine nous savons que des gens vulnérables se sont fait abuser, et y laissent  beaucoup d’agent en plus des désillusions.
Mais le coaching, ou encore les stages de Training (de formation),  peuvent avoir des effets positifs, amener une meilleure connaissance de soi, ainsi lutter contre ses points faibles, mesurer qu’on a encore des possibilités d’évoluer, une sorte de maïeutique,  aider à combattre une timidité qui vous gêne pour bien prendre ses marques dans un groupe, par exemple pour prendre la parole. La connaissance de soi peut se faire par un spécialiste de l’analyse transactionnelle, ou même une initiation à l’analyse transactionnelle.
Cela peut aider à trouver ou retrouver l’indispensable estime de soi, ce quatrième niveau de l’échelle des besoins dans la pyramide de Maslow.
Des entreprises proposent parfois ce genre de stage. Cela peut amorcer cette analyse de soi et aider à plus de confiance en soi : si je crois dans mes capacités, déjà j’augmente mes capacités.
Si l’on nous montre qu’il est des voies où nous pouvons évoluer plus favorablement, nos prenons consciences de nos possibles, des possibles que nous n’aurions jamais risqués : « Ne donnez pas aux gens le choix, mais la possibilité de choisir. Peu d’entre nous tolèrent le vertige de la pure liberté »  (La Déesse des petites victoires. Yannick Granneck)

⇒ Les mythomanes sur ce thème nous posent problème. Comment définir chez eux, qui décide dans les différentes personnalités ?

⇒ Les événements extérieurs peuvent être le moteur de changement chez les individus, j’en veux comme exemple, que j’ai pu observer, des personnes que des situations X, Y, vont mettre un temps sous les projecteurs de l’actualité, des médias, qui vont passer à la télé, avoir leur photo et des articles dans la presse, devenir personnage public. Pour ces personnes, leur personnalité propre se trouvera de fait être avalée par un personnage qui émerge d’eux, ils se retrouvent avec un nouveau costume, il faut rentrer dans ce nouveau personnage, et ensuite l’assumer. Ce nouveau soi valorisé dans le regard des autres prend peu à peu la place de l’être de base. Mais la notoriété ne dure pas éternellement, et là, retomber dans l’anonymat peut être ressenti  par certaines personnes, un peu  comme une perte de soi-même.
Alors y a t-il parfois, une perte de contrôle, ne serions-nous que le produit de toutes les contingences de notre parcours de vie ?
Où est le moi, que j’aurais déterminé par ma seule et unique volonté ? Aurait-il été meilleur ou pire ?
Je pense que l’adolescent que j’étais aurait été très surpris de se rencontrer dans l’homme de trente ans – de même que cet homme de trente ans serait surpris de rencontrer l’homme que je suis aujourd’hui.
L’écrivain et poète argentin, Jorge Luis Borgès,  écrit : « C’est la porte qui choisit », nous disant par là que nous ne choisissons que dans un petit nombre de chemins que nous offre le hasard d’une vie. On ne prendra jamais tous les chemins que la vie nous offrait.

⇒ On dit que pour certaines choses on ne décide pas, on est déterminés, déterminé par son passé, déterminé par ses goûts, son histoire, ses rencontres. Quand on décide seul de faire  quelque chose, c’est parfois à partir d’une idée  qu’on a oublié avoir entendue. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des synchronicités.

⇒ (Extrait de : La vie est-elle un roman. Café-philo. 27 09 06). Si ma vie est un roman j’aimerais connaître celui qui a écrit cette histoire… Histoire,  où j’ai parfois l’impression de jouer un rôle que je n’ai pas vraiment choisi; scénario que je découvre chemin faisant, chaque jour. Une question : cette histoire était-elle déjà écrite, ne serais-je que le personnage, jouant un rôle qui m’était défini, suis-je comme Macbeth « une ombre qui passe, un pauvre acteur, qui s’agite et parade une heure sur la scène… » Ou alors, pour être plus positif, et en accord avec l’existentialisme, suis-je l’auteur de ma propre histoire, suis-je réellement « les choix que j’ai faits, le choix absolu de moi », suis-je acteur et auteur de cette histoire ? Je n’ai jamais imaginé que je serais tel ou tel type d’individu, et de fait je suis, je ne suis, que « moi et mes circonstances ».

Idéalisme et matérialisme

                    Restitution du débat du 13 janvier 2016  à l’Haÿ-les-Roses

Détail de la fresque de l'école d'Athènes. Rapahël. 1509. Musée du Vatican

Détail de la fresque de l’école d’Athènes. Rapahël. 1509. Musée du Vatican

 Introduction : Guy Pannetier :
Les deux personnages sur la fresque de Raphaël, Platon et Aristote, sont souvent désignés comme le symbole de l’opposition entre : idéalisme et matérialisme.
On voit Platon qui de son doigt montre le ciel, exprimant en cela : tout est dans le monde des idées et que là est l’origine du monde, autrement dit dans la transcendance ;  soit, il existe un principe organisateur, un principe divin.
Aristote, lui, de la main montre la terre, signifiant par ce geste, les principes de la logique, de la réalité matérielle. Ce qui ne fait pas pour autant d’Aristote un philosophe classable dans les philosophes matérialistes.
Le matérialisme est le système philosophique le plus ancien, le premier système chez les Grecs. Il va naître dans l’école de Milet au 6ème siècle avant notre ère, avec des philosophes comme Thalès. Anaximène. Anaximandre, lesquels déjà ébauchent l’idée des atomes, et Anaximandre, évolutionniste avant l’heure, pense que l’homme provient d’une autre espèce, des poissons.
Ils seront suivis sur cette voie par Démocrite pour qui les choses se produisent « par hasard » et « nécessité »,  par Epicure, par Lucrèce qui dira que  « Rien ne naît de rien », puis avec les philosophes libertins érudits, Gassendi, et Offray de la Mettrie, le baron d’Holbach, Diderot, Marcel Conche, et jusqu’à nos jours avec des philosophes comme André Comte-Sponville, Michel Onfray, ou encore, Chomsky, et d’autres moins connus.
L’idéalisme, dont Platon est donné en référence, est, selon le dictionnaire d’éthique et de philosophie morale des PUF : « La thèse selon laquelle la vraie réalité consiste dans les idées, par opposition aux choses matérielles dont la réalité changeante et précaire, ne serait qu’apparente… »   Mais, comme pour le matérialisme, l’idéalisme a deux sens.
Le matérialisme au sens commun se définit aujourd’hui comme, un désir excessif d’avoir, de consommer, il devient un moteur pour accéder à « la bonne  vie», ou encore à ce « more money » dont les habitants  des Etats-Unis, disent qu’il participe au bonheur du peuple.
Le matérialisme (au sens commun du terme) c’est : A quoi ça sert, Quelle utilité ? Combien ça coûte ? Ce matérialisme n’a rien  à voir avec la philosophie matérialiste qui laisse toute sa place à la pensée, à la spéculation, à l’innovation, même à une spiritualité non religieuse.
En 1932, l’écrivain catholique Daniel-Rops écrit  dans « le monde sans âme » «  Notre civilisation est matérialiste, j’endends ce mot, il va de soi, non dans le sens que la  philosophie lui assigne… »
  Les plus grands détracteurs du matérialisme philosophique, sont parfois dans leurs comportements, leurs modes de vie, des plus matérialistes. L’individualisme, l’amoralisme, la cupidité, l’avarice et la pingrerie, n’ont pas besoin du matérialisme pour exister.
Le matérialisme, c’est partir de ce qui existe, de ce qui est scientifiquement démontré, ce n’est pas une croyance, ce n’est pas un dogme, c’est aussi accepter de ne pas connaître la cause de toute chose.
Le matérialiste cherche à remonter la chaîne des causes, quand l’idéaliste tient pour explication de toute chose, une cause première.
Le matérialiste cherche à connaître le « comment », quand l’idéaliste cherche à répondre au « pourquoi ».
En deuxième prise de parole, je défendrai l’idée qu’il ne peut y avoir, en toute raison chez l’individu, de matérialisme total ou d’idéalisme total.

Débat

 

