Intégration, nécessaire? Jusqu’à quel point?

Restitution du débat du Café-philo du 2 avril 2014 à L’Haÿ-les-Roses.

Le juif errant. Marc Chagall. 1925. Musée d'art moderne de Genève.

Le juif errant. Marc Chagall. 1925. Musée d'art moderne de Genève.

Introduction : Liliane
Dans l’idée d’intégration, il y a la notion d’entier ; l’intégration, c’est quelque chose qui vient le compléter, c’est un petit élément qui s’introduit dans un plus grand que lui. L’ennui c’est que si le grand élément a besoin du petit pour être entier, cela prouve que l’intégration était nécessaire.
Mais l’intégration diffère de l’assimilation qui demande d’abord plus de consensus et peut-être plus de renoncement à des valeurs, à des traditions.
L’individu, au départ, n’a aucune autonomie ; il ne vit, ne survit que s’il s’intègre à un groupe, déjà, la famille, puis d’autres groupes sociaux tout au long de sa vie. Malgré cette volonté d’intégration, il arrive hélas que les personnes arrivant à la vieillesse se trouvent exclues, isolées, et finissent par ne plus être intégrées à notre société.
L’intégration, telle que nous l’entendons aujourd’hui est au niveau de la société, d’un pays, d’une ville, d’un village, ou dans une entreprise, entreprise où, depuis quelques temps, il devient de plus en plus difficile d’être et/ou de sentir intégré. Dans ce domaine, le travail précaire, l’intérim, la compétition entre les individus, l’individualisme, mettent le principal obstacle à cette intégration à un groupe cohérent, ce qui s’avère finalement négatif, même pour l’entreprise.
Etre intégré dans une société, c’est aussi faire face à ses obligations, à ses devoirs, et très vite l’impossibilité de remplir ses obligations, comme ne plus pouvoir payer son loyer, vous met hors de la société, vous marginalise. De plus, les sociétés évoluent de plus en plus vite et celui qui ne suit pas est très vite écarté.
L’intégration des personnes venues d’ailleurs est absolument nécessaire ; de plus, cela évite qu’une société se sclérose. Le phénomène contraire à l’intégration était la colonisation, où l’élément extérieur absorbait celui qui l’accueille ou qui est envahi.
Toute société, et la société française particulièrement, s’est enrichie, pendant des siècles et des siècles, des éléments culturels venus avec les migrants. L’intégration, ce sont des apports sur le plan scientifique, culturel, artistique : musique, littérature, peinture, jusqu’aux danses et à la gastronomie ; c’est du partage et c’est un enrichissement.

Débat : G J’ai vu dans le mot intégration son aspect social et politique, un sujet d’actualité, bien sûr ! Si on regarde du côté de l’étymologie, de intégration à intègre, on va jusqu’à intégrisme, lequel intégrisme se trouve aujourd’hui être un des principaux obstacles à l’intégration, voire parfois son adversaire.
On accepte le principe d’intégration ou pas ; lui mettre des limites, dire, comme dans la question initiale, « l’intégration, jusqu’à quel point ? », c’est mettre des barrières.
Notre pays, ses habitants, c’est effectivement la résultante depuis des siècles de vagues d’immigration, lesquelles sont partie intégrante de notre patrimoine génétique, comme de notre culture. C’est au final le pays d’accueil qui s’est peu à peu « assimilé ».

G Je ne suis pas pour une intégration totale, car avoir et conserver deux cultures est une grande richesse ; parler deux langues, c’est la logique de deux grammaires différentes.
S’intégrer n’est pas se renier. Nous avons l’exemple de communautés qui se sont très bien intégrées sans heurt, ce sont les Arméniens ; ils ont conservé leur culture, leur langue, tout en adoptant celle du pays d’accueil. L’intégration a été d’autant plus facile, qu’il n’y avait pas une trop grande différence culturelle. D’autres populations, à la différence plus marquée, rencontrent, elles, certaines difficultés et peuvent même se sentir victimes de racisme ; il y a alors plus de mal à s’intégrer ; là, il peut même y avoir un repli identitaire.

