Restitution du débat – Café-philo de Chevilly-Larue.
23 mars 2011
Animateurs : Edith Pertunski-Deléage, philosophe.
France Laruelle – Lionel Graffin – Guy Pannetier
Modérateur : Marc Ellenberger
Texte en préambule : Comme pour les thèmes des années passés sur les grands courants de philosophie, le sujet est préparé par plusieurs animateurs, qui aborderont le scepticisme en différents axes :
1° Origine de l’école sceptique, le pyrrhonisme, et l’argumentation. (Lionel)
2° Le, et les sens donnés aux termes : sceptique et scepticisme. (France)
3° Le scepticisme de Montaigne à Hume, et les prolongements contemporains du scepticisme..(Edith)
4° Le doute sceptique : démarche positive ou négative. (Guy Louis)
Puis tout au cours du débat nous entendrons toutes les approches individuelles sur le scepticisme.
Après avoir abordé les années passées d’autres grandes écoles ou courants de philosophie, comme les Sophistes, les Stoïciens et les Epicuriens, on voit se dessiner un point commun : la quiétude de l’âme, quiétude de l’esprit. Le courant philosophique, comme l’expression sceptique ou le scepticisme restent toujours d’actualité, et nous évoquerons ce que nous entendons aujourd’hui par ces deux mots, et où, nous retrouvons le scepticisme. Et là, « je ne doute pas » que vous ayez une opinion, et plein de chose à nous dire sur ce sujet.
Lionel : Origine de l’école sceptique, le pyrrhonisme, et l’argumentation.
Le personnage central donné comme fondateur est Pyrrhon d’Elis, 360/275 av. JC. Il est originaire de la région du Péloponnèse. Il fonde son école à Athènes vers 320. On peut penser que Pyrrhon, tout comme ses contemporains fut frappé de la rapidité avec laquelle la monarchie macédonienne d’Alexandre le grand mit fin au système politique qui depuis des siècles caractérisait la Grèce, ruinant notamment l’espoir que les Athéniens avaient mis dans leur démocratie.
Pyrrhon était un peintre sans ressource, et il se montra réticent à accepter cet état de choses. Il se retrouva soldat dans les expéditions d’Alexandre, ce qui lui permis de découvrir en Inde ceux que les grecs ont appelés les gymnosophistes (les sages nus). Ces derniers avaient acquis une maîtrise de leur âme et de leur corps jusqu’à se laisser immoler par le feu sans émettre la moindre plainte. La personnalité d’Alexandre lui-même influença certainement Pyrrhon. Puis il rentre en Grèce. Il présentera dès lors deux aspects assez difficilement conciliable : d’une part, il accepte de participer à la vie de la cité avec un parfait conformisme, il même nommé prête, ce qui paraît paradoxal pour un philosophe sceptique, et d’autre part ce citoyen modèle se conduisait de façon étrange.
Dans le « Que sais-je » de Carlos Levy, nous lisons qu’il ne faisait rien pour éviter les charriots qu’il rencontrait sur son chemin, ou prétendait continuer sa route sans tenir compte du précipice, jusqu’au moment où une main secourable lui évitait une mort certaine. C’est son ami et élève Timon de Pilon qui, le premier, va transmettre sa philosophie, dont le principe premier est que toute chose est instable et indéterminée, que nos sensations, nos opinions, ne sont ni vraies, ni fausses, donc il ne faut se fier à elles, rester sans inclinaison, et dans le doute « suspendre son jugement ».
Les sceptiques vont construire avec Sextius Empiricus une argumentation justifiant la nécessaire suspension de jugement, (épochè), ceci avec les 10 arguments nommées « tropes » qui seront ramenées à cinq tropes par Agrippa :
1ère trope : La discordance : « Il y a, sur l’objet de la représentation un dissentiment impossible à trancher, non pas seulement entre les jugements de la vie courante, mais entre les doctrines des philosophes ; à cause de cette perpétuelle discordance nous sommes impuissants à nous déterminer dans un sens ou dans l’autre, à donner, à ceci notre préférence, tandis que nous condamnons cela. Ainsi nous en viendront finalement à suspendre notre jugement »
2ème trope : La régression à l’infini : « Ce que nous mettons en avant comme une preuve du bien-fondé de l’opinion à laquelle nous nous sommes arrêtés, a besoin lui-même d’une autre preuve, qui à son tour, exige une autre preuve. A nous voir obliger de remonter ainsi sans fin de preuve en preuve, nous nous apercevons qu’il n’y a point de principe dernier sur lequel se fonde notre opinion, nous suspendons notre jugement »
3ème trope : La relation : « Ce qui est question nous le représentons empiriquement comme tel ou tel dans sa relation, d’une part avec le sujet qui juge, d’autre part avec les relations concomitantes de notre représentation actuelle ; mais quelque chose est-ce en soi dans la réalité absolue de sa nature ? On ne peut le savoir : nouveau motif de suspension de jugement »
4ème trope : La position de base : (Hypothésis). « Le Dogmatiste, pour éviter la régression à l’infini, prendra pour point de départ de sa démonstration, quelques propositions qu’il ne cherchera pas à démontrer, mais de laquelle il demandera qu’elle soit admise purement et simplement, bref accordée sans démonstration, tandis qu’une autre demandera que ce soit la supposition contraire. C’est donc toujours une inévitable pétition de principe », (qui appelle à suspendre son jugement)
5ème trope : La diallèle : (Ou cercle vicieux) « La preuve, obligatoirement destinée à établir ce qui est l’objet de la recherche, a besoin de s’appuyer sur cet objet lui-même »
France: Le, et les sens donnés aux termes : sceptique et scepticisme. (1ère partie)
Le scepticisme est une doctrine qui nie qu’une vérité, ou une certitude absolue puisse être atteinte, mais qui toutefois préserve la possibilité d’une connaissance expérimentale et scientifique du monde extérieur. Douter, être sceptique c’est un garde fou contre le dogmatisme, c’est-à-dire mettre une trop grande confiance dans le pouvoir de la raison. Douter, ce n’est pas renoncer à la vérité, puisque qu’au contraire la vérité reste toujours le but à atteindre. C’est là, me semble t-il le sens philosophique du scepticisme qui grâce au doute permet de rechercher d’autres vérités, d’autres valeurs que celles qui nous sont proposées. Les dogmatiques disent du scepticisme qu’il est comme « l’insupportable morsure du doute ». Le scepticisme n’est pas de rejeter la recherche, mais au contraire de ne jamais l’interrompre en prétendant être parvenu à une « vérité absolue », ou « l’idée vraie ». Son principal objectif n’est pas de nous faire éviter l’erreur, mais de nous faire parvenir à la quiétude, loin des conflits des dogmes dont le scepticisme constitue la réaction naturelle.