Débat : ⇒ Je ne peux répondre que si je peux savoir ce que ces deux termes signifient, et notamment ce qu’ils signifient pour la relation au monde, pour ma relation aux autres, pour ma relation à moi-même.
Alors je vais commencer par dire que ces deux termes ont deux sens. Un sens trivial comme cela a été dit dans l’introduction, mais aussi, un sens philosophique, comme l’écrit André Comte-Sponville dans son dictionnaire philosophique « Au sens trivial, l’idéaliste est celui qui a un idéal, qui ne résigne pas à la réalité telle qu’elle existe, et l’idéaliste s’oppose au matérialiste, qui, lui, se satisfait de la réalité, et notamment des plaisirs matériels, il n’a pas d’autre exigence »
Donc au sens trivial, le matérialisme a une connotation péjorative, c’est celui qui se soucie des besoins de son corps, tandis que l’idéaliste prendrait soin de son esprit. Et pour ce dernier (l’idéaliste) son esprit est valorisé parce que l’être humain vivant humain, est, à la différence des autres vivants, le seul à étudier son histoire, à imaginer son avenir.
Si aujourd’hui, l’opinion commune semble se contenter de ne voir dans le matérialisme qu’une pensée qui n’a d’intérêt que pour les choses matérielles, c’est pour mieux laisser entendre, qu’il n’y a de valeur que dans une spiritualité qui dépasse la matière. Et c’est ainsi que s’exprime le philosophe Benoît Schneckenburger dans son ouvrage excellent « Intelligence du matérialisme ».
Alors, en ce sens trivial, j’opte pour être idéaliste au sens trivial, car j’ai toujours vécu, et je vis encore avec, d’abord le sentiment et ensuite la réflexion qu’il me faut contribuer à changer l’ordre établi, celui de l’exploitation de l’homme par l’homme, celui de l’oppression des femmes, et celui de la prédation  de la nature.
Et, en ce moment en France, a fortiori, dans le manque de perspectives pour orienter nos vies qui nous désespère, je compte bien sur les générations de mes petits-enfants pour réenchanter le monde, pour avoir une idée du monde à venir.
Mais, l’idéalisme par ailleurs caractérise la pensée occidentale, puisqu’il est à l’origine et le moteur de son histoire. Il est cette origine avec Platon au 5ème siècle av. J.C., et en effet il stimule la pensée, et le désir de réfléchir, c’est ce que j’apprécie dans l’idéalisme au sens philosophique.
Mais, pour le préciser, je voudrais vous raconter l’allégorie de la caverne qui se situe au début du livre sept de « La République ». La question qui est posée par Platon est de savoir ce que c’est d’être juste, ce que c’est d’être juste en tant qu’individu, ce que c’est d’être juste dans la cité. Platon alors, nous raconte : que nous sommes tous prisonniers attachés par le cou à la paroi d’une caverne, et que nous ne pouvons tourner la tête. La caverne est illuminée par un feu à l’intérieur et le long de son ouverture est construit un petit muret. A l’extérieur de la caverne sont les réalités, c’est-à-dire les humains, les animaux, les plantes, les choses, tout ce qui existe, et également le soleil qui éclaire ces réalités. Comme nous sommes tous prisonniers dans la caverne et que nous ne pouvons pas tourner la tête, nous ne voyons que les ombres de ces réalités projetées sur la paroi de la caverne, et nous ne les voyons que du point de vue où nous sommes, c’est la raison pour laquelle nous nous disputons à l’intérieur de la caverne.
Pourquoi ? Parce que nous pensons que nos opinions sur les réalités sont des vérités, alors que ces opinions sont fonction de notre point de vue, de notre place dans la caverne…
Donc l’idéalisme a pour postulat que les vérités et les valeurs, sont fonction de l’esprit qui les recherche, et soit les retrouve, soit les construit par un travail de la pensée, à condition de le vouloir, et indépendamment des conditions d’existence dans lesquelles il se trouve. En ce sens j’adhère à l’idéalisme qui postule l’égalité des êtres humains. en matière d’intelligence et de capacité  de réflexion. J’adhère aussi au projet de trouver des valeurs et des vérités, des valeurs universelles.
Néanmoins parce qu’il faut aussi comprendre les réalités que nous vivons, je me raccroche à la deuxième thèse sur Feuerbach de Marx, matérialiste. Cette deuxième thèse est la suivante: « Jusqu’ici les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est le transformer » . Autrement dit, contre l’idéalisme qui domine toute la philosophie occidentale, les philosophies sont des systèmes d’idées pour interpréter le monde, le matérialisme réfléchit pour le connaître.
C’est en ce sens que je me raccroche au matérialisme.

⇒ Dans l’introduction on a associé le « pourquoi » à l’idéalisme, et le « comment » au matérialisme, et la première question qui est posée par les enfants, c’est : pourquoi ? Et c’est bien plus tard que le « comment » arrive.
Le « comment » je l’ai associé comme l’éveil scientifique chez l’enfant, il cherche à savoir comment les choses se passent, comment ça fonctionne, ce n’est pas encore du matérialisme.
Alors si l’on répond bien avec les enfants, peut-être qu’on influencera ses choix futurs entre le « pourquoi » idéalisme et le « comment » matérialisme.

Je trouve que le mot idéalisme est mieux perçu que le mot matérialiste, parce que l’idéalisme est porteur de quelque chose de nouveau, alors que pour le matérialisme il y a une perception triviale, ça fait partie de ces mots pervers.
En pensant à la thèse de Marx sur Feuerbach, je me dis pourquoi, et jusqu’où, est-ce qu’il n’arrive pas à un moment où par la transformation des hommes, nous la société, nous voulons prendre la place de Dieu.

⇒ On tourne souvent dans le débat philosophique autour de ce sujet, tel le débat sur la citoyenneté universelle, un univers kantien qui découle d’une forme d’idéalisme, ou plus récemment le thème de l’émigration, des exilés. Chaque fois nous sommes partagés entre ces deux notions, l’idéal qui vient du cœur, et puis les aspects matériels qui viennent de la raison.
Les philosophes sont souvent des idéalistes, au sens courant du terme, parfois un peu rêveurs, mais avec, il le faut bien, les pieds sur terre.

 ⇒ J’ai entendu que le « comment » chez l’enfant était l’éveil scientifique. Je crois qu’il ne faut pas opposer l’idéalisme et la démarche scientifique, les deux sont intimement liés.   Dès le départ d’ailleurs, le début de la philosophie, les grecs  parlent de la philosophie de la nature, on est déjà dans l’esprit scientifique. Quand Marx a passé sa thèse de doctorat sur le sujet du matérialisme, il le fait sur les différences de la philosophie de la nature entre Démocrite et Epicure qui sont deux matérialistes. Epicure disait que l’âme n’est pas une entité spirituelle, qu’elle est faite d’atomes. C’est une réalité physique :; toutes nos connaissances dit ce même Epicure, viennent de nos sensations, ce qui sera repris par Diderot et Condorcet. Les scientifiques aujourd’hui ont une démarche qui est celle de la première pensée matérialiste, ils ne disent jamais le « pourquoi », ils cherchent à dire le « comment », et chacun a le droit de dire son « comment » à lui.
Donc je pense que c’est essentiel de bien comprendre que la recherche scientifique  fait partie de la démarche tant idéaliste que matérialiste. Rien n’étant figé, une vérité d’aujourd’hui peut être détruite demain.

J’ai bien entendu que la philosophie matérialiste se retrouve dans la démarche scientifique. Depuis cette démarche scientifique, on va pouvoir comprendre la nature, or, en fait, je pense que le pari de la science c’est exactement le contraire. Il y a un philosophe des sciences Alexandre Koyré qui dit que le pari de la physique c’est de comprendre le réel par l’impossible.
La question d’un sujet du bac était : «  Peut-on avoir raison contre les faits ? », et la réponse est clairement, oui. C’est-à-dire que si nous devions nous baser que sur les seuls faits, nous n’aurions jamais avancé dans les sciences.

 ⇒ Einstein a permis un progrès énorme parce qu’il a refusé que le monde soit comme il est. Donc le scientifique matérialiste peut être assimilé en certains cas à un idéaliste. Nous avons en mémoire la phrase de Voltaire qui nous dit que ce ne serait pas possible : « …que l’horloge existe et n’ait point d’horloger ».
En même temps la démarche scientifique matérialiste, c’est de dire : le monde n’est pas fait que de concepts, il est fait aussi de réalités concrètes, et ces réalités concrètes on va essayer de les découvrir.
Quand on s’intéresse à l’histoire des sciences, on constate que le travail scientifique commence toujours par une hypothèse, toujours par la question : et pourquoi pas !   Torricelli, Pascal, Pasteur, ont répondu à cette question du « pourquoi pas ». Donc c’est d’abord une démarche idéaliste, puis c’est le matérialiste qui va expliquer, démontrer, expérimenter.

 ⇒ Revenant sur la démarche de Marx, sa volonté est prométhéenne, faisant de l’homme un Être capable de se substituer à Dieu. En ce sens, je suis d’accord qu’aujourd’hui dans notre société occidentale, comme le dit le philosophe Marcel Gauchet, les religions ne structurent plus le monde. Effectivement les hommes pensent être acteurs de l’Histoire, et s’imaginent  comme cela a été avancé,  être, comme des dieux.
Et puis, il me semble que pour la vie quotidienne, il faut être à la fois, idéaliste, au sens qu’il faut avoir un idéal et je ne me conçois pas sans cette possibilité, et en même temps, je me réfère à la « lettre à Ménécée » d’Epicure, matérialiste, quand il accepte « le hasard et la nécessité », et qui à partir de là, propose une éthique faite de  : ne pas craindre la mort, ne pas craindre les dieux, le plaisir c’est l’absence de douleur, l’absence de trouble de l’âme, réfléchis à ce qui est bien pour toi, et alors tu vivras comme un dieu parmi les hommes.
C’est un matérialisme ontologique, au sens où tous les Êtres, tout ce qui existe, est fait de matière, et de hasard.
Donc l’histoire de chaque Être obéit aux lois de la matière (tels les atomes) et  il n’y a pas de destin. Quoi de mieux pour orienter son existence.
Je vois que la période contemporaine est marquée par une progression du matérialisme philosophique. On retrouve ces thèmes dans l’ouvrage récent de Michel Onfray « Cosmos » dont le sous-titre est « Une ontologie matérialiste ». Il développe les thèmes du matérialisme : le monisme, le panthéisme, le bio centrisme, tous ces thèmes opposés au dualisme, et aux monothéismes.
Donc le matérialisme philosophique est plus présent, mais la question se pose alors : pour aller où ? Pour quoi faire ? Avec quelles perspectives ?, et là on ne peut répondre.