G Cette question sur l’intégration n’a de sens que dans une société multiculturelle, d’une part, et, d’autre part, c’est en sociologie que cette question a pris réellement tout son sens.
Ce qui m’a poussée à intervenir dans ce débat, c’est déjà mon expérience personnelle. C’est en m’appuyant sur cette expérience et quelques informations recueillies sur Wikipédia que je voudrais arriver à distinguer précisément : intégration, assimilation et communautarisme.
Voici mon témoignage :
Mes parents étaient des Juifs polonais ; dans les années 1910-1930,  l’antisémitisme de la part des Polonais était très virulent ; c’était l’époque des pogroms. Mes parents se sont alors engagés dans un mouvement de jeunesse, Hashomer Hatzaïr*,  mouvement qui veut que la terre de Sion accueille les victimes de l’antisémitisme, sioniste et socialiste au sens où Marx l’a pensé, c’est-à-dire, où la société intègre toutes les identités de manière égalitaire. Alors, ils partirent en Palestine qui était sous mandat anglais, ils y construisirent un kibboutz, c’est-à-dire une société autogestionnaire, sans argent, régie par l’égalité homme-femme, la rotation des tâches, l’éducation collective des enfants, et sans violence à l’égard des émigrés.
Exclus de Palestine pour des raisons politiques et après une pérégrination en Roumanie et en Tchécoslovaquie, ils s’installèrent en France qui était alors la France du Front populaire de 1936, c’est-à-dire une France qui voulait établir l’Egalité, la Fraternité et la Liberté, ceci dans les institutions et dans la réalité de la vie quotidienne, ceci pour tous, quel que soit leur origine, leur culture.
Puis, ce fût la guerre et l’occupation allemande, avec une toute autre idée de la société : celle d’une société basée sur la hiérarchie des races, donc raciste, fermée aux étrangers et exterminant les non-aryens. La résistance à ce projet fasciste impliquait de concevoir et réaliser une société intégrative de toutes les nationalités et de toutes les différentes origines.
C’est avec cet idéal que j’ai grandi, mais, concrètement, l’intégration, pour moi, a signifié d’abord l’assimilation : il s’agissait de parler parfaitement le français et de devenir une française parmi d’autres, sans afficher aucune différence. Ainsi, alors que mes parents parlaient le yiddish entre-eux, il n’était pas question pour moi de l’apprendre et a fortiori de le parler.
Donc, à la question : « l’intégration, jusqu’à quel point ? », c’est, oui à l’intégration, mais sans aller jusqu’à l’assimilation. Pour moi, l’assimilation implique une diminution de richesses potentielles. J’aurais pu apprendre sans difficulté d’autres langues, des langues qui étaient de fait mes langues maternelles : le yiddish, l’hébreu, le polonais. A l’adolescence, j’ai compris combien l’intégration ne devait pas être confondue avec l’assimilation. J’ai refusé de franciser mon nom de « Perstunski » en « Pertin ». Voilà comment je réponds à la question : « l’intégration, jusqu’à quel point ? ».
Je redemanderai la parole pour répondre à la question : l’intégration est-elle nécessaire ? »[* Hashomer Hatzaïr ou HaShomer HaTzair (en hébreu : השומר הצעיר, « La jeune garde », est un mouvement de jeunesse juive et sioniste de gauche né en 1913 en Pologne.]

G J’ai trouvé (sur le site Internet www. Human-side.com/wilber/intégration) cette définition intéressante : « L’intégration est un processus de combinaison d’éléments qui au premier abord semblent incompatibles ou même conflictuels, mais qui, après un peu d’analyse et de re-synthèse (menant à la reformulation ou la réorientation), s’avèrent être plutôt complémentaires. ». En fait, quand on doit intégrer, on introduit un élément différent dans un système. Donc, on peut, sélectionner, et là ce n’est plus de l’intégration, car, alors, on rejette ce qui est trop différent ; on garde le plus semblable et c’est appauvrissant. Sinon, on a aussi le compromis avec le plus petit dénominateur commun, où on a alors justement cette intégration réelle et enrichissante.
Pour obtenir le titre de séjour de longue durée, les étrangers non-Européens doivent signer le document du « contrat d’accueil et d’intégration ». Selon le site Internet service public.fr, il leur est demandé d’avoir des connaissances sur les valeurs de la République française, notamment la laïcité, les libertés fondamentales, l’égalité homme-femme, le système éducatif.
Où cela va moins bien, c’est quand il faut accéder aux guichets. Là, il y a un sentiment de discrimination !

G Cela nous questionne quant au peuple juif, soit identitaire et soucieux de sa terre et de son intégrité, soit dispersé dans le monde et faisant partie de la Diaspora et amené à une certaine assimilation. Comment continuer d’être intégré dans un pays toute en gardant toute son identité ?
Etant de parents avec des origines belges d’un côté et italiennes de l’autre, je n’ai pas de points communs avec les franco-français identitaires, parce que je trouve que « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part », comme dit Brassens [dans la Ballade des gens qui sont nés quelque part], sont parfois dangereux. Il y a un besoin de connaître beaucoup d’endroits et de cultures pour se faire une idée du monde, de l’humain et pouvoir échanger et communiquer largement. Les gens sont toujours le produit de leur histoire et ils gagnent à la partager sans trop de réflexes identitaires.

