De l’envie et de la jalousie

Restitution du débat du Café-philo du 5 février 2014 à L’Haÿ-les-Roses

Thème:  » De l’envie et de la jalousie « 

Flirt et jalousie. Haynes KIng. 1874. Victoria and Albert Museum. Londres

Flirt et jalousie. Haynes KIng. 1874. Victoria and Albert Museum. Londres

Introduction par Guy Pannetier : Ce mot de jalousie m’a remis tout de suite en mémoire ce dicton : « La jalousie est un serpent qui se nourrit du venin qu’il distille. » Dans le cas de la jalousie maladive, on ne saurait mieux la décrire.
La jalousie est une blessure, quelque chose qui ronge lorsqu’il s’agit de la personne aimée, femme, maîtresse, mari, amant. Elle est parfois une atteinte à l’amour propre, blessure infligée au narcissisme. A partir de ce sentiment, on peut se sentir diminué, dévalorisé dans sa personne ; elle peut parfois aussi traduire un complexe d’infériorité.
Elle est diablesse ; elle est ce sentiment douloureux de l’amour inquiet, cette situation qui mine la personne jalouse, entre jalousie humiliante et jalousie sincère, entre le soupçon, le doute et la certitude d’une infidélité. Elle peut devenir jalousie délirante, pathologique, jusqu’à la paranoïa ; elle peut être destructrice. Elle est un curieux mélange d’amour, de peur et de souffrance. Elle peut être émotion irrationnelle. Elle découle parfois de cette émotion irrationnelle
Mais la jalousie est sœur de l’amour, du seul amour qui, dans le couple mari et femme, mérite ce nom, l’amour romantique : « L’amour, sans la jalousie, n’est pas l’amour », disait Paul Léautaud. Inséparable de l’amour, elle en est même la preuve incontestable ; vouloir tuer le sentiment de jalousie pour ne plus être vulnérable, c’est, peut-être, prendre le risque de tuer l’aptitude aux émotions.  
Alors se pose la question de savoir si l’on peut aimer, sans être jaloux, de savoir si « la jalousie n’est qu’un sot enfant de l’orgueil » (Beaumarchais) ou s’« il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour » (La Rochefoucauld), de savoir si ce n’est pas céder à un désir d’exclusivité, vouloir être aimé sans partage, tel un « Dieu jaloux », ou, comme un tigre, (symbole de jalousie féroce). Mais elle est la face noire de l’envie lorsqu’elle concerne d’autres personnes dans son environnement social.
Quant à l’envie, elle est sentiment, comme ressentiment ; c’est une médaille à deux faces : mauvaise amie, mauvaise conseillère, ou bonne amie, bonne conseillère, sentiment positif lorsqu’elle stimule, quand elle est désir, soit le propre de l’humain. Elle est alors, moteur avec l’espoir de gratitude ; elle est moteur d’apprentissage chez l’adulte comme chez l’enfant ; elle peut parfois nous aider à nous dépasser, quand, suivant l’expression, on meurt d’envie ; elle peut être admirative. Mais elle peut être négative, ressentiment, lorsqu’elle est justement synonyme de jalousie, et ceci particulièrement lorsqu’on utilise son adjectif, envieux, c’est-à-dire lorsqu’un individu est, suivant les expressions : rongé d’envie, dévoré d’envie, jusqu’à crever d’envie, et qu’elle n’est que convoitise. Elle peut devenir souffrance, et, parfois, elle finit par isoler l’envieux, l’envieuse, le jaloux, la jalouse.
La philosophie classe l’envie dans les sentiments positifs ou négatifs.  La religion, elle, l’a longtemps présentée sous son seul aspect négatif de péché capital. Mais, nous ne devons jamais oublier que le sens des mots évolue avec le temps. Avant l’acception moderne, elle fut chez Ronsard (Discours sur l’Envie) « le plus méchant et le plus vilain vice de tous, […] douleur et tristesse procédant d’un lâche courage et d’une abjecte pusillanimité de l’âme. » Chez Descartes (Les passions de l’âme), elle tout aussi maltraitée : « Une perversité de nature qui fait que certaines gens se fâchent du bien qu’ils voient arriver aux autres hommes. »
Comme nous sommes tous sujets à l’envie, elle peut aussi être un moteur économique.
Alors, la jalousie et l’envie, ces états affectifs,  sont-elles des démons qui sont en chacun de nous ? Pouvons-nous les canaliser, dominer ces démons, les maîtriser, pour que l’envie et la jalousie  nous servent sans nuire aux autres? Voyons si la réponse est dans le débat !