 ⇒ L’idéalisme philosophique est surtout d’hier, voire plus. Combien d’impossibles devenus possibles depuis la théorie platonicienne, combien de démentis aux vérités révélés : l’âme est devenu l’esprit, le cerveau avec les neurones, les synapses, toute sa géographie, à quoi s’ajoutent dans ce seul domaine,  les terribles avancées des neurosciences.
Puis je reviens sur le fait qu’il ne peut y avoir en toute raison chez l’individu de matérialisme total, pas plus du d’idéalisme total, ou alors du scientisme à l’intégrisme.
Par exemple, Michel Onfray est classé matérialiste, dans son dernier ouvrage, « Cosmos » où sa réflexion est souvent loin du matérialisme ; on peut y voir une spiritualité cosmique, un matérialisme qui n’est pas une maison fermée à double tour, sans fenêtre, et sans lumière.
Autre exemple : une société comme la franc-maçonnerie souvent cataloguée comme essentiellement matérialiste, n’en fait pas moins  référence à de très nombreux symboles, au « grand architecte de l’univers ». Ce principe peut être, pour certains francs-maçons un principe relevant du divin, pour d’autres, un principe symbolique d’unicité du monde physique, mais dans les deux sens, nous avons là, un aspect idéaliste.
Supposer que la nature, dont nous faisons partie, ne soit que matière, ou ne soit que représentation  de ce qui nous est inconnaissable – car de nature divine – est une prise de position très manichéenne, c’est blanc ou c’est noir, et là, ce n’est plus philosophique.
Par ailleurs nous avons dépassé l’idéalisme cartésien, ou même l’époque de Leibnitz qui parle de deux catégories de philosophes : les idéalistes qui soutiennent l’idée de l’âme sans corps, ou, des matérialistes qui seraient, le corps sans âme. Nous ne pouvons plus penser que l’âme, ou l’esprit, existerait sans le corps ; l’idée ne peut se construire hors d’une réalité physique, ce n’est pas le toit qui porte la maison….
Je suis philosophiquement matérialiste, et je ne pense pas, et même, je ne veux pas penser, imaginer, qu’on puisse tout expliquer de ce monde.
C’est prendre le matérialisme pour une religion que de penser, ou laisser à penser, qu’il se propose d’expliquer toute chose, que tout mystère va disparaître, que le matérialisme va « désenchanter le monde ».
Le matérialisme veut que l’homme pense par lui-même, qu’il cesse de se laisser influencer par  des idées spéculatives, des idées toutes prêtes, qu’il éduque ses enfants pour qu’ils soient libres de toute contrainte ; contrainte sectaire, politique ou religieuse. Le matérialisme n’est pas une façon de vivre, ce n’est  pas un « prêt à penser », ce n’est qu’une façon de penser.
Les concepts : idéaliste et matérialiste peuvent cohabiter chez certaines personnes. La plus grande opposition reste chez les religieux fondamentalistes ou intégristes, ou chez des personnes reprenant les mêmes propos, ceci se remarquant dans l’usage systématique du terme, (de la tautologie) : « matérialiste athée ».  L’athée est forcément matérialiste au sens philosophique, où alors, avec cette expression, on est dans la stigmatisation, la méchanceté. Cela me semble aussi incohérent que si l’on parlait de « matérialiste religieux »  La haine des intégristes va parfois jusqu’à associer le matérialisme philosophique au Stalinisme, aux crimes du totalitarisme communiste, de même pour le nazisme dont il serait responsable. Dans son livre : « Le matérialisme » Olivier  Bloch écrit : «  Que le matérialisme soit athée n’a de sens qu’à l’intérieur d’une perspective religieuse. Du point de vue du matérialisme adulte, la question ne se pose pas en ces termes. Le matérialisme n’est pas la négation de Dieu, il est simplement étranger aux domaines où l’on est susceptible d’en parler »  
   Les tenants de l’idéalisme, sont parfois vent debout devant des avancées scientifiques, telles ces neurosciences, lesquels ne prônent en aucune façon « l’homme machine »
Je me méfie tout autant du scientisme, matérialisme dévoyé, que des théories des créationnistes, idéalisme dévoyé

⇒  Même si la démarche scientifique st matérialiste, ce qui l’a rendue efficace c’est justement qu’elle a su limiter ses ambitions, c’est-à-dire que la science n’est pas là pour tout expliquer. La science va expliquer « ce qui est » pas « ce qui doit être », même si elle se cantonne à l’immanent, hors toute cause première. On a expliqué la relativité, on a expliqué la gravitation, la pesanteur, etc. mais pas l’amour, mais pas la morale…

⇒ Ma question est plus dans l’idéal, dans la poursuite d’un idéal, entre l’attendre et y parvenir.  Est-ce que l’idéal a vocation à être atteint

⇒  Démontrer que l’impossible est possible, est-ce que ce n’est la définition au sens courant de l’idéalisme ? On se dit ce n’est pas possible que bien des choses qu’on espère ne puissent arriver.

⇒ Quand on parle d’idéalisme, inévitablement on glisse vers l’idéalisme au sens courant, alors que la définition c’est : l’idée avant la matière, ou, c’est la matière qui est avant l’idée.
Dans la dialectique matérialiste on anticipe quelque chose qui devrait être. Il n’y a pas de recherche d’idéal dans l’idéalisme philosophique, là il n’y a pas d’absolu.

⇒ Le scientifique n’est pas obligatoirement que matérialiste. Sorti de son labo, le dimanche matin, il met son petit chapeau, et il va à la messe. Le voilà idéaliste, vénérant une puissance divine.
Et puis la question a été posée : c’est quoi l’idéal, et cet idéal a-t-il vocation à être atteint ?La philosophie nous donne des allégories qui nous parlent mieux que de longs discours. Ainsi,   Cicéron avec l’image du tireur à l’arc répond à cette question.
L’idéal pour le tireur à l’arc est de toucher le cœur de la cible, la mouche. Pour se faire, il  concentre tout son esprit, toute son énergie, il utilise ses sens, calcule la force du vent, etc. Et c’est justement dans cet acte volontariste que se trouvent ensemble,  l’idéal et sa quête. Ce qui importe ce n’est pas de toucher la mouche, ce qui importe c’est la volonté, les moyens mis en œuvre, c’est la philosophie stoïcienne qui est aussi idéaliste.

⇒ Je reviens sur cette question, l’idéal a-t-il vocation à devenir réalité ? Je crois que là aussi il y a différents niveaux. Il y a l’idéalisme qui dit, le monde est ainsi fait, je crois qu’il est comme ça, et puis il y a l’idéalisme qui consiste à dire, ce que j’aime bien je voudrais que ça arrive. Guillaume d’Orange  a dit ; «  Point n’est nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
Quand on poursuit un idéal, effectivement, on peut se dire ça n’a pas forcément une nécessité de devenir une réalité. Si on constate une petite amélioration, on se dit, ah, j’ai un petit bout de chemin vers mon idéal, c’est ce qui le fait subsister.
Dans le matérialisme, il y a plusieurs niveaux, la démarche de Marx c’est le matérialisme historique. C’est le premier qui dit l’Histoire a un sens, elle a fait les sociétés. Il se dit, je vais examiner un objet qui s’appelle la société, et à partir de ça je vais en déduire des lois. Après Marx les bonds en avant dans la sociologie sont absolument énorme. Pourquoi ? Parce qu’il a introduit la notion d’Histoire dans le matérialisme, il a sa démarche, ses chemins, et la notion historique en est une. Althusser qui est dans la démarche marxiste dit faire de la philosophie, c’est faire  « la lutte des classes » dans la théorie des idées.

⇒ Si on part de l’idée qu’il y a toujours eu des guerres et qu’il y en aura toujours, c’est une extrapolation à partir de la réalité. Donc, il faut voir tous les éléments : il y a des analyses qui relèvent de la démarche matérialiste et qui consistent à dire qu’effectivement il faut analyser les faits, et à partir de là, on est dans le pessimisme de l’intelligence, ou alors on est dans l’optimisme de la volonté qui dit qu’effectivement on peut changer les réalités, et là on est dans une attitude idéaliste.

Œuvres citées :

Livres

Cosmos. Une ontologie matérialiste.  Michel Onfray. Flammarion 2015 ;
La République. Platon.
Le matérialisme intelligent. Benoît Schneckenburger. Ed. de l’Epervier 2015
Thèse sur Feuerbach. Karl Marx. PUF.
Le matérialisme. Olivier Bloch. Que sais-je ? 1985

 

 

 

 

 

L’amour, quel amour ?

               Restitution du débat du 9 décembre 2015 à Chevilly-Larue

Edouard Manet. Chez le père Laluile. 1879. Musée des beaux-Arts de Tournay.

Edouard Manet. Chez le père Laluile. 1879. Musée des beaux-Arts de Tournay.

Animateurs : Edith Deléage-Perstunski, philosophe.
Guy Pannetier.  Danielle Vautrin.
Modérateur : Serge Carbonel
Introduction : Guy Pannetier

Introduction : Après l’horreur du 13 novembre, l’amour dont je parlerai en premier, est l’amour de mon prochain, cet amour du genre humain que l’on nomme aussi  philanthropie,  c’est l’amour qui nous manque le plus. Ce fut,  une fois de plus dans l’histoire, l’amour d’un dieu qui se substitue à l’amour des hommes, et qui se transforme en haine de l’autre. Je préfère et je retiens cette belle définition d’Edgar Morin « L’amour est notre seule vraie religion ».
Après ce nécessaire rappel, et tout à la fois hommage aux victimes, nous allons, car il reste toujours l’amour de la vie, évoquer tous ces aspects de l’amour: ce que nous aimons – qui nous aimons –  comment nous aimons.
Au cœur du sujet, et c’est bien du cœur dont il s’agit, l’amour Eros est incontournable, le dictionnaire d’éthique et de philosophie  morale, des Presse Universitaires de France, donne une définition intéressante : « L’amour (Eros) est la plus puissante, et la plus caractéristique des émotions humaines par sa capacité à donner, de façon souvent assez soudaine, un sens à la vie, à infléchir, orienter et parfois façonner les perceptions, les pensées et même les actes… On décrit souvent l’amour comme la plus irrationnelle des émotions. »
Et c’est parce qu’il est source des plus grandes, des plus puissantes, et des plus belles émotions qu’il est symbolisé par le cœur, ce cœur qui s’emballe, qu’on ne contrôle plus quand « on tombe en amour ».
Et c’est bien parce que c’est une émotion, émotion qui (pour le dire comme Spinoza) toujours précède les sentiments, qu’il échappe à notre contrôle, qu’il échappe à la raison comme à la morale, qu’il est du domaine de la psychologie des sentiments, c’est pour tout cela qu’il n’en finira pas de nous passionner.
Pour le philosophe Husserl l’amour crée de la transcendance dans l’immanence, c’est pour lui une dimension sacrée ; « Sans ce penchant pour une personne / l’Être aimé. / Sans les ailes que ça vous donne, / d’être aimé. / ….On reste au ras des pâquerettes ».  (Alain Souchon)
L’aspect irrationnel de ce « grand ressort de l’existence », cette exaltation  nous fait parfois sortir de nous, peut nous mettre « hors sol », et alors nous expérimentons des moments sublimés, irremplaçables. Et que cet amour ne soit pas éternel, qu’importe, il aura été vrai, il aura été pur à l’instant où il fut ainsi ressenti.  Que de romans, sur le thème de l’amour, que d’épopées, de poésies, que de chansons, que de films, de tragédies, ont colonisé notre conscience : d’Héloïse et Abélard à Phèdre, et même jusqu’à Pretty woman, se construit en nous cet édifice précieux, virtuel,  du sentiment d’amour.
Le débat philosophique fait appel à la raison, et là nous traitons d’un sujet de déraison, alors l’amour serait-il les vacances de la raison? « Quand vous êtes amoureux » écrit l’auteure Katherine Pancol, dans « Les yeux jaunes des crocodiles, « vous avez 90% du cerveau qui ne fonctionne plus »
Je n’aborde là qu’un aspect de l’amour,  l’amour passion,  l’inclination sexuelle, l’amour romantique, alors qu’il est bien sûr d’autres formes d’amour.
Par exemple, le dictionnaire Lalande donne aussi comme définition : «  Nom commun à toutes les tendances attractives.., tel l’amour des parents, des enfants, et toutes inclinations individuelles… », J’ajouterai que si on passe du substantif « amour » au verbe aimer, la polysémie du verbe ouvre des champs divers.
Et enfin, pour ne pas déflorer le sujet, je vous laisse le soin également d’évoquer, et, cet aspect de l’amour, et toutes les formes d’amour.
Et maintenant, –  parlez-nous d’amour !