G Voici la définition proposée par le Haut Comité à l’Intégration, qui traite notamment des questions de l’immigration et de la présence de populations étrangères sur le territoire national : « L’intégration consiste à susciter la participation active à la société toute entière de l’ensemble des femmes et des hommes appelés à vivre durablement sur notre sol en acceptant sans arrière-pensée que subsistent des spécificités, notamment culturelles, mais en mettant l’accent sur les ressemblances et les convergences dans l’égalité des droits et des devoirs, afin d’assurer la cohésion de notre tissu social. »

G Oui, l’intégration est nécessaire. D’abord parce que, effectivement, il n’y a pas de processus d’éducation sans moyen d’intégration, mais à condition de refuser le communautarisme, parce que les réponses diffèrent suivant l’image de vie que l’on a. Si on a un idéal de vie répétant de manière figée les traditions, c’est-à-dire avec intégrisme, alors on est sans ouverture aux autres façons de vivre, et alors l’intégration n’est pas nécessaire. Mais si on a un idéal de vie, non seulement tolérante, c’est-à-dire paternaliste, mais respectueuse des mœurs et des coutumes différentes, en faisant la différence entre tolérance et respect, alors l’intégration est nécessaire, mais à la condition bien sûr d’expliciter quelles mœurs et quelles coutumes différentes sont inacceptables, y compris par rapport à l’idéal de vie dans une société intégrante.

G Intégrer, c’est reconnaître les mêmes droits à l’autre, à celui que l’on intègre. S’intégrer ce n’est pas se renier, se perdre, perdre son identité. Au contraire, c’est s’enrichir, c’est bénéficier d’un apport, de quelque chose de complémentaire.
Depuis la naissance, on ne fait que s’intégrer, déjà dans une famille, puis à l’école, puis dans le monde du travail. On peut se trouver parfois dans un milieu qu’on ne connaît pas ; on est « comme des étrangers », mais on finit par s’intégrer, par être intégré, si l’on respecte les règles, les codes, les principes, en respectant la liberté de chacun, sans apporter de la nuisance au groupe. S’intégrer est une démarche qui n’est pas à sens unique ; on peut s’intégrer sans perdre son individualité.

G Je ne vais pas faire un acte de contrition parce je suis un « non-sympathique franco-français », il ne faut pas tomber dans l’exagération.
Faire la queue pour avoir une carte de séjour, je connais cela, puisque vivant dans deux pays européens. Mais cela vaut la peine ; c’est une grande richesse que l’on acquiert, mais, pour cela, il faut faire l’effort d’apprendre une langue et la culture du pays d’accueil ; c’est se découvrir une autre dimension.
Par ailleurs, j’ai eu un entretien récent avec un professeur de sociologie de nationalité canadienne et d’origine algérienne. Il ressort que le Canada, où il a vécu et exercé quelques années, fait beaucoup pour l’intégration, mais qu’il s’agit d’immigration choisie ; n’y va pas qui veut, précise-t-il. L’installation y nécessite autant de démarches administratives laborieuses qu’en France, si ce n’est plus. Ce professeur m’a dit que, même s’il reste beaucoup à faire en France pour l’intégration de ceux qui sont originaires d’Afrique (Afrique noire ou Maghreb), on est mieux en France culturellement, car les relations avec nos pays, quels qu’ils furent, font qu’on est mieux compris. Au Canada, on reste toujours des étrangers.

G Dans la mesure où l’on distingue très nettement intégration, assimilation et communautarisme, il y a une question qui se pose, à savoir (selon la notice de Wikipédia sur l’intégration) : «  L’intégration républicaine fonctionne-t-elle encore aujourd’hui face à la diversité culturelle ? ». La réponse (selon la même source) consiste à dire qu’il y a trois mécanismes traditionnels de l’intégration républicaine : « l’école laïque, instituée par Jules Ferry en 1883, obligatoire et gratuite pour tous les enfants résidants sur le sol français, la maîtrise de la langue partagée, le français, et le droit de la nationalité fondé sur le droit du sol. » Or, aujourd’hui, est introduite une remise en cause de l’intégration, d’une part, par la critique de l’école considérée comme inefficace dans son rôle d’intégration, d’autre part, par le retour aux revendications liées à la pratique des langues régionales, et enfin par le consensus sur le droit à la nationalité, laquelle aujourd’hui fait l’objet d’un débat, puisque la dernière mouture de ce droit, en 2002, c’est le fameux entretien individuel pour évaluer les connaissances de la langue et des droits et devoirs pour les candidats à la nationalisation.