Psychologiquement le scepticisme correspond à l’attitude de qui, en présence d’assertions contradictoires est envahi par le doute, et est alors incapable de donner son adhésion à aucune d’entre-elles. Alors, toute détermination est impossible. Le scepticisme devient un handicap lorsque le doute nous fait rester sur nos positions, ou qu’il nous empêche de penser correctement, ce qui entraîne un repli sur soi et ferme toute discussion. Le sceptique est celui qui observe, qui examine (skeptikos) qui cherche. Les sceptiques pensent : si nous pouvons donner nos impressions, nous ne pouvons toujours affirmer que ce qui « est », est, réellement.
Je vous propose de traiter ce thème à partir d’une phrase prononcée par notre philosophe, Edith, lors d’une rencontre précédente « Nous ne somme qu’un bout (élément) faisant partie d’un tout ». En y réfléchissant, j’ai été envahie d’un doute, autrement dit, j’étais sceptique. En effet, comment être certaine d’en comprendre le sens réel. Est-ce que le bout, (l’élément) signifie chacun de nous, celui qui est, qui pense, qui parle, qui agit, qui vit. Est-ce que le tout signifie toute la société dans son ensemble, et si oui, comment tous les bouts (éléments) si différents les uns des autres peuvent-ils former un tout cohérent et susceptible de faire progresser la société humaine ? Si je réponds : « je n’ai pas compris le sens réel de cette phrase» je me dois de chercher à le découvrir par tous les moyens pour tenter de me rapprocher le plus possible de la vérité. Si je réponds : « je crois, je suis même certaine d’avoir compris le sens » je n’ai plus aucun doute, je deviens alors « anti sceptique » ; je mets un pansement sur la plaie et c’est terminé ! L’histoire pourrait s’arrêter là, mais comme la pensée suit insidieusement son chemin, me revoilà dans la position du penseur de Rodin (les muscles en moins). La phrase prononcée par Edith me reviens en boom-rang et mon «antiseptique » ou mon anti scepticisme n’a plus d’effet sur la plaie qui s’ouvre à nouveau; aie ! Ça fait mal! Ça titille ! Et me revoilà avec la question. Et si je n’avais pas bien compris le sens réel ? A côté de quoi serais-je passé, et quels en seraient les inconvénients. Alors contrairement à Descartes qui montre qu’il est toujours possible d’avoir des connaissances, et qui pourtant doute pour ne plus douter, je me trouve comme l’âne de Buridan qui a faim et qui a soif, et se trouvant à égale distance entre le seau d’eau et le seau d’avoine ne sait pas se décider, ni pour l’un, ni pour l’autre, et meurt de faim et de soif. Ou j’opte pour une certaine philosophie normande : « p’t’être ben qu’oui ! P’t’être ben qu’non ! Bref, je ne sais que penser.
Edith: Le scepticisme de Montaigne à Hume, et les prolongements contemporains
du scepticisme. 1ère partie.
Le scepticisme est une attitude philosophique qui marque toujours (je crois) un tournant de civilisation. Si j’ai choisi de parler des sceptiques modernes, c’est justement pour souligner ce point de vue qui semble extrêmement important, car nous sommes (me semble t-il) aujourd’hui dans ce tournant de civilisation. Certains disent que nous sommes à la fin d’un certain monde. Les historiens de la philosophie, lorsqu’on les interroge sur ce que veut dire moderne, soulignent le fait que la modernité est caractérisée par la rupture avec la tradition, mais une rupture qui ne fait pas forcement polémique. Par exemple, concernant, « l’arrachement » dont les hommes ont été capables à la suite de Galilée, Condorcet écrit à leur propos: « L’esprit humain ne fut pas libre, mais il sut qu’il était formé pour l’être ». Autrement dit, la modernité consiste dans la décision de prendre en charge son destin. L’homme moderne a été caractérisé comme Prométhée. Et c’est dans ce contexte de la modernité que se mettent en place différentes formes de scepticisme qui reprend ce que nous enseigne le scepticisme grec. Et aujourd’hui, il me semble que dans la mesure où nous sommes à un tournant de civilisation, et si nous pensons qu’effectivement nous sommes encore capables de prendre en charge, d’orienter notre destinée, et bien ! Il me semble alors qu’il faut avoir une attitude sceptique, comme l’on eu les modernes.
Je voudrais mettre en évidence trois formes de scepticisme moderne : d’abord le scepticisme d’humilité. Savoir être humble, c’est Montaigne qui nous l’enseigne. Il insiste sur le fait « qu’il faut savoir douter de nos certitudes », « La vérité et le mensonge ont leur visage conforme, le port, le goût, et les allures pareilles, nous les regardons du même œil » (Essai). Pourquoi Montaigne disait-il cela ? Eh bien, parce qu’il pensait que le sujet humain est incapable de dépasser la singularité de ses impressions et de ses imaginations, que le sujet humain est incapable d’atteindre des connaissances universelles, et parce qu’il pensait comme les stoïciens que l’être humain n’est qu’un élément d’un tout, et que donc qu’il ne peut penser le tout, d’où son fameux : « Que sais-je » qui exprime à la fois l’inaptitude humaine au savoir, parce que nous ne connaissons que nos sensations et que nous ne savons même pas si elles ressemblent aux sensations des autres hommes. Alors ! Disait Montaigne, il faut être sceptique à l’encontre de toutes les certitudes doctrinales, à l’encontre de tous les faiseurs de système. Mais ce scepticisme n’est pas démobilisation, bien au contraire, dans les Essais il écrit : « Ce sont ici mes humeurs et mes opinions, je donne pour ce qui est en ma créance, et non pour ce qui est à croire », et du coup, comme je sais que ce sont mes humeurs et mes opinions, j’invite chacun à juger de ce qu’il voit, de ce qu’il sent. Mon scepticisme anti dogmatique est un scepticisme qui est l’invitation à ce que chacun se mette à penser, à ce que chacun refuse la sagesse orgueilleuse du dogmatisme. Donc, ce scepticisme affirme à confirmer avec ses semblables, puisqu’on est voué aux opinions il faut débattre et argumenter. C’est parfois aussi comme Montaigne et La Boétie, nouer amitié au cours de ces débats.
