Doit-on être initié pour jouir de l’art ?

Thème :              « Doit-on être initié pour jouir de l’art » ?
Essai de restitution du débat du café-philo de Chevilly-Larue
                                                   31 mai 2006

 Modératrice : Chantal Deluchat.
Animateurs : Guy Pannetier. Guy Philippon.
Introduction et conclusion: Guy Pannetier

 Introduction : Une question en philo a toujours plusieurs entrées, et vous ouvrirez d’autres pistes de réflexion, mais, déjà, pouvons-nous écarter le principe qu’une œuvre d’art puisse être véritablement et pleinement appréciée par une personne qui n’aurait pas été préalablement formée, initiée, ce que nous appelons aussi, un profane? Lorsque nous voyons une œuvre, que nous entendons une musique, que nous lisons un livre… nous sommes sans doute influencés dans notre jugement, par des œuvres antérieures qu’on nous a fait connaître . De ce fait, nous ne sommes plus émotionnellement une matière brute, un réceptacle émotionnel pur. Celui qui est totalement novice, qui s’extasie devant une œuvre d’art ne nous montrerait-il pas l’art pur, cet art qui parle d’abord au cœur avant de s’adresser à la raison ? Alors l’art ne serait plus exclusivement « una cosa mentale » comme le disait Léonard de Vinci.  Une citation du philosophe allemand Théodore Adorno (de l’école de Francfort) est à l’origine de la question de ce soir : « Il n’y a pas de beau sans initiation », mais il nous dit aussi que « la culture est une industrie, une raison subjective infléchie et détournée par les classes dominantes », d’où un nécessaire recul ou prudence quant à l’initiation. Cette question pourrait être reformulée afin d’éliminer les ambiguïtés qu’on pourrait voir dans le mot « initié ». Il y avait à l’origine hésitation entre « initié » et « se cultiver ». Mais d’emblée nous sont posées des questions essentielles : l’art n’est-il accessible qu’à ceux  qui sont pourvus d’un certain bagage culturel ? Une éducation à l’art ne risque-t-elle pas de formater les individus ? Et puis bien sûr : la connaissance et la pleine jouissance de l’art, est-elle élitiste ?