G Une étude génétique très récente sur des ossements d’individus datant de plus de trente mille ans et provenant de plusieurs endroits de la Terre, montre que nous avons un patrimoine commun et que nous sommes tous des descendants de migrants. Nous commençons à mieux connaître les milliers de migrations qui ont constitué nos sociétés. La migration de tout temps et ce qui fut « l’assimilation » sont donc presque  aussi vieilles que ce monde d’humains. Dans notre époque actuelle, nous n’utilisons pas ce terme d’assimilation, qui, à la différence de l’intégration, sous-entend que les nouveaux arrivants devraient abandonner toute différence pour être dans un modèle standard, ce qui est contraire à la notion de progrès et d’humanisme. L’intégration ne se fait pas toujours naturellement et peut parfois créer quelques points de tension. Alors, nous sommes devant (pour le moins) trois possibilités/
1°) S’arc-bouter sur son modèle ; c’est l’assimilation à tout prix, presque de « l’acclimatation ». C’est un point vue dont un courant politique a fait son fonds de commerce.
2°) S’ouvrir à d’autres cultures, à d’autres traditions, en tâchant de sauver ce qui nous semble essentiel pour le maintien du lien social, ce qui culturellement crée la continuité d’une nation ; autrement dit, c’est construire sans détruire.
3°) Laisser faire les choses, les évènements, se disant qu’après une certaine période et un peu de pagaille, les choses finiront  par s’arranger toutes seules.
La France a fixé, dans ses règles incontournables du lien social et des valeurs républicaines, la Laïcité, laquelle n’est pas une dictature, ni une religion d’État. Un sondage en 2008 disait que dans la communauté musulmane de France, plus de 80 % des personnes interrogées étaient très attachées à la laïcité, et même, pour beaucoup, cela avait fait partie du choix de la France comme pays d’immigration, cette laïcité leur assurant, entre autres, de pouvoir pratiquer leur religion sans crainte.

G Le poème de Florence (sonnet) :

Intégration, nécessaire ? Jusqu’à quel point ?

Monte vers le ciel la tour de Babel
Lorsque le creuset se fait la matrice
De l’humanité émancipatrice
Le monde est si beau lorsqu’il est rebelle

Moi qui étais roi au fond de mon djebel
Dans une vision simplificatrice
Je suis le paria victime expiatrice
Je suis l’immigré et c’est un label

Qui colle à la peau malgré l’espérance
J’ai fait l’expérience de l’intolérance
Discrimination, assimilation

Je me suis cogné au plafond de verre
Mais dans le contrat de l’intégration
Est écrit espère et puis persévère.

G On fait une grande critique de l’intégration à la française. Allez voir un peu de par le monde, allez voir les préférences nationales (aux USA, par exemple), allez voir les interdits vestimentaires dans des pays du Moyen-Orient, allez essayer d’y porter un signe religieux ostentatoire. La France reste, avec tous les défauts et dysfonctionnements cités,  « une terre d’accueil », et je suis surpris de voir qu’on considère comme un obstacle à l’intégration le fait de demander un minimum de désir de s’intégrer, comme connaître un peu la langue, s’engager au respect des valeurs républicaines (dont la laïcité), même si, moi aussi, je suis outré de ces queues devant les préfectures.

G Nous voyons bien les différences d’intégration entre les premières et les deuxièmes générations d’immigrés. Quand les gens viennent en France avec l’idée de repartir à terme dans leur pays, c’est tout à fait différent que pour ceux qui viennent pour faire souche et pour que leurs enfants continuent leur vie en France. Là, l’intégration prendra une forme différente plus proche peut-être d’une certaine assimilation.

G L’assimilation, c’ est la désintégration de l’individualité.

 

 

 

j : Thème « Intégration, nécessaire ? Jusqu’à quel point ? »

Le juif errant. Chagall. 1925.

Musée d’art moderne. Genève.

 

Restitution du débat du Café-philo du 2 avril 2014 à L’Haÿ-les-Roses.

 

Introduction : Liliane

Dans l’idée d’intégration, il y a la notion d’entier ; l’intégration, c’est quelque chose qui vient le compléter, c’est un petit élément qui s’introduit dans un plus grand que lui. L’ennui c’est que si le grand élément a besoin du petit pour être entier, cela prouve que l’intégration était nécessaire.