Donc le scepticisme moderne, est philosophiquement fondé sur l’idée que nous avons de sensations et que nous ne pouvons pas nous hausser à la vérité universelle. Ce scepticisme se fonde philosophiquement sur l’idée que nous ne sommes qu’un élément du tout. Ce scepticisme théorique encourage, invite au respect de l’autre, au respect de la diversité des opinions, autrement dit, il me semble que ce scepticisme qui est aussi attitude d’humilité par rapport au savoir aujourd’hui nous est important. Alors finalement la progression des sciences et des techniques, la progressions des scepticismes scientifiques orientée par le vouloir faire technique, nous rend sceptique quant à la validité de cette progression. C’est humilité par rapport au savoir qui doit s’accompagner du respect de la diversité des opinions par rapport à la diversité des œuvres et des coutumes.
Guy Louis: Le doute sceptique ; démarche positive ou négative. (1ère partie)
Le matériel rhétorique dont disposent les philosophes pourrait nous emmener vers des horizons divers, des conclusions diverses, ce qui fait que nous resterions toujours sceptiques.
Toutefois, je vais essayer de soutenir que le doute sceptique est une démarche positive ?
a) Le scepticisme semble être un combat entre sensible et intelligible. « La connaissance sensible est déclarée comme trompeuse et insuffisante […] les sens nous font voir partout la multiplicité et le changement » Victor Brochard. Les sceptiques. 1887
Le scepticisme est une forme de subversion. Le sceptique est celui ne se laisse pas convaincre par une Vérité spéculative, celui qui refuse de penser comme on doit penser, celui-là est un mauvais exemple pour la société. Celui qui refuse de croire dérange, car il peut semer le doute, et même semer le doute chez celui qui est ferme dans ses certitudes. Je préfère le scepticisme à l’indifférence, ou à la rébellion de façade, à l’indignation de façade, ce qui est assez à la mode.
Le scepticisme mènerait à l’inaction. Je ne le pense pas. Je peux agir en politique sans même être sûr que le mouvement auquel j’adhère détient à cent pour cent les bonnes réponses. Ne fréquenter et n’agir qu’avec des gens avec qui on est d’accord en toutes choses, à cent pour cent, c’est de l’absolutisme de groupe.
Pour le sceptique la vérité existe. « Seule des interprétations » sont fausses disent ceux qui souvent on déjà une vérité acquise. A ce postulat la réponse d’un sceptique serait : Quelles sont les interprétations, qui peuvent assurer de connaître la bonne interprétation ? Dans le doute, pour le sceptique, tout ce qui est interprétation est récusable.
b) Le sceptique accepte l’infini et le néant, il doute seulement qu’on puisse les définir, qu’on puisse les attribuer à quoi ce soit que notre imagination ait conçu, il accepte que la compréhension ait ses limites. Qu’une cause parmi les causes possibles soit cause première, reste pour le sceptique l’argument circulaire, le cercle vicieux ou diallèle des anciens. Son scepticisme, par contre, le rend accessible à toute explication qui pourrait être prouvée par l’expérience. Ce qui pourrait se résumer par : celui qui ne croit pas est celui qui refuse que le néant et l’infini échappe à toute cause saisissable. Il en ressort que celui qui croit le moins devient celui qui croit le plus. Tout comme nous l’avons vu en étudiant les Sophistes et l’Epicurisme, des mots désignant des courants de pensée vont être détournés de leur sens original. Ces courants de pensée vont se trouver très longtemps incompatibles avec le dogme dominant. Ainsi, comme pour les Stoïciens, les Sophistes, et les Epicuriens il le leur sera attribué, avec force relais de copistes, d’écrivains, un sens péjoratif, comme paradoxalement le terme de « secte ». On trouve encore des définitions où le mot sceptique a pour synonyme : athée. Un non-sens total puisque l’athée ne doute pas ou alors il est agnostique. (Suite en seconde intervention)
Débat : G Merci à tous ceux qui n’ont pas été sceptiques et qui ont permis de faire progresser les connaissances. Les philosophes rationalistes répondent qu’il y a des évidences, il y a des jugements qui n’ont pas besoin d’être prouvés, en effet une évidence est un jugement qui s’oppose à l’esprit de telle sorte qu’on ne peut pas penser autrement. Je parle notamment des évidences transcendantales. Pour qu’il y ait une évidence Spinoza montre dans son « Traité de la réforme de l’entendement» qu’il faut que nous soyons en présence d’une des raisons complexes et suffisantes en elle-même. Il distingue à cet égard la certitude qui est l’impossibilité de douter d’une évidence, et de la conviction, c’est-à-dire préjugé et simple absence de doute. De telles évidences pourraient faire des fondements stables et suffisants sans besoin de preuves extérieures ou savoir ; il n’y a donc pas nécessairement de régression à l’infini, comme chez les sceptiques chez qui il faut toujours la preuve de la preuve. ..Etc. La méthode consistera, à partir de ce qui est réellement évident, et ensuite de combiner ces évidences entre-elles, ou en tirer de nouvelles propositions qui feront des évidences secondaires. Spinoza montre qu’il suffit d’avoir des idées adéquates, ou idée considérée en soi et sans regard à son objet a toutes les propriétés d’une idée vraie. Cette approche de Spinoza vient un peu en contrepoids de tout ce qui a été dit jusqu’ici.
Le scepticisme n’est vraiment qu’un aspect des choses, et notamment un aspect qui touche au monde phénoménal. Le scepticisme est une « philos » dont le critère repose sur l’expérience, le phénomène. Le phénomène est d’abord pour les grecs à l’époque de Pyrrhon, réalité physique qui renvoie à la conception qu’on s’en fait. La principale conséquence est que l’objet n’est jamais vu tel qu’il est en lui-même, et que ce que nous voyons n’est qu’une sorte d’écran, de masque, et qui contient par ailleurs quelque chose du sujet. La perception est donc relative. Quand Platon en conclut qu’il faut se méfier de la vision et connaître par les idées, Pyrrhon en conclut lui qu’on ne peut pas connaître du tout. Les sceptiques ne nient pas l’évidence de l’apparence, mais simplement celle de la vérité. Ainsi je ne puis affirmer que le miel est doux, mais qu’il me semble tel. Il faut donc demeurer sans opinion. On peut en conclure que la sensation est relative et qu’il faut donc suspendre son jugement.