  Débat :    – L’art est « notre extraordinaire », « notre imaginaire recréé ». Il est accessible à tous, si l’on manifeste de l’intérêt, si l’on cherche à comprendre, à connaître l’histoire, le contexte, s’il y a approche avec le cœur, l’art n’est nullement réservé à une élite…
– La satisfaction esthétique ne peut se résumer à une simple satisfaction des sens, la jouissance  de l’art n’est pas que ressenti émotionnel, elle relève aussi d’une satisfaction de l’esprit.
–  Il importe de déterminer le sens que l’on donne au mot « initié », hors toute initiation à la jouissance de l’art comporte deux dimensions : celui qui crée veut dire quoi ? Celui qui voit, qui reçoit, comprend quoi ?
– Initier à l’art pour en jouir n’est  pas un but en soi … Le facteur émotif peut être aussi utilisé à d’autres fins, comme par exemple la construction de cathédrales, œuvre de « pauvres » gens, qui provoquaient une émotion brute auprès du « bon » peuple… D’autre part : peut-on s’initier soi-même ?
– Nous pouvons prendre le mot « initié » dans son acception venant du latin« initiare », commencer, et là, initier c’est donner les premiers rudiments pour reconnaître, aimer, comprendre…Donner quelques clefs : la personne initiée fait le reste !
– Qu’est-ce que l’on goûte, qu’est-ce que l’on s’approprie quand il est question d’art ? Des sommes extraordinaires sont dépensées : s’agit-il d’amour de l’art,  d’orgueil, de vanité, d’égoïsme ?  « Il y a des milliers de tableaux qui sont beaux, celui que je regarde chez moi, je suis le seul à le regarder ». (Sacha Guitry).
– On est seul à regarder mais on rencontre les autres, tous les autres, l’artiste, la société, la civilisation dont l’art est le véhicule.
–  Si je dois avoir un mentor qui me guide, suis-je encore libre de mes choix ? A qui peut-on reconnaître aptitude à définir ce qui est de l’art, certains peintres considérés comme génies peuvent ne générer aucune émotion, voire déplaire…
–  Quant aux messages contenus dans certaines œuvres les multiples interprétations nous questionnent. De plus, il convient de rappeler qu’il y a différentes approches de l’art : technicité, histoire, savoir, style, ancienneté, publicité, universalité, reconnaissance financière (art + gens = argent).
–  Nous sommes tous conditionnés dans nos goûts artistiques. On aime ce que tout le monde aime. D’abord par la sélection commerciale, par les circuits de distributions, par les critiques d’art… Mais un autre problème est soulevé : c’est une certaine incurie intellectuelle, venant d’un savoir trop spécifique, trop atomisé. Nous avons une connaissance trop fragmentaire de l’art, et des sciences. Tel diplômé Bac + 5 expliquera le contenu des acides nucléiques, ARN ou ADN, mais n’a souvent rien lu d’Homère, de Voltaire, de Balzac. Ce manque de références nous fait courir le risque d’apprécier de pseudo œuvres où la publicité du créateur remplacera son talent. N’est-ce pas l’ambiguïté d’une consommation de masse.
– L’art établit un échange : émetteur/récepteur, « Lire c’est créer à deux » (Balzac).
– Si l’art n’est plus aussi élitiste, on remarque qu’une enfance dans un milieu familial porté sur les arts va être déterminant…
– Ne faut-il pas être réservé face aux « mentors », aux experts.. ils se trompent parfois, nous trompent aussi…Rappelons-nous les difficultés rencontrées par les impressionnistes, certains conservateurs auraient pu nous priver de tout un patrimoine… Depuis on craint tant de se tromper encore, que l’on tombe parfois dans l’excès : c’est nouveau, c’est différent, c’est génial !
– Aristote nous dit que la musique participe à l’éducation, qu’elle élève les sentiments… Elle est purificatrice,  la « catharsis » des grecs. Lorsque nous utilisons le terme « éduqué » pour jouir de l’art, nous devons nous rappeler que des hommes dits éduqués pleuraient en écoutant du Wagner le soir,  alors que dans la journée ils avaient « gazé » des milliers d’innocents. Apprécier l’art ne signifie pas faire son examen de conscience.
– Le pire avatar d’œuvre peut-être son universalité, « La Joconde », un des sommets de la Renaissance qui se transmet, qu’on montre aux enfants… Il est des formes d’art pour lesquels nous ne sommes pas forcement réceptifs : des bergers voyant peindre Cézanne le questionnaient, ils ne comprenaient pas. La notion d’art reste insoluble. Il convient de rappeler le propos de Bachelard « L’œuvre d’art est un virement d’être ».
– L’initiation ne devrait pas enfermer dans les canons de l’art, celui qui créé a la liberté, celui qui reçoit a la liberté..  il n’y a pas d’académie.. il y a alchimie !
– Les critiques  d’art nous épargnerait-ils  les efforts de jugement, nous induiraient-ils le jugement dit de « tendance » ?
– L’art est divers, nos goûts sont éclectiques. Les donneurs de leçons oeuvrent contre l’art ; Ne faut-il pas se méfier de cette sorte d’initiés-là ?

 Conclusion : On peut être réservé quant à la finalité d’une initiation à l’art, on peut désirer rester un profane gourmant à qui, la vie de l’artiste, ou la prouesse technique importe peu, et  ne pas vouloir se laisser conditionné par une mode culturelle, et si l’art est réservé à des initiés, est-ce encore de l’art ? Mettre des mots sur des émotions pures, d’art pictural, musical, littéraire… Devant certaines toiles modernes certains trouvent « l’art de ne rien dire avec de grands discours » (Alceste. Le Misanthrope de Molière). Mais on ne peut nier que parfois, faute de références, faute de culture, une dimension et nombre d’éléments nous échappent. Les œuvres parfois sont codées comme chez Poussin. Nous pouvons certes apprécier  l’esthétique qui est : «  je perçois, je ressens », nous voyons ce que nous montre l’artiste, mais peut-être que  nous n’entendons-nous  pas ce que nous dit l’artiste.

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