Débat

 

Débat : ⇒ L’amour ça nous est indispensable, c’est comme la passion, quelqu’un qui n’a pas de passion est quelqu’un qui ne vit pas ; il faut de l’amour, l’amour de ses enfants, de ses petits enfants.

⇒  Même face à la violence, face à la haine, à la terreur meurtrière du 13 novembre, la réponse du gouvernement a été lors d’un hommage de faire entendre des chansons, celle de Barbara (Perlimpinpin) et de Jacques Brel (Quand on n’a que l’amour). Des chansons d’amour qui nous rassemblent, qui nous unissent, qui nous encouragent.
L’amour du prochain est au fondement de toutes les religions et on sait comme les religions peuvent induire dogmatisme et fanatisme et guerres. La question est donc comment éduquer l’enfant à l’amour du prochain ? Et dans la foulée comment éduquer l’enfant à l’amour ? Ce qui implique que, le sentiment d’amour n’est pas naturel à l’être humain. J. J. Rousseau, dans Le Discours sur les fondements et l’origine de l’inégalité (en 1750), écrivait que seule la pitié, c’est à dire le sentiment de reconnaissance de l’autre humain comme semblable est naturel. C’est ce qu’on nomme aujourd’hui l’empathie. Et je reprends à mon compte cette idée. Je viens de lire dans Philosophie Magazine de décembre 2015, une interview d’Elisabeth Badinter à propos du terrorisme Elle soutient que l’amour maternel n’est pas inné mais le résultat d’une éducation ou/et d’une transmission
Ce que j’en retiens c’est qu’il faut éduquer à l’amour.
Mais qu’est ce que l’amour?
Dans le «  Banquet », un dialogue de Platon, les convives autour d’une table, après avoir bien mangé et bien bu s’interrogent: Qu’est-ce que l’amour? Chacun donne son opinion et l’un des convives, Aristophane, parle de l’amour en s’inspirant du mythe d’androgyne  qui raconte l’origine de l’amour.  D’après la mythologie grecque nos ancêtres étaient doubles. Chacun est un tout sphérique comme un oeuf avec quatre mains, quatre jambes, deux têtes et deux sexes. Il y a donc trois genres : le masculin avec deux sexes masculins, le féminin avec deux sexes féminins, et l’androgyne avec un sexe masculin et un sexe féminin .Un androgyne est formé de deux êtres de sexes opposés couplés ensemble. Deux êtres en un seul. Fiers de leur double nature, les Androgynes voulurent défier les Dieux, et notamment Zeus, en tentant d’accéder au royaume des Dieux. Ceux-ci, en colère, et par la voix et les éclairs de Zeus, décidèrent de punir les androgynes en les séparant en deux êtres distincts. Ainsi seraient nés les hommes et les femmes tels que nous sommes aujourd’hui. Les Androgynes séparés furent bien tristes et entreprirent de se retrouver. Leur quête était généralement longue. Le mythe dit que l’amour ne serait qu’un sentiment de manque de cet état d’unité entre deux êtres. Ainsi, l’âme sœur, l’être aimé, pourrait être la partie de l’androgyne qui vous a été enlevée par la colère des Dieux Grecs. Un mythe pour décrire ce qu’est l’amour, et qui, finalement, représente bien tout ce que l’on peut ressentir lorsqu’on a trouvé l’âme soeur …
Mais comme un mythe raconte une fable parce qu’il répond à la question de l’origine, à laquelle on ne peut répondre rationnellement, Socrate va tenter de raisonner à partir des opinions émises par les différents convives. Il expliquera que l’amour est certes une quête, une recherche mais non pas de l’autre moitié mais d’une Idée. Quand nous aimons les beaux corps (parce que l’amour rend beau, fait voir le corps aimé comme beau)  tout se passe comme si nous désirions le Beau, l’Idée de Beau. C’est pourquoi l’amour est insatiable parce qu’il est recherche d’un absolu. Et aussi l’amour fait voir la noblesse de l’être humain L’expérience de l’amour est l’expérience d’une relation ou plutôt d’une tension vers ce qui me transcende,  d’une tension vers un idéal, vers des Idées.….

⇒  Comme cela a été évoqué, il y a bien des formes d’amour : celui de la famille, de la nature, jusqu’à l’amour de l’argent. Je voudrais évoquer quatre formes d’amour : Amour familial, amour du prochain, l’amour passion, et amour conjugal.
L’amour familial se transmet de générations en générations, c’est un sentiment profond qui allie : amour, tendresse, et confiance.
L’amour du prochain, celui qu’on reconnaît, l’autre nous, cet amour ne nécessite pas forcément un contact, il peut être manifesté par un simple regard. C’est un sentiment de considération, de respect, de considération qui induit respect et gentillesse. S’il s’agit d’amitié, alors s’y ajoute l’affection.
Lorsque ce sentiment est très fort, il peut se définir comme amour passion ; passion ardente et dévorante, comparable à un incendie, on lui donne aussi le nom de coup de foudre, cette attirance  souvent inexpliquée.
L’amour conjugal pour Platon est « l’amour désir », pour Spinoza, c’est « une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure », et pour Aristote, « aimer, c’est se réjouir ». Je pense que c’est un peu des trois, car quand on aime, il y a toujours une cause extérieure, l’amour est bien une forme de désir et de partage de sentiments tendres avec l’autre.
L’amour conjugal résulte d’un sentiment intense partagé entre deux êtres, et qui allie l’attirance physique et la tendresse.
L’amour conjugal ne peut résister à l’usure du temps que dans la mesure où il s’exprime en respectant l’identité de l’autre, et ne doit pas emprisonner l’autre. La priorité dans l’amour conjugal c’est de savoir le nourrir et de savoir parfois faire des concessions Il ne peut s’épanouir que dans un climat basé sur une confiance réciproque, c’est la nécessité d’un partage ; on n’aime pas seul.

⇒  Mais alors le coup de foudre, est-ce un piège ; j’ai appris récemment qu’il était basé sur quelque chose de chimique, que ce n’était qu’un échange de phéromones.

⇒  Je reviens sur l’expression, on ne peut pas aimer seul. Il y a des moments où la réalité de la vie fait que parfois on peut aimer seul, on aime seul parce qu’il n’y a pas de retour, et puis parfois dans la souffrance, souffrance qui peut être des deux, parce qu’il en a un qui ne veut pas de cet amour. Je me souviens d’avoir eu à travailler en cours de philo sur cette phrase : « je t’aime ! Est-ce que ça te regarde ? (Heine),. Moi si j’aime quelqu’un qui ne veut pas de mon amour, ça me regarde. .
Quant à la recherche de l’absolu en amour, cela m’a fait penser à Van Gogh, lequel quand il aimait, était dans une recherche folle d‘absolu. Dans une lettre à Théo il écrit : « Chez l’être qui n’était pas amoureux et qui le devient, il se produit la même métamorphose que dans une lampe qu’on allume. La lampe était là et c’était une bonne lampe. Maintenant elle répand sa lumière. C’était pour ça qu’elle était vraiment faite ». Il dit qu’il faut que chaque être humain répande sa lumière.

⇒  En plus des différentes formes d’amour évoquées, il a aussi la question d’âge. Je  pense qu’on n’aime pas pareil à toutes les étapes de la vie, et c’est un lieu commun de dire que l’amour dans un couple évolue vers la tendresse. Au départ on est jeune, on est tout fou, c’est Pornoria puis Eros, après c’est Philia, l’amour du prochain, Agapée l’amour spirituel et enfin il y a l’amour sagesse, Sophia.
Donc, ces étapes de l’amour, finalement on est amené à les vivre au cours de sa vie, avec différentes personnes, ou une même personne ; on évolue dans son comportement psycho affectif, on n’aime pas à soixante ans comme on aime à dix huit ans, on a compris bien des choses et on a envie de partager tout à fait autre chose. J’aime plus profondément aujourd’hui à mon âge, qu’à dix huit ans.
Pour un individu donné l’amour c’est quelque chose d’évolutif.