Il n’y a pas que la connaissance par les sens, il n’y a pas que la connaissance du monde phénoménal, il y a aussi la connaissance par l’esprit et par la connaissance métaphysique, auquel cas on n’est plus dans uns logique sceptique, on est dans une logique d’expérience de la transcendance, d’une certaine vérité. On a eu à savoir certaines choses, et au bout d’un certain nombre d’années, ça devient une idée à défendre.
G On ne peut pas douter sur tout. Il y a des sciences exactes, telles les mathématiques, on trouve de nouvelles données, mais ce sont les mêmes bases.
G On a dit Dieu existe parce qu’il est « perfection ». Alors, comme il est « la perfection », il n’existe pas. Comment aurait-il pu faire un monde aussi imparfait, avec des êtres qui s’entre-tuent, des vols, des viols, des tyrannies, un désordre absolu. Comment peut-on croire qu’un être parfait existerait, ou alors c’est le pire des salauds !
G Je voudrais faire un éloge du dogmatisme. Je vais partir de cette phrase un peu provocante d’Auguste Comte « Le dogmatisme est l’état naturel de l’intelligence », et je crois que c’est tout à fait vrai. Je pense que : apparemment dans le cerveau humain il y a des mécanismes qui font que devant chaque phénomène qui nous interroge, et auquel nous sommes confronté. Le mécanisme propose une explication, c’est quasiment automatique. Nous avons besoin de fabriquer des explications, des fictions. Il y a des mécanismes qui vont filtrer et éliminer celles qui ne conviennent pas. Il y a des mécanismes qui me paraissent évidents. D’abord il y a des évidences, des choses qu’on ne peut pas nier : si je suis devant une falaise, le danger est réel. Lhomme ne peut pas se passer de croire en certaines évidences, de croire aussi ce que les autres croient, même avec un processus d’élimination pour aller à la vérité. Ce que je reproche à l’attitude sceptique, c’est finalement qu’on n’a pas de fondement, on ne peut pas affirmer : « je crois ceci ». Ce qui est beaucoup plus sain mentalement, c’est d’affirmer quelque chose pour soi-même. Il y a là un moteur de progression dans le dogmatisme, étant bien entendu que le dogme est fait pour évoluer, voir le livre « L’évolution des dogmes » dans lequel il est démontré que toutes les religions évoluent face aux réalités, y compris les religions du Livre.
G Cette soutenance du dogmatisme est bien développée, même si elle renforce mon scepticisme.
France: Le, et les sens donnés aux termes : sceptique et scepticisme. (2ème partie)
Dans notre langage actuel on affuble le mot sceptique de synonymes tel : indécis – incrédule – irrésolu – hésitant – timoré – méfiant. Mais en philosophie on peut tout dire, on peut même dire, « je doute, donc je suis ». Alors là, je reprends espoir. Puisque « je suis », profitons-en. Le scepticisme est une base essentielle de la philosophie, c’est une réflexion entre « l’être » et le « paraître », c’est nous dit-on « le sel de l’esprit ». Epictète ancien esclave et philosophe romain dit : « Si j’avais un maître pyrrhonien, je lui servirai une assiette pleine de sel et de vinaigre » pour voir ce qui lui « semble » ou ce qui lui « paraît ». Le sceptique ne doute pas que le sel soit du sel, mais en l’associant ainsi au vinaigre l’ensemble abouti à ridiculiser une pensée philosophique non récusable. C’est comme tuer le poussin dans l’œuf, en se privant de voir devenir autre chose qu’une ovule fécondée, c’est aussi lui ôter la possibilité de transformation, sauf peut-être de finir en omelette.
Le scepticisme a beaucoup été moqué, surtout le scepticisme radical. Le scepticisme qui constitue une réaction naturelle contre les excès du dogmatisme à parfois été traité diversement : « Les pyrrhoniens ont la manie de mettre toujours le terme «paraître à la place d’être » (Hegel), ou, « Les sceptiques sont les nomades de la pensée, ils sont les sans domiciles fixes de l’entendement » (Kant), ou encore, « Un sceptique c’est un philosophe qui a douté de tout ce qu’il croit » (Diderot). Parfois le scepticisme est volontairement assimilé à d’autres termes qui sont : le relativisme – le nihilisme – le formalisme – et le négationnisme.
Dans les temps modernes, le scepticisme semble n’être qu’un terme littéraire à l’usage de ceux qui se donnent pour tâche d’abaisser la raison au profit de la foi, tel que Pascal. On peut dire que le scepticisme, proprement dit, a cessé d’exister comme système philosophique. Et enfin, je dirai qu’il existe différents types de scepticisme : le scepticisme critique, le scepticisme qui marque l’affaiblissement de la pensée théorique, le scepticisme financier, politique, voire écologique, ce que résume un peu André Gide : « Croyez ceux qui cherchent la vérité, et doutez de ceux qui la trouve »
G Quelque part on est tous un peu dogmatiques. Il y a ce qui est du domaine de la croyance, et ce qui nous emble du domaine du possible. Je vois plutôt les sceptiques comme ceux qui « suspendent leur jugement », et non qui refusent le jugement. Disons que pour se préserver des grosses déceptions il faut garder à l’esprit qu’on peut se tromper. Si on ne doutait jamais ce serait remplacer un dogmatisme par un autre. Il faut se réserver cette possibilité de douter, sinon, on dirait encore que « la Terre est plate ». Le dogmatisme c’est une forme impérieuse, « c’est comme cela ! ». Que de choses acquises, certaines, qui ont changé. On a parlé de l’idée de « Dieu perfection », si on remonte dans les temps il y avait plein de dieux, tel ceux de l’Olympe qui n’étaient vraiment pas perfection : Zeus trompait sa femme, avait des relations amoureuses avec ses sœurs, ces dieux se jalousaient, certains étaient pervers…
Poème de Florence : (Scepto-pantoum)
Sceptique
Ma foi, que voulez vous, je suis sceptique
Thèse, antithèse, synthèse, c’est mon credo
Le doute est mon moustique antiseptique
Il m’empêche de trop faire dodo
Thèse, antithèse, synthèse, c’est mon credo
Mon Dieu s’appelle épistémologique
Il m’empêche de trop faire dodo
Je confesse si je suis dogmatique
Mon Dieu s’appelle épistémologique
Et si je suis serein grosso modo
Je confesse si je suis dogmatique
J’ai suspendu mon jugement, rideau !
Et si je suis serein grosso modo
C’est que j’ai la logique pour viatique
J’ai suspendu mon jugement, rideau !