Débat : G J’attends beaucoup du débat parce que la question « La jalousie et l’envie sont-elles des démons qui sont en chacun de nous ? » m’interpelle. La question « Pouvons-nous les canaliser, dominer ces démons, les maîtriser,  pour que l’envie et la jalousie  nous servent sans nuire aux autres ? »  implique qu’envie et jalousie sont toutes deux des « passions tristes », selon l’expression de Spinoza, c’est à dire des passions qui affaiblissent  l’individu. Le problème est alors pour moi : peuvent-elles devenir, à l’opposé, des « passions joyeuses », qui augmentent l’énergie vitale, le « conatus » (terme spinoziste qui, littéralement, signifie : l’effort pour persévérer dans l’être).
Tristes ou joyeuses, ce sont des passions et ce terme français est issu du verbe latin « patior », qui signifie : subir, souffrir, d’où vient le terme « patient », dans le domaine médical : celui qui subit la maladie, celui qui souffre.
La passion est un état d’âme hétéronome. Retenons l’exclamation de Phèdre de Racine [acte I, scène 3] : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; ».  La passion est un état d’âme hétéronome parce que, comme l’écrit Descartes, c’est un mouvement de l’âme qui résulte en elle d’une action du corps qu’elle subit et ressent. De là, son caractère passif. Elle n’est pas inaction (et l’expérience le confirme), mais elle est une action du corps (rougeur, palpitations; tremblements, transpirations) qu’elle subit.
C’est pourquoi la passion, c’est ce qui, en moi, est plus fort que moi.
André Comte-Sponville, dans son Dictionnaire, dit qu’on ne décide pas d’aimer à la folie, ni de ne plus aimer, ni d’être avare ou ambitieux ; j’ajoute : ni d’être jaloux ou envieux.
Mais si toute passion est, comme on vient de le dire, hétéronome, elle n’en est pas, pour cela, toujours mauvaise. C’est  leur démesure qui est mauvaise. C’est encore Descartes qui nous invite à penser ainsi dans Les passions de l’âme, il juge qu’elles sont toutes bonnes par nature « et que nous n’avons rien à éviter que leurs mauvais usages et leurs excès, parce que c’est d’elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie. » Mais il faut les contrôler, autant que faire se peut, les maitriser quand il le faut, les utiliser quand c’est possible, et c’est à quoi se reconnaît l’homme d’action.
Deux siècles plus tard, Hegel aura cette formule que je trouve très juste : « rien de grand ne se fait sans passion ». En ce sens, aujourd’hui, il me semble que la morosité générale, le désintérêt pour les affaires politiques viennent de ce qu’il n’y a pas, au niveau de ceux qui nous gouvernent, de passion pour orienter notre histoire  en vue de  l’intérêt  général, pour les biens communs, bref pour ce qui permet aux femmes et aux hommes de ce pays de bien vivre ensemble. Dans les discussions politiciennes entre partis, pour les listes à présenter, au niveau municipal comme au niveau national, il n’y a qu’envie de sièges et jalousie par rapport aux postes : passions individuelles et tristes  et non pas passion pour des Idées ou des Idéaux.

G Des envies, j’en ai plein (je dois être en état de péché permanent !), mais de la jalousie, non ! Il peut y avoir dans une certaine forme d’envie, une part animale, sexuelle. Quant à la jalousie, elle est parfois différemment appréhendée suivant les couples ; parfois, il y a plus de tolérance, voire des accords tacites qui reculent le seuil de la jalousie ; dans d’autres cas, il ne saurait y avoir le moindre doute d’infidélité. Je trouve la jalousie absurde ; par contre, l’envie peut être stimulante : on peut avoir envie d’améliorer la vie en société, envie d’apprendre, de connaître, de voir, de découvrir…

