Thème « Quelle idée avons-nous de notre mort ? »
Essai de restitution du café philo de Chevilly-Larue
26 novembre 2003
Modérateur : Martine Hayat
Animateur : Guy Philippon et Ablé Tébi
Introduction au débat : Pierre Bernard
Introduction :« Aujourd’hui, la mort fait recette » c’est ainsi qu’est introduit le débat. On voit la mort sous tous ses aspects : accident, guerre, maladie. On parle euthanasie et crimes. On peut constater une certaine ambiguïté du jugement de l’homme sur la mort. Ainsi lors de la catastrophe de la passerelle de St Nazaire tout le monde a dit que « c’est la mort ». Autre exemple : « Pourquoi mettre un radar, il n’y a que 40 morts ». La mort spectacle : la petite fille qui s’enfonce dans le sable. Il existe des colloques sur la mort. On voit bien que la mort captive tous les esprits. Débattons sur « notre » mort.
Débat : G Que savons-nous de la mort, des autres? Il faut penser à vivre. En revanche on peut avoir peur de vieillir, de souffrir… mais de mourir, pas forcément. L’idéal serait de pouvoir arrêter sa vie à temps.
– On a désacralisé la mort mais éviter d’aborder la mort, c’est la craindre. La vie, c’est aussi naturel que la mort. La mort apparaît comme un passage obligé.
– Dans le bouddhisme, nous avons une succession de vies, avant la naissance et après la mort…
– Le philosophe, pour sa part, propose une appréciation différente : Il y a une trahison de la pensée occidentale qui a recours au bouddhisme. Pourquoi ?
– A partir d’un certain âge, on y pense. Le temps se raccourcit. Je voudrais bien « mourir en bonne santé, sereine » plaide une participante.
– De quoi avons-nous peur quand on évoque la mort ? La lettre à Menecée d’Épicure est édifiante : « la mort n’est rien, puisque tant que nous existons, la mort n’existe pas et, quand la mort existe, nous n’existons plus… »
– « Ce que je redoute le plus c’est d’être seule à l’instant de l’agonie ». Je crois à une autre vie et je ne sais pas quelle sera son attitude au moment final.
– Différentes appréhensions de la mort sont évoquées : la nôtre, celle des autres, les révoltes contre les hommes, contre dieu…
– Notre rapport à la mort a changé. Elle était omniprésente au Moyen-âge.
– Tout tend vers la vie, « la vie est joie, on ne peut pas quitter la joie comme cela ». (Spinoza)
– Parler de sa mort c’est un peu difficile. En Afrique, quand la mort vient, on se demande que vont devenir ses enfants, ses affaires…que va-t-il se passer ? « Des prières, des chants pour avertir les ancêtres qu’on arrive » Il semble qu’il y ait une progression dans la façon d’aborder l’éternité : le premier nuage exprime la souffrance, les autres adoucissent la situation. Le cheminement nous entraîne vers le village des ancêtres où l’on est tous réunis.
– J’envisage de donner mon corps à la science mais les démarches et les formalités m’empêchent de se décider.
– Vivante, je refuse d’y penser,… mais morte !!!
– Trois questions sont posées : – le passage, la fin de vie médicalisée ?- la mort des autres nous apprend-elle à mourir ? – la philosophie nous aide-t-elle ? Le mot « euthanasie » véhicule des connotations négatives. Un jour, il faudra légiférer…
– Un intervenant utilise deux images pour se faire comprendre : la baudruche qui explose et la bougie qui s’éteint et il reste une fumée, quelque temps… « Voir les autres mourir nous astreint à continuer la vie : ainsi nous pérennisons la vie au-delà de la mort ».
– Il y a similitude entre vie et mort. Le souffle qui vient avec la première dépouille, le placenta… et le souffle qui s’en va avec notre dépouille. Tant à la naissance qu’à la mort, nous passons par les limbes, ce domaine entre vie et mort. « Ma mort sera un moment extraordinaire de retrouvailles ».
– Mais, « je ne connais pas d’autre grâce que d’être né » (Lautréamont)
– Et dans cette perspective, «Mort, où est ta victoire ? »
– « Quand on est confronté à la mort on la voit différemment ». En fait, on aimerait bien en être dispensé, nous dit-il, pouvoir faire un chèque et rester en vie. Parfois on attaque le corps médical comme si l’homme était immortel. Il y a non-acceptation de la mort, dans certains cas, même chez les croyants. « Au regard d’un mourant le soleil est si beau ». (Lamartine)
-Je ressens que vous avez tous peur de la mort. La vie est une succession d’épreuves. Pour moi « la mort est une compagne et lorsqu’elle arrivera j’aurais réussi tous mes examens ».
– Ne serait-ce pas parce que vous avez peur que vous vous réfugiiez dans l’idée d’une autre vie ?
– « Nu je suis venu, nu je m’en irai mais ayant fait le plein de vie, mon histoire ».
– Aujourd’hui, je n’ai pas peur, mais sous la souffrance? Devant la mort des autres, des êtres proches, à chaque fois, je meurs un peu
– Je ne veux pas de pompes funèbres, je souhaiterais reposer à même la terre.
– Un accident de la vie où l’on frôle la mort, nous fait par la suite, encore plus apprécier la vie.
– Les réanimateurs qui ramènent à la vie des opérés en disant : ne dormez pas ! Ne dormez pas ! Et pourtant on est si bien… presque, déjà là-bas !
– Dans le coma, on flotte, on se laisse aller !
– Enfin le problème sémantique du mot « euthanasie » est rappelé : « mort douce, bonne mort ». Cela éveille des souvenirs liés à notre histoire : chambres à gaz, extermination…Des personnes font un « testament de vie » afin de ne pas subir d’inutiles souffrances tant physiques que psychologiques, et surtout, mourir dans la dignité.
-Une dernière remarque : « Comme ils souffrent les morts que l’on n’aime plus ».
– Deux citations sont proposées : “ Ne se porte pas bien qui vit sans étudier. Que dis-je, le repos sans culture intellectuelle, c’est la mort, le tombeau d’un vivant ». (Jacques Pelletier du Mans) ; « La différence entre un homme instruit et un ignorant ? La même qu’entre un vivant et un mort ” (Aristote)
Et pour finir, quelques vers de La Fontaine :
« …La mort ne surprend point le sage,
Il est toujours prêt à partir
S’étant su lui-même avertir…
…Je voudrais qu’à cet âge
On sortit de la vie ainsi que d’un banquet
Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet…
…La mort ravit tout sans pudeur… »
Lectures recommandées : Epicure, livre de poche n° 46-28.