L’Heuristique est dans l’arrière-boutique
C’est que j’ai la logique pour viatique
Je réfute et critique ab absurdo
L’Heuristique est dans l’arrière-boutique
J’y pèse les probables dos à dos
Je réfute et critique ab absurdo
Et dans cette indifférence euphorique
J’y pèse les probables dos à dos
Je baigne en vacuité ataraxique
Et dans cette indifférence euphorique
Les perceptions sont mon eldorado
Je baigne en vacuité ataraxique
Je cherche encore et toujours crescendo
Les perceptions sont mon eldorado
Mais mon instrument est un peu rustique
Je cherche encore et toujours crescendo
Ma foi, que voulez vous, je suis sceptique
G « La pensée humaine comporte servitude et grandeur : le scepticisme a voulu surtout mettre en lumière la servitude, du fait qu’il a insisté sur notre crédulité, sur notre inconsistance sur notre penchant à nous bercer d’illusions spéculatives, sur la facilité avec laquelle nous nous payons de mots et de mythologie abstraite ». (Pyrrhon et le scepticisme grec. Léon Robin. Conclusion page 235. PUF. 1944)
G Je vois deux positions dans ce débat : une pour le scepticisme, une pour le dogmatisme, et je ne voudrais pas me situer à cent pour cent ni dans l’une ni dans l’autre.
Le scepticisme c’est plus qu’un courant philosophique, c’est le principe même de la philosophie, parce que la connaissance qui fait les cultures et les sciences a commencé avec le doute pour ce courant sceptique. Mais au même moment avec Pyrrhon, on raconte que se focalisant exclusivement sur cette philosophie il mettait sa vie en danger…
Le scepticisme ne nie rien : ni de ce qui est vrai, ni de ce qui est faut, ni de la morale, ni de l’éthique, ni sur le bien ni sur le mal.., c’est une sorte de neutralité. Il y a, nous dit Hegel un scepticisme moderne qui doute de l’existence des dieux, puis Montaigne nous dit que du point de vue politique, le sceptique est d’abord un citoyen.
Le scepticisme c’est la règle des règles, la règle générale, c’est-à-dire que toute philosophie, toute pensée, c’est être sceptique sur sa propre pensée. Juger de la vérité est complexe, c’est une tâche immense qui commence par le doute…
G L’étymologie nous dit « examiner » (Skepsos, qui donne sceptique). Examiner c’est quelque chose d’éminemment constructif. Si l’on examine, ce n’est pas seulement pour se satisfaire, ou ce serait un exercice qui n’aboutirait à rien. Dans « examiner » il n’y a pas d’unicité, il y a pluralisme de pensée, donc on fait la place à l’opposé, on confronte, on juxtapose, on fait un effort d’analyse pour dire il n’y a peut-être pas qu’une chose possible, mais d’autres. Alors « on pèse le pour et le contre », c’est une ouverture, donc facteur de progrès. Même si il y a des dogmes qui ont évolué, il y a d’autre part de grands changements : de la découverte de l’Amérique, la Renaissance, la Révolution.., et ce n’est plus la Terre qui est au centre de la galaxie, mais le soleil. C’est à chaque fois un monde de certitudes qui s’écroule. Il y a dans le scepticisme une liberté de penser, on s’accorde la liberté de dire : voyons un peu cela ! Examinons ! Nous revenons à l’étymologie « skepsos. Dans le langage courant nous retrouvons cette suspension de jugement des sceptiques dans l’expression : « dans le doute, abstiens-toi !»
Edith: Le scepticisme de Montaigne à Hume, et les prolongements contemporains
du scepticisme. 2ème partie;
Aujourd’hui ce scepticisme dont Montaigne est porteur en cette période de temps modernes est un scepticisme qui a du sens pour nous. Il nous faut être sceptiques par rapport aux certitudes scientifiques orientées par le « faire » ou « savoir faire » technique, et être sceptiques par rapports aux diverses formes dogmatiques qui entraîné à l’échelle du monde un ébranlement et pour tous un désarroi. Voilà pourquoi je pense qu’il faut se reporter à ce scepticisme dont Montaigne nous indique la voie. Il y une deuxième forme de scepticisme moderne, c’est celui de Pascal. Ce scepticisme est un scepticisme désespéré. Pascal dans « Les pensées » exprime cette attitude : « Je ne sais ni qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que ce monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toute chose, je ne sais ce que c’est que mon corps, que mon âme, cette partie de moi qui pense, et qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et qui ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferme, je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue sans que je sache pourquoi je suis placé plutôt en ce lieu qu’en un autre. Ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’ait assigné à ce point plutôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a précédé. Je vois que des infinités de toute part qui m’enferment comme un atome qui ne dure qu’un instant sans retour. Tout ce que je connais, c’est que je dois bientôt mourir, mais ce que j’ignore le plus c’est cette mort même que je ne saurais éviter, tel est la misère de l’homme ». Mais devant cette misère de l’homme, ce non savoir par rapport à toute chose, par rapport à soi-même, il s’agit dit Pascal, de parier. De parier que le monde a un sens, que Dieu existe. Dire que Dieu existe, c’est tout simplement dire que ce monde a un sens, que le monde a du sens ; parier pour le sens, c’est parier pour Dieu. Autrement dit, en cette période de modernité il y a une forme de scepticisme face aux faiseurs de système des théologiens de l’Eglise. Les certitudes des faiseurs de système philosophique, scientifique, nous ne pouvons qu’en douter. Et pourtant ces faiseurs de système font que le monde dans lequel je suis a du sens. De Montaigne à Pascal le scepticisme demande à l’homme d’être humble et même de penser, de réfléchir pour que le monde et soi-même ayons du sens pour prendre en charge notre propre destin.
Enfin il a une troisième forme de scepticisme, c’est le scepticisme conquérant de Descartes. Dans son « Discours de la méthode » il pense que « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », « Tous les hommes sont égaux en intelligence, tous les hommes sont égaux en capacité », mais, ajoute t-il : « Ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, l’essentiel est de l’appliquer bien ». Autrement dit, il faut avoir de la méthode, des règles pour bien conduire sa raison et chercher la vérité. Donc il y a une formez de scepticisme qui permet d’atteindre des vérités. Il s’agit de douter de tout ce qui n’est pas clair et distinct, de tout ce qui n’est pas évident pour tous.
Première partie du discours : je peux douter de toutes les opinions, de toutes les idées, de toutes les croyances acquises, de tous les systèmes déjà établis.