⇒  On a parlé concernant l’amour filial, d’un sentiment qui n’était pas forcément inné. Cela pose la question de l’enfant qui n’ayant pas reçu d’amour, serait dans l’incapacité de donner plus tard de l’amour. Ce sentiment d’amour filial est plus un sentiment affectif inné que sentiment acquis
Il y a des individus qui sont totalement indifférents aux autres, des individus incapables de donner de l’amour, et ce n’est pas forcément parce qu’ils ont été privés d’amour dans l’enfance.
Et puis, comme on l’entend parfois, l’amour de soi, est-il le point de départ de l’amour des autres, ou, voire, est-il une barrière ? Une femme disait à son mari : – je t’aime ! – moi aussi, répond le mari, « Je m’aime ! ».
Et je reviens sur le mythe de l’androgyne, de l’individu qui recherche sa moitié perdue. Il y en a qui ont dû être coupés en plusieurs morceaux, c’est pourquoi ils sont à la recherche de tous les morceaux.
Et puis, plus sérieux, je pense au drame du Bataclan le 13 novembre, à cette vague d’émotion, et cet amour des autres que soudain nous avons découvert. Cela nous ramène à cette déplaisante approche de « je préfère mes filles à mes nièces… » et pose cette  question pourquoi nous avons plus d’amour et d’émotion pour des victimes à Paris et moins d’amour et d’émotion pour des victimes à plusieurs milliers de kilomètres ? L’amour ne suit pas de processus logique.
Et enfin, revenant sur le coup de foudre, les explications fournies par les neurosciences ça m’intéresse vivement, mais ça m’ennuierait terriblement qu’on puisse analyser scientifiquement le coup de foudre.

⇒  Je me souviens d’avoir lu un ouvrage «  Pourquoi l’amour ne suffit pas » où l’on parlait de l’amour maternel auquel même les animaux ne renonçaient pas.
Il y a plusieurs siècles les dames de la grande noblesse se devaient de ne pas élever leurs enfants, ne pas avoir de contacts charnels avec eux, (même si elles choisissaient des nourrices qui leur  paraissaient proches de leurs sentiments) ceci afin que les enfants ne soient pas sensibles.
De même on a montré des cas qu’on nomme « hospitalisme », cas d’enfants, d’orphelins recueillis à l’hôpital, pour lesquels on demandait aux infirmières de refreiner les sentiments d’amour, ne pas se substituer à des mamans, pour ne pas les mettre ensuite en danger psychologique.
La notion de manque d’amour est très importante tout au long d’une vie, et c’est surtout dans l’enfance que nous avons le plus ce besoin d’amour.
Je reviens aussi sur le coup de foudre, ça peut être interprété  comme la rencontre de soi en l’autre, cette attirance peut évouer vers le coup de foudre, presque une foi dans l’autre, jusqu’à quelque chose qui nous échappe totalement.

⇒  On a évoqué l’amour romantique et l’amour courtois, lequel n’existe que parce que les troubadours l’ont transmis. Les troubadours du midi, eux, lorsqu’ils parlaient de l’amour courtois, ne parlaient pas de la femme, mais de l’Occitanie, c’était un code, c’était ce désir de retrouver « la Terre », dont celle du pays Cathare.
Sur ce mot amour on met des dizaines de choses, jusqu’à dire pour certains, l’amour et l’amitié c’est pareil. Si on met autant de chose derrière ce mot amour, il perd son sens,  et l’amour alors ne signifie plus que ce l’on veut, ce que l’on désire.
Et puis, je reviens sur cette idée émise que les sentiments d’amour pourraient n’être que des échanges chimiques. Ce n’est pas parce que les sciences nous expliquent des choses sur le fonctionnement que cela n’existe plus, le coup de foudre reste le coup de foudre, qu’il soit émanation de phéromones ou pas ! Il ne faut pas enlever la beauté ! Ce que nous apprend la science de l’être humain, ne doit nous amener à dire : oh ! Finalement on n’est que de la matière animée, chimique, et rien d’autre ! Non ! Tout ce qui existe : l’amour, la haine, la pitié, l’empathie.., ça continue à exister.

 ⇒ Qu’est-ce qui unifie toutes les formes d’amour ? Est-ce qu’il y a un moteur ? Un élan ? Ou quelque chose qui nous pousse, tel un désir, une transcendance ?
Mais dans l’amour, il y a d’abord l’amour de soi ; quand on lit les Evangiles on trouve : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mathieu 22-39). Alors qu’est-ce qui fait de l’amour son unicité et sa multiplicité ? On peut se sentir plein d’amour, sans l’avoir en retour, l’amour peut créer des frustrations.
Il y a des amours dont on n’attend rien, tel que l’amour de la patrie, l’amour de Dieu, il peut y avoir des notions de l’amour, abstraites.
Et puis l’amour peut être une illusion : « l’amour est aveugle ». Cela peut être un désir de beauté, une façon d’embellir les choses, « le beau pour le crapaud est sa crapaude » dit Voltaire. L’amour ça peut être une passion, par exemple j’ai l’amour de l’Histoire, de la recherche historique. Donc tout dépend de ce que l’on met dans ce mot : du moteur, du désir, du but, voire, un objet inatteignable.

⇒  Alors, faut-il avoir de l’amour étant enfant pour pouvoir en donner plus tard. Je connais des personnes qui viennent de la DAS et qui sont des personnes, des parents pleins d’amour. Oui, on l’a dit c’est dans la nature de la personne, voire un phénomène des contraires, ils en ont tant manqué, qu’ils ont envie de vivre dans un climat d’amour.

⇒  Je retiens que dans l’amour la notion de respect de l’autre quelque soit le sens du mot amour.
Et puis nous avons évoqué la notion de manque, même s’il s’agit de l’amour de la nature, de l’amour de Dieu, etc. Il y a dans l’amour une tension vers quelque chose que je n’ai pas et que je veux, quelque chose qui m’exalte, qui me stimule, qui me fait devenir autre que ce que je suis. Donc on peut essayer de définir l’amour, même si il y a mille et une formes d’amour, et que l’amour est toujours singulier au sens où il est différent d’une personne à l’autre.

⇒  Dans Le petit traité des grandes vertus André Comte Sponville distingue trois figures possibles de l’amour : Eros, l’amour désir, l’amour passion qui exalte, le coup de foudre,  l’amour fou, selon l’expression d’André Breton, le désir d’absolu qui ne peut être satisfait et qui fait souffrir, « l’amour de convoitise » comme l’appellent les théologiens et notamment Saint Thomas (dans la Somme théologique) Philia, « l’amour amitié. » « L’amour de bienveillance » selon ce même Saint Thomas. Aimer c’est être ami. L’amour c’est ce sentiment de plaisir que j’éprouve avec quelqu’un ; se sentir bien avec quelqu’un. Non pas le désirer et souffrir. Se sentir bien, être son ami. C’est Spinoza qui l’analyse le mieux. Ne pas confondre désir et espérance. Quand on espère c’est qu’on manque. Quand on désire c’est qu’on se réjouit. J’espère me promener parce que ça me manque. Quand je me réjouis de parler, de me promener, c’est que je l’ai désiré. Aimer ce qu’on fait, aimer ce qu’on est, aimer les gens avec lesquels on parle, avec qui l’on vit. C’est  cela le désir qui réjouit, c’est cela la jouissance de l’amour. C’est l’amour-joie, et non plus l’amour-souffrance. Dire que l’on est amoureux c’est être en état de manque. Etre amoureux est un état. Dire qu’on aime est un acte ; aimer c’est jouir, se réjouir .C’est l’attitude du Bouddha: aimer ce qui est, Agapé l’amour charité. (agapan: accueillir avec charité). Le mot est grec, et pour la première fois il apparaît dans L’Evangile, dans l’Epitre de Saint Jean. « Dieu est amour » .Aimer c’est chérir. Aimer sans réciprocité, un amour de pure générosité, c’est cela l’amour divin, un amour désintéressé, le contraire de l’amour convoitise. C’est une amitié de bienveillance, l’amour de charité c’est donner pour que l’autre existe. Aimer tout homme y compris son ennemi  c’est vouloir que l’autre, quel qu’il soit, existe.

⇒  Alors l’amour nous grandit, nous rend plus forts, pouvons-nous entendre, mais l’amour aussi peut nous rendre faibles. Une longue tradition de philosophes, au nom de la sagesse nous met en garde contre ce sentiment qu’est l’amour, car alors qu’il nous rend faible, il nous met en dépendance. Pour Montaigne l’amour : «… nous esclave à autrui ». Le sage se déprend de l’amour ? Reprenant la théorie du stoïcien Sénèque, Pascal nous dit  dans « les Pensées »: « C’est malhonnêtetéd’accepter l’amour de l’autre, car je sais que je suis mortel, et que, acceptant cet amour, je suis responsable du chagrin qu’il pourra avoir après ma mort »,
Cela va pratiquement jusqu’au déni de l’amour avec le tristounet Schopenhauer, lequel nous dit, dans « Le monde comme volonté et comme représentation » (je cite) : « Le sentiment amoureux peut être considéré comme une ruse de la nature destinée à nous inciter à nous reproduire »,  ce sentiment d’amour est pour lui : «  Le soupir de l’espèce ». Est-il besoin de rappeler que ce même Schopenhauer qui n’avait pas, non plus l’amour du genre humain, a fait de son chien, son héritier.
On peut penser qu’il y a des personnes qui sont tellement barricadées dans leur ego que les flèches de l’amour ricochent sur la carapace.
Ce sont les poètes, les écrivains, les artistes, eux seuls qui ont su nous en parler, l’évoquer avec toute la puissance des sentiments. Il semble qu’il faille renoncer pour nos philosophes de vouloir définir l’amour avec la raison. Je dirais, d’abord vivre, d’abord aimer, ensuite philosopher. Allez ! Messieurs les philosophes, sur ce sujet, passez votre chemin !
Et je reviens sur cet aspect du débat quant aux possibles explications de nos sentiments, dont l’amour par la science. La science se rattache par bien des aspects au matérialisme philosophique, lequel nous dit « le comment », alors que je classerais l’amour dans le domaine de l’idéalisme qui cherche à dire « le pourquoi ». Espérons que jamais aucun des ces derniers ne répondra aux deux questions.
Et enfin, quant à la citation de l’évangile « tu aimeras ton prochain comme toi-même », des philosophes, préconisent « Tu t’aimeras comme tu aimes ton prochain »  

⇒ Nous avons toute la polysémie du mot amour, elle s’augmente surtout avec le verbe aimer. Mais nous faisons la distinction lorsque nous parlons de l’Amour, (avec un grand A).