G L’envie, cela doit un vrai moteur, puisque le développement se fait par mimétisme ; c’est le désir pour évoluer. Mais l’excès d’envie peut être destructeur, si on devient trop envieux. C’est le principe du péché capital ; il est le risque d’entraîner d’autres péchés, d’entraîner dans des passions destructrices.
Dans la Bible, l’envie est un des péchés capitaux et l’on y trouve aussi, par exemple : « Moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux » ; donc, Dieu est jaloux parce qu’il considère que l’homme ne doit pas adorer des idoles, ni pratiquer un autre culte.
Si une femme est mariée et que son mari va « fricoter » ailleurs, alors, sa jalousie est légitime ; en fait, la jalousie, c’est la peur de perdre quelque chose qui nous appartient ; mais quand quelqu’un devient jaloux à l’excès, cela marque un manque de confiance ; cela peut même inciter à tromper pour de bon.

G Je suis surpris qu’on pose cette question de la jalousie et de l’envie en café-philo, il y a des choses plus importantes à débattre, comme le vivre ensemble.

G On ne peut refuser de débattre sur quelque qui touche les individus et la psychologie. Ensuite, on doit faire un partage entre la jalousie entre deux personnes et celle entre trois personnes.
Lorsque l’envie oppose à une personne, on est alors envieux, on est saisi d’emblée ; c’est une pulsion qui nait en nous. La psychologie nous dit que l’envie est la première pulsion, première manière d’entrer dans le monde. L’envie est ce sentiment très violent, où l’on constate chez l’autre quelque chose de bon, quelque chose d’extraordinaire, et qui s’accompagne aussitôt de la nécessité de le détruire.
Si je me rappelle bien la Bible, cela commence précisément par un problème d’envie : Caïn envie le sort de son frère Abel et il le tue. L’histoire de l’humanité, suivant cette histoire, commencerait par un meurtre lié à l’envie et c’est pour cela que cela s’appelle un péché capital, car de celui-là découleront les autres.
Quant à la jalousie, on est là dans un autre degré d’organisation, on arrive à reconnaître l’autre, à tisser des liens avec l’autre, et vient alors la peur d’en être dépossédé, et, là, la situation n’est plus fondée sur deux, mais sur trois personnes. Je pense qu’il y a dans la jalousie quelque chose qui est fondé sur l’homosexualité, car quand une femme est jalouse, elle prend plein de renseignements sur sa rivale, il y a une sorte de projection dans cette dernière.

G Quand on parle de péché capital, c’est bien sûr suivant les Evangiles. L’envie n’est pas un péché « capital » dans d’autres civilisations, dans d’autres religions.
Lorsqu’on parle d’envie ou de jalousie, on ne parle pas de reflexe animal, comme je l’ai entendu, mais du point de vue humain, même si l’homme est un « animal raisonnable ». Dans sa sexualité et la sensualité, la jalousie, cela fait partie de l’humain.

G Quelques remarques sur des interventions : D’abord, je pense que la jalousie, comme l’envie, sont des sujets de psychologie et, de fait, des sujets philosophiques par essence. On ne peut pas parler de l’humain, sans parler de ses émotions, voire de ses pulsions.
Puis la question a été posée de savoir si on pouvait vivre sans jalousie.
Dans les années 1960, des hippies en Californie vivaient dans des communautés, où personne n’était la propriété de personnes, où les hommes et les femmes changeaient de partenaires au gré de leur fantaisie sans que cela pose de problèmes de jalousie. Mais, inévitablement, il se trouva deux êtres qui avaient une forte attirance et qui devenaient jaloux. De fait, ils retrouvaient cette norme ancestrale ; la jalousie renaissait avec l’amour. Je ne connais pas réellement d’expérience dans nos sociétés occidentales où l’on ait éliminé la jalousie.
Enfin, pour aborder un autre aspect de la jalousie, laquelle n’est pas, dans le couple, réservée à un aspect sexuel. Etant amoureux de ma femme, si elle a une relation intellectuelle privilégiée avec quelqu’un qui va prendre une place trop importante dans son esprit, s’il y a des pôles d’intérêt dont je suis exclu, si je suis écarté, alors, là sans qu’il y ait infidélité ou tromperie,  va naître un fort sentiment de jalousie. C’est alors l’emprise d’une autre personne. Le couple, c’est un lieu sacré, un univers, un jardin intime ; l’intrusion d’un tiers est une trahison, comme un viol, dans la sphère la plus privée qui soit.
Pour la provocation, je pose la question de savoir si la jalousie est plus féminine ou plus masculine ?