Deuxième partie je peux douter de ma propre existence, mais alors quand je doute de ma propre existence, surgit l’idée que tant que je doute, je pense, car douter c’est penser, donc « je suis » ! Mais que suis-je ? Et bien une chose qui pense, voilà une vérité !
Troisième partie : Je peux douter de toutes mes pensées, mais il en est une, la pensée de Dieu, dont je ne peux pas douter. Parce que si Dieu n’existe pas, comment dit-il, puis-je en avoir l’idée ? Dieu c’est quoi ? C’est la perfection, c’est l’idée de la perfection. Interrogez qui que ce soit et quelque soit le dieu auquel il croit, il vous dira que c’est l’idée de perfection, et dans toutes les langues possibles. Donc cette idée ne peut pas venir de moi, puisque je suis imparfait, ne peut pas non plus venir du monde extérieur, alors, d’où vient-elle ? Et bien, de la perfection elle-même, donc Dieu existe. Ainsi donc le doute radical, le scepticisme radical qui doute de tout y compris de sa propre existence conduit à des vérités. Ainsi donc, dans les temps modernes, à la Renaissance, au XVIIème siècle et encore au XVIIIème siècle les philosophes considèrent pour des raisons d’ordre historique qu’il faudrait étudier, que l’homme devient, ou doit devenir maître de sa destinée. L’homme doit pouvoir se considérer comme libre pour orienter sa vie, c’est le sens que proposent ces différentes formes de scepticisme qui toutes, et dans tous les cas pour le trois que j’ai indiqué, conduisent soit : au pari qu’il y a du sens, soit à l’idée qu’il faut ensemble discuter pour connaître un peu quel est le sens, soit trouver le sens. Il me semble qu’aujourd’hui en cette période difficile que nous sommes en train de vivre, du point de vue de la civilisation qui est la nôtre et que nous avons hérité, il me semble qu’il faut pratiquer le scepticisme.
G J’ai été impressionné par le désespoir de Pascal, il expose là, ses doutes, on est en pleine dépression nerveuse. Au sortir de ça, c’est vrai que la meilleure des solutions c’est de raccrocher à pas grand, à qui semble solide, donc à des dogmes, aux maths, à Dieu, à la perfection. Donc évidemment le scepticisme peut amener à l’anxiété permanente qui elle-même peut amener à la rechercher d’anxiolictiques ; et à la fois le scepticisme extrême est l’anxiété permanente, le dogme est l’anxiolictique extrême. Finalement quand on aligne les « pourquoi » on arrive en situation de dépression, et pour sortir de là tout est bon.
G Le dogme peut être une thérapie comme une autre.
G « Les grands esprits font les sceptiques…., La force, la liberté, puisées dans la vigueur de la sève débordante de l’esprit se signalent par le scepticisme…Les convictions sont des prisons….Le besoin de foi, de quelque absolu dans l’affirmation ou la négation, est un besoin de la faiblesse. L’homme de la croyance, le croyant de toute sorte, est nécessairement un homme dépendant » (Nietzsche. L’antéchrist. Page 54)
G Je voudrais évoquer le scepticisme d’humilité, c’est très important. Cela permet de nuancer les tendances. Dieu existe, n’existe pas, cela est très personnel. Même si Dieu n’existe pas, il est des lois qui nous gouvernent qu’on ne connait pas. On ne connaîtra jamais l’origine de la vie, cela reste une énigme. Il nous faut par exemple en regard du merveilleux de la nature être, humbles, et sceptiques sur nos capacités.
G « Si nous portons notre enquête au-delà des apparences sensibles…La plupart de nos réponses seront pleines d’incertitudes et de scepticisme ». Lois de l’esprit humain, ou lois de la nature.
« Dans le sillage des sceptiques grecs, Montaigne préconise de suspendre le jugement, d’éviter ou d’affirmer quoi que ce soit. Le but n’est pas de rester dans une forme complète d’incertitude, mais d’accepter une certaine irrésolution, une faiblesse de nos jugements. Quelque soit la position que l’on prend, l’avis que l’on soutient à un moment donné, on risque toujours d’adopter l’avis contraire à l’heure suivante, ou, en tout cas l’année d’après ». (Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie. Flammarion)
G Nous avons tendance à limiter le scepticisme à une non croyance en des dieux, se servir du doute pour prouver, et ce servir du scepticisme comme dans le « pari de Pascal », c’est restrictif. La métaphysique ne se résume pas à l’idée de Dieu.
Le sceptique ne doute pas que cette idée soit dans la tête des hommes, et cette idée de perfection n’est pas l’idée d’existence ou de non existence. Dire que le sceptique doute de tout, dont de ses propres vérités, alors qu’il ne peut en avoir, reste une caricature.
Le scepticisme qui se résume à penser que certaines explications ne nous seront jamais accessible, aura toujours son démenti, de par l’histoire des sciences, des découvertes révolutionnaires, toujours la science à fait reculer les préjugés d’ordre métaphysique et leur exploitation, l’obscurantisme.
Guy Louis: Le doute sceptique ; démarche positive ou négative. (2ème partie)
c) « Je ne crois que ce que je vois » et encore ce que je vois est sujet à maintes interprétations; Cet aphorisme irait assez bien aux sceptiques, « je ne crois que ce que l’on peut me démontrer sans le moindre doute »; ce qui ne veut pas dire qu’ils refusent de croire. Les agnostiques ne sont-ils pas en ce sens proches des sceptiques : ne pouvant connaître assez pour croire, je ne me prononce pas.
En ce sens où le sceptiques, les pyrrhoniens se refusent à dire « cela est » ou « cela n’est pas », ils ne nient pas que la vérité puisse exister, ils ne s’enferment pas la voie qu’ils combattent : le dogmatisme, en créant à leur tour un dogmatisme négatif, ou tomber dans le relativisme ou tout est égal, où tout se vaut. De ce fait ils ne sont pas assimilables ni au relativistes, ni à ceux qu’ont nommera plus tard les nihilistes.
d) Il y a une démarche que ne peux pas faire le sceptique, c’est passer de l’intuition, donc du probable, à une déduction. Des perceptions, des phénomènes, « des représentations peuvent être influencés, soit par des affects, une culture, un milieu social, une éducation laïque ou religieuse »
e) « Nos perceptions » nous dit le philosophe Marcel Conche « sont des rejetons engendrés par les sens et le ressenti ». Le phénomène est, nous le percevons différemment, nous le ressentons différemment, c’est aussi dit- on : le relativisme des sensations.