⇒  Quand on a une certaine expérience de la vie en couple, on ne vit plus à soixante ans les choses de la même façon, il y a tellement de tendresse qu’il arrive qu’on s’oublie soi-même parce qu’on a peur pour l’autre.
On parle toujours de l’amour à partir de soi. On peut penser que l’amour ne dépend pas de nous, mais que nous dépendons de lui, parce que sans amour, que serait notre vie ?
Qu’on aime l’autre, qu’on aime les autres, ils occupent une place prioritaire dans nos pensées au point qu’il nous arrive de plus penser à eux qu’à nous, en ce sens l’amour est aux antipodes de l’égoïsme.

 ⇒ On vit toutes les formes d’amour au cours de sa vie. Il y a des gens avec qui on est dans le physique de Pornoria, d’autres avec qui on est dans l’Eros et qui n’est pas physique, après dans Philia où il y  a l’affection, on aime mais mais ce n’est pas érotisé, puis Agapée où les délices de l’amour spirituel et puis il y a Sophia, aimer là où nous en sommes, et toutes les formes à la fois avec sagesse.

⇒  Des philosophes nous ont enseigné à nous protéger de l’amour ; chez les bouddhistes  ce n’est pas de l’amour qu’il faut se protéger, mais de nos douleurs, mais nous gardons l’amour, surtout la forme qu’ils nous recommandent, l’empathie. Il faut nous dégager de nos approches et travailler sur nos propres douleurs pour regarder avec lucidité.

⇒  Y a-t-il un âge pour aimer ? Il y a cinquante ans un homme de soixante dix ans qui aurait voulu divorcer cela paraissait impensable, et pourtant aujourd’hui cela se voit, des couples se forment, se reforment très tard, ce qui prouve qu’il n’y a pas d’âge pour aimer, même aimer d’une autre façon, c’est toujours un hymne à l’amour.
On peut citer aussi les amours héroïques, tel l’amour de Blanche Maurepas, épouse d’un soldat fusillé par l’armée française en 14/18. Armée de son seul amour, elle va batailler pendant vingt ans pour réhabiliter l’honneur de son mari.

⇒ Est-ce que l’amour n’est pas inconsciemment une façon de lutter contre la mort ? Parce qu’on sait qu’il y a une fin ? Et je reviens sur le sujet des phéromones, seraient-elles là pour la reproduction ? Et l’amour pour la lutte pour la vie ?

⇒ Je reviens sur la tendresse qui est un sentiment affectif en corrélation avec l’amour. Lorsqu’un amour naît, quand il est amour passion, quand le volcan est en éruption  permanent, si il n’y pas aussi la tendresse dès le départ, je ne sais pas si cet amour va durer. Je pense que quand le volcan se calme, la tendresse est là en support, elle n’enlève pas l’amour, elle le consolide. J’espère que pour les couples qui feront un long chemin ensemble l’amour et la tendresse se donneront la main.
« Amor definido deja de serlo » nous dit le proverbe espagnol, ou : l’amour défini cesse d’être de l’amour.  Ceci est imagé, entre autres, dans la légende de Lohengrin, dont Wagner fit un opéra. Elsa veut connaître à tout prix le nom du prince de ses rêves. Ce prince s’est fait un Être vivant pour elle, à condition qu’elle ne lui demande jamais d’où il vient, ni qui il est. victime d’un sort la curiosité lui fait poser la question, elle perd son amour.
Nous retrouvons ce thème dans diverses œuvres, dont Psyché et Amour.
Nous le retrouvons avec toute sa symbolique dans Orphée qui ne doit pas se retourner, ne pas chercher à voir  Eurydice
Cela nous dit qu’on ne saurait réellement expliquer précisément pourquoi on aime une personne.
L’amour est une expérience purement intérieure, propre à deux êtres, uniquement connaissable par eux. La rencontre amoureuse passe par des échanges codés, que seuls deux partenaires reçoivent et comprennent, analysent, ressentent et se renvoient  l’un à l’autre, C’est  le sentiment de désir renvoyé dans le regard de l’autre,  c’est un univers à deux.
L’amour, docteur love, est une force de brassage social. Ainsi dans le magazine Science humaine de ce mois de décembre (n° 276) qui titre : « Aimer au 21ème siècle » on nous explique comment  « le choix du cœur » chez les enfants d’émigrés s’écarte des usages endogamiques, c’est-à-dire du choix du ou de la partenaire au sein de sa communauté. Par exemple pour les descendants d’émigrés algériens pratiquement la moitié fait un choix hors communauté, cela est à 43% pour les descendants de Tunisiens…. Cette mixité, qui permet le partage de valeurs communes, montre le rôle social que peut avoir l’amour, et même au-delà. Alors parions sur l’amour !

⇒  Je reprends cette idée de la durée de l’amour dans un couple. Pour que l’amour dure, il faut qu’il se transforme, soit en tendresse, soit autrement, peu importe, et il faut qu’il y ait une aventure. Effectivement si l’amour est basé sur les mêmes bases qu’à vingt ans  quand on en a soixante, il y a quelque chose qui ne s’est pas passé, il n’y a pas d’Histoire.
Il faut qu’un couple ait une Histoire, et que chacun évolue, et chacun reconnaisse l’évolution de l’autre.
Une chanson du Moyen-âge espagnol du poète Juan del Encina disait : « Una sañosa porfia sin ventura se va pujando » qu’on peut traduire par  « Un amour véhément qui n’a pas d’Histoire finit par s’éteindre ». C’est magnifiquement dit dans cette chanson ; je pense que les amours qui durent, sont les amours qui ont une Histoire, dans le respect de chacun, où l’autre reconnaît ce que tu es.
Au regard de l’Histoire on peut dire que l’amour existe encore, même si parfois il peut s’y mêler de l’habitude.

⇒  Par mon métier je suis appelé à interviewer des couples qui vont fêter leurs noces d’or, ou de diamants, et là après l’Histoire de : comment ils se sont rencontrés, puis le parcours, vient la question subsidiaire : quelle expérience conservez-vous de cette durée de vie ensemble?
En dehors de toutes les images, de l’amour fou, de la flamme dont on dit qu’il faut « la rallumer », pour lui permette de durer, ce sont les mots partage, respect, concessions, qui reviennent souvent.
Quand on voit les statistiques de mariages qui se défont, de remariages, c’est intéressant de recueillir les témoignages de ces vieux couples.

⇒ On pourrait passer des heures à citer les œuvres artistiques sur l’amour : des films, de belles pages littéraires, des poèmes…
Je ne citerai que trois lignes, (encore du poète Antonio Machado) :
« Los suspiros son aire, y se van al aire
las lacrimas son agua, y se van al mar :
pero, dime mujer, cuando l’amor se va, ?sabes adónde va ?
« Les soupirs sont de l’air, et retournent à l’air/ les larmes sont de l’eau et s’en vont à la mer/ mais dis-moi, femme, lorsque l’amour s’en va, sais-tu où il va ? »

 Quelques citations entendues au cours du débat :

 « Le plus bel amour ne va pas loin si on le regarde courir. Mais plutôt il faut le porter à bras comme un enfant chéri » (Alain)

« L’homme est ainsi, cher monsieur, il a deux faces : il ne peut pas aimer sans s’aimer» (Albert Camus. La chute)

« L’amour constant ressemble à la fleur du soleil, – Qui rend à son déclin, le soir, le même hommage – Dont elle a, le matin, salué son réveil! »  (Gérard de Nerval)

Ouvrages cités.

Livres

Discours sur les fondements des inégalités des hommes. 1754. (Jean-Jacques Rousseau)
Pensées. Pascal. 1671
Le monde comme Volonté et comme représentation. Schopenhauer. 1818
Lettre à Théo. Van Gogh
Pourquoi l’amour ne suffit pas. Claude Halmos. Pocket
Petit traité des grandes vertus. André Comte-Sponville. 1995. Points/Pocket.

Magazine

Philosophie Magazine.  Numéro 95. Décembre 2015
Sciences humaines ;      Numéro 276. Décembre 2015.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le destin d’une société dépend t-il de la volonté des hommes?

The predictor. 1916. Georgio di Chirico. Coll. particulière

The predictor. 1916. Georgio di Chirico. Coll. particulière

       Restitution du débat de 2 décembre 2015 à L ‘Haÿ-les-Roses

Introduction : Annie Dyrek : La société ça va d’une ville au monde entier. En ce moment tous les pays du monde, la plus grande société qui soit, est réunie pour évoquer notre avenir, et l’avenir de la planète, c’est la COP21.
Les particuliers, les citoyens souhaitaient s’y associer dans un grand mouvement, mais ça n’a pas été possible, et ce sont nos chaussures qui nous ont représentés.
Maintenant, est-ce que les hommes de bonne volonté, ceux qui luttent, comme les Résistants lors de guerre 39/45 auraient pu libérer ce pays sans les alliés, et donc est-ce que les hommes de bonne volonté peuvent agirent seuls ? Je pense que la bonne volonté, n’aurait pas suffi aux Résistants, comme elle ne suffit pas aujourd’hui.
Puis je pense à des pays comme le Qatar. Là, que peuvent faire les gens de bonne volonté pour faire évoluer la condition de la femme ? Pour interdire l’esclavage des travailleurs étrangers dans ce même pays ? Comme ce pays est très riche, on n’y touche pas. Les bonnes volontés buttent sur bien des choses…