G Lorsqu’on va voir les définitions de ces deux mots, envie et jalousie, il y a comme une bascule. Donc, je me suis dit : c’est la même chose ! Non ! Ce n’est pas tout à fait la même chose ! Pour moi, l’envie c’est un sentiment qui peut être stimulant. Par contre, la jalousie n’est jamais stimulante ; de plus, elle est une source de crainte, parce qu’on n’a pas confiance en soi, parce qu’on ne fait pas confiance à l’autre. Donc, l’une est stimulation, l’autre est destruction.
J’ai recherché ce qui est positif dans l’envie ; il semble que lorsqu’elle est raisonnée et raisonnable, que quand elle cherche à conforter sa vie, à améliorer celle des autres, qu’elle ne cherche pas à nuire, elle est utile. Donc, cela passe par l’envie de vivre mieux, de comprendre, de partager, de se perfectionner, d’aimer.
Les effets négatifs de l’envie, c’est sa démesure, c’est quand elle devient convoitise, cherche à nuire, devient malveillante.
L’envie a ses dérapages : au niveau psychologique, par exemple, quand on perd sa propre personnalité pour ressembler à un modèle X, Y ; au niveau intellectuel, quand on croit qu’on peut rivaliser avec des êtres plus doués que soi, avec des savants.
On dit qu’on n’est jaloux que de ce l’on aime, oui ! Cela, c’est bien ! A condition que ce sentiment ne soit pas obsessionnel, car l’amour doit se vivre dans le respect de la liberté de l’autre. La jalousie ne doit pas aboutir à la domination, ni à l’enfermement de l’autre.
Quand ce sentiment de jalousie devient une inquiétude obsessionnelle, cela peut pourrir la vie, cela peut conduire au drame.

G Comment distinguer envie et jalousie, ces deux passions et passions tristes de surcroît ?
Dans son dictionnaire de philosophie, André Comte-Sponville les considère comme parfois synonymes, mais indique ce qui les distingue : « L’envieux voudrait posséder ce qu’il n’a pas et qu’un autre possède et le jaloux veut posséder seul ce qu’il croit être à lui. L’un souffre du manque, l’autre du partage. » Il ajoute : « De plus, il arrive que l’envie s’apaise, soit parce qu’on possède enfin ce qu’on désirait, soit parce que celui qu’on enviait ne le possède plus. La jalousie, non. Parce qu’elle s’entretient d’elle-même par le soupçon et les interprétations interminables de signes. » Ainsi, et je cite toujours : « L’envie est un rapport imaginaire au réel (qu’est ce que je serais heureux si ….) ; la jalousie est un rapport réel à l’imaginaire (qu’est ce que je suis malheureux de …) ; l’envie a un rapport à l’espérance, la jalousie à la crainte. »
Quand on analyse ainsi, comme Comte-Sponville, ce qui caractérise et ce qui distingue envie et jalousie, on se situe dans un certain type de société : une société régie par la logique de l’avoir, du posséder et non par une logique de l’exister, de l’être. Certes, on peut dire que l’envie et la jalousie sont dans la nature humaine, mais elles sont aussi fonction du type de société où on se construit et où on se trouve. Il me semble que les recherches utopiques de communautés humaines sans relation de propriété et sans relation de domination (hier, les kibboutz ou certaines  communautés monastiques, ou, aujourd’hui, certaines communautés agricoles de production et de consommation) montrent que, dans un tel contexte social, envie et jalousie sont moins exacerbées.
Finalement, envie et jalousie ont une réalité sans limitation possible, du point de vue sensuel et  sexuel, mais  ne  sont-elles pas,  là encore, fonction du modèle dominant? Il faudrait, pour en discuter, avoir connaissance d’études psycho-anthropologiques pour les confronter à notre expérience.
Cela n’exclut pas qu’on puisse parler de notre expérience et juger, par elle, des modèles de relation humaine qui nous sont proposés.

G La jalousie a créé  des situations dramatiques, comme en certains endroits d’Afrique où se pratique encore l’excision, cette mutilation sexuelle des femmes, et ceci afin qu’elles ignorent le plaisir, qu’elles ne soient pas tentées de chercher du plaisir.