Le scepticisme reste toujours un phénomène d’actualité. Il prévaut dans la société scientifique, il s’oppose au déterminisme. Il est politiquement d’actualité. Depuis des siècles les hommes ont tenté diverses formes de gouvernement. Nous venons d’expérimenter deux modèles presque opposés : l’un a montré son inefficacité, l’autre est vivement critiqué.., voilà aussi un domaine où les certitudes sont nocives. C’est parce que nous sommes capables de douter que nous trouverons (peut-être) une autre voie.
Ce n’est pas en tirant d’une hypothèse des conclusions pareillement hypothétiques que l’on amènera à soi la Vérité…, on en reste au contraire aux paroles creuses et à l’impression subjective.., autrement dit ; ceux qui ont introduit dans leur raisonnement ce qu’ils avaient l’intention de prouver, n’on aucune peine à l’en déduire. Toutes les raisons qui ne font pas sens, même cumulées ne donnent pas plus de sens. Un château construit d’hypothèses, de Vérités relatives, reste un château des hypothèses, qu’une seule soit invalidée et l’ensemble s’écroule.
Quand le scepticisme est mis en chanson par Brassens, (dit par Florence) :
Le sceptique.
Mourir pour des idées, l’idée est excellente
Moi j’ai failli mourir de ne l’avoir pas eu
Car tous ceux qui l’avaient, multitude accablante
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
Ils ont su me convaincre et ma muse insolente
Abjurant ses erreurs, se rallie à leur foi
Avec un soupçon de réserve toutefois
Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente,
D’accord, mais de mort lente
Jugeant qu’il n’y a pas péril en la demeure
Allons vers l’autre monde en flânant en chemin
Car, à forcer l’allure, il arrive qu’on meure
Pour des idées n’ayant plus cours le lendemain
Or, s’il est une chose amère, désolante
En rendant l’âme à Dieu c’est bien de constater
Qu’on a fait fausse route, qu’on s’est trompé d’idée
Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente
Les saint jean bouche d’or qui prêchent le martyre
Le plus souvent, d’ailleurs, s’attardent ici-bas
Mourir pour des idées, c’est le cas de le dire
C’est leur raison de vivre, ils ne s’en privent pas
Dans presque tous les camps on en voit qui supplantent
Bientôt Mathusalem dans la longévité
J’en conclus qu’ils doivent se dire, en aparté
« Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente »
Des idées réclamant le fameux sacrifice
Les sectes de tout poil en offrent des séquelles
Et la question se pose aux victimes novices
Mourir pour des idées, c’est bien beau mais lesquelles ?
Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente
Encor s’il suffisait de quelques hécatombes
Pour qu’enfin tout changeât, qu’enfin tout s’arrangeât
Depuis tant de « grands soirs » que tant de têtes tombent
Au paradis sur terre on y serait déjà
Mais l’âge d’or sans cesse est remis aux calendes
Les dieux ont toujours soif, n’en ont jamais assez
Et c’est la mort, la mort toujours recommencée
Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente
O vous, les boutefeux, ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu! laissez vivre les autres!
La vie est à peu près leur seul luxe ici bas
Car, enfin, la Camarde est assez vigilante
Elle n’a pas besoin qu’on lui tienne la faux
Plus de danse macabre autour des échafauds!
Mourrons pour des idées, d’accord, mais de mort lente
D’accord, mais de mort lente
G Il faut quand même faire une distinction entre vérité relative et vérité objective. Le dogmatisme c’est vérité absolue. Il eut bien des sceptiques, tel Copernic, Galilée Giordano Bruno, qui sera brûlé par l’Eglise à Rome pour avoir contrarié la vérité absolue, révélée, laquelle n’était que relative.
La science nous a permis de sortir de certains doutes et de donner des vérités non relatives, non absolues, mais scientifiques. Qui va nier aujourd’hui que la Terre tourne autour du soleil ?
L’actualité nous amène au scepticisme. Nous entrons en guerre contre la Lybie, celle du colonel Kadhafi. Bien sûr, on ne peut pas fermer les yeux sur le massacre d’une population, mais il y a à peine quelques mois Kadhafi était à Paris, on « s’embrassait » avec ce même dictateur. Ce beau sentiment d’humanité a-t-il quelque chose à voir avec le pétrole, ne faut-il pas être sceptique ?
G C’est lorsque nous nous trouvons dans une situation difficile nous disent Pascal et Montaigne, que nous devons rompre avec les certitudes, les vérités absolues, et il ne s’agit pas de nier qu’il puisse y avoir des vérités relatives…
Rabelais et Molière. Le philosophe sceptique
(Texte lu par France et Guy Louis)
Toute époque adopte les termes ainsi que le veut l’acception de l’époque. Ce terme de sceptique fut longtemps synonyme de personne irrésolue, incapable de trancher part hésitation, en quelque sorte l’âne de Buridan fait homme. C’est ainsi que Rabelais dans Pantagruel et Molière dans « Le mariage forcé » vont utiliser ce même personnage (le philosophe sceptique). Dans les deux cas un homme veut se marier, hésite et consulte un philosophe : Chez Rabelais le philosophe Trouillogan est consulté.
— Or ça, de par Dieu, me dois-je marier ? demanda Panurge.
— Trouillogan : Il y a de l’apparence.
— Panurge : Et si je ne me marie point ?
— Trouillogan : Je n’y vois inconvénient aucun.
— Panurge: Vous n’y en voyez point ?
— Trouillogan : Nul, ou la vue me déçoit.
— Panurge : J’en trouve plus de cinq cents.
— Trouillogan : Comptez-les.
— Panurge: Je dis improprement parlant, et prenant nombre certain pour incertain, c’est-à-dire beaucoup… Je ne peux me passer de femme, de par tous les diables… Donc me marierai-je?
— Trouillogan : Par aventure.
— Panurge : M’en trouverai je bien ?
— Trouillogan : Selon la rencontre.
— Panurge : Si je rencontre bien, comme j’espère, serai-je heureux ?
— Trouillogan : Assez.
— Panurge: Et si je rencontre mal ?
— Trouillogan: Je m’en excuse.
— Panurge : Mais conseillez-moi, de grâce. Que dois-je faire ?
— Trouillogan : Ce que vous voudrez.
— Panurge : Tarabin tarabas.
Panurge s’impatiente, mais il ne cesse d’interroger.
— Panurge : Me marierai-je ? Si je ne me marie point, je ne serai jamais trompé.
— Trouillogan : J’y pensais.
— Panurge : Et, si je suis marié, je serai trompé ?