Mais l’intégration diffère de l’assimilation qui demande d’abord plus de consensus et peut-être plus de renoncement à des valeurs, à des traditions.

L’individu, au départ, n’a aucune autonomie ; il ne vit, ne survit que s’il s’intègre à un groupe, déjà, la famille, puis d’autres groupes sociaux tout au long de sa vie. Malgré cette volonté d’intégration, il arrive hélas que les personnes arrivant à la vieillesse se trouvent exclues, isolées, et finissent par ne plus être intégrées à notre société.

L’intégration, telle que nous l’entendons aujourd’hui est au niveau de la société, d’un pays, d’une ville, d’un village, ou dans une entreprise, entreprise où, depuis quelques temps, il devient de plus en plus difficile d’être et/ou de sentir intégré. Dans ce domaine, le travail précaire, l’intérim, la compétition entre les individus, l’individualisme, mettent le principal obstacle à cette intégration à un groupe cohérent, ce qui s’avère finalement négatif, même pour l’entreprise.

Etre intégré dans une société, c’est aussi faire face à ses obligations, à ses devoirs, et très vite l’impossibilité de remplir ses obligations, comme ne plus pouvoir payer son loyer, vous met hors de la société, vous marginalise. De plus, les sociétés évoluent de plus en plus vite et celui qui ne suit pas est très vite écarté.

L’intégration des personnes venues d’ailleurs est absolument nécessaire ; de plus, cela évite qu’une société se sclérose. Le phénomène contraire à l’intégration était la colonisation, où l’élément extérieur absorbait celui qui l’accueille ou qui est envahi.

Toute société, et la société française particulièrement, s’est enrichie, pendant des siècles et des siècles, des éléments culturels venus avec les migrants. L’intégration, ce sont des apports sur le plan scientifique, culturel, artistique : musique, littérature, peinture, jusqu’aux danses et à la gastronomie ; c’est du partage et c’est un enrichissement.

 

Débat :

G J’ai vu dans le mot intégration son aspect social et politique, un sujet d’actualité, bien sûr ! Si on regarde du côté de l’étymologie, de intégration à intègre, on va jusqu’à intégrisme, lequel intégrisme se trouve aujourd’hui être un des principaux obstacles à l’intégration, voire parfois son adversaire.

On accepte le principe d’intégration ou pas ; lui mettre des limites, dire, comme dans la question initiale, « l’intégration, jusqu’à quel point ? », c’est mettre des barrières.

Notre pays, ses habitants, c’est effectivement la résultante depuis des siècles de vagues d’immigration, lesquelles sont partie intégrante du patrimoine génétique, comme de notre culture. C’est au final le pays d’accueil qui s’est peu à peu « assimilé ».

 

G Je ne suis pas pour une intégration totale, car avoir et conserver deux cultures est une grande richesse ; parler deux langues, c’est la logique de deux grammaires différentes.

S’intégrer n’est pas se renier. Nous avons l’exemple de communautés qui se sont très bien intégrées sans heurt, ce sont les Arméniens ; ils ont conservé leur culture, leur langue, tout en adoptant celle du pays d’accueil. L’intégration a été d’autant plus facile, qu’il n’y avait pas une trop grande différence culturelle. D’autres populations, à la différence plus marquée, rencontrent, elles, certaines difficultés et peuvent même se sentir victimes de racisme ; il y a alors plus de mal à s’intégrer ; là, il peut même y avoir un repli identitaire.

 

G Cette question sur l’intégration n’a de sens que dans une société multiculturelle, d’une part, et, d’autre part, c’est en sociologie que cette question a pris réellement tout son sens.

Ce qui m’a poussée à intervenir dans ce débat, c’est déjà mon expérience personnelle. C’est en m’appuyant sur cette expérience et quelques informations recueillies sur Wikipédia que je voudrais arriver à distinguer précisément : intégration, assimilation et communautarisme.

Voici mon témoignage :

Mes parents étaient des Juifs polonais ; dans les années 1910-1930,  l’antisémitisme de la part des Polonais était très virulent ; c’était l’époque des pogroms. Mes parents se sont alors engagés dans un mouvement de jeunesse, Hashomer Hatzaïr*,  mouvement qui veut que la terre de Sion accueille les victimes de l’antisémitisme, sioniste et socialiste au sens où Marx l’a pensé, c’est-à-dire, où la société intègre toutes les identités de manière égalitaire. Alors, ils partirent en Palestine qui était sous mandat anglais, ils y construisirent un kibboutz, c’est-à-dire une société autogestionnaire, sans argent, régie par l’égalité homme-femme, la rotation des tâches, l’éducation collective des enfants, et sans violence à l’égard des émigrés.