Débat

Débat : ⇒ Nous avions déjà abordé d’une certaine façon le rôle des hommes sur leur histoire, avec le débat : « Les hommes ont fait l’histoire, ou quelques hommes ont fait l’histoire ? »
De fait, nous allons une fois de plus nous poser cette question qui reçoit bien des diverses réponses. Oui, nous dirons que hommes et femmes, nous devons, et nous pouvons agir et déterminer le destin de la société dans laquelle nous vivons. Et nous trouvons surtout cette façon d’envisager la chose chez les militants convaincus, purs, enflammés,  qui veulent participer à créer le monde de demain, ceux qui ne doutent pas un instant que leur combat,  leur façon d’envisager la société « demain, sera le genre humain »
Mais la réalité toujours nous rattrape, la réalité des faits existants et passés, nous montre que parfois toute l’énergie, toutes les énergies ne suffisent pas à influer sur le cours d’événements qui semblent inexorables, et qui finissent pas arriver.
Finalement ce thème est essentiellement un thème politique, le destin d’une société est pour partie la conséquence et l’enchaînement de faits, de situations survenues sans qu’on puisse vraiment les imputer à quelqu’un, à un groupe, et puis il y a des orientations qui cette fois ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat d’actions intentionnelles.
Si nous regardons dans l’histoire des peuples, on ne voit qu’assez rarement des moments où les hommes, quand je dis les hommes, je pense le peuple majoritairement engagé, le peuple exerçant sa souveraineté, le peuple s’affranchissant des pouvoirs absolus, prenant son destin en mains.
Ces instants ce sont les Révolutions. Mais presque toujours ce pouvoir du peuple, se trouve dévoyé, la Révolution récupérée, laquelle finit parfois par être méconnaissable.
Cette faculté pour le peuple de participer à son destin, demande aussi et surtout un niveau d’éducation, afin qu’il soit le plus souvent en mesure de juger par lui-même, pour ne pas tomber pieds et mains liées dans les filets des propagandes de toutes sortes.
Lorsque les hommes n’ont plus aucune ambition pour la société dans laquelle ils vivent, cette société est en danger. La désaffection du politique aujourd’hui semble être cette société sans désir d’avenir, sans espoir, société résignée, avec ses tristes consolations de consommateurs, captés sans cesse par le désir des besoins qu’on lui crée.
Est-ce qu’on n’aurait pas le type de gouvernement qu’on mérite ?
Quand on ne sème pas une terre, elle reste aride. On n’est pas l’habitant d’une terre qu’on ne cultive pas. Nous semblons en panne d’avenir ?

⇒ Il y trois choses à définir dans la question : d’abord qu’est-ce qu’on entend par, destin d’une société ? Est-ce qu’il y a quelque chose de divin, ou parle t-on d’avenir, de futur ? Puis on parle de volonté. La volonté ça peut être un acte, il peut être bon, il peut être mauvais. Et enfin les hommes : quels hommes ? Les individus qui sont autour de cette table ? Quel groupe d’homme. Voire quel lobbying ? etc. Parce que je pense que le futur d’une société est toujours lié à des hommes, et c’est forcément toujours les mêmes. C’est-à-dire, que la volonté des hommes de bonne volonté ; c’est différent au Qatar où le futur de cette société est essentiellement lié aux décisions d’un certain nombre d’hommes.
Puis, dans un autre domaine, en ce moment la COP21 va prendre un certain nombre de décisions qui vont engager notre avenir, décisions bonnes ou mauvaises, à moins qu’ils décident de ne pas décider.
Donc, le futur d’une société est toujours lié aux hommes, sauf que, quand on parle de ça, il faut évoquer la notion de pouvoir, qui a le pouvoir ? Le pouvoir de décider du futur d’une société. Les hommes politiques auraient le pouvoir. Et qui a les contre pouvoirs ?
Chaque fois qu’on regarde vers le futur d’une société, qu’on prend des exemples précis comme hier la Résistance, et aujourd’hui la Syrie avec Daesh, on se rend compte que ce qui est dit d’un point de vue, peut aussi être contredit ; ainsi, si les Résistants avaient été seuls contre le fascisme hitlérien qu’auraient-ils pu faire ? Mais, par ailleurs, si il n’y avait pas eu la Résistance qui préparait le terrain, est-ce qu’il y aurait eu le débarquement ?
Aujourd’hui pour les hommes de bonne volonté, leur pouvoir sur le futur de la société est un peu limité, mais c’est quand même les hommes qui imposent un certain nombre de choses.

⇒  Est-ce que tout le monde a le pouvoir. Oui ! Je pense qu’en grande partie nous avons le pouvoir. Il y a le pouvoir gouvernemental, et il y a le pouvoir de ceux qui mettent  un bulletin de vote dans l’urne.
Je fais une grande différence entre destin, avenir et futur. Le destin étant ce qui ne dépend pas de nous, et la volonté échoue face au destin. En revanche, l’avenir c’est « ce qui est à venir », donc, cela peut être construit, imaginé, pensé et analysé avant d’être mis en place. Le futur, lui « est un temps  vide […]  que l’avenir viendra combler ». Donc, si on peut le combler c’est aux hommes qu’il appartient de le faire ; et pour cela il faut qu’ils utilisent l’intelligence en vue de progresser, en utilisant la politique, le vote, en s’intéressant aux démarches et avancées scientifiques, et de leur respect des valeurs éthiques, de la morale…

⇒  Alors! Qu’est-ce qui dépend de la volonté des hommes ? Que les individus aient des volontés, c’est d’accord, mais ce n’est pas si simple de définir ce qu’est une volonté collective ; ça ne peut pas être la somme des volontés individuelles, et ce n’est pas sûr que le vote représente la volonté collective.
Ensuite bien sûr, que les décisions qui se prennent vont influer sur l’avenir, mais on sait aussi que les sociétés passent par diverses phases. Comme tout corps vivant, les sociétés évoluent sans être beaucoup maîtrisées par les hommes ! Et cela nous questionne : ainsi, les Egyptiens qui avaient une société, une civilisation merveilleuse, à un moment donné elle s’est éteinte, et ils n’avaient sûrement pas envie qu’elle s’effondre.
Donc, je me fais l’avocat du diable : peut-on dire que dans une moyenne durée on peut agir sur la société. Les sociétés, les civilisations, naissent et meurent à leur corps défendant, et ceci sans l’expression d’aucune volonté humaine. Cela peut être le fait du hasard, d’un événement qui va déterminer tout un cycle, tout l’avenir.

⇒  Il y a des gens qui s’intéressent aux décisions collectives, qui préconisent qu’on change la  Constitution pour que les décisions ne soient plus prises qu’en haut, qu’il y ait plus de participation du peuple pour ses choix d’avenir. Même en démocratie on a besoin de tous les acteurs pour faire vivre la démocratie, et également pour défendre les droits de l’homme, lesquels n’ont pas cours dans de nombreux pays, la démocratie, les droits de l’homme, ce n’est pas pour eux

⇒  On n’ira pas faire ce café-philo dans un des émirats du golfe, parce qu’on nous renverrait vite chez nous, ou alors on risquerait les coups de fouet. Pour que simplement soit évoquée la volonté des hommes, il faut au minimum qu’on soit en démocratie, ensuite faut-il que la volonté du peuple soit respectée, (c’est là un vaste sujet).
Et puis,  le destin, l’avenir d’un peuple, d’une nation est aussi le prolongement d’une histoire que d’autres ont écrit avant nous ; et, en reniant ce passé on brouille le sens de l’histoire, le sens de l’avenir possible. C’est ainsi, qu’après qu’une certaine bourgeoisie « bobo » française nous ait interdit au nom d’une Bien-pensance de faire référence au drapeau tricolore et à la Marseillaise, les Français bouleversés par les tristes événements du 13 novembre, éprouvent le besoin de se sentir ensemble, de faire corps, et là, ils se rappellent tout le patrimoine, les symboles  qui les unissent, qui les soudent en un peuple dans sa diversité. Ils se  rappellent qu’on ne peut affronter un avenir collectif que si l’on est un groupe cohérent, une communauté de pensée, pas que des individus, pas que des communautés vivant séparément.
« Nous sommes une seule et même nation » dit Le Président de la République, François Hollande, lors de son hommage aux victime aux Invalides, le 27 novembre 2015                Autrement dit, si l’on reste dans l’individualisme, alors agir ensemble ne peut se faire, et là, l’avenir est encore plus incertain, et là, nous laissons le soin à ceux qui possèdent les moyens de communication, de nous dire comment nous  devons penser notre avenir« L’avenir ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que nous allons en faire » (Bachelard)

⇒  On peut très bien parler de nation sans être nationaliste, ce sont deux choses très différentes. Derrière tout cela : drapeau, discours, cérémonies, il y a aussi le désir de se retrouver, c’est cette volonté collective qu’on vient d’évoquer. Une société c’est un collectif, les volontés individuelles ne changent pas grand-chose, c’est pourquoi on lie, collectif et solidarité. Mais cette solidarité pour influer sur la société, il faut qu’elle soit active, car pour beaucoup de gens qui sont solidaires.., solidaires de..,  et on en reste au principe.
Pour revenir au destin des nations, des civilisations, Paul Valéry écrit : «  Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles »
Il y a des sociétés qui ont disparu lors d’une grande catastrophe, d’un cataclysme, certains parleront de destin. Pour d’autres c’est moins simple, comme pour la civilisation égyptienne au bout de 3500 ans. Les Romains, c’est différent, là, le monothéisme arrive et mène une lutte effroyable. Les civilisations meurent dans des luttes d’influence, pas de mort naturelle.
Depuis l’australopithèque et puis Homo sapiens, les hommes se sont toujours fait concurrence, est là, c’est la volonté des hommes.

⇒ Dans une société amérindienne, un proverbe dit :  » Quand les hommes auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, péché le dernier poisson. Alors on s’apercevra que l’argent ne se mange pas« . Ce serait bien qu’on envisage l’avenir à partir de ça.