G S’il y a ambigüité entre jalousie et envie, c’est peut-être parce qu’il y a une pulsion et que la société va tenter de dépasser cette pulsion ; il y a peut-être la transformation de toute l’énergie de cette pulsion qui est quelque chose qui doit construire et non détruire.

Le poème de Florence :
(Pantoum)

Jaloux

Moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux
Tu es ma création, ou ma caricature
Je suis le loup-garou qui voit des loups partout
Et je vis dans tes yeux comme une dictature

Tu es ma création, ou ma caricature
Sur le jeu de la vie, je suis le cheval fou
Et je vis dans tes yeux comme une dictature
Si tu respires ailleurs, je me pends à ton cou

Sur le jeu de la vie, je suis le cheval fou
Quel que soit le hasard, je crée la forfaiture
Si tu respires ailleurs, je me pends à ton cou
Tu es ma seule envie et ma seule aventure

Quel que soit le hasard, je crée la forfaiture
Un regard échangé peut me mettre en courroux
Tu es ma seule envie et ma seule aventure
Tu es mon seul doudou et je suis ton chouchou

Un regard échangé peut me mettre en courroux
Je soupçonne et j’épie, pour moi c’est ma nature
Tu es mon seul doudou et je suis ton chouchou
Et si tu files un jour, je prends la filature

Je soupçonne et j’épie, pour moi c’est ma nature
Pour un oui, pour un non, là je te prends le chou
Et si tu files un jour, je prends la filature
Je me veux un bisou tatoué sur ta joue

Pour un oui, pour un non, là je te prends le chou
J’ai fermé les verrous, j’ai construit des clôtures
Je me veux un bisou tatoué sur ta joue
La seule échappatoire est une sépulture

J’ai fermé les verrous, j’ai construit des clôtures
Je t’offre des bijoux, je suis à tes genoux
La seule échappatoire est une sépulture
Je suis plus cramponné qu’un bataillon de poux

Je t’offre des bijoux, je suis à tes genoux
Oui, je suis le caillou, logé dans ta chaussure
Je suis plus cramponné qu’un bataillon de poux
Tu n’es que mon joujou, tu es ma créature

Oui, je suis le caillou, logé dans ta chaussure
Tous les jours je suis lourd, la nuit je suis hibou
Tu n’es que mon joujou, tu es ma créature
Moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux !

G Sophie Bessis, dans son œuvre L’occident et les autres. Histoire d’une suprématie, nous décrit avec talent la jalousie de petites filles tunisiennes envers des petites Françaises blondes au sein d’un lycée à Tunis : « Ensuite, elles faisaient leur communion. En costume de petites mariées, avec traîne et voile de tulle, missel à la main et distribuant autour d’elles des images pieuses, elles venaient en grande pompe dans la classe saluer leur maîtresse avec une modestie triomphante, et recevaient d’elles des congratulations qui nous brisaient le cœur. Qui d’entre-nous, musulmanes et juives partageant une fois de plus les mêmes ténèbres, n’a rêvé au moins une fois dans son enfance d’être catholique pour pouvoir être admise dans cette féerie ? »

G Nous avons des singularités, même nos différences hommes/femmes au-delà du discours ambiant. Il y a quelque chose qui manque entre l’envie et la jalousie ; ce que je trouve formidable, c’est le désir de choisir ce que l’on sera, sans avoir besoin d’une législation.

G Nous avons été jaloux en tant qu’enfants. J’ai trois garçons qui étaient jaloux de leur père, comme il arrive parfois que les filles soient jalouses de leur mère. Peut-être que c’est fondateur et que c’est ainsi qu’ils vont se construire, en dépassant l’image idéalisée.

G Texte de Michelle :

Je t’aime, mais m’aimes-tu assez au point d’être jaloux.
Si tu ne m’aimes pas vraiment, tu ne peux être jaloux.
Je ne crains pas l’amour pour être aimée en retour.
Je suis sur la vague qui me donne envie d’aimer pour créer.
Rien ne m’arrête car j’ai la passion en moi.
Jalousie, je te refuse dans ma vie.