Exclus de Palestine pour des raisons politiques et après une pérégrination en Roumanie et en Tchécoslovaquie, ils s’installèrent en France qui était alors la France du Front populaire de 1936, c’est-à-dire une France qui voulait établir l’Egalité, la Fraternité et la Liberté, ceci dans les institutions et dans la réalité de la vie quotidienne, ceci pour tous, quel que soit leur origine, leur culture.

Puis, ce fût la guerre et l’occupation allemande, avec une toute autre idée de la société : celle d’une société basée sur la hiérarchie des races, donc raciste, fermée aux étrangers et exterminant les non-aryens. La résistance à ce projet fasciste impliquait de concevoir et réaliser une société intégrative de toutes les nationalités et de toutes les différentes origines.

C’est avec cet idéal que j’ai grandi, mais, concrètement, l’intégration, pour moi, a signifié d’abord l’assimilation : il s’agissait de parler parfaitement le français et de devenir une française parmi d’autres, sans afficher aucune différence. Ainsi, alors que mes parents parlaient le yiddish entre-eux, il n’était pas question pour moi de l’apprendre et a fortiori de le parler.

Donc, à la question : « l’intégration, jusqu’à quel point ? », c’est, oui à l’intégration, mais sans aller jusqu’à l’assimilation. Pour moi, l’assimilation implique une diminution de richesses potentielles. J’aurais pu apprendre sans difficulté d’autres langues, des langues qui étaient de fait mes langues maternelles : le yiddish, l’hébreu, le polonais. A l’adolescence, j’ai compris combien l’intégration ne devait pas être confondue avec l’assimilation. J’ai refusé de franciser mon nom de « Perstunski » en « Pertin ». Voilà comment je réponds à la question : « l’intégration, jusqu’à quel point ? ».

Je redemanderai la parole pour répondre à la question : « l’intégration est-elle nécessaire ? »

 

[* Hashomer Hatzaïr ou HaShomer HaTzair (en hébreu : השומר הצעיר, « La jeune garde », est un mouvement de jeunesse juive et sioniste de gauche né en 1913 en Pologne.]

 

 

G J’ai trouvé (sur le site Internet www. Human-side.com/wilber/intégration) cette définition intéressante : « L’intégration est un processus de combinaison d’éléments qui au premier abord semblent incompatibles ou même conflictuels, mais qui, après un peu d’analyse et de re-synthèse (menant à la reformulation ou la réorientation), s’avèrent être plutôt complémentaires. ». En fait, quand on doit intégrer, on introduit un élément différent dans un système. Donc, on peut, sélectionner, et là ce n’est plus de l’intégration, car, alors, on rejette ce qui est trop différent ; on garde le plus semblable et c’est appauvrissant. Sinon, on a aussi le compromis avec le plus petit dénominateur commun, où on a alors justement cette intégration réelle et enrichissante.

Pour obtenir le titre de séjour de longue durée, les étrangers non-Européens doivent signer le document du « contrat d’accueil et d’intégration ». Selon le site Internet service public.fr, il leur est demandé d’avoir des connaissances sur les valeurs de la République française, notamment la laïcité, les libertés fondamentales, l’égalité homme-femme, le système éducatif.

Où cela va moins bien, c’est quand il faut accéder aux guichets. Là, il y a un sentiment de discrimination !

 

G Cela nous questionne quant au peuple juif, soit identitaire et soucieux de sa terre et de son intégrité, soit dispersé dans le monde et faisant partie de la Diaspora et amené à une certaine assimilation. Comment continuer d’être intégré dans un pays toute en gardant toute son identité ?

Etant de parents avec des origines belges d’un côté et italiennes de l’autre, je n’ai pas de points communs avec les franco-français identitaires, parce que je trouve que « les imbéciles heureux qui sont nés quelque part », comme dit Brassens [dans la Ballade des gens qui sont nés quelque part], sont parfois dangereux. Il y a un besoin de connaître beaucoup d’endroits et de cultures pour se faire une idée du monde, de l’humain et pouvoir échanger et communiquer largement. Les gens sont toujours le produit de leur histoire et ils gagnent à la partager sans trop de réflexes identitaires.