⇒  Un peuple définit son avenir en se fixant une Constitution, et cela nous pose la question de la démocratie, est-elle le meilleur des gouvernements ?
Dans un texte attribué à Xénophon, qu’on appelle « la Constitution des Athéniens » on peut lire : « Dans une cité où ce sont les meilleurs qui seuls ont le droit de parler, où ce sont les meilleurs qui donnent leur avis et décident, que se passe t-il ? Les meilleurs cherchent à obtenir – puisque ce sont justement les meilleurs -, des décisions qui soient conformes au bien, à l’intérêt, à l’utilité de la cité.
Or ce qui est bon, ce qui est utile pour la cité, est en même temps, par définition, ce qui est bien, ce qui est utile et avantageux pour les meilleurs de la cité. De sorte que, en incitant la cité à prendre des décisions qui sont utiles pour elle, ils ne font que servir leur propre intérêt, leur intérêt égoïste à eux qui sont les meilleurs.
Or, dans une démocratie, dans une vraie démocratie comme la démocratie athénienne, que se passe t-il ? On a un régime dans lequel ce ne sont pas les meilleurs, mais les plus nombreux qui prennent les décisions. Et que cherchent-ils ? A ne pas se soumettre à quoi que ce soit. Dans une démocratie, les plus nombreux veulent avant tout être libres, n’être pas esclaves, ne pas servir. Ne pas servir quoi ? Ils ne veulent pas servir les intérêts de la cité ni non plus les intérêts des meilleurs. Ils veulent donc, par eux-mêmes, commander. Ils veulent donc chercher ce qui est utile et bon pour eux, puisque commander c’est quoi ? C’est d’être capable de décider et imposer ce qui est le meilleur pour soi-même. Mais puisque ce sont les plus nombreux, ils ne peuvent pas non plus être les meilleurs, puisque les meilleurs sont par définition, les plus rares.
Par conséquent étant les plus nombreux ils ne sont pas les meilleurs, et n’étant pas les meilleurs ils sont les plus mauvais. Ils vont donc rechercher eux qui sont les plus mauvais, ce qui est bon pour qui ? Pour les plus mauvais de la cité. Or, ce qui est mauvais pour ceux qui sont mauvais dans la cité, c’est aussi ce qui est mauvais pour la cité »
De là, on peut en conclure que, dans une cité comme celle-là, il faut bien que la parole soit donnée à tout le monde, aux plus nombreux ; voire, de l’avis de Xénophon, aux plus mauvais !

⇒ Poème d’Hervé : En hommage à « la rebelle » Aung San Suu Kyi

En acrostiche :                                            La courageuse.

Les obstacles multiples se dressent toujours devant elle,
Alors elle manifeste une qualité morale devant tout événement.

Courageuse jusqu’à subir l’enfermement,
Osant affronter les pervers et leurs sentences non officielles,
Ulcérée par l’injustice à son égard, scandaleuse.
Réagir contre l’opposition, résister, elle est rebelle,
Agressée physiquement, verbalement et violemment,
Gravité – Dignité, sont ses valeurs essentielles,
Emprisonnée pour cause humanitaire incohérente,
Ultime secours est celui d’une aide providentielle
Subsister, surnager, on vous soutient solennellement
En vous attribuant le prix Nobel de la paix à titre exceptionnel.

⇒  Je pense que l’avenir d’une société est toujours constructible, à imaginer ensemble, puis en se concertant sur ce avec quoi on est d’accord, sur ce qu’on veut défendre, puis la politique doit intervenir. Dans un monde apaisé il est indispensable que chacun accepte les différences, les métissages de coutumes, de religion, c’est ce que nous nommons tolérance, mais les usages qui ne respectent pas les droits de l’homme en général, de la femme en particulier. Des attitudes sectaires, sont un frein au développement, au progrès d’une société.

⇒  Aung San Suu Kyi a gagné finalement les élections par sa volonté, oui, bien sûr ! Mais elle gagné aussi avec la volonté d’un peuple qui l’a soutenue, elle a été un guide…

⇒ Les événements actuels posent parfois la question de : peut-on s’arroger le droit de décider de l’avenir pour certains peuples ? En regard de nos valeurs, peut-on vouloir leur imposer notre modèle de démocratie, s’ils n’en veulent pas ? Ou  faut-il laisser totalement aux peuples le soin de se défaire de leurs dictateurs ? Ou, faut-il au nom de nos valeurs occidentales user du droit d’ingérence ?

⇒  Quand on regarde une société, une nation, qu’on tente d’imaginer son avenir, on en revient à cette même question : qui fait l’histoire, Sauf quand un grand leader émerge dans un pays, et là je pense à de Gaulle, à Mao Zedong, etc, sans le peuple rien ne se serait fait. Je pense qu’entre le leader et le peuple il y a osmose, et que les grands héros de l’Histoire font déjà partie du peuple. Mao Zedong n’a pas fait la grande marche tout seul.
Un peuple c’est un groupe d’hommes en action.
Et je reviens sur le droit, sous prétexte de démocratie, d’intervenir chez d’autres peuples ; là, se pose aussi la question de savoir qui décide de ces interventions ?

⇒  On construit l’avenir avec la volonté d’action avons-nous dit, soit ! Mais il peut y avoir volonté dans l’acte de refus, cela n’est pas sans avoir d’influence sur le cours des événements, sur les choix de société.
C’est grâce à cette volonté de refus que nous n’avons pas accepté dans notre pays, la culture du maïs OGM, même s’il a fallu combattre dur pour cela ; de même nous avons refusé et obtenu qu’on n’exploite pas les gaz de schiste sur notre territoire.
Mais nous n’avons pas toujours la possibilité d’action, ainsi, nous sommes moins tranquilles quant à la possible arrivée de poulets javel, de bœuf aux hormones, etc.
C’est là un exemple où les peuples sont écartés des négociations sur un marché d’échange, (Marché transatlantique, le Tafta).  Là, ils n’ont plus prise sur le destin.
Mais, dans certains cas, force est de reconnaître que si les gens ne s’intéressent pas à leur devenir, que si les média sont plus que silencieux sur le sujet, les choix d’avenir se feront néanmoins, sous leur nez et sans eux.
Heureusement que nous avons des lanceurs d’alerte, qui disent : attention, regardez un peu de ce côté-là ! C’est souvent eux qui nous ont mis en action pour dire ce qu’on ne voulait pas, ce qu’on a jugé comme dangereux pour l’avenir de notre société.
Et enfin, vieux cas de conscience chez les peuples : faire la guerre, ne pas faire la guerre ?  Ce qui engage l’avenir. Il est des situations où le choix ne nous appartient plus ; exemple, en 1938, Hitler avait envahi la Pologne, il avait annexé l’Autriche, etc ; (l’Anschluss), et en France on entendait encore : il faut négocier ! Oui, oui, il faut négocier !
Il est des engagements, quels qu’ils soient, devant lesquels on ne peut se défiler, même s’ils engagent  plus que nous-mêmes, qu’ils engagent les générations à venir.

⇒  Quand on parle d’avenir, on pense progrès inévitablement, mais quel progrès ? Est-ce qu’on poursuit tous les mêmes buts. Il y a le progrès humaniste, on veut sauver les opprimés, sauver la planète, que chacun ait le meilleur niveau de vie, etc. Et puis il y a une société pour qui le progrès est essentiellement d’ordre économique, visant d’abord un taux de croissance. Deux visions d’avenir qui peuvent ne pas s’accorder.

⇒  Des éléments que nous ne contrôlons pas comme la raréfaction du pétrole peuvent décider de l’Histoire plus que nos propres volontés, et même dans l’affaire la Nature a son mot à dire…

⇒ Nous avons évoqué les volontés d’interventionnistes, au nom de l’humanisme, et interventionnisme militaire. Ce second mode d’intervention chez d’autres peuples ne serait-il pas une nouvelle forme de colonialisme ? Chaque fois qu’on impose quelque chose par les armes, au final, c’est l’échec, ce qui n’empêche pas d’agir diplomatiquement.

⇒  Nous avons souvent le sentiment que le pouvoir des choix d’avenir du peuple s’est évanoui, on ne sait où et comment. Cela ne veut pas dire pour autant, que tous laissent les choses aller au gré du hasard ; il existe réunis dans des cercles des groupes d’individus, qui sont très actifs pour veiller à ce que l’avenir leur convienne.
Il s’agit des très nombreuses et discrètes tout à la fois, « think tanks » (En français, laboratoires d’idées). Des organisations, des officines regroupant divers intérêts, des lieux où se retrouvent tous ceux qui fréquentent les « allées du pouvoir » : hommes politiques, de droite, ou de gauche, des financiers, des grands patrons, et un certain nombre de journalistes. On retrouve, parfois, oh surprise, dans ces mêmes réunions des gens qu’on n’imaginerait jamais voir ensemble dans ces lieux.
Ces cercles réunissent des personnes ayant des connaissances, des avis sur des sujets spécifiques, et de là, ils  fournissent des notes d’information aux hommes politiques.
Serait-ce là en  toute discrétion, à l’abri de l’œil des caméras, des micros, que se déciderait  le destin de notre société ? Cela en  toute discrétion, car je ne pense pas que quiconque ait pu voir sur une chaîne de télé un reportage où l’on s’intéresse à ceux parfois appelés « les décideurs de l’ombre » ?
Sur les centaines voire les milliers qui existent de par le monde, là où se définissent des orientations politiques, nous trouvons pour les plus connues : aux Etats-Unis : The Manhattan Institue – Heritage fondation – Cato Institue. En Angleterre, la plus connue est  Adam Smith Institute, et en France : l’Institut Montaigne – Le siècle – Terra nova (proche de notre gouvernement actuel), la liste serait trop longue…
Ces « think tanks » sont parfois dénoncées comme une structure de  gouvernance se substituant peu à peu à la démocratie.

Citations :
« L’avenir c’est ce qui dépasse la main »  Aragon.
« L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle fait, elle ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle » Bergson.
« On ne subit pas l’avenir, on le fait » Bernanos
« L’homme détermine la société et non l’inverse. » (Cai Chongguo, professeur de philosophie chinois en exil).