— Trouillogan : On le dirait.
— Panurge : Si ma femme est sage et chaste, je ne serai jamais trompé ?
— Trouillogan : Vous me semblez parler correctement.
— Panurge : Sera-t-elle sage et chaste ? Reste seulement ce point.
— Trouillogan : J’en doute.
— Panurge : Vous ne l’avez jamais vue ?
— Trouillogan : Que je sache.
— Panurge : Pourquoi donc doutez-vous d’une personne que vous ne connaissez pas ?
— Trouillogan: Pour cause.
— Panurge : Et si vous la connaissiez ?
— Trouillogan : J’en douterais encore plus.
A ce coup, Panurge se met très en colère. Il appelle son page :
— Panurge : Page, mon mignon, prends mon bonnet et va dans la basse cour jurer une petite demi-heure pour moi. Je jurerai pour toi quand tu voudras.
Molière, grand Rabelaisien, a mis cette scène dans son Mariage Forcé.
Le philosophe sceptique s’appelle alors, Marphurius
— Sganarelle : J’ai envie de me marier.
— Marphurius : Je n’en sais rien. —
— Sganarelle : A la fin, Fatigué de ce discours Sganarelle donne du bâton au philosophe qui se plaint
— Marphurius : Mais vous me battez
— Sganarelle : Non ! Vous devez-dire : « il me semble que vous me battez ! »
G « Les hommes pour la plupart, sont naturellement portés à être affirmatifs, et dogmatiques dans leurs opinions ; comme ils voient les objets d’un seul côté et qu’ils n’ont aucune idée des arguments qui servent de contrepoids, ils se jettent précipitamment dans les principes vers lesquels ils penchent, et ils n’ont aucune indulgence pour ceux qui entretiennent des sentiments opposés. Hésiter, balancer, embarrasse leur entendement, bloque leur passion, et suspend leur action » Hume. Enquête sur l’entendement humain
G Si le scepticisme est le doute systématique, alors oui le scepticisme est négatif, le sceptique devient un maniaque. Mais si on lui démontre le « comment », son doute commence à s’estomper quant au « pourquoi ». Le scepticisme est comme une offre, une option pour lutter contre les raideurs de conscience. Dans le catalogue des philosophies, le scepticisme n’est qu’une option, qui peut être de plus circonstancielle ; nul n’est obligé d’y adhérer. Un monde incertain, est pour quelques uns, insupportable, un monde sans l’idée d’un tout qui l’organise, d’un but, cela peut créer des angoisses existentielles, le doute infecte l’âme. Le sceptique accepte ; il accepte que ce monde soit non déterminé, qu’il soit sans cesse en devenir, que rien ne soit immuable, donc que le champ soit ouvert à tous les possibles ; c’est ce qui en fait un optimiste.
Alors que l’on a pris depuis des siècle Socrate comme modèle de philosophe, on reproche aux sceptiques ce dont on honore Socrate. L’oracle désignait Socrate comme l’homme le plus intelligent de son pays, car « il savait qu’il ne savait pas », cela l’empêchant de se prononcer sur toute chose, tout comme les sceptiques. Le scepticisme traité comme mépris de toute chose relève d’un raisonnement abrupte, et intolérant. De fait le scepticisme non absolu nous amène à la modestie. Autrement dit, « je suis sceptique » peut être une réponse sincère, c’est avouer que « je ne sais pas », « je ne suis pas en mesure de juger », « je n’ai pas les éléments pour me prononcer », ou « ce n’est pas de ma compétence », et peut-être adopter la méthode de scepticisme de Socrate en posant la question aux autres. Tout savoir : c’est une autre chanson ! « Je sais, je sais » disait cette chanson « Je sais qu’on ne sait jamais »
Comme pour les autres grands courants de philosophie, qui vont suivent dans cette époque, le scepticisme nous nous invite à trouver une certaine sérénité, une quiétude de l’esprit.
Pour les Epicuriens, Ne nous tracassons pas ni aux sujets des Dieux qui s’ils existent ont d’autres souci que nous, et que nous ne devons pas redouter la mort…
Pour les Stoïciens c’est : ne pas se soucier quant aux choses sur lesquelles on ne pas agir.
Pour les sceptiques : ne nous créons pas de problèmes existentiels sur des choses, des idées que nous ne pouvons connaître avec certitude.
Je ne suis pas tombé dans le scepticisme total, je ne choisirais aucune de ces trois écoles comme seul et unique modèle philosophique, mais de chacun je cherche à prendre ce qui me « semble » ou me « paraît » le meilleur.
Bibliographie :
Ce que veulent dire les sceptiques. Par sieur Gauthier 1714. BNF
Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale. PUF.
Dictionnaire philosophique. André Comte Sponville.
Discours de la méthode. Pascal. Livre de poche.
Encyclopédie de la philosophie. Livre de poche. Pochothèque.
Enquête sur l’entendement humain. Hume. Collection Le Monde de la philosophie 2008
Essais sceptiques. Bertrand Russel. 1928. Editions Reider
Essais sur les fondements de nos connaissances. A. Cournot. 1851. Librairie Hachette 1922.
Examen du Pyrrhonisme ancien et moderne. P. de Houdt. La Haye – 1733. BNF
Histoire de la philosophie. Abbé H. Dagneaux. 1901. BNF
Introduction à Montaigne. Roger-Pol Droit. Le Monde de la philosophie. Flammarion. 2009.
L’évolution des dogmes. Charles Guignebert. Flammarion. 1910.
La philosophie en France – Le scepticisme dans l’antiquité. (Félix Ravaison – Hachette 1889) BNF
La vérité des sciences contre le scepticisme. F. Marin Mersenne – 1625.BNF
Le grand Robert de la langue française.
Le retour des philosophes antiques. Pierre François Moreau. Albin Michel 2001. BNF
Le scepticisme combattu dans ses principes – Emile Maurial – 1857. BNF
Les essais. Montaigne.
Les sceptiques grecs – Victor Brochard – IMP 1887 – BNF
Œuvres de Barnave. M. Béranger. 1843. BNF
Pyrrhon et le scepticisme. Léon Robin. PUF 1944
Soliloques sceptiques. F. de la Mothe Le Vayer. 1670. BNF
Traité de la réforme et de l’entendement. Spinoza. Vrin.
Vocabulaire technique et critique de la philosophie. A. Lalande.
Une philosophie qui sera toujours de première utilité, pour refuser les vérités subjectives, vérités révélées, vérités »vraies »