 

G Voici la définition proposée par le Haut Comité à l’Intégration, qui traite notamment des questions de l’immigration et de la présence de populations étrangères sur le territoire national : « L’intégration consiste à susciter la participation active à la société toute entière de l’ensemble des femmes et des hommes appelés à vivre durablement sur notre sol en acceptant sans arrière-pensée que subsistent des spécificités, notamment culturelles, mais en mettant l’accent sur les ressemblances et les convergences dans l’égalité des droits et des devoirs, afin d’assurer la cohésion de notre tissu social. »

 

G Oui, l’intégration est nécessaire. D’abord parce que, effectivement, il n’y a pas de processus d’éducation sans moyen d’intégration, mais à condition de refuser le communautarisme, parce que les réponses diffèrent suivant l’image de vie que l’on a. Si on a un idéal de vie répétant de manière figée les traditions, c’est-à-dire avec intégrisme, alors on est sans ouverture aux autres façons de vivre, et alors l’intégration n’est pas nécessaire. Mais si on a un idéal de vie, non seulement tolérante, c’est-à-dire paternaliste, mais respectueuse des mœurs et des coutumes différentes, en faisant la différence entre tolérance et respect, alors l’intégration est nécessaire, mais à la condition bien sûr d’expliciter quelles mœurs et quelles coutumes différentes sont inacceptables, y compris par rapport à l’idéal de vie dans une société intégrante.

 

G Intégrer, c’est reconnaître les mêmes droits à l’autre, à celui que l’on intègre. S’intégrer ce n’est pas se renier, se perdre, perdre son identité. Au contraire, c’est s’enrichir, c’est bénéficier d’un apport, de quelque chose de complémentaire.

Depuis la naissance, on ne fait que s’intégrer, déjà dans une famille, puis à l’école, puis dans le monde du travail. On peut se trouver parfois dans un milieu qu’on ne connaît pas ; on est « comme des étrangers », mais on finit par s’intégrer, par être intégré, si l’on respecte les règles, les codes, les principes, en respectant la liberté de chacun, sans apporter de la nuisance au groupe. S’intégrer est une démarche qui n’est pas à sens unique ; on peut s’intégrer sans perdre son individualité.

 

G Je ne vais pas faire un acte de contrition parce je suis un « non-sympathique franco-français », il ne faut pas tomber dans l’exagération.

Faire la queue pour avoir une carte de séjour, je connais cela, puisque vivant dans deux pays européens, mais cela vaut la peine ; c’est une grande richesse que l’on acquiert, mais, pour cela, il faut faire l’effort d’apprendre une langue et la culture du pays d’accueil ; c’est se découvrir une autre dimension.

Par ailleurs, j’ai eu un entretien récent avec un professeur de sociologie de nationalité canadienne et d’origine algérienne. Il ressort que le Canada, où il a vécu et exercé quelques années, fait beaucoup pour l’intégration, mais qu’il s’agit d’immigration choisie ; n’y va pas qui veut, précise-t-il. L’installation y nécessite autant de démarches administratives laborieuses qu’en France, si ce n’est plus. Ce professeur m’a dit que, même s’il reste beaucoup à faire en France pour l’intégration de ceux qui sont originaires d’Afrique (Afrique noire ou Maghreb), on est mieux en France culturellement, car les relations avec nos pays, quels qu’ils furent, font qu’on est mieux compris. Au Canada, on reste toujours des étrangers.

 

G Dans la mesure où l’on distingue très nettement intégration, assimilation et communautarisme, il y a une question qui se pose, à savoir (selon la notice de Wikipédia sur l’intégration) : «  L’intégration républicaine fonctionne-t-elle encore aujourd’hui face à la diversité culturelle ? ». La réponse (selon la même source) consiste à dire qu’il y a trois mécanismes traditionnels de l’intégration républicaine : « l’école laïque, instituée par Jules Ferry en 1883, obligatoire et gratuite pour tous les enfants résidants sur le sol français, la maîtrise de la langue partagée, le français, et le droit de la nationalité fondé sur le droit du sol. » Or, aujourd’hui, est introduite une remise en cause de l’intégration, d’une part, par la critique de l’école considérée comme inefficace dans son rôle d’intégration, d’autre part, par le retour aux revendications liées à la pratique des langues régionales, et enfin par le consensus sur le droit à la nationalité, laquelle aujourd’hui fait l’objet d’un débat, puisque la dernière mouture de ce droit, en 2002, c’est le fameux entretien individuel pour évaluer les connaissances de la langue et des droits et devoirs pour les candidats à la nationalisation.