 

La monomane de l'envie. THéodore Géricault. 1822. Musée des beaux Arts de Lyon

La monomane de l'envie. THéodore Géricault. 1822. Musée des beaux Arts de Lyon

G Depuis la mythologie, avec la jalousie d’Héra envers ce « chaud lapin » de Zeus, celle-ci a inspiré des tragédies, des romans, des contes de fée, des fables, des scenarii au cinéma, des chansons…
Dans les tragédies, elle nous montre ce qui est en fait des crimes passionnels, crimes de la jalousie. Euripide nous a fait vibrer avec Médée, laquelle, pour punir Jason, va jusqu’à tuer ses propres enfants. Celle-ci dit à son époux : « Tu n’allais pas,  après m’avoir rejetée de ton lit, passer une vie de plaisir, à te moquer de moi. […] Je t’ai rendu, comme il se doit, coup pour coup, droit au cœur. »
Chez Sophocle, on tremble avec Déjanire, qui offre le voile mortel à Iole pour se venger de l’infidélité d’Héraclès. Elle finira par se suicider.
Shakespeare nous lègue un chef d’œuvre avec la jalousie d’Othello envers la pauvre Desdémone, jalousie créée et attisée par l’envie du perfide Iago qui a distillé le venin de la jalousie dans l’esprit d’Othello.
Heureusement, Feydeau a su mettre en scène la jalousie pour en faire un divertissement et nous faire rire avec le personnage récurrent du mari cocu. Par exemple, dans une pièce de boulevard, le mari surprend l’amant dans la chambre de sa femme ; il le somme de partir, de se rhabiller, et alors l’amant, ayant du mal à remettre ses chaussures, demande au mari, s’il ne pourrait pas lui prêter une corne ! Pour citer une chanson qui parle de l’envie, voici quelques lignes traduites d’une chanson espagnole créée par le cubain Antonio Machin en 1936 (paroles : Hermanos Garcia Segura) :

Envidia
J’ai envie des vallées
J’ai envie des rivières
J’ai envie des rues
Que tu as parcourues sans moi
J’ai envie des roses de ton jardin
J’ai envie de ce mouchoir qui a séché  tes larmes
Parce que tout cela fut près de toi
Et toute cette envie n’est que mon amour

G Récemment, des reportages dans des couvents nous montraient l’épanouissement des Sœurs qui étaient à l’abri des ces sentiments d’envie, car elles étaient dans une famille où le premier principe était l’égalité. Elles sont plus heureuses que si elles étaient restées dans la société.
Pour moi, l’envie c’est très sain, même si on sait qu’on n’aura pas forcément ce dont on a envie.

G Dans les couvents, nous sommes dans un univers bien différent : les individus sont hors des passions et la sécurité du lendemain y est assurée ; ce n’est pas comparable à la vie courante.

G Effectivement, dans des structures fermées, couvents, monastères, il n’y a pas de problème d’envie ; pour la jalousie, c’est moins sûr. On est dans un univers où il n’y a pas de compétition, alors que dans le monde « réel », nous sommes en compétition, de l’école au monde du travail ; c’est même, hélas, parfois, une méthode de motivation, où la jalousie est instrumentalisée.

G Oui, bien sûr, il n’y pas de jalousie dans des structures monastiques, où il s’agit de Frères et de Sœurs, mais surtout parce qu’il y a un amour supérieur, un amour égal pour tous, celle d’un dieu. Cette horizontalité supprime cette envie d’avoir ce que l’autre a ou de vouloir détruire ce que l’autre a de plus. Donc, il faut aller vers plus d’égalité, plus d’uniformisation. Il reste la différence des sexes, nous disent certains psychanalystes, l’envie d’avoir le sexe de l’autre, « l’envie de pénis ».
L’actualité nous parle d’indifférenciation avec la théorie du genre, c’est un peu aller vers le clonage, l’individu indifférencié, quelque chose comme l’envie d’un monde orwellien ; il se développe un sentiment haineux de la différence.

G Nous avons vu en Chine une société où ces sentiments d’envie et de jalousie ne paraissent pas ; cela pourrait venir aussi d’une pensée unique.

G J’ai vu dans les définitions d’envie : « désir soudain d’avoir, de posséder » ; là, cela m’a fait penser à notre société de consommation qui ne cesse de créer des envies. Quand on peut y accéder, ça va, mais il y a des fractions de la société qui n’ont que l’envie. D’ailleurs, on n’est jamais rassasié des envies d’acheter ; cela peut générer des jalousies et des frustrations dans une certaine jeunesse qui veut tout, et tout de suite.
Cela peut même amener à des situations extrêmes, comme celle d’Ilan Halimi en janvier 2006, séquestré, puis torturé jusqu’à la mort par le « gang des barbares », jeunes gens, élevés sans contraintes, sans morale, ce qui est décrit dans le livre de Morgan Sportès Tout, tout de suite : « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance, ce livre est une autopsie, celle de notre société, de la barbarie, une petite bande enlève un jeune homme. La rançon exigée n’a rien à voir avec le milieu plutôt modeste dont il est issu ; mais le choix de ses agresseurs s’est porté sur lui, car en tant que juif, il est supposé riche… » C’est vrai que ce genre de fait divers reste quand même assez rare ; la victime l’a été parce qu’elle appartenait à une communauté censée avoir de l’argent. Ce « tout, tout de suite », l’envie jusqu’au crime, me donne froid dans le dos.

G L’envie est le graal de la publicité : trouver comment créer l’envie qui entraîne l’achat qui sera gratitude de l’ego. L’envie participe à cette nouvelle divinité, « la croissance ». Imaginez que le peuple n’ait plus envie de se mettre les chaînes des sociétés de crédits ; que les gens n’aient plus envie de s’endetter au-delà de ce qu’ils disposent réellement, alors, la bulle explose. Chaque jour le message est : enviez, désirez, convoitez, consommez, et, dans le prix, vous paierez même pour avoir envie !

G « La jalousie est une équation à trois termes permutables (indécidables) : on est toujours jaloux de deux personnes à la fois. Je suis jaloux de qui j’aime et de qui l’aime. » (Extrait de l’essai : Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes.)

G « Comme jaloux, je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l’être, parce que je crains que ma jalousie blesse l’autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d’être exclu, d’être agressif, d’être fou, et d’être commun ». (Autre extrait des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes.)

G La jalousie est un sentiment qui peut être destructeur. Il peut être un sentiment bizarre, complexe, basé sur l’envie d’être le vainqueur d’une compétition, ou envie de possession sans amour. Cela est illustré dans l’œuvre de Proust La prisonnière, où le personnage principal (le narrateur) est amoureux d’Albertine, mais dès qu’il sent qu’il ne risque plus que quelqu’un la lui prenne, elle ne l’intéresse plus.

G On ne pense avec sa propre tête qu’à partir du moment où l’on prend soi-même de la distance à l’égard de ce que l’on aime le plus.

G Une autre chanson évoque la jalousie :
(extrait : 1er couplet)

Jalousie.

Jalousie, tu viens ramper autour de moi, comme un serpent perfide et froid
Jalousie, tu rives dans ta chaîne mon cœur glacé d’effroi
Jalousie, tu viens salir de ton venin la blanche trame du destin
Jalousie, tu fais jaillir la haine dans l’ombre du chemin.
Jamais, tu ne me livres ton secret mais, tu sais cueillir tour à tour
Pour empoisonner au long des jours, mon amour

Jalousie, parfois je sais par toi qu’un étranger a pris ma belle au cœur léger
Jalousie, j’attends dans ma folie, la joie de me venger.

Paroles et musique de Maurice Yvain. Extrait de l’opérette Chanson gitane (1946). Chanson interprétée par Armand Mestral.

Œuvres citées :

Livres :
L’occident et les autres. Histoire d’une suprématie. Sophie Bessis. La Découverte 2001.
Dictionnaire philosophique. André Comte-Sponville.
Médée. Euripide. Folio classique. Gallimard. 1962.
Les Trachiniennes. Sophocle. Garnier Flammarion. 1964.
Othello. Shakespeare.
Tout, tout de suite. Morgan Sportès. Fayard. Prix interallié 2011.
Fragments d’un discours amoureux. Roland Barthes. Seuil. 1977.

Chansons :
Envidia. (= Envie) Chanson créée par le chanteur cubain Antonio Machin (1936). Paroles : Hermanos Garcia Segura.
Jalousie. Paroles et musique de Maurice Yvain. Extrait de l’opérette Chanson gitane (1946).  Chanson interprétée par Armand Mestral.

 

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Une réponse à De l’envie et de la jalousie

  1. pannetier guy dit :

    Avec ce thème le café-philo explore un sjet peu abordé dans les débats philosophes

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