 

G Une étude génétique très récente sur des ossements d’individus datant de plus de trente mille ans et provenant de plusieurs endroits de la Terre, montre que nous avons un patrimoine commun et que nous sommes tous des descendants de migrants. Nous commençons à mieux connaître les milliers de migrations qui ont constitué nos sociétés. La migration de tout temps et ce qui fut « l’assimilation » sont donc presque  aussi vieilles que ce monde d’humains.

Dans notre époque actuelle, nous n’utilisons pas ce terme d’assimilation, qui, à la différence de l’intégration, sous-entend que les nouveaux arrivants devraient abandonner toute différence pour être dans un modèle standard, ce qui est contraire à la notion de progrès et d’humanisme. L’intégration ne se fait pas toujours naturellement et peut parfois créer quelques points de tension. Alors, nous sommes devant (pour le moins) trois possibilités :

1°) S’arc-bouter sur son modèle ; c’est l’assimilation à tout prix, presque de « l’acclimatation ». C’est un point vue dont un courant politique a fait son fonds de commerce.

2°) S’ouvrir à d’autres cultures, à d’autres traditions, en tâchant de sauver ce qui nous semble essentiel pour le maintien du lien social, ce qui culturellement crée la continuité d’une nation ; autrement dit, c’est construire sans détruire.

3°) Laisser faire les choses, les évènements, se disant qu’après une certaine période et un peu de pagaille, les choses finiront  par s’arranger toutes seules.

La France a fixé, dans ses règles incontournables du lien social et des valeurs républicaines, la Laïcité, laquelle n’est pas une dictature, ni une religion d’État. Un sondage en 2008 disait que dans la communauté musulmane de France, plus de 80 % des personnes interrogées étaient très attachées à la laïcité, et même, pour beaucoup, cela avait fait partie du choix de la France comme pays d’immigration, cette laïcité leur assurant, entre autres, de pouvoir pratiquer leur religion sans crainte.

 

G Le poème de Florence (sonnet) :

 

Intégration, nécessaire ? Jusqu’à quel point ?

 

Monte vers le ciel la tour de Babel

Lorsque le creuset se fait la matrice

De l’humanité émancipatrice

Le monde est si beau lorsqu’il est rebelle

 

Moi qui étais roi au fond de mon djebel

Dans une vision simplificatrice

Je suis le paria victime expiatrice

Je suis l’immigré et c’est un label

 

Qui colle à la peau malgré l’espérance

J’ai fait l’expérience de l’intolérance

Discrimination, assimilation

 

Je me suis cogné au plafond de verre

Mais dans le contrat de l’intégration

Est écrit espère et puis persévère.

 

 

G On fait une grande critique de l’intégration à la française. Allez voir un peu de par le monde, allez voir les préférences nationales (aux USA, par exemple), allez voir les interdits vestimentaires dans des pays du Moyen-Orient, allez essayer d’y porter un signe religieux ostentatoire. La France reste, avec tous les défauts et dysfonctionnements cités,  « une terre d’accueil », et je suis surpris de voir qu’on considère comme un obstacle à l’intégration le fait de demander un minimum de désir de s’intégrer, comme connaître un peu la langue, s’engager au respect des valeurs républicaines (dont la laïcité), même si, moi aussi, je suis outré de ces queues devant les préfectures.

 

G Nous voyons bien les différences d’intégration entre les premières et les deuxièmes générations d’immigrés. Quand les gens viennent en France avec l’idée de repartir à terme dans leur pays, c’est tout à fait différent que pour ceux qui viennent pour faire souche et pour que leurs enfants continuent leur vie en France. Là, l’intégration prendra une forme différente plus proche peut-être d’une certaine assimilation.

 

G L’assimilation est la désintégration de l’individualité.

 

 

 

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2 réponses à Intégration, nécessaire? Jusqu’à quel point?

  1. pannetier guy dit :

    On peut apprécier dans ce débat le beau témoignage qui illustre si bien ce thème de l’intégration

  2. cafes-philo dit :

    « Comment de l’hétéroclite faire une mosaïque. Comment fait-on naître l’harmonie du chaos ? Les ratés les plus spectaculaires de « l’intégration » et la situation sociale et culturelle de la France d’aujourd’hui sont dus à l’absence de figures exemplaires capables d’entendre et de concilier capables d’entendre et de concilier nos récentes coutumes urbaines et nos caractères séculaires en disant simplement : je t’aime, nous sommes tous les mêmes »
    (Abd Al Malik. Camus, l’art de la révolte. P, 114. Fayard 